Nations Unies

CRC/C/79/D/12/2017

Convention relative aux droits de l’enfant

Distr. générale

5 novembre 2018

Original : français

Comité des droits de l’enfant

Constatations adoptées par le Comité au titre du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, concernant la communication no 12/2017 * , **

Communication p résentée par :

Y. B. et N. S. (représentés par un conseil, Me Sylvie Sarolea)

Au nom de :

C. E.

État partie :

Belgique

Date de la communication :

22 mars 2017

Date de s constatations :

27 septembre 2018

Objet :

Refus de visa humanitaire à une enfant prise en charge dans le cadre d’une kafala par un couple belgo-marocain

Question ( s ) de procédure :

Épuisement des voies de recours internes ; étayement de la requête

Question ( s ) de fond :

Intérêt supérieur de l’enfant ; discrimination basée sur l’ethnicité; liberté d’opinion ; développement de l’enfant ; protection de l’enfant contre toute forme de violence, abandon ou négligence ; protection de l’enfant privé de son milieu familial

Article(s) de la Convention :

2, 3, 10, 12 et 20

Article(s) du Protocole facultatif :

7 e) et f)

1.Les auteurs de la communication sont Y. B., de nationalité belge, né en 1953, et N. S., de nationalités marocaine et belge, née en 1963. Ils présentent la communication au nom de C. E., de nationalité marocaine, née en 2011. Ils affirment que C. E. est victime d’une violation des articles 2, 3, 10, 12 et 20 de la Convention. Les auteurs sont représentés par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 30 août 2014.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les auteurs sont mariés et membres d’une communauté de vie nommée “La Poudrière” à Péruwelz (Belgique). Ils ont accueilli, dans le cadre d’une kafala, C. E., née le 21 avril 2011 à Marrakech, de nationalité marocaine. C. E. est née de père inconnu et a été abandonnée par sa mère à sa naissance. Un jugement déclarant cet abandon a été dressé par le tribunal de première instance de Marrakech le 19 août 2011.

Procédures au Maroc dans le cadre d’une kafala

2.2Le 22 septembre 2011, le tribunal de première instance de Marrakech a désigné les auteurs comme preneurs en kafala et tuteurs de C. E. en tant qu’enfant mineure abandonnée. Suite à une enquête diligentée par les autorités marocaines compétentes selon les instructions du parquet général, il a été conclu que les auteurs bénéficiaient des qualités matérielles et sociales leur permettant de prendre C. E. en kafala. Le 13 octobre 2011, le même tribunal a délivré aux auteurs une autorisation de voyager à l’étranger avec C. E.

2.3En droit marocain, la kafala est régie par le dahir no 1-02-172, du 13 juin 2002, portant promulgation de la loi no 15-01, relative à la prise en charge (kafala) des enfants abandonnés. L’article 2 de cette loi établit que la kafala est « l’engagement de prendre en charge la protection, l’éducation et l’entretien d’un enfant abandonné au même titre que le ferait un père pour son enfant. La kafala ne donne pas de droit à la filiation ni à la succession. » L’enfant abandonné est placé provisoirement dans un centre ou établissement public de protection sociale des enfants. Après enquêtes, un jugement d’abandon peut être prononcé. Le juge des tutelles assure la tutelle des enfants déclarés abandonnés. Ces enfants peuvent ensuite être confiés en kafala à des époux musulmans ou à une femme musulmane.

Demandes de visa long séjour en Belgique

2.4Les auteurs relèvent que la kafala n’établit pas de lien de filiation, de sorte qu’ils n’ont pas pu introduire de demande de visa sur la base du regroupement familial. Pour cette raison, le 21 décembre 2011 ils ont introduit une demande de visa long séjour pour motifs humanitaires sur la base de l’article 9 de la loi belge du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers. Ils ont invoqué à cet égard que C. E. était une enfant abandonnée qui leur avait été confiée. Ils ont déposé des certificats de bonne vie et mœurs, attestant qu’ils étaient dans une situation qui leur permettait de prendre en charge l’enfant et de lui assurer un cadre de vie sécurisant tant sur le plan personnel que sur le plan financier.

2.5Le 27 novembre 2012, l’Office des étrangers a rejeté la demande de visa introduite par les auteurs en considérant que l’ordonnance d’attribution de kafala d’un enfant n’était pas une adoption et ne conférait aucun droit de séjour; que les auteurs n’avaient pas demandé que la kafala soit reconnue par le Service public fédéral Justice (anciennement Ministère de la justice); qu’une demande d’autorisation de séjour pour motifs humanitaires ne pouvait se substituer à une demande d’adoption; et qu’il n’y avait aucune preuve que l’enfant était réellement à la charge des requérants et qu’ils possédaient des moyens de subsistance suffisants.

2.6La décision de refus de visa a fait l’objet d’un recours devant le Conseil du contentieux des étrangers. En date du 29 septembre 2015, le Conseil a annulé la décision négative en ce que l’autorité administrative n’avait pas respecté l’obligation de motivation formelle qui lui était imposée; que la référence au fait que les auteurs n’avaient pas entrepris des démarches auprès du Service public fédéral Justice dans le cadre d’une adoption était erronée car la kafala n’était pas une adoption; que l’ordonnance de kafala ne pouvait pas être rejetée au seul motif qu’elle ne conférait pas de droit de séjour alors que la validité de cette ordonnance n’était pas mise en question et que ladite ordonnance mentionnait clairement que les auteurs disposaient des qualités matérielles et que l’enfant était sous leur responsabilité.

2.7Suite à cet arrêt d’annulation, les auteurs se sont adressés à de multiples reprises à l’Office des étrangers pour qu’une nouvelle décision soit adoptée, sans obtenir de réponse. Le 19 juillet 2016, l’Office des étrangers a adopté une nouvelle décision qui refusait le visa pour les motifs suivants: a) Les auteurs avaient déjà essayé d’entamer une procédure d’adoption en 2012 et ils avaient abandonné la procédure pour introduire une demande de visa humanitaire, procédure qui ne pouvait servir à un détournement de la procédure d’adoption ; b) la kafala avait été établie au Maroc avec une adresse officielle des auteurs au Maroc alors que leur domicile principal était en Belgique ; c) la kafala ne donnait pas le droit au séjour en Belgique car l’acte ne créait pas de liens familiaux avec la pupille ; d) les critères humanitaires n’étaient pas suffisamment établis – la mère avait abandonné l’enfant mais elle était toujours en vie et les auteurs n’apportaient pas la preuve qu’il n’y avait pas d’autres membres de la famille jusqu’au troisième degré qui puissent prendre en charge l’enfant; e) les auteurs pouvaient veiller à l’éducation de l’enfant tout en la laissant dans son propre pays, sa culture et sa famille; f) les auteurs n’apportaient pas la preuve de solvabilité pour subvenir aux besoins de la pupille en Belgique; et g) les auteurs n’avaient pas apporté de preuves que l’enfant était autorisée à quitter le Maroc puisqu’aux yeux des autorités marocaines ils habitaient au Maroc.

2.8Le 25 octobre 2016, les auteurs ont introduit un nouveau recours contre cette deuxième décision négative devant le Conseil du contentieux des étrangers, recours qui était toujours pendant au moment où les auteurs ont soumis la présente communication au Comité. Les auteurs font valoir que le Conseil n’a qu’une compétence marginale d’annulation et ne peut substituer la décision qu’il annule.

Demandes de visa court séjour en Belgique

2.9En 2014 et 2015, les auteurs ont introduit deux demandes de court séjour, qui ont été rejetées par des décisions de l’Office des étrangers respectivement en date du 29 octobre 2014 et du 2 avril 2015, sur la base de l’article 32 du règlement (CE) no 810/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, établissant un code communautaire des visas. Dans le contexte de la demande de visa humanitaire, les décisions ont relevé l’existence de doutes sérieux quant au but réel du séjour et l’absence de garanties de retour.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs font valoir que l’État partie a violé les droits de C. E. au titre des articles 2, 3, 10, 12 et 20 de la Convention.

3.2Les auteurs affirment que l’article 2 de la Convention interdit la discrimination à l’égard des enfants, y compris celle fondée sur leur naissance. Selon eux, le fait que C. E. ait la nationalité d’un pays qui connaît une institution différente de l’adoption, la kafala, constitue un obstacle au regroupement familial en Belgique. C. E. est traitée différemment en termes de séjour d’un enfant adopté car elle est accueillie dans le cadre d’une kafala. Il s’ensuit qu’elle ne peut pas bénéficier, en droit belge, d’une protection juridique. Or, la kafala est reconnue comme une mesure de protection de l’enfant par la Convention de La Haye du 19 octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l’exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants. C. E. a le droit de faire l’objet de mesures de placement et de bénéficier d’une protection. Elle a aussi le droit de vivre avec les auteurs dans le pays dont ils sont ressortissants. Les auteurs ont, quant à eux, le droit de vivre ensemble en Belgique.

3.3Les auteurs font valoir qu’en matière d’adoption, le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant prévu par l’article 3 de la Convention est encore plus contraignant et une obligation de motivation renforcée s’impose. La décision doit exposer en quoi les droits de l’enfant ont été pris en considération, précisant les critères retenus, le raisonnement suivi, et notamment la mise en balance de l’intérêt supérieur de l’enfant avec d’autres considérations. Cette évaluation doit être faite par une autorité compétente, de préférence pluridisciplinaire. L’opinion de l’enfant doit être prise en compte. Les décisions doivent être prises rapidement et doivent pouvoir faire l’objet de réexamens. En l’espèce, aucune des quatre décisions de refus de visa ne fait mention de l’intérêt supérieur de l’enfant, qui n’a pas été considéré. La notion de l’intérêt supérieur de l’enfant apparaît pour la première fois dans les observations de l’État partie, qui prétend que, contrairement à la procédure d’adoption, il n’y a aucune certitude que la procédure d’attribution de kafala ait bénéficié d’un véritable examen rigoureux de cet intérêt. Or, cette posture est théorique et non appliquée au cas de C. E. En outre, l’État partie substitue au critère de l’intérêt supérieur de l’enfant celui de l’existence d’une situation humanitaire grave et urgente de menace à la vie, à la santé ou à l’intégrité, ce qui est une exigence extrêmement restrictive.

3.4Les auteurs affirment qu’ils aspirent à être réunis avec C. E. depuis 2011 et que leur demande a été rejetée à deux reprises, laissant C. E. seule en tant qu’enfant abandonnée qui a pour seuls référents les auteurs tant au regard du droit marocain que du droit belge. La kafala est reconnue en tant que mesure de tutelle civile en droit belge, en application du Code belge de droit international privé (article 20) et de la Convention de La Haye du 19 octobre 1996. Elle est reconnue par ces textes normatifs comme lien familial. En outre, dans le cas d’espèce une convention de tutelle officieuse a été actée et homologuée en Belgique.

3.5La Cour européenne a considéré également que, même en l’absence de filiation biologique ou adoptive, l’existence de liens de facto constitue “vie familiale”. D’après la Cour, il faut tenir compte du temps vécu ensemble, de la qualité des relations ainsi que du rôle assumé par l’adulte envers l’enfant. Là où l’existence d’un lien familial avec un enfant est établie, l’État doit agir de manière à permettre à ce lien de se développer et à accorder une protection juridique rendant possible l’intégration de l’enfant dans la famille.

3.6Les auteurs relèvent que C. E. n’a plus de famille au Maroc ; une prise en charge par sa famille biologique n’a donc aucun sens. En outre, C. E. a une culture mixte étant née au Maroc, et ayant été recueillie par un père belge et par une mère belge d’origine marocaine. Évoquer « son propre pays et sa culture » est stéréotypé et désincarné par rapport aux éléments de fait du dossier.

3.7Les auteurs font valoir que l’observation générale no 12 (2009) du Comité sur le droit de l’enfant d’être entendu impose une obligation aux États de garantir à l’enfant capable de discernement le droit d’exprimer librement ses opinions sur toute question l’intéressant tout en prenant en compte son âge et son degré de maturité. Si C. E. est trop jeune pour être entendue, il n’en demeure pas moins que l’État doit prendre en considération son intérêt en veillant à assurer sa représentation.

3.8Enfin, les auteurs relèvent que l’article 20 de la Convention doit être lu en tenant compte de la Convention de La Haye du 19 octobre 1996, qui s’applique à la kafala.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Dans ses observations datées du 26 septembre 2017, l’État partie fait valoir que la communication est irrecevable pour non-épuisement de tous les recours internes disponibles. Une requête en annulation de la décision prise par l’Office des étrangers le 5 septembre 2016 serait toujours pendante auprès du Conseil du contentieux des étrangers. Bien que le Conseil exerce un contrôle de légalité et ne peut pas substituer son appréciation à celle de l’autorité qui a pris la décision, il examine l’usage que l’autorité a fait de son pouvoir discrétionnaire quant à l’appréciation des faits. Ce recours revêt donc un caractère effectif. En outre, les auteurs n’ont pas fait usage de la procédure en suspension qui aurait permis d’obtenir plus rapidement une décision du Conseil. Même si l’octroi d’une telle suspension n’implique pas l’octroi de l’autorisation de séjour, l’autorité qui a pris la décision devrait dans ce cas réexaminer le dossier et décider si elle prend une nouvelle décision.

4.2Quant au fond, l’État partie relève que la kafala et l’adoption sont deux institutions différentes. La kafala pourrait s’apparenter à une tutelle officieuse dans le droit belge, institution qui ne crée pas de lien de filiation, est révocable et prend fin à la majorité de l’enfant. L’adoption, par contre, permet à l’enfant de bénéficier d’une filiation et lui offre une meilleure protection. C’est pourquoi l’adoption est soumise à des conditions strictes et entourée de garanties.

4.3Avant la réforme normative de l’adoption, lorsqu’un enfant était recueilli dans le cadre d’une kafala, il ou elle obtenait une autorisation de séjour en Belgique en vue d’une procédure d’adoption, autorisation qui devenait illimitée lorsque l’adoption était prononcée. Les dispositions relatives à l’adoption ont été modifiées par une loi du 24 avril 2003 afin de mettre en œuvre la Convention de La Haye du 29 mai de 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale. Les garanties pour que les adoptions internationales interviennent dans l’intérêt supérieur de l’enfant et dans le respect de ses droits fondamentaux ont été traduites en droit belge. Cette réforme ne permet plus qu’un enfant dont l’État d’origine ne connaît ni l’adoption ni le placement en vue d’adoption (comme c’est le cas du Maroc) puisse être déplacé vers la Belgique en vue d’y être adopté.

4.4Le Code civil belge a également été modifié (articles 361 à 363) afin de permettre une adoption dans le cadre d’une kafala mais en respectant les garanties de l’adoption, à savoir : a) les adoptants doivent avoir suivi la préparation à l’adoption et obtenu le jugement d’aptitude ; b) la proposition d’adoption de l’enfant doit avoir été communiquée à l’autorité centrale communautaire compétente par l’État d’origine ; c) aucun contact préalable des adoptants avec les personnes qui ont la garde de l’enfant ne peut avoir lieu avant que l’autorité centrale compétente et celle de l’État d’origine n’aient donné leur accord sur l’ « apparentement » ; d) l’enfant adoptable doit être soit orphelin de père et mère, soit bénéficier d’un jugement d’abandon et être soumis à la tutelle de l’autorité publique de l’État d’origine ; et e) l’autorité compétente de l’État d’origine doit avoir établi une forme de tutelle sur l’enfant, et avoir autorisé le déplacement de l’enfant à l’étranger pour s’y établir de manière permanente. Entre 2014 et 2015, 25 adoptions d’enfants provenant du Maroc sur la base d’une kafala ont eu lieu en Belgique, ce qui place le Maroc en deuxième position des pays de provenance dans le cadre d’adoptions internationales extrafamiliales.

4.5L’État partie cite également l’article 33 de la Convention de La Haye du 19 octobre 1996, qui établit que, lorsque qu’autorité centrale envisage le placement d’un enfant dans le cadre d’une kafala et que ce placement aura lieu dans un autre État contractant, cette autorité doit consulter l’autorité centrale de l’État d’accueil et lui communiquer un rapport sur l’enfant et les motifs de sa proposition sur le recueil. La kafala ne peut être prononcée qu’après que l’autorité centrale de l’État requis a approuvé ce recueil compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant.

4.6L’État partie relève que, en l’espèce, les auteurs n’ont pas respecté les conditions fixées par l’article 365-1 du Code civil. Il serait pourtant très facile d’obtenir les informations nécessaires à un projet d’adoption. L’Autorité centrale communautaire dispose d’un site Internet présentant une information sur les différentes procédures et d’une permanence téléphonique. Il est cependant indiqué dans la requête déposée au Conseil du contentieux des étrangers dans le cadre du recours d’annulation du 27 décembre 2012 que la volonté des auteurs n’était pas d’adopter C. E. D’après l’État partie, si l’accueil en kafala a pour conséquence un déplacement de l’enfant dans un autre État, entraînant un déracinement géographique et culturel, on peut s’attendre à ce que les preneurs en kafala s’interrogent préalablement sur les possibilités d’obtenir une autorisation de séjour pour cet enfant.

4.7Les auteurs relèvent que C. E. a été abandonnée par sa mère et recueillie dans un orphelinat. Or, aucune indication n’a cependant été fournie quant à la procédure suivie au Maroc pour l’attribution de C. E. aux auteurs, y compris une indication de savoir s’il y a eu un contact direct avec l’orphelinat et les critères sur lesquels la décision de placement a été fondée. Contrairement à la procédure prévue en cas d’adoption internationale, il n’y a aucune certitude que la décision prise de confier C. E. aux auteurs l’a été au terme d’un véritable examen rigoureux de l’intérêt supérieur de l’enfant. En outre, l’ordonnance d’attribution de kafala et l’autorisation de voyager à l’étranger indiquent que les preneurs en kafala sont domiciliés au Maroc. Cette autorisation n’autorisait pas l’établissement permanent de C. E. à l’étranger.

4.8Quant à la tutelle officieuse, l’État partie fait valoir qu’il s’agit d’un acte par lequel le tuteur officieux s’engage à entretenir un enfant mineur non émancipé, à l’élever et à le mettre en état de gagner sa vie. Le tuteur n’exerce le droit de garde que pour autant que l’enfant ait sa résidence habituelle avec lui. Cette procédure n’offre pas non plus les garanties d’un examen concret et rigoureux de l’intérêt supérieur de l’enfant.

4.9Étant donné que la procédure préalable prévue pour pouvoir adopter un enfant dans le cadre d’une kafala n’a pas été suivie, où un jugement d’aptitude aurait été rendu après enquête approfondie réalisée par les autorités belges quant aux conditions dans lesquelles l’enfant serait accueillie en Belgique, que les autorités marocaines n’ont pas pu non plus vérifier ces conditions, et que la kafala n’a pas été établie en vue de s’établir à l’étranger, les autorités belges n’ont pas considéré qu’il était dans l’intérêt de l’enfant d’autoriser son séjour.

4.10Le choix des auteurs de ne pas vouloir adopter C. E., ou leur méconnaissance de la réglementation, n’oblige pas l’État belge à accorder une autorisation de séjour à C. E. au détriment des règles mises en place dans son intérêt et pour sa protection sauf situation humanitaire urgente, ce qui n’est pas démontré.

4.11La Cour européenne des droits de l’homme considère qu’il n’y pas d’ingérence dans le droit à la vie privée et familiale lorsqu’il s’agit d’une première admission. C. E. est scolarisée et l’auteure a des revenus du travail qu’elle exerce au Maroc, alors que ni elle ni l’auteur n’ont démontré avoir des revenus en Belgique. Ils vivent dans une communauté de personnes déshéritées qui partagent leurs ressources sans que l’origine de ces ressources ait été établie. L’entourage de C. E. au Maroc n’est pas non plus spécifié.

4.12L’État partie fait noter que les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme dans les affaires Harroudj, Wagner et Chbihi Loudoubi et autres cités par les auteurs ne sont pas comparables car les enfants dans ces cas sont entrés légalement sur le territoire des États concernés et y ont développé ensuite une vie familiale.

4.13En ce qui concerne l’article 12 de la Convention, l’État partie relève que C. E. étant âgée d’un an lors de la prise de la première décision et de 5 ans lors de la deuxième, il semble difficile de soutenir qu’elle était capable de discernement. En outre, si la nécessité d’entendre un enfant se conçoit aisément dans le cadre d’une procédure de placement ou d’adoption le concernant, cela n’est pas le cas dans l’application de la réglementation concernant l’octroi ou pas d’une autorisation de séjour.

4.14Finalement, l’article 20 de la Convention a été respecté étant donné que C. E. a été prise en charge par les autorités marocaines et a fait l’objet d’un placement dans une kafala au Maroc. La question de l’octroi d’une autorisation de séjour est étrangère à cet article.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1Dans des commentaires du 5 décembre 2017, les auteurs relèvent que la procédure actuellement pendante devant la juridiction belge ne présente pas de garanties d’un recours effectif. Comme le reconnaît l’État partie, le Conseil du contentieux des étrangers n’a qu’une compétence marginale d’annulation et ne peut substituer une décision à celle qu’il annule, comme le démontre le cas d’espèce. Quatre ans après sa première décision de refus de visa, l’autorité migratoire a adopté une décision quasiment identique, pourtant annulée parce qu’illégale. Quant à la demande de suspension, une décision négative suspendue ne donne pas droit à un accès au territoire belge, comme souligné par l’État partie, et ne serait donc un recours effectif.

5.2Quant aux faits, les auteurs expliquent que l’auteure était engagée par l’État marocain comme professeur de mathématiques dans l’enseignement public et que l’auteur vit et travaille en tant que jardinier au sein de la communauté La Poudrière en Belgique depuis 2005. L’auteur a deux enfants d’un premier mariage et trois petits enfants. Les auteurs se sont mariés à Marrakech (Maroc), en avril 2006, où ils ont habité de manière continue jusqu’en septembre 2007. En mai 2009, l’auteure a obtenu un titre de séjour de résidence en Belgique et a entrepris des démarches pour l’obtention d’une prépension comme fonctionnaire marocaine pour s’installer en Belgique au sein de la communauté La Poudrière. Elle s’est finalement libérée de son statut de fonctionnaire et perçoit une prépension depuis août 2017.

5.3Les auteurs relèvent que C. E. n’a plus de famille qui puisse l’accueillir au Maroc puisqu’elle est orpheline, son abandon ayant été constaté officiellement par les autorités marocaines. Depuis son accueil par les auteurs, C. E. vit en permanence au domicile de l’auteure à Marrakech et fréquente une école primaire privée située près de son domicile. Occasionnellement, elle est confiée à la garde de la mère ou de la sœur de l’auteure. C. E. est traumatisée par l’abandon et est très attachée aux auteurs. Les séparations, surtout avec l’auteure, sont difficiles. En 2016, elle a dû être hospitalisée durant un voyage de l’auteure en Belgique. L’auteure vit à titre principal au Maroc et voyage en Belgique une à trois fois par an pour une durée de deux semaines. L’auteur vit en Belgique et passe deux à trois mois par an avec l’auteure et C. E. au Maroc.

5.4Les auteurs relèvent que les procédures judiciaires qui ont eu lieu au Maroc n’ont pas été contestées. Depuis six ans, l’État partie n’a jamais mené d’enquêtes ou tenté d’obtenir des informations auprès des instances marocaines compétentes alors même qu’il dispose des ressources au Maroc pour obtenir des renseignements sur le cas d’espèce, notamment à travers son consulat et son ambassade. Selon les auteurs, cela démontre la passivité et le manque de volonté de l’État partie de trouver une solution pour C. E. Les auteurs, par contre, se sont toujours montrés disponibles et actifs à travers les différentes procédures.

5.5Les auteurs font noter qu’une autorisation judiciaire de quitter le territoire marocain a été délivrée et que le juge savait bien que l’auteur était belge. Même si les auteurs résidaient exclusivement au Maroc, ils devraient être en mesure de s’établir dans le pays dont ils sont les ressortissants.

5.6Quant à l’aptitude des auteurs, des procédures juridictionnelles sérieuses ont été menées au Maroc, où leur aptitude et conditions d’accueil en Belgique ont été examinées. L’accueil de C. E. est également garanti par la tutelle officieuse homologuée par le juge belge. L’autonomie financière des auteurs est garantie par leur statut de volontaires au sein de la communauté de La Poudrière. Par ailleurs, les auteurs sont propriétaires d’un appartement en Belgique et d’un appartement au Maroc.

5.7Les auteurs ont mené les seules procédures accessibles en Belgique, soit une demande de visa humanitaire et une tutelle officieuse. Les contacts préalables entre les auteurs et l’enfant ont exclu la possibilité de transformation de la kafala en adoption en droit belge.

5.8Les auteurs insistent sur le fait que les quatre décisions de refus de visa de long et court séjour ne font aucune référence à l’intérêt supérieur de l’enfant. La non-reconnaissance de l’institution de la kafala par la Belgique a nié à une famille internationale comme celle des auteurs le droit de circuler entre le Maroc et la Belgique, où la famille a des attaches. La famille a également le droit à évoluer dans sa composition. La position de l’État partie a pour conséquence d’empêcher la famille de vivre ensemble. Afin de ne pas laisser C. E. seule au Maroc, l’auteure réside au Maroc avec elle, renonçant de ce fait à son droit de vivre dans le pays dont elle est ressortissante et de vivre avec l’auteur. Ce dernier doit renoncer à vivre dans le pays de sa nationalité, à son activité et à sa famille en Belgique. Cette position empêche également C. E. de développer des liens avec sa famille qui réside en Belgique.

Information supplémentaire des auteurs

6.Par une lettre du 3 mai 2018, les auteurs indiquent que le Conseil du contentieux des étrangers a rendu un arrêt le 26 avril 2018 par lequel il a annulé la décision du refus de visa prise le 19 juillet 2016. Le Conseil a considéré que la décision attaquée ne mentionnait pas le jugement du tribunal de la jeunesse de Tournai dans lequel l’acte de tutelle officieuse de l’enfant mineur était entériné.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 20 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications.

7.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie basé sur l’irrecevabilité pour non-épuisement des voies de recours internes disponibles car, d’un côté, une requête en annulation de la deuxième décision négative de l’Office des étrangers du 19 juillet 2016 était pendante auprès du Conseil du contentieux des étrangers au moment de la soumission de la présente communication, et de l’autre côté, les auteurs n’auraient pas demandé la suspension de la décision attaquée. Le Comité note, toutefois, l’affirmation des auteurs selon laquelle le 26 avril 2018 le Conseil du contentieux des étrangers a annulé la décision de refus de visa et note que le Conseil n’exerce qu’un contrôle de légalité limité et ne peut substituer la décision qu’il annule. De ce fait, une nouvelle décision devrait être adoptée par l’Office des étrangers. Or, cette institution a déjà rejeté la demande des auteurs à deux reprises, soit le 27 novembre 2012 et le 19 juillet 2016, sur des raisonnements similaires. Une éventuelle troisième décision aurait donc peu de chance de succès. Quant à la suspension de la décision attaquée, le Comité note l’affirmation des parties selon laquelle une éventuelle suspension n’impliquerait pas l’octroi d’une autorisation de séjour et ne serait pas, de ce fait, un recours effectif. Vu ce qui précède, en particulier le fait que sept ans se sont écoulés depuis la première requête des auteurs et le fait qu’il appartient à la même autorité de réexaminer une requête qu’elle a déjà rejetée à deux reprises, le Comité considère que les auteurs ont épuisé tous les recours internes disponibles et effectifs. En conséquence, le Comité considère qu’il n’y a aucun obstacle à ce qu’il déclare la communication recevable au regard de l’article 7 e) du Protocole facultatif.

7.3Le Comité observe que les auteurs citent l’article 20 de la Convention mais sans motiver leurs allégations. Par conséquent, il conclut que les griefs sont manifestement infondés et les déclare de ce fait irrecevables en vertu de l’article 7 f) du Protocole facultatif.

7.4Le Comité considère cependant que les griefs des auteurs concernant la discrimination de C. E. fondée sur sa nationalité (article 2 de la Convention), le manque de considération de l’intérêt supérieur de l’enfant et de son opinion dans les procédures menées par les autorités migratoires belges (articles 3 et 12 de la Convention) et la réunification familiale (article 10 de la Convention) ont été suffisamment étayés, les déclare recevables et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 10 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

8.2Le Comité prend note des allégations des auteurs qui affirment que l’intérêt supérieur de l’enfant n’a pas été pris en compte dans les quatre décisions de refus de visa rendues par les autorités migratoires belges. Le Comité prend note également des arguments de l’État partie qui affirme que ces décisions auraient appliqué la législation interne en vigueur, modifiée afin de mettre en œuvre la Convention de La Haye de 1993 et garantir ainsi que les adoptions internationales interviennent dans l’intérêt supérieur de l’enfant.

8.3Le Comité rappelle que l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale dans toutes les décisions les affectant et que le concept d’intérêt supérieur de l’enfant «devrait être ajusté et défini au cas par cas, en fonction de la situation particulière de l’enfant ou des enfants concernés, selon les circonstances, le contexte et les besoins des intéressés. Pour les décisions relatives à des cas individuels, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être évalué et déterminé en tenant compte de la situation concrète de l’enfant concerné ».

8.4Le Comité rappelle également qu’il appartient généralement aux autorités nationales d’examiner les faits et les éléments de preuve, ainsi que d’interpréter et d’appliquer la loi nationale, à moins que l’appréciation faite par ces autorités ait été manifestement arbitraire ou ait constitué un déni de justice. Il n’appartient donc pas au Comité de se substituer aux autorités nationales dans l’interprétation de la loi nationale et l’appréciation des faits et des preuves mais de vérifier l’absence d’arbitraire ou de déni de justice dans l’appréciation des autorités, et de s’assurer que l’intérêt supérieur de l’enfant ait été une considération primordiale dans cette appréciation.

8.5Dans l’espèce, le Comité observe que les décisions des autorités migratoires belges ont fondé leur refus de visa principalement sur le fait que la kafala ne donnait pas de droit au séjour, et sur le fait que les auteurs n’avaient pas démontré : a) que C. E. ne pouvait pas être prise en charge par sa famille biologique au Maroc, b) que les auteurs ne pouvaient pas veiller à son éducation en la laissant au Maroc, et c) que les auteurs avaient les conditions financières nécessaires pour subvenir aux besoins de C. E. Or, le Comité observe que ces raisonnements sont de nature générale et dénotent une absence d’examen de la situation concrète de C. E. et, en particulier, du fait qu’elle est une enfant née de père inconnu et abandonnée à la naissance par sa mère biologique et que, de ce fait, la possibilité d’être prise en charge par la famille biologique semble irréaliste et, en tout cas, non corroborée. L’argument de l’absence de conditions financières nécessaires ne semble pas tenir compte du fait que l’octroi de la kafala par les autorités marocaines se fondait sur l’examen des conditions sociale et financière des auteurs. Les autorités marocaines ont reconnu que ces conditions étaient remplies, respectivement, en attribuant la kafala de C. E. aux auteurs et les autorités belges en édictant l’acte de tutelle officieuse. L’État partie questionne de manière générale la procédure suivie au Maroc qui a abouti à l’attribution de la kafala mais sans spécifier dans quelle mesure cette procédure n’aurait pas bénéficié de garanties nécessaires dans le cas d’espèce. Finalement, la possibilité de laisser C. E. au Maroc ne semble pas tenir compte de la différence entre veiller aux besoins éducatifs d’un enfant tout en le laissant dans un orphelinat et veiller à ses besoins affectifs, sociaux et financiers tout en cohabitant avec l’enfant de la même manière que le feraient les parents. Cet argument implique que les autorités migratoires n’ont pas considéré la relation affective créée entre les auteurs et C. E. depuis 2011. En particulier, outre le lien juridique créé par la kafala, les autorités migratoires ne semblent avoir considéré ni le fait que l’auteure ait vécu avec C. E. depuis sa naissance ni les liens familiaux qui se seraient naturellement tissés de facto par cette vie en commun au fil des années.

8.6En ce qui concerne les griefs des auteurs fondés sur l’article 12 de la Convention, le Comité observe les arguments de l’État partie selon lesquels C. E. était âgée d’un an lors de l’adoption de la première décision, et de cinq ans lors de la deuxième, et qu’elle n’était pas capable de discernement, et que la nécessité d’entendre l’enfant ne saurait se justifier dans l’application de la réglementation concernant l’octroi ou pas d’une autorisation de séjour.

8.7Le Comité rappelle toutefois que « l’article 12 n’impose aucune limite d’âge en ce qui concerne le droit de l’enfant d’exprimer son opinion, et décourage les États parties d’adopter, que ce soit en droit ou en pratique, des limites d’âge de nature à restreindre le droit de l’enfant d’être entendu sur toutes les questions l’intéressant […] Il n’est pas nécessaire que l’enfant ait une connaissance complète de tous les aspects de la question le concernant, mais il doit être doté d’un discernement suffisant pour être capable de se forger de manière adéquate sa propre opinion sur la question […] ». Il rappelle également que «[t]oute décision qui ne tient pas compte de l’opinion de l’enfant ou ne lui attribue pas le poids voulu eu égard à son âge et à son degré de maturité ne respecte pas le principe selon lequel l’enfant ou les enfants concernés doivent avoir la possibilité d’influer sur la détermination de leur intérêt supérieur […]. Le très bas âge de l’enfant ou sa situation de vulnérabilité (handicap, appartenance à un groupe minoritaire, migrant, par exemple) ne le prive pas du droit d’exprimer ses vues ni ne réduit le poids à leur attribuer lors de la détermination de son intérêt supérieur. L’adoption de mesures spécifiques visant à garantir aux enfants en pareilles situations l’exercice de leurs droits sur un pied d’égalité avec les autres doit passer par une évaluation individuelle qui réserve un rôle aux enfants eux-mêmes dans la prise de décisions».

8.8Dans l’espèce, le Comité observe que C. E. était âgée de cinq ans lorsque la décision de la deuxième procédure d’examen de la demande de visa pour motifs humanitaires déposée par les auteurs a été rendue, et qu’elle aurait été capable de se forger une opinion sur la possibilité d’habiter de manière permanente en Belgique avec les auteurs. Le Comité ne partage pas la position de l’État partie selon laquelle il ne serait pas nécessaire de prendre en considération les opinions de l’enfant dans une procédure concernant son autorisation de séjour, bien au contraire. Dans le cas d’espèce, les implications de cette procédure sont d’une importance primordiale pour la vie et l’avenir de C. E. en ce qu’elles ont un lien direct avec la possibilité pour elle de vivre avec les auteurs en tant que famille.

8.9Vu ce qui précède, le Comité conclut que l’État partie n’a pas concrètement considéré l’intérêt supérieur de l’enfant lorsqu’il a évalué la demande de visa pour C. E., et n’a pas respecté son droit à être entendue, en violation des articles 3 et 12 de la Convention.

8.10En ce qui concerne les griefs des auteurs fondés sur l’article 10 de la Convention, le Comité note les arguments de l’État partie selon lesquels il n’y a pas d’ingérence dans le droit à la vie privée et familiale lorsqu’il s’agit d’une première admission et, en conséquence, qu’il n’est pas possible d’affirmer que, même dans l’absence de filiation biologique ou adoptive, l’existence de liens de fait constitue « vie familiale » qui donne droit à une « réunification familiale ».

8.11Le Comité considère que l’article 10 de la Convention n’oblige pas un État partie à reconnaître de manière générale le droit de réunification familiale aux enfants pris en charge en régime de kafala. Nonobstant, le Comité considère que, dans l’évaluation et la détermination de l’intérêt supérieur de l’enfant aux effets d’accepter ou de refuser la demande de séjour concernant C. E., l’État partie est tenu de prendre en considération les liens de facto existants entre l’enfant et les auteurs (en particulier l’auteure), qui se sont développés sur la base de la kafala. Le Comité rappelle que, pour évaluer la préservation du milieu familial et le maintien des relations en tant qu’élément dont il faut tenir compte lors de l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant, « [l]e terme “famille” doit s’interpréter au sens large en englobant les parents biologiques et les parents adoptifs ou les parents nourriciers, ou, le cas échéant, les membres de la famille élargie ou de la communauté, comme prévu par la coutume locale (art. 5) ».

8.12Tenant compte du fait que les liens familiaux établis de facto dans le cas d’espèce n’ont pas été pris en considération, et du fait que le laps de temps écoulé dès la présentation de la demande de visa par les auteurs a dépassé les sept ans, le Comité conclut que l’État partie n’a pas respecté l’obligation qui lui incombait de traiter la demande des auteurs, équivalant à une demande de réunification familiale, dans un esprit positif, avec humanité et diligence, en veillant à ce que la présentation d’une telle demande n’entraîne pas de conséquences fâcheuses pour les auteurs et les membres de leur famille, en violation de l’article 10 de la Convention.

8.13Ayant conclu à une violation des articles 3, 10 et 12 de la Convention, le Comité ne juge pas nécessaire d’étudier si les mêmes faits constituent une violation de l’article 2.

8.14Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 5 de l’article 10 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des articles 3, 10 et 12 de la Convention.

9.L’État partie est tenu de réexaminer la demande de visa pour C. E. de manière urgente et dans un esprit positif, en assurant que l’intérêt supérieur de l’enfant soit une considération primordiale et que C. E. soit entendue. Dans la considération de l’intérêt supérieur de l’enfant, l’État partie devrait tenir compte des liens familiaux forgés de facto entre C. E. et les auteurs. Il a aussi l’obligation de prendre toutes les mesures nécessaires pour que des violations analogues ne se reproduisent pas.

10.Le Comité rappelle qu’en adhérant au Protocole facultatif à la Convention établissant une procédure de présentation de communications, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a violation de la Convention.

11.Conformément à l’article 11 du Protocole facultatif établissant une procédure de présentation de communications, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux constatations du Comité. L’État partie est aussi invité à inclure des renseignements sur les mesures ainsi prises dans les rapports qu’il soumettra au Comité au titre de l’article 44 de la Convention. Enfin, l’État partie est invité à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement dans la langue officielle du pays.