Nations Unies

CAT/C/CHL/CO/6

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

28 août 2018

Français

Original : espagnol

Comité contre la torture

Observations finales concernant le sixième rapport périodique du Chili*

1.Le Comité contre la torture a examiné le sixième rapport périodique du Chili (CAT/C/CHL/6) à ses 1665e et 1667e séances (voir CAT/C/SR.1665 et 1667), les 30 et 31 juillet 2018, et a adopté les présentes observations finales à ses 1678e et 1679e séances, le 9 août 2018.

A.Introduction

2.Le Comité remercie l’État partie d’avoir accepté la procédure facultative pour l’établissement des rapports, ce qui permet de mieux structurer le dialogue entre l’État partie et le Comité. Il regrette toutefois que le rapport périodique ait été soumis avec plus de trois ans de retard.

3.Le Comité se félicite du dialogue constructif engagé avec la délégation de l’État partie et des informations complémentaires qu’elle lui a communiquées au cours de l’examen du rapport périodique.

B.Aspects positifs

4.Le Comité note avec satisfaction que, depuis l’examen de son cinquième rapport périodique en mai 2009, l’État partie a ratifié les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme ci-après, ou y a adhéré :

a)La Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, le 8 décembre 2009 ;

b)La Convention relative au statut des apatrides, le 11 avril 2018 ;

c)La Convention sur la réduction des cas d’apatridie, le 11 avril 2018.

5.Le Comité accueille avec satisfaction les mesures législatives ci-après prises par l’État partie dans des domaines intéressant la Convention :

a)L’adoption, le 11 novembre 2016, de la loi no 20968 définissant les infractions detorture, de torture aggravée et de traitements cruels, inhumains ou dégradants ;

b)L’adoption, le 26 juin 2009, de la loi no 20357 définissant les crimes contre l’humanité, le génocide et les crimes de guerre ;

c)L’adoption, le 24 novembre 2009, de la loi no 20405 portant création de la Commission consultative pour la détermination de la qualité de détenu-disparu, de victime d’exécution politique, de prisonnier politique et de victime de torture pour des faits commis entre le 11 septembre 1973 et le 11 mars 1990 ;

d)L’adoption, le 24 novembre 2009, de la loi no 20405 susmentionnée portant création de l’Institut national des droits de l’homme ;

e)L’adoption, le 14 décembre 2010, de la loi no 20480 érigeant en infraction pénale le féminicide et modifiant les normes relatives au parricide ;

f)L’adoption, le 13 juin 2012, de la loi no 20603 portant modification de la loi no 18216 de 1983 qui institue des mesures de substitution aux peines privatives ou restrictives de liberté ;

g)L’adoption, le 29 mai 2017, de la loi no 21013 définissant l’infraction de mauvais traitements infligés à un jeune de moins de 18 ans, à une personne âgée et à une personne handicapée ;

h)L’adoption, le 14 septembre 2017, de la loi no 21030 dépénalisant l’avortement dans les cas où la vie de la femme enceinte est en danger, le fœtus n’est pas viable ou la grossesse résulte d’un viol ;

i)L’adoption, le 22 janvier 2018, de la loi no 21067 et, le 12 avril 2018, de la loi no 21090 portant respectivement création du Bureau du Défenseur des droits de l’enfant et du sous-secrétariat à l’enfance ;

j)L’adoption, le 16 décembre 2015, de la loi no 20885 portant création du sous‑secrétariat aux droits de l’homme rattaché au Ministère de la justice et des droits de l’homme.

6.Le Comité prend note avec satisfaction des mesures prises par l’État partie pour modifier ses politiques et procédures afin d’assurer une meilleure protection des droits de l’homme et d’appliquer la Convention, et salue en particulier :

a)L’adoption, en 2017, du Plan national 2018-2021 pour les droits de l’homme qui inclut un chapitre relatif à la prévention de la torture ;

b)L’adoption, en 2017, du Plan d’action national 2014-2018 contre la violence à l’égard des femmes ;

c)L’adoption, en 2015, du Plan d’action national 2015-2018 contre la traite des personnes.

7.Le Comité se félicite que l’État partie ait demandé, le 27 juin 2016, que soit publié le rapport que le Sous-Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants avait établi à la suite de sa visite au Chili du 4 au 13 avril 2016 (CAT/OP/CHL/1).

8.Enfin, le Comité se félicite également que l’État partie ait maintenu l’invitation permanente qu’il avait adressée aux titulaires de mandat au titre des procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme, ce qui a permis à des experts indépendants d’effectuer des visites dans le pays au cours de la période considérée.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Questions en suspens issues du cycle précédent

9.Au paragraphe 28 de ses précédentes observations finales (CAT/C/CHL/CO/5), le Comité a demandé à l’État partie de lui faire parvenir des informations sur la suite donnée à un certain nombre de recommandations dont l’application était considérée prioritaire et qui étaient formulées au paragraphe 12 relatif au décret-loi d’amnistie no 2191, au paragraphe 13 relatif aux allégations d’actes de torture commis par des policiers, au paragraphe 14 relatif à la réforme de la justice militaire, au paragraphe 18 relatif au Programme de réparation et de prise en charge sanitaire intégrée et au paragraphe 25 relatif au droit à une indemnisation équitable et adéquate. Il remercie l’État partie pour les renseignements qu’il lui a adressés à ce sujet le 22 juillet 2011 dans le cadre de la procédure de suivi (CAT/C/CHL/CO/5/Add.1). À la lumière de ces informations, le Comité estime que la recommandation formulée au paragraphe 12 susmentionné n’a pas été mise en œuvre (voir par. 46 et 47 ci-dessous) et que les recommandations figurant aux paragraphes 13, 14, 18 et 25 des précédentes observations finales l’ont été partiellement.

Incrimination et définition de la torture

10.Le Comité considère que la nouvelle définition de l’infraction de torture introduite par la loi no 20968 à l’article 150 A du Code pénal est dans une large mesure conforme aux dispositions de l’article premier de la Convention, même si elle ne couvre pas les actes de torture commis dans le but d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne. Par ailleurs, il note avec préoccupation que le quatrième paragraphe de cet article prévoit des peines d’emprisonnement allant de trois ans et un jour à cinq ans pour les actes de torture visant à annihiler la personnalité de la victime ou à amoindrir sa volonté et sa capacité de discernement ou de décision, alors que la torture dans son acception générale est passible d’une peine comprise entre cinq ans et un jour et dix ans d’emprisonnement. Enfin, le Comité regrette que l’État partie conserve dans sa législation pénale la prescription pour l’infraction de torture tout en établissant l’imprescriptibilité de cette dernière dans les cas où elles constituent un crime contre l’humanité (art. 1er et 4).

11. Le Comité demande instamment à l’État partie de modifier les critères énoncés à l’article 150 A du Code pénal de façon à y inclure expressément les actes de torture commis dans le but d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne. L’État partie devrait également veiller à ce que les infractions de torture soient passibles de peines appropriées qui prennent en considération leur gravité, conformément au paragraphe 2 de l’article 4 de la Convention. En outre, le Comité demande instamment à l’État partie de rendre les faits de torture imprescriptibles.

Garanties juridiques fondamentales

12.Le Comité déplore le peu d’informations disponibles sur les garanties juridiques et règles de procédure prévues par la législation de l’État partie qui s’appliquent aux personnes privées de liberté, ainsi que sur les procédures en place visant à garantir le respect de ces dispositions dans la pratique.

13. L ’ État partie devrait adopter des mesures concrètes pour que tous les détenus bénéficient, tant en droit que dans la pratique, de toutes les garanties fondamentales dès le début de leur privation de liberté, conformément aux normes internationales, et notamment les garanties suivantes : le droit d ’ être assisté sans délai d ’ un avocat, le droit de demander à voir un médecin indépendant et d ’ être immédiatement examiné par lui, indépendamment de tout examen médical qui pourrait être réalisé à la demande des autorités, le droit d ’ être informé, dans une langue comprise du détenu, des motifs du placement en détention et de la nature des charges pesant contre lui, le droit à l ’ enregistrement de sa détention , le droit d ’ informer rapidement un parent ou un tiers de son placement en détention, et le droit d ’ être présenté à un juge sans délai. L ’ État partie devrait également garantir l ’ enregistrement audiovisuel des interrogatoires auxquels les personnes privées de liberté sont soumises et veiller à ce que ces enregistrements soient gardés en lieu sûr, sous le contrôle des organes de surveillance et mis à disposition des enquêteurs, des détenus et des avocats.

Réforme de la justice militaire

14.Le Comité prend note de la réforme de la compétence des tribunaux militaires engagée en 2010 par l’adoption de la loi no 20477 et de sa modification ultérieure, en 2016, par l’adoption de la loi no 20968 qui prévoit que les civils et les mineurs, qu’ils soient victimes ou accusés, ne peuvent en aucun cas relever de la compétence des tribunaux militaires. Toutefois, comme l’État partie le reconnaît dans son rapport périodique, cette modification normative ne recouvre qu’une partie des réformes qu’il doit entreprendre dans le domaine de la justice militaire. En effet, selon les rapports dont le Comité est saisi, la réforme des tribunaux militaires reste insuffisante, dans la mesure où la compétence pénale militaire n’a pas été limitée aux « infractions commises dans l’exercice de leurs fonctions par des militaires en service actif », comme l’a édicté la Cour interaméricaine des droits de l’homme dans son arrêt rendu le 22 novembre2005 en l’affaire Palamara Iribarne vs. Chile. Le Comité est également préoccupé par des informations selon lesquelles, au cours de la première année d’application de la loi no 20968, 12 plaintes pour violences policières déposées par des civils ont été renvoyées vers des parquets militaires (art. 2, 12 et 13).

15.Le Comité demande instamment à l ’ État partie de poursuivre sa réforme de la justice militaire, conformément aux dispositions de l ’ arrêt rendu par la Cour interaméricaine des droits de l ’ homme en l ’ affaire Palamara Iribarne vs. Chile, afin que les juridictions militaires ne soient en aucun cas compétentes pour connaître des violations des droits de l ’ homme et des infractions commises contre des civils dans lesquelles des militaires sont impliqués.

Mécanisme national de prévention de la torture

16.Tout en prenant note des débats en cours concernant le projet de loi (Journal officiel no 11245-17) visant à faire de l’Institut national des droits de l’homme le Mécanisme national de prévention de la torture, conformément aux dispositions de l’article 3 du Protocole facultatif se rapportant à la Convention, le Comité déplore que l’État partie ne se soit toujours pas doté d’un organisme de ce type, alors qu’il a ratifié le Protocole en 2008 (art. 2).

17. Le Comité prie instamment l ’ État partie de créer ou de désigner un mécanisme national de prévention de la torture, en application de ses obligations internationales. À cet égard, il appelle l ’ attention de l ’ État partie sur les Directives concernant les mécanismes nationaux de prévention élaborées par le Sous-Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (CAT/OP/12/5) et conformément auxquelles les États parties doivent, notamment, affecter des ressources suffisantes aux mécanismes nationaux de prévention pour permettre leur fonctionnement effectif, garantir leur entière autonomie financière et opérationnelle pour qu ’ ils puissent s ’ acquitter de leurs fonctions et veiller à l ’ impartialité et à l ’ indépendance de leurs membres.

Législation antiterroriste

18.Tout en prenant note de la teneur et de l’état d’avancement du projet de loi visant à réformer la loi antiterroriste (Journal officiel no 9692-07, regroupé avec le Journal officiel no 9669-07), le Comité se déclare préoccupé par la définition large et vague des infractions de terrorisme figurant dans la loi no 18314, du 16 mai 1984, telle que modifiée en 2010 par la loi no 20467. Il s’inquiète en outre des restrictions qu’impose cette loi aux garanties fondamentales et aux garanties d’une procédure régulière, par exemple la possibilité d’étendre à dix jours le délai de présentation des détenus devant un juge ou la garde à vue prolongée des prévenus. C’est pourquoi les cas d’application abusive de cette loi pour pouvoir poursuivre pour terrorisme des militants mapuche accusés d’avoir commis des actes de violence ayant entraîné des dommages sur des biens privés sont particulièrement préoccupants. À cet égard, le Comité prend note des informations communiquées par la délégation concernant l’exécution de l’arrêt rendu le 29 mai 2014 par la Cour interaméricaine des droits de l’homme en l’affaire Norín Catrimán y otros vs. Chile qui a invalidé huit condamnations pour terrorisme prononcées par des tribunaux chiliens contre sept Mapuche et une militante des droits de ce peuple pour des faits produits entre 2001 et 2002 dans les régions de Biobío et de la Araucanía (art. 2).

19. Le Comité demande instamment à l ’ État partie de revoir et de modifier sa législation afin que les actes de terrorisme soient définis de manière précise et stricte, que les biens juridiques personnels que l ’ on entend protéger soient clairement délimités et que les personnes privées de liberté accusées d ’ actes de terrorisme bénéficient des garanties fondamentales contre la torture, notamment le droit d ’ être présentées à un juge sans délai. En outre, l ’ État partie devrait s ’ abstenir d ’ appliquer la loi antiterroriste aux personnes accusées uniquement d ’ avoir porté atteinte à des biens privés dans le cadre de manifestations pour la défense des droits des peuples autochtones, conformément aux recommandations formulées par d ’ autres mécanismes internationaux de protection des droits de l ’ homme.

Aveux obtenus sous la contrainte

20.Tout en prenant note des dispositions du Code de procédure pénale relatives à l’irrecevabilité des éléments de preuve obtenus en violation des garanties fondamentales, le Comité regrette que l’État partie n’ait pas fourni de renseignements sur les décisions par lesquelles les tribunaux ont refusé d’admettre comme preuves des aveux obtenus sous la torture. Concernant ce type de situations, le cas de José Peralino Huinca est particulièrement préoccupant : condamné avec deux autres personnes, tous trois mapuche, pour avoir causé la mort du couple Luchsinger-Mackay en 2013, M. Huica aurait rapporté avoir été soumis à la torture pour le forcer à avouer (art. 15).

21. L ’ État partie devrait adopter des mesures efficaces pour que, dans la pratique, les aveux ou déclarations obtenus par la torture ou de mauvais traitements soient irrecevables, sauf dans les cas où ils sont invoqués contre une personne accusée de torture en tant que preuve de la déclaration faite. Il devrait également développer les programmes de formation professionnelle destinés aux juges et aux procureurs, pour que ces derniers soient capables de déceler les cas de torture et de mauvais traitements et d ’ enquêter efficacement sur toutes les plaintes pour de tels faits et, en particulier, de renforcer les capacités institutionnelles qui leur permettent de rejeter les déclarations obtenues sous la torture.

Brutalités policières et usage excessif de la force

22.Le Comité se déclare préoccupé par les nombreux cas de brutalités policières et d’usage excessif de la force par les forces de l’ordre contre des manifestants au cours de la période considérée. Il est également préoccupé par des informations concordantes faisant état de mauvais traitements infligés à des manifestants détenus, de violences policières envers des membres du peuple mapuche dans le cadre de perquisitions ou de descentes de police dans leur communauté et de violences sexuelles commises par la police contre des femmes et des filles lors de manifestations étudiantes. D’après les données fournies par l’État partie dans son rapport périodique, 732 allégations d’usage excessif de la force par des carabiniers chiliens ont donné lieu à une enquête entre 2010 et le milieu de l’année 2015 ; parmi elles, 392 ont été portées devant la justice et 137 ont fait l’objet de sanctions disciplinaires. En outre, selon les informations supplémentaires communiquées par la délégation, des sanctions disciplinaires ont été prononcées à l’encontre de 34 carabiniers en 2017, et 20 autres cas sont en cours de traitement. De son côté, la police judiciaire a mené 36 procédures administratives (27 enquêtes administratives et 9 instructions préparatoires). À cet égard, le Comité déplore de ne pas avoir reçu d’informations complètes et fait observer que, même si l’État partie indique que les enquêtes administratives pour violences policières ont donné lieu à des accusations, il n’a pas fourni de renseignements sur le nombre de poursuites engagées, de peines prononcées et de sanctions pénales et/ou disciplinaires infligées pour usage excessif de la force au cours de la période considérée. Le Comité constate également avec inquiétude que les plaintes pour violence policière continuent d’être transmises pour enquête préliminaire à des unités appartenant à l’institution pour laquelle travaillent les auteurs présumés de ces violences. Enfin, il prend note des renseignements sommaires communiqués par l’État partie concernant l’enquête et les poursuites engagées ultérieurement par la justice militaire concernant les décès de José Facundo Mendoza Collio et Manuel Gutiérrez (art. 2, 12, 13 et 16).

23. L ’ État partie devrait :

a) Veiller à ce que toutes les plaintes relatives à l’usage excessif de la force par des agents des forces de l’ordre et de la sécurité publique fassent l’objet d’une enquête rapide, impartiale et efficace, à ce que les auteurs présumés soient poursuivis et, s’ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines proportionnelles à la gravité de leurs actes, et à ce que les victimes soient indemnisées de manière adéquate ;

b) Faire en sorte qu’un organisme indépendant enquête sans délai et avec impartialité sur toutes les plaintes déposées pour usage excessif de la force et autres violences policières, et qu’il n’existe pas de lien institutionnel ou hiérarchique entre les enquêteurs de cet organisme et les auteurs présumés des faits ;

c) Redoubler d’efforts pour dispenser systématiquement à tous les membres des forces de l’ordre une formation sur l’usage de la force dans le contexte des manifestations, en tenant dûment compte des Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois ;

d) Recueillir des informations détaillées sur le nombre de plaintes, d’enquêtes, de poursuites, de condamnations et de peines auxquelles les cas d’usage excessif de la force et les brutalités policières ont donné lieu.

Plaintes pour violences sexuelles commises par la police contre des femmes et des filles

24.Le Comité regrette de ne pas avoir reçu d’informations détaillées sur le résultat des enquêtes relatives aux actes de violence sexuelle commis par la police contre des femmes et des filles lors des manifestations étudiantes qui ont eu lieu au cours de la période considérée. Il ne dispose pas non plus de données sur les poursuites engagées et les condamnations et peines prononcées à la suite de ces plaintes. Toutefois, il prend note de l’existence d’un projet de loi relatif au droit des femmes à une vie sans violence (Journal officiel no 11077-17) et des renseignements communiqués par l’État partie concernant les programmes de formation et de sensibilisation destinés aux fonctionnaires en contact direct avec des victimes de violence fondée sur le genre (art. 2, 11 à 14 et 16).

25. L ’ État partie devrait  :

a) Veiller à ce que tous les cas de violence fondée sur le genre commis contre des femmes et des filles , en particulier ceux qui concernent des actes ou des omissions des pouvoirs publics ou d ’ autres entités qui mettent en cause la responsabilité internationale de l ’ État partie conformément à la Convention , fassent l ’ objet d ’ une enquête approfondie, à ce que les auteurs présumés soient poursuivis et, s ’ ils sont condamnés, dûment sanctionnés, et à ce que l es victimes obtiennent réparation, notamment sous la forme d ’ une indemnisation appropriée ;

b) Dispenser à tous les agents des forces de l ’ ordre et du système judiciaire une formation obligatoire sur les poursuites à engager en cas de violence fondée sur le genre, et continuer de mener des campagnes de sensibilisation sur toutes les formes de violence à l ’ égard des femmes  ;

c) Veiller à ce que les victimes de violence fondée sur le genre reçoivent les soins médicaux, l ’ appui psychologique et l ’ aide juridictionnelle dont elles ont besoin ;

d) Accélérer l ’ examen parlementaire du projet de loi relatif au droit des femmes à une vie sans violence.

Enquêtes, poursuites et répression en matière de torture et de mauvais traitements

26.Selon les informations fournies par la délégation, 1 042 actions en justice ont été entamées pour des actes de torture ou de mauvais traitements entre janvier 2009 et mai 2018, et 599 d’entre elles ont été menées à terme. Cependant, les statistiques disponibles ne permettent d’établir ni les raisons concrètes qui ont motivé la déclaration d’un non-lieu pour nombre de ces actions ni la teneur des 46 jugements rendus depuis 2014. En outre, le Comité constate avec préoccupation que les peines prononcées à l’encontre des auteurs n’ont jamais dépassé trois ans d’emprisonnement (art. 2, 12, 13 et 16).

27. Le Comité prie instamment l’État partie de :

a) Veiller à ce que toutes les plaintes pour torture ou mauvais traitements fassent l ’ objet d ’ une enquête rapide et impartiale par un organisme indépendant ;

b) Veiller à ce que les autorités procèdent d ’ office à une enquête chaque fois qu ’ il existe des motifs raisonnables de croire que des actes de torture ou des mauvais traitements ont été infligés ;

c) Faire en sorte qu ’ en cas de torture ou de mauvais traitements, les auteurs présumés soient immédiatement suspendus de leurs fonctions pour toute la durée de l ’ enquête, en particulier lorsqu ’ il existe un risque qu ’ ils puissent commettre une nouvelle fois les actes dont ils sont soupçonnés, exercer des représailles contre la victime présumée ou faire obstruction à l ’ enquête  ;

d) Veiller à ce que les auteurs présumés soient dûment jugés et, s’ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines proportionnelles à la gravité de leurs actes ;

e) Recueillir des données statistiques sur le nombre de plaintes, d ’ enquêtes, de poursuites, de condamnations et de peines auxquelles les cas de torture et de mauvais traitements ont donné lieu.

Conditions de détention

28.Comme l’a reconnu la délégation, les mauvaises conditions de détention dans les prisons constituent l’un des principaux problèmes du système pénitentiaire et peuvent parfois s’apparenter à des mauvais traitements. C’est pourquoi le Comité salue les efforts accomplis par l’État partie pour améliorer ces conditions et réduire la surpopulation dans les centres de détention, en particulier l’agrandissement et la rénovation des installations existantes, la construction et l’ouverture de nouveaux établissements pénitentiaires et l’actualisation de la norme relative aux mesures de substitution aux peines privatives ou restrictives de liberté. Toutefois, il reste préoccupé par les informations faisant état de surpopulation dans de nombreux établissements pénitentiaires, en particulier dans les régions de l’Atacama, de Valparaíso et de Santiago. D’autres informations dont dispose le Comité font état d’importantes lacunes concernant les services médicaux et sanitaires telles que le manque de lits, des problèmes d’approvisionnement en eau dans les cellules, le manque de chauffage et d’éclairage et l’accès limité aux activités physiques et aux autres activités en plein air. Le Comité demeure également préoccupé par les informations qui laissent supposer que l’administration pénitentiaire ne tient pas suffisamment compte des besoins particuliers des femmes privées de liberté, s’agissant par exemple de l’hygiène personnelle et des toilettes. Il s’inquiète également des allégations de pratiques arbitraires, en particulier les fouilles corporelles abusives auxquelles sont soumises aussi bien les personnes privées de liberté que celles qui leur rendent visite. Enfin, le Comité prend note des travaux en cours concernant l’élaboration d’une loi sur l’application des peines (art. 11 et 16).

29. L ’ État partie devrait :

a) Redoubler d ’ efforts pour réduire la surpopulation dans les centres de détention, principalement en recourant aux mesures de substitution aux peines privatives de liberté, et poursuivre les travaux d ’ amélioration des installations pénitentiaires existantes. À cet égard, le Comité appelle l ’ attention de l ’ État partie sur l ’ Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela) et sur les Règles des Nations Unies concernant le traitement des détenues et l ’ imposition de mesures non privatives de liberté aux délinquantes (Règles de Bangkok ) ;

b) Adopter des mesures d ’ urgence pour remédier aux lacunes observées concernant les conditions générales de vie dans les prisons, en particulier celles liées à l ’ approvisionnement en eau dans les cellules, au manque de lits, au manque de chauffage et d ’ éclairage et à l ’ accès limité aux activités physiques et aux autres activités en plein air ;

c) Garantir l ’ allocation des ressources humaines et matérielles nécessaires pour fournir aux détenus des services médicaux et sanitaires adéquats ;

d) Veiller à ce que les besoins particuliers des femmes privées de liberté soient satisfaits, conformément aux Règles Nelson Mandela et aux Règles de Bangkok ;

e) Veiller à ce que les fouilles corporelles auxquelles sont soumises les personnes privées de liberté soient effectuées dans le respect de la dignité du détenu. Les fouilles corporelles intégrales ne sont réalisées que si elles sont absolument nécessaires et doivent être effectuées en privé et par du perso nnel qualifié du même sexe que le détenu . Les fouilles et les formalités d ’ entrée applicables aux visiteurs ne doivent pas être dégradantes et sont au moins soumises aux mêmes règles que celles qui s ’ appliquent aux détenus (voir les règles 50 à 53 et 60 des Règles Nelson Mandela).

Régime disciplinaire

30.D’après les explications fournies par la délégation quant à l’application de sanctions disciplinaires aux détenus, il n’est jamais recouru à l’isolement prolongé et le régime cellulaire ne dépasse jamais les deux jours, bien que le Règlement des établissements pénitentiaires fixe la limite à dix jours. Pour autant, le Comité est préoccupé par les informations indiquant que les cellules d’isolement seraient insalubres et que les conditions d’hygiène et d’assainissement y laisseraient à désirer, notamment faute d’un approvisionnement en eau adéquat. Le Comité est également préoccupé par l’alinéa i) de l’article 81 du Règlement des établissements pénitentiaires, qui prévoit parmi les sanctions disciplinaires applicables aux détenus la privation de toute visite ou correspondance avec l’extérieur pendant une période pouvant aller jusqu’à un mois (art. 11 et 16).

31. L’État partie devrait veiller à ce que l’isolement cellulaire ne soit utilisé qu’en dernier ressort dans des cas exceptionnels, pour une durée aussi brève que possible, sous contrôle indépendant et uniquement avec l’autorisation d’une autorité compétente, conformément aux règles 43 à 46 des Règles Nelson Mandela. L’État partie devrait également veiller à ce que les cellules d’isolement remplissent les conditions requises en matière de salubrité et d’hygiène, notamment qu’elles soient approvisionnées en eau. Le Comité appelle l’attention de l’État partie sur le paragraphe 3 de la règle 43 des Règles Nelson Mandela, qui dispose que les sanctions administratives ou mesures de restriction ne doivent pas consister en une interdiction de contacts avec la famille et que les contacts avec la famille ne peuvent être restreints que pour une période limitée, lorsque cela est strictement nécessaire pour assurer le maintien de l’ordre et de la sécurité.

Justice pour mineurs

32.S’il prend note des efforts déployés par l’État partie pour améliorer le système de justice pour mineurs, le Comité demeure néanmoins préoccupé par les informations indiquant que des mauvais traitements et des châtiments collectifs seraient pratiqués dans le centre de détention provisoire pour adolescents de la municipalité de San Joaquín, à Santiago (voir CAT/OP/CHL/1, par. 103 à 113). Il est également préoccupé par les informations faisant état de suicides dans les centres de détention pour mineurs, ainsi que de taux élevés d’actes de violence qui seraient liés au surpeuplement de ces établissements (art. 2, 11 et 16).

33. L’État partie devrait enquêter sur les mauvais traitements infligés à des mineurs privés de liberté et juger les responsables. Il devrait également prendre des mesures pour réduire la surpopulation dans les centres de détention pour mineurs et prévenir et faire reculer les actes de violence entre détenus. L’État partie devrait en outre examiner l’efficacité des programmes de prévention des suicides en vigueur dans ces établissements et recueillir des données à ce sujet.

Décès en détention

34.Le Comité constate avec préoccupation que selon les données communiquées par l’État partie il y aurait eu 1 262 décès en détention entre 2010 et juin 2018, et regrette de ne pas avoir reçu de données statistiques complètes et ventilées par lieu de détention, sexe, âge et origine ethnique ou nationalité et cause du décès. Le Comité relève en outre avec préoccupation que selon les informations que lui fournies la délégation, entre janvier 2013 et mai 2018, 273 personnes seraient mortes des suites d’affrontements entre détenus et qu’entre janvier 2014 et juin 2018, 62 suicides auraient été recensés dans les prisons. Il note en outre que l’État partie ne lui a pas fait part des résultats des enquêtes menées à ce sujet, ni des mesures concrètes, autres que les programmes de prévention des suicides et de lutte contre la violence dans les prisons, qu’il a prises pour éviter que de tels cas ne viennent à se reproduire. Par ailleurs, le Comité prend note des informations que lui a communiquées l’État partie au sujet de la procédure judiciaire engagée contre huit gendarmes pour l’incendie qui a eu lieu au centre de détention préventive de San Miguel, à Santiago, le 8 décembre 2010, et dans lequel 81 détenus ont péri et 13 autres ont été blessés. Tous les prévenus ont été acquittés en dernier ressort et, selon les informations dont dispose le Comité, les proches des victimes n’auraient encore reçu aucune forme de réparation. Le Comité regrette également de ne pas avoir reçu d’informations sur les mesures prises par l’État partie pour éviter de telles situations à l’avenir. Enfin, le Comité prend note des informations que la délégation lui a données quant au décès de Rodrigo Eduardo Donoso Jiménez, abattu d’une balle dans la tête alors qu’il tentait de s’évader du centre de détention préventive de Talagante le 29 janvier 2012, et relève que la procédure disciplinaire qui avait été ouverte à l’encontre du personnel en service au moment des faits aurait été suspendue et qu’en septembre 2012, l’affaire aurait été classée à titre provisoire (art. 2, 11 et 16).

35. Le Comité exhorte l’État partie :

a) À veiller à ce que tous les décès survenus en détention donnent rapidement lieu à une enquête impartiale menée par un organe indépendant, compte dûment tenu du Protocole du Minnesota relatif aux enquêtes sur les homicides résultant potentiellement d’actes illégaux ;

b) À prendre les mesures voulues pour prévenir les actes de violence entre détenus et les faire reculer, et en particulier à mettre en place des stratégies de prévention adaptées pour surveiller et recenser les incidents de ce genre, de façon que toutes les plaintes donnent lieu à des enquêtes et que tous les responsables aient à rendre compte de leurs actes ;

c) À enquêter sur la responsabilité éventuelle du personnel pénitentiaire de la gendarmerie et, le cas échéant, à sanctionner dûment les coupables et assurer une réparation adéquate aux proches des victimes ;

d) À garantir la sécurité dans les prisons en formant dûment le personnel pénitentiaire de la gendarmerie ;

e) À examiner l’efficacité des stratégies et des programmes visant à prévenir les suicides et à détecter les personnes privées de liberté susceptibles de se suicider, et à recueillir et lui fournir des données précises à ce sujet.

Décès de mineurs et plaintes pour actes de torture, mauvais traitements et violences sexuelles dans les centres d’accueil du Service national de protection des mineurs

36.Le Comité est vivement préoccupé par le nombre de décès d’enfants et d’adolescents qui ont été recensés dans les centres d’accueil du Service national de protection des mineurs et d’organismes associés au cours de la période considérée. Selon les informations fournies par l’État partie, 256 mineurs seraient morts entre janvier 2005 et juin 2016 dans des centres administrés directement par le Service de protection des mineurs et d’autres établissements subventionnés par lui et gérés par des organismes agréés. S’il prend note des explications fournies par l’État partie sur les enquêtes en cours, le Comité regrette néanmoins de ne pas avoir reçu de données ventilées par lieu d’hébergement, sexe, âge, origine ethnique ou nationale et cause présumée du décès. Il juge en outre profondément préoccupantes les informations selon lesquelles des actes de torture, des mauvais traitements et des violences sexuelles seraient infligés à des mineurs placés dans des centres d’accueil par le personnel de ces établissements, y compris des membres du personnel médical, ainsi que par le nombre d’actes de violence entre mineurs qui sont recensés dans ces foyers. À cet égard, le Comité constate avec satisfaction que l’État partie a décidé récemment de rendre public le rapport d’enquête du Comité des droits de l’enfant sur la situation des enfants et des adolescents placés dans des centres d’accueil au Chili, conformément à l’article 13 du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications (art. 2, 4, 12 à 14 et 16).

37. Le Comité demande instamment à l’État partie :

a) De veiller à ce que tous les décès d’enfants et d’adolescents placés dans des centres d’accueil du Service national de protection des mineurs et d’organismes associés donnent rapidement lieu à des enquêtes impartiales menées par un organisme indépendant ;

b) De veiller à ce que toutes les plaintes pour actes de torture, mauvais traitements ou violences sexuelles infligés à des mineurs placés dans de tels centres donnent rapidement lieu à des enquêtes exhaustives et impartiales. L’État partie devrait également veiller à ce que les auteurs présumés des faits en cause soient jugés et, s’ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines en adéquation avec la gravité de leurs actes, et à ce que toutes les victimes obtiennent une réparation adéquate ;

c) De prendre les mesures voulues pour remédier aux carences qui pourraient exister dans l’administration, la gestion et le fonctionnement interne des centres d’accueil et de garantir que de tels faits ne viennent pas à se reproduire ;

d) De veiller à ce que les mineurs placés dans des centres d’accueil soient dûment suivis sur le plan médical et sanitaire, et à ce que le personnel médical de ces établissements soit dûment formé ;

e) D’assurer un suivi périodique de tous les centres d’accueil du Service national de protection des mineurs et des organismes associés, et de veiller à ce que les recommandations formulées par le Comité des droits de l’enfant dans le prolongement de l’enquête que celui-ci a réalisée soient suivies d’effet ;

f) De veiller à ce que les besoins des mineurs placés dans des centres d’accueil soient satisfaits et à ce que le personnel de ces établissements dispose d’une formation professionnelle appropriée pour s’acquitter de ses fonctions.

Mauvais traitements sur personnes handicapées et personnes âgées

38.Le Comité s’inquiète des informations qu’il a reçues, selon lesquelles des personnes handicapées et des personnes âgées résidant en institution feraient l’objet de brimades, notamment d’un recours fréquent à des moyens de contention et à une médication forcée, et d’agressions sexuelles. Il regrette par conséquent de ne pas avoir reçu la moindre information sur les enquêtes auxquelles ont donné lieu les plaintes déposées à ce sujet (art. 2, 12, 13 et 16).

39. Le Comité demande instamment à l’État partie d’enquêter sur les plaintes pour mauvais traitements concernant des personnes handicapées ou des personnes âgées résidant en institution, ainsi que sur tous les décès soudains survenus dans ces établissements.

Formation

40.Le Comité prend acte des efforts déployés par l’État partie pour concevoir et mettre en œuvre des programmes de formation aux droits de l’homme à l’intention des membres des forces de l’ordre et des forces de sécurité (carabiniers et police judiciaire), ainsi que du personnel des établissements pénitentiaires (gendarmerie) et du personnel judiciaire. Il regrette cependant de ne pas disposer de plus amples informations sur les activités de formation aux droits de l’homme mises en place pour les membres des forces armées et de manquer d’informations sur l’évaluation de l’efficacité des programmes de formation destinés à prévenir les actes de torture et les mauvais traitements. Par ailleurs, le Comité salue les activités de formation organisées par le service de médecine légale à l’intention des professionnels − experts, médecins et psychologues − qui participent directement aux enquêtes portant sur des actes de torture et à l’établissement des faits, en ce qui concerne les moyens de déceler les séquelles physiques et psychologiques d’actes de torture et de mauvais traitements qui sont exposés dans le Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul) (art. 10).

41. L’État partie devrait :

a) Continuer à mettre au point des programmes obligatoires de formation continue de façon que tous les agents de la fonction publique, en particulier les agents des forces de l’ordre, les membres des forces armées, le personnel pénitentiaire et le personnel médical travaillant dans les centres de détention connaissent parfaitement les dispositions de la Convention et soient pleinement conscients, d’une part, qu’aucune infraction à ces dispositions ne sera tolérée et, d’autre part, que toute violation donnera lieu à une enquête et que les responsables seront jugés et, s’ils sont reconnus coupables, sanctionnés compte tenu de la gravité de leurs actes ;

b) Veiller à ce que l’ensemble du personnel concerné, notamment le personnel médical, reçoive une formation spécifique qui lui permette de détecter les cas de torture et de mauvais traitements, conformément au Protocole d’Istanbul ;

c) Définir et appliquer une méthode d’évaluation de l’efficacité des programmes d’éducation et de formation portant sur la Conven tion et le Protocole d’Istanbul  ;

d) Veiller à ce que tous les membres des forces de l’ordre, les juges civils et les juges militaires, et les procureurs suivent des stages obligatoires mettant l’accent sur les techniques d’interrogatoire non coercitives, l’interdiction de la torture et des mauvais traitements et l’obligation pour les organes judiciaires de ne pas tenir compte des aveux obtenus par la torture, qui vont de pair.

Non-refoulement

42.Le Comité estime que le délai de vingt‑quatre heures établi par le décret-loi no 1094 en date du 14 juillet 1975 pour faire recours auprès de la Cour suprême, contre un arrêté d’expulsion, à compter de la notification de l’avis d’expulsion, est excessivement court. À cet égard, il prend note du projet de loi qui est à l’examen sur les migrations et les étrangers (Journal officiel no 8970-06) et qui porterait ce délai à quarante‑huit heures et transférerait aux cours d’appel la compétence pour connaître des recours en premier et dernier ressort (art. 3).

43. Le Comité prie instamment l’État partie de prendre les mesures législatives et autres qui s’imposent et :

a) De revoir la législation en vigueur en ce qui concerne les migrations et les étrangers et d’étendre le délai prévu pour la présentation des recours contre les arrêtés d’expulsion ;

b) De faire en sorte que dans la pratique, aucune personne ne puisse être expulsée, refoulée ou extradée vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque personnellement et de manière prévisible d’être soumise à la torture ;

c) De garantir que toutes les personnes se trouvant sur son territoire ou sous sa juridiction aient effectivement accès à la procédure de détermination du statut de réfugié ;

d) De veiller à ce qu’il y ait des garanties procédurales contre le refoulement et des recours effectifs contre les refoulements dans le cadre des procédures d’expulsion, notamment à ce que les demandes rejetées soient soumises à l’examen d’un organe judiciaire indépendant, en particulier en appel.

Procédures judiciaires portant sur les actes de torture et autres violations graves des droits de l’homme commis durant la dictature

44.Le Comité note avec satisfaction qu’au cours de la période considérée, les tribunaux ont continué à juger et à condamner d’anciens militaires et représentants de l’État responsables de violations des droits de l’homme commises entre le 11 septembre 1973 et le 10 mars 1990. Il regrette néanmoins qu’il n’y ait pas davantage d’informations officielles à ce sujet, en particulier en ce qui concerne les décisions qui ont été rendues, les sanctions qui ont été appliquées aux auteurs des faits en cause et les peines que ceux-ci ont effectivement purgées. Selon les données qui lui ont été communiquées par la délégation de l’État partie, 1 287 affaires seraient en instance pour des violations des droits de l’homme commises durant la dictature, dont 536 portent sur des exécutions extrajudiciaires, 212 sur des disparitions forcées et 539 sur des actes de torture et des mauvais traitements. Le Comité prend également note des informations que lui a communiquées la délégation quant aux procédures pénales en cours en ce qui concerne les violations des droits de l’homme commises dans le cadre de l’opération Condor (art. 12, 13 et 14).

45. Le Comité demande instamment à l’État partie de continuer à juger les affaires portant sur des violations des droits de l’homme commises durant la dictature, et de veiller à ce que les auteurs des crimes en cause soient condamnés à des peines en adéquation avec la gravité de leurs actes et à ce qu’ils purgent effectivement leur peine. L’État partie devrait également redoubler d’efforts pour recueillir systématiquement des données sur les progrès accomplis dans l’action visant à faire la lumière sur les actes de torture et autres violations graves des droits de l’homme commis durant la dictature, notamment dans le cadre de l’opération Condor.

Décret-loi d’amnistie no 2191

46.Le Comité réaffirme sa préoccupation quant au fait que le décret-loi d’amnistie no 2191, du 18 avril 1978, est toujours en vigueur, bien que la délégation lui ait expliqué que dans la pratique, celui-ci n’était pas appliqué par la justice. S’il prend note de la teneur du projet de loi visant à annuler ledit décret-loi (Journal officiel no 4162-07), et de l’initiative du Gouvernement visant à réformer la Constitution pour que les lois d’amnistie ne puissent être invoquées dans les procédures judiciaires portant sur des violations des droits de l’homme commises par le passé (Journaux officiels nos 9748-07 et 9773-07), le Comité regrette néanmoins qu’à ce jour il n’y ait pas eu de véritable progression à cet égard (art. 2).

47. Le Comité renouvelle la recommandation qu’il a formulée dans ses précédentes observations finales (voir CAT/C/CHL/CO/5, par. 12), dans laquelle il engageait l’État partie à abroger le décret-loi d’amnistie n o 2191. L’État partie devrait en outre veiller à ce que les lois excluent toute possibilité d’amnistier les personnes reconnues coupables d’actes de torture ou de leur accorder toute autre forme de grâce contraire aux dispositions de la Convention.

Commission nationale sur l’emprisonnement politique et la torture

48.Le Comité regrette que l’article 15 de la loi no 19992 du 17 décembre 2004, qui établit que les documents, témoignages et éléments fournis à la Commission nationale sur l’emprisonnement politique et la torture par les victimes de violations des droits de l’homme commises pendant la dictature relèvent du secret durant une période de cinquante ans, soit toujours en vigueur, sans préjudice du droit des auteurs desdits documents et déclarations de les transmettre à des tiers ou de les porter à leur connaissance de leur propre initiative. Bien que prenant note du contenu du projet de loi visant à modifier la loi no 19992 relative au traitement des éléments recueillis par ladite commission (Journal officiel no 10883-07), le Comité relève que depuis octobre 2017, il n’y a pas eu de réel progrès en ce qui concerne l’adoption de ce texte (art. 12 et 14).

49. Le Comité renouvelle la recommandation qu’il a formulée dans ses précédentes observations finales (voir CAT/C/CHL/CO/5, par. 19), dans laquelle il exhortait l’État partie à abroge r les dispositions de la loi n o 19992 en vertu desquelles les documents, témoignages et éléments présentés à la Commission nationale sur l’emprisonnement politique et la torture par des victimes de la torture et d’autres violations graves des droits de l’homme commises durant la dictature sont considérés comme relevant du secret pendant une période de cinquante ans.

Commission consultative pour la détermination de la qualité de détenu-disparu, de victime d’exécution politique, de prisonnier politique et de victime de torture

50.Le Comité salue le travail accompli par la Commission consultative chargée d’établir la qualité de détenu-disparu, de victime d’exécution politique, de prisonnier politique et de victime de torture pour des faits commis entre le 11 septembre 1973 et le 11 mars 1990, qui a permis de reconnaître la qualité de prisonnier politique et de victime d’actes de torture à 9 795 personnes supplémentaires, et celle de victime de disparition forcée et/ou d’exécution extrajudiciaire à 30 autres personnes. Pour autant, le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles des personnes qui ont déposé devant cette commission mais ne se sont pas vu reconnaître le statut de victime n’ont pas pu faire appel de la décision de la Commission et n’ont pas été informées des critères sur lesquels repose la reconnaissance du statut de victime. De même, le Comité juge extrêmement court le délai initialement fixé à six mois pour soumettre les témoignages et demandes d’indemnisation à la Commission, bien que celui-ci ait été prolongé de six mois, soit jusqu’au 17 août 2011, en vertu de l’article premier de la loi no 20496 du 25 janvier 2011 (art. 12 à 14).

51. Compte tenu du délai réduit fixé pour soumettre les témoignages et demandes d’indemnisation à la Commission consultative, le Comité encourage l’État partie à envisager d’instituer un mécanisme permanent chargé d’identifier les victimes de violations des droits de l’homme commises durant la dictature et de les reconnaître comme telles.

Réparation

52.Le Comité relève avec préoccupation que, malgré les demandes répétées qui lui ont été adressées en ce sens, l’État partie n’a pas présenté d’informations détaillées sur les mesures de réparation et d’indemnisation, notamment sur les moyens de réadaptation, prescrites par les tribunaux et effectivement appliquées au profit des victimes d’actes de torture et de leurs proches au cours de la période considérée. S’il sait gré à la délégation des précisions qu’elle lui a fournies au sujet du Programme de réparation et de prise en charge complète en matière sanitaire et de la couverture que celui-ci garantit aux victimes d’actes de torture commis durant la dictature, le Comité demeure néanmoins préoccupé par les informations indiquant que les ressources allouées à ce programme sont insuffisantes pour en assurer le bon fonctionnement, que le personnel n’est pas suffisamment formé et fait l’objet de roulements trop importants, et que les services et prestations demandent à être renforcés et étendus au vu du vieillissement progressif des bénéficiaires. Enfin, le Comité prend note des raisons invoquées par le gouvernement actuel pour expliquer le retrait du projet de loi de réparation à l’intention des victimes d’emprisonnement politique et d’actes de torture (art. 14).

53. Le Comité appelle l’attention de l’État partie sur son observation générale n o 3 (2012) sur l’application de l’article 14 par les États parties, dans laquelle il traite en détail de la nature et de l’étendue des obligations qui incombent à l’État partie en vertu de la Convention s’agissant d’assurer pleine réparation aux victimes d’actes de torture. En particulier, l’État partie devrait :

a) Garantir à toutes les victimes d’actes de torture , y compris celles qui résident actuellement hors du Chili, le droit d’obtenir réparation et d’être indemnisées équitablement et de manière adéquate, et de se voir accorder les moyens nécessaires pour leur garantir la réadaptation la plus complète possible ;

b) Assurer un suivi permanent des programmes de réadaptation des victimes d’actes de torture, en évaluer l’efficacité et collecter des données sur le nombre de victimes et leurs besoins spécifiques en matière de réadaptation ;

c) Veiller à doter le Programme de réparation et de prise en charge complète en matière sanitaire d’un personnel spécialisé dûment formé ainsi que des ressources matérielles nécessaires à son bon fonctionnement, et envisager d’en étendre les prestations et services ;

d) Continuer à progresser dans l’adoption des mesures législatives et autres qui s’imposent pour garantir que toutes les victimes d’actes de torture commis durant la dictature obtiennent réparation, notamment qu’elles puissent faire valoir le droit que leur reconnaît la loi d’être indemnisées équitablement et de manière adéquate et de se voir accorder les moyens nécessaires pour leur garantir la réadaptation la plus complète possible.

Traite des personnes

54.S’il constate que la loi no 20507 du 1er avril 2011 qualifie les infractions de trafic illicite de migrants et de traite des personnes, le Comité relève néanmoins avec préoccupation que la définition de la traite des personnes qui figure à l’article 411 quater du Code pénal n’inclut pas les actes de traite à des fins d’exploitation par le travail (art. 2).

55. Le Comité demande instamment à l’État partie de revoir sa législation pénale en ce qui concerne la traite des personnes et de l’aligner sur les normes internationales, en particulier sur le Protocole additionnel à la Convention de Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants.

Procédure de suivi

56. Le Comité demande à l’État partie de lui faire parvenir au plus tard le 10 août 2019 des renseignements sur la suite qu’il aura donnée à ses recommandations concernant la création et la désignation d’un mécanisme national de prévention de la torture, les décès de mineurs et les plaintes pour actes de torture, les mauvais traitements et violences sexuelles dans les centres d’accueil du Service national de protection des mineurs, et les mauvais traitements sur personnes handicapées et personnes âgées (voir par .  17, 37 a) et b), et 39). Dans ce contexte, l’État partie est invité à informer le Comité des mesures qu’il prévoit de prendre pour mettre en œuvre, d’ici la soumission de son prochain rapport, tout ou partie des autres recommandations formulées dans les présentes observations finales.

Autres questions

57. L’État partie est invité à diffuser largement le rapport soumis au Comité ainsi que les présentes observations finales, auprès de tous les organes de son administration, notamment les autorités compétentes, au moyen des sites Web officiels et par l’intermédiaire des médias et des organisations non gouvernementales.

58. Le Comité prie l’État partie de soumettre son prochain rapport périodique, qui sera le septième, le 10 août 2022 au plus tard. À cette fin, et compte tenu du fait que l’État partie a accepté d’établir son rapport selon la procédure simplifiée, le Comité lui adressera en temps voulu une liste préalable de points à traiter. Les réponses de l’État partie à cette liste constitueront le septième rapport périodique qu’il soumettra en application de l’article 19 de la Convention .