Nations Unies

CRC/C/81/D/16/2017

Convention relative aux droits de l’enfant

Distr. générale

10 juillet 2019

Français

Original : espagnol

Comité des droits de l’enfant

Constatations adoptées par le Comité au titre du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, concernant la communication no 16/2017 * , **

Communication présentée par :

A. L. (représenté par l’organisation non gouvernementale Fundación Raíces)

Au nom de :

A. L.

État partie :

Espagne

Date de la communication :

15 mai 2017

Date de la présente décision :

31 mai 2019

Objet :

Procédure de détermination de l’âge d’un présumé enfant non accompagné

Question ( s ) de procédure :

Irrecevabilité rationae personae; non-épuisement des recours internes

Article(s) de la Convention :

3, 8, 12, 18 (par. 2), 20, 27 et 29

Article(s) du Protocole facultatif :

7 c), e) et f)

1.1L’auteur de la communication est A. L., de nationalité algérienne, né le 29 février 2000. Il se dit victime d’une violation des articles 3, 8, 12, 18 (par. 2), 20, 27 et 29 de la Convention. Le Protocole facultatif établissant une procédure de présentation de communications est entré en vigueur pour l’État partie le 14 avril2014.

1.2Le 22 mai 2017, le Groupe de travail des communications, agissant au nom du Comité et se fondant sur l’article 6 du Protocole facultatif, a demandé à l’État partie de ne pas renvoyer l’auteur dans son pays d’origine et de le placer dans un centre de protection des mineurs en attendant que le Comité ait examiné sa communication.

1.3Le 6 novembre 2017, le Groupe de travail des communications, agissant au nom du Comité, a décidé de ne pas accéder à la demande de l’État partie qui souhaitait que la question de la recevabilité soit examinée séparément du fond.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 11 avril 2017, la Police nationale espagnole et la Croix-Rouge ont intercepté l’embarcation de fortune à bord de laquelle l’auteur tentait de se rendre illégalement à Almería, en Espagne. Au moment de son arrestation par la police, l’auteur, qui était sans papiers, a déclaré qu’il était mineur.

2.2Le 13 avril 2017, l’auteur a été emmené dans un poste de police puis transféré à l’hôpital Torrecárdenas où il a été soumis, le même jour, à un examen radiologique de la main gauche afin de déterminer son âge selon la méthode de Greulich et Pyle. D’après les résultats de la radiographie, l’âge osseux de l’auteur était « supérieur à 19 ans ».

2.3Le 15 avril 2017, l’auteur a été présenté au parquet de la province d’Almería. Le jour même, se fondant sur les résultats de la radiographie, le parquet a déclaré l’auteur majeur. Toujours le même jour, le tribunal d’instruction no 5 d’Almería a ordonné que l’auteur soit placé dans le centre de détention pour étrangers adultes d’Aluche (Madrid). Le 19 avril 2017, après avoir passé quatre jours dans une cellule, l’auteur a été transféré au centre d’Aluche. Il affirme qu’à aucun moment il n’a été entendu ni informé de ses droits et qu’il n’a pas non plus eu accès à un avocat ou à un interprète en arabe ou en français, alors qu’il ne parlait pas espagnol.

2.4Le 28 avril 2017, une employée de l’organisation non gouvernementale Fundación Raíces (qui est le représentant légal de l’auteur) a rendu visite à l’auteur au centre de détention pour étrangers et celui-ci lui a confirmé qu’il était mineur, car né le 29 février 2000, et que sa famille en Algérie avait en sa possession l’acte de naissance qui le prouvait. Le 12 mai 2017, l’auteur a fait savoir à l’organisation non gouvernementale Fundación Raíces qu’un employé de la Croix-Rouge lui avait dit qu’il serait probablement expulsé la semaine suivante, étant donné qu’un bateau partait chaque semaine d’Almería pour se rendre en Algérie et qu’il emmenait les Algériens détenus au centre.

2.5L’auteur affirme que l’un des gardes du centre l’a frappé avec un bâton le 17 mai 2017 et que ce type de violences était courant dans le centre. Il affirme en outre n’avoir reçu aucune assistance médicale à la suite de ces coups. Le même jour, l’auteur a entamé une grève de la faim.

2.6Le 18 mai 2017, l’organisation non gouvernementale Fundación Raíces a reçu par fax une copie, en arabe, de l’acte de naissance de l’auteur confirmant que celui-ci était bien né le 29 février 2000. Le 22 mai 2017, l’acte de naissance a été transmis au tribunal d’instruction no 5 d’Almería afin que la décision relative à la détermination de l’âge soit révisée. L’auteur affirme ne pas avoir reçu de réponse de la part du tribunal à ce jour.

2.7L’auteur fait observer que les décisions du parquet relatives à la détermination de l’âge ne peuvent pas être contestées en justice, comme l’a confirmé le Tribunal constitutionnel dans son arrêt 172/2013 du 9 septembre 2013, et qu’il a par conséquent épuisé tous les recours internes disponibles.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme qu’au cours de la procédure de détermination de l’âge à laquelle il a été soumis, l’intérêt supérieur de l’enfant n’a pas été pris en considération, en violation de l’article 3 de la Convention. Il fait observer que le Comité a constaté qu’il existait des différences entre les communautés autonomes de l’État partie et qu’il n’y avait donc pas de protocole type de protection des enfants non accompagnés au niveau national.

3.2L’auteur fait observer que les seules méthodes de détermination de l’âge actuellement utilisées en Espagne sont l’estimation médicale et l’estimation fondée sur les caractéristiques physiques. Les autorités compétentes n’ont pas recours à d’autres méthodes telles que « l’estimation selon des critères psychosociaux et de développement », qui consiste à mener un entretien avec la personne pour évaluer son degré de maturité, ou « l’estimation en fonction des papiers d’identité disponibles, des connaissances et de l’information locale ». En Espagne, l’examen le plus souvent pratiqué est la radiographie fondée sur l’atlas de Greulich et Pyle, qui été développé dans les années 1950 à partir d’un échantillon de 6 879 enfants en bonne santé, d’origine nord-américaine et issus de la classe moyenne supérieure. Cet examen permet d’estimer l’âge de la personne à partir de fourchettes de résultats. Cette méthode, tout comme d’autres méthodes établies ultérieurement, est purement estimative et n’a pas été conçue pour déterminer l’âge chronologique d’une personne sans papiers mais à d’autres fins. L’auteur appelle l’attention sur la nécessité de distinguer l’âge chronologique de l’âge osseux, notion statistique issue de l’expérience clinique qui peut être utile à des fins strictement médicales pour évaluer la maturation osseuse d’un sujet et faire des projections quant à son développement, par exemple estimer sa taille à l’âge adulte. L’âge chronologique, lui, est le temps vécu par la personne. L’âge osseux et l’âge chronologique ne coïncident pas nécessairement, étant donné que des facteurs liés au statut social, notamment des facteurs génétiques, pathologiques, nutritionnels et hygiénico-sanitaires, ont une incidence sur la croissance et sur le développement de l’enfant. L’auteur ajoute que, selon plusieurs études, les caractéristiques socioéconomiques d’une personne constituent un facteur essentiel de son développement osseux.

3.3L’auteur affirme que le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant doit prévaloir tout au long de la procédure de détermination de l’âge et que seuls les examens médicaux nécessaires et conformes à l’éthique médicale devraient être pratiqués. La marge d’erreur doit être systématiquement signalée dans les rapports médicaux. Il convient en outre de confier la réalisation et l’interprétation des clichés radiographiques à du personnel médical spécialisé en radiodiagnostic et l’analyse globale des résultats à du personnel médical spécialisé en médecine légale, et non pas aux services de radiologie comme cela est souvent le cas. Enfin, la détermination de l’âge doit être fondée sur plusieurs tests et examens complémentaires. En outre, en application de l’article 35 de la loi organique no 4/2000 sur les droits et libertés des étrangers en Espagne et leur intégration dans la société, il n’y a pas lieu de pratiquer d’examen visant à déterminer l’âge d’un enfant lorsque celui-ci est muni de documents d’identité.

3.4L’auteur se dit victime d’une violation de l’article 3 de la Convention, lu conjointement avec les articles 18 (par. 2) et 20 (par. 1), au motif qu’aucun tuteur ou représentant ne lui a été assigné, alors que cela constitue une garantie de procédure fondamentale pour le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant non accompagné. Il soutient qu’ayant été déclaré majeur sur la base d’un examen radiologique, alors même qu’il a dit être mineur et a présenté par la suite son acte de naissance délivré en bonne et due forme par son pays d’origine, il s’est retrouvé sans protection.

3.5L’auteur affirme que l’État partie a violé le droit à l’identité qu’il tient de l’article 8 de la Convention. Il fait observer que l’âge constitue un aspect fondamental de l’identité et que l’État partie a le devoir de ne pas porter atteinte à son identité et de conserver et de récupérer les données qui la définissent, à plus forte raison quand l’enfant concerné n’a pas de famille dans le pays d’accueil.

3.6L’auteur se dit victime d’une violation de l’article 12 de la Convention car l’État partie ne lui a pas donné la possibilité d’être entendu.

3.7L’auteur se dit également victime d’une violation de l’article 20 de la Convention puisque l’État partie ne lui a pas accordé la protection qui lui était due en sa qualité d’enfant privé de milieu familial. Il ajoute que l’État partie l’a tout de suite considéré comme majeur, sans qu’il y ait de preuve concluante, ce qui l’a privé de la protection à laquelle il avait droit.

3.8Enfin, il se dit victime d’une violation des droits qu’il tient des articles 27 et 29 de la Convention au motif qu’il n’a pas bénéficié des conditions nécessaires à son développement du fait qu’aucun tuteur n’a été désigné pour protéger ses intérêts.

3.9À titre de solution, l’auteur propose : a) que l’État partie reconnaisse que son âge ne peut être établi au moyen de l’examen médical réalisé ; b) que soit reconnue la possibilité de faire appel des décisions du ministère public relatives à la détermination de l’âge devant les tribunaux ; c) que soient reconnus tous les droits qu’il tient de sa qualité d’enfant, notamment le droit d’être entendu, le droit d’être protégé par l’autorité publique compétente, le droit à un représentant légal, le droit à l’éducation et le droit de se voir accorder un permis de séjour et de travail qui lui permette de développer pleinement sa personnalité et de s’intégrer dans la société.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité

4.1Dans ses observations du 16 août 2017, l’État partie affirme que, le jour de son arrivée illégale sur le territoire espagnol, l’auteur a déclaré, au poste de police d’Almería et en présence d’un interprète, qu’il s’appelait A. E. A., et non A. L., et qu’il était né le 21 février 1998. Il ajoute que l’auteur ayant, à un moment donné, prétendu être mineur, on lui a proposé de se soumettre à des examens de détermination de l’âge, et affirme que l’auteur a donné son consentement exprès et éclairé à cette fin. Il indique que, l’auteur étant entré de manière illégale en Espagne, une procédure d’expulsion a été engagée à son endroit en vue de son retour dans son pays d’origine.

4.2L’État partie affirme que la communication est irrecevable rationae personae au regard des alinéas c) et f) de l’article 7 du Protocole facultatif au motif qu’elle constitue un abus du droit de présenter une communication et qu’elle est mal fondée, puisque l’auteur est majeur. Pour le prouver, il avance que : a) l’auteur était sans papiers au moment de son arrivée illégale sur le territoire espagnol et il n’a présenté aucun document d’identité à ce jour ; b) son apparence est celle d’une personne majeure, comme le montrent les photographies prises au poste de police le jour de son arrivée illégale ; c) l’auteur a été soumis à un examen médical objectif dont il ressort qu’il est âgé de 19 ans ; d) il a fourvoyé les autorités espagnoles à propos de son nom de famille, en déclarant s’appeler d’abord E. A. puis L. Étant donné qu’en l’espèce, il n’y a pas de preuve digne de foi attestant la minorité de l’auteur mais qu’il existe à l’inverse des preuves objectives de sa majorité, le fait d’admettre cette communication ne profiterait qu’aux mafias qui se livrent au trafic de migrants, que l’auteur a payées et aux services desquelles il a eu recours.

4.3L’État partie affirme également que la communication est irrecevable au titre de l’alinéa e) de l’article 7 du Protocole facultatif car tous les recours internes n’ont pas été épuisés, étant donné que : a) si l’auteur estimait que les examens médicaux pratiqués étaient insuffisants, il aurait pu demander au ministère public de faire réaliser des examens supplémentaires ; b) il peut demander le réexamen de toute décision, conformément à la procédure prévue à l’article 780 de la loi no 1/2000 relative à la procédure civile ; c) il peut faire appel de la décision de refoulement devant la juridiction administrative contentieuse ; d) il peut former devant les tribunaux civils une demande en matière gracieuse aux fins de la détermination de l’âge, conformément à la loi no 15/2015.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Dans ses commentaires du 4 octobre 2017, l’auteur soutient qu’il a toujours affirmé aux autorités qu’il était mineur, comme l’atteste le fait que la procédure de détermination de l’âge a été engagée dès son arrivée à Almería. En ce qui concerne la confusion au sujet du nom de famille évoquée par l’État partie, l’auteur affirme que la similitude phonétique entre E. A. et L. peut être imperceptible pour ceux qui ne connaissent pas l’arabe et que E. A. peut être la manière la plus facile d’écrire son nom de famille pour les hispanophones. Il ajoute que personne ne l’a informé de l’examen médical auquel il allait être soumis et que, par conséquent, il n’a jamais donné son consentement exprès et éclairé, sachant en outre qu’il n’a bénéficié d’aucune forme de représentation ou d’assistance.

5.2L’auteur dit que, contrairement à ce qu’avance l’État partie, on ne peut pas affirmer qu’il est majeur. Il affirme que : a) le fait d’être sans papiers à l’arrivée en Espagne ne constitue pas une preuve de sa majorité ; b) l’évaluation subjective de l’État partie reposant sur son apparence physique manque de fondement logique et ne peut pas être prise en compte ; c) l’examen radiologique pratiqué ne peut pas être considéré comme une preuve objective dans la mesure où ce type d’examen présente une marge d’erreur ; d) le 22 mai 2017, il a soumis au parquet et au tribunal d’instruction no 5 d’Almería une copie de son acte de naissance qui confirme qu’il est mineur. Il affirme en outre que, même si l’État partie ne considère pas que l’acte de naissance est une preuve digne de foi, il faut lui accorder le bénéfice du doute et présumer qu’il est mineur, conformément au principe de l’intérêt supérieur de l’enfant.

5.3S’agissant de l’épuisement des recours internes, l’auteur fait observer que l’alinéa e) de l’article 7 du Protocole facultatif dispose que cette règle ne s’applique pas s’il est peu probable qu’elle permette d’obtenir une réparation effective. Il dit que l’État partie, auquel incombe la charge de la preuve, met à disposition une liste des voies de recours officielles disponibles sans donner plus de précisions sur l’accessibilité et/ou l’efficacité de ces recours. L’auteur rappelle que les décisions relatives à la détermination de l’âge ne sont pas directement susceptibles de recours devant les tribunaux, ce qui laisse les enfants sans moyen de se défendre, alors même qu’il est possible de faire appel des effets que ces décisions produisent en demandant à être placé sous la garde ou la tutelle des services de protection de l’enfance. L’auteur affirme qu’il ne disposait d’aucun recours utile pour prouver qu’il était mineur avant l’exécution de la décision de refoulement, étant donné qu’aucun des recours énumérés par l’État partie dans ses observations ne suspend l’exécution d’une expulsion.

5.4Enfin, l’auteur affirme que l’État partie n’a appliqué que partiellement la mesure provisoire demandée par le Comité, car s’il a été libéré du centre de détention pour étrangers, c’est uniquement parce que la durée maximale du séjour dans ce type d’établissement (soixante jours) avait été atteinte, et qu’il n’a jamais été transféré au centre de protection des mineurs ni placé sous la tutelle de la Communauté autonome de Madrid. Il ajoute que, le 22 septembre 2017, le Défenseur du peuple espagnol a déclaré à cet égard que, bien que l’intéressé ait été libéré, les autorités de police n’ont tenu compte ni de la procédure engagée devant le Comité des droits de l’enfant ni de la demande formulée par celui-ci.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Dans ses observations du 14 mars 2018, l’État partie rappelle les faits et répète ses arguments concernant la recevabilité de la communication. Il fait observer que l’auteur n’a présenté aucune demande d’asile en Espagne à ce jour. Il fait valoir qu’il n’a pas été démontré que l’auteur courrait le risque de subir un préjudice irréparable s’il était renvoyé dans son pays d’origine, où il a des attaches personnelles et familiales, ni que son refoulement constituerait une circonstance exceptionnelle. Il ajoute que l’auteur n’a apporté aucune preuve du danger imminent auquel il serait exposé s’il retournait dans son pays.

6.2L’État partie fait valoir que, pour qu’une communication présentée en application du Protocole facultatif soit déclarée recevable, il doit au moins être prouvé que l’auteur est un enfant. À cet égard, il dit qu’une photocopie d’un acte de naissance qui ne comporte pas de données biométriques pouvant être recoupées avec celles de l’auteur ne prouve rien. Rien n’indique que les données contenues dans le document en question correspondent à l’auteur. L’État partie donne en outre des informations sur l’application, en Espagne, d’un protocole spécialement destiné aux présumés enfants non accompagnés (protocole MENA) et précise que les personnes qui disent être mineures et dont l’apparence physique est manifestement celle d’un mineur sont immédiatement confiées aux autorités de protection de l’enfance.

6.3L’État partie fait observer que, par l’arrêt qu’elle a rendu dans l’affaire Ahmade c. Grèce, la Cour européenne des droits de l’homme a confirmé que les examens médicaux de détermination de l’âge étaient conformes aux droits de l’homme. Dans cet arrêt, la Cour a considéré que le refus du requérant de se soumettre à un examen radiologique de la mâchoire était la preuve qu’il craignait que l’examen révèle un âge différent de celui qu’il avait indiqué aux autorités. En outre, l’État partie renvoie à l’affaire M. E. B. c. Espagne, dans laquelle l’auteur affirmait être mineur alors qu’un examen radiologique avait permis de conclure qu’il avait 18 ans. Les enquêtes menées par la police espagnole dans le pays d’origine de l’auteur avaient révélé que l’intéressé avait essayé d’utiliser une fausse identité et qu’il avait en réalité 20 ans.

6.4S’agissant de l’épuisement des recours internes, l’État partie dit que l’auteur ne peut pas prétendre que les recours ne sont pas utiles s’il n’a tenté d’en épuiser aucun.

6.5En ce qui concerne le grief de non-prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant, l’État partie affirme qu’il est général et semble reposer sur l’idée que tout examen médical visant à déterminer l’âge d’un individu qui aboutit à la conclusion que l’intéressé est adulte constitue une violation de la Convention. L’observation générale no 6 établit le principe de la présomption de minorité en cas d’incertitude sur l’âge, mais celui-ci ne s’applique pas lorsque la personne est manifestement majeure ; dans ce cas, les autorités nationales peuvent légalement la considérer comme telle sans avoir à procéder à un examen, quel qu’il soit. Or, en l’espèce, les autorités ont donné à l’auteur la possibilité de se soumettre à des examens médicaux objectifs visant à déterminer son âge.

6.6Faute de preuve digne de foi et sur la seule base de la déclaration de l’auteur, il n’était pas possible de maintenir celui-ci dans un centre pour mineurs, au risque d’exposer les mineurs qui s’y trouvaient à la violence et aux mauvais traitements.

6.7En ce qui concerne la plainte relative à la violation supposée de son intérêt supérieur, que l’auteur a formulée au titre du paragraphe 2 de l’article 18 et du paragraphe 1 de l’article 20 de la Convention, l’État partie fait remarquer ce qui suit : les autorités espagnoles ont secouru l’auteur alors qu’il se trouvait à bord d’une embarcation de fortune ; l’auteur a reçu des soins à son arrivée sur le territoire espagnol et a bénéficié gratuitement des services d’un avocat et d’un interprète ; lorsqu’il a déclaré être mineur, l’information a été immédiatement communiquée au ministère public, qui est l’autorité chargée de veiller à l’intérêt supérieur de l’enfant ; à l’heure actuelle, il est libre et bénéficie d’une aide sociale. Par conséquent, on ne peut guère parler d’un défaut d’assistance juridique ou de protection de l’auteur, et ce, même dans l’hypothèse où celui-ci serait mineur, ce qui n’est pas le cas.

6.8En ce qui concerne les allégations de l’auteur relatives à son droit à l’identité, l’État partie insiste sur le fait que l’auteur n’a produit aucune pièce d’identité officielle originale à son nom, et encore moins un document avec des données biométriques vérifiables. Les autorités l’ont toutefois enregistré sous le nom qu’il a donné quand il est entré illégalement sur le territoire espagnol.

6.9L’État partie affirme en outre qu’il n’y a pas eu violation des articles 27 et 29 de la Convention. Il dit que l’auteur a été pris en charge par les services publics jusqu’à la fin de la période maximale de détention au centre d’Aluche, et qu’ensuite il a été libéré et a commencé à bénéficier d’une « assistance concertée » et d’une couverture médicale ; son droit au développement n’a donc pas été violé.

6.10En ce qui concerne les solutions possibles proposées par l’auteur dans sa communication initiale, l’État partie affirme que l’auteur ne demande ni ne propose de moyen qui permette de déterminer son âge avec certitude. Il ne propose pas non plus que les données le concernant soient vérifiées auprès des autorités de son pays d’origine supposé.. Par conséquent, demander que l’Espagne reconnaisse qu’il est impossible d’établir l’âge de l’auteur ne résout rien, étant donné qu’on ne saurait accepter qu’une personne apparemment majeure soit considérée comme mineure sur ses simples dires. En ce qui concerne la possibilité de contester les décisions du ministère public, l’État partie affirme que ces décisions sont éminemment provisoires, qu’elles peuvent être réexaminées par le ministère public lui-même si de nouveaux éléments de preuve sont présentés et qu’elles peuvent être remplacées par des décisions définitives adoptées par d’autres instances judiciaires. S’agissant des autres demandes de l’auteur, l’État partie fait savoir que l’auteur a déjà bénéficié d’une protection publique. Concernant l’éducation gratuite, l’auteur y aurait automatiquement eu accès s’il avait été mineur. Enfin, en Espagne, les permis de séjour et de travail ne peuvent être obtenus que si les conditions générales prévues par la loi sont réunies, ce qui n’est pas le cas de l’auteur puisqu’il est entré sur le territoire national de manière illégale et qu’il n’a pas demandé la protection internationale.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant le fond

7.1Dans ses commentaires du 6 juillet 2018, l’auteur souligne que la procédure de détermination de l’âge à laquelle il a été soumis n’a jamais été assortie des garanties nécessaires, qu’il n’apparaît dans aucun document qu’on lui a assigné un avocat ou un représentant à même de lui communiquer des informations sur l’examen médical et ses conséquences, et que rien ne prouve qu’il ait donné son consentement éclairé. Il réaffirme que l’ordonnance de refoulement ne pouvait être contestée que par voie administrative, au moyen d’un recours en appel qui n’a pas d’effet suspensif sur l’ordonnance en question. Il précise que, l’État partie ne l’ayant pas protégé, il a quitté le territoire espagnol pour la France où il réside actuellement, et exprime son intention de poursuivre la procédure engagée devant le Comité.

7.2L’auteur réaffirme sa position concernant la recevabilité de la communication. Il soutient que les allégations de l’État partie concernant sa prétendue majorité constituent précisément le fond de la présente communication et que l’on ne peut donc pas les considérer comme un motif d’irrecevabilité. Il rappelle qu’il avait 17 ans au moment de la soumission de la communication et que l’examen radiographique, selon lequel son âge était supérieur à 19 ans, « ne permet pas de déterminer avec exactitude l’âge d’une personne mais donne une estimation de celui-ci, avec une marge d’erreur que les experts estiment à plus ou moins deux ans ». En l’espèce, l’État partie n’a pas tenu compte de la marge d’erreur inhérente à cet examen. L’auteur affirme que son acte de naissance doit être considéré comme valide et qu’il est une preuve « suffisante » de sa minorité. Il ajoute qu’un acte de naissance établi par les autorités de son pays d’origine est une preuve solide de sa minorité qui doit être reconnue et prise en considération.

7.3L’auteur affirme que l’État partie a prouvé, au cours de la procédure de détermination de l’âge, que c’était la « présomption de majorité » qui prévalait, au détriment de l’intérêt supérieur de l’enfant et au bénéfice des autres intérêts de l’Espagne, notamment le contrôle des flux migratoires sur son territoire.

7.4S’agissant de la violation du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant au regard de l’article 3 de la Convention, l’auteur renvoie à l’observation générale conjointe no 4 du Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille et no 23 du Comité des droits de l’enfant (2017) dans laquelle il est souligné que les documents présentés au cours de la procédure de détermination de l’âge doivent être considérés comme valides, sauf preuve du contraire, que les déclarations des enfants doivent être prises en considération et que le doute doit bénéficier à l’intéressé en cas d’incertitude concernant son âge. L’auteur affirme qu’en l’espèce, l’État partie ne l’a jamais considéré comme possiblement mineur, n’a pas activé le protocole MENA et n’a accordé aucune valeur probante à l’acte de naissance attestant sa minorité. L’auteur affirme en outre que, si les autorités espagnoles avaient appliqué l’article 3, il aurait immédiatement été placé dans un centre pour mineurs ou, qu’en cas de doute, elles auraient pris contact avec les autorités consulaires algériennes afin de vérifier son identité. L’État partie n’a toutefois rien fait de tel.

7.5L’auteur affirme qu’aucun État partie ne peut invoquer la majorité supposée d’un enfant pour justifier la violation des droits consacrés par la Convention et que c’est ce que l’Espagne a fait en le privant de la protection à laquelle il avait droit en tant qu’enfant non accompagné privé de son milieu familial, conformément au paragraphe 1 de l’article 20 de la Convention. Il soutient que l’État partie laisse entendre que le parquet aurait agi, en quelque sorte, comme son représentant légal et qu’il aurait veillé à son intérêt supérieur, ce qui n’a pas été le cas. L’État partie aurait dû désigner un tuteur ou un représentant légal dès qu’il a su que l’auteur était peut-être mineur, ce qu’il n’a jamais fait. En outre, l’auteur n’a bénéficié d’aucune mesure de prise en charge et d’hébergement en tant qu’enfant migrant privé de milieu familial et n’a jamais été placé dans un centre de protection de l’enfance.

7.6L’auteur soutient que les États parties ont l’obligation positive de rétablir l’identité d’un enfant lorsque celui-ci est privé de l’un des éléments qui la constituent. Il souligne que l’article 8 de la Convention énumère certains éléments de l’identité d’un enfant, tels que sa nationalité, son nom et ses relations familiales, mais que cette énumération ne doit pas être considérée comme exhaustive. Il avance que l’âge et la date de naissance sont également des éléments de l’identité et qu’ils sont par conséquent protégés par l’article 8. En attribuant à l’auteur un âge et une date de naissance qui ne correspondaient pas à ceux indiqués sur son acte de naissance, l’État partie a modifié des éléments de son identité, en violation de l’article 8 de la Convention.

7.7L’auteur affirme que son droit d’être entendu a été violé dès qu’il est arrivé en Espagne et qu’il a déclaré être mineur, étant donné qu’il a quand même été enregistré sous un âge qui n’était pas le sien et qu’il n’a bénéficié, à aucun moment de la procédure de détermination de l’âge, ni d’une aide juridictionnelle ni des garanties qui lui auraient permis d’être informé et, partant, de pouvoir s’exprimer.

7.8L’auteur souligne que l’État partie ne lui a pas garanti les conditions nécessaires à son développement physique, mental, spirituel et social. Il rappelle en particulier qu’aucun tuteur ne lui a été assigné, qu’il n’a pas été accueilli dans un centre de protection des mineurs et qu’il n’a pas bénéficié du soutien psychologique dont il avait besoin après son périple en haute mer depuis l’Algérie jusqu’à la côte d’Almería. Il ajoute que l’État partie n’apporte pas la preuve qu’il a effectivement bénéficié d’une couverture médicale.

7.9Enfin, l’auteur affirme que l’État partie a violé l’article 6 du Protocole facultatif étant donné qu’il n’a pas mis en œuvre la mesure provisoire demandée par le Comité le 22 mai 2017.

Intervention de tiers

8.1Le 3 mai 2018, le Défenseur des droits de la France a soumis en qualité de tiers une intervention portant sur la question de la détermination de l’âge. Il souligne que les procédures de détermination de l’âge doivent être assorties des garanties nécessaires pour assurer le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant. Dans un rapport de 2017, le Conseil de l’Europe a indiqué que les garanties procédurales reconnues par les instruments internationaux n’étaient pas uniformément respectées dans l’ensemble des États membres.

8.2Une procédure de détermination de l’âge ne devrait être engagée qu’en cas de doute sérieux quant à l’âge d’un individu, âge qui doit être vérifié sur la base des documents ou des déclarations de l’intéressé. Ce type de procédure ne devrait pas se fonder uniquement sur l’apparence physique ; elle devrait également prendre en considération la maturité psychologique et s’inscrire dans une approche pluridisciplinaire. Si le doute persiste à l’issue de la procédure, il devrait bénéficier à la personne concernée.

8.3Il n’existe pas de règles ni d’accords communs concernant la détermination de l’âge dans les États européens. Plusieurs États recourent à des examens médicaux et non médicaux. Les examens médicaux pratiqués comprennent la radiographie du poignet gauche (23 États), le panoramique dentaire (17 États), la radiographie de la clavicule (15 États), l’examen dentaire (14 États) et l’évaluation fondée sur l’apparence physique (12 États). Bien qu’elle soit couramment pratiquée, la détermination de l’âge osseux n’est pas fiable, porte atteinte à la dignité et à l’intégrité physique de l’enfant et n’a aucune valeur sur le plan médical, comme l’a confirmé le Royal College of Radiologists de Londres. Dans une résolution du 12 septembre 2013, le Parlement européen a condamné le caractère inadapté et invasif des techniques médicales basées sur l’âge osseux et utilisées pour la détermination de l’âge, car elles peuvent occasionner des traumatismes, présentent de grandes marges d’erreur et sont parfois pratiquées sans le consentement de l’enfant.

8.4La méthode de Greulich et Pyle est inadaptée et inapplicable aux migrants, qui sont en majorité des adolescents venant d’Afrique subsaharienne, d’Asie ou d’Europe de l’Est qui fuient leur pays d’origine, où leur situation socioéconomique est souvent précaire. Plusieurs études démontrent que le développement osseux varie en fonction de l’origine ethnique et de la situation socioéconomique de l’individu, raison pour laquelle la méthode n’est pas adéquate pour déterminer l’âge de personnes non européennes. Cette méthode présente d’importantes marges d’erreur, en particulier chez les individus âgés de 15 à 18 ans. Selon le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, les associations européennes de pédiatres sont catégoriques sur un point : la maturité de la dentition et du squelette ne permet pas de déterminer l’âge exact d’un enfant, mais uniquement d’en donner une estimation, avec une marge d’erreur importante de deux à trois ans. L’interprétation des données peut en outre varier d’un pays à l’autre, voire d’un spécialiste à l’autre. Le Comité a également engagé les États à ne pas utiliser les méthodes de détermination de l’âge osseux.

8.5Le Défenseur des droits recommande par conséquent : a) que la détermination de l’âge s’inscrive dans une approche pluridisciplinaire et qu’il ne soit procédé à des examens médicaux qu’en dernier ressort, lorsqu’il existe des motifs sérieux de douter de l’âge d’une personne ; b) que l’enfant soit informé et qu’il ait la possibilité de donner son consentement préalable ; c) que l’intéressé soit présumé mineur pendant la procédure de détermination de l’âge et que des mesures de protection soient prises, par exemple la désignation d’un représentant légal chargé de l’assister tout au long de la procédure ; d) que tout examen soit effectué dans le strict respect des droits de l’enfant, notamment de sa dignité et de son intégrité physique ; e) que le droit de l’enfant d’être entendu soit respecté ; f) que si le doute persiste à l’issue de la procédure, il bénéficie à l’intéressé ; g) qu’une demande de protection ne puisse pas être rejetée au seul motif que l’intéressé refuse de se soumettre à des examens médicaux ; h) qu’il existe un recours utile permettant de contester les décisions fondées sur une procédure de détermination de l’âge.

8.6Le Défenseur des droits rappelle que la détention d’enfants migrants, même de courte durée et à des fins de détermination de l’âge, est interdite par le droit international et que les États devraient appliquer des mesures autres que la détention. Les États devraient interdire la privation de liberté des enfants ou leur placement en détention dans des établissements pour adultes. Les services de protection de l’enfance devraient être immédiatement avisés afin qu’ils puissent évaluer les besoins de protection de l’enfant.

Commentaires des parties sur l’intervention de tiers

9.1Dans ses observations du 3 août 2018, l’État partie fait remarquer qu’aucune des communications soumises au Comité et mettant en cause l’Espagne ne concerne des personnes détenues. Les auteurs des communications mentionnées dans l’intervention du tiers se sont vu offrir la possibilité de vivre dans des centres ouverts en attendant que les autorités administratives ou judiciaires aient statué sur leur cas. En outre, les intéressés ne sont pas des demandeurs d’asile mais des migrants économiques.

9.2La méthode de Greulich et Pyle n’est pas la seule méthode utilisée en Espagne. Dans d’autres communications examinées par le Comité, les auteurs ont passé jusqu’à cinq examens médicaux de détermination de l’âge. En outre, ces examens ne sont pratiqués que dans les cas où l’apparence de l’intéressé n’est pas celle d’un enfant. Le Tribunal suprême a conclu que lorsqu’une personne est munie d’un passeport ou d’un document similaire, il n’y a pas lieu de la soumettre à des examens de détermination de l’âge. Il a toutefois fait observer que, s’il existe un motif raisonnable de remettre en question la validité des documents susmentionnés ou si ces documents ont été déclarés non valables par les autorités compétentes, l’enfant est considéré comme n’ayant pas de papiers et peut être soumis à des examens médicaux en cas de doute sur son âge. L’État partie ajoute que, selon cette interprétation, on ne peut considérer qu’un mineur non accompagné a des papiers que s’il est muni d’un passeport ou d’une pièce d’identité similaire, ce qui n’est le cas dans aucune des communications dont le Comité est saisi. Par conséquent, les auteurs de ces communications doivent être considérés comme étant sans papiers. En outre, aucun n’avait l’apparence physique d’un mineur, raison pour laquelle ils ont été soumis à des examens de détermination de l’âge. Dans certains cas, l’auteur avait dit initialement qu’il était majeur pour affirmer ensuite qu’il était mineur. Dans d’autres, les autorités espagnoles avaient reconnu à l’auteur la qualité de mineur, en conséquence de quoi le Comité avait classé l’affaire. Dans un autre cas, également classé, les autorités du pays d’origine de l’auteur avaient confirmé que celui-ci était adulte. Ces exemples attestent la fiabilité des examens médicaux pratiqués.

9.3L’État partie réaffirme que placer des personnes déclarées adultes sur la base d’examens médicaux dans des centres de protection de l’enfance pourrait mettre en danger les enfants accueillis dans ces centres.

9.4Lorsqu’une personne a l’apparence d’un mineur ou qu’elle est en possession d’un passeport ou d’un document d’identité biométrique, elle n’est pas soumise à des examens visant à déterminer son âge. Enfin, le Défenseur des droits français ne précise pas quelles méthodes de détermination de l’âge devraient être utilisées.

10.Dans ses commentaires du 17 août 2018, l’auteur souligne que le Défenseur des droits réaffirme que l’examen radiographique pratiqué pour déterminer son âge n’était pas fiable du fait de la grande marge d’erreur, en particulier pour son groupe d’âge. Il affirme que la procédure de détermination de l’âge ne doit être appliquée qu’en dernier recours et qu’il convient en premier lieu de tenir compte des déclarations du présumé enfant migrant non accompagné et des documents qu’il pourrait présenter. Il soutient qu’en Espagne, tous les enfants migrants non accompagnés sont systématiquement soumis à des examens, sans que ni leurs déclarations ni les documents qu’ils fournissent soient pris en compte, comme cela a été le cas pour lui.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

11.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 20 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications.

11.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable rationae personaeau regard des alinéas c) et f) de l’article 7 du Protocole facultatif au motif qu’elle constitue un abus du droit de présenter une communication, étant donné que l’auteur est majeur et qu’il n’a pas présenté de preuve suffisante et digne de foi attestant le contraire. Il fait toutefois observer que l’auteur affirme avoir déclaré être mineur à son arrivée en Espagne, qu’il a rendu compte des faits de manière détaillée et cohérente, qu’il a soumis au parquet et au tribunal d’instruction de l’État partie une copie de son acte de naissance algérien attestant qu’il était mineur et qu’il n’a reçu aucune réponse de la part de ces autorités. Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel, faute de données biométriques, l’acte de naissance ne peut être comparé aux données de l’auteur. Il rappelle que la charge de la preuve ne saurait incomber exclusivement à l’auteur de la communication, d’autant que l’auteur et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que, souvent, seul l’État partie dispose des informations pertinentes. En l’espèce, le Comité prend note de l’argument de l’auteur, à savoir que si l’État partie avait des doutes quant à la validité de l’acte de naissance, il aurait dû s’adresser aux autorités consulaires algériennes pour vérifier l’identité de l’intéressé, ce qu’il n’a pas fait. À la lumière de tout ce qui précède, le Comité considère que l’alinéa c) de l’article 7 du Protocole facultatif ne fait pas obstacle à la recevabilité de la communication.

11.3Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles étant donné que : a) si l’auteur estimait que les examens médicaux pratiqués étaient insuffisants, il aurait pu demander au parquet de faire réaliser des examens supplémentaires ; b) il aurait pu demander le réexamen de la décision, conformément à la procédure prévue à l’article 780 de la loi relative à la procédure civile ; c) il aurait pu faire appel de la décision de refoulement devant la juridiction administrative contentieuse ; d) il aurait pu former devant les tribunaux civils une demande en matière gracieuse aux fins de la détermination de l’âge, conformément à la loi no 15/2015. Toutefois, le Comité observe que, comme l’a indiqué l’État partie, pour qu’une décision du parquet relative à la détermination de l’âge soit réexaminée, il faut que de nouveaux éléments de preuve soient présentés. Il observe également que, le 22 mai 2017, une copie de l’acte de naissance attestant la minorité de l’auteur a été remise au parquet et que celui-ci n’en a pas tenu compte. Il estime que, dans le contexte de l’expulsion imminente de l’auteur du territoire espagnol, tout recours qui se prolongerait excessivement ou qui ne suspendrait pas l’exécution de la décision d’expulsion ne saurait être considéré comme utile. Il constate que l’État partie n’a pas démontré que les recours mentionnés suspendraient l’exécution de la décision d’expulsion. Par conséquent, il considère que l’alinéa e) de l’article 7 du Protocole facultatif ne fait pas obstacle à la recevabilité de la communication.

11.4Le Comité considère que les griefs soulevés par l’auteur au titre des articles 18 (par. 2) et 29 de la Convention n’ont pas été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et les déclare irrecevables au regard de l’alinéa f) de l’article 7 du Protocole facultatif.

11.5Le Comité estime en revanche que l’auteur a suffisamment étayés les griefs qu’il soulève au titre des articles 3, 8, 12, 20 et 27 de la Convention au motif que l’intérêt supérieur de l’enfant n’a pas été pris en considération et qu’aucun tuteur ou représentant n’a été désigné au cours de la procédure de détermination de l’âge. Il déclare donc que cette partie de la communication est recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

12.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 10 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

12.2Le Comité doit déterminer si, dans les circonstances de l’espèce, la procédure de détermination de l’âge à laquelle a été soumis l’auteur, qui a déclaré être mineur et a présenté son acte de naissance pour le prouver, constitue une violation des droits qu’il tient de la Convention. L’auteur a affirmé en particulier que l’intérêt supérieur de l’enfant n’avait pas été pris en compte au cours de cette procédure, étant donné le type d’examen médical pratiqué pour déterminer son âge et le fait qu’aucun un tuteur ou représentant n’a été désigné.

12.3Le Comité rappelle que la détermination de l’âge d’une personne jeune qui affirme être mineure revêt une importance capitale, puisque le résultat de cette procédure permet d’établir si la personne en question pourra ou non prétendre à la protection de l’État en qualité d’enfant. De même, et cela est extrêmement important pour le Comité, la jouissance des droits consacrés par la Convention est liée à cette détermination. Il est donc impératif de prévoir une procédure de détermination de l’âge adéquate, ainsi que la possibilité d’en contester les résultats au moyen d’une procédure de recours. Tant que les procédures en question sont en cours, il faudrait accorder à l’intéressé le bénéfice du doute et le traiter comme un enfant. Parconséquent, le Comité rappelle que l’intérêt supérieur de l’enfant devrait être une considération primordiale tout au long de la procédure de détermination de l’âge.

12.4Le Comité rappelle également qu’en l’absence de documents d’identité ou d’autres moyens appropriés pour obtenir une estimation éclairée de l’âge, les États devraient procéder à une évaluation complète du développement physique et psychologique de l’enfant, qui soit effectuée par des pédiatres et d’autres professionnels capables de combiner différents aspects du développement. Ces évaluations devraient être faites sans attendre, d’une manière respectueuse de l’enfant qui tienne compte de son sexe et soit culturellement adaptée, et comporter des entretiens avec l’enfant dans une langue que celui-ci comprend. Les documents qui sont disponibles devraient être considérés comme authentiques, sauf preuve du contraire, et les déclarations des enfants doivent être prises en considération. De plus, il est essentiel que la personne évaluée ait le bénéfice du doute. Les États devraient s’abstenir d’utiliser des méthodes médicales fondées, notamment, sur les analyses osseuses et dentaires, qui peuvent être imprécises, comporter de grandes marges d’erreur, et peuvent aussi être traumatisantes et entraîner des procédures juridiques inutiles.

12.5En l’espèce, le Comité constate que : a) l’auteur, qui était sans papiers lorsqu’il est entré sur le territoire espagnol, a été soumis à un examen médical osseux visant à déterminer son âge, en l’espèce une radiographie de sa main gauche, sans qu’aucun autre examen complémentaire, en particulier un examen psychosocial, ne soit mené et sans que le moindre entretien ne soit conduit avec l’intéressé dans le cadre de cette procédure ; b) sur la base des résultats du seul examen pratiqué, l’hôpital en question a établi que l’âge osseux de l’auteur était supérieur à 19 ans selon l’atlas de Greulich et Pyle, sans qu’aucune marge d’erreur ne soit signalée ; c) sur la base de ces résultats médicaux, le parquet de la province d’Almería a conclu que l’auteur était majeur ; d) le parquet n’a pas tenu compte de la copie de l’acte de naissance présentée par l’auteur le 22 mai 2017 en vue d’un éventuel réexamen de la décision établissant sa majorité.

12.6L’État partie renvoie à l’affaire M. E. B. c. Espagne comme précédent qui démontrerait la fiabilité de l’examen radiographique fondé sur l’atlas de Greulich et Pyle. Le Comité constate toutefois que de nombreux éléments d’information versés au dossier laissent entrevoir le manque de précision de cet examen, qui comporte une grande marge d’erreur et ne saurait donc être la seule méthode utilisée pour déterminer l’âge chronologique d’une personne jeune qui affirme être mineure et qui présente des documents à l’appui de ses dires.

12.7Le Comité prend note de la conclusion de l’État partie, à savoir que, alors que l’auteur avait manifestement l’apparence physique d’un adulte et aurait donc pu être directement considéré comme tel sans qu’il soit nécessaire de procéder au moindre examen, il a tout de même été soumis à un examen radiographique visant à déterminer son âge. Il rappelle néanmoins son observation générale no 6 dans laquelle il établit qu’il ne faut pas se fonder uniquement sur l’apparence physique de l’individu mais aussi sur son degré de maturité psychologique, que l’évaluation doit être menée scientifiquement, dans le souci de la sécurité de l’enfant, de manière adaptée à son statut d’enfant et à son sexe et équitablement, et qu’en cas d’incertitude persistante, le bénéfice du doute doit être accordé à l’intéressé, qu’il convient de traiter comme un enfant si la possibilité existe qu’il s’agisse effectivement d’un mineur.

12.8Le Comité prend également note des allégations de l’auteur selon lesquelles aucun tuteur ou représentant n’a été désigné pour défendre ses intérêts en tant que présumé enfant migrant non accompagné, ni à son arrivée ni pendant la procédure de détermination de l’âge à laquelle il a été soumis. Il rappelle que les États parties sont tenus d’assigner gratuitement un représentant légal qualifié ayant les connaissances linguistiques nécessaires à tous les jeunes gens qui affirment être mineurs, le plus rapidement possible après leur arrivée sur leur territoire. Il considère que le fait de faciliter la représentation de ces jeunes au cours de la procédure de détermination de l’âge revient à leur accorder le bénéfice du doute et constitue une garantie essentielle pour le respect de leur intérêt supérieur et de leur droit d’être entendu. Ne pas le faire constitue une violation des articles 3 et 12 de la Convention, puisque la procédure de détermination de l’âge est le point de départ de l’application de la Convention. Le défaut de représentation adéquate peut donner lieu à une injustice importante.

12.9À la lumière de tout ce qui précède, le Comité considère que la procédure de détermination de l’âge à laquelle a été soumis l’auteur, qui a déclaré être un enfant puis présenté une preuve de ce qu’il avançait, n’a pas été assortie des garanties nécessaires à la protection des droits que l’auteur tient de la Convention. En l’espèce, et en particulier dans le contexte de l’examen pratiqué pour déterminer l’âge de l’auteur, de l’absence de représentant pour l’accompagner pendant la procédure et du rejet presque systématique de la valeur probante de l’acte de naissance qu’il a présenté, alors que l’État partie n’a même pas pris officiellement connaissance des données fournies et qu’en cas de doute, il ne les a pas fait confirmer par les autorités consulaires algériennes, le Comité estime que l’intérêt supérieur de l’enfant n’a pas été une considération primordiale pendant la procédure de détermination de l’âge à laquelle l’auteur a été soumis, en violation des articles 3 et 12 de la Convention.

12.10En outre, le Comité prend note des allégations de l’auteur selon lesquelles l’État partie a violé ses droits lorsqu’il a modifié des éléments de son identité en lui attribuant un âge et une date de naissance qui ne correspondaient pas aux informations indiquées sur son acte de naissance, même après que l’auteur a soumis aux autorités espagnoles une copie de l’acte en question. Le Comité considère que l’âge et la date de naissance d’un enfant relèvent de son identité et que les États parties sont tenus de respecter le droit de l’enfant de préserver son identité, sans le priver d’aucun des éléments qui la constituent. En l’espèce, il fait observer que l’État partie n’a pas respecté l’identité de l’auteur, alors même que celui-ci avait présenté aux autorités espagnoles une copie de son acte de naissance sur lequel figuraient des données sur son identité, en refusant d’accorder une quelconque valeur probante à la copie en question, sans avoir fait réaliser par les autorités compétentes un examen en bonne et due forme des données indiquées sur l’acte et sans avoir non plus vérifié ces données auprès des autorités du pays d’origine de l’auteur. En conséquence, le Comité conclut que l’État partie a violé l’article 8 de la Convention.

12.11Ayant conclu à l’existence d’une violation des articles 3, 8 et 12 de la Convention, le Comité n’examinera pas séparément les griefs de violation des articles 20 et 27 que soulève l’auteur à raison des mêmes faits.

12.12Enfin, le Comité prend note des allégations de l’auteur concernant le non-respect par l’État partie de la mesure provisoire consistant à le transférer dans un centre de protection de l’enfance tant que son cas serait à l’examen. Le Comité rappelle que les États parties ayant ratifié le Protocole facultatif ont pour obligation internationale de mettre en œuvre les mesures provisoires demandées en application de l’article 6 du Protocole afin d’éviter qu’un préjudice irréparable ne soit causé avant qu’il ne prenne une décision sur une communication, l’objectif étant d’assurer l’efficacité de la procédure de présentation de communications émanant de particuliers. En l’espèce, il prend note de l’argument de l’État partie selon lequel le transfert de l’auteur dans un centre de protection de l’enfance pourrait mettre gravement en danger les enfants accueillis dans ces centres. Il fait toutefois observer que cet argument repose sur l’hypothèse que l’auteur est majeur. Il estime que le plus risqué est d’envoyer une personne potentiellement mineure dans un centre qui n’accueille que des individus reconnus comme adultes. En conséquence, le Comité considère que le non-respect de la mesure provisoire demandée constitue en lui-même une violation de l’article 6 du Protocole facultatif.

12.13Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 5 de l’article 10 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des articles 3, 8 et 12 de la Convention et de l’article 6 du Protocole facultatif.

13.L’État partie est tenu d’assurer à l’auteur une réparation adéquate. Il a également l’obligation d’empêcher que des violations analogues se reproduisent en veillant à ce que toute procédure de détermination de l’âge de personnes pouvant être des enfants non accompagnés soit conforme à la Convention et, en particulier, à ce que les intéressés bénéficient rapidement et gratuitement des services d’un représentant qualifié au cours de ces procédures.

14.Le Comité rappelle qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a violation de la Convention et des deux Protocoles facultatifs s’y rapportant.

15.Conformément à l’article 11 du Protocole facultatif, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dès que possible et dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est aussi invité à faire figurer des renseignements sur ces mesures dans les rapports qu’il soumettra au Comité au titre de l’article 44 de la Convention. Enfin, il est invité à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement.