Nations Unies

CAT/C/GC/4

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

4 septembre 2018

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Observation générale no 4 (2017) sur l’application de l’article 3 de la Convention dans le contexte de l’article 22 *

I.Introduction

1.Compte tenu de l’expérience qu’il a acquise de l’examen de communications soumises par des particuliers en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants concernant des violations présumées de l’article 3 de la Convention par les États parties, le Comité contre la torture, à ses cinquante-cinquième à cinquante-huitième sessions, en 2015 et 2016, a examiné et décidé de réviser son observation générale no 1 (1997), intitulée « Observation générale sur l’application de l’article 3 dans le contexte de l’article 22 de la Convention contre la torture », qu’il avait adoptée à sa dix-neuvième session (voir A/53/44 et A/53/44/Corr.1, annexe IX).

2.À sa cinquante-neuvième session, tenue du 7 novembre au 7 décembre 2016, le Comité a engagé le processus de rédaction de l’observation générale révisée, en tenant compte des recommandations relatives aux consultations à tenir aux fins de l’élaboration des observations générales qui ont été formulées par les présidents des organes conventionnels des droits de l’homme à leur vingt-septième réunion, tenue à San José du 22 au 26 juin 2015 (voir A/70/302, par. 91).

3.À sa 1614e séance, tenue le 6 décembre 2017 pendant sa soixante-deuxième session, le Comité a décidé que son observation générale no 1 serait remplacée par le texte ci-après, qu’il a adopté à cette même date.

4.Aux fins de la présente observation générale, le terme « expulsion » englobe, sans s’y limiter, l’expulsion, l’extradition, le renvoi forcé, le transfert forcé, le transfèrement, le refus d’admission à la frontière et le refoulement (y compris en mer) d’une personne ou d’un groupe de personnes d’un État partie vers un autre État.

II.Principes généraux

5.Le paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention dispose qu’« [a]ucun État Partie n’expulsera, ne refoulera, ni n’extradera une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture ».

6.Conformément à l’article 22 de la Convention, le Comité reçoit et examine des communications présentées par ou pour le compte de particuliers relevant de la juridiction d’un État partie qui prétendent être victimes d’une violation, par celui-ci, des dispositions de la Convention, dès lors que cet État partie a déclaré qu’il reconnaissait la compétence du Comité à cet égard.

7.La plupart des communications que le Comité reçoit ont trait à des violations présumées de l’article 3 de la Convention par des États parties. La présente observation générale a pour objet de donner aux États parties, ainsi qu’aux auteurs de communications et à leurs représentants, des indications quant à la portée de l’article 3 et aux modalités selon lesquelles le Comité apprécie la recevabilité et le fond des communications qui lui sont soumises par des particuliers pour examen.

8.Le Comité rappelle que l’interdiction de la torture, telle qu’elle est définie à l’article premier de la Convention, est absolue. Le paragraphe 2 de l’article 2 de la Convention dispose qu’« [a]ucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, qu’il s’agisse de l’état de guerre ou de menace de guerre, d’instabilité politique intérieure ou de tout autre état d’exception, ne peut être invoquée pour justifier la torture ». Le Comité rappelle en outre que les autres mauvais traitements sont également interdits et qu’il ne peut pas non plus être dérogé à cette interdiction.

9.Est également absolu le principe de non-refoulement des personnes vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elles risqueraient d’être soumise à la torture.

10.Chaque État partie est tenu d’appliquer le principe de non-refoulement sur tout territoire sous sa juridiction, dans toute zone sous son contrôle ou son autorité et à bord des aéronefs et des navires immatriculés dans l’État partie à toute personne, y compris toute personne sollicitant une protection internationale ou ayant besoin d’une telle protection, sans aucune forme de discrimination, quelle que soit sa nationalité et même si elle est apatride, et quel que soit son statut sur le plan juridique, administratif ou judiciaire au regard de la législation ordinaire ou des lois d’exception. Ainsi que le Comité l’a indiqué au paragraphe 7 de son observation générale no 2, la notion de « territoire sous sa juridiction » s’entend de tout territoire ou établissement et doit être appliquée sans discrimination d’aucune sorte de manière à protéger quiconque, ressortissant ou non-ressortissant, relève de droit ou de fait d’un État partie.

11.L’obligation de non-refoulement visée à l’article 3 de la Convention existe chaque fois qu’il y a des « motifs sérieux » de croire que l’intéressé risque d’être soumis à la torture dans l’État vers lequel il doit être expulsé, que ce soit à titre individuel ou en tant que membre d’un groupe susceptible d’être torturé dans l’État de destination. Le Comité a pour pratique de considérer que des « motifs sérieux » existent chaque fois que le risque de torture est « prévisible, personnel, actuel et réel ».

12.Toute personne dont il est établi qu’elle risquerait d’être soumise à la torture si elle était expulsée vers un État donné devrait être autorisée à demeurer sur le territoire sous la juridiction, le contrôle ou l’autorité de l’État partie concerné aussi longtemps que le risque persiste. Cette personne ne doit pas être placée en détention sans fondement juridique valable et sans se voir offrir les garanties juridiques voulues. La détention doit toujours être une mesure exceptionnelle fondée sur une appréciation individuelle, et faire l’objet d’un réexamen régulier. En outre, la personne en situation de risque ne doit en aucun cas être expulsée vers un autre État duquel elle pourrait par la suite être expulsée vers un troisième État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risquerait d’être soumise à la torture.

13.Chaque cas devrait faire l’objet d’un examen individuel, impartial et indépendant par les autorités administratives et/ou judiciaires compétentes de l’État partie concerné, mené dans le respect des garanties procédurales essentielles, notamment les garanties relatives à la rapidité et à la transparence de la procédure, au réexamen de la décision d’expulsion et à l’effet suspensif du recours. Dans chaque cas, la personne concernée doit être informée de la décision d’expulsion dans les meilleurs délais. L’expulsion collective, sans examen objectif de chaque cas particulier en ce qui concerne le risque couru personnellement, devrait être considérée comme une violation du principe de non‑refoulement.

14.Les États parties ne devraient pas adopter des mesures ou des politiques dissuasives − telles que la détention dans de mauvaises conditions pour une durée indéterminée, le refus de traiter des demandes d’asile, le traitement de ces demandes dans des délais excessivement longs ou la réduction des fonds destinés aux programmes d’assistance aux demandeurs d’asile − qui contraindraient des personnes ayant besoin d’une protection au titre de l’article 3 de la Convention à retourner dans leur pays d’origine malgré le risque auquel elles seraient personnellement exposées d’y être soumises à la torture ou à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

15.L’article 16 de la Convention fait obligation aux États parties d’interdire les actes constitutifs de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (mauvais traitements) qui ne sont pas des actes de torture telle qu’elle est définie à l’article premier de la Convention.

16.Avant de se prononcer sur un cas donné ayant trait au principe de non-refoulement, les États parties devraient examiner la question de savoir si la nature des autres formes de mauvais traitements que risque de subir la personne concernée en cas d’expulsion est susceptible d’évoluer de telle manière que ces mauvais traitements constitueraient de la torture.

17.Le Comité considère qu’une douleur ou des souffrances aiguës ne peuvent pas toujours être appréciées objectivement. Elles sont fonction des conséquences physiques et/ou psychologiques négatives que les actes violents et les mauvais traitements infligés ont sur la personne concernée, compte tenu de toutes les circonstances de chaque cas, y compris la nature du traitement, le sexe, l’âge, l’état de santé et la fragilité de la victime, ainsi que de tout autre état ou facteur.

III.Mesures de prévention à prendre pour garantir le principe de non-refoulement

18.Pour garantir l’application intégrale de l’article 3 de la Convention, les États parties devraient prendre des mesures législatives, administratives, judiciaires et autres visant à prévenir de possibles violations du principe de non-refoulement, notamment :

a)Garantir le droit de toute personne concernée de voir sa situation examinée individuellement et non collectivement et d’être pleinement informée des raisons pour lesquelles elle fait l’objet d’une procédure pouvant déboucher sur une décision d’expulsion et des voies de droit qui lui sont ouvertes pour recourir contre une telle décision ;

b)Assurer à la personne concernée l’accès à un avocat et à une aide juridictionnelle gratuite, si nécessaire, ainsi qu’aux représentants des organisations internationales compétentes en matière de protection ;

c)Mener la procédure administrative ou judiciaire dont fait l’objet la personne concernée dans une langue qu’elle comprend ou avec l’assistance d’interprètes et de traducteurs ;

d)Faire procéder à un examen médical gratuit, réalisé par un médecin indépendant, de toute personne qui déclare avoir été soumise à la torture, conformément au Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocol d’Istanbul) ;

e)Garantir le droit de toute personne faisant l’objet d’une décision d’expulsion de former un recours suspensif de l’exécution de cette décision auprès d’un organe administratif et/ou judiciaire indépendant dans un délai raisonnable à compter de la notification de la décision ;

f)Dispenser à tous les fonctionnaires qui ont affaire à des personnes faisant l’objet d’une procédure d’expulsion une formation appropriée sur le respect des dispositions de l’article 3 de la Convention, afin d’éviter que des décisions contraires au principe de non-refoulement soient prises ;

g)Former adéquatement le personnel médical et les autres catégories de personnel qui ont affaire à des détenus, des migrants et des demandeurs d’asile aux moyens de déceler et d’attester les signes de torture, en s’appuyant sur le Protocole d’Istanbul.

IV.Assurances diplomatiques

19.Le terme « assurances diplomatiques », tel qu’il est employé dans le contexte du transfert d’une personne d’un État vers un autre, désigne l’engagement formel que prend l’État destinataire à l’effet que la personne concernée sera traitée dans le respect des conditions fixées par l’État d’envoi et conformément aux normes internationales relatives aux droits de l’homme.

20.Le Comité considère que les assurances diplomatiques d’un État partie à la Convention vers lequel une personne doit être expulsée ne devraient pas être utilisées pour contourner le principe de non‑refoulement tel qu’il est établi à l’article 3 de la Convention et y porter atteinte, lorsqu’il y a des motifs sérieux de croire que l’intéressé risque d’être soumis à la torture dans cet État.

V.Réparation

21.Le Comité rappelle qu’il considère que le mot « réparation » (« redress ») employé à l’article 14 englobe non seulement la « réparation » mais aussi le « recours utile » (« effective remedy »). La notion générale de réparation comporte donc la restitution, l’indemnisation, la réadaptation, la satisfaction et les garanties de non-répétition et elle vise toute l’étendue des mesures requises pour réparer les violations de la Convention.

22.Les États parties devraient tenir compte du fait que les victimes de torture et d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants souffrent de traumatismes physiques et psychologiques qui peuvent entraîner la nécessité pour elles de disposer de services de réadaptation spécialisés et d’y accéder à long terme. Une fois qu’il a été médicalement certifié que leur état de santé nécessitait un traitement, ces personnes ne devraient pas être expulsées vers un État où les services médicaux dont elles ont besoin ne sont pas disponibles ou garantis.

VI.Article 3 de la Convention et traités d’extradition

23.Un État partie peut se trouver face à un conflit entre les obligations que lui impose l’article 3 de la Convention et les obligations auxquelles il a souscrit au titre d’un traité multilatéral ou bilatéral d’extradition, en particulier lorsque le traité en question a été conclu avant la ratification de la Convention avec un État qui n’est pas partie à la Convention et, par conséquent, quand il n’était pas encore lié par les dispositions de l’article 3.

24.Le Comité est conscient que le délai dans lequel doit intervenir l’extradition d’une personne aux fins de poursuites pénales ou de l’exécution d’une peine, dans le cas où l’intéressé a soumis une communication au titre de l’article 22 de la Convention en invoquant le principe de non-refoulement, est un élément crucial pour ce qui est du respect par l’État des obligations qui lui incombent à la fois au titre de la Convention et au titre d’un traité d’extradition auquel il est partie. Le Comité demande donc à tout État partie qui se trouverait dans une situation de conflit potentiel entre les obligations souscrites au titre de la Convention et celles résultant d’un traité d’extradition de l’en informer dès le début de la procédure de plainte engagée par un particulier à son égard, afin que le Comité tente d’examiner en priorité la communication en question avant l’expiration du délai impératif d’exécution de la décision d’extradition. L’État partie concerné devrait toutefois être conscient que le Comité ne peut accorder la priorité à l’examen d’une telle communication et à l’adoption d’une décision la concernant que pendant ses sessions.

25.En outre, les États parties à la Convention qui envisagent de conclure un traité d’extradition ou d’adhérer à un tel traité devraient s’assurer qu’il n’existe pas de conflit entre la Convention et le traité en question et, en cas de conflit, devraient faire figurer dans l’acte d’adhésion au traité d’extradition une clause indiquant qu’en cas de conflit, la Convention prime.

VII.Liens entre l’article 3 et l’article 16 de la Convention

26.L’article 3 de la Convention, qui offre une protection contre l’expulsion d’une personne qui risquerait d’être soumise à la torture dans le pays vers lequel elle serait expulsée, devrait être sans préjudice du paragraphe 2 de l’article 16 de la Convention, en particulier lorsque la personne devant être expulsée bénéficierait d’une protection supplémentaire, au titre d’instruments internationaux ou de la législation nationale, contre l’expulsion vers un État où elle courrait le risque d’être soumise à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

VIII.Obligation des États parties d’examiner les situations relatives aux droits de l’homme dans lesquelles le principe de non-refoulement s’applique

27.Le paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention dispose que pour déterminer s’il y a des motifs de croire qu’une personne risque d’être soumise à la torture si elle est expulsée, renvoyée ou extradée, les autorités compétentes tiennent compte de toutes les considérations pertinentes, y compris, le cas échéant, de l’existence dans l’État concerné d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives.

28.Le Comité observe à ce sujet que les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, qu’ils soient ou non constitutifs d’actes de torture, auxquels une personne ou sa famille ont été exposées dans leur pays d’origine ou seraient exposées dans le pays vers lequel elles doivent être expulsées, constituent une indication que cette personne risque d’être soumise à la torture si elle est expulsée, renvoyée ou extradée vers l’un de ces pays. Une telle indication devrait être prise en compte par les États parties en tant qu’élément fondamental justifiant l’application du principe de non-refoulement.

29.À cet égard, le Comité tient à appeler l’attention des États parties sur certains exemples non exhaustifs de situations relatives aux droits de l’homme pouvant être indicatives d’un risque de torture à prendre en compte dans leurs décisions d’expulsion du territoire et aux fins de l’application du principe de non-refoulement. Les États parties devraient déterminer en particulier :

a)Si la personne concernée a été arrêtée arbitrairement, sans mandat, dans son pays d’origine et/ou si elle a été privée des garanties fondamentales dont doivent bénéficier les personnes détenues par la police, telles que :

i)La notification des motifs de son arrestation par écrit et dans une langue qu’elle comprend ;

ii)La possibilité de prévenir un membre de sa famille ou une personne de son choix de son arrestation ;

iii)L’accès à un avocat à titre gratuit s’il y a lieu ou, sur demande, l’accès à un avocat de son choix à ses frais, pour sa défense ;

iv)L’accès à un médecin indépendant pour examen et traitement médical ou, aux mêmes fins, l’accès à un médecin de son choix, à ses frais ;

v)L’accès à un personnel médical spécialisé indépendant pour corroborer ses allégations de torture ;

vi)L’accès à une institution judiciaire indépendante qui ait compétence pour examiner ses griefs concernant les traitements subis en détention, dans les délais fixés par la loi ou dans un délai raisonnable à fixer pour chaque cas particulier ;

b)Si la personne a été victime de brutalités ou d’un usage excessif de la force par des agents de l’État pour des motifs fondés sur toute forme de discrimination dans son pays d’origine, ou si elle serait exposée à de tels actes dans le pays vers lequel elle doit être expulsée ;

c)Si, dans son pays d’origine ou dans le pays vers lequel elle doit être expulsée, la personne a été ou serait victime d’actes de violence, y compris de violence sexuelle ou fondée sur le genre, en public ou en privé, de persécutions fondées sur le genre ou de mutilations génitales constitutives de torture sans que les autorités compétentes de l’État concerné interviennent pour assurer sa protection ;

d)Si la personne a été jugée dans son pays d’origine, ou serait jugée dans le pays vers lequel elle doit être expulsée, dans le cadre d’un système judiciaire qui ne garantit pas le droit à un procès équitable ;

e)Si la personne concernée a déjà été détenue ou incarcérée dans son pays d’origine ou serait détenue ou incarcérée, en cas d’expulsion, dans des conditions constitutives de torture ou de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;

f)Si la personne concernée risquerait d’être condamnée à une peine de châtiment corporel en cas d’expulsion vers un État dans lequel, bien que les châtiments corporels soient autorisés par la législation nationale, cette peine pourrait constituer une forme de torture ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants au regard du droit international coutumier et de la jurisprudence du Comité et d’autres mécanismes internationaux et régionaux reconnus de protection des droits de l’homme ;

g)Si la personne concernée serait expulsée vers un État pour lequel il existe des allégations crédibles ou des preuves de crimes de génocide, crimes contre l’humanité ou crimes de guerre, au sens des articles 6, 7 et 8 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, qui ont été soumises à la Cour pour examen ;

h)Si la personne concernée serait expulsée vers un État partie aux Conventions de Genève du 12 août 1949 et à leurs protocoles dont il est allégué ou prouvé qu’il a commis des violations de l’article 3 commun aux quatre Conventions de Genève du 12 août 1949 et/ou de l’article 4 du Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (Protocole II) et, en particulier : i) du paragraphe 1 a) de l’article 3 des quatre Conventions de Genève ; ii) des paragraphes 1 et 2 de l’article 4 du Protocole II ;

i)Si la personne concernée serait expulsée vers un État dont il est allégué ou prouvé qu’il a commis des violations de l’article 12 de la Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre (troisième Convention de Genève) ;

j)Si la personne concernée serait expulsée vers un État dont il est allégué ou prouvé qu’il a commis des violations des articles 32 ou 45 de la Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre (quatrième Convention de Genève) ou du paragraphe 2 de l’article 75 du Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I) ;

k)Si la personne concernée serait expulsée vers un État où le droit inhérent à la vie est refusé et où elle serait exposée notamment à un risque d’exécution extrajudiciaire ou de disparition forcée, ou vers un État dans lequel la peine de mort est en vigueur, lorsque celle-ci est considérée comme une forme de torture ou de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants par l’État partie qui procède à l’expulsion, en particulier :

i)Si ce dernier a aboli la peine de mort ou instauré un moratoire sur son exécution ;

ii)Lorsque la peine de mort peut être imposée pour des crimes qui ne sont pas considérés par l’État partie qui procède à l’expulsion comme faisant partie des crimes les plus graves ;

iii)Lorsque la peine de mort est appliquée pour des crimes commis par des personnes de moins de 18 ans, ou à des femmes enceintes ou des mères allaitantes ou des personnes qui présentent un handicap mental sévère ;

l)L’État partie devrait aussi évaluer si les circonstances et les méthodes d’exécution de la peine de mort ainsi que la durée prolongée et les conditions de la détention de la personne condamnée à mort en attente d’exécution pourraient constituer de la torture ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant aux fins de l’application du principe de non-refoulement ;

m)Si la personne concernée serait expulsée vers un État où elle-même, les membres de sa famille ou les témoins de son arrestation et de sa détention ont subi ou risquent de subir des représailles constitutives de torture, comme des actes de violence et de terrorisme, des disparitions forcées, des assassinats ou des actes de torture ;

n)Si la personne concernée serait expulsée vers un État où elle a été soumise ou risque d’être soumise à l’esclavage et au travail forcé ou à la traite des êtres humains ;

o)Si la personne concernée est âgée de moins de 18 ans et serait expulsée vers un État dans lequel ont été commises ou pourraient être commises des violations des droits fondamentaux des enfants entraînant un préjudice irréparable, telles que le recrutement d’enfants comme combattants en vue de les faire participer directement ou indirectement à des hostilités ou à des fins de services sexuels.

IX.Acteurs non étatiques

30.Les États parties devraient aussi s’abstenir d’expulser des personnes vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elles risqueraient d’être soumises à la torture ou à d’autres mauvais traitements par des entités non étatiques, y compris des groupes qui commettent illégalement des actes de nature à causer une douleur ou des souffrances aiguës à des fins proscrites par la Convention, sur lesquels les autorités de l’État concerné n’exercent de fait aucun contrôle ou seulement un contrôle partiel ou dont elles ne sont pas en mesure de contrer l’impunité.

X.Conditions applicables aux communications présentées par des particuliers au titre de l’article 22 de la Convention et mesures provisoires de protection

A.Recevabilité

31.Le Comité estime qu’il incombe à l’auteur d’une communication d’étayer ses griefs de violation de l’article 3 de la Convention par des arguments exhaustifs qui lui permettent de conclure, à première vue (prima facie) ou sur la base de renseignements complémentaires, si nécessaires, qu’il y a lieu d’examiner ceux-ci en vertu de l’article 22 de la Convention et que la communication remplit chacune des conditions énoncées à l’article 113 du Règlement intérieur du Comité.

32.Les obligations contractées par l’État partie en vertu de la Convention le lient à compter de la date de l’entrée en vigueur de la Convention pour cet État partie. Toutefois, le Comité examine les communications concernant des violations présumées de la Convention survenues avant que l’État partie ne déclare reconnaître la compétence du Comité en vertu de l’article 22 de la Convention si les effets de ces violations ont continué après la déclaration faite par l’État partie et si ces effets peuvent en eux-mêmes constituer une violation de la Convention.

33.En ce qui concerne le paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, qui dispose que le Comité n’examine aucune communication émanant d’un particulier sans s’être assuré que la même question n’a pas été et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, le Comité considère que l’expression « la même question » devrait être comprise comme désignant une question qui se rapporte aux mêmes parties, aux mêmes faits et aux mêmes droits substantiels.

34.Conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, le requérant doit avoir épuisé tous les recours internes disponibles en droit et dans la pratique qui sont susceptibles de donner satisfaction. Le paragraphe 5 b) de l’article 22 précise que cette règle ne s’applique pas si les procédures de recours excèdent des délais raisonnables ou s’il est peu probable qu’elles constituent un recours utile pour la personne victime de la violation de la Convention. Dans le contexte de l’article 3 de la Convention, le Comité considère que les recours qui doivent être épuisés par le requérant sont ceux qui sont directement liés au risque d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait expulsé, et non les recours susceptibles de lui permettre de rester dans l’État partie pour d’autres raisons.

35.Le Comité considère en outre qu’un recours utile, s’agissant de la mise en œuvre du principe de non-refoulement, devrait être un recours qui permette, dans la pratique, d’empêcher l’expulsion du requérant lorsqu’il existe des motifs sérieux de croire qu’il courrait personnellement le risque d’être soumis à la torture s’il était expulsé vers un autre pays. Ce recours devrait être juridiquement fondé et non consenti à titre gracieux par les autorités concernées, et il devrait pouvoir être exercé dans la pratique sans obstacle d’aucune nature.

B.Mesures provisoires de protection

36.Lorsque le Comité, ou des membres désignés par lui, soumet à l’attention urgente de l’État partie concerné, une fois que la décision d’expulsion prise par les autorités nationales est devenue exécutoire selon les informations disponibles, une demande tendant à ce qu’il prenne les mesures provisoires que le Comité juge nécessaires pour éviter qu’un préjudice irréparable ne soit causé à la victime ou aux victimes de la violation présumée de l’article 3 de la Convention, conformément à l’article 114 du Règlement intérieur du Comité, l’État partie devrait se conformer à cette demande en toute bonne foi.

37.Le non-respect par l’État partie de la demande du Comité porterait gravement atteinte à l’efficacité des délibérations du Comité et jetterait de sérieux doutes sur la volonté de l’État partie d’appliquer de bonne foi l’article 22 de la Convention. Le Comité a donc établi que le fait de ne pas donner suite à sa demande de mesures provisoires constituait une violation de l’article 22.

C.Fond

38.Pour ce qui est de l’application de l’article 3 de la Convention à l’examen sur le fond d’une communication présentée en vertu de l’article 22 de la Convention, c’est à l’auteur de la communication qu’il incombe de présenter des arguments défendables, c’est-à-dire de montrer de façon détaillée qu’il court personnellement un risque prévisible, réel et actuel d’être soumis à la torture. Toutefois, lorsque le requérant se trouve dans une situation dans laquelle il n’est pas en mesure de donner des précisions, par exemple, lorsqu’il a démontré qu’il n’avait pas de possibilité d’obtenir les documents concernant ses allégations de torture ou lorsqu’il est privé de sa liberté, la charge de la preuve est inversée et il incombe à l’État concerné d’enquêter sur les allégations et de vérifier les renseignements sur lesquels est fondée la communication.

39.Il est de la responsabilité de l’État partie, au niveau national, d’évaluer, dans le cadre de procédures administratives et/ou judiciaires, s’il y a des motifs sérieux de croire que le requérant courrait personnellement un risque prévisible, réel et actuel d’être soumis à la torture dans l’État vers lequel il serait renvoyé.

40.Dans sa procédure d’évaluation, l’État partie devrait veiller à ce que la personne concernée bénéficie des garanties fondamentales, en particulier si elle est privée de liberté ou se trouve dans une situation de vulnérabilité particulière, comme dans le cas des demandeurs d’asile, des mineurs non accompagnés, des femmes victimes de violences ou des personnes handicapées (mesures de protection).

41.Les garanties et mesures de protection devraient comprendre une assistance linguistique, juridique, médicale, sociale et, si nécessaire, financière, ainsi que le droit de former recours contre la décision d’expulsion dans un délai qui soit raisonnable pour une personne se trouvant dans une situation précaire et stressante, avec effet suspensif de l’exécution de la mesure d’expulsion. En particulier, un examen médical par un médecin qualifié devrait toujours être pratiqué, y compris à la demande du requérant pour prouver les actes de torture qu’il affirme avoir subis, quelle que soit l’appréciation faite par les autorités de la crédibilité de ses allégations, afin que les autorités compétentes soient en mesure d’apprécier le risque de torture en se fondant sur les résultats des examens médicaux et psychologiques, de façon qu’il ne subsiste aucun doute raisonnable.

42.Les victimes de torture et les autres personnes vulnérables souffrent souvent d’un syndrome de stress post-traumatique, qui peut se traduire par un large éventail de symptômes, parmi lesquels l’évitement involontaire et la dissociation. Ces symptômes peuvent nuire à la capacité de la personne d’exposer tous les détails pertinents ou de faire un récit cohérent tout au long de la procédure. Afin de garantir que les victimes de torture ou les autres personnes vulnérables disposent d’un recours utile, les États parties devraient s’abstenir de suivre une procédure normalisée d’évaluation de la crédibilité pour déterminer la validité des demandes de non-refoulement. En ce qui concerne les éventuelles contradictions et incohérences factuelles dans les allégations d’un requérant, les États parties devraient tenir compte du fait qu’on ne saurait attendre une exactitude parfaite de la part de victimes de la torture.

43.Le Comité juge essentiel, pour déterminer s’il y a des motifs sérieux de croire qu’une personne risque d’être soumise à la torture si elle est expulsée, de tenir compte de l’existence dans l’État concerné d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention. Ces violations comprennent, entre autres : a) la pratique généralisée de la torture et l’impunité des auteurs d’actes de torture ; b) le harcèlement et la violence à l’égard des groupes minoritaires ; c) les situations propices au génocide ; d) la violence fondée sur le genre généralisée ; e) l’usage généralisé de la condamnation et de l’emprisonnement des personnes exerçant leurs libertés fondamentales ; f) les situations de conflits armés internationaux et non internationaux.

44.Le Comité fonde son appréciation essentiellement sur les informations fournies par le requérant ou en son nom et par l’État partie concerné. Il consulte également les sources d’information des Nations Unies, ainsi que toute autre source qu’il considère fiable. En outre, il tient compte de tous les éléments énumérés au paragraphe 29 ci-dessus, qui constituent des motifs sérieux de croire qu’une personne risquerait d’être soumise à la torture si elle était expulsée.

45.Le Comité apprécie l’existence de « motifs sérieux » et considère que le risque de torture est prévisible, personnel, actuel et réel lorsqu’il existe, au moment où il adopte sa décision, des faits démontrant que ce risque en lui-même aurait des incidences sur les droits que le requérant tient de la Convention en cas d’expulsion. Les facteurs de risque personnel peuvent inclure, notamment : a) l’origine ethnique du requérant ; b) l’affiliation politique ou les activités politiques du requérant et/ou des membres de sa famille ; c) un mandat d’arrêt sans garantie d’un traitement et d’un procès équitables ; d) une condamnation par contumace ; e) l’orientation sexuelle et l’identité de genre ; f) la désertion de l’armée nationale ou d’un groupe armé ; g) les actes de torture subis antérieurement ; h) la détention au secret ou une autre forme de détention arbitraire et illégale dans le pays d’origine ; i) la fuite clandestine du pays d’origine suite à des menaces de torture ; j) l’appartenance religieuse ; k) les violations du droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, y compris les violations liées à l’interdiction de la conversion à une religion qui n’est pas celle proclamée comme religion d’État et à la répression d’une telle conversion en droit et dans la pratique ; l) le risque d’expulsion vers un pays tiers où la personne risquerait d’être soumise à la torture ; m) la violence à l’égard des femmes, y compris le viol.

46.Lorsqu’il apprécie l’existence de « motifs sérieux », le Comité tient compte de la situation des droits de l’homme dans l’ensemble du pays et non dans une partie donnée de celui-ci. L’État partie est responsable de tout territoire sous sa juridiction, son contrôle ou son autorité. La notion de « risque de nature locale » ne fournit pas de critère mesurable et ne suffit pas à dissiper totalement le risque couru personnellement d’être torturé.

47.En ce qui concerne l’existence d’une possibilité de fuite à l’intérieur du pays, le Comité considère que l’expulsion d’une personne ou d’une victime de torture vers une région d’un État où elle ne courrait pas de risque d’être torturée, contrairement à ce qui serait le cas dans d’autres régions du même État, n’est pas une option fiable ou utile.

48.Lorsqu’il apprécie l’existence de « motifs sérieux », le Comité part du principe que l’État de renvoi devrait avoir démontré qu’il a pris des mesures pour prévenir la torture dans l’ensemble du territoire sous sa juridiction, son contrôle ou son autorité, notamment en adoptant des dispositions législatives claires qui consacrent l’interdiction absolue de la torture et prévoient des peines adéquates, en luttant contre l’impunité pour les actes de torture, les violences et les autres pratiques illégales des agents de l’État, et en veillant à ce que les agents de l’État soupçonnés d’être les auteurs d’actes de torture et de mauvais traitements soient poursuivis et, s’ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines à la mesure de la gravité des actes commis.

49.Chacune des deux parties peut soumettre toute information qu’elle juge utile pour démontrer en quoi ses affirmations au titre de l’article 22 de la Convention sont pertinentes au regard de l’article 3. Les éléments à prendre en compte sont notamment, mais pas uniquement, les suivants :

a)Y a-t-il dans l’État concerné des preuves de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ?

b)Les actes de torture ou les mauvais traitements ont-ils été commis par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite ? Dans l’affirmative, était-ce dans un passé récent ?

c)Existe-t-il des éléments de preuve de nature médicale ou d’autres éléments de preuve de source indépendante à l’appui des allégations du requérant qui affirme avoir été torturé ou maltraité dans le passé, et la torture a-t-elle laissé des séquelles ?

d)L’État partie s’est-il assuré que le requérant en attente d’une expulsion depuis le territoire sous sa juridiction, son contrôle ou son autorité a eu accès à toutes les garanties légales et/ou administratives prévues par la loi et, en particulier, qu’il a pu être examiné par un médecin indépendant chargé d’évaluer les allégations selon lesquelles il a déjà été victime de torture ou de mauvais traitements dans son pays d’origine ?

e)Y a-t-il des allégations crédibles ou des preuves que le requérant et/ou d’autres personnes de son entourage ont été ou seront menacés ou exposés à des représailles ou à d’autres formes de sanctions constitutives de torture ou à de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en raison de la communication soumise au Comité ?

f)Le requérant s’est-il livré, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’État concerné, à des activités politiques qui font qu’il courrait un risque particulier d’être soumis à la torture s’il était expulsé, renvoyé ou extradé vers l’État en question ?

g)En cas de renvoi, le requérant risque-t-il d’être de nouveau expulsé vers un autre État où il courrait le risque d’être soumis à la torture ?

h)Étant donné la situation de fragilité physique et psychologique dans laquelle se trouvent la majorité des requérants tels que les demandeurs d’asile, les anciens détenus et les victimes de torture ou de violence sexuelle, qui est propice à certaines incohérences ou défaillances de mémoire, existe-t-il des preuves de la crédibilité du requérant ?

i) Compte tenu de certaines incohérences qui peuvent exister dans la présentation des faits, le requérant a-t-il montré la véracité générale de ses allégations ?

XI.Indépendance de l’évaluation du Comité

50.Le Comité accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie concerné, mais il n’est pas tenu par ces constatations. Il s’ensuit qu’il apprécie librement les informations dont il dispose, conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, compte tenu de toutes les circonstances pertinentes pour chaque cas.

51.Le principe du bénéfice du doute en tant que mesure préventive contre un préjudice irréparable est également pris en compte par le Comité lors de l’adoption de ses décisions concernant les communications émanant de particuliers, lorsque ce principe est pertinent.