Communication présentée par :

M. E. N (représentée par un conseil, Niels-Erik Hansen)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Danemark

Date de la communication :

6 octobre 2011 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision du Groupe de travail en vertu des articles 5 et 6 du Protocole facultatif et des articles 63 et 69 du Règlement intérieur du Comité, transmise à l’État partie le 7 octobre 2011 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption de la présente décision :

26 juillet 2013

Annexe

Décision du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes en vertu du Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (cinquante-cinquième session)

* Les membres suivants du Comité ont participé à l ’ examen de la communication : M me Ayse Feride Acar, M me Nor Al-Jehani, M me Nicole Ameline, M me Barbara Bailey, M me Náela Gabr, M me Hilary Gbedemah, M me Nahla Haidar, M me Ruth Halperin-Kaddari, M me Yoko Hayashi, M me Ismat Jahan, M me Dalia Leinarte, M me Violeta Neubauer, M me Theodora Nwankwo, M me Pramila Patten, M me Silvia Pimentel, M me Maria Helena Pires, M me Biancamaria Pomeranzi, M me Patricia Schulz, M me Dubravka Šimonović et M me Xiaoqiao Zou. Le texte d ’ une opinion divergente (celle de M me Dubravka Šimonović), appuyée par M me Ruth Halperin-Kaddari, M me Violeta Neubauer et M me Silvia Pimentel, est joint au présent document.

Communication no 35/2011, M. E. N. c. Danemark*

Présentée par :

M. E. N. (représentée par un conseil, Niels-Erik Hansen)

Au nom de :

l’auteur

État partie :

Danemark

Date de la communication :

6 octobre 2011 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision du Groupe de travail en vertu des articles 5 et 6 du Protocole facultatif et des articles 63 et 69 du Règlement intérieur du Comité, transmise à l’État partie le 7 octobre 2011 (non publiée sous forme de document)

Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, créé par l’article 17 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes,

Réuni le 26 juillet 2013,

Adopte ce qui suit :

Décision concernant la recevabilité

1.1L’auteur de la communication, datée du 6 octobre 2011, est M. E. N, ressortissante burundaise née le 1er juillet 1988. L’auteur est une demandeuse d’asile dont la demande a été rejetée. Au moment de la soumission de la présente communication, elle attend d’être expulsée du Danemark vers le Burundi. Elle se déclare victime de violations par le Danemark des droits garantis par les articles premier, 2 c) et d), et 3 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Elle est représentée par un conseil, Niels-Erik Hansen. La Convention et le Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour l’État partie respectivement les 21 mai 1983 et 22 décembre 2000.

1.2Lorsque la communication a été enregistrée, le 7 octobre 2011, en application du paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif et de l’article 63 du Règlement intérieur, le Comité a demandé à l’État partie de ne pas expulser l’auteur vers le Burundi tant que l’affaire serait à l’examen.

Rappel des faits

2.1L’auteur affirme qu’elle était membre de la section féminine du Front national de libération (ci-après FNL), dans la commune de Ruziba, au Burundi, et qu’elle a participé à plusieurs réunions de ce parti politique, sans toutefois y occuper de responsabilité précise. Son mari, A. M. Z., était responsable de la collecte de fonds lors des réunions du parti dans la commune de Ruziba.

2.2En 2010, des élections nationales ont eu lieu. L’auteur a voté pour Agato Rwasa, le chef du FNL, qui n’a pas été élu. C’est le Conseil national pour la défense de la démocratie (CNDD) qui a remporté les élections. Néanmoins, selon l’auteur, les résultats ont été truqués, ce qui a incité les dirigeants de différents partis politiques, dont celui du FNL, à protester et à fonder une coalition, l’Alliance des démocrates pour le changement − Ikibiri (ADC).

2.3L’auteur fait valoir que, quelques jours plus tard, les autorités burundaises ont décidé d’arrêter le chef du FNL, Agato Rwasa, au motif que l’ADC ne reconnaissait pas le résultat des élections. Le 16 juin 2010, ayant eu vent de cette intention, quelque 200 membres du FNL, dont l’auteur, se sont rendus au domicile d’Agato Rwasa, pour empêcher, en manifestant, que celui-ci soit arrêté. Au cours de la première journée de manifestation, les participants, priés de se disperser, ont refusé de s’exécuter. Le deuxième jour, la police a fait usage de gaz lacrymogènes pour les disperser. Le chef du FNL n’a toutefois pas été arrêté.

2.4L’auteur explique que deux membres du CNDD ont été tués après ces événements, et que des membres du FNL ont été soupçonnés d’être les auteurs de ces homicides. En représailles, le 10 juillet 2010, la commune de l’auteur, où vivaient de nombreux membres du FNL, a été la cible d’un bombardement aérien. Les villageois ont tenté de fuir, mais certains ont été tués. Dans le chaos ambiant, l’auteur a été séparée de son mari et a préféré se cacher dans un trou jusqu’au soir.

2.5L’auteur affirme que lorsque, finalement, elle a pu quitter sa cachette, elle a décidé de se rendre dans la commune de Kibenga. En chemin, elle a été violée par trois hommes armés de couteaux. Comme tous les membres du FNL étaient sur le point de fuir ou étaient déjà en fuite, elle a supposé que ses agresseurs n’étaient pas des membres du FNL. Par peur, elle n’a pas signalé les faits à la police, puisqu’elle essayait de lui échapper.

2.6L’auteur soutient que le même jour, le 10 juillet 2010, elle a trouvé refuge chez une amie de son mari, Mathilde (surnommée par l’auteur « Maman Oredi » parce qu’elle ne connaît pas son nom de famille). Maman Oredi était également membre du FNL. Le 13 juillet 2010, alors que l’auteur se trouvait toujours à cette adresse, la police s’est présentée et a demandé où étaient l’auteur et son mari. L’auteur est parvenue à s’enfuir et a offert 10 000 francs burundais (8 dollars) à un chauffeur pour qu’il la conduise au Rwanda. Elle lui a demandé de la conduire chez une amie, dénommée E. C.

2.7L’auteur dit qu’elle est restée un mois au Rwanda, mais que, sachant qu’elle n’arriverait pas à y trouver un emploi et craignant pour sa sécurité, elle a décidé de partir pour le Danemark. E. C. l’a informée qu’elle connaissait quelqu’un qui pourrait l’y aider en échange de la somme de 6 000 dollars. L’auteur a appelé un ami de son mari et lui a demandé de lui fournir de l’argent et une nouvelle carte d’identité car elle n’avait pas pris la sienne. Elle a proposé à cet ami d’acheter le bateau de son mari afin qu’elle puisse payer sa nouvelle carte d’identité et son voyage. C’est ce qui a été fait et l’auteur a été en mesure de payer la somme demandée et de partir au Danemark. Elle y est arrivée le 22 août 2010 et a demandé l’asile le jour même.

2.8L’auteur dit que, à l’appui de sa demande, elle a invoqué le fait qu’elle craignait d’être emprisonnée ou tuée par les autorités burundaises en raison de son affiliation politique. Elle a précisé que juste avant les élections, en avril 2010, son mari et elle-même avaient reçu des lettres de menace anonymes, sommant son mari de quitter le FNL s’il ne voulait pas que sa femme soit tuée. L’auteur a également déclaré qu’en mai 2010, une grenade avait été lancée sur leur maison.

2.9L’auteur ajoute que sa sœur, restée au Burundi, lui a également dit que des membres du FNL avaient été emprisonnés ou tués et que les anciens voisins de l’auteur, des membres du CNDD, avaient déclaré qu’ils la tueraient si elle décidait de rentrer chez elle. Sa sœur lui a appris encore que Maman Oredi et son fils avaient été arrêtés et que le cousin du mari de l’auteur, N. S., également membre du FNL, avait été tué le 29 mars 2011.

2.10L’auteur explique que le 28 avril 2011 le Service de l’immigration de l’État partie a rejeté sa demande d’asile et transmis son dossier au Conseil de recours des réfugiés, estimant que les allégations de l’auteur selon lesquelles les autorités burundaises savaient qu’elle était membre du FNL en raison de l’appartenance de son mari à ce parti n’étaient pas crédibles. Le Service de l’immigration a souligné que la carte d’identité de l’auteur ne mentionnait pas qu’elle était mariée et que les autorités ne pouvaient donc pas savoir qu’elle était mariée avec un membre du FNL. Il a ajouté qu’il était peu probable que l’affiliation du mari de l’auteur au FNL soit connue en dehors du parti. De plus, selon lui, la présence de l’auteur à la manifestation pour tenter d’empêcher l’arrestation du chef du FNL n’aurait pas pu permettre d’établir qu’elle était membre du parti dans la foule des manifestants. Par conséquent, pour le Service de l’immigration, les arguments de l’auteur se fondent sur une seule allégation, à savoir que le 13 juillet 2010, alors qu’elle avait fui son village, des policiers sont venus les arrêter, elle et son mari, mais sans qu’elle n’explique pourquoi les policiers les recherchaient, ni comment ils avaient appris qu’elle avait trouvé refuge dans la commune de Kibenga. Le Service de l’immigration a également souligné que les allégations de l’auteur selon lesquelles elle avait été menacée et battue par deux fois sur le chemin de retour de son travail ne pouvaient pas être prises en compte, car elle ignorait l’identité de ses agresseurs. Enfin, il n’a pas accordé de poids à ses allégations selon lesquelles elle avait été violée par trois hommes, relevant que, selon l’auteur elle-même, les agresseurs ne l’avaient pas choisie pour une raison particulière. Le Service de l’immigration a aussi souligné que l’auteur était un membre ordinaire du FNL, et qu’elle y accomplissait des tâches limitées et subalternes. Il a donc conclu qu’elle ne risquait pas d’être persécutée au Burundi.

2.11L’auteur explique également que le 29 septembre 2011 le Conseil de recours des réfugiés a confirmé la décision du Service de l’immigration, réaffirmant que ses activités au FNL étaient d’une importance limitée. Le Conseil a aussi noté que rien ne prouvait que le viol de l’auteur était motivé par son appartenance au FNL. Il a ajouté qu’il n’apparaissait guère probable qu’il y ait eu une enquête de police dans la commune de Kibenga en vue d’arrêter l’auteur. Il a aussi noté que le mari de l’auteur était responsable de la collecte de fonds pour le FNL, mais que cela ne signifiait pas que l’auteur serait elle-même persécutée en raison des activités de son mari. Le Conseil de recours des réfugiés n’a pas contesté le fait que la maison de l’auteur avait été atteinte par une grenade en mai 2010, mais a fait valoir que rien ne prouvait que l’auteur et son mari étaient visés. Il a aussi estimé que les menaces et le harcèlement qu’avait subis l’auteur n’étaient pas d’une intensité et d’une nature propres à justifier une demande d’asile, et a conclu que l’auteur n’avait pas établi qu’elle serait exposée à un risque réel d’être persécutée si elle rentrait au Burundi.

2.12L’auteur soutient qu’elle a épuisé tous les recours internes, les décisions du Conseil de recours des réfugiés étant définitives.

Teneur de la plainte

3.L’auteur estime que son expulsion vers le Burundi constituerait une atteinte aux droits qu’elle tient des articles premier, 2 c) et d), et 3 de la Convention parce que, ayant été violée par trois hommes au Burundi avant de fuir le pays en raison de persécutions politiques de la part des autorités burundaises, elle courrait le risque d’être violée ou soumise à d’autres formes de violence, en tant que femme, si elle rentrait au Burundi .

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Par une note en date du 3 avril 2012, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication. Il fait valoir que, dans sa demande d’asile, l’auteur avait affirmé aux autorités danoises qu’elle était hutu et protestante, et qu’elle avait été persécutée parce qu’elle était membre du parti politique FNL.

4.2L’État partie note que l’auteur n’a jamais été arrêtée ni emprisonnée, que sa maison n’a jamais fait l’objet d’une perquisition et que, contrairement à son mari, elle n’a jamais occupé un poste officiel au FNL. Il reconnaît qu’en avril 2010, la famille de l’auteur a fait l’objet de menaces et qu’en mai 2010, une grenade a été lancée sur sa maison alors que la famille était absente. Après les élections de juillet 2010, l’auteur a pris la fuite après que le Gouvernement burundais eut bombardé sa commune. Alors qu’elle se rendait à Kibenga, elle a été violée par trois hommes armés. L’auteur ne connaît ni leurs motivations ni leur identité.

4.3L’État partie fait valoir que le Conseil de recours des réfugiés a accepté les éléments de preuve avancés par l’auteur, y compris le fait qu’elle participait aux activités du FNL, mais qu’il a estimé que ses activités politiques étaient limitées. Selon le Conseil, il n’était pas prouvé que le viol commis par trois inconnus était lié aux activités de l’auteur au FNL, ni que l’objectif des policiers venus à la maison de Kibenga où séjournait l’auteur était de procéder à son arrestation.

4.4L’État partie fait valoir que, conformément à l’article 7 2) de la loi sur les étrangers, un permis de séjour est délivré au requérant si celui-ci court le risque d’être soumis à la peine capitale ou à la torture, ou encore à des peines ou traitements inhumains ou dégradants, s’il retourne dans son pays d’origine. Les conditions de délivrance d’un permis sont remplies lorsque les circonstances de l’espèce laissent penser que le requérant sera exposé, s’il est renvoyé dans son pays d’origine, à un risque réel d’être torturé.

4.5L’État partie fait valoir que cette évaluation est faite par le Conseil de recours des réfugiés, qui rend une décision fondée sur tous les éléments de preuve pertinents, y compris des renseignements sur la situation dans le pays d’origine du demandeur d’asile. À cette fin, le Conseil de recours des réfugiés dispose d’un ensemble complet de renseignements sur la situation dans les différents pays d’origine des demandeurs d’asile. L’État partie fait également valoir que le Conseil prend ses décisions en respectant les obligations internationales du Danemark.

4.6L’État partie affirme que le renvoi de l’auteur au Burundi n’entraînera pas de violation des dispositions de la Convention, comme le prétend l’auteur. Il soutient que la communication devrait être déclarée irrecevable ratione loci et ratione materiae en vertu de l’article 2 et du paragraphe 2 b) de l’article 4 du Protocole facultatif. Il ajoute que les violations alléguées par l’auteur mettent en cause le Burundi , et non le Danemark. Il fait valoir que le Comité n’a pas compétence pour les violations en question en ce qui concerne le Danemark et que, par conséquent, la communication est incompatible avec les dispositions de la Convention. L’auteur ne tire pas ses griefs d’un traitement que lui aurait fait subir l’État partie, mais plutôt des conséquences qu’elle risque de subir si elle est renvoyée au Burundi. La décision de renvoyer l’auteur au Burundi ne peut pas engager la responsabilité de l’État partie au sens de l’article premier, de l’article 2 c) et d) et de l’article 3 de la Convention.

4.7L’État partie fait valoir que la notion de « juridiction » aux fins de l’article 2 du Protocole facultatif doit être considérée dans son acception générale en droit international public. De ce point de vue, dans l’expression « relevant de la juridiction d’un État partie », la juridiction est celle que l’État partie est censé exercer sur son territoire. Ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles que certains actes de l’État partie peuvent produire des effets en dehors de son territoire et engager sa responsabilité − soit l’« effet extraterritorial ». L’État partie considère que l’affaire ne comporte pas de telles circonstances exceptionnelles.

4.8L’État partie fait également valoir que la jurisprudence du Comité n’indique aucunement que les dispositions de la Convention ont un effet extraterritorial. Il ajoute que dans des décisions qu’elle a rendues la Cour européenne des droits de l’homme a souligné le caractère exceptionnel de la protection extraterritoriale des droits consacrés par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme). Le Comité des droits de l’homme a une jurisprudence analogue, puisqu’il a estimé, dans un certain nombre d’affaires, que le renvoi d’un individu par un État partie vers un pays pouvait aboutir à la violation du droit à la vie, consacré par l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ou du droit de ne pas être soumis à la torture, garanti par l’article 7 du même Pacte. L’État partie fait observer encore que le Comité des droits de l’homme n’a jamais examiné quant au fond une communication concernant le renvoi d’une personne craignant des violations des droits de l’homme de moindre gravité. Dans ce contexte, il souligne que les dispositions de la Convention ne traitent pas de questions concernant la torture ou d’autres menaces graves à la vie et à la sécurité de la personne.

4.9L’État partie souligne qu’il ressort de la recommandation générale no 19 du Comité que la violence fondée sur le sexe est une forme de discrimination, qui compromet ou rend nulle la jouissance des droits individuels et des libertés fondamentales par les femmes, dont le droit à la vie et le droit de ne pas être soumis à la torture, mais ajoute qu’il n’a d’obligations qu’à l’égard des individus placés sous sa juridiction et qu’on ne peut le tenir responsable d’actes de discrimination commis dans un autre pays. Le renvoi d’une personne arrivée dans l’État partie simplement pour échapper à un traitement discriminatoire dans son propre pays, tout condamnable que soit ce traitement, ne peut constituer une violation de la Convention par cet État partie.

4.10L’État partie soutient également que la communication de l’auteur devrait être déclarée irrecevable au titre du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif, pour non-épuisement des recours internes. Il fait valoir que l’auteur n’a pas soulevé le grief de discrimination fondée sur le sexe auprès du Service de l’immigration ou du Conseil de recours des réfugiés. Par conséquent, les autorités de l’État partie n’ont pas eu l’occasion d’examiner des allégations en ce sens. Selon la jurisprudence établie du Comité, l’auteur aurait dû présenter ses griefs dans le cadre d’une procédure interne avant de les soumettre au Comité pour examen. Même si l’auteur n’avait pas à se référer à des dispositions précises de la Convention, elle aurait dû, au minimum, présenter des griefs précis concernant la discrimination alléguée.

4.11L’État partie fait également valoir que les griefs de l’auteur ne sont pas fondés. Au lieu de préciser quel droit précis reconnu par la Convention a été violé, l’auteur se contente de renvoyer à l’article premier, aux alinéas c) et d) de l’article 2 et à l’article 3. Elle mentionne également l’article 14 de la Convention, relatif aux problèmes qui se posent aux femmes rurales et au rôle important que ces femmes jouent dans la survie économique de leur famille. L’État partie considère que l’article 14 de la Convention n’a pas lieu d’être invoqué en l’espèce.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 20 juin 2012, l’auteur a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond de la communication. Elle suggère que le Comité, qui n’a pas encore examiné la question de l’effet extraterritorial, prenne une décision à ce sujet et confirme l’application extraterritoriale des dispositions de la Convention.

5.2L’auteur fait valoir que, dans ses recommandations générales nos 12 et 19, le Comité a donné des indications importantes au sujet des problèmes liés à la violence contre les femmes. Plus important encore, il a conclu dans plusieurs affaires que les États parties avaient une « obligation positive » d’offrir une protection efficace en ce qui concernait le droit à la sécurité de la personne, et s’est penché à plusieurs reprises sur des crimes liés au sexe, notamment des viols. L’auteur fait valoir en outre que les viols commis en temps de guerre peuvent être assimilés à des crimes contre l’humanité, ou à une forme de torture.

5.3L’auteur soutient que la question des obligations positives de l’État partie et celle de l’effet extraterritorial des dispositions de la Convention ont été soulevées devant le Comité dans des affaires précédentes. Dans la communication no 26/2010, le Gouvernement canadien a contesté cet effet extraterritorial. La communication a toutefois été considérée irrecevable pour d’autres raisons et le Comité ne s’est donc jamais prononcé sur la question de l’applicabilité extraterritoriale de la Convention.

5.4L’auteur considère qu’en vertu de la Convention, l’État partie doit non seulement engager des poursuites en cas de violations telles que le viol et les autres formes de violence liées au sexe, mais aussi protéger les femmes se trouvant sur son territoire contre une expulsion vers des pays tiers où elles ne peuvent pas obtenir une telle protection. Pour l’auteur, l’effet extraterritorial de la Convention peut être invoqué lorsque les violations sont des crimes contre l’humanité et/ou des actes de torture liés au sexe. En pareil cas, les États parties ne peuvent pas expulser une femme vers de tels pays parce que l’expulsion constituerait une atteinte à la Convention.

5.5L’auteur affirme que l’État partie ne dispose pas de renseignements à jour sur la situation des droits de l’homme au Burundi. Selon elle, le niveau de violence politique augmente et les auteurs de violences, dont les milices de jeunes, jouissent d’une impunité croissante. Elle se réfère à des informations faisant état d’exécutions extrajudiciaires au Burundi et affirme que, lors de ce qu’elle nomme le « massacre de Ruziba », en juillet 2010, l’armée a envoyé des hélicoptères de combat et des soldats dans la commune de Ruziba pour arrêter les responsables de l’assassinat de deux membres du parti au pouvoir. Elle se réfère aussi à deux rapports d’Amnesty International sur le problème du viol au Burundi et note que, dans son rapport annuel de 2010, le Centre Seruka indiquait qu’« au moins 1 397 femmes avaient été violées à Bujumbura et dans les environs ». L’auteur fait également valoir que lors de l’examen périodique universel concernant le Burundi, en 2008-2009, les crimes contre l’humanité, le viol et la violence contre les femmes ont été évoqués. Dans son rapport de 2007 sur le Burundi, le Comité contre la torture a lui aussi mentionné le « viol en tant que crime contre l’humanité », et dans son rapport de 2008 le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a également fait état de ce problème.

5.6L’auteur réfute l’argument de l’État partie selon lequel la présente communication ne comporte pas des « circonstances exceptionnelles » susceptibles de déclencher l’application extraterritoriale de la Convention. Elle répète qu’elle a été violée par un groupe d’hommes dont elle pense qu’ils étaient des membres de l’« Imberakure » − une milice de jeunes appuyée par le parti au pouvoir −, et qu’elle craint de subir de nouveau le même sort si elle est renvoyée dans son pays d’origine. Elle craint d’être emprisonnée et violée par les gardiens de la prison. Elle craint aussi de ne pas être en mesure de signaler de tels faits à la police à cause de l’impunité généralisée dont jouissent les auteurs de viol au Burundi.

5.7L’auteur considère que le fait que le Comité a décidé de demander des mesures conservatoires semble indiquer le caractère exceptionnel de la présente communication. Elle ajoute que sa crainte d’être violée si elle retourne dans son pays concerne le fond de l’affaire et non sa recevabilité.

5.8L’auteur réfute l’argument de l’État partie selon lequel elle n’a pas épuisé les recours internes. Elle fait valoir que la question de la violence liée au sexe a été soulevée devant le Service de l’immigration et devant le Conseil de recours des réfugiés. Elle a expliqué aux membres du Conseil que sa commune d’origine, Ruziba, avait été la cible d’attaques et que les membres du FNL avaient fui ou avaient été tués. Elle a également expliqué au Conseil qu’elle avait été violée par trois hommes dont elle pensait qu’ils appartenaient à la milice du parti au pouvoir, mais qu’elle n’en avait pas la preuve. Par conséquent, pour l’auteur, la communication doit être déclarée recevable au titre du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif.

5.9L’auteur fait également valoir que ses griefs sont fondés, contrairement à ce que prétend l’État partie. Celui-ci semble estimer que « le viol fait partie de ce que doivent subir les femmes dans les situations de conflit en Afrique », et que les femmes ne peuvent pas être victimes de persécution politique. Enfin, elle explique qu’elle a invoqué une violation de l’article 12 de la Convention, et non de l’article 14, en raison des souffrances psychiques que lui a occasionnées le viol et parce qu’elle redoute d’avoir été infectée par le VIH.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Par une note en date du 27 août 2012, l’État partie a informé le Comité que le Conseil danois de recours des réfugiés avait rendu un avis complémentaire au sujet de la communication de l’auteur. Dans cet avis, le Conseil, se référant à sa décision du 29 septembre 2011, indique qu’il met régulièrement à jour les renseignements collectés sur la situation dans les différents pays d’origine des demandeurs d’asile arrivant au Danemark, que cet ensemble complet d’informations est disponible sur son site Web et que par conséquent tant les membres du Conseil que les parties à une affaire donnée peuvent y avoir accès. En outre, les informations pertinentes sont envoyées directement aux parties, notamment au conseil assigné au demandeur d’asile avant les auditions devant le Conseil. Ainsi, lorsqu’ils ont statué en l’affaire le 29 septembre 2011, les membres du Conseil savaient quelle était la situation au Burundi. Le Conseil avait recherché les éléments d’appréciation voulus, y compris les rapports mentionnés par l’auteur, et en avait tenu compte pour examiner la demande.

6.2À propos des allégations concernant le viol, dont l’auteur a affirmé au Comité qu’il était le fait de membres de la milice de jeunes « Imberakure », l’État partie relève qu’elles contredisent celles que l’auteur a faites au cours de la procédure d’asile. En effet, lorsqu’il lui a été spécifiquement demandé si son viol était lié à son appartenance au FNL, l’auteur a répondu par la négative, et elle a indiqué lors de l’audition du 29 septembre 2011 devant le Conseil de recours des réfugiés qu’elle ne connaissait pas les violeurs. L’État partie répète qu’à aucun moment de la procédure conduite au niveau national, l’auteur n’a affirmé que son viol constituait un acte de persécution motivée par des considérations politiques.

6.3Au sujet des mesures conservatoires de protection accordées à la demande du Comité, l’État partie fait valoir qu’il s’agit d’une mesure provisoire de nature procédurale, semblable à celles que peuvent demander les autres organes conventionnels et d’autres mécanismes internationaux, que le recours à de telles mesures ne préjuge pas de l’existence d’une violation de la Convention dans une affaire donnée, et que l’on ne saurait non plus en inférer un quelconque effet extraterritorial de la Convention.

6.4À propos du reproche que lui fait l’auteur de ne reconnaître que la persécution politique à l’égard des hommes, l’État partie fait valoir que le Conseil de recours des réfugiés a évalué la situation personnelle de l’auteur, y compris ses activités politiques et l’incidence que pouvaient avoir celles de son mari, dans le cadre d’une appréciation approfondie visant à déterminer les conséquences éventuelles de son renvoi au Burundi. Il rappelle aussi que le Conseil a jugé manifeste que l’attentat à la grenade commis en mai 2010 ne visait pas l’auteur ou son mari.

6.5L’État partie réaffirme que le Conseil de recours des réfugiés, dans sa décision du 29 septembre 2011, a établi que l’auteur ne serait pas exposée à un risque d’agression si elle rentrait au Burundi. Il a été tenu compte, dans cette appréciation, des sources du droit national et international que le Conseil doit respecter lorsqu’il rend une décision.

6.6Au sujet de la question de l’extraterritorialité, et de l’argument de l’auteur qui affirme qu’un effet extraterritorial a été reconnu à l’interdiction par l’État partie de certains crimes, comme les crimes contre l’humanité et la torture, l’État partie rappelle que la Convention ne traite pas de ces crimes. Il ne conteste pas que la forme de violence à l’égard des femmes que constitue le viol est assimilable à un mauvais traitement, mais fait valoir que la Convention ne vise pas les situations où le renvoi d’une personne expose celle-ci à un risque de torture ou d’autres graves menaces contre sa vie ou sa sécurité, ni directement ni indirectement. Par conséquent, l’auteur ne peut présenter une communication contre l’État partie que relativement à des violations présumées de la Convention, commises par l’État partie et sur son territoire, même si elle pouvait démontrer qu’elle risque de faire l’objet d’une discrimination incompatible avec la Convention en subissant des violences sexistes au Burundi. Renvoyant à deux décisions récentes du Comité, l’État partie invite celui-ci à exprimer sa position sur la question de l’application extraterritoriale de la Convention.

6.7En ce qui concerne la question de l’épuisement des recours internes, l’État partie maintient que l’auteur n’a pas invoqué la Convention dans le cadre des procédures engagées au niveau national et que, par conséquent, les recours internes n’ont pas été épuisés.

6.8Quant au fait que l’auteur invoque l’article 12, et non 14, de la Convention, l’État partie réaffirme que cet article, pas plus que les autres dispositions, ne saurait être réputé avoir un quelconque effet extraterritorial. Il ajoute que la Convention ne fait pas obligation aux États parties de s’abstenir de renvoyer un étranger vers un pays où la situation en matière de santé n’est pas compatible avec ses dispositions.

6.9Enfin, l’État partie réaffirme que le Comité, s’il déclarait la communication recevable, devrait juger sur le fond que la décision de renvoyer l’auteur au Burundi ne constitue pas une violation de la Convention.

Commentaires de l’auteur sur les observations complémentaires de l’État partie

7.1Dans une note en date du 20 septembre 2012, l’auteur fait valoir que l’un des rapports dont l’État partie a tiré des éléments d’appréciation sur la situation au Burundi est daté du 1er mai 2010, alors qu’elle-même a fui des événements qui se sont produits entre la mi-mai 2010 (l’attentat à la grenade contre sa maison) et l’été de la même année (la période des élections). Par conséquent, les informations utilisées par l’État partie sont loin de refléter correctement la situation dans laquelle se trouvait l’auteur, y compris le massacre perpétré en juillet 2010 dans sa commune natale et qui visait l’auteur et d’autres membres de l’opposition dans la région. L’auteur réaffirme que l’examen de son dossier par le Conseil de recours des réfugiés n’était fondé sur aucune information pertinente.

7.2L’auteur explique également que si, lors de son entretien avec les membres du Conseil de recours des réfugiés, elle a répondu qu’elle ne connaissait pas ses agresseurs, cela ne signifie pas que ceux-ci l’aient abordée par hasard, mais seulement qu’elle ne connaissait pas leur identité. Elle répète qu’elle a eu le sentiment très net que ses agresseurs avaient participé à l’attaque violente contre sa commune. Après le viol, l’un des hommes voulait la tuer, mais un autre membre du groupe est intervenu en disant que ce qu’ils lui avaient fait subir était « pire que la mort », et ils l’ont donc laissée partir. L’auteur ajoute que c’est là un moyen de terroriser les femmes de l’opposition, afin de les dissuader de poursuivre leur militantisme politique.

7.3L’auteur répète également qu’elle ne sait pas si ses agresseurs étaient membres de la milice « Imberakure », mais qu’ils étaient des partisans du Gouvernement burundais. Elle dément n’avoir jamais fait valoir que son viol était motivé par des considérations politiques, comme le soutient l’État partie, et réaffirme sa certitude que les agresseurs étaient des partisans du Gouvernement.

7.4Pour ce qui est des recours internes, l’auteur admet n’avoir pas invoqué la Convention proprement dite devant les juridictions danoises, du fait que la procédure visait principalement à clarifier les faits et à établir sa crédibilité. Cependant, lors des auditions, elle a invoqué plusieurs dispositions de protection des droits de l’homme ainsi que des normes internationales y relatives.

7.5Enfin, l’auteur regrette que l’État partie prétende se réserver le droit de présenter de nouvelles observations sur le fond de la communication. Elle estime qu’en retardant davantage l’examen de l’affaire il la tient « en otage » dans sa situation de demandeur d’asile, ce qui l’oblige à vivre dans un camp réservé à cette catégorie de personnes, sans avoir la possibilité de travailler ni d’avoir des activités normales. Elle ajoute qu’elle n’est pas en bonne santé, et demande au Comité de statuer sur son cas le plus rapidement possible.

Délibérations du Comité concernant la recevabilité de la communication

8.1Conformément à l’article 64 de son règlement intérieur, le Comité doit déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif à la Convention. En application de l’article 66 de ce même règlement, il peut examiner la recevabilité de la communication avant d’examiner celle-ci au fond.

8.2Conformément au paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif, le Comité a constaté avec certitude que la même question n’a pas déjà fait ou ne faisait pas l’objet d’un examen dans le cadre d’une autre procédure d’enquête ou de règlement international.

8.3Le Comité prend note de l’argument de l’auteur, qui affirme que son expulsion vers le Burundi constituerait une atteinte aux droits qu’elle tient des articles premier, 2 c) et d), et 3 de la Convention parce qu’elle a été violée par trois hommes au Burundi avant de fuir le pays en raison de persécutions politiques et qu’elle craint d’être violée ou soumise à d’autres formes de violence à son retour au Burundi. Le Comité prend note de l’argument de l’État partie, qui fait valoir que l’auteur, devant le Service de l’immigration et le Conseil de recours des réfugiés, n’a invoqué aucun des droits protégés par la Convention, ni soulevé le moindre grief de discrimination fondée sur le sexe. Le Comité rappelle qu’en vertu du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif à la Convention, l’auteur d’une communication doit avoir exercé les recours internes qui lui sont ouverts dans le système juridique du pays concerné. Il rappelle également sa jurisprudence, selon laquelle l’auteur d’une communication doit avoir soulevé sur le fond, au niveau national, les griefs qu’il ou elle souhaite soumettre au Comité, de sorte que les autorités ou les juridictions internes aient eu la possibilité de se pencher sur sa demande. En l’espèce, le Comité observe qu’il ressort de la demande d’asile de l’auteur auprès du Service de l’immigration et des comptes rendus d’entretiens y afférents, que l’auteur n’a cité comme motif à l’appui de sa demande de permis de résidence que le fait qu’elle craignait d’être tuée ou emprisonnée par le Gouvernement si elle rentrait au Burundi, étant donné que le régime persécutait tous les membres du FNL. Elle a mentionné que son appartenance à un parti d’opposition était la raison pour laquelle elle était recherchée dans son pays d’origine. Le Comité observe en outre que même le viol présumé n’a pas été invoqué comme motif en tant que tel à l’appui de sa demande d’asile. Au lieu de cela, lors des entretiens menés au titre de la demande d’asile, quand des questions lui ont été posées sur le viol présumé, l’auteur a affirmé ne pas connaître l’identité des agresseurs ni savoir pourquoi ils l’avaient violée, elle en particulier, et a ajouté qu’elle pensait avoir été violée par le fait du hasard. Elle a également répondu par la négative quand on lui a demandé si ce viol était lié à son appartenance au FNL. Par conséquent, les autorités de l’État partie n’ont manifestement pas eu la possibilité de prendre en considération ses allégations de sexisme, qui constituent l’élément central de la communication qu’elle soumet au Comité, et ont donc été privées de la possibilité d’examiner de tels griefs. Le Comité en conclut que ladite communication est irrecevable en vertu du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif.

8.4Le Comité ayant conclu à l’irrecevabilité de la communication au regard du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif, il n’est pas nécessaire, en principe, qu’il se penche sur les autres motifs d’irrecevabilité invoqués par l’État partie. Il souhaite cependant examiner la question des responsabilités qui découlent de la Convention pour les États parties dans le cas où ceux-ci extradent, déplacent, expulsent ou transfèrent par d’autres moyens une personne vers un pays où cette personne affirme qu’elle serait atteinte dans les droits qu’elle tire de la Convention. S’agissant de la présente communication, l’État partie conteste l’applicabilité de la Convention dans une telle situation.

8.5En vertu de l’article 2 du Protocole facultatif de la Convention, « des communications peuvent être présentées par des particuliers ou groupes de particuliers ou au nom de particuliers ou groupes de particuliers relevant de la juridiction d’un État partie, qui affirment être victimes d’une violation par cet État partie d’un des droits énoncés dans la Convention ». Le Comité rappelle qu’il a indiqué dans sa recommandation générale no 28 que les obligations des États parties s’appliquaient sans discrimination aux citoyens et aux non-citoyens, y compris les réfugiés, les demandeurs d’asile, les travailleurs migrants et les apatrides, qui se trouvent sur leur territoire ou qui, sans y être, sont placés sous leur juridiction effective. Les États parties sont « responsables de tous leurs actes ayant une incidence sur les droits de l’homme, que les personnes touchées soient ou non présentes sur leur territoire ».

8.6Le Comité rappelle que la discrimination à l’égard des femmes est définie à l’article premier de la Convention comme « toute distinction, exclusion ou restriction fondée sur le sexe qui a pour effet ou pour but de compromettre ou de détruire la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice par les femmes … des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social, culturel et civil ou dans tout autre domaine ». Le Comité rappelle en outre sa recommandation générale no 19, dans laquelle il a indiqué sans ambiguïté que la violence à l’égard des femmes relevait de la discrimination en stipulant que la violence fondée sur le sexe était une forme de discrimination et englobait les actes qui infligeaient des tourments ou des souffrances d’ordre physique, mental ou sexuel, la menace de tels actes, la contrainte ou autres privations de liberté. S’agissant de l’argument de l’État partie selon lequel, à la différence d’autres traités relatifs aux droits de l’homme, la Convention ne traite, ni directement ni indirectement, du renvoi dans un lieu où existent un risque de torture ou d’autres graves menaces pour la vie et la sécurité d’une personne, le Comité rappelle que, dans la même recommandation, il a également établi que la violence fondée sur le sexe compromettait ou rendait nulle la jouissance par les femmes de plusieurs droits individuels et libertés fondamentales, dont le droit à la vie, le droit de ne pas être soumis à la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le droit à la liberté et à la sécurité de la personne, et le droit à l’égalité de protection de la loi.

8.7Le Comité note en outre que, en vertu du droit international des droits de l’homme, le principe de non-refoulement fait obligation aux États de ne pas renvoyer une personne là où elle risque de subir de graves violations des droits de l’homme, notamment la privation arbitraire de la vie ou la torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le principe de non-refoulement constitue également une composante essentielle de l’asile et de la protection des réfugiés sur le plan international. Ce principe stipule en substance qu’un État ne peut contraindre une personne à retourner dans un territoire où elle risque d’être exposée à des persécutions, y compris des formes et des motifs de persécution fondés sur le sexe. Les formes de persécution fondée sur le sexe sont les formes de persécution qui sont perpétrées contre une femme en raison de son appartenance au sexe féminin ou qui touchent de manière disproportionnée les femmes. L’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants comporte une disposition explicite de non-refoulement, qui interdit de renvoyer une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture. Parmi les obligations découlant du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, telles qu’elles sont interprétées par le Comité des droits de l’homme dans sa jurisprudence, figure également l’obligation faite aux États parties de ne pas extrader, déporter, expulser ni renvoyer de quelque manière que ce soit une personne qui se trouve sur leur territoire s’il y a des raisons de penser qu’il existe un risque réel que celle-ci subisse, dans le pays vers lequel doit être effectué le renvoi ou dans tout pays vers lequel la personne concernée peut être renvoyée par la suite, un préjudice irréparable, tel celui visé à l’article 6, sur le droit à la vie, ou à l’article 7, sur le droit de ne pas être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

8.8L’interdiction absolue de torture, qui est inscrite dans le droit international coutumier, englobe, comme corollaire essentiel, l’interdiction du refoulement vers un risque de torture, c’est-à-dire l’interdiction de renvoyer un individu là où il serait exposé à un risque de torture. Il en va de même de l’interdiction de la privation arbitraire de la vie. La violence fondée sur le sexe est contraire au droit international des droits de l’homme, principalement du fait de l’interdiction de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Dans son observation générale no 2, le Comité contre la torture a explicitement stipulé que la violence fondée sur le sexe entrait dans le champ d’application de la Convention contre la torture.

8.9S’agissant de l’argument de l’État partie selon lequel rien n’indique, dans la jurisprudence du Comité, que les dispositions de la Convention ont un effet extraterritorial, le Comité rappelle que, en vertu de l’alinéa d) de l’article 2 de la Convention, les États parties s’engagent à s’abstenir de tout acte ou pratique discriminatoire à l’égard des femmes et faire en sorte que les autorités publiques et les institutions publiques se conforment à cette obligation. Cette obligation positive comprend l’obligation, pour les États parties, de protéger les femmes afin qu’elles ne soient pas exposées à un risque réel, personnel et prévisible de graves formes de violence fondée sur le sexe, indépendamment de la question de savoir si de telles conséquences se produisent ou non en dehors des frontières territoriales de l’État partie qui expulse une personne : si un État partie prend, au sujet d’une personne relevant de sa juridiction, une décision qui a pour conséquence nécessaire et prévisible de conduire à la violation, dans une autre juridiction, des droits de cette personne consacrés par la Convention, l’État partie lui-même peut enfreindre ainsi la Convention. Par exemple, un État partie enfreindrait lui-même la Convention s’il renvoyait une personne dans un autre État dans des circonstances telles qu’il soit prévisible que de graves violences fondée sur le sexe se produisent. Du fait du caractère prévisible de cette conséquence, l’État partie enfreindrait dès à présent la Convention, même si la conséquence ne se produirait qu’ultérieurement. Ce qui constitue de graves formes de violence fondée sur le sexe dépend des circonstances de chaque espèce et devra être déterminé par le Comité au stade de l’examen de l’affaire au fond, à condition que l’auteur ait établi qu’il y a matière à plainte en étayant suffisamment de telles allégations. Dans la présente affaire, l’auteur n’a pas suffisamment étayé ses griefs aux fins de la recevabilité, et il n’est donc pas nécessaire que le Comité s’y attarde davantage.

9.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 4, paragraphe 1, du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.

[Adopté en anglais (version originale), en arabe, en chinois, en espagnol, en français et en russe.]

Appendice

Opinion divergente de Mme Dubravka Šimonović, membre du Comité, appuyée par Mme Ruth Halperin-Kaddari, Mme Violeta Neubauer et Mme Silvia Pimentel

À sa réunion du 26 juillet 2013, le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a décidé que la communication no 35/2013 était irrecevable en vertu du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes pour non-épuisement des recours internes. Dans sa communication, l’auteur dont la demande d’asile a été rejetée a fait valoir que l’État partie avait violé les articles premier, 2 c) et d) et 3 de la Convention, étant donné qu’elle avait été violée par trois hommes au Burundi avant de fuir le pays en raison de persécutions politiques et qu’elle craignait d’être violée ou soumise à d’autres formes de violence à son retour au Burundi.

Les membres du Comité estiment, dans leur majorité, que la plainte est irrecevable en vertu du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif pour non-épuisement des recours internes. Ce motif d’irrecevabilité au regard de la jurisprudence du Comité, selon laquelle l’auteur d’une communication doit avoir soulevé sur le fond, au niveau national, les griefs qu’il ou elle souhaite soumettre au Comité, de sorte que les autorités ou les juridictions internes aient eu la possibilité de se pencher sur sa demande (note 1). Le Comité a observé en l’espèce que « même le viol présumé n’avait pas été invoqué comme motif en tant que tel à l’appui de sa demande d’asile » et conclu que les autorités de l’État partie n’avaient manifestement pas eu la possibilité de prendre en considération ses allégations de sexisme, qui constituaient l’élément central de la communication qu’elle soumettait au Comité, et avaient donc été privées de la possibilité d’examiner de tels griefs (par. 8.3).

J’exprime mon désaccord avec le Comité et j’estime que la communication est recevable, le paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif stipulant que « le Comité n’examine aucune communication sans avoir vérifié que tous les recours internes ont été épuisés, à moins que la procédure de recours n’excède des délais raisonnables ou qu’il soit improbable que le requérant obtienne réparation par ce moyen ». L’État partie a mentionné que la demande d’asile de l’auteur avait été examinée par le Service de l’immigration et le Conseil de recours des réfugiés. Étant donné qu’il n’a pas renvoyé cette demande à un autre tribunal auprès duquel l’auteur aurait pu faire appel de cette décision, il faut conclure que l’auteur a épuisé tous les recours internes. L’État partie a déclaré la demande irrecevable en raison du non-épuisement des recours internes, rappelant que, selon la jurisprudence du Comité, l’auteur devait avoir soulevé sur le fond, au niveau national, des griefs de discrimination fondée sur le sexe. Il affirme que l’auteur n’a pas soulevé de tels griefs auprès du Service de l’immigration ou du Conseil de recours des réfugiés et que les autorités de l’État partie n’avaient pas eu la possibilité de prendre en compte les griefs de discrimination fondée sur le sexe formulés par l’auteur.

Note 1 : Voir N.S.F .c. Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, communication no 10/2005, décision du 30 mai 2007, par. 7.3.

La question pertinente en l’espèce est de savoir si l’auteur a soulevé des griefs de discrimination fondée sur le sexe, qu’ils soient liés ou non à d’autres motifs de persécution, comme fondement de sa demande d’asile. Le fait qu’elle ait mentionné au cours de la procédure de demande d’asile qu’elle avait fui le Burundi en raison de persécutions politiques et qu’elle avait été violée par trois hommes pendant sa fuite doit suffire pour que l’État partie considère le viol, qu’il soit lié ou non au grief de persécution politique, comme une forme de discrimination à l’égard des femmes et de persécution fondée sur le sexe. L’auteur n’a pas à mentionner explicitement le viol comme forme de discrimination à l’égard des femmes mais elle doit l’avoir soulevé sur le fond, ce qu’elle a fait. La violence sexuelle et le viol sont considérés universellement comme des formes de violence fondée sur le sexe et de discrimination à l’égard des femmes aux termes de l’article premier de la Convention, tel qu’il a été développé dans la recommandation générale no 19 du Comité : dans cette dernière, le Comité a indiqué sans ambiguïté que la violence à l’égard des femmes relevait de la discrimination en stipulant que la violence fondée sur le sexe était une forme de discrimination et englobait les actes qui infligeaient des tourments ou des souffrances d’ordre physique, mental ou sexuel, la menace de tels actes, la contrainte ou autres privations de liberté.

En fait, aux fins de recevabilité, l’auteur doit seulement apporter des preuves suffisantes qu’elle a des craintes fondées de persécution, telle que définie dans la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. C’est ce qu’elle a fait, en expliquant qu’elle craignait d’être l’objet de persécution politique en tant que membre du parti d’opposition (Front national de libération ou FNL) dont les membres avaient été expulsés ou tués, que sa commune natale où vivaient de nombreux membres du FNL avait été bombardée par le Gouvernement burundais (voir par. 4.2), qu’elle avait été violée par trois hommes armés de couteaux pendant sa fuite et qu’elle n’avait pas pu demander justice en raison de l’attaque des forces gouvernementales.

En outre l’État partie a fait valoir qu’il avait évalué et rejeté le « reproche que lui faisait l’auteur de ne reconnaître que la persécution politique à l’égard des hommes » (par. 6.4). Cette allégation de l’auteur et l’évaluation de l’État partie montrent clairement que l’auteur a soulevé quant au fond, au niveau national, des griefs de discrimination fondée sur le sexe et liée aux persécutions politiques.

En conséquence, les autorités de l’État partie ont eu l’occasion d’examiner la discrimination fondée sur le sexe et liée aux persécutions politiques et au viol comme forme de violence sexuelle qui est reconnue comme une forme de persécution fondée sur le sexe et de discrimination à l’égard des femmes, ensemble ou séparément. Pour cette raison j’estime que la présente communication est admissible en vertu du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif.

J’appuie les conclusions du Comité sur la recevabilité ratione loci aux termes de l’article 2 du Protocole facultatif (par. 8.5 à 8.8). En outre j’estime que la communication est également recevable ratione materiae en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 4 du Protocole facultatif. La présente communication est recevable également aux termes des alinéas c) et d) du paragraphe 2 de l’article 4 étant donné qu’elle est compatible avec la disposition de la Convention qui concerne la discrimination fondée sur le sexe. En l’espèce je conclus que l’auteur a suffisamment justifié ses griefs aux fins de recevabilité.

S’agissant des articles premier, 2 c), 2 d) et 3 de la Convention, j’estime que l’État partie a violé l’article 2 c) et 2 d) ainsi que les articles premier et 3. L’article 2c) énonce l’obligation positive pour les États parties d’assurer la protection effective des femmes contre tout acte discriminatoire tandis que l’article 2 d) enjoint aux États de s’abstenir de tout acte ou pratique discriminatoire à l’égard des femmes tout au long du processus de demande d’asile. Ces articles s’appliquent à la fois à l’analyse de fond et à l’application des dispositions de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et de la Convention relative au statut des réfugiés. Une approche non sexiste doit être appliquée à tous les stades du processus de demande d’asile aux termes de la Convention relative au statut des réfugiés qui définit à l’article 1A 2) comme « réfugié » toute personne craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. Un État partie doit interpréter cette définition conformément aux obligations de non-discrimination à l’égard des femmes et d’égalité de fond aux termes de l’article 2 a) de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Les États parties sont également tenus de veiller à ce que chacun des cinq motifs énumérés dans la Convention relative au statut des réfugiés soit interprété d’une manière non sexiste. La persécution n’est pas définie dans la Convention relative au statut des réfugiés mais elle est généralement comprise comme se référant aux menaces contre la vie ou la liberté d’une personne, à des violations graves des droits de l’homme ou à d’autres atteintes graves (note 2). Les violations et atteintes graves aux droits de l’homme sont notamment celles qui sont interdites par la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, y compris le viol en tant que violation grave des droits de la femme.

Aux termes de l’article 2 c) de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, l’État partie doit instaurer une protection juridictionnelle des droits des femmes sur un pied d’égalité avec les hommes et garantir, par le truchement des tribunaux nationaux compétents et d’autres institutions publiques, la protection effective des femmes contre tout acte discriminatoire. Dans le cas à l’examen, cela signifie que la demande d’asile de l’auteur fondée sur des griefs de violence sexuelle et de persécution politique doit être déterminée par un système d’octroi d’asile qui a une compréhension approfondie des formes spécifiques de persécution et de violation des droits fondamentaux dont font l’objet les femmes et les filles en raison de leur sexe.

En ce qui concerne les persécutions politiques subies par l’auteur, l’État partie a fait valoir que « le Conseil de recours des réfugiés a accepté les éléments de preuve avancés par l’auteur, y compris le fait qu’elle participait aux activités du FNL, mais qu’il a estimé que ses activités politiques étaient limitées » (par. 4.3) et a estimé « que l’auteur ne serait pas exposée à un risque d’agression si elle rentrait au Burundi » (par. 6.5). Compte tenu d’une catégorisation aussi formelle des activités politiques de l’auteur, considérées comme étant de nature limitée, l’État partie n’a pas tenu compte du fait que les femmes sont en général sous-représentées aux échelons supérieurs des partis politiques et que leurs activités politiques ne sont pas toujours identiques à celles des hommes ou aussi valorisées dans un environnement

Note 2 : Voir Principes directeurs sur la protection internationale : La persécution liée au genre dans le cadre de l’article 1 A (2) de la Convention de 1951 et/ou son Protocole de 1967 relatifs au Statut des réfugiés (HCR/GIP/02/01) politique dominé par les hommes. Les autorités de l’État partie n’ont pas non plus évalué de manière non-discriminatoire les risques futurs de persécutions politiques ou fondées sur le sexe que courrait l’auteur ni le fait de savoir si l’auteur pourrait bénéficier d’une protection de l’État compte tenu de tous les faits pertinents concernant ses griefs de persécution politique et de violence sexuelle, à savoir que des membres du FNL, y compris l’auteur, avaient été attaqués, tués ou emprisonnés par les forces gouvernementales, que sa maison avait fait l’objet d’une attaque à la grenade, que la police avait posé des questions sur elle et son mari (par. 2.6), que ses anciens voisins qui étaient membres du Conseil national pour la défense de la démocratie avaient promis de la tuer si elle rentrait, qu’elle avait été violée par trois hommes armés de couteaux, que par peur elle n’avait pas signalé ces événements à la police « puisqu’elle essayait de lui échapper » (par. 2.5) et qu’elle craignait d’être soumise au viol et à d’autres tourments physiques si elle rentrait au Burundi.

En vertu de l’article 2 c) de la Convention, les États parties doivent veiller à ce que les femmes ne fassent pas l’objet de discrimination et que les diverses formes de persécution fondée sur le sexe et les motifs qui lui sont liés soient pris en considération pendant la procédure de demande d’asile. Les formes de persécution fondée sur le sexe sont celles qui sont perpétrées contre une femme en raison de son appartenance au sexe féminin ou qui touchent de manière disproportionnée les femmes. Les demandes d’asile reposant sur des griefs de discrimination ou de persécution fondée sur le sexe peuvent être liées également à d’autres motifs prohibés de persécution, comme par exemple l’appartenance à un groupe social particulier ou l’expression de certaines opinions politiques. Dans les procédures de détermination du statut de réfugié, l’auteur de la demande doit fournir des informations factuelles pertinentes tandis que l’agent chargé du dossier doit poser d’autres questions pertinentes et appliquer ces informations au cadre juridique. À cet égard ce n’est pas au demandeur d’asile d’employer dans sa demande des termes tels que « discrimination fondée sur le sexe » et/ou « persécutions fondées sur le sexe ». En fait le demandeur d’asile doit fournir des faits ou étayer sa demande portant sur la discrimination fondée sur le sexe et/ou la persécution fondée sur le sexe. C’est ce qu’a fait l’auteur, ce qui devrait être une condition suffisante pour que l’État partie évalue pleinement sa demande portant sur ces aspects.

Aux termes des alinéas c) et d) de l’article 2, l’État partie doit également mettre en place des garanties procédurales pour que les griefs des femmes soient entendus et évalués de manière appropriée, notamment parce que les femmes ne connaissent pas toujours les motivations ni les raisons des actes perpétrés contre elles ni l’identité de leurs agresseurs comme dans le cas à l’examen. Dans les procédures de détermination du statut de réfugié, en raison de la vulnérabilité particulière des demandeurs d’asile, la charge de la preuve doit incomber à la fois à l’agent chargé du dossier et au demandeur d’asile (note 3). Il convient de noter qu’il existe des divergences entre les faits présentés par l’État partie et les faits relatés par l’auteur. Ainsi par exemple l’État partie a fait valoir que « selon le Conseil, il n’était pas prouvé que le viol commis par trois inconnus était lié aux activités de l’auteur au FNL » (par. 4.3) et « qu’à aucun moment de la procédure conduite au niveau

Note 3 : Bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies aux réfugiés, Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés (janvier 1992-réédition) (HCR/1P/4/FRE/REV.1), par. 190 et 196.

national, l’auteur n’a affirmé que son viol constituait un acte de persécution motivée par des considérations politiques » (par. 6.2). Pour sa part l’auteur soutient qu’elle a « expliqué au Conseil qu’elle avait été violée par trois hommes dont elle pensait qu’ils appartenaient à la milice du parti au pouvoir, mais qu’elle n’en avait pas la preuve » (par. 5.8). Elle affirme également que « l’État partie semble estimer que « le viol fait partie de ce que doivent subir les femmes dans les situations de conflit en Afrique » et que les femmes ne peuvent pas être victimes de persécution politique » (par. 5.9). L’auteur explique également que « si, lors de son entretien avec les membres du Conseil de recours des réfugiés, elle a répondu qu’elle ne connaissait pas ses agresseurs, cela ne signifie pas que ceux-ci l’aient abordée par hasard, mais seulement qu’elle ne connaissait pas leur identité. Elle répète qu’elle a eu le sentiment très net que ses agresseurs avaient participé à l’attaque violente contre sa commune. Après le viol, l’un des hommes voulait la tuer, mais un autre membre du groupe est intervenu en disant que ce qu’ils lui avaient fait subir était « pire que la mort », et ils l’ont donc laissée partir. L’auteur ajoute que c’est là un moyen de terroriser les femmes de l’opposition, afin de les dissuader de poursuivre leur militantisme politique » (par. 7.2).

L’auteur répète également qu’elle ne sait pas si ses agresseurs étaient membres de la milice « Imberakure », mais qu’ils étaient des partisans du Gouvernement burundais. Elle dément n’avoir jamais fait valoir que son viol était motivé par des considérations politiques, comme le soutient l’État partie, et réaffirme sa certitude que les agresseurs étaient des partisans du Gouvernement (par. 7.3).

Le viol, tel que décrit par l’auteur (par trois hommes armés de couteaux), n’était pas contesté par l’État partie mais ce dernier a mis en doute le fait que ce viol dans de telles circonstances constituait un motif distinct ou lié à la persécution fondée sur le sexe, telle que définie dans la Convention relative au statut des réfugiés, et à la discrimination à l’égard des femmes en vertu de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Le viol est la forme la plus notoire de violence sexuelle infligée aux femmes en raison de leur sexe. Il constitue une forme de persécution fondée sur le sexe aux termes de la Convention relative au statut des réfugiés et de discrimination fondée sur le sexe et de violence à l’égard des femmes en vertu de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Le viol est considéré comme brutal lorsqu’il s’agit de viol collectif comme dans le cas à l’examen, mais l’État partie n’en a pas du tout tenu compte. Le viol inflige des souffrances physiques et mentales graves et met à mal la cohésion sociale. Pour cette raison il a été reconnu comme une arme particulièrement efficace de génocide (Note 4), un crime contre l’humanité, un crime de guerre et une violation des droits de l’homme (Note 5). Le viol a été utilisé comme une forme de persécution par des États et des acteurs non étatiques, et certaines directives nationales sur les demandes de statut de réfugié considèrent expressément le viol et la crainte de viol comme une forme de persécution.

Note 4 : Voir Ministère public c. Akayesu, Cas No. ICTR -96-4-T, octobre 1998, Tribunal pénal international pour le Rwanda, par. 731.

Note 5 : Valerie Oosterveld, Women and Girls Fleeing Conflict: Gender and the Interpretation and Application of the 1951 Refugee Convention, Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, septembre 2012. page 21. Disponible sur : http://www.unhcr.org/pafes/4a16b17a6.html.

Dans le cas présent l’État partie a considéré que le viol collectif perpétré par trois hommes armés de couteaux était sans rapport avec la demande d’asile de l’auteur et il n’a pas tenu compte du fait que ce viol était lié à la violence et à l’impunité généralisées engendrées par le conflit lorsqu’il s’est produit. Ce faisant l’État partie n’a pas examiné de façon adéquate les circonstances du viol, y compris l’impunité de ce crime. Il n’a pas reconnu que le viol de l’auteur était une forme distincte ou liée de persécution fondée sur le sexe et de discrimination fondée sur le sexe. Il n’a donc pas offert à l’auteur la protection prévue dans la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et n’a pas exercé son obligation positive de protéger l’auteur contre le risque réel, personnel et prévisible de formes graves de violence fondée sur le sexe si elle retournait au Burundi.

[Adopté en anglais (version originale). Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois, en espagnol, en français et en russe]