Nations Unies

CAT/C/LTU/CO/3

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

17 juin 2014

Français

Original: anglais

Comité contre la torture

Observations finales concernant le troisième rapport périodique de la Lituanie *

Le Comité contre la torture a examiné le troisième rapport périodique de la Lituanie (CAT/C/LTU/3) à ses 1230e et 1233e séances, les 12 et 13 mai 2014 (CAT/C/SR.1230 et CAT/C/SR.1233), et a adopté à ses 1242e et 1243e séances, le 20 mai 2014 (CAT/C/SR.1242 et CAT/C/SR.1243), les observations finales ci‑après.

A.Introduction

Le Comité sait gré à l’État partie d’avoir accepté la procédure facultative pour l’établissement des rapports et d’avoir soumis son troisième rapport périodique (CAT/C/LTU/3) dans les délais conformément à cette procédure, ce qui permet d’améliorer la coopération entre l’État partie et le Comité et de bien cibler l’examen du rapport et le dialogue avec la délégation.

Le Comité apprécie la qualité du dialogue qu’il a eu avec la délégation multisectorielle de haut niveau de l’État partie ainsi que les réponses fournies oralement aux questions et préoccupations soulevées lors de l’examen du rapport.

B.Aspects positifs

Le Comité note avec satisfaction que, depuis l’examen du deuxième rapport périodique, l’État partie a ratifié les instruments internationaux ci‑après ou y a adhéré:

a)Convention relative aux droits des personnes handicapées et le Protocole facultatif s’y rapportant, le 18 août 2010;

b)Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, le 7 juillet 2012;

c)Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels, 6 novembre 2012;

d)Convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie, le 22 juillet 2013;

e)Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, 14 août 2013;

f)Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le 14 janvier 2014;

Le Comité salue les efforts faits par l’État partie pour réviser sa législation dans les domaines touchant la Convention, et notamment:

a)L’adoption, le 16 juin 2009, de la loi no XI‑303 complétant le Code pénal, qui aggrave la responsabilité pénale pour les crimes de haine, et du nouveau paragraphe 13 de l’article 60 du Code pénal, aux termes duquel les crimes de haine sont considérés comme une circonstance aggravante;

b)Les modifications apportées le 21 septembre 2010 à l’article 176 du Code de procédure pénale, fixant la durée maximale de la détention avant jugement;

c)Les modifications apportées le 22 mars 2011 aux articles 100 et 103 du Code pénal, élargissant la gamme des infractions pénales visées par ces articles;

d)La loi sur la protection contre la violence familiale, entrée en vigueur le 15 décembre 2011;

e)La loi sur la probation, entrée en vigueur le 1er juillet 2012;

f)Les modifications apportées à la loi sur la nationalité lituanienne, ramenant de dix à cinq ans la durée obligatoire de séjour dans le pays pour les personnes apatrides, modifications introduites en mai 2013 après l’adhésion de l’État à la Convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie;

g)Modifications de la loi sur le statut juridique des étrangers, 24 octobre 2013;

h)Les modifications de la loi relative au Médiateur du Seimas, dont le bureau exercera les fonctions de mécanisme national de prévention en vertu du Protocole facultatif se rapportant à la Convention, apportées le 1er janvier 2014;

i)Les modifications apportées au Code pénal et l’introduction d’un nouveau paragraphe 2 à l’article 147 du Code pénal, aggravant la responsabilité pénale dans les cas de traite des êtres humains.

Le Comité salue aussi les efforts faits par l’État partie pour modifier ses politiques, programmes et dispositions administratives en vue de donner effet à la Convention, et notamment:

a)La Stratégie nationale sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes;

b)La norme d’hygiène HN 37:2009 intitulée «Centres de détention de la police: exigences en matière de sûreté sanitaire générale», approuvée le 29 septembre 2009;

c)La Stratégie de rénovation des établissements pénitentiaires, approuvée par la résolution du Gouvernement du 30 septembre 2009;

d)Le Programme national de prévention de la toxicomanie et de lutte contre la drogue 2010‑2016, approuvé le 4 novembre 2010;

e)Les modifications apportées au Règlement relatif à l’examen des demandes de grâce par le décret présidentiel no 1K‑852 du 11 novembre 2011;

f)Le Programme d’optimisation du fonctionnement des quartiers de détention de la police 2009‑2015;

g)Le Plan de mise en œuvre 2009‑2017 de la Stratégie de rénovation des établissements pénitentiaires;

h)Le Programme national 2011‑2015 visant à prévenir et combattre les mauvais traitements à l’égard des enfants;

i)Le Programme national pour la prévention de la violence dans la famille et pour l’aide aux victimes 2014‑2020.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Définition de la torture

Rappelant ses précédentes observations finales (CAT/C/LTU/CO/2, par. 5), le Comité s’inquiète de constater que la définition de la torture figurant à l’article premier de la Convention n’a pas été incorporée dans le droit interne, ce qui pourrait créer un vide juridique ouvrant la voie à l’impunité, comme cela a été souligné dans l’Observation générale no 2 (2007) concernant l’application de l’article 2 par les États parties (art. 1er).

L ’ État partie devrait modifier sa législation pour inclure dans le Code pénal une définition de la torture qui soit conforme à la Convention et qui couvre l ’ ensemble des éléments énoncés à l ’ article premier, notamment le fait d ’ infliger un acte de torture à une personne aux fins notamment d ’ obtenir d ’ elle ou d ’ une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d ’ un acte qu ’ elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d ’ avoir commis, de l ’ intimider ou de faire pression sur elle ou d ’ intimider ou de faire pression sur une tierce personne pour tout motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu ’ elle soit, lorsqu ’ une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement expr ès ou tacite.

Incrimination de la torture comme infraction pénale spécifique

Le Comité est préoccupé par le fait que la torture ne fait pas l’objet d’un article distinct dans le Code pénal, les peines applicables aux actes de torture ont été intégrées dans divers articles du Code pénal et que celles-ci ne constituent pas des peines appropriées pour de telles infractions pénales, compte tenu de leur gravité. En outre, le Comité est préoccupé par le fait que l’article 103 du Code pénal, qui engage la responsabilité pénale des individus qui infligent des actes de torture, ne vise que les personnes protégées par le droit international humanitaire (art. 2 et 4).

L ’ État partie devrait modifier sa législation afin que la torture soit érigée en infraction spécifique dans le Code pénal et assortie de peines appropriées prenant en considération la gravité des actes, comme le prévoit le paragraphe 2 de l ’ article 4 de la Convention.

Prescription des actes de torture

Le Comité est préoccupé par le fait que le paragraphe 5 de l’article 95 du Code pénal, qui contient la liste des crimes imprescriptibles, mentionne les actes de torture seulement dans le cas des personnes protégées en vertu du droit international humanitaire (art. 2 et 4).

L ’ État p artie devrait faire en sorte que les actes de torture soient imprescriptibles, notamment en ce qui concerne les personnes non protégées en vertu du droit international humanitaire, de sorte que les actes de torture et la tentative de pratiquer la torture puissent donner lieu à une enquête, à de s poursuites et à des sanctions , sans qu ’ il y ait prescription.

Garanties juridiques fondamentales

Le Comité est préoccupé par le fait que les personnes détenues ne jouissent pas, dans la pratique, de toutes les garanties juridiques fondamentales contre la torture et les mauvais traitements qui devraient être offertes dès le début de la privation de liberté, telles que le droit d’être informées de leurs droits et de les comprendre, le droit d’avoir accès à un avocat, le droit à un médecin indépendant et le droit d’aviser un proche ou un tiers de leur choix (art. 2, 12, 13 et 16).

L ’ État p artie devrait prendre des mesures efficaces pour faire en sorte que toutes les personnes détenues bénéficient, en droit et dans la pratique, de l ’ ensemble des garanties juridiques fondamentales dès le début de leur privation de liberté, en particulier le droit d ’ être informé es de leurs droits et de les comprendre, le droit d ’ avoir accès sans délai à un avocat et, si nécessaire, à une aide juridictionnelle; le droit d ’ averti r un proche ou un tiers de leur choix; et le droit de se faire examiner par un médecin indépendant, si possible de leur choix, conformément aux normes internationales. Toutes les interventions d ’ ordre sanitaire dans les commissariats de police devraient être accomplies par du personnel médical qualifié.

Détention avant jugement et détention administrative

Le Comité est préoccupé par la durée de la détention avant jugement et de la détention administrative et par le grand nombre de personnes qui en font l’objet ainsi que par le fait que la détention avant jugement n’est pas utilisée comme mesure de dernier ressort. Le préoccupe également le fait que les personnes en garde à vue peuvent être renvoyées de la prison en cellule de garde à vue et que les personnes peuvent être détenues dans des centres de la police pendant de longues périodes, purgeant des peines consécutives pour infractions administratives. En outre, le Comité est préoccupé par le fait que les mineurs sont placés dans des «centres de socialisation», ce qui équivaut à un internement administratif, et qu’ils sont placés dans des «salles de relaxation» pour violation des règles disciplinaires, ce qui équivaut au placement à l’isolement (art. 2, 10 et 16).

L ’ État p artie devrait:

a) Adopter toutes les mesures nécessaires pour réduire le recours à la détention avant jugement ainsi que sa durée, faire en sorte que les personnes en détention avant jugement soient présentées à un juge sans délai, et supprimer la détention po ur infractions administratives;

b) Vérifier les «centres de socialisation» où des mineurs sont détenus dans des conditions d ’ internement administratif de facto et assurer une surveillance effective de tels établissements afin de prévenir to ute violation de la Convention;

c) Veiller à ce que les cas de détention en garde à vue dans les postes de police, même pour quelques jours, soient réduits au minimum et à ce que les personnes en garde à vue soient toujours transférées rapidement dans un centre de détention provisoire;

d) Prendre des mesures, notamment de caractère législatif, pour faire en sorte que les prisonniers ne soient pas renvoyés dans des locaux de la police et que chaque cas fasse l ’ objet de l ’ agrément d ’ un procureur sous contrôle juridictionnel;

e) Dispenser aux professions du maintien de l ’ ordre et aux professions judiciaires une formation sur les formules de substitution à l ’ incarcération, telles que l a probation, la médiation, le travail d ’ intérêt général et les condamnations à des peines avec sursis, compte tenu des dispositions des Règles minima des Nations Unies pour l ’ élaboration de mesures non privative s de liberté (Règles de Tokyo).

Détenus condamnés à la réclusion à perpétuité

S’il prend note de l’entrée en vigueur en 2012 de la loi sur la probation, le Comité est toutefois préoccupé par le fait que l’article 158 du Code de l’exécution des peines interdit la libération sous caution des prisonniers condamnés à perpétuité à moins que la condamnation à vie soit remplacée par une peine de prison à temps. Le Comité est également préoccupé par le fait que les personnes condamnées à perpétuité sont détenues séparément du reste de la population carcérale (art. 2, 11 et 16).

Le Comité recommande à l ’ État p artie de prendre des mesures pour faire en sorte qu ’ il n ’ y ait pas d ’ interdiction générale empêchant les personnes condamnées à la réclusion à perpétuité de demander une libération sous caution pour de bonnes raisons. Des mesures devraient être prises pour intégrer les détenus condamnés à perpétuité dans la population carcérale générale.

Violence intrafamiliale

Le Comité est préoccupé par le fait que la violence intrafamiliale n’est pas érigée en infraction spécifique dans le Code pénal (art. 2, 12, 13, 14 et 16).

L ’ État partie devrait:

a) Modifier sa législation afin d ’ ériger en infraction spécifique la violence intrafamiliale dans le Code pénal;

b) Veiller à ce que les victimes de violence intrafamiliale bénéficient d ’ une protection et aient accès à des services médicaux et juridiques, y compris un soutien psychosocial, obtiennent réparation, notamment sous forme de mesures de réadaptation, et aient accès à des foyers sûrs et dotés de moyens financiers suffisants;

c) Rassembler et fournir au Comité des données ventilées sur le nombre de plaintes déposées, d ’ enquêtes ouvertes, de poursuites engagées et de condamnations prononcées dans des affaires de violence intrafamiliale, sur les mesures de réparation prises en faveur des victimes et sur les difficultés rencontrées pour prévenir de tels actes.

Traite des êtres humains

Si des modifications ont été apportées au Code pénal concernant la traite des êtres humains, le Comité est toutefois préoccupé par le fait que l’État partie demeure un pays d’origine, de transit et de destination de la traite des êtres humains et qu’il enregistre une augmentation du nombre de cas. Le Comité est également préoccupé par le fait que six Lituaniens appartenant à une bande criminelle organisée, accusés de traite des femmes, n’ont toujours pas été condamnés depuis 2010 (art. 2, 10, 12, 13 et 16).

L ’ État partie devrait:

a) Prendre des mesures efficaces pour prévenir la traite des êtres humains, notamment appliquer rigoureusement la législation réprimant la traite et renforcer la coopération internationale pour la combattre, en particulier pour combattre la traite à des fins d ’ exploitation sexuelle;

b) Continuer de dispenser une formation spécialisée destinée aux policiers, aux procureurs, aux juges, aux fonctionnaires de l ’ immigration et aux agents de la police des frontières, concernant notamment le Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, la prévention de la traite, la conduite d ’ enquêtes, l ’ engagement de poursuites et la répression des actes de traite, et continuer les campagnes nationales de sensibilisation, notamment dans les médias, sur le caractère criminel de ces actes;

c) Ouvrir rapidement des enquêtes impartiales et efficaces, engager des poursuites et punir la traite des personnes et les pratiques analogues;

d) Fournir réparation aux victimes de la traite.

Institution nationale des droits de l’homme

Le Comité est préoccupé par le fait que l’État partie n’a pas d’institution nationale des droits de l’homme conforme aux Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de Paris). Il est également préoccupé par la question de savoir si le Médiateur du Seimas (Parlement) aura suffisamment de ressources financières et humaines pour s’acquitter à la fois du mandat d’institution nationale des droits de l’homme et du mandat de mécanisme national de prévention en vertu du Protocole facultatif se rapportant à la Convention (art. 2).

L ’ État partie devrait:

a) Modifier sa législation afin d ’ élargir le mandat du Médiateur du Seimas de sorte qu ’ il fonctionne effectivement en tant qu ’ institution nationale des droits de l ’ homme, en pleine conformité avec les Principes de Paris, en vue de solliciter l ’ accréditation par le Comité international de coordination des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l ’ homme;

b) Allouer des ressources financières et humaines adéquates de manière à permettre au Médiateur du Seimas de fonctionner efficacement à la fois en qualité d ’ institution nationale des droits de l ’ homme et en qualité de mécanisme national de prévention, conformément au Protocole facultatif se rapportant à la Convention.

Enquêtes dans le contexte de la lutte contre le terrorisme

Le Comité note que le Bureau du Procureur général a ouvert, le 13 février 2014, une enquête préliminaire en vertu du paragraphe 3 de l’article 292 du Code pénal, mais il est préoccupé par le fait que l’enquête parlementaire n’a pas permis de déterminer si des personnes détenues par la Central Intelligence Agency ont été détenues sur le territoire lituanien ou ont transité par ce territoire et par le fait qu’il a été mis fin à l’enquête préliminaire engagée par le Bureau du Procureur général pour des raisons de prescription, ce qui empêche toute mesure disciplinaire, ainsi que par le fait que le dossier de cette enquête est un secret d’État (art. 2, 3, 12, 13 et 16).

L e Comité :

a) Exhorte l ’ État partie à mener à bien , dans des délais raisonnables, l ’ enquête sur les allégations selon lesquelles il aurait participé aux programmes de restitution et de détention secrètes menés par la Central Intelligence Agency. Il recommande également à l ’ État partie d ’ informer le public et de veiller à la transparence de la procédure d ’ enquête;

b) Demande à l ’ État partie de lui fournir une mise à jour des résultats de l ’ enquête préliminaire ouverte par le Bureau du Procureur général au titre du paragraphe 3 de l ’ article 29 2 du Code pénal concernant le fait d ’ avoir fait franchir illégalement la frontière de l ’ État à des personnes.

Demandeurs d’asile

Le Comité est préoccupé par la détention de tous les demandeurs d’asile, pendant toute la durée de la procédure d’asile, au Centre d’enregistrement des étrangers à Pabrade, qui n’offre pas des conditions adéquates d’accueil, notamment des services sociaux, psychologiques et de réadaptation. Les personnes traumatisées et les personnes ayant des besoins spécifiques, notamment les femmes, ne sont pas logées séparément. Le Centre sert également de structure de détention administrative pour les migrants en situation irrégulière. Il a aussi besoin d’être rénové (art. 3, 14 et 11).

L ’ État partie devrait :

a) S ’ abstenir de placer les demandeurs d ’ asile et les immigrants en situation irrégulière en détention des périodes prolongées et faire en sorte que la détention des demandeurs d ’ asile soit uniquement une mesure prise en dernier recours et pour une période aussi courte que possible;

b) Promouvoir des mesures de substitution à la détention et revoir la politique en la matière afin de la rendre conforme aux Principes directeurs relatifs aux critères et aux normes applicables à la détention des demandeurs d ’ asile et alternatives à la détention publiés par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés;

c) Mettre en place un mécanisme permettant d ’ identifier les personnes ayant des besoins spéciaux et les victimes éventuelles de la torture, et prévoir des mécanismes juridiques et pratiques permettant de garantir une réparation aux victimes de torture;

d) Procéder comme il a été annoncé à la reconstruction du Centre d ’ enregistrement des étrangers, dans lequel les personnes vulnérables seront hébergées séparément.

Formation

Le Comité est préoccupé par l’absence de méthodes spécifiques permettant d’évaluer l’efficacité des programmes de formation et d’enseignement sur les dispositions de la Convention, qui sont destinés aux forces de l’ordre, au personnel pénitentiaire, aux gardes frontière, au personnel médical, aux juges et aux procureurs, ainsi que leur incidence sur la réduction de cas de torture et de mauvais traitements. Il s’inquiète aussi de ce qu’une formation sur le Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul) n’est pas dispensée à tous les professionnels de la santé qui s’occupent de personnes privées de liberté et des demandeurs d’asile (art. 10).

L ’ État par tie devrait:

a) Développer et renforcer encore les programmes de formation pour faire en sorte que tous les agents de l ’ État , en particulier les membres des forces de l ’ ordre, le personnel pénitentiaire et les fonctionnaires de l ’ immigration, ainsi que les juges, aient une bonne connaissance des dispositions de la Convention;

b) Dispenser une formation portant sur le Protocole d ’ Istanbul au personnel médical et aux autres fonctionnaires qui ont affaire aux détenus et aux demandeurs d ’ asile dans le cadre du travail d ’ enquête et de collecte de preuves sur des cas de torture;

c) Développer des méthodes pour évaluer l ’ efficacité des programmes de formation et leur incidence sur la prévention et de l ’ interdiction absolue de la torture et des mauvais traitements.

Condition de détention dans les centres de détention de la police

Le Comité est préoccupé par le fait que, dans les centres de détention de la police, les conditions matérielles, telles que l’hygiène, l’accès à la lumière naturelle et artificielle, la ventilation, la séparation des installations sanitaires et la propreté des matelas et de la literie, ainsi que le régime de vie des personnes détenues en ce qui concerne les exercices quotidiens en plein air dans certaines structures de la police, ne sont pas conformes aux normes internationales. Le Comité est également préoccupé par le fait que les personnes en détention administrative peuvent être détenues dans ce type de cellules pendant plusieurs mois. Le préoccupent particulièrement les conditions régnant dans le centre de détention du siège de la police de la ville de Vilnius, spécialement en ce qui concerne plusieurs cellules où il n’y a pas de lumière naturelle ni de ventilation et qui sont également utilisées pour de longues périodes de détention administrative (art. 11, 13 et 16).

L ’ État partie devrait:

a) Continuer à prendre des mesures pour améliorer les conditions régnant dans les locaux de détention de la police en ce qui concerne les conditions matérielles, notamment l ’ infrastructure, l ’ hygiène, l ’ accès à la lumière naturelle et artificielle, la ventilation, la séparation des installations sanitaires, et la propreté des matelas et d e la literie , ainsi qu ’ en ce qui concerne le régime des activités en plein air, conformément à l ’ E nsemble de r ègles minima pour le trait ement des détenus;

b) Faire en sorte que la rénovation des locaux de détention de la police existant s et la construction de nouveaux centres de détention se poursuivent selon le calendrier prévu, et faire en sorte que les centres de détention de la police soient correctement équipés pour héberger des personn es en détention administrative;

c) Se conformer au programme d ’ optimisation du fonctionnement des quartiers de détention de la police 2009 ‑ 2015 ainsi que se conformer aux normes d ’ hygiène intitulées «centres de détention de la police: exigences en matière de sûreté sanitaire générale».

Conditions de détention dans les centres pénitentiaires et violences entre détenus

Le Comité est préoccupé par le nombre élevé de prisonniers se trouvant dans le système pénitentiaire, qui se traduit par une surpopulation sérieuse dans certaines prisons et donne lieu à des violences entre prisonniers, dues essentiellement à une gestion et à des effectifs insuffisants. Il est également préoccupé par le fait que les infrastructures et les mauvaises conditions matérielles qui règnent dans un certain nombre de prisons, en particulier celles de Lukiskes et de Siauliai, notamment l’espace vital par prisonnier, ne sont pas conformes aux normes internationales et par le fait que les prisonniers ne bénéficient pas d’un régime constructif. Le Comité est également préoccupé par les allégations faisant état d’un usage excessif de la force par le personnel pénitentiaire dans certains lieux de détention (art. 2, 11, 12, 13 et 16).

L ’ État partie devrait:

a) Renforcer les mesures visant à améliorer les conditions matérielles de détention conformément aux dispositions appropriées de l ’ E nsemble de r ègles minima pour le traitement des détenus , actuellement en cours de révision, en particulier dans les prisons de Lukiskes et de Siauliai, et notamment en garantissant le respect des meilleures normes internationales en matière d ’ espace vital par prisonnier, en rénovant les prisons existantes, en fermant celles qui sont hors d ’ usage , notamment la prison de Lukiskes, et en construisant de nouvelles prisons, et en assurant aux prisonniers des activités constructives et utiles, conformément au plan de mise en œuvre de 2009 ‑2017 de la Stratégie de rénovation des établissements pénitentiaires;

b ) Renforcer les mesures visant à réduire la violence entre prisonniers de la manière suivante: en améliorant la gestion des prisons et le ratio prisonnier/agent pénitentiaire; en renforçant la surveillance et la gestion des prisonniers vulnérables; en appliquant le programme de prévention des manifestations d ’ une sous-culture criminelle dans les centres pénitentiaires, du 20 janvier 2009, ainsi que la procédure pour la prévention des violences entre détenus et condamnés dans les centres pénitentiaires et les enquêtes à ce sujet, ordonnance  n o  V ‑180 du 21 mai 2012;

c) Veiller à ce que tous les cas signalés de recours excessif à la force par le personnel pénitentiaire fassent l ’ objet d ’ une enquête diligente, effective et impartiale par un mécanisme indépendant et à ce qu ’ il n ’ y ait aucun lien institutionnel ou hiérarchique entre les enquêteurs et l es auteur s présumé s des faits, et veiller à ce que les personnes soupçonnées d ’ actes de torture ou de mauvais traitements soient immédiatement suspendu e s de leur s fonction s et à ce que cette suspension soit maintenue tout au long de l ’ enquête, tout en faisant en sorte que le principe de la présompt ion d ’ innocence soit respectée;

d) Poursuivre les personnes soupçonnées d ’ avoir infligé des mauvais traitements et, lorsqu ’ elles sont reconnues coupables, veiller à ce qu ’ elles soient condamnées à des peines à la mesur e de la gravité de leurs actes;

e) Veiller à ce que le M édiateur du Seimas et d ’ autres mécanismes indépendants surveillent et visitent régulièreme nt tous les lieux de détention;

f) Établir un mécanisme chargé d ’ examiner les plaintes des détenus concernant leurs conditions de détention et d ’ assurer le suivi efficace de ces plaintes en vue de prendre des mesures correctives;

g) Dispenser une formation au personnel pénitentiaire et au personnel médical concernant la communication avec les détenus et la détection des signes de vulnérabi lité ainsi que la gestion des détenus;

h) Avoir davantage recours aux mesures de substitution à l ’ incarcération compte tenu des dispo sitions des Règles de Tokyo.

Réparation, y compris l’indemnisation et la réadaptation

Le Comité prend note de la loi sur l’indemnisation des dommages résultant d’actes illicites commis par des institutions dépositaires de l’autorité publique et de la représentation de l’État, mais il est préoccupé par l’absence dans la législation interne, de dispositions expresses qui établissent le droit de toute victime d’actes de torture et de mauvais traitements d’être indemnisée équitablement et de manière adéquate, y compris en obtenant les moyens nécessaires à sa réadaptation la plus complète possible, conformément à l’article 14 de la Convention (art. 14).

L ’ État partie devrait modifier sa législation pour y inclure des dispositions expresses établissant le droit de toute victime d ’ actes de torture et de mauvais traitements d ’ obtenir réparation et d ’ être notamment indemnisée équitablement et de manière adéquate conformément à l ’ article 14 de la Convention. Il devrait, dans la pratique, fournir à toutes les victimes d ’ actes de torture ou de mauvais traitements des moyens de réparation, notamment une indemnisation équitable et adéquate, ainsi qu ’ une réadaptation la plus complète possible, et devrait allouer les ressources nécessaires à la mise en œuvre effective des programmes de réadaptation.

Le Comité appelle l ’ attention de l ’ État partie sur son Observation générale n o  3 (2012) concernant l ’ application de l ’ article 14 par les États parties, dans laquelle il précise le contenu et la portée de l ’ obligation qui incombe aux États parties de fournir une réparation compl ète aux victimes de la torture.

Déclarations obtenues sous la torture

Le Comité est préoccupé par les méthodes d’enquête pénale qui font que les aveux constituent la preuve essentielle et centrale dans les poursuites pénales. Il est en outre préoccupé par le fait que le Code de procédure pénale prévoit des «mesures procédurales de contrainte» et que «la force physique ne peut être utilisée que dans la mesure nécessaire pour empêcher qu’il ne soit fait obstacle à l’exécution d’une mesure procédurale» (art. 2, 15 et 16).

L ’ État partie devrait:

a) Prendre les mesures nécessaires pour garantir l ’ irrecevabilité en justice des aveux obtenus par la torture et les mauvais traitements, en toute s circonstance s, et conformément à la législation nationale et aux dispositions de l ’ article 15 de la Convention;

b) Améliorer les méthodes d ’ enquête pénale pour mettre fin aux pratiques par lesquelles les aveux constituent la preuve principale et centrale dans les poursuites pénales, parfois en l ’ absence de tout autre moyen de preuve;

c) Faire parvenir des informations sur l ’ application des dispositions qui interdisent d ’ admettre des preuves obtenues sous la contrainte et indiquer si des agents de l ’ État ont été poursuivis et punis pour avoir arraché des aveux de cette manière.

Hospitalisation sans consentement et traitement médical sans consentement

Le Comité prend note de ce qu’un groupe de travail est en train d’établir des modifications de la loi sur les soins de santé mentale, mais il est préoccupé par l’absence de garanties juridiques concernant l’hospitalisation sans consentement et le traitement médical sans consentement des personnes souffrant de déficiences mentales et psychosociales, dans les établissements psychiatriques. Il est également préoccupé par le fait que les tribunaux disposent de quarante-huit heures seulement pour prendre des décisions sur l’hospitalisation (art. 2, 11 et 16).

L ’ État partie devrait:

a) Faire en sorte que la loi sur les soins d e santé mentale modifiée prévoie des garanties assurant une protection juridique efficace à toutes les personnes souffrant de déficiences mental es et psychosocial es en ce qui concerne l ’ hospitalisation civil e sans consentement ainsi qu ’ en ce qui concerne les traitements médicaux et psychiatriques sans consentement administrés dans les établissements psychiatriques;

b) Revoir le statut juridique des patients et faire en sorte que le consentement des patients soit demandé à la fois concern ant l ’ hospitalisation et concern ant l ’ administration d ’ un traitement médical psychiatrique, et que les patients puissent se prévaloir du droit de faire appel de la décision;

c) Garantir le droit pour le patient d ’ être entendu en personne par le juge qui ordonne l ’ hospitalisation et faire en sorte que le tribunal sollicite toujours l ’ opinion d ’ un psychiatre sans lien avec l ’ établissement psychiatrique où sera admis le patient;

d) Veiller à ce que les établissements psychiatriques reçoivent régulièrement les visites d ’ un organe extérieur, indépendant des autorités sanitaires, mandaté à cet effet;

e) Mettre en place un mécanisme de plainte indépendant; publier une brochure exposant ses procédures et la faire distribuer aux patients et à leur famille; procéder à des enquêtes efficaces, diligentes et impartiales sur toutes les plaintes pour mauvais traitements de personnes souffrant de déficiences mental es et psychosocial es hospitalisées dans des établissements psychiatriques, traduire les responsables en justice et accorder une réparation aux victimes.

Châtiments corporels des enfants

Le Comité est préoccupé par le fait que la législation nationale n’interdit pas les châtiments corporels infligés aux enfants dans la famille et dans les structures d’accueil de jour et de protection de remplacement (art. 2 et 16).

L ’ État partie devrait modifier sa législation nationale pour interdire et incriminer toutes les formes de châtiments corporels à enfants, en toutes circonstances , conformément aux normes internationales, mener des campagnes de sensibilisation aux effets néfastes de ces châtiments et promouvoir le recours à des formes de discipline non violentes et positives en remplacement des châtiments corporels.

Bizutage et mauvais traitements dans l’armée

Le Comité est préoccupé par les informations faisant état de bizutage dans l’armée. Il prend note de la confirmation par l’État partie que la conscription a été supprimée (art. 2 et 16).

L ’ État partie devrait:

a) Renforcer les mesures pour interdire et faire disparaître les mauvais traitements dans les forces armées et faire en sorte que toutes les allégations de mauvais traitements fassent l ’ objet d ’ enquêtes diligentes, impartiales et approfondies;

b) Fournir au Comité des informations sur le suivi de tous les cas confirmés de bizutage dans l ’ armée;

c) Établir, s ’ il existe des preuves de bizutage, les responsabilités des auteurs directs et de tous ceux concernés dans la chaîne de commandement, poursuivre et sanctionner les responsables par des peines à la mesure de la gravité des actes commis, et rendre publics les résultats des enquêtes en question;

d) Assurer aux victimes une indemnisation et une réadaptation, notamment une assistance médicale et psychologique appropriée, conformément à l ’ Observation générale n o  3.

Autres questions

Le Comité recommande à nouveau à l’État partie d’envisager de faire les déclarations prévues aux articles 21 et 22 de la Convention.

Le Comité invite l’État partie à envisager de ratifier les instruments des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme auxquels il n’est pas encore partie, à savoir, la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille et le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

L’État partie est invité à diffuser largement le rapport soumis au Comité ainsi que les présentes observations finales, dans les langues voulues, notamment en russe, par le biais des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

Le Comité demande à l’État partie de lui faire parvenir, d’ici au 23 mai 2015, des renseignements sur la suite donnée aux recommandations du Comité relatives: a) au renforcement des garanties légales applicables aux personnes privées de liberté; b) à la détention avant jugement et à la détention administrative; c) aux conditions de détention dans les centres de détention de la police, qui figurent respectivement aux paragraphes 10, 11 et 19 du présent document.

L’État partie est invité à soumettre son prochain rapport, qui sera le quatrième rapport périodique, le 23 mai 2018 au plus tard. À cet effet, le Comité adressera en temps voulu à l’État partie une liste préalable de points à traiter, l’État partie ayant accepté de soumettre son rapport au Comité conformément à la procédure facultative.