Recommandation générale sur l’article 16 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (conséquences économiques du mariage, et des liens familiaux et de leur dissolution)

I.Généralités

Selon la Déclaration universelle des droits de l’homme, la famille est l’élément fondamental de la société. Institution sociale, juridique et, pour beaucoup, religieuse, elle est aussi une institution économique. Les recherches sur la famille montrent que les structures familiales, la répartition des tâches selon le sexe des membres de la famille et le droit de la famille influent sur le bien-être économique des femmes tout autant que les structures du marché de l’emploi et le droit du travail. Il arrive en effet fréquemment que les femmes ne bénéficient pas autant que les hommes de la fortune ou de l’enrichissement de la famille, qu’il leur en coûte habituellement plus qu’aux hommes quand la famille éclate, qu’elles se retrouvent dans le besoin en cas de veuvage, en particulier lorsqu’elles ont des enfants et que le système de sécurité sociale est inexistant ou quasi inexistant.

L’inégalité entre les membres de la famille sous-tend toutes les autres formes de discrimination que subissent les femmes et est souvent justifiée au moyen d’arguments idéologiques ou au nom de la tradition et de la culture. Il ressort des rapports présentés par les États parties que, dans beaucoup de pays, les droits et responsabilités des époux sont régis par les principes du droit civil ou de la common law ou par des lois et pratiques religieuses ou coutumières, ou un ensemble de ces éléments, qui sont discriminatoires à l’égard des femmes et contraires aux principes consacrés par la Convention.

Beaucoup des États parties qui conservent de tels régimes juridiques ont formulé des réserves concernant tout ou partie des articles 2 et 16 de la Convention. Le Comité s’est à plusieurs reprises inquiété de la portée de ces réserves, les considérant non valables parce qu’incompatibles avec l’objet et le but de la Convention. Il n’a cessé de demander aux États ayant fait ces réserves de les retirer et de mettre leur système juridique, qu’il soit civil, religieux, coutumier, ethnique ou mixte, en conformité avec la Convention en général et avec son article 16 en particulier.

Les conséquences économiques du mariage, du divorce, de la séparation ou du décès du conjoint retiennent de plus en plus l’attention du Comité. Il ressort des recherches menées dans certains pays que, de manière générale, le revenu des hommes ne baisse guère après un divorce ou une séparation, alors que celui de nombreuses femmes diminue sensiblement et que leur dépendance vis-à-vis des services sociaux, quand ils existent, augmente. Partout dans le monde, les ménages dirigés par des femmes sont ceux qui ont le plus de chances de connaître la pauvreté. La situation des femmes est inévitablement influencée par des phénomènes mondiaux tels que l’économie de marché, et les crises qui la frappent, le fait qu’elles sont de plus en plus nombreuses à entrer sur le marché du travail rémunéré – et ont des emplois souvent mal payés –, la persistance des disparités de revenus à l’intérieur des États et entre eux, l’augmentation du taux de divorce et du nombre d’unions libres, la mise en place de nouveaux systèmes de sécurité sociale ou la réforme de ceux qui existent et, par-dessus tout, la persistance de la pauvreté féminine. Bien que les femmes contribuent au bien-être matériel de la famille, leur infériorité économique a des incidences sur les relations familiales, à tous les niveaux, du fait que beaucoup d’entre elles sont responsables des membres de la famille qui ne subviennent pas à leurs propres besoins.

Quelle que soit la configuration économique de la famille, la plupart des femmes, qu’elles vivent dans un pays en développement ou un pays développé, ont en commun d’être moins bien loties financièrement que les hommes, qu’elles soient en couple ou ne le soient plus. Les systèmes de sécurité sociale, a priori conçus pour améliorer la situation économique des moins nantis, sont aussi parfois discriminatoires à l’égard des femmes.

II.Objet et portée de la recommandation générale

L’article 16 de la Convention a pour objet de faire disparaître la discrimination dont les femmes sont victimes au moment de la conclusion du mariage, pendant la durée du mariage et après sa dissolution, que celle-ci soit le résultat d’un divorce ou d’un décès. En 1994, le Comité a adopté sa recommandation générale no 21, qui précise de nombreux aspects de l’article 16 de la Convention et ses liens avec les articles 9 et 15 de celle-ci. Il est noté dans la recommandation générale no 21 que l’alinéa h) du paragraphe 1 de l’article 16 fait expressément référence aux dimensions économiques du mariage et de sa dissolution. La présente recommandation générale s’appuie sur les principes énoncés dans la recommandation générale no 21, d’autres recommandations générales pertinentes, dont la recommandation générale no 27, et la jurisprudence du Comité. Elle se fonde sur la définition de la discrimination donnée à l’article 1 de la Convention et demande aux États parties de prendre les mesures juridiques et politiques prévues par l’article 2 de la Convention et la recommandation générale no 28. Elle tient aussi dûment compte des changements sociaux et juridiques intervenus depuis que la recommandation générale no 21 a été adoptée, tels que l’adoption par certains États parties de lois sur l’union civile et l’union libre et l’augmentation du nombre de couples unis par des liens de ce type.

Il est universellement admis que les femmes ont droit à l’égalité dans la sphère familiale, comme le montrent les observations générales pertinentes formulées par d’autres organismes créés en vertu d’instruments relatifs aux droits de l’homme : l’observation générale no 28 du Comité des droits de l’homme sur l’égalité des droits entre hommes et femmes (en particulier les paragraphes 23 à 27), l’observation générale no 19 du Comité des droits de l’homme sur la protection de la famille, le droit au mariage et l’égalité entre époux, l’observation générale no 16 du Comité des droits économiques, sociaux et culturels sur le droit de l’homme et de la femme de bénéficier sur un pied d’égalité de tous les droits économiques, sociaux et culturels (en particulier le paragraphe 27) et l’observation générale no 20 de ce même comité sur la non-discrimination dans l’exercice des droits économiques, sociaux et culturels. D’importants documents politiques mondiaux, tels le Programme d’action de Beijing et les objectifs du Millénaire pour le développement font aussi de l’égalité dans la sphère familiale un principe fondamental.

Le Comité est systématiquement arrivé à la conclusion que, pour éliminer la discrimination à l’égard des femmes, les États parties devaient garantir tant l’égalité formelle que l’égalité de fait. L’égalité formelle peut être garantie par l’adoption de lois et de politiques qui s’appliquent indifféremment aux deux sexes et prévoient a priori un traitement égal des hommes et des femmes. L’égalité de fait ne peut être garantie que si les États parties examinent la façon dont les lois et politiques sont appliquées et les effets qu’elles ont et veillent à ce qu’elles se traduisent effectivement par une situation d’égalité, compte tenu des inégalités et de l’exclusion dont les femmes sont victimes. Du point de vue des conséquences économiques du mariage et de l’union libre, il faut, pour garantir l’égalité de fait, aborder des questions telles que la discrimination dans les domaines de l’éducation et de l’emploi, la possibilité de concilier contraintes professionnelles et contraintes familiales et les obstacles à l’émancipation économique des femmes que constituent les stéréotypes sexistes et les rôles dévolus à chacun des deux sexes.

La présente recommandation générale aidera les États parties à mettre en place un système de jure et de facto égalitaire, dans lequel les hommes et les femmes partagent à égalité les avantages et les coûts économiques du mariage et de l’union libre et supportent à parts égales les conséquences économiques de la dissolution de ceux-ci. Elle établira également la norme par rapport à laquelle sera évaluée la façon dont les États parties appliquent la Convention du point de vue de l’égalité économique des membres de la famille.

III.Dispositifs constitutionnel et juridique

Les dispositifs constitutionnel et juridique de plusieurs États parties prévoient encore que les lois qui régissent le statut personnel (lois relatives au mariage, au divorce, au régime matrimonial, au régime successoral, au droit de garde, à l’adoption et à d’autres questions du même ordre) échappent aux dispositions constitutionnelles interdisant la discrimination ou laissent les questions d’état civil à la discrétion des autorités ethniques ou religieuses. Dans ces États, les dispositions constitutionnelles relatives à l’égale protection de la loi et à la non-discrimination ne protègent pas les femmes des effets discriminatoires qu’a le mariage en droit coutumier ou religieux. Certains États parties ont adopté une constitution qui garantit l’égale protection de la loi et la non-discrimination, mais n’ont pas modifié leur législation ou adopté de nouveaux textes, afin d’éliminer les dispositions discriminatoires de leur droit de la famille, que celui-ci soit fondé sur le code civil, le droit religieux, la coutume ethnique ou un ensemble de lois et de pratiques. Tous ces dispositifs constitutionnels et juridiques sont discriminatoires et violent l’article 2, interprété à la lumière des articles 5, 15 et 16 de la Convention.

Les États parties doivent garantir constitutionnellement l’égalité hommes-femmes et supprimer toute exception constitutionnelle qui permette de protéger ou de préserver des lois et pratiques discriminatoires en matière de relations familiales.

Multiplicité des systèmes de droit de la famille

Certains États parties ont plusieurs systèmes juridiques, dans lesquels les lois régissant le statut personnel varient selon l’identité de l’individu, par exemple son appartenance ethnique ou sa religion. Certains, et non pas la totalité, de ces États sont aussi dotés d’un code civil, qui peut s’appliquer dans certains cas précis ou à la demande des parties. Toutefois, dans certains autres, les individus se voient obligatoirement appliquer des lois sur le statut personnel fondées sur des critères identitaires.

Comme la liberté de choisir telle ou telle pratique religieuse ou coutumière ou d’y adhérer, celle de lutter contre la discrimination à l’égard des femmes inscrite dans les lois ou les coutumes de l’État ou de la collectivité est plus ou moins grande.

Le Comité a maintes fois noté avec préoccupation que les lois et coutumes relatives au statut personnel fondées sur des critères identitaires perpétuaient la discrimination à l’égard des femmes et que la coexistence de plusieurs systèmes juridiques était en soi discriminatoire à leur encontre. L’impossibilité de choisir les lois ou les coutumes suivies ou appliquées aggravait cette discrimination.

Conformément aux dispositions de la Convention et aux recommandations générales du Comité, les États parties devraient adopter sous forme écrite un code de la famille ou des lois relatives au statut personnel qui garantissent l’égalité des époux ou des concubins, indépendamment de leur appartenance religieuse ou ethnique ou du groupe dont ils font partie. En l’absence d’un droit de la famille unifié, le régime d’application des lois régissant le statut personnel devrait permettre à chacun de décider, à toutes les étapes de la relation, si c’est la loi religieuse, la coutume ethnique ou le droit civil qui s’applique. Les lois sur le statut personnel devraient consacrer le principe fondamental de l’égalité hommes-femmes et être pleinement conformes aux dispositions de la Convention, de sorte qu’il n’y ait plus aucun fondement à la discrimination à l’égard des femmes dans le cadre du mariage ou des relations familiales.

IV.Diversité des familles

Au paragraphe 13 de sa recommandation générale no 21, le Comité constate que les familles sont diverses et souligne que, quel que soit le système juridique, les femmes doivent « dans la loi et dans les faits » être traitées dans la famille selon le principe d’égalité.

Des déclarations d’autres entités des Nations Unies confirment l’idée que la notion de « famille » doit être prise dans un sens large. Au paragraphe 27 de son observation générale no 28, le Comité des droits de l’homme reconnaît « les diverses formes que peut prendre une famille ». Dans son rapport sur la célébration de l’Année internationale de la famille, le Secrétaire général confirme que « la forme et les fonctions de la famille varient d’un pays à l’autre et à l’intérieur des pays ».

Les États parties sont tenus de prendre des mesures contre la discrimination fondée sur le sexe et l’identité sexuelle qui touche les divers types de famille et de relations familiales ainsi que contre les traditions et attitudes patriarcales et de se préoccuper tout autant des aspects discriminatoires des lois et politiques se rapportant à la famille que de ceux des textes régissant la partie « publique » de la vie individuelle et collective.

Le mariage peut être conclu suivant des coutumes, des cérémonies ou des rites divers autorisés par l’État. Le mariage civil n’est sanctionné que par l’État et est inscrit dans les registres d’état civil. Le mariage religieux suit le(s) rite(s) prescrit(s) par le droit religieux et le mariage coutumier le(s) rite(s) prescrit(s) par les coutumes du groupe auquel les parties appartiennent.

Certains États n’exigent pas que le mariage religieux ou coutumier soit enregistré à l’état civil pour être valable. Lorsqu’il n’est pas enregistré à l’état civil, le mariage peut être prouvé par la production d’un contrat de mariage, par des témoins qui ont assisté à la cérémonie ou par d’autres moyens, selon les cas.

Certains États qui reconnaissent le mariage polygame prévu par le droit religieux ou coutumier prévoient aussi le mariage civil, monogame par définition. Là où le mariage civil n’existe pas, les femmes appartenant à des groupes qui pratiquent la polygamie peuvent ne pas avoir d’autre choix que de contracter, bon gré mal gré, un mariage polygame ou potentiellement polygame. Le Comité a conclu dans sa recommandation générale no 21 que la polygamie était contraire à la Convention et qu’elle devait être découragée et interdite.

Certains États reconnaissent aussi l’union civile, qui confère des droits et des obligations aux parties. Selon les États, ces parties bénéficient de divers avantages sociaux et fiscaux.

L’union libre ne fait l’objet d’aucune procédure d’enregistrement et n’ouvre souvent aucun droit. Certains États la reconnaissent toutefois et confèrent aux parties les mêmes droits et obligations que ceux qui découlent du mariage ou de l’union civile. La portée de ces doits et obligations peut cependant varier.

Nombreux sont les États parties où certaines formes d’unions (unions homosexuelles, etc.) ne sont pas acceptées sur les plans juridique, social et culturel. Néanmoins, là où ces unions sont reconnues, sous forme d’union libre, d’union civile ou de mariage, l’État partie est tenu de veiller à la protection des droits économiques des femmes ayant contracté des liens de ce type.

Mariages coutumiers ou religieux non enregistrés à l’état civil

L’inscription du mariage sur un registre officiel protège les droits patrimoniaux des époux en cas de dissolution du mariage, que ce soit à la suite d’un divorce ou du décès d’un des conjoints. Selon la Convention, les États parties sont tenus de mettre en place un dispositif d’enregistrement des mariages et de veiller à ce que les mariages soient effectivement enregistrés. Or de nombreux États n’exigent pas que le mariage soit enregistré ou n’appliquent pas les dispositions qui prévoient l’enregistrement. En pareil cas, ceux qui n’ont pas fait inscrire leur mariage sur un registre officiel ne devraient pas être pénalisés, notamment si c’est le manque d’instruction ou d’infrastructure qui les en a empêchés.

Les États parties doivent rendre obligatoire l’inscription du mariage sur un registre officiel et faire un travail de sensibilisation efficace à ce sujet. Pour que cette obligation soit respectée, ils doivent faire en sorte qu’elle soit connue et mettre en place l’infrastructure nécessaire pour que toutes les personnes relevant de leur juridiction puissent s’en acquitter. Ils doivent veiller à ce que le mariage puisse être prouvé par d’autres moyens que le registre officiel lorsque les circonstances l’exigent. Enfin, ils doivent protéger les droits des femmes mariées, que le mariage ait ou non été inscrit sur un registre officiel.

Polygamie

Au paragraphe 14 de sa recommandation générale no 21, le Comité a déclaré que la polygamie était contraire à l’égalité des sexes et pouvait avoir de si graves conséquences affectives et financières pour la femme et les personnes à sa charge qu’il faudrait décourager et même interdire cette forme de mariage. Depuis l’adoption de cette recommandation générale, le Comité a maintes fois noté avec inquiétude la persistance de la polygamie dans de nombreux États parties. Dans ses observations finales, il a souligné la gravité des conséquences de la polygamie pour les femmes et leurs enfants, du point de vue des droits de l’homme et sur le plan économique, et systématiquement réclamé son abolition.

Les États parties devraient prendre toutes les mesures législatives et politiques nécessaires à l’abolition de la polygamie; « pourtant », comme l’affirme le Comité dans sa recommandation générale no 28, « la polygamie est encore pratiquée dans de nombreux États parties et de nombreuses femmes vivent dans des unions polygames ». Les États parties devraient donc prendre les mesures voulues pour protéger les droits économiques des femmes dont le conjoint est polygame.

Unions civiles

Les États parties dans lesquels l’union civile existe doivent garantir l’égalité de droits, de responsabilités et de traitement aux deux conjoints dans les domaines économiques régis par la législation relative à ce type d’union. Les recommandations ci-après s’appliquent mutatis mutandis dans les États parties qui reconnaissent l’union civile sur le plan juridique.

Unions libres

Les femmes vivant en union libre le font pour diverses raisons. Certains États disposent d’un cadre juridique reconnaissant l’union libre dans certaines circonstances, par exemple en cas de décès de l’une des parties ou de séparation. En l’absence d’un tel cadre, les femmes sont exposées à des risques économiques lorsqu’il y a rupture de la vie commune, notamment lorsqu’elles ont contribué aux frais d’entretien du ménage et à l’acquisition d’un patrimoine.

Dans sa recommandation générale no 21, le Comité a affirmé que la lutte contre la discrimination à l’égard des femmes vivant en union libre relevait des obligations des États en vertu du paragraphe 1 de l’article 16 de la Convention. Dans les États où ce type d’union existe et où aucune des deux parties n’est mariée à quelqu’un d’autre ni n’a contracté d’union civile avec une tierce personne, le Comité recommande à l’État concerné de tenir compte de la situation des femmes vivant en union libre ainsi que des enfants issus de ce type d’union et prennent les mesures nécessaires à la protection de leurs droits économiques. Dans les États où l’union libre est reconnue par la loi, les recommandations ci-après s’appliquent mutatis mutandis.

V.Aspects économiques de la formation de la famille

Les États parties devraient fournir aux personnes qui concluent un mariage des informations sur les conséquences économiques du mariage et de son éventuelle dissolution, du fait d’un divorce ou d’un décès. Là où les États parties autorisent les unions civiles, des renseignements analogues devraient être communiqués aux parties.

Mariage contre « paiement ou avantages »

Dans sa recommandation générale no 21, le Comité note que le mariage arrangé contre « paiement ou avantages » viole le droit des femmes à choisir librement un conjoint. Le « paiement » et les « avantages » renvoient à des transactions pour lesquelles la famille du fiancé paie celle de la fiancée en argent liquide, en nature ou en têtes de bétail ou la famille de la fiancée au fiancé remet une dot ou à sa famille. Le recours à de telles pratiques ne devrait en aucun cas être exigé pour que le mariage soit valable et les accords conclus en la matière ne devraient pas être considérés comme opposables par l’État partie.

Contrats : accords prénuptiaux ou postnuptiaux

Dans certains systèmes, le mariage et d’autres formes d’union reconnues ne peuvent être conclus que par contrat écrit; dans d’autres, un contrat de mariage relatif au patrimoine peut être signé avant ou pendant le mariage. Les États parties doivent veiller à ce qu’en pareil cas, les femmes ne se retrouvent pas moins bien loties qu’elles ne le seraient sous le régime général ou sous celui qui s’applique par défaut du fait de l’inégalité entre les parties contractantes.

Les États parties qui autorisent la conclusion de contrats privés régissant le partage du patrimoine commun et d’autres biens en cas de dissolution du mariage devraient prendre des mesures pour empêcher toute discrimination, assurer le maintien de l’ordre public, éviter qu’une des parties abuse du rapport de force et protéger les deux parties contre les abus de pouvoir. Ces mesures de protection peuvent être assorties d’exigences formelles, comme la conclusion d’un contrat écrit, l’invalidation rétroactive de l’accord entaché d’abus ou des réparations financières ou autres.

VI.Aspects économiques de l’union

Dans plusieurs États, le système de gestion du patrimoine des époux reste discriminatoire. Certains États ont toujours des lois qui font de l’homme le chef de famille et donc l’unique agent économique du ménage.

Même là où le régime de la communauté est la norme et prévoit que la moitié du patrimoine commun appartient à l’épouse, les femmes n’ont pas toujours le droit de gérer quoi que ce soit. Dans beaucoup de systèmes juridiques, les femmes peuvent, pendant la durée du mariage, continuer de gérer leurs propres biens et acquérir et gérer de nouveaux biens leur appartenant en propre. Toutefois, les biens acquis grâce au revenu de leur travail peuvent être considérés comme faisant partie du patrimoine commun et il arrive qu’elles n’aient pas le droit de les gérer. C’est parfois même le cas de leur salaire.

Les États parties devraient veiller à ce que les deux époux puissent, en toute égalité, accéder au patrimoine commun et le gérer et à ce que les femmes puissent détenir, acquérir, gérer et administrer leurs propres biens ou des biens qui ne font pas partie du patrimoine commun, et en jouir, sur un pied d’égalité avec les hommes.

VII.Conséquences économiques et financières de la dissolution de l’union

Motifs du divorce et conséquences financières

Certains systèmes juridiques établissent un lien direct entre les motifs du divorce et ses conséquences financières. Ceux qui fondent le divorce sur la notion de faute subordonnent parfois les droits financiers à l’absence de faute, ce dont les hommes peuvent profiter pour se soustraire à toute obligation financière envers leur épouse. Dans de nombreux systèmes juridiques, les femmes à l’encontre desquelles un divorce pour faute a été prononcé n’ont droit à aucune aide financière. Les systèmes qui fondent le divorce sur la notion de faute fixent parfois des critères différents pour les hommes et pour les femmes; ainsi, dans certains cas, l’adultère du mari doit être plus grave que celui de la femme pour constituer une cause de divorce. Les aspects économiques du divorce pour faute desservent souvent les femmes qui sont en général le conjoint financièrement dépendant.

Les États parties devraient :

•Revoir les dispositions de leur législation qui lient les motifs du divorce aux conséquences financières de celui-ci, afin d’éviter que les hommes n’en profitent pour se soustraire à toute obligation financière envers leur épouse;

•Revoir les dispositions de leur législation relatives au divorce pour faute, de sorte que les femmes puissent au moins être indemnisées à hauteur de la contribution qu’elles ont apportée au bien-être économique du ménage pendant la durée du mariage;

•Cesser d’avoir recours à des normes différentes pour qualifier la faute de la femme et celle du mari, par exemple en exigeant la preuve d’un adultère plus grave pour l’homme que pour la femme pour qu’il y ait motif de divorce.

D’autres régimes exigent de la femme qui demande le divorce ou de sa famille qu’elle restitue à son époux ou à sa famille, sous la forme de versements, d’avantages ou d’autres types de paiement, tous les gains économiques qui constituaient l’un des éléments du mariage, mais n’imposent pas d’obligations analogues à l’homme qui intente la procédure de divorce. Les États parties devraient supprimer toutes les dispositions subordonnant le divorce au versement d’indemnités ou à d’autres formes de paiement, qui établissent une distinction entre les hommes et les femmes.

Les États parties devraient dissocier les aspects économiques du divorce des principes et de la procédure le régissant. Les femmes qui n’ont pas les moyens de payer les frais de justice et des honoraires d’avocat devraient bénéficier d’une aide juridique gratuite afin qu’aucune ne soit forcée de renoncer à ses droits économiques pour obtenir un divorce.

Dissolution des liens par séparation ou divorce

La plupart des lois, des coutumes et des pratiques relatives aux conséquences financières de la dissolution du mariage se rapportent à deux questions principales : la répartition des biens et la pension alimentaire. Le régime régissant la répartition des biens et la pension alimentaire consécutive au divorce favorise souvent les maris, même lorsque la loi semble neutre, à cause des préjugés sexistes relatifs à la classification du patrimoine commun à diviser, de la reconnaissance insuffisante des contributions autres que financières, du fait que les femmes n’ont pas la capacité juridique de gérer des biens ou du rôle dévolu à l’homme et à la femme dans la famille. En outre, les lois, coutumes et pratiques relatives à l’usage du logement et des biens mobiliers communs à la suite d’un divorce ont sans nul doute des effets sur la situation économique des femmes.

Dans certains cas, les femmes ne peuvent exercer leurs droits sur le patrimoine parce qu’elles ne sont pas considérées comme capables de détenir ou gérer ce dernier ou parce que le régime matrimonial ne prévoit pas le partage entre les époux du patrimoine acquis pendant le mariage. Les femmes qui ont interrompu leurs études ou renoncé à travailler afin de s’occuper de leurs enfants rencontrent souvent des difficultés pour trouver un emploi suffisamment rémunéré et pouvoir, après un divorce, subvenir aux besoins de leur famille. Ces facteurs économiques et sociaux empêchent aussi les femmes qui vivent sous le régime de la séparation de biens d’acquérir des biens pendant le mariage.

Le principe directeur devrait être que les avantages et les désavantages économiques découlant de l’union et de sa dissolution sont partagés à égalité entre les deux parties. La façon dont les rôles ont été répartis pendant la vie commune ne devrait avoir de conséquences économiques négatives ni pour l’une ni pour l’autre partie.

Les États parties sont tenus de garantir, à la suite d’un divorce ou d’une séparation, l’égalité des parties dans la répartition de tous les biens acquis pendant le mariage. Ils devraient reconnaître la valeur des contributions indirectes, notamment non financières, à l’acquisition du patrimoine constitué lors du mariage.

Les États parties devraient faire le nécessaire pour qu’il y ait égalité formelle et réelle du point de vue de la capacité juridique de détenir et gérer des biens. Pour garantir l’égalité formelle et réelle des droits de propriété au moment de la dissolution du mariage, ils sont vivement encouragés à garantir :

•Le droit d’utiliser des biens servant de moyens de subsistance ou l’octroi de dédommagements pour compenser la perte de ces biens;

•Le droit à un logement adéquat susceptible de remplacer le logement familial;

•L’égalité dans le cadre des régimes matrimoniaux parmi lesquels les couples peuvent choisir (communauté, séparation de biens, régime hybride) et le droit de choisir un régime matrimonial et d’être informé des effets de chacun des régimes existants;

•L’inclusion dans le patrimoine commun à partager de la valeur actuarielle des rémunérations, pensions et autres paiements de tous types reçus après la dissolution de l’union et découlant de contributions effectuées pendant le mariage (versements au titre de polices d’assurance-vie, etc.);

•L’évaluation de la part du patrimoine à partager que représentent les contributions non financières, y compris les travaux ménagers, les activités nécessaires à la vie de famille, les manques à gagner, les contributions tangibles et intangibles à la progression professionnelle et aux autres activités économiques de l’une des parties et la valorisation de son capital humain;

•La possibilité que l’une des parties paie certains montants après la séparation ou le divorce pour que les situations financières soient égalisées.

Les États parties devraient entreprendre des travaux de recherche et des études sur la situation économique des femmes au sein de la famille et après la dissolution des liens familiaux et en publier les résultats sous une forme accessible.

Droits patrimoniaux des veuves

De nombreux États parties ont des lois ou des coutumes relatives aux successions qui, en matière d’héritage, défavorisent les veuves par rapport aux veufs, exposant ainsi les femmes à des situations de vulnérabilité économique au décès de leur conjoint. Certains systèmes juridiques prévoient d’autres moyens d’assurer la sécurité économique des veuves, par exemple une pension alimentaire versée par des parents de sexe masculin ou prélevée sur le patrimoine du défunt. Toutefois, dans la pratique, ces obligations ne sont pas toujours respectées.

Dans les États qui possèdent des systèmes fonciers coutumiers selon lesquels la terre ne peut être ni achetée ni transférée et ne peut faire l’objet que d’un droit d’usufruit, la (les) femme(s) est (sont) parfois obligée(s) de quitter les lieux ou d’épouser un frère du défunt si elle(s) veut (veulent) rester. La présence ou l’absence d’enfants peut jouer un rôle déterminant dans les décisions prises à cet égard. Dans certains États, les veuves sont dépossédées : la famille du défunt, faisant valoir des droits coutumiers, dépossède la veuve et ses enfants des biens acquis pendant le mariage, même ceux qui ne relèvent pas de ces droits. Elle expulse la veuve du logement familial et revendique tous les biens meubles, puis néglige sa responsabilité coutumière de soutien à la veuve et aux enfants. Dans certains États, les veuves sont mises à l’écart ou bannies de la communauté.

Les droits du conjoint survivant à des prestations de sécurité sociale (pension de veuvage et pension d’invalidité) ou à une pension issue d’un régime de retraite financé par des cotisations jouent un rôle essentiel dans les États parties où les couples contribuent de manière importante pendant la durée de leur union. Les États parties sont tenus de veiller à ce que les hommes et les femmes aient accès, sur un pied d’égalité, aux prestations de sécurité sociale et aux retraites auxquelles ils et elles ont droit, en leur qualité de conjoint survivant.

Dans certains États parties, du fait de la loi ou de la pratique, le mari ne peut, par testament, passer outre les lois ou les coutumes discriminatoires et accroître la part d’héritage de sa femme. Les États parties sont tenus d’adopter des lois sur la rédaction des testaments qui garantissent l’égalité des hommes et des femmes en tant que testateurs, héritiers et bénéficiaires.

Les États parties sont tenus d’adopter des lois sur les successions ab intestat qui soient conformes aux principes énoncés dans la Convention. Ces lois devraient garantir :

•Que les survivants, quel que soit leur sexe, bénéficient d’une traitement égal;

•Que la succession coutumière (usufruit de propriété) n’est subordonnée ni au mariage forcé à un frère du défunt (lévirat) ou à une autre personne quelle qu’elle soit, ni au fait qu’il existe des enfants mineurs issus du mariage;

•Que le conjoint survivant ne peut pas être déshérité;

•Que la dépossession de la veuve est une infraction pénale et ceux qui la commettent sont dûment poursuivis en justice.

VIII.Réserves

Dans sa déclaration de 1998 sur les réserves à la Convention, le Comité s’est inquiété du nombre et de la nature des réserves. Plus précisément, il a noté au paragraphe 6 ce qui suit :

Il estime que les articles 2 et 16 énoncent des dispositions essentielles de la Convention. Bien que certains États parties aient retiré leur(s) réserve(s) à ces articles, il s’inquiète tout particulièrement du nombre et de l’étendue des réserves à ces deux articles.

Concernant l’article 16, le Comité a noté, au paragraphe 17, ce qui suit :

Ni des pratiques traditionnelles, religieuses ou culturelles ni des lois et politiques nationales incompatibles ne sauraient justifier des violations des dispositions de la Convention. Le Comité demeure également convaincu que les réserves à l’article 16, qu’elles soient formulées pour des motifs nationaux, coutumiers, religieux ou culturels, sont incompatibles avec lesdites dispositions et donc inadmissibles et qu’elles devraient être réexaminées, puis modifiées ou retirées.

S’agissant des réserves liées à des lois ou à des pratiques religieuses, le Comité constate que, depuis 1998, certains États parties ont modifié leurs lois afin de garantir l’égalité concernant certains aspects au moins des relations familiales. Il continue de recommander que les États parties se fondent sur l’expérience de pays dotés de systèmes religieux et juridiques similaires et ayant réussi à adapter leur législation interne aux dispositions d’instruments internationaux contraignants, en vue de retirer leurs réserves.