NATIONS UNIES

CAT

Convention contre

la torture et autres peines

ou traitements cruels,

inhumains ou dégradants

Distr. GÉNÉRALE

CAT/C/DRC/CO/11 avril 2006

Original : FRANÇAIS

Comité contre la tortureTrente-cinquième session7-25 novembre 2005

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIESEN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION

Conclusions et recommandations du Comité contre la torture République démocratique du Congo

1. Le Comité a examiné le rapport initial de la République démocratique du Congo (CAT/C/37/Add.6) à ses 686e et 687e séances, les 21 et 22 novembre 2005 (CAT/C/SR.686 et 687), et a adopté, à sa 691e séance, les conclusions et recommandations ci-après.

A. Introduction

2. Le Comité se félicite de la présentation du rapport initial de la République démocratique du Congo, qui est conforme aux directives générales du Comité pour l’établissement des rapports, mais regrette qu’il ait été soumis avec huit années de retard. Il salue la franchise de ce rapport dans lequel l’État partie reconnaît des lacunes dans la mise en œuvre de la Convention. Il se félicite du dialogue constructif engagé avec la délégation de haut niveau envoyée par l’État partie et prend note avec satisfaction des réponses franches et complètes apportées aux questions posées au cours de ce dialogue.

B. Aspects positifs

3. Le Comité prend note avec satisfaction des faits positifs suivants :

a) La ratification par l’État partie de la plupart des principales conventions internationales relatives aux droits de l’homme ;

GE.06-41164

b) La ratification par l’État partie, le 30 mars 2002, du Statut de Rome de la Cour pénale internationale ;

c) La volonté exprimée par l’État partie de résorber le retard pris dans la présentation de ses rapports aux différents organes des traités, volonté concrétisée par la transmission desdits rapports au Secrétaire général des Nations Unies, par le biais du nouveau Comité interministériel permanent créé le 13 décembre 2001 ;

d) L’existence d’une proposition de loi modifiant et complétant le Code pénal pour que la Convention soit intégrée pleinement dans la législation nationale de la République démocratique du Congo ;

e) La création d’institutions destinées à la promotion et à la protection des droits de l’homme, telles que l’Observatoire national des droits de l’homme et le Ministère des droits de l’homme, ainsi que la coopération naissante entre les autorités gouvernementales et la société civile dans la promotion et la protection des droits de l’homme, en particulier dans la lutte contre la torture.

C. Facteurs et difficultés entravant la mise en œuvre de la Convention

4. Le Comité note que l’État partie se trouve encore dans une phase de transition politique, économique et sociale aggravée par un conflit armé qui a eu et continue d’avoir un impact sur le pays. Le Comité fait observer toutefois qu’aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, ne peut être invoquée pour justifier la torture, conformément à l’article 2, alinéa 2, de la Convention.

D. Sujets de préoccupation et recommandations

5. Le Comité constate avec préoccupation que l’État partie n’a ni incorporé la Convention dans son droit interne ni adopté des dispositions législatives visant à mettre en œuvre la Convention, et note en particulier :

a) Qu’il n’existe pas encore, dans le droit interne, une définition de la torture strictement conforme à celle figurant dans l’article premier de la Convention ;

b) Que le droit de la République démocratique du Congo ne prévoit pas de compétence universelle pour les actes de torture ;

c) Qu’il n’existe pas de dispositions donnant effet à d’autres articles de la Convention, notamment les articles 6 à 9.

Le Comité recommande à l’État partie de prendre toutes les mesures législatives, administratives et judiciaires nécessaires pour prévenir la torture et les mauvais traitements sur son territoire, et en particulier :

a) D’adopter une définition de la torture qui englobe tous les éléments constitutifs qui figurent à l’article premier de la Convention et de modifier son droit pénal interne en conséquence ;

b) De veiller à ce que les actes de torture constituent des infractions relevant de sa compétence, conformément à l’article 5 de la Convention ;

c) De garantir l’application de la Convention, notamment ses articles 6 à 9.

6. Le Comité est, en outre, préoccupé par les allégations récurrentes de tortures et de mauvais traitements généralisés imputés aux forces et services de sécurité de l’État partie, ainsi que par l’impunité apparente dont bénéficient les auteurs de ces actes.

a) L’État partie devrait prendre des mesures effectives pour prévenir tout acte de torture et tous mauvais traitements dans tout territoire sous sa juridiction ;

b) L’État partie devrait prendre des mesures énergiques pour que soit éliminée l’impunité des auteurs présumés d’actes de torture et de mauvais traitements, que des enquêtes promptes, impartiales et exhaustives soient menées à ce sujet, que les auteurs de ces actes soient jugés et, s’ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines appropriées, et que les victimes soient convenablement indemnisées.

7. Le Comité prend note de la mise hors la loi des lieux de détention illégale échappant au contrôle du Parquet, tels que les cachots des services de sécurité et du Groupe spécial de sécurité présidentielle où des personnes ont été soumises à la torture. Il reste toutefois préoccupé par le fait que des agents de l’État partie continuent de priver arbitrairement des personnes de leur liberté, notamment dans des lieux occultes de détention. Il s’inquiète aussi des allégations selon lesquelles des militaires et des responsables de l’application des lois infligeraient couramment des tortures et des mauvais traitements aux personnes détenues.

a) L’État partie devrait prendre des mesures urgentes pour que tout lieu de détention soit sous autorité judiciaire, en accord avec la décision présidentielle du 8 mars 2001 ;

b) L’État partie devrait prendre sans délai des mesures efficaces pour empêcher ses agents de procéder à des détentions arbitraires et de pratiquer la torture. Tous les cas allégués de détention arbitraire et de torture devraient faire l’objet d’enquêtes approfondies, les responsables devraient être poursuivis et les victimes devraient se voir accorder une réparation complète, y compris une indemnisation juste et suffisante ;

c) L’État partie devrait prendre des mesures pour garantir que toute personne détenue soit enregistrée formellement et conduite devant un juge et pour assurer son droit à recevoir l’assistance d’un avocat de son choix, à être examinée par un médecin et à contacter sa famille ou les personnes de son choix.

8. Le Comité est préoccupé par les déficiences d’ordre qualitatif et quantitatif au sein du pouvoir judiciaire et du Ministère public, qui sont les institutions publiques auxquelles incombe l’obligation de veiller à la sécurité des personnes et celle d’assurer le fonctionnement d’un État qui garantit le respect des droits de l’homme.

a) L’État partie devrait adopter des mesures efficaces visant à renforcer l’indépendance du pouvoir judiciaire, épine dorsale de tout État de droit parce que garant des droits et libertés reconnus par la Constitution, en particulier en améliorant les conditions de travail des fonctionnaires ainsi que les infrastructures propres au bon déroulement de leurs tâches. Le Comité estime que l’État devrait former les magistrats pour améliorer l’efficacité des enquêtes et mettre les décisions judiciaires en conformité avec les normes internationales applicables en la matière. Il recommande, en outre, l’adoption de mesures efficaces pour assurer l’indépendance des membres du pouvoir judiciaire et la protection de leur intégrité physique ;

b) Le Comité encourage l’État partie à rechercher les moyens de renforcer le pouvoir judiciaire, en particulier par le biais de la coopération internationale.

9.Le Comité note avec préoccupation l’existence d’une justice militaire pouvant juger des civils.

L’État partie devrait prendre les dispositions nécessaires pour que les juridictions militaires se cantonnent à juger uniquement des militaires, pour des infractions militaires et en accord avec les dispositions internationales applicables en la matière.

10. Le Comité a pris note avec préoccupation du grand nombre de forces et de services de sécurité dotés de pouvoirs d’arrestation, de mise en détention et d’enquête.

L’État partie devrait limiter au strict minimum le nombre de forces et de services de sécurité dotés de pouvoirs d’arrestation, de détention et d’enquête et veiller à ce que la police reste la principale institution responsable de l’application des lois.

11. Le Comité a noté les conditions de détention préoccupantes qui règnent en République démocratique du Congo. Les problèmes les plus courants sont le surpeuplement, une nourriture insuffisante, les mauvaises conditions d’hygiène et le manque de ressources matérielles, humaines et financières. Le traitement des prisonniers reste un sujet de préoccupation pour le Comité. Des cas de châtiments corporels pour faute disciplinaire sont signalés. La mise au secret et la privation de nourriture sont aussi utilisées à titre de mesure disciplinaire. Il est fréquent que des mineurs et des femmes ne soient pas séparés des adultes et des hommes.

L’État partie devrait mettre fin aux pratiques contraires à l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus. Il devrait également prendre immédiatement des mesures pour réduire la surpopulation dans les prisons ainsi que le nombre de personnes placées en détention provisoire, tout en garantissant que les mineurs et les femmes soient séparés des adultes et des hommes.

12. Le Comité est vivement préoccupé par la violence sexuelle généralisée contre les femmes, y compris dans les lieux de détention.

L’État partie devrait mettre en place et promouvoir un mécanisme efficace chargé de recevoir les plaintes pour violence sexuelle, y compris au sein du système pénitentiaire, et d’enquêter sur ces plaintes, ainsi que de fournir aux victimes une protection et une aide psychologiques et médicales.

13. Le Comité a pris note avec préoccupation des représailles, des actes graves d’intimidation et des menaces dont feraient l’objet les défenseurs des droits de l’homme, en particulier les personnes dénonçant des actes de torture et des mauvais traitements.

L’État partie devrait prendre des mesures efficaces pour veiller à ce que toutes les personnes dénonçant des tortures ou des mauvais traitements soient protégées contre tous actes d’intimidation et toutes conséquences défavorables que pourrait avoir pour elles cette dénonciation. Le Comité encourage l’État partie à renforcer sa coopération avec la société civile dans la prévention de la torture.

14. Le Comité est préoccupé par la situation de vulnérabilité générale dans laquelle se trouvent les enfants abandonnés face à la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, en particulier les enfants utilisés comme combattants par les groupes armés qui agissent sur le territoire de la République démocratique du Congo.

L’État partie devrait adopter et appliquer des mesures législatives et administratives d’urgence pour protéger les enfants, en particulier les enfants abandonnés, des violences sexuelles et assurer leur réhabilitation et réinsertion. Le Comité, en outre, recommande à l’État partie de prendre toutes les mesures possibles pour que tous les enfants soldats soient démobilisés, ainsi que de veiller à leur réadaptation et réinsertion sociale.

15. Le Comité note avec préoccupation le manque de statistiques, en particulier sur les cas de torture, sur les plaintes et les condamnations des coupables.

L’État partie devra faire figurer dans son prochain rapport périodique des données statistiques détaillées, ventilées par infraction, origine ethnique et sexe, sur les plaintes concernant des actes de torture et des mauvais traitements qui auraient été commis par des responsables de l’application des lois, ainsi que sur les enquêtes, poursuites et sanctions pénales et disciplinaires correspondantes. Des renseignements sont également demandés sur les mesures d’indemnisation et les services de réadaptation offerts aux victimes.

16. L’État partie est encouragé à diffuser largement les rapports présentés par la République démocratique du Congo au Comité, ainsi que les conclusions et recommandations de celui-ci, dans les langues appropriées, par le moyen des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

17. Le Comité demande à l’État partie de lui fournir, dans un délai d’un an, des renseignements sur les suites qu’il aura données aux recommandations du Comité, telles qu’exprimées dans le paragraphe 5, points a, b et c, ci-dessus.

18. L’État partie est invité à soumettre son prochain rapport périodique, qui couvrira ses deuxième à quatrième rapports, regroupés en un seul document, le 16 avril 2009, date à laquelle son quatrième rapport est attendu.

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