Nations Unies

CAT/C/59/D/691/2015

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

27 janvier 2017

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité contre la torture au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 691/2015 * , **

Communication p résentée par :

S. (représentée par un conseil, Viktoria Nystrom)

Au nom de :

S.

État partie :

Suède

Date de la requête :

1er juin 2015 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision :

25 novembre 2016

Objet :

Recevabilité

Questions de procédure :

Examen par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement

Questions de fond :

Risque de torture ou de mauvais traitements en cas d’expulsion, non‑refoulement

Article(s) de la Convention :

3

1.1La requérante est S., de nationalité iranienne, née en mars 1981. Sa demande d’asile en Suède a été rejetée par le Conseil suédois des migrations le 27 juin 2014. La lettre initiale est datée du 1er juin 2015 et des informations complémentaires ont été fournies le 21 juillet 2015. La requérante affirme que l’État partie commettrait une violation de l’article 3 de la Convention s’il l’expulsait vers la République islamique d’Iran. Elle est représentée par un conseil, Mme Viktoria Nystrom.

1.2Le 28 juillet 2015, en application du paragraphe 1 de l’article 114 de son règlement intérieur et compte tenu des informations fournies par la requérante, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a demandé à l’État partie de ne pas expulser la requérante vers la République islamique d’Iran tant que sa communication serait à l’examen.

1.3Le 28 janvier 2016, à la demande de l’État partie, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé d’examiner la recevabilité de la requête séparément du fond.

Rappel des faits présentés par la requérante

2.1La requérante a épousé son désormais ex‑mari en République islamique d’Iran le 7 octobre 2010. Comme son époux vivait déjà en Suède, il n’était pas présent lors de la cérémonie et le mariage a été célébré par procuration. La requérante est arrivée en Suède le 30 octobre 2011 et a obtenu un permis de séjour temporaire. Après son arrivée, son mari a commencé à exercer une forte emprise sur elle et, avec la complicité de sa sœur, à la soumettre à des violences psychologiques et physiques régulières, y compris des coups et des insultes. Son mari et la sœur de celui‑ci l’ont également menacée de la renvoyer en République islamique d’Iran. À une occasion, les violences subies ont été si graves que la requérante a dû se réfugier chez l’un de ses proches, à Uppsala. Elle a parlé à un avocat, mais a décidé de ne pas porter plainte.

2.2En juin 2013, le mari de la requérante a demandé le divorce, mais il a ensuite retiré sa demande. En novembre 2013, il a demandé une nouvelle fois le divorce, sans informer la requérante ; le divorce a alors été prononcé. Après le divorce, le permis de séjour de la requérante n’a pas été renouvelé par les autorités suédoises.

2.3Étant donné les conséquences du divorce et les menaces qu’elle continuait de recevoir de son ex‑mari, la requérante a décidé de demander l’asile en Suède. Le jour où elle s’est rendue au bureau du Conseil national des migrations pour obtenir des informations sur la demande d’asile, un avocat a été commis d’office pour la représenter. Son ex-mari, extrêmement contrarié par cette démarche, l’a enfermée à clef dans leur chambre pendant la nuit. Elle avait tellement peur de lui que le lendemain, elle s’est rendue au poste de police et a pris contact avec son avocat, qui l’a aidée à s’installer dans un foyer pour femmes. Son ex‑mari a alors commencé à lui envoyer des messages lui disant qu’il l’aimait et voulait qu’elle revienne. Comme elle ne répondait pas, il l’a menacée au téléphone et par l’intermédiaire d’amis, en disant qu’il allait diffuser des photographies intimes d’elle en République islamique d’Iran et répandre la rumeur qu’elle fréquentait des hommes en Suède. Des membres de la famille de l’ancien mari ont rendu visite à la famille de la requérante en République islamique d’Iran, à qui ils ont déclaré que la requérante les avait déshonorés et qu’elle serait punie.

2.4La requérante affirme en outre être membre du Parti démocratique du Kurdistan iranien, que les autorités iraniennes considèrent comme un groupe terroriste. Elle a produit deux lettres du bureau des relations internationales du parti en Europe, en date du 29 avril 2014 et du 15 juillet 2015, dans lesquelles il est indiqué qu’elle est une sympathisante du parti et que sa vie serait en danger si elle était renvoyée en République islamique d’Iran. Elle précise qu’elle est membre du parti depuis l’âge de 18 ans, que ses deux frères sont aussi membres de ce parti, et qu’ils vivent tous deux au Danemark. Ils y ont obtenu l’asile en raison des menaces dont ils ont été victimes de la part des autorités iraniennes du fait de leur affiliation politique. La requérante affirme que son troisième frère a été tué parce qu’il appartenait au parti.

2.5La requérante a demandé l’asile le 11 décembre 2013. Le 27 juin 2014, le Conseil suédois des migrations a rejeté sa demande. Il a estimé que son récit manquait de crédibilité et qu’elle n’avait pas démontré qu’elle courrait un risque réel de subir des violences liées à l’honneur à son retour en République islamique d’Iran, que ce soit de la part de sa famille ou de celle de son ex‑mari. Le Conseil n’a pas contesté le fait qu’elle était membre du Parti démocratique du Kurdistan iranien, mais il a estimé qu’elle n’avait pas fourni d’éléments fiables indiquant qu’elle serait exposée à des persécutions en cas de retour en République islamique d’Iran.

2.6À une date non précisée, la requérante a fait appel de cette décision. Le 14 octobre 2014, la Cour d’appel des migrations a rejeté son appel, estimant qu’elle avait donné des informations contradictoires concernant sa relation avec son ex‑mari et n’avait donc pas montré que le niveau de violence auquel elle était exposée justifiait l’octroi d’un permis de séjour. Par ailleurs, la Cour a estimé que l’une des lettres produites par la requérante pour prouver qu’elle était membre du Parti démocratique du Kurdistan iranien était de « faible qualité ». La Cour a en outre considéré que la requérante n’avait pas démontré qu’elle risquait de subir un préjudice de la part des autorités iraniennes, de sa famille ou de la famille de son ex‑mari. À une date non précisée, la requérante a formé un recours contre cette décision auprès de la Haute Cour d’appel de l’immigration. Sa demande d’autorisation de se pourvoir a été rejetée le 18 décembre 2014. L’arrêté d’expulsion est donc devenu exécutoire. La requérante affirme qu’elle a épuisé tous les recours internes disponibles.

2.7Le 9 février 2015, la requérante a saisi la Cour européenne des droits de l’homme d’une demande de mesures provisoires. Le 10 février 2015, la Cour, par l’entremise du Président par intérim, siégeant en formation de juge unique, a décidé de ne pas empêcher l’expulsion de la requérante. Elle a déclaré la requête irrecevable en considérant que, compte tenu des éléments en sa possession et dans la mesure où les griefs formulés relevaient de sa compétence, les critères de recevabilité énoncés aux articles 34 et 35 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme) n’étaient pas remplis.

Teneur de la plainte

3.1La requérante affirme que son expulsion vers la République islamique d’Iran constituerait une violation des droits qu’elle tient de l’article 3 de la Convention. Elle affirme qu’il existe un risque sérieux qu’elle soit arrêtée et torturée à son retour en raison de son divorce et de son affiliation politique. En particulier, la requérante affirme qu’elle craint d’être maltraitée par la famille de son ex-mari parce qu’il l’a accusée d’infidélité et de vivre avec un autre homme en Suède. Elle fait valoir que la famille de son ex‑mari a déclaré qu’elle devait être punie pour avoir bafoué son honneur, et que son ex‑mari détient des photographies intimes d’elle, qui peuvent être utilisées comme des preuves pour l’accuser de mœurs légères et de prostitution. La requérante affirme avoir également des craintes au sujet de sa propre famille, qui a déclaré avoir l’intention de la punir à son retour en République islamique d’Iran et vouloir l’exclure de la famille afin d’en rétablir l’honneur. Elle craint aussi les autorités iraniennes parce que son ex‑mari est issu d’une famille très influente et puissante : son père est imam et entretient de bonnes relations avec les autorités, et sa parole aura donc plus de poids que la sienne. Un verdict de culpabilité est donc très probable si la requérante est arrêtée et inculpée en République islamique d’Iran. La requérante rappelle que l’adultère est sanctionné par le Code pénal islamique et que la peine prévue est la flagellation, la lapidation ou même la mort. Les crimes d’honneur et les châtiments publics sont courants dans les zones kurdes en République islamique d’Iran. La requérante fait valoir que les personnes qui commettent des crimes d’honneur dans ce pays ne sont pas punies.

3.2La requérante indique que les autorités iraniennes ne sont pas au courant de son appartenance au Parti démocratique du Kurdistan iranien, car les membres du parti cachent leurs activités militantes pour ne pas être persécutés. Toutefois, son mari ou la famille de son mari pourraient révéler aux autorités son appartenance au parti en représailles du « déshonneur » qu’elle leur a infligé. La requérante ajoute qu’une fois que les autorités sauraient qu’elle est membre du parti, elle serait arrêtée ou, à tout le moins, interrogée, ce qui signifie qu’elle risquerait d’être soumise à la torture ou à des sévices sexuels, qui sont une pratique courante en République islamique d’Iran. La requérante soutient également que, étant donné que les autorités iraniennes mènent de vastes opérations de renseignement à l’étranger, elles peuvent avoir eu connaissance de ses activités au sein du parti, puisqu’elle a ouvertement participé aux réunions de celui-ci en Suède. Dans ce contexte, elle renvoie à un rapport du Ministère des affaires étrangères qui indique que les Kurdes qui s’expriment politiquement risquent d’être arrêtés, emprisonnés ou torturés en République islamique d’Iran. Selon un rapport du Ministère de l’intérieur du Royaume‑Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord, une personne qui peut prouver qu’elle est membre ou sympathisante du parti est exposée à un risque de persécution et devrait se voir accorder un permis de séjour et une protection internationale. En outre, la requérante cite le rapport de 2014 du Département d’État des États‑Unis sur les pratiques en matière de droits de l’homme en République islamique d’Iran, qui contient des informations sur les violations de leurs droits subies par les femmes dans ce pays.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 25 septembre 2013, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité de la communication. Il affirme que, la requérante ayant déjà saisi la Cour européenne des droits de l’homme, sa requête devrait être déclarée irrecevable en vertu du paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention. À cet égard, l’État partie note que la requérante fait valoir qu’elle a simplement présenté une demande de mesures provisoires concernant la décision d’expulsion, conformément à l’article 39 du règlement intérieur de la Cour européenne. L’État partie prend aussi note de l’argument de la requérante, qui affirme que dans la mesure où la Cour n’a pas « jugé l’affaire », on ne peut pas considérer que la requête a été soumise à son contrôle juridictionnel. Il en déduit donc que, selon la requérante, sa demande ne concernait pas la même question que la communication soumise au Comité que et la Cour européenne n’a pas examiné le fond de sa requête puisqu’elle a déclaré celle‑ci irrecevable.

4.2Le Comité renvoie à sa jurisprudence constante, selon laquelle la « même question » au sens du paragraphe 5 a) de l’article 22 concerne les mêmes parties, les mêmes faits et les mêmes droits substantiels. À cet égard, il observe que la présente communication soulève des griefs au titre de l’article 3 de la Convention, concernant le risque supposé de torture auquel la requérante serait exposée en cas de renvoi en République islamique d’Iran. Il souligne qu’il ressort clairement de la lettre adressée par la Cour européenne des droits de l’homme à la requérante le 10 février 2015 que celle‑ci avait saisi la Cour d’une requête, dans laquelle elle lui demandait entre autres d’empêcher son expulsion vers ledit pays.

4.3L’État partie indique que, d’après les instructions de la Cour européenne des droits de l’homme concernant les demandes de mesures provisoires, les requérants doivent exposer de manière détaillée les éléments sur lesquels se fondent leurs craintes, la nature des risques invoqués et les dispositions de la Convention dont la violation est alléguée. Étant donné que, le 10 février 2015, la Cour a décidé de rejeter la demande de mesures provisoires de la requérante et de déclarer sa requête irrecevable, la requérante devait lui avoir indiqué les motifs de sa requête. Par conséquent, l’État partie estime qu’il est évident que la requête adressée à la Cour européenne et la demande de mesures provisoires qui l’accompagnait devaient, tout comme la présente communication au Comité, concerner les risques auxquels la requérante serait exposée si elle était renvoyée en République islamique d’Iran. Il en conclut donc que la présente requête concerne la même question que celle dont la requérante a déjà saisi la Cour européenne des droits de l’homme.

4.4En ce qui concerne la question de savoir si la Cour européenne des droits de l’homme a examiné la teneur de la demande de la requérante au sens du paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, l’État partie rappelle que le Comité a de nombreuses fois considéré qu’une communication avait été examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, si la décision rendue n’était pas uniquement fondée sur de simples motifs procéduraux mais aussi sur des motifs qui indiquaient une prise en considération suffisante du fond de l’affaire. L’État partie note que, selon les observations de la requérante et la lettre de la Cour européenne, cette dernière a rejeté la demande de la requérante le 10 février 2015 car elle a estimé que les critères de recevabilité établis aux articles 34 et 35 de la Convention européenne des droits de l’homme n’étaient pas remplis. L’État partie note que rien dans les observations de la requérante n’indique que sa requête auprès de la Cour ne remplissait pas les critères établis par l’article 34 de la Convention européenne des droits de l’homme, comme il ressort des faits de la cause, que la décision concernant l’expulsion de la requérante était devenue exécutoire et que la requérante avait épuisé les recours internes en 2014 avant de soumettre sa requête à la Cour. En outre, selon la jurisprudence de la Cour, le délai de six mois ne s’applique pas de facto aux cas dans lesquels le demandeur n’a pas encore été expulsé. C’est pourquoi, de l’avis de l’État partie, il est clair que la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas rejeté la demande de la requérante pour non‑épuisement des recours internes ou parce que la demande n’avait pas été présentée dans le délai de six mois.

4.5L’État partie fait valoir que les observations de la requérante ne comportent aucune information selon laquelle les motifs d’irrecevabilité prévus aux alinéas a) et b) du paragraphe 2 de l’article 35 de la Convention européenne des droits de l’homme seraient applicables, et que les seuls motifs de recevabilité à prendre en considération sont ceux qui sont établis aux alinéas a) et b) du paragraphe 3 de l’article 35. L’État partie fait valoir qu’il ressort clairement du libellé de la Convention européenne des droits de l’homme qu’une évaluation de ces deux motifs passe nécessairement par une prise en considération du fond de l’affaire. On peut dès lors supposer que la Cour européenne a déclaré la requête irrecevable pour des motifs liés au fond, et non pour de pures raisons de procédure. Par conséquent, l’État partie affirme que la Cour européenne des droits de l’homme a déjà examiné la question dont le Comité est saisi et conclut que la communication devrait être déclarée irrecevable en application du paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention contre la torture.

Commentaires de la requérante sur les observations de l’État partie

5.1Le 4 janvier 2016, la requérante a soumis des commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité de la communication. Elle confirme qu’elle a saisi la Cour européenne des droits de l’homme et lui a demandé de suspendre son expulsion. Elle fait valoir que l’interdiction de la torture est absolue et que si les documents soumis dans le contexte de sa communication montrent qu’elle serait effectivement soumise à la torture à son retour en République islamique d’Iran, l’article 22 de la Convention ne devrait pas pouvoir être invoqué, compte tenu du fait qu’aucune autre instance internationale d’enquête ou de règlement n’a examiné son affaire.

5.2En ce qui concerne la décision rendue le 10 février 2015 par la Cour européenne, la requérante affirme qu’il est difficile de savoir si le juge unique a examiné l’affaire, ou sur quels motifs il a fondé sa décision de déclarer la requête irrecevable. Elle estime que, compte tenu du peu d’informations fournies dans la lettre de la Cour en date du 10 février 2015, on ne saurait tenir pour acquis que la Cour a examiné la même question au sens de l’article 22 de la Convention. Elle ajoute que, vu le peu d’informations fournies dans la lettre de la Cour, il est très probable que celle-ci n’a pas procédé à un examen véritable de la teneur de l’affaire. Elle considère donc que le Comité devrait déclarer sa requête recevable et procéder à son examen en bonne et due forme.

5.3La requérante affirme que, même si le Comité considère que les circonstances présentées aux deux mécanismes internationaux sont les mêmes, de nouvelles circonstances s’y sont ajoutées depuis sa requête auprès de la Cour européenne des droits de l’homme et démontrent le risque qu’elle courrait en cas de renvoi en République islamique d’Iran. Elle indique que son ex‑mari s’est remarié sans divorcer d’elle, et que cela prouve qu’il s’intéresse toujours à elle. Elle fait valoir qu’en ne divorçant pas, il demeure son « propriétaire » et peut exercer un contrôle sur elle à son retour. De plus, la requérante ne vit plus dans un foyer pour femmes mais seule, sans l’appui de son mari ou d’un autre homme. Cette indépendance aurait des conséquences négatives à son retour dans son pays d’origine, ce qui rend sa requête au Comité différente de celle qu’elle avait présentée à la Cour européenne et devrait être pris en considération par le Comité.

Observations complémentaires des parties

6.1Le 9 février 2016, la requérante a informé le Comité que, dans l’affaire Yakunova et autres c. Suède (requête no 60300/14), la Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en formation de juge unique, a conclu qu’aucune violation des droits énoncés dans la Convention européenne des droits de l’homme n’avait eu lieu, et a déclaré la requête irrecevable. La requérante note que dans cette affaire, la Cour avait en effet examiné le fond de l’affaire avant de déclarer la requête irrecevable. Elle indique que la Cour ne s’est pas exprimée de la même façon dans son cas et n’a donc pas procédé à un examen en bonne et due forme de sa requête. Elle conclut que sa requête auprès de la Cour européenne des droits de l’homme n’empêche pas le Comité d’examiner la présente communication.

6.2Dans une note verbale du 23 mars 2016, l’État partie a indiqué qu’il n’avait pas connaissance de la décision de la Cour européenne mentionnée par la requérante (Yakunova et autres c.Suède) et qu’il n’avait pas vu la lettre publiée par cette juridiction à ce sujet. Il note que la Cour peut formuler sa décision concernant l’irrecevabilité d’une requête de différentes manières, et réaffirme que, dans le cas de la requérante, il est évident que la Cour a déclaré la requête irrecevable pour des motifs liés au fond de la requête et pas seulement pour des motifs de procédure. L’État partie invite le Comité à prendre contact avec le secrétariat de la Cour européenne des droits de l’homme en vue de clarifier cette question.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention.

7.2Le Comité note que l’État partie a contesté la recevabilité de la requête au motif que le grief avait déjà été examiné par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, la Cour européenne des droits de l’homme. Le Comité relève que la requérante a confirmé qu’elle avait présenté à la Cour une requête dans laquelle elle faisait référence au risque de torture et de mauvais traitements auquel elle serait exposée si elle était renvoyée en République islamique d’Iran, en violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Le Comité relève également que dans une lettre datée du 10 février 2015, la Cour européenne a informé la requérante que le Président par intérim de la Section chargée de l’examen de sa requête, siégeant en formation de juge unique, avait décidé de ne pas faire droit à la demande de mesures provisoires tendant à ce qu’elle ne soit pas expulsée vers la République islamique d’Iran, et déclaré sa requête irrecevable dans la mesure où les critères de recevabilité établis aux articles 34 et 35 de la Convention européenne des droits de l’homme n’étaient pas remplis. En outre, le Comité prend note de l’argument de la requérante selon lequel les informations figurant dans la décision rendue par cette juridiction le 10 février 2015 sont très limitées et ne permettent pas au lecteur de déterminer sur quelles raisons la Cour, siégeant en formation de juge unique, a fondé sa décision de déclarer la requête irrecevable et si elle a procédé à un examen du fond de l’affaire, ce qui conduit la requérante à penser qu’un tel examen n’a pas eu lieu.

7.3Le Comité considère qu’une requête a été ou est actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement si l’examen par l’autre instance portait ou porte sur la même question au sens du paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, c’est-à-dire concernait ou concerne les mêmes parties, les mêmes faits et les mêmes droits substantiels.

7.4Le Comité note que, le 10 février 2015, la Cour européenne des droits de l’homme siégeant en formation de juge unique a déclaré irrecevable la requête déposée par la requérante contre l’État partie et que cette requête renvoyait aux mêmes faits que ceux évoqués dans la présente communication. Le Comité note également que, dans sa décision, la Cour indique seulement que les critères de recevabilité énoncés aux articles 34 et 35 de la Convention européenne des droits de l’homme ne sont pas remplis, sans exposer les raisons concrètes ayant conduit à cette conclusion.

7.5Le Comité considère qu’en l’espèce, le raisonnement succinct exposé par la Cour européenne des droits de l’homme dans sa décision du 10 février 2015 ne permet pas de déterminer dans quelle mesure la Cour a examiné la demande de la requérante, notamment si elle a procédé à une analyse approfondie des éléments liés au fond de l’affaire.

7.6Par conséquent, le Comité considère que le paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention ne fait pas obstacle à l’examen de la communication et conclut que celle‑ci est recevable.

8.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est recevable en ce qu’elle soulève des questions au regard de l’article 3 de la Convention ;

b)Que l’État partie sera prié de faire parvenir des observations complémentaires sur le fond de la communication dans un délai de deux mois à compter de la date de transmission de la présente décision ;

c)Que les observations de l’État partie seront transmises à la requérante pour qu’elle formule ses commentaires ;

d)Que la présente décision sera communiquée à la requérante et à l’État partie.