Nations Unies

CAT/C/62/D/721/2015

Convention contre l a torture et autres peines

ou traitements c ruel s ,

i nhuma i n s ou dégradants

Distr. générale

27 mars 2018

Original : français

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité a u titre de l’article 22 de la Convention, concernant la c ommunication n o 7 2 1 /2015*, **

Communication p résentée par:J.B. (représenté par les conseilsBoris Wijkströmet Gabriella Tau)

Au nom de:Le requérant

État partie:Suisse

Date de la requête:16 décembre2015 (lettre initiale)

Date de la présente décision:17 novembre 2017

Objet :Renvoi du requérant vers la Bulgarie

Question ( s ) de procédure:Griefs non étayés ; plainte manifestement infondée

Question (s) de fond:Non-refoulement ; risque de torture,peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en cas de renvoi en Bulgarie en vertu du Règlement Dublin

Article (s) de la Convention:3, 16

1.1Le requérant est J.B., ressortissant afghan, d’ethnicité tadjike, né en 1990. Il a déposé une demande d’asile en Suisse, mais sa requête a été rejetée. Il prétend que son renvoi forcé vers la Bulgarie dans le cadre du Règlement Dublin constituerait une violation, par la Suisse, de l’article 3 de la Convention. Il invoque également une violation des droits qu’il tient de l’article 16 de la Convention. Le requérant est représenté par desconseils, Boris Wijkström et Gabriella Tau.

1.2Le 18 décembre 2015, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a prié l’État partie de ne pas expulser J. B. vers la Bulgarie pendant que sa requête est en cours d’examen par le Comité.

1.3Le 21 décembre 2015, l’État partie a informé le Comité que, conformément à sa pratique constante, le Secrétariat d’État aux migrations avait demandé à l’autorité compétente de n’entreprendre aucune démarche en vue de l’exécution du renvoi du requérant, de sorte que celui-ci est assuré de demeurer en Suisse tant que sa requête est à l’examen devant le Comité.

Les faits tels que présentés par le requérant

2.1J. B. est né en 1990 à Bare Soltanpor, province de Nangarhar, en Afghanistan. Après l’école secondaire, il a étudié les systèmes informatiques et la technologie de la téléphonie mobile à Peshawar, au Pakistan, et a obtenu plusieurs diplômes dans ce domaine. Il est ensuite retourné en Afghanistan où il a travaillé dans le magasin de son père à Jalalabad pendant environ deux ans. Par la suite, il a commencé à travailler dans une société semi-gouvernementale, Etabad Technology, à Kaboul. Dans cette entreprise, il a travaillé avec plusieurs organisations étrangères, y compris des bases militaires à travers le pays, où il a installé des systèmes d’exploitation de logiciels. Après avoir commencé à travailler pour cette entreprise, le plaignant et sa famille ont été approchés par les Taliban qui lui ont demandé de collaborer avec eux car il avait accès aux installations militaires. Le requérant et sa famille ont refusé de collaborer avec les Taliban et ont commencé à recevoir des menaces de mort. En conséquence, ils ont fui vers Jalalabad, au Pakistan, mais ils ne se sentaient pas en pleine sécurité là-bas à cause de la présence importante de groupes taliban. Ensuite, le requérant a fui vers l’Europe.

2.2Le requérant est entré en Bulgarie où il a été détenu pendant neuf mois dans le centre de Busmantsi. Il prétend qu’il a été maltraité pendant sa détention : il a été régulièrement battu par les gardes, les conditions d’hygiène étaient insuffisantes et il a reçu très peu de nourriture. Il était réticent à demander l’asile en Bulgarie, mais il l’a fait en raison des menaces des autorités bulgares. Il a été obligé de signer plusieurs documents en bulgare qu’il ne comprenait pas. Après neuf mois de détention, il a été soudainement libéré et emmené à Sofia. Il a quitté la Bulgarie et est arrivé en Suisse où il a demandé l’asile le 7 août 2015.

2.3Le 12 octobre 2015, sa demande d’asile a été rejetée par le Secrétariat d’État aux migrations. Ce dernier a considéré que le requérant pouvait être renvoyé en Bulgarie conformément au Règlement Dublin car la Bulgarie était son premier pays d’asile. Il a estimé que, comme la Bulgarie avait adhéré à la Convention relative au statut des réfugiés, le requérant ne serait pas exposé à une violation du principe de non-refoulement. Par conséquent, le Secrétariat d’État aux migrations n’a pas examiné les allégations du requérant concernant les risques auxquels il serait exposé s’il était renvoyé en Afghanistan. En ce qui concerne les allégations du requérant concernant les mauvais traitements dont il a été victime en Bulgarie, le Secrétariat a estimé que les mesures prises par un État pour contrôler l’immigration ne constituaient pas une violation de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (torture et mauvais traitements), et que la Bulgarie était un État respectant la suprématie de droit et les directives de l’Union européenne sur les mesures prises pour traiter les demandes d’asile et les demandeurs d’asile, donc le renvoi du requérant était légal.

2.4Le requérant a fait appel de la décision du Secrétariat d’État aux migrations. Le 29 octobre 2015, le Tribunal administratif fédéral a rejeté le recours parce qu’il l’a jugé manifestement infondé. Le Tribunal a estimé que même s’il était vrai que le requérant avait demandé l’asile en Bulgarie afin d’éviter d’être détenu pendant dix-huit mois, cela n’a pas changé le fait qu’il a demandé l’asile là-bas et que ses empreintes digitales étaient enregistrées dans le système bulgare. Par conséquent, la Bulgarie a dû se prononcer sur la demande d’asile. En ce qui concerne les allégations du requérant concernant les défaillances systémiques du système bulgare d’accueil des demandeurs d’asile, le Tribunal administratif fédéral a estimé qu’il était présumé que la Bulgarie respectait ses obligations internationales découlant des traités internationaux, y compris la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et les directives européennes, tant que le requérant n’a pas été en mesure de démontrer le contraire. En outre, il a estimé que la crainte du requérant d’être renvoyé en Afghanistan n’était pas objectivement justifiée.

Teneur de la plaine

3.1Le requérant soutient que son renvoi vers la Bulgarie constituerait une violation de ses droits au titre de l’article 3 et de l’article 16 de la Convention.

3.2Il indique qu’il n’aurait pas accès à une procédure d’asile en Bulgarie et qu’il serait donc soumis à un refoulement vers l’Afghanistan, où sa vie serait en danger en raison de ses problèmes avec les Taliban.

3.3Le requérant allègue également qu’il y a un risque qu’il soit soumis à des mauvais traitements et à la torture s’il est transféré en Bulgarie en raison des échecs systématiques dans le système d’accueil du pays, en particulier dans les centres de détention pour les migrants clandestins. Il affirme qu’en raison du mauvais traitement subi alors qu’il était détenu en Bulgarie, il souffre d’une dépression sévère et d’un syndrome de stress post-traumatique.

Observations de l’État partie sur le fond de la communication

4.1Le 17 juin 2016, l’État partie a soumis ses observations sur le fond de la communication. L’État partie a tout d’abord présenté un résumé des faits et des informations générales sur le droit européen et suisse pertinent. Le 7 août 2015, le requérant a déposé une demande d’asile en Suisse. Lors de l’audition par le Secrétariat d’État aux migrations, il a déclaré être de nationalité afghane, avoir suivi ses formations scolaires et professionnelles au Pakistan, puis être retourné dans son pays pour y travailler. En 2014, il aurait quitté l’Afghanistan en raison de problèmes rencontrés avec les Taliban. Il aurait rejoint l’Europe, en transitant notamment par la Bulgarie, où il aurait été arrêté et placé dans le centre de détention de Busmantsi. Il y serait demeuré dans des conditions d’hygiène déplorables, confronté à l’insalubrité des lieux et à la faim. Libéré neuf mois plus tard, il aurait été contraint de fournir ses empreintes digitales et de déposer une demande d’asile le 18 mars 2015, puis aurait été transféré dans un centre de requérants d’asile, à Sofia. Sans attendre la réponse à sa demande d’asile, il aurait quitté la Bulgarie parce que les Afghans n’y étaient généralement pas bien accueillis et n’y trouvaient pas de travail. Il aurait transité par la Hongrie (où il a déposé une demande d’asile les 6 et 27 mai 2015), l’Autriche (où il a également déposé une demande d’asile le 2 août 2015) et l’Italie, pour se rendre en Suisse. Le 17 septembre 2015, en se basant sur une comparaison des empreintes digitales avec l’unité centrale du système Eurodac qui a révélé que le requérant avait demandé l’asile en Bulgarie le 18 mars 2015, le Secrétariat d’État aux migrations a soumis à la Bulgarie une requête aux fins de reprise en charge du requérant. Le 1er octobre 2015, les autorités bulgares ont accepté la requête du Secrétariat d’État aux migrations. Par décision du 12 octobre 2015, le Secrétariat, constatant que le requérant avait déposé une demande d’asile en Bulgarie le 18 mars 2015, a considéré que cet État était responsable pour le traitement de ladite demande. II n’est donc pas entré en matière sur la demande d’asile et a ordonné le transfert du requérant vers la Bulgarie, conformément à l’article 31a, paragraphe 1, alinéa b), de la loi fédérale sur l’asile du 26 juin 1998.

4.2Par acte du 26 octobre 2015, le requérant a interjeté recours auprès du Tribunal administratif fédéral contre la décision du Secrétariat d’État aux migrations susmentionnée et a demandé l’annulation de ladite décision et l’entrée en matière sur sa demande d’asile. Il a fait valoir, en résumé, que les conditions d’accueil et d’hébergement en Bulgarie étaient désastreuses, que la situation des demandeurs d’asile pouvait être apparentée à une véritable catastrophe humanitaire, comme le dénoncent de nombreux rapports internationaux, et qu’il a été détenu dans une prison durant neuf mois dans des conditions indignes, ayant été confronté à l’insalubrité des lieux et à la faim. Par arrêt du 29 octobre 2015, le Tribunal administratif fédéral a rejeté le recours du requérant. Il a considéré, entre autres, que la crainte du requérant d’être renvoyé en Afghanistan par les autorités bulgares ne reposait sur aucun fondement sérieux et qu’il n’avait fourni aucun élément concret susceptible de démontrer que la Bulgarie ne respectait pas le principe de non-refoulement, et donc faillirait à ses obligations internationales en le renvoyant dans un pays où sa vie, son intégrité corporelle ou sa liberté seraient sérieusement menacées, ou d’où il risquerait d’être astreint à se rendre dans un tel pays. De surcroît, le Tribunal a considéré que le requérant n’a pas non plus démontré que ses conditions d’existence en Bulgarie revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme ou à l’article 3 de la présente Convention.

4.3L’État partie note que l’article 3 de la Convention invoqué par le requérant prévoit qu’aucun État partie n’expulsera, ne refoulera ni n’extradera une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture (al. 1). Pour déterminer s’il y a de tels motifs, les autorités compétentes tiendront compte de toutes les considérations pertinentes, y compris, le cas échéant, de l’existence, dans l’État intéressé, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives (al. 2). Le Comité a concrétisé les éléments de cet article dans sa jurisprudence et a, en particulier, émis des directives précises concernant l’application de cette disposition dans son observation générale no 1 (1997) sur l’application de l’article 3 dans le contexte de l’article 22 de la Convention, qui prévoit que le requérant doit prouver qu’il existe pour lui un risque personnel, actuel et sérieux d’être soumis à la torture en cas d’expulsion vers son pays d’origine. L’existence d’un tel risque doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. Il faut que soient en outre allégués des faits qui font apparaître le risque comme sérieux. Les éléments qui doivent être pris en compte pour conclure à l’existence d’un tel risque sont énumérés au paragraphe 8 de l’observation générale no 1 ; ce sont entre autres : les preuves de l’existence dans l’État intéressé d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives (al. a) et d)) ; les allégations de torture ou de mauvais traitements subis dans un passé récent ainsi que l’existence d’éléments de preuves de sources indépendantes (al. b) et c)) ; les activités politiques du requérant à l’intérieur ou hors de l’État d’origine (al. e)) ; les preuves quant à la crédibilité de l’auteur (al. f)) ; et les incohérences factuelles dans les affirmations du requérant (al. g)).

4.4L’État partie note que l’article 16 de la Convention élargit la protection offerte par certaines dispositions de la Convention pour des actes de torture à des actes constitutifs de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Selon la jurisprudence constante et explicite du Comité, les obligations prévues à l’article 3 de la Convention n’englobent pas les cas de mauvais traitements visés à l’article 16 de la Convention. L’article 3 s’applique uniquement dans les cas où il y a des motifs sérieux de croire que l’auteur d’une communication risque d’être soumis à la torture telle qu’elle est définie à l’article premier de la Convention. En conséquence, l’allégation au titre de l’article 16 est irrecevable ratione materiae, étant incompatible avec les dispositions de la Convention. Les considérations suivantes concernant les éventuels risques de mauvais traitements dans le cas d’un transfert vers la Bulgarie sont donc faites à titre subsidiaire.

4.5L’État partie soutient que le requérant n’a pas contesté que, du fait que les autorités bulgares ont accepté la demande de reprise de la Suisse, la Bulgarie est en principe compétente pour traiter sa demande d’asile en vertu de l’article 12, paragraphe 1, du Règlement Dublin III. Concernant le renvoi en Bulgarie, il fait valoir qu’il n’aurait pas accès à une procédure d’asile juste et équitable en Bulgarie et qu’il ne serait pas protégé contre un renvoi arbitraire dans son pays d’origine, en violation du principe de non-refoulement. À l’appui de ces allégations, il a produit des rapports sur des déficits dans la procédure d’asile en Bulgarie et sur le bas nombre d’octrois de statut de réfugié des requérants d’asile non syriens dans ce pays. Comme il ressort notamment des considérants du Tribunal administratif fédéral en l’espèce, la législation sur le droit d’asile est appliquée en Bulgarie et la procédure d’asile n’y est pas caractérisée par des défaillances structurelles d’une ampleur telle que les demandeurs d’asile n’auraient aucune chance de voir leur demande sérieusement examinée, ou qu’ils n’y disposeraient pas d’un recours effectif, ou encore n’y seraient pas protégés in fine contre un renvoi arbitraire vers leur pays d’origine.

4.6Les autorités bulgares ont expressément accepté de reprendre en charge le requérant sur la base de l’article 18, paragraphe 1 b), du Règlement Dublin III. Ce faisant, elles ont admis qu’une procédure était en cours en Bulgarie et ont reconnu leur compétence pour traiter la demande d’asile. À cet égard, il ressort du rapport du Comité bulgare d’Helsinki du mois d’octobre 2015, cité par le requérant, que les personnes qui sont renvoyées en Bulgarie par d’autres États membres de l’Union européenne ont en principe accès à la procédure d’asile à leur retour dans ce pays ; lorsque la procédure est pendante, comme cela semble être le cas en l’espèce, le demandeur d’asile est transféré dans un centre de réception. Selon le requérant, sa mise en détention a eu lieu dans le contexte de son interpellation par la police, alors qu’il se trouvait en situation illégale et n’avait pas encore déposé sa demande d’asile en Bulgarie. Or, après l’enregistrement de celle-ci par les autorités, l’intéressé a été relâché et transféré dans un logement pour demandeurs d’asile à Sofia. Il n’a en principe plus à craindre les mesures de détention dont font l’objet les personnes entrées clandestinement dans le pays ou y séjournant sans droit.

4.7L’État partie soutient que la crainte du requérant que les autorités bulgares ordonnent son renvoi en Afghanistan ne repose sur aucun fondement sérieux. Non seulement le requérant n’a pas fourni d’éléments concrets susceptibles de démontrer que la Bulgarie ne respecterait pas le principe de non-refoulement, et donc faillirait à ses obligations internationales en le renvoyant dans un pays où sa vie, son intégrité corporelle ou sa liberté seraient sérieusement menacées, ou encore d’où il risquerait d’être astreint à se rendre dans un tel pays. La Bulgarie est une haute partie contractante à la Convention européenne des droits de l’homme et, de ce fait, est soumise à la juridiction de la Cour européenne des droits de l’homme. Le requérant pourra ainsi déposer une requête individuelle contre la Bulgarie, y compris une demande de mesure provisoire, s’il estime courir le risque d’être renvoyé de ce pays en violation notamment de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, ce que la Cour a récemment relevé dans une affaire comparable à la présente.

4.8L’État partie n’ignore pas que les conditions prévalant dans les centres de détention bulgares ont été, dans certains cas, jugées indignes. La Cour européenne des droits de l’homme a mis en lumière, dans un arrêt pilote, un problème structurel au sein du système carcéral bulgare, en raison notamment de la surpopulation et de l’absence d’intimité et de dignité personnelle dans l’utilisation des toilettes. En outre, le Secrétariat d’État aux migrations et le Tribunal administratif fédéral n’ont, dans leurs décisions, pas contesté la détention, ni les conditions d’insalubrité alléguées par le requérant, lequel n’a pas soutenu, contrairement à ce qu’il affirme dans sa communication, avoir subi des agressions physiques répétées de la part des gardiens. En tout état de cause, dès lors que le requérant a été libéré de sa détention et transféré dans un centre pour requérants d’asile à Sofia (centre qu’il aurait quitté alors que sa demande d’asile était en cours d’examen), sa crainte d’être à nouveau arrêté et détenu en cas de retour en Bulgarie apparaît infondée. II n’a en effet fourni aucune raison permettant de croire qu’il risque une nouvelle détention en Bulgarie, du moment qu’il y sera admis en qualité de demandeur d’asile transféré en application du Règlement Dublin III (sa demande n’ayant pas encore été rejetée dans ce pays) et non en tant qu’étranger entré clandestinement dans ce pays ou y séjournant sans statut légal.

4.9L’État partie relève qu’à aucun stade de la procédure d’asile en Suisse, le requérant n’a fait état d’éventuels mauvais traitements subis en Bulgarie. En effet, c’est uniquement dans le cadre de sa plainte adressée au Comité qu’il a allégué avoir fait l’objet de divers abus de la part des agents de cet État. En outre, l’État partie souligne que la Bulgarie est un État de droit, qui dispose d’une autorité policière qui fonctionne et qui est désireuse et capable d’offrir la protection adéquate contre les agressions de tiers. Le dossier ne contient aucun élément permettant de penser que tel ne serait pas le cas dans la situation particulière du requérant. Ainsi, il reviendra à ce dernier de s’adresser aux autorités policières compétentes en Bulgarie s’il devait se sentir exposé à une menace concrète dans ce pays. De même, si le requérant devait juger qu’il est traité de manière inéquitable ou illégale par des représentants bulgares, il lui appartiendra d’utiliser les voies de droit utiles et d’agir auprès des autorités judiciaires compétentes. Par ailleurs, l’État partie soutient que le requérant n’a pas démontré que ses conditions d’existence en Bulgarie revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire ni à l’article premier de la Convention, ni à son article 16.

4.10L’État partie note que, dans son rapport daté du 2 janvier 2014, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) avait appelé les États parties au Règlement Dublin à cesser temporairement tous les transferts de demandeurs d’asile vers la Bulgarie en raison de l’existence, dans ce pays, de sérieuses insuffisances tant dans le système de traitement des demandes d’asile que dans les conditions d’accueil des requérants. Toutefois, en avril 2014, après un réexamen de la situation, le HCR a, dans une mise à jour de son rapport, révoqué son appel, constatant que les conditions d’accueil des demandeurs d’asile en Bulgarie s’étaient améliorées, tout en rendant les États attentifs au risque de transfert des personnes vulnérables. L’État partie constate que le HCR n’a, à ce jour, pas modifié la position résultant de son dernier rapport précité.

4.11D’autres organisations continuent cependant à se faire l’écho de sérieuses difficultés persistant en Bulgarie, notamment quant à l’accès à la procédure d’asile ou s’agissant des conditions d’accueil des demandeurs, ainsi que du manque de mesures permettant l’intégration et l’accès aux soins médicaux pour les réfugiés reconnus ou les personnes ayant obtenu une protection provisoire. Dans son rapport précité d’octobre 2015, actualisant le rapport de l’année précédente dans lequel il relevait des améliorations considérables intervenues depuis mars 2014 en Bulgarie, le Comité bulgare d’Helsinki a constaté une détérioration de la situation, en raison principalement de l’afflux de requérants que connaissent actuellement la plupart des États européens et par lequel les pays situés aux frontières de l’Union européenne sont particulièrement concernés. Cela étant, le Comité bulgare d’Helsinki met également en évidence les conditions matérielles insuffisantes prévalant dans les centres d’accueil bulgares ainsi que les conditions de détention difficiles touchant de nombreux requérants, y compris des personnes retournant en Bulgarie dans le cadre du Règlement Dublin et des familles avec enfants. Dans ces conditions, et même s’il n’y a pas lieu de conclure à l’existence de carences structurelles en Bulgarie, il convient d’être très attentif, selon les circonstances du cas d’espèce, à l’avertissement du HCR d’avril 2014 au sujet du transfert de personnes vulnérables. Dans le cas d’espèce, l’État partie considère toutefois qu’au vu de sa situation personnelle, et en dépit de ses problèmes médicaux, le requérant ne présente pas de vulnérabilité particulière et ses besoins spécifiques pourront être couverts après son retour en Bulgarie.

4.12Concernant l’état médical du requérant, le rapport médical de décembre 2015 produit par lui atteste un épisode dépressif sévère sans symptômes psychotiques et un probable syndrome de stress post-traumatique, lesquels nécessitent un suivi ambulatoire intensif pendant plusieurs mois. De plus, selon le médecin, il existe un risque de passage à l’acte suicidaire en cas de rapatriement sous contrainte. Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme ne confère pas à un requérant le droit de pouvoir rester dans un État partie, afin de continuer à bénéficier des prestations médicales de cet État. Ce n’est que dans des cas particuliers et dans des circonstances très exceptionnelles que l’exécution de l’expulsion d’un étranger peut constituer une violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme en raison de la situation médicale du requérant. En effet, le retour forcé des personnes touchées dans leur santé n’est susceptible de constituer une violation de l’article 3 que si l’intéressé se trouve à un stade de sa maladie avancé et terminal, au point que sa mort apparaît comme une perspective proche. En particulier, le risque de suicide et/ou la tentative d’un tel acte chez une personne dont le transfert a été ordonné ne saurait empêcher un État de mettre en œuvre la mesure envisagée, pour autant que des mesures concrètes aient été mises en place pour éviter que les menaces ne se réalisent. Comme la Cour européenne des droits de l’homme, le Comité a également retenu que « c’est seulement dans des circonstances exceptionnelles qu’un renvoi peut constituer en soi un traitement cruel, inhumain ou dégradant » (au sens de l’article 16 de la Convention) et que la fragilité de l’auteur sur le plan psychiatrique et des troubles post-traumatiques aigus dont il souffre ne constituent pas de telles circonstances. L’État partie soutient qu’au vu du rapport médical produit, le cas d’espèce ne présente pas de circonstances très exceptionnelles au sens de la jurisprudence précitée. En vertu de la Convention, l’état de santé du requérant ne constitue ainsi pas un obstacle à son renvoi en Bulgarie.

4.13Indépendamment de cela, l’État partie estime opportun de relever que la capacité de transfert du requérant sera évaluée de façon définitive au moment de l’organisation du transfert. Le Secrétariat d’État aux migrations tiendra alors compte de l’état de santé du requérant et transmettra aux autorités bulgares les renseignements y relatifs afin d’assurer la poursuite de la prise en charge médicale spécifique en Bulgarie. La Bulgarie dispose d’une infrastructure médicale similaire à celle existant en Suisse, laquelle est suffisante pour prendre en charge les affections constatées chez le requérant. Au demeurant, cet État est lié par la directive Accueil et est donc tenu de prodiguer les soins médicaux nécessaires, qui comportent au minimum les soins urgents et le traitement essentiel des maladies et des troubles mentaux graves. Il n’existe ainsi aucun indice selon lequel les autorités bulgares refuseraient d’accorder au requérant les soins dont il aurait besoin ou ne lui assureraient pas l’encadrement médical requis, au point que son existence ou sa santé serait gravement mise en danger.

4.14L’État partie soutient que, pour l’ensemble des raisons mentionnées, le requérant n’a pas démontré qu’il existe des motifs sérieux de craindre qu’il soit exposé concrètement et personnellement à la torture ou à des traitements cruels, inhumains ou dégradants en cas de transfert vers la Bulgarie.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Le 14 novembre 2016, en réponse aux observations de l’État partie, le requérant observe que la situation des requérants d’asile en Bulgarie a empiré depuis le début de la crise migratoire en été 2015 et reste inquiétante. La dernière analyse du HCR sur la Bulgarie recommande aux pays européens de surseoir aux renvois Dublin des requérants vulnérables vers la Bulgarie en raison des sérieuses défaillances dans les conditions d’accueil et la procédure d’asile dans ledit pays. L’avis du HCR relève notamment l’absence de procédures pour identifier les personnes vulnérables ainsi que leur prise en charge adéquate et des manquements au niveau de l’accès à une procédure d’asile équitable. Le dernier rapport d’AIDA sur la Bulgarie confirme la détérioration des problèmes dans le système d’asile bulgare. Dans ce contexte, nombres de juridictions européennes ont suspendu des renvois vers la Bulgarie au vu des sérieux risques de mauvais traitements que les requérants y encourent. Lesdites décisions incluent celles prises par des tribunaux en Grande-Bretagne, Allemagne, Belgique, Hollande, Italie et démontrent les graves préoccupations des juridictions européennes au sujet du respect des droits fondamentaux des requérants d’asile en Bulgarie. Le requérant estime que cette jurisprudence des tribunaux européens témoigne d’un consensus croissant au sujet des graves manquements du système d’asile bulgare au point de ne plus être en mesure de garantir les droits fondamentaux des requérants d’asile.

5.2Le requérant soutient que l’analyse de l’État partie concernant le grief au titre de l’article 16 est incorrecte. Dans son observation générale no 2 (2007) sur l’application de l’article 2 par les États parties, le Comité a retenu que l’article 3 s’appliquait également aux traitements cruels, inhumains et dégradants sous l’angle de l’article 16. En explicitant que l’interdiction du refoulement s’appliquait aussi aux mauvais traitements, le Comité s’est aligné avec la jurisprudence internationale à cet égard, notamment celle du Comité des droits de l’homme et de la Cour européenne des droits de l’homme.

5.3Indépendamment du risque allégué de mauvais traitements en Bulgarie, le requérant soutient que son renvoi constituerait en soi une violation de l’article 16 étant donné ses circonstances particulières. Il souffre notamment d’une dépression et d’un stress post-traumatique en lien avec les mauvais traitements qu’il a subis en Bulgarie pendant sa détention. Il bénéficie actuellement de soins médicaux spécialisés en Suisse qui ne sont nullement garantis en cas de renvoi vers la Bulgarie. Son renvoi serait donc particulièrement traumatisant et aurait l’effet d’entraver durablement, voire d’anéantir, ses possibilités de guérison. Pour ces raisons, il maintient que son renvoi serait constitutif d’une violation de l’article 16.

5.4Le requérant note que l’État partie reconnaît, d’une part, que des problèmes sont inhérents au système d’asile bulgare et qu’il démontre un certain degré de défaillances systémiques, sans préciser lesquelles. D’autre part, l’État partie arrive à la conclusion que ces problèmes ne sont pas assez sérieux pour admettre que l’accès à une procédure d’asile juste et équitable soit entravé. Le requérant soutient qu’en Bulgarie l’accès à une procédure d’asile en cas de renvoi Dublin est uniquement donné en principe. En effet, selon le HCR, si une procédure d’asile a été terminée in absentia, elle ne pourra être rouverte que s’il y a des raisons objectives pour l’absence du requérant de Bulgarie. Si elle n’arrive pas à apporter cette justification à la satisfaction des autorités, la personne transférée sera considérée comme un migrant irrégulier et mise en détention en vue de son renvoi soit à Sofia (Busmantsi), soit à Lyubimets, près de la frontière avec la Turquie, où les conditions de détention sont sérieusement défaillantes, comme l’attestent nombre de rapports d’ONG et d’institutions internationales. Il ressort des contacts du requérant avec l’ONG Comité bulgare d’Helsinki que la procédure d’asile initiée par le requérant en Bulgarie est close et que la décision de clôture lui avait été notifiée in absentia. Dès lors, le requérant soutient que l’État partie se trompe en supposant que la procédure du requérant est toujours pendante et que, pour cette raison, il ne risque pas la détention. Or, vu la clôture de sa procédure d’asile, il est ainsi très probable que le requérant sera traité en tant qu’immigrant en situation illégale en Bulgarie dès son retour et détenu pour la durée de sa procédure.

5.5Le requérant fait aussi référence au rapport du Conseil européen sur les réfugiés et les exilés. Il soutient que l’État partie aurait dû investiguer plus en détail afin de savoir quel est le statut du requérant en Bulgarie. Cela était nécessaire afin d’être en mesure d’évaluer les risques de détention en Bulgarie pour le requérant, vu que plusieurs rapports d’ONG et de l’Organisation des Nations Unies ainsi que d’instances judiciaires européennes critiquent fortement les conditions de détention auxquelles les requérants d’asile sont soumis dans ce pays. Par conséquent, le requérant constate que l’État partie a omis d’instruire l’affaire de manière diligente et a établi l’état de fait de manière incorrecte. De plus, le requérant a prouvé, sur la base des informations obtenues du Comité bulgare d’Helsinki et d’ailleurs, notamment le rapport du Conseil européen sur les réfugiés et les exilés, qu’il risque une nouvelle détention en cas de transfert en Bulgarie. Dès lors, il estime que l’État partie a violé le droit à un recours effectif sous l’angle des articles 3 et 16 de la Convention.

5.6D’après le requérant, le Tribunal administratif fédéral n’a apporté aucune véritable analyse des informations sur la situation en Bulgarie transmises par le requérant dans le cadre de son recours. Le Tribunal s’est simplement contenté de reposer sa décision négative sur la présomption du respect de l’ordre juridique européen par la Bulgarie, cela sans faire la moindre référence à des informations d’ordre factuelle pour contester les informations apportées par le requérant qui montrent des carences essentielles en matière d’accueil et de procédure d’asile. Le Tribunal conclut ainsi qu’« en l’absence d’une pratique avérée de violation systématique des normes communautaires minimales en la matière, le respect par la Bulgarie de ses obligations concernant les droits des requérants d’asile sur son territoire est présumé » et que « dans le cas particulier, le recourant n’a pas démontré que les autorités bulgares refuseraient d’examiner sa demande de protection ». Le requérant soutient que l’analyse du Tribunal ne satisfait manifestement pas aux critères posés par le Comité d’« un examen effectif, indépendant et impartial de la décision d’expulsion ou de renvoi », et viole son droit à un recours effectif.

5.7Le requérant souligne les conditions d’accueil inhumaines et dégradantes des centres pour les requérants d’asile ainsi que le risque qu’il ne bénéficie d’aucune prise en charge et qu’il soit donc livré à une existence à la rue dans une indigence complète. Même s’il n’est pas détenu, le requérant qui est sérieusement atteint dans sa santé psychique, sera confronté soit aux conditions inhumaines et dégradantes dans les centres d’accueil pour requérants d’asile, soit à l’indigence absolue dans la rue sans accès à un hébergement, et encore moins à des soins médicaux. Son renvoi serait donc illicite sous l’angle de l’article 16 de la Convention même s’il ne devait pas être détenu.

5.8Le requérant conteste l’affirmation de l’État partie selon laquelle il n’a pas fourni d’éléments concrets susceptibles de démontrer que la Bulgarie ne respectait pas le principe de non-refoulement. En effet, les défaillances du système d’asile bulgare sont connues, notamment le manque d’interprètes et d’autre personnel pour l’enregistrement et les auditions, l’absence d’une représentation juridique adéquate et les informations insuffisantes sur l’état du dossier. Dès lors, il n’est pas du tout garanti que le requérant aura accès à une procédure d’asile équitable qui respecte le principe de non-refoulement. Comme relevé dans le rapport d’investigation du Conseil européen sur les réfugiés et les exilés, en Bulgarie, l’accès à une procédure d’asile équitable relève de la théorie. De plus, le requérant a cité des statistiques officielles bulgares qui démontrent un taux de rejet des demandes d’asile de 91 % pour les non-Syriens. Encore plus précisément, il souligne que le taux de rejet pour les Afghans était de 94 % en 2015. Le Comité bulgare d’Helsinki a confirmé que les demandes d’asile des requérants afghans étaient « massivement rejetées ». Enfin, en ce qui concerne le risque d’un refoulement en chaîne, il est important de relever qu’en mai 2016, la Bulgarie a ratifié un accord de réadmission avec la Turquie selon lequel la Turquie a l’obligation de reprendre les personnes qui sont entrées en Bulgarie de manière irrégulière depuis la Turquie. Aucune information n’est disponible sur l’application de cet accord, mais il n’est pas exclu que le requérant soit expulsé vers la Turquie, pays par lequel il a transité avant d’entrer en Bulgarie.

5.9Concernant le risque de mauvais traitements en Bulgarie, l’État partie ne conteste pas que les conditions de vie prévalant dans les centres de détention bulgares doivent être qualifiées d’indignes. Vu que le requérant ne risque pas, selon l’État partie, une nouvelle détention en cas de transfert en Bulgarie, le risque pour le requérant de subir des mauvais traitements dans le cadre d’une détention n’est plus examiné dans les observations de l’État partie. Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a critiqué, après sa visite en Bulgarie en février 2015, le fait que les demandeurs d’asile en Bulgarie étaient souvent et de manière illégitime mis en détention, a qualifié les conditions de vie en détention d’inappropriées et a dénoncé les cas de mauvais traitements dans les établissements de détention.

5.10Le requérant conteste l’analyse de l’État partie qui ne reconnaît pas qu’il est une personne particulièrement vulnérable et est d’avis que ce dernier n’a pas démontré que ses conditions d’existence en Bulgarie revêtiraient « un tel degré de pénibilité et de gravité » qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article premier de la Convention ou à son article 16. Il invoque qu’il doit être considéré comme un requérant d’asile vulnérable, au vu du fait qu’il a subi dans le passé des mauvais traitements en Bulgarie, raison pour laquelle il a dû être pris en charge par des psychiatres en Suisse.

5.11L’affirmation de l’État partie qu’« à aucun stade de la procédure d’asile en Suisse, l’auteur n’a fait état d’éventuels mauvais traitements subis en Bulgarie » et c’est « uniquement dans le cadre de sa plainte adressée au Comité que l’intéressé a allégué avoir fait l’objet de divers abus de la part des agents de cet État » est inexacte et est contredite par les pièces de sa procédure d’où il ressort que l’intéressé a fait valoir qu’il avait été torturé pendant sa détention en Bulgarie et qu’il a également été exposé à des conditions inhumaines et dégradantes. Lors de son audition sommaire au Centre d’enregistrement et de procédure à Bâle, il a fait les déclarations suivantes : « J’étais en prison pendant une année en Bulgarie. J’ai vécu beaucoup de torture (“viel Folter”) » et « en prison, c’était horrible et insalubre. C’était très sale. On nous donnait à manger seulement une fois par jour. La nourriture était tellement mauvaise que ni un âne le mangerait. Nous avions tous des poux ». Le requérant a donc fait état tant des tortures que des conditions inhumaines et dégradantes subies pendant sa détention en Bulgarie. Les autorités suisses n’ont pas pris le soin de demander qu’il fournisse des détails sur les allégations de torture ainsi que sur les conditions inhumaines de détention ; en effet, les autorités suisses ne lui ont pas posé une seule question à ce sujet tout au long de sa procédure d’asile. Le fait qu’il n’y ait pas plus de détails ou d’informations dans la procédure ne lui est donc pas imputable et relève d’un manque d’instruction manifeste des autorités de l’État partie. Ce manque d’instruction viole l’obligation d’un examen effectif, indépendant et impartial de la décision d’expulsion ou de renvoi. En effet, le fait qu’un requérant a déjà fait l’objet d’actes de torture dans l’État de destination est logiquement pertinent pour l’analyse du risque d’une future violation de l’interdiction. L’État partie aurait, dès lors, dû instruire cet aspect du dossier dans le but de pouvoir apprécier correctement le risque impliqué par le renvoi de l’intéressé.

5.12En ce qui concerne les conditions de vie des requérants d’asile vulnérables en Bulgarie, il est possible que les personnes qui y sont transférées en vertu du Règlement Dublin n’aient pas accès à un hébergement, à de la nourriture et à des soins médicaux. Vu qu’il y a un manque de moyens financiers, il y a des carences dans les établissements. Cette situation est particulièrement préoccupante pour les requérants vulnérables tels que le requérant. En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel la Bulgarie est « un État de droit, qui dispose d’une autorité policière qui fonctionne et qui est désireuse et capable d’offrir la protection adéquate contre les agressions de tiers », il est à rappeler que de nombreux rapports d’ONG, de l’ONU ainsi que des articles de presse témoignent de la violence de la police, des gardes-frontière, du personnel de prison et de la population à laquelle les personnes demandant une protection en Bulgarie sont confrontées. De plus, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Zeid Ra’ad Al Hussein, a déclaré que la Bulgarie encourageait l’intolérance. En décembre 2015, Amnesty International a invité le Gouvernement bulgare à enquêter sur les reproches des réfugiés et migrants relatifs aux mauvais traitements, à la violence et au chantage dont ils font l’objet de la part de la police. L’État partie conclut à tort que le requérant n’est pas une personne vulnérable et que ses besoins pourront être couverts en Bulgarie. Selon un arrêt du tribunal administratif de Stuttgart du 15 juin 2015, l’accès aux soins médicaux en Bulgarie est défaillant.

Déliberations du Comité

Examen de la recevabilité

Avant d’examiner toute plainte soumise dans une requête, le Comité doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention.

Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il ne peut examiner aucune communication émanant d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note que l’État partie a reconnu, en l’espèce, que le requérant avait épuisé tous les recours internes disponibles.

6.4Le Comité note qu’en l’espèce l’État partie conteste la recevabilité de la requête concernant le grief au titre de l’article 16 de la Convention. Il prend note de l’argument de l’État partie qui affirme que les obligations prévues à l’article 3 de la Convention n’englobent pas les cas de mauvais traitements visés à l’article 16 de la Convention et, en conséquence, l’allégation au titre de l’article 16 est irrecevable ratione materiae, étant incompatible avec les dispositions de la Convention. Le Comité note les arguments du requérant selon lesquels l’analyse de l’État partie concernant le grief au titre de l’article 16 est incorrecte, l’interdiction du refoulement s’applique aussi aux mauvais traitements et son renvoi constituerait en soi une violation de l’article 16 étant donné ses circonstances particulières, notamment une dépression et un stress post-traumatique, et selon lesquels les soins médicaux spécialisés dont il bénéficie actuellement en Suisse ne sont nullement garantis en cas de renvoi vers la Bulgarie. À cet égard, le Comité considère que le requérant a recours à des informations de nature générale sans fournir d’éléments concrets à l’appui de ces allégations. Dans ces circonstances, et en l’absence d’autre information utile dans le dossier, le Comité considère que le requérant n’a pas suffisamment étayé son grief en vertu de l’article 16 aux fins de la recevabilité.

6.5Le Comité considère toutefois que les arguments avancés par le requérant soulèvent des questions importantes au titre de l’article 3 de la Convention et qu’ils devraient être examinés au fond. En conséquence, ne constatant pas d’obstacles à la recevabilité, le Comité déclare la communication recevable au titre de l’article 3 de la Convention.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente requête en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

7.2Le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant en Bulgarie, l’État partie manquerait àl’obligation qui lui est faite en vertu du paragraphe1 de l’article3 de la Convention de ne pas expulser ni refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risquerait d’être soumise à la torture.

7.3Le Comité doit évaluer s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risque personnellement d’être soumis à la torture en cas de renvoi en Bulgarie. Pour ce faire, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, il doit tenir compte de tous les éléments pertinents, notamment l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle cependant que l’objectif de cette évaluation est de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Dès lors, l’existence dans un pays d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir que cette personne risque d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser qu’elle serait personnellement en danger. Àl’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans les circonstances qui sont les siennes.

7.4Le Comité rappelle son observation générale no1, selon laquelle l’existence d’un risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. Bien qu’il ne soit pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable, le Comité rappelle que le fardeau de la preuve incombe généralement au requérant, qui doit présenter des arguments défendables établissant qu’il encourt un risque prévisible, réel et personnel. Le Comité rappelle également que, conformément à cette observation générale, il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé, mais il n’est pas lié par de telles constatations et est, au contraire, habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire.

7.5Le requérant affirme qu’en Bulgarie il n’aurait pas accès à une procédure d’asile, il pourrait être détenu, exposé à de mauvais traitements et à la torture et soumis à un refoulement en Afghanistan ou à un transfert en Turquie. Le Comité note que le requérantaffirme avoir eu des problèmes avec les gardes dans les centres de détention en Bulgarie.Le Comité note aussile fait que la mise en détention du requérant a eu lieu dans le contexte de son interpellation par la police, alors qu’il se trouvait en situation illégale et n’avait pas encore déposé sa demande d’asile en Bulgarie. Le Comité note que le requérant lui-même affirme qu’il n’a pas demandé l’asile en Bulgarie à son arrivée et, par conséquent, il est probable qu’il a été détenu car il pouvait être considéré comme un migrant illégal. Le Comité note également qu’après l’enregistrement de sa demande d’asile par les autorités, le requérant a été relâché et transféré dans un logement pour demandeurs d’asile à Sofia. Le Comité note l’affirmation de l’État partie selon laquelle, sans attendre de réponse à sa demande d’asile, le requérant aurait quitté la Bulgarie parce que les Afghans n’y étaient généralement pas bien accueillis et n’y trouvaient pas de travail. Il aurait transité par la Hongrie (où il a déposé une demande d’asile les 6 et 27 mai 2015), l’Autriche (où il a également déposé une demande d’asile le 2 août 2015) et l’Italie, pour se rendre en Suisse.

7.6En l’espèce, le Comité notel’allégation du requérant selon laquelle son droit à un recours effectif était violé car l’État partie n’a pas respectél’obligation d’un examen effectif, indépendant et impartial de la décision de renvoi. Le Comité relève que, selon les observations de l’État partie, le Secrétariat d’État aux migrations et le Tribunal administratif fédéral n’ont, dans leurs décisions, pas contesté la détention, ni les conditions d’insalubrité alléguées par le requérant, lequel n’a pas soutenu, contrairement à ce qu’il affirme dans sa communication devant le Comité, avoir subi des agressions physiques répétées de la part des gardiens. Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel le requérant n’a pas démontré que ses conditions d’existence en Bulgarie revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article premier de la Convention ou à son article 16. Le Comité note l’affirmation du requérant selon laquelle la procédure d’asile initiée par le requérant en Bulgarie est close et la décision de clôture lui avait été notifiée in absentia. Le Comité note cependant que cela ressort des contacts présumés du requérant avec le Comité bulgare d’Helsinkiet qu’aucun document pertinent n’est présenté à l’appui de cette constatation.Les autorités bulgares ont expressément accepté de reprendre en charge le requérant sur la base de l’article 18, paragraphe 1b), du Règlement Dublin III et, ce faisant, ont admis qu’une procédure était en cours en Bulgarie et ont reconnu leur compétence pour traiter la demande d’asile. Le Comité note aussi que le requérant n’a apporté aucun détail sur ses allégations de torture.

7.7Le Comité note que le requérant affirme qu’en raison du mauvais traitement subi alors qu’il était détenu en Bulgarie, il souffre d’une dépression sévère et d’un syndrome de stress post-traumatique et, par conséquent,est une personned’une vulnérabilité exceptionnelle. Le Comité note également que d’après l’État partie, au vu du rapport médical produit, le cas d’espèce ne présente pas de circonstances très exceptionnelles et, en vertu de la Convention, l’état de santé du requérant ne constitue ainsi pas un obstacle à son renvoi en Bulgarie. Le Comité prend note de l’argument de l’État partieselon lequel, au vu de sa situation personnelle et en dépit de ses problèmes médicaux, le requérant ne présente pas de vulnérabilité particulière et ses besoins spécifiques pourront être couverts après son retour en Bulgarie.

7.8Le Comité rappelle qu’il lui appartient de déterminer si le requérant court actuellement le risque d’être soumis à la torture en cas de renvoi en Bulgarie. Il note que le requérant a eu la possibilité d’étayer et de préciser ses griefs, au niveau national, devant le Secrétariat d’État aux migrations et le Tribunal administratif fédéral, mais que les éléments apportés n’ont pas permis aux autorités compétentes de l’État partie de conclure que son profil de demandeur d’asile d’Afghanistan, sa procédure d’asile, les conditions matérielles et le vécu dans les centres de détention en Bulgarie pourraient le mettre en danger de subir des actes de torture à son retour.

7.9En outre, le Comité rappelle que l’existence de violations des droits de l’homme dans le pays de renvoi n’est pas suffisante, en soi, pour conclure qu’un requérant court personnellement le risque d’y être torturé. Sur la base des informations dont il dispose, le Comité conclut que,dans le cas d’espèce, le requérant n’a pas apporté la preuve qu’il a subi de la torture dans le passéet conclut que les informations fournies ne démontrent pas qu’il risquerait personnellement d’être torturé au cas où il serait renvoyé en Bulgarie.

8.Dans ces circonstances, le Comité considère que les informations soumises par le requérant ne sont pas suffisantes pour établir qu’il courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en Bulgarie.

9.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut que le renvoi du requérant vers la Bulgarie ne constituerait pas une violation par l’État partie de l’article 3 de la Convention.