Nations Unies

CRC/C/85/D/28/2017

Convention relative aux droits de l ’ enfant

Distr. générale

27 octobre 2020

Français

Original : espagnol

Comité des droits de l ’ enfant

Constatations adoptées par le Comité au titre du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, concernant la communication no 28/2017 * , **

Communication présentée par :

M. B. (représenté par Fundación Raíces)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Espagne

Date des communications :

20 juillet 2017

Date des constatations :

28 septembre 2020

Objet :

Procédure de détermination de l’âge d’un enfant non accompagné

Questions de procédure :

Non-épuisement des recours internes, abus du droit de présenter des communications, incompatibilité ratione personae, défaut de fondement des griefs

Article(s) de la Convention :

3, 8, 12, 18 (par. 2), 20 (par. 1), 27 et 29

Article(s) du Protocole facultatif :

6 et 7 (al. c), e) et f))

1.1L’auteur de la communication est M. B., de nationalité guinéenne, né le 1er janvier 2000. Il affirme être victime d’une violation des articles 3, 8, 12, 18 (par. 2), 20, 27 et 29 de la Convention. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 14 avril 2014.

1.2Le 25 juillet 2017, le Groupe de travail des communications, agissant au nom du Comité et se fondant sur l’article 6 du Protocole facultatif, a demandé à l’État partie de prendre des mesures provisoires tendant à suspendre l’exécution de la décision d’expulsion de l’auteur tant que sa communication serait à l’examen et à transférer l’intéressé dans un centre de protection pour mineurs.

1.3Le 1er mars 2018, le Groupe de travail des communications, agissant au nom du Comité, et conformément au paragraphe 18 de l’article 5 de son règlement intérieur au titre du Protocole facultatif, a décidé de rejeter la demande de l’État partie tendant à ce que la question de la recevabilité de la communication soit examinée séparément du fond.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur est arrivé à Almería le 3 juin 2017, après que la Croix-Rouge a intercepté l’embarcation de fortune à bord de laquelle il se trouvait. Il a indiqué au personnel de la Croix-Rouge qu’il était mineur. Face à la police, il a de nouveau affirmé être mineur. Cependant, la police l’a enregistré comme adulte et lui a donné comme date de naissance le 1er janvier 1996. Le 5 juin 2017, le tribunal d’instruction no 1 d’Almería a informé l’auteur de la décision de le renvoyer dans son pays d’origine, décision dont son avocate commise d’office a fait appel. Le lendemain, le même tribunal a ordonné le placement du mineur au Centre pour étrangers de Madrid, où l’intéressé a été transféré.

2.2Le 17 juillet 2017, l’auteur a présenté une demande d’asile et, le lendemain, il a été interrogé en présence de son avocat et d’un interprète. Lors de cet entretien, il n’a pas dit qu’il était mineur parce qu’on ne le lui a pas demandé et parce qu’il pensait qu’il ne pouvait pas demander l’asile en tant que mineur. Sa demande d’asile a été rejetée quatre jours après. Le17 juillet également, l’organisation SOS Racisme, qui s’occupe des personnes détenues au centre pour étrangers, a soumis au Défenseur du peuple et au juge d’instruction no19 (lejuge chargé de surveiller les conditions d’internement dans le centre) un document visant à informer les autorités de la présence dans le centre de cinq mineurs, dont l’auteur, et du risque imminent qu’ils couraient d’être expulsés. Le 19 juillet, le tribunal a ordonné que le directeur du centre et le Procureur chargé des questions relatives aux étrangers soient informés de la situation.

2.3Le 20 juillet 2017, Fundación Raíces a écrit, au nom de l’auteur, à huit autorités différentes pour leur demander que l’auteur ne soit plus détenu dans le centre pour étrangers mais pris en charge par les services de protection des mineurs de Madrid. Dans ses courriers, elle expliquait que l’auteur allait bientôt être en possession de documents prouvant qu’il était mineur. Le 21 juillet, une copie de l’acte de naissance et du certificat d’authenticité de l’acte de naissance de l’auteur a été transmise aux tribunaux et parquets concernés. Le 28 juillet, l’auteur a présenté les originaux de ces documents, qu’il avait reçus par courrier postal. Le même jour, et après cinquante-deux jours d’internement au centre pour étrangers, l’auteur a été remis en liberté; il a ensuite trouvé un hébergement dans un foyer social pour adultes, sans qu’un tuteur ne lui ait été assigné et sans avoir bénéficié du traitement auquel, en tant que mineur, il pouvait prétendre au titre du droit national comme du droit international.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que l’État partie n’a pas respecté le principe de la présomption de minorité alors qu’il existait un doute ou une incertitude quant à son âge, ce qui est contraire à son intérêt supérieur et constitue une violation de l’article 3 de la Convention. Cette violation est d’autant plus évidente que l’État partie a exposé l’auteur à un risque réel de subir un dommage irréparable en le plaçant dans un centre de détention pour adultes et en ordonnant son renvoi dans son pays d’origine. L’auteur cite des observations finales concernant l’État partie dans lesquelles le Comité s’est dit préoccupé par le fait qu’il n’existait pas de protocole uniformisé sur le territoire de l’État partie pour définir ce qui constituait l’intérêt supérieur de l’enfant dans le contexte de la détermination de l’âge des enfants non accompagnés.

3.2L’auteur se dit en outre victime d’une violation de l’article 3 de la Convention, lu conjointement avec l’article 18 (par. 2), aucun tuteur ne lui ayant été assigné pour défendre ses intérêts en tant qu’enfant non accompagné, alors même que cela constitue une garantie de procédure fondamentale pour le respect de son intérêt supérieur. Il affirme en outre qu’il y a eu violation de l’article 3 (par. 2), lu conjointement avec l’article 20 (par. 1), l’État partie ne l’ayant pas protégé en dépit de la situation d’abandon et de grande vulnérabilité dans laquelle il se trouvait en tant que mineur migrant non accompagné. Il soutient que l’intérêt supérieur de l’enfant doit primer les dispositions d’ordre public relatives aux étrangers et qu’en présence d’une personne qui affirme être mineure et, qui plus est, est en possession de documents qui le prouvent, l’État partie doit mobiliser son appareil administratif et désigner automatiquement un tuteur.

3.3L’auteur affirme également que l’État partie a violé son droit à l’identité, consacré par l’article 8 de la Convention, car l’âge est un aspect fondamental de l’identité, à laquelle l’État partie ne doit pas porter atteinte. En outre, l’État partie est tenu de conserver et de protéger les données relatives à l’identité qui existent ou peuvent exister encore.

3.4L’auteur se dit également victime d’une violation du droit à être entendu qu’il tient de l’article 12 de la Convention.

3.5L’auteur se dit aussi victime d’une violation des articles 27 et 29 de la Convention, car les décisions prises l’ont empêché de développer pleinement toutes ses facultés. Il estime que, parce qu’il n’a pas eu de tuteur pour le guider, il n’a pas pu s’épanouir comme il aurait dû le faire à son âge.

3.6L’auteur affirme également qu’il y a eu violation de l’article 20 de la Convention au motif qu’il n’a pas été protégé par l’État partie. Il cite l’observation générale no 6 (2005) sur le traitement des enfants non accompagnés et des enfants séparés en dehors de leur pays d’origine, selon laquelle ce droit doit être interprété à la lumière de la situation de l’enfant, de son âge et de son origine ethnique, culturelle et linguistique.

3.7À titre de réparation possible, l’auteur propose :

a)Que l’État partie reconnaisse qu’il est mineur, qu’il suspende l’exécution de la décision de renvoi vers son pays d’origine et qu’il le confie aux services de protection des mineurs ;

b)Que les documents délivrés par la Guinée soient reconnus comme valides ;

c)Que lui soient reconnus tous les droits attachés à son statut de mineur, y compris le droit d’être protégé par l’État, le droit à un représentant légal et le droit à l’éducation, et qu’un permis de séjour et de travail lui soit accordé afin qu’il puisse développer pleinement sa personnalité et s’intégrer dans la société ;

d)Que lui soit reconnu le droit d’être assisté par un avocat ou une personne de son choix avant d’être entendu par les autorités publiques ;

e)Que toute décision le concernant lui soit communiquée, ainsi qu’à son avocat.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

Exposé des faits

4.1Dans ses observations du 13 novembre 2018 sur la recevabilité de la communication, l’État partie affirme que l’auteur a présenté les faits de manière partielle et inexacte. Il affirme que, selon le rapport de police concernant l’interception de l’embarcation, daté du 5 juin 2017, il y avait à bord 36 personnes, toutes « apparemment majeures ». Le même jour, une procédure d’expulsion a été engagée contre l’auteur, à qui a été notifiée la décision d’expulsion no 1480/2017. Le lendemain, le 6 juin, l’auteur a été placé dans le centre pour étrangers de Madrid.

4.2Le 17 juillet, l’auteur a demandé la protection internationale en présentant une déclaration signée par lui-même, un interprète et son avocat. Dans cette déclaration, l’auteur : a) n’a jamais dit être mineur ; b) a reconnu avoir pour date de naissance le 1er janvier 1996 (c’est-à-dire être âgé de 21 ans au moment de son arrivée en Espagne) ; c) a répondu, lorsqu’on lui a demandé pour quel motif il demandait l’asile, qu’il craignait pour sa vie parce que la deuxième femme de son père avait essayé de l’empoisonner.

4.3Le 21 juillet, la demande d’asile de l’auteur a été rejetée ; l’auteur a fait appel le 21 juillet et la demande a de nouveau été rejetée le 26 juillet. Dans son recours, l’auteur n’a pas non plus dit être mineur. Toujours le 21 juillet, l’auteur a également présenté, par l’intermédiaire d’avocats de son choix, une simple photocopie de ce qu’il a dit être une copie de son acte de naissance, en demandant à être confié aux autorités de protection de l’enfance. L’État partie fait valoir qu’il n’existe aucun document prouvant que cet acte de naissance est celui de l’auteur, car il ne l’avait pas en sa possession au moment de son arrestation et il ne comporte pas de données biométriques. Il existe donc des doutes sur l’authenticité des documents présentés (qui ont, de plus, été présentés sous forme de simples copies), d’autant plus qu’ils sont en contradiction avec les actes de l’auteur lui‑même à son arrivée en Espagne, puisque non seulement il n’a jamais dit être mineur, mais il a signé une demande d’asile sur laquelle figurait une autre date de naissance.

4.4L’État partie affirme qu’au moment de la présentation de ses observations, il ne sait pas où se trouve l’auteur, et procède donc à la levée des mesures provisoires qui avaient été prises.

Motifs d’irrecevabilité

4.5L’État partie soutient que la communication est irrecevable ratione personae parce que l’auteur est majeur. Il maintient que l’auteur est majeur car :

a)Il n’a pas présenté de documents d’identité officiels comportant des données biométriques vérifiables (les documents qu’il a présentés ne comportent ni photographie ni empreintes digitales permettant de vérifier s’ils appartiennent bien à la personne qui présente la photocopie ou s’ils appartiennent à une autre personne) ;

b)Il a l’apparence d’un adulte, comme le montrent les photographies qui ont été prises au moment de son arrestation ;

c)Il n’a dit être mineur à aucun moment, que ce soit à son arrivée en Espagne, lorsqu’il a été interrogé ou à son arrivée au centre pour étranger (il ne l’a fait que lorsqu’il a été conseillé par les avocats qui le représentent dans le cadre de la présente communication).

4.6De même, les documents présentés par l’auteur sur la base d’une déclaration unilatérale ne peuvent attester sa majorité puisqu’il s’agit de simples photocopies ne contenant pas de données biométriques. Selon l’État partie, déclarer la communication recevable en l’absence de preuves objectives de la majorité de l’auteur « servirait uniquement les intérêts des mafias impliquées dans le trafic de migrants en situation irrégulière », auxquelles l’auteur a versé de l’argent, et qui « recommandent aux migrants de partir sans documents d’identité et de se dire mineurs ».

4.7Qui plus est, se fondant sur l’article 7 (al. e)) du Protocole facultatif, l’État partie soutient que la communication est irrecevable au motif que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles. L’auteur avait la possibilité de :

a)Demander au ministère public de procéder à des examens médicaux qui prouveraient qu’il est mineur ;

b)En application de l’article 780 de la loi relative à la procédure civile, demander au juge civil dont dépend le centre pour étrangers de réexaminer toute décision rendue par la communauté autonome dans laquelle il n’était pas considéré comme mineur ;

c)Faire appel de la décision de renvoi devant la juridiction administrative ;

d)Former devant les tribunaux civils une demande en matière gracieuse aux fins de la détermination de l’âge, conformément à la loi no 15/2015 relative à la juridiction gracieuse.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Dans ses commentaires du 8 février 2018, l’auteur conteste certaines des allégations de l’État partie. Premièrement, il dit avoir affirmé être mineur au moins deux fois : lorsqu’il a été recueilli par la Croix-Rouge en mer et lorsqu’il a été emmené au poste de police. Il affirme qu’à ces deux occasions il n’a pas été entendu. Pendant l’entretien réalisé en lien avec sa demande d’asile, il n’a pas dit qu’il était mineur parce qu’on ne le lui a pas demandé et parce qu’il pensait qu’il ne pouvait pas demander l’asile en tant que mineur. De fait, le même jour, l’auteur d’une autre communication, R. K., qui a dit être mineur, n’a pas été autorisé à présenter une demande d’asile officielle. C’est pourquoi l’auteur a décidé de ne pas donner son âge réel, car c’était la seule option dont il disposait pour formaliser sa demande et empêcher son expulsion, qui était imminente.

5.2Deuxièmement, une fois que la photocopie du document attestant la date de naissance de l’auteur, puis l’original, ont été fournis, l’État partie n’a pris aucune mesure pour vérifier si le document en question appartenait ou non à l’auteur. L’État partie n’a pas non plus activé le protocole relatif aux mineurs étrangers non accompagnés aux fins de la détermination de l’âge de l’auteur. En outre, le 1er août 2017, et après que l’auteur a été libéré du centre pour étrangers, le tribunal d’instruction no 1 d’Almería a décidé de ne pas confier l’intéressé au centre pour mineurs parce qu’il considérait que le document qu’il avait soumis n’était pas valable car il ne contenait pas de données biométriques. C’est à l’État partie qu’il appartenait d’effectuer les vérifications nécessaires auprès des autorités guinéennes pour s’assurer que le plaignant était bien guinéen et pour vérifier son identité. En résumé, l’auteur n’a été soumis à aucun examen de détermination de l’âge et son identité n’a pas été vérifiée auprès des autorités guinéennes.

5.3Troisièmement, l’auteur affirme que, contrairement à ce que soutient l’État partie :

a)Le fait qu’il ne les ait pas eu en sa possession à son arrivée sur le territoire espagnol ne saurait enlever aux documents qu’il a soumis leur valeur probante quant à son identité ;

b)On ne saurait exiger que ces documents contiennent des données biométriques car de telles données ne sont pas caractéristiques des actes de naissance, et les documents en question devraient suffire pour que les institutions compétentes respectent le principe de la présomption de minorité de l’auteur ;

c)L’auteur n’a pas été poursuivi pour faux et usage de faux devant les tribunaux nationaux et aucun élément ne permet de démontrer que les documents ne sont pas authentiques, d’autant plus que l’auteur a présenté les documents originaux peu après avoir remis des photocopies ;

d)L’auteur a fait tout ce qui était en son pouvoir pour prouver son identité et ne pouvait être tenu de fournir des documents ou des preuves qu’il ne pouvait obtenir lui‑même, étant donné qu’il était enfermé dans le centre pour étrangers et n’était pas autorisé à se rendre à son ambassade pour faire des démarches.

5.4L’auteur ajoute que l’évaluation subjective que fait l’État partie de son apparence physique, qui est dénuée de tout fondement logique, ne peut être considérée comme un moyen valable de réfuter la présomption de minorité dont il bénéficie. De même, il est inexact qu’il n’a pas dit être mineur, puisqu’il l’a fait à deux reprises, à savoir devant les représentants de la Croix-Rouge et devant les autorités policières le jour de son arrestation.

5.5L’auteur fait valoir que tout ce qui précède montre que l’État partie a renversé la présomption de minorité en exigeant la preuve de l’authenticité de documents qui, s’ils semblaient faux, devraient être vérifiés par les autorités espagnoles, compte tenu notamment de la situation particulière de l’auteur. En ce qui concerne l’affirmation de l’État partie selon laquelle déclarer la communication recevable profiterait aux mafias qui se livrent au trafic de migrants en situation irrégulière, l’auteur estime qu’elle met en évidence le fait que le contrôle des flux migratoires prime l’intérêt supérieur de l’enfant.

5.6Quatrièmement, Fundación Raíces explique qu’au moment de la soumission de la communication, on ne savait pas où se trouvait l’auteur. à sa sortie du centre pour étrangers, l’auteur s’est vu attribuer une place dans un centre pour adultes géré dans le cadre d’un programme financé par le Ministère de l’intérieur de l’État partie. Toutefois, compte tenu du non-respect par l’État partie des mesures provisoires demandées par le Comité et craignant d’être expulsé du territoire espagnol, l’auteur a décidé de fuir en France.

5.7En ce qui concerne la demande de l’État partie visant à ce que la communication soit déclarée irrecevable ratione materiae au motif que l’auteur serait majeur, celui-ci fait valoir que cela ne peut être considéré comme un motif d’irrecevabilité parce que son âge est précisément la question de fond de la communication. Comme il l’a indiqué précédemment, les documents qu’il a soumis sont authentiques et valables aux fins de son identification et devraient être considérés comme une preuve sérieuse de sa minorité, ce qui devrait entraîner, à tout le moins, la mise en œuvre des mesures susmentionnées, compte tenu du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant et de la présomption de minorité.

5.8En ce qui concerne l’irrecevabilité pour non-épuisement des recours internes, l’auteur fait valoir que tous les recours mentionnés par l’État partie sont inefficaces ou inaccessibles et que l’État partie n’a pas rempli son obligation de prouver le contraire. En outre, aucune décision n’ayant été rendue concernant son âge, l’auteur était d’autant plus vulnérable puisqu’il a été considéré comme majeur sans qu’aucune démarche ou vérification n’ait été entreprise. Le 1er août, le tribunal d’instruction no 1 d’Almería a notifié sa décision de refuser de confier l’auteur au système de protection de l’enfance au motif que les documents officiels présentés n’avaient pas valeur probatoire. Le seul recours disponible contre la décision de renvoi est un recours administratif qui n’a pas d’effet suspensif sur la décision et dont le délai d’examen est fixé à trois mois. Ce n’est qu’une fois que le recours a été examiné ou que le délai a expiré qu’il est possible de saisir la juridiction contentieuse administrative. Il n’existe donc pas de recours utile permettant d’éviter les effets préjudiciables et irréversibles d’une expulsion, a fortiori lorsque l’intéressé n’est informé de son expulsion que douze heures à l’avance. En outre, l’auteur affirme qu’un tel recours ne servirait qu’à contrecarrer les effets des refoulements et des expulsions, mais pas ceux de la situation de défaut de protection dans laquelle se trouvent les mineurs, puisque les juges n’ordonnent pas de mesures concernant leur tutelle et leur protection. C’est pourquoi, se trouvant dans une situation d’impuissance totale après avoir fait savoir à diverses institutions espagnoles qu’une personne possiblement mineure allait être renvoyée dans son pays d’origine sans qu’aucune mesure ne soit prise, sachant qu’il était improbable qu’il obtienne effectivement réparation au moyen des recours internes et afin d’éviter des dommages irréparables, l’auteur a saisi le Comité.

5.9En ce qui concerne la possibilité qu’il avait de former une demande en matière gracieuse devant les tribunaux civils, l’auteur affirme que, dans une affaire similaire où le requérant était représenté par Fundación Raíces, le juge a rejeté une telle demande au motif que la voie de recours n’était pas la bonne.

5.10Enfin, l’auteur réaffirme que les mesures provisoires que le Comité a demandé à l’État partie de prendre n’ont jamais été adoptées, car il n’a jamais été transféré dans un centre de protection de l’enfance ni placé sous la tutelle de la Communauté autonome de Madrid. L’État partie demande que les mesures provisoires soient levées car l’auteur aurait disparu mais, étant donné que cette situation est due au fait qu’il ne s’est pas acquitté de ses obligations, il est à la fois inadmissible et répréhensible qu’il utilise cet argument pour demander la levée des mesures.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Dans ses observations du 19 janvier 2018, l’État partie soutient qu’il n’y a pas eu violation du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, consacré par l’article 3 de la Convention, étant donné que l’auteur est majeur. Il précise que la présomption de minorité ne doit être appliquée qu’« en cas d’incertitude », mais pas lorsque l’intéressé est manifestement majeur. Il conclut qu’en l’espèce, l’auteur, qui n’a aucun document d’identité, a l’apparence d’une personne majeure et que les autorités peuvent donc légalement le considérer comme tel sans qu’il soit nécessaire de procéder au moindre examen. L’État partie fait valoir que considérer un adulte comme mineur en l’absence de preuves irréfutables et sur la seule foi de la déclaration de la personne concernée ferait courir un risque important aux mineurs placés dans les centres d’accueil (qui pourraient être soumis par cet adulte à des violences et à des mauvais traitements), ce qui constituerait une violation du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant.

6.2L’État partie affirme en outre qu’il n’y a pas eu violation du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant au regard des articles 18 (par. 2) et 20 (par. 1) de la Convention, pour les raisons suivantes :

a)L’auteur a été pris en charge par les services de santé dès son arrivée sur le territoire espagnol ;

b)Il s’est vu délivrer des documents et a bénéficié gratuitement, aux frais de l’État, des services d’un avocat et d’un interprète ;

c)Sa situation a été immédiatement signalée à l’autorité judiciaire compétente afin que ses droits soient respectés pendant le déroulement de la procédure découlant de son séjour irrégulier ;

d)Dès qu’il a déclaré être mineur, l’information a été communiquée au ministère public, qui est l’autorité chargée de veiller à l’intérêt supérieur de l’enfant.

6.3L’État partie fait valoir qu’on ne saurait dire qu’il y a eu un défaut d’assistance juridique ou de protection de l’auteur et ce, même dans l’hypothèse où celui-ci aurait été mineur.

6.4L’État partie affirme également que, à supposer que l’auteur ait été mineur, son droit à l’identité, protégé par l’article 8 de la Convention, n’a pas non plus été violé puisque son identité déclarée a été enregistrée dès son arrivée illégale sur le territoire espagnol, après son sauvetage en haute mer.

6.5L’État partie affirme également qu’il n’a pas non plus été porté atteinte au droit d’être entendu, protégé par l’article 12 de la Convention. Il soutient que l’auteur a toujours eu la possibilité d’être entendu et de formuler tout grief qu’il estimait justifié. Il a été entendu et assisté par un avocat dans toutes les procédures judiciaires qui le concernaient.

6.6L’État partie soutient enfin qu’il n’y a pas eu de violation des droits énoncés aux articles 20, 27 et 29 de la Convention, car ces droits concernent exclusivement les personnes qui sont incontestablement mineures. Étant donné que la majorité de l’auteur fait aucun doute, les droits revendiqués sont inapplicables.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant le fond

7.1Dans ses commentaires du 9 avril 2018, l’auteur ajoute que, concernant la recevabilité de la communication, il ne partage pas l’interprétation que fait l’État partie de l’article 7 (al. e)) du Protocole facultatif, selon laquelle il doit épuiser tous les recours internes sans exception. Cette interprétation n’est pas conforme à l’objectif qui sous-tend cet article, à savoir donner aux autorités nationales la possibilité d’offrir réparation en cas de violation des droits de l’homme. Dans ce contexte, il suffit donc qu’un seul des recours internes disponibles ait été épuisé, dans la droite ligne de ce qu’ont établi le Comité contre la torture et la Cour européenne des droits de l’homme.

7.2En ce qui concerne l’article 3 de la Convention, l’auteur soutient que son intérêt supérieur n’a pas été pris en compte, puisque la présomption de minorité n’a pas été respectée ; en effet, il n’a jamais été considéré comme potentiellement mineur et le protocole prévu pour les mineurs étrangers non accompagnés n’a pas été appliqué. L’État partie affirme que l’auteur n’avait « aucun document d’identité », ce qui est inexact puisque, s’il n’avait pas de papiers à son arrivée en Espagne, une copie de son acte de naissance a été envoyée aux autorités le 21 juillet 2017, suivie par le document original le 28 juillet de la même année. Dans ces circonstances, l’État partie aurait dû transférer immédiatement l’auteur dans un centre pour mineurs ou, si le doute persistait, contacter les autorités consulaires guinéennes pour vérifier son identité. Qui plus est, si l’État partie estime que la présomption de minorité ne s’applique qu’en cas de doute, le document présenté par l’auteur crée, au minimum, des incertitudes.

7.3L’auteur soutient que l’on ne saurait affirmer que le ministère public a agi comme une sorte de représentant légal chargé de veiller à ses intérêts, le rôle joué par l’institution étant en réalité fort éloigné des compétences prévues dans les normes citées par l’État partie. Premièrement, le ministère public n’a jamais engagé de procédure visant à déterminer l’âge de l’auteur après que celui-ci a présenté son acte de naissance. Il s’est simplement déclaré incompétent au motif que l’auteur se trouvait déjà au centre pour étrangers de Madrid. Deuxièmement, il est inapproprié de parler de l’indépendance du ministère public, tant cette institution est hiérarchisée et imprégnée par les politiques fixées par l’exécutif à l’échelle nationale. De fait, des tribunaux ont reconnu l’existence d’une forme de conflit d’intérêts entre les mineurs étrangers non accompagnés et le ministère public, et ont insisté sur la nécessité d’assigner à ces mineurs un représentant légal ou de leur reconnaître la capacité d’agir en justice lorsque leurs intérêts ne coïncident pas avec ceux de l’entité tutélaire. On ne saurait donc affirmer que le ministère public a assumé de manière adéquate le rôle qui aurait dû incomber à un tuteur ou représentant légal, qui n’a jamais été désigné, comme l’exigent les articles 18 (par. 2) et 20 (par. 1) de la Convention. L’auteur n’a par conséquent jamais été placé sous tutelle. Concernant l’article 20 de la Convention plus particulièrement, les États parties sont tenus de prendre des mesures pour assurer la prise en charge et l’hébergement des mineurs privés de leur milieu familial. Cependant, après avoir été remis en liberté le 28 juillet 2017, et bien que le Comité ait demandé des mesures provisoires, l’auteur n’a jamais été conduit dans un centre de protection.

7.4En ce qui concerne la violation de l’article 8 de la Convention, l’auteur soutient que l’État partie a porté atteinte à des éléments importants de son identité en lui attribuant un âge et une date de naissance qui ne correspondent pas à ceux figurant sur le document officiel qu’il a présenté, document dont la validité n’a jamais été officiellement contestée. Il est reconnu, tant dans la loi organique no 4/2000 sur les droits et libertés et l’intégration sociale des étrangers en Espagne que dans la jurisprudence du Tribunal suprême, que ce sont les documents délivrés par le pays d’origine qui établissent l’identité d’un étranger, et non les registres tenus par les autorités de l’État partie.

7.5L’auteur affirme qu’on ne saurait dire qu’il a été dûment entendu car, bien qu’il ait déclaré être mineur à son arrivée en Espagne puis au commissariat d’Almería, il a été enregistré avec un âge qui n’était pas le sien, sans qu’aucune mesure soit prise pour vérifier ces données. En particulier, il n’a pas bénéficié de l’assistance d’un conseil à ce moment-là, et n’a donc pas disposé des garanties nécessaires à l’exercice du droit d’être entendu, compte tenu en particulier de la situation de stress dans laquelle il se trouvait. En outre, on ne peut pas dire que les conditions étaient réunies pour que l’auteur soit entendu au moment de sa demande d’asile lorsque, sous la pression (puisqu’on lui avait dit qu’un mineur ne pouvait pas demander l’asile et qu’il pouvait donc être renvoyé en Guinée), il n’a pas dit qu’il était mineur. Par conséquent, il y a eu violation de l’article 12 de la Convention.

7.6Pour ce qui est du droit consacré par l’article 27 de la Convention, l’auteur affirme que le seul argument avancé par l’État partie est sa supposée majorité. Ainsi, l’État partie lui-même reconnaît qu’il n’a pas respecté les obligations qui lui incombaient au titre de cet article en considérant l’auteur comme majeur. L’auteur souligne que l’État partie ne lui a pas garanti les conditions nécessaires à son développement physique, mental, spirituel et social. Ceci est d’autant plus pertinent que l’auteur était dans un état psychologique préoccupant, puisqu’il avait perdu son frère pendant la traversée et était orphelin.

7.7L’auteur affirme enfin qu’il y a eu violation de l’article 6 du Protocole car l’État partie n’a pas pris les mesures provisoires ordonnées par le Comité. Bien qu’il ait été libéré le 28 juillet 2017, il n’a jamais été transféré dans un centre de protection des mineurs ni placé sous la tutelle de la Communauté autonome de Madrid.

Intervention de tiers

8.Le 3 mai 2018, le Défenseur français des droits a soumis en qualité de tiers une intervention portant sur la question de la détermination de l’âge et du placement de mineurs dans des centres pour adultes dans l’attente de leur expulsion. Cette intervention a été transmise aux parties, qui ont été invitées à faire part de leurs commentaires. Elles ont soumis leurs commentaires dans le cadre de la communication J. A. B. c. Espagneet ont indiqué qu’ils étaient applicables à toutes les communications dans lesquelles il était fait référence à cette intervention. Dans un souci de concision, le Comité renvoie aux paragraphes 8 à 10 de cette communication.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 20 de son règlement intérieur au titre du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, déterminer si la communication est recevable.

9.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable ratione personae, car : a) l’apparence de l’auteur est celle d’une personne majeure ; b) à aucun moment avant la soumission de la communication au Comité l’auteur n’a dit être mineur ; c) son acte de naissance ne peut attester sa minorité étant donné qu’il ne contient pas de données biométriques. Le Comité note toutefois que l’auteur a soumis au parquet et au tribunal d’instruction des copies (puis les originaux) de son acte de naissance émis par la Guinée et du certificat de conformité de l’acte de naissance, qui établissent sa minorité. Il note en outre que l’État partie avance que, faute de données biométriques, les documents soumis ne peuvent pas servir à vérifier l’identité de l’auteur. Il rappelle que la charge de la preuve ne saurait incomber exclusivement à l’auteur de la communication, d’autant que l’auteur et l’État partie n’ont pas toujours le même accès aux éléments de preuve et que, souvent, seul l’État partie dispose des informations pertinentes. Il note également que l’auteur a fourni des preuves documentaires de sa minorité, dont la validité n’a pas été contestée par les autorités de l’État partie ou du pays d’origine de l’auteur. Compte tenu de tout ce qui précède, le Comité considère que l’article 7 (al. c)) du Protocole facultatif ne fait pas obstacle à la recevabilité de la communication.

9.3Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur n’a pas épuisé les recours internes disponibles, étant donné qu’il aurait pu : a) demander au ministère public de faire procéder à des examens médicaux supplémentaires ; b) demander au juge civil, en application de l’article 780 de la loi relative à la procédure civile, de réexaminer la décision au titre de laquelle il n’a pas été placé sous tutelle ; c) faire appel de la décision de renvoi devant la juridiction administrative ; d) former devant les tribunaux civils une demande en matière gracieuse aux fins de la détermination de l’âge, conformément à la loi no 15/2015. Parallèlement, il prend note des arguments de l’auteur selon lesquels les recours internes mentionnés par l’État partie ne lui sont pas ouverts ou ne sont pas utiles. Il estime que, dans le contexte de l’expulsion imminente de l’auteur du territoire espagnol, tout recours qui se prolongerait excessivement ou qui ne suspendrait pas l’exécution de la décision d’expulsion ne saurait être considéré comme utile. Il constate que l’État partie n’a pas démontré que les recours mentionnés suspendraient l’expulsion de l’auteur. Par conséquent, le Comité conclut que l’article 7 (al. e)) du Protocole facultatif ne fait pas obstacle à la recevabilité de la présente communication.

9.4Le Comité considère que les griefs soulevés par l’auteur au titre des articles 2, 18 (par. 2), 27 et 29 de la Convention n’ont pas été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et les déclare irrecevables au regard de l’article 7 (al. f)) du Protocole facultatif.

9.5Le Comité considère cependant que l’auteur a suffisamment étayé les griefs qu’il soulève au titre des articles 3, 8, 12 et 20 de la Convention, en ce sens qu’aucun représentant ne lui a été assigné après qu’il a déclaré être mineur, que son droit d’être présumé mineur n’a pas été respecté, que son droit à l’identité a été violé et qu’il n’a pas bénéficié de la protection à laquelle il pouvait prétendre en tant que mineur. Par conséquent, le Comité déclare cette partie de la communication recevable et décide de procéder à son examen au fond.

Examen au fond

9.6Conformément à l’article 10 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

9.7Le Comité doit déterminer si, dans les circonstances de l’espèce, sachant qu’il a soumis des documents attestant sa minorité, les droits que l’auteur tient de la Convention ont été violés. En particulier, l’auteur affirme qu’il n’a pas été tenu compte de son intérêt supérieur en tant qu’enfant, puisque les documents qu’il a soumis n’ont pas été pris en considération et qu’aucun tuteur ou représentant ne lui a été assigné.

9.8Le Comité rappelle que la détermination de l’âge d’une personne jeune qui affirme être mineure revêt une importance capitale, puisque le résultat de cette procédure permet d’établir si la personne en question peut ou non prétendre à la protection de l’État en qualité d’enfant. De même, et cela est extrêmement important pour le Comité, la jouissance des droits consacrés par la Convention est liée à cette détermination. Il est donc impératif qu’il existe une procédure adéquate pour déterminer l’âge et qu’il soit possible d’en contester les résultats au moyen d’une procédure de recours. Tant que les procédures en question sont en cours, l’intéressé doit être présumé mineur et être traité comme un enfant. Par conséquent, le Comité rappelle que l’intérêt supérieur de l’enfant devrait être une considération primordiale tout au long de la procédure de détermination de l’âge.

9.9Le Comité rappelle en outre que les documents disponibles doivent être considérés comme authentiques, sauf preuve du contraire. Ce n’est qu’en l’absence de documents d’identité ou d’autres moyens appropriés que, pour estimer l’âge sur des bases solides,

les États doivent faire procéder à une évaluation complète du développement physique et psychologique de l’enfant par des pédiatres, des spécialistes et d’autres professionnels capables d’examiner conjointement différents aspects du développement. Ces évaluations devraient être faites sans attendre, d’une manière respectueuse de l’enfant qui tienne compte de son sexe et soit culturellement adaptée, et comporter des entretiens avec l’enfant dans une langue que celui-ci comprend.

La personne soumise à l’évaluation doit se voir accorder le bénéfice du doute. En l’espèce, le Comité constate que la validité des documents officiels présentés par l’auteur, à savoir l’extrait de son acte de naissance et le certificat d’authenticité de cet acte, n’a pas été contestée par l’État partie.

9.10Le Comité note que :

a)L’auteur a affirmé être mineur au plus tard le 20 juillet 2017, alors qu’il était détenu au centre pour étrangers dans l’attente de l’exécution d’une décision d’expulsion ;

b)Le 21 juillet 2017, il a présenté des copies de documents attestant qu’il était mineur ;

c)Le 28 juillet, il a présenté les originaux de ces documents et a été remis en liberté ;

d)Le tribunal d’instruction no 1 d’Almería a rejeté la demande présentée par l’auteur (comprenant la demande de mesures provisoires du Comité) concernant son placement dans un centre pour mineurs au motif que les documents soumis n’étaient pas valables car ils ne comportaient pas de données biométriques ;

e)Aucune procédure de détermination de l’âge de l’auteur n’a été menée à bien.

9.11Le Comité note que l’État partie affirme que l’auteur avait manifestement l’apparence d’une personne majeure. Il rappelle néanmoins son observation générale no 6 dans laquelle il établit qu’il ne faut pas se fonder uniquement sur l’apparence physique de l’individu mais aussi sur son degré de maturité psychologique, que l’évaluation doit être menée scientifiquement, dans le souci de la sécurité de l’enfant, de manière adaptée à son statut d’enfant et à son sexe et équitablement, et qu’en cas d’incertitude persistante, le bénéfice du doute doit être accordé à l’intéressé, qu’il convient de traiter comme un enfant si la possibilité existe qu’il s’agisse effectivement d’un mineur.

9.12Le Comité prend également note des allégations de l’auteur selon lesquelles aucun tuteur ou représentant n’a été désigné pour défendre ses intérêts en tant que personne pouvant être un enfant migrant non accompagné. Il rappelle que les États parties sont tenus d’assurer à tous les jeunes étrangers qui affirment être mineurs, le plus rapidement possible après leur arrivée sur le territoire, l’assistance gratuite d’un représentant légal qualifié et, le cas échéant, d’un interprète. Il considère que le fait de faciliter la représentation de ces personnes au cours de la procédure de détermination de l’âge constitue une garantie essentielle pour le respect de leur intérêt supérieur et de leur droit d’être entendues, le rôle joué par les services du ministère public chargé de la protection des mineurs n’étant pas suffisant à cet égard. Ne pas le faire constitue une violation des articles 3 et 12 de la Convention, puisque la procédure de détermination de l’âge est le point de départ de l’application de la Convention. Le défaut de représentation adéquate peut donner lieu à une grave injustice.

9.13Le Comité prend également note de l’affirmation de l’État partie selon laquelle un mineur non accompagné est considéré comme ayant des papiers s’il est en possession d’un passeport ou d’un document d’identité analogue attestant son âge et comportant des données biométriques. Non seulement s’agit-il d’une exigence que ne pose pas la jurisprudence du Tribunal suprême de l’État partie lui-même (note 16, supra), mais on ne saurait agir dans un sens contraire à ce qu’établit un acte de naissance original et officiel délivré par un pays souverain sans avoir officiellement contesté la validité ce document. En outre, le Comité note que le Tribunal suprême de l’État partie a récemment rendu une décision dans les mêmes termes.

9.14Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que l’absence de procédure visant à déterminer l’âge de l’auteur, qui se disait mineur, le fait que les documents officiels soumis par l’auteur et délivrés par son pays d’origine n’aient pas été correctement pris en considération et la non-désignation d’un tuteur ont constitué une violation des droits que l’auteur tient de la Convention. En conséquence, il considère que l’intérêt supérieur de l’enfant n’a pas été une considération primordiale pendant la procédure à laquelle l’auteur a été soumis, en violation des articles 3 et 12 de la Convention.

9.15Le Comité prend également note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle l’État partie a violé les droits consacrés par l’article 8 de la Convention, car il a porté atteinte à certains éléments de son identité en lui attribuant un âge qui ne correspondait pas aux informations figurant sur le document officiel délivré par son pays d’origine. Il considère que la date de naissance d’un enfant fait partie de son identité et que les États parties sont tenus de respecter le droit de l’enfant de préserver son identité, sans priver l’enfant d’aucun des éléments qui la constituent. En l’espèce, le Comité constate que l’État partie n’a pas respecté l’identité de l’auteur dès lors qu’il a refusé d’accorder toute valeur probante aux documents officiels attestant sa minorité, sans même en avoir contrôlé la validité ni avoir vérifié les données figurant sur ces documents auprès des autorités du pays d’origine de l’auteur. Enconséquence, le Comité conclut que l’État partie a violé l’article 8 de la Convention.

9.16Le Comité prend également note des affirmations de l’auteur, que l’État partie n’a pas contestées, selon lesquelles l’État partie ne l’a pas protégé en dépit de la situation d’abandon et de grande vulnérabilité dans laquelle il se trouvait en tant que mineur migrant non accompagné. Il observe que cette absence de protection s’est poursuivie, même après que l’auteur a présenté aux autorités espagnoles son acte de naissance et, en particulier, après que le centre pour étrangers l’a remis en liberté. Par conséquent, il considère que ce qui précède constitue une violation de l’article 20 (par. 1) de la Convention.

9.17Enfin, le Comité note que l’auteur affirme que l’État partie n’a pas pris les mesures provisoires demandées, à savoir son transfert dans un centre de protection des mineurs. Il rappelle qu’en ratifiant le Protocole facultatif, les États parties se sont engagée à mettre en œuvre les mesures provisoires demandées en application de l’article 6 du Protocole facultatif, qui visent à prévenir tout préjudice irréparable tant qu’une communication est en cours d’examen et, partant, à assurer l’efficacité de la procédure de présentation de communications émanant de particuliers. En l’espèce, il prend note de l’argument de l’État partie selon lequel le transfert de l’auteur dans un centre de protection de l’enfance pourrait mettre gravement en danger les enfants accueillis dans ces centres. Il observe toutefois que cet argument est fondé sur l’hypothèse que l’auteur est majeur. En conséquence, le Comité estime que la non-application des mesures provisoires demandées constitue en elle-même une violation de l’article 6 du Protocole facultatif.

9.18Le Comité des droits de l’enfant, agissant en vertu l’article 10 (par. 5) du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des articles 3, 8, 12 et 20 (par. 1) de la Convention et de l’article 6 du Protocole facultatif.

10.En conséquence, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur une réparation effective pour les violations subies. Il a également l’obligation d’empêcher que de telles violations ne se reproduisent. À cet égard, le Comité recommande à l’État partie :

a)De garantir que toute procédure visant à déterminer l’âge de jeunes gens qui affirment être mineurs soit conforme à la Convention et, en particulier :

i)Que les documents soumis par les jeunes gens en question soient pris en considération et que, dès lors qu’ils ont été établis ou que leur validité a été confirmée par l’État concerné ou son ambassade, leur authenticité soit reconnue ;

ii)Que les jeunes gens concernés se voient assigner sans délai et gratuitement un représentant légal qualifié ou un autre représentant, que les avocats privés désignés pour les représenter soient reconnus et que tous les représentants légaux ou autres représentants soient autorisés à les assister pendant la procédure ;

b)De garantir que les jeunes non accompagnés qui affirment avoir moins de 18 ans se voient assigner un tuteur compétent le plus rapidement possible, y compris lorsque la procédure de détermination de l’âge est encore en cours ;

c)De mettre en place un mécanisme de réparation efficace et accessible pour les jeunes migrants non accompagnés qui affirment être âgés de moins de 18 ans, afin qu’ils puissent demander le réexamen des décisions des autorités par laquelle ils ont été déclarés majeurs dans les cas où la procédure de détermination de leur âge a été menée sans les garanties nécessaires pour protéger leur intérêt supérieur et leur droit d’être entendu ;

d)De dispenser aux agents des services de l’immigration, aux policiers, aux fonctionnaires du ministère public, aux juges et aux autres professionnels concernés des formations sur les droits des enfants migrants, et en particulier sur la teneur de l’observation générale no 6 du Comité, l’observation générale conjointe no 3 du Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille et no 22 du Comité des droits de l’enfant (2017) sur les principes généraux relatifs aux droits de l’homme des enfants dans le contexte des migrations et l’observation générale conjointe no 23 susmentionnée.

11.Conformément à l’article 11 du Protocole facultatif, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dès que possible et dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures qu’il aura prises pour donner effet aux présentes constatations. Il lui demande également de faire figurer des renseignements sur ces mesures dans les rapports qu’il soumettra au titre de l’article 44 de la Convention. Enfin, l’État partie est invité à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement.