Nations Unies

CRPD/C/23/D/41/2017

Convention relative aux droits des personnes handicapées

Distr. générale

30 septembre 2020

Français

Original : espagnol

Comité des droits des personnes handicapées

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 du Protocole facultatif, concernant la communication no 41/2017 * , **

Communication présentée par :

Rubén Calleja Loma et Alejandro Calleja Lucas

Victime(s) présumée( s ) :

Rubén Calleja Loma et Alejandro Calleja Lucas

État partie :

Espagne

Date de la communication :

2 mai 2017 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 70 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 28 août 2020 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

28 août 2020

Objet :

Droit à l’éducation inclusive d’un enfant atteint du syndrome de Down

Question(s) de procédure :

Recevabilité ; fondement des griefs

Question(s) de fond :

Droit à l’éducation inclusive ; discrimination et peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants fondés sur le handicap ; respect de l’intimité du domicile et de la vie familiale

Article(s) de la Convention :

7, 13, 15, 17, 23 et 24, lus conjointement avec l’article 4

Article(s) du Protocole facultatif :

1er et 2

1.Les auteurs de la communication sont Rubén Calleja Loma et Alejandro Calleja Lucas, tous deux de nationalité espagnole, nés le 25 août 1999 et le 25 octobre 1962, respectivement. Au moment de la présentation de la communication, Rubén, qui était mineur, contestait la décision administrative de l’État partie de le scolariser dans un centre d’enseignement spécialisé parce qu’il était atteint du syndrome de Down. Les auteurs affirment que l’État partie a violé les droits qu’ils tiennent des articles 7, 13, 15, 17, 23 et 24 de la Convention, lus conjointement avec l’article 4. Ruben est représenté par son père, M. Calleja Lucas. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 3 mai 2008.

A.Résumé des renseignements fournis et des arguments avancés par les parties

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1En septembre 2009, Rubén, alors âgé de 10 ans, est entré en quatrième année de l’enseignement primaire obligatoire à l’école publique Antonio González de Lama de León, où il avait déjà été étudié les années précédentes avec l’aide d’un assistant technico‑pédagogique. Jusqu’alors, il était bien intégré et tout se passait bien avec ses enseignants et ses camarades de classe. Toutefois, dès la rentrée en quatrième année, son professeur principal, X, l’a rejeté à cause de son handicap et l’a soumis à la discrimination, à l’abandon et à des mauvais traitements. Dans les témoignages qu’elles ont fait le 23 janvier 2012 devant le tribunal du contentieux administratif no 1 de León, les mères de deux camarades de classe de Rubén ont déclaré que X en était arrivé à attraper Rubén par le cou et à menacer de le jeter par la fenêtre et de le frapper avec une chaise. X a dit aux parents de Rubén que leur fils était asocial et dangereux et leur a conseillé de le placer dans un établissement spécialisé. De surcroît, Rubén a été agressé physiquement par la professeure Y, qui l’a giflé. Bien que les parents de Ruben se soient plaints au rectorat de la province, les faits n’ont pas donné lieu à une enquête.

2.2Dans un rapport psycho-éducatif du 1er décembre 2009, il est mentionné que Rubén souffrait d’un trouble déficitaire de l’attention assorti d’un comportement perturbateur et fait allusion à la présence chez lui d’un type de trouble oppositionnel avec provocation. En janvier 2010, l’école a demandé au personnel éducatif spécialisé d’intervenir, et une travailleuse sociale a commencé à venir régulièrement à l’école pour accompagner Rubén et faire des recommandations pédagogiques à la famille et aux enseignants.

2.3En septembre 2010, Rubén est entré en cinquième année de l’enseignement primaire obligatoire, avec Z pour professeur principal. Jusqu’au 28 octobre 2010, il a été privé du soutien de l’assistante technico-éducative, alors qu’il en avait bénéficié les années précédentes, car Z estimait qu’il n’en avait pas besoin. Ce n’est qu’après que ses parents se sont plaints qu’il a pu être accompagné par l’assistante. Toutefois, le professeur principal n’a jamais accepté sa présence et n’a pas coopéré avec elle. Les auteurs ajoutent que, le 19 janvier 2011, une autre enseignante a eu une attitude de rejet envers Rubén et a demandé à son père de le transférer dans un centre d’enseignement spécialisé. L’enfant a continué d’être livré è lui-même et soumis à des mauvais traitements par ses enseignants et, malgré les plaintes déposées par ses parents auprès du rectorat, la direction de l’école n’a rien fait pour résoudre le problème.

2.4Le 13 décembre 2010, l’assistante sociale B a rédigé un rapport socioéducatif dans lequel elle signalait que, en quatrième année de primaire, Rubén avait commencé à montrer des difficultés d’adaptation à l’école, lesquelles étaient dues, selon ses parents, à une mauvaise relation avec son professeur principal. B a positivement évalué Rubén sur les plans des capacités sensorielles et motrices, de l’autonomie personnelle, de la communication et de certaines compétences particulières, mais a néanmoins conclu que, compte tenu du contexte scolaire et de la dynamique compliquée qui existait entre, d’une part, Rubén, et, d’autre part, les enseignants et spécialistes et les autres élèves, il semblait raisonnable que Rubén change d’école (et fréquente un établissement similaire doté de ressources comparables). Selon elle, nul n’était besoin d’entrer dans les détails pour constater que l’enfant était conditionné pour mal réagir et qu’il serait très difficile de modifier une dynamique aussi complexe et ancienne. Ces deux facteurs rendaient la situation pratiquement irréversible et extrêmement dommageable pour les deux parties, quoique surtout pour l’enfant, qui était toute particulièrement vulnérable (d’abord, parce qu’il était un être humain en plein développement et ensuite parce qu’il était « déficient »). La travailleuse sociale a estimé que la direction devait définir la méthode d’apprentissage adaptée à Rubén et établir un cadre de coopération avec la famille pour assurer le bien-être personnel et scolaire de l’enfant. Les auteurs soulignent qu’il n’a en aucun cas été jugé nécessaire de placer Rubén dans un établissement d’enseignement spécialisé.

2.5Le 17 décembre 2010, un rapport d’orientation scolaire a été établi concernant Rubén sans que ses parents aient donné leur autorisation préalable. Il y est dit que Rubén avait un comportement perturbateur, était sujet à des crises psychotiques et présentait un retard général de développement associé au syndrome de Down. Cette terminologie relève davantage de la psychologie clinique que de la psychopédagogie ; or, les auteures n’étaient nullement qualifiées pour formuler les conclusions auxquelles elles sont parvenues et apprécier le handicap psychique de Rubén. De surcroît, elles ne se sont pas entretenues avec les parents, qu’elles n’ont même pas consultés. Les auteurs soutiennent que le rapport présente d’importantes lacunes en ce qu’il n’aborde pas comme il se doit les mauvais traitements subis par Rubén et l’insuffisance du soutien pédagogique apporté.

2.6Le 21 mars 2011, après que les parents de Ruben ont contesté le rapport, un second rapport a été établi, que les intéressés ont également contesté. Les auteurs recommandaient que Rubén soit placé dans un centre d’enseignement spécialisé. Or, leurs conclusions n’étaient pas valables car elles ne tenaient pas compte du fait que Rubén avait été victime de discrimination et de mauvais traitements. De fait, il est dit dans le rapport que l’enfant était bien traité par les enseignants, mais avait des problèmes de comportement que ceux-ci avaient du mal à gérer et qui nuisaient sensiblement aux relations professeurs-élève.

2.7Le 6 mai 2011, les parents de Rubén ont déposé plainte auprès du parquet des mineurs de León pour dénoncer la discrimination et les mauvais traitements infligés à leur fils au cours des années scolaires 2009/10 et 2010/11. Le 4 octobre 2011, la plainte a été classée aux motifs que le comportement des enseignants n’était pas constitutif d’une infraction pénale en ce qu’il n’y avait eu ni agression, ni violences, ni mauvais traitements et les autres griefs soulevés par les auteurs n’entraient pas dans le champ de compétence du parquet.

2.8Le 20 juin 2011, le rectorat provincial a approuvé l’inscription de Rubén à l’établissement d’enseignement spécialisé Nuestra Señora del Sagrado Corazón, situé à León.

2.9Le 19 septembre 2011, les parents de Rubén ont saisi le tribunal du contentieux administratif no 1 de León d’un recours spécial en protection de leurs droits fondamentaux dans lequel ils contestaient la décision du rectorat provincial. Ils demandaient au tribunal d’annuler cette décision et d’affirmer le droit de Rubén d’être scolarisé dans une école publique ordinaire, faisant valoir que la décision du tribunal portait atteinte à plusieurs droits consacrés par la Constitution, à savoir le droit à l’égalité (art. 14) envisagé conjointement avec le droit à l’éducation (art. 27) et le droit à l’intégrité morale de l’enfant (art. 15) envisagé conjointement avec le principe de la dignité de la personne (art. 10 (par. 1)).

2.10Le 20 juillet 2012, le tribunal du contentieux administratif no 1 de León a débouté les parents de Rubén, estimant que le rectorat n’avait porté atteinte à aucun droit garanti par la Constitution. Le tribunal a rappelé que, selon la doctrine constante du Tribunal constitutionnel, le principe de l’égalité dans ou devant la loi imposait au législateur l’obligation d’accorder un traitement égal aux personnes qui se trouvent dans des situations juridiques similaires. Il a estimé que les droits de Rubén à l’égalité et à l’éducation n’avaient pas été violés car Rubén n’était pas dans la même situation juridique que les enfants non handicapés, en conséquence de quoi l’obligation faite au législateur d’assurer l’égalité de traitement ne s’appliquait pas.

2.11Dans son jugement, le tribunal soulignait que seul un accompagnement individuel par des enseignants spécialisés travaillant avec Rubén depuis longtemps était susceptible d’apporter une solution acceptable aux problèmes d’apprentissage de l’intéressé. Le tribunal a ajouté que l’administration ne pouvait pas se voir reprocher de ne pas avoir fourni à l’élève l’aide et l’assistance dont il avait besoin étant donné qu’elle l’avait soutenu tout au long de sa scolarité et qu’il avait jusqu’alors fréquenté un établissement ordinaire où il bénéficiait de l’aide d’un assistant technico-pédagogique, d’un spécialiste de l’audition et du langage et d’un spécialiste de la pédagogie thérapeutique. Le tribunal a estimé que Rubén en était arrivé à un stade où l’administration n’avait plus les moyens d’assurer son évolution cognitive et comportementale, citant un jugement de 2009 dans lequel le Tribunal supérieur de justice de Castille-et-León, qui siège à Burgos, avait souligné que les ressources publiques « étaient ce qu’elles étaient ».

2.12Le 24 septembre 2012, les parents de Rubén ont interjeté appel de la décision du tribunal du contentieux administratif no 1 de León auprès de la section du contentieux administratif du Tribunal supérieur de justice de Castille-et-León. Ils ont demandé l’annulation de la décision contestée, faisant de nouveau valoir le droit de Rubén d’être scolarisé dans une école publique ordinaire. Ils ont souligné que la décision ne tenait compte ni des mauvais traitements subis par leur fils, ni du fait que l’administration était tenue de permettre à Rubén de bénéficier d’aménagements raisonnables dans l’école publique ordinaire qu’il fréquentait, ni des incohérences qui existaient entre le rapport dans lequel il était recommandé de réorienter Rubén vers un autre établissement et le rapport de la travailleuse sociale. Enfin, selon eux, le tribunal n’avait pas pris en considération l’expertise qu’ils avaient présentée, à savoir le rapport du psychologue clinicien G. C., dont il ressortait que, si Rubén n’arrivait pas à s’adapter à l’enseignement dispensé dans son école, c’était à cause d’un manque de soutien pédagogique et de la discrimination et l’hostilité dont il était victime. Ils ont réaffirmé que, contrairement à ce qui ressortait de la décision, Rubén n’avait pas été aidé par l’assistante technico-pédagogique dès le début de l’année scolaire 2010/11 et, à un moment donné, comme l’assistante l’avait déclaré, son professeur principal s’était complètement désintéressé de lui et de sa scolarité. De surcroît, les auteurs soutenaient que la conclusion du tribunal selon laquelle Rubén ne pouvait pas être scolarisé dans une école ordinaire parce que les ressources de l’administration « étaient ce qu’elles étaient » était infondée et ne résistait pas à l’analyse. Ils ont rappelé que Rubén avait reçu tout l’appui dont il avait besoin jusqu’à ce que les événements exposés plus haut se produisent, et que les problèmes qu’il avait en tant qu’enfant atteint du syndrome de Down pouvaient tout à fait être gérés par un établissement ordinaire ; de fait, d’après les constatations de l’expert G. C., jamais réfutées, l’immense majorité des enfants atteints de ce syndrome étaient inscrits dans une école publique ordinaire.

2.13Le 22 mars 2013, le Tribunal supérieur de justice de Castille-et-León a rejeté le recours, estimant qu’il n’y avait pas eu violation du droit à l’égalité (art. 14 de la Constitution), envisagé conjointement avec le droit à l’éducation, ni du principe de la dignité de la personne (art. 27 et 10 (par. 1)) de la Constitution). Le Tribunal a estimé, comme l’avait fait le tribunal du contentieux administratif no 1 de León, qu’on ne pouvait pas comparer les enfants handicapés et les enfants non handicapés et que, par conséquent, l’inscription d’un enfant handicapé dans un établissement d’enseignement spécialisé n’était pas constitutive de discrimination. Le Tribunal a constaté que, les dernières années, l’école que fréquentait Rubén ne répondait effectivement plus à ses besoins, certains des professeurs ayant fait preuve d’un manque total de coopération et la direction n’ayant pas pris les mesures qu’elle aurait dû immédiatement prendre à leur égard (compte tenu de la gravité des faits qui leur étaient reprochés), et qu’il était donc possible que l’enfant ait été dépendant, pour son apprentissage et le soutien dont il avait besoin, d’une institution qui ne fonctionnait pas normalement. Néanmoins, il a réaffirmé que la décision de l’administration était justifiée en ce que, comme le montraient les deux rapports d’orientation scolaire des 17 décembre 2010 et 21 mars 2011, l’enfant présentait un retard de développement considérable sur les plans éducatif et cognitif et avait de très graves problèmes comportementaux, qui se manifestaient notamment sous la forme de crises psychotiques assorties de comportements perturbateurs. Selon les juges, le rapport de l’expert G. C. n’offrait pas de garanties suffisantes de fiabilité et d’indépendance pour discréditer les deux rapports de l’administration. Le Tribunal a en outre estimé que Rubén avait des besoins particuliers tant sur le plan éducatif que sur le plan du développement comportemental et que comme, de surcroît, seul un accompagnement individuel avec des enseignants spécialisés travaillant avec lui depuis longtemps pouvait lui permettre de surmonter ses difficultés d’apprentissage, il ne devait plus être scolarisé dans une école ordinaire.

2.14Le 30 avril 2013, les parents de Rubén ont saisi le Tribunal constitutionnel d’un recours en amparocontre la décision du Tribunal supérieur de justice de Castille-et-León, alléguant une violation du droit à l’éducation (art. 27 de la Constitution), envisagé conjointement avec le droit à l’égalité (art. 14 de la Constitution). Le 31 mars 2014, le Tribunal constitutionnel a refusé de se saisir, estimant qu’il n’y avait à première vue pas eu de violation d’un droit fondamental ouvrant la voie à l’amparo.

2.15Le 14 mai 2013, les parents de Rubén ont déposé une deuxième plainte auprès du parquet provincial de León pour dénoncer la discrimination et les mauvais traitements subis par Rubén à l’école. Ils présentaient comme éléments nouveaux, les déclarations des mères des camarades de classe de Rubén concernant les mauvais traitements infligés à l’enfant, qui étaient mentionnées dans le jugement du Tribunal supérieur de justice de Castille-et-León, ainsi que la constatation du tribunal selon laquelle il y avait peut-être eu des dysfonctionnements à l’école. Le 8 octobre 2013, le parquet a de nouveau décidé de classer la plainte, estimant que le comportement des enseignants et des autres membres du personnel éducatif n’était pas suffisamment grave pour constituer un traitement dégradant et ne procédait pas d’une intention de nuire à Rubén, de le dénigrer ou de l’humilier.

2.16Le 12 mai 2014, le parquet provincial de León a saisi le tribunal d’instruction no 3 de León après que les parents de Rubén ont refusé d’amener leur fils à l’établissement d’enseignement spécialisé Nuestra Señora del Sagrado Corazón, où il était inscrit, estimant que ce comportement était constitutif de l’infraction pénale d’abandon de famille. Le 23 mai 2014, le tribunal a ordonné aux parents de verser 2 400 euros chacun à titre de garantie du paiement des dépenses qui pourraient leur incomber sous peine de voir saisis des biens d’un montant équivalent. Le 20 avril 2015, le tribunal pénal no 1 de León a déclaré les parents de Rubén non coupables de l’infraction d’abandon de famille.

2.17Le 26 septembre 2014, les parents de Rubén ont saisi la Cour européenne des droits de l’homme, lui demandant de conclure à une violation de l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme) et de condamner l’État partie à leur verser des dommages-intérêts de 100 000 euros pour préjudice moral. Le 13 novembre 2014, la Cour, statuant à juge unique, a jugé leur requête irrecevable au regard des articles 34 et 35 de la Convention.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs soutiennent que Rubén a été victime d’une violation de l’article 24 de la Convention car la décision de l’administration de l’inscrire à l’établissement d’enseignement spécialisé Nuestra Señora del Sagrado Corazón a entraîné une violation de son droit à l’éducation inclusive. Ils avancent que les tribunaux de l’État partie ont rejeté leur demande essentiellement sur la base des rapports des conseillers d’orientation alors que ces rapports avaient été établis en étroite collaboration avec les personnes qui avaient rejeté et maltraité Rubén, l’avaient livré à lui-même et l’avait soumis à la discrimination sans aucun égard pour sa dignité et pour ses droits, et même à la demande de ces personnes. En outre, ils soutiennent qu’il a été porté atteinte au droit des parents de Rubén de participer activement et à toutes les étapes de la procédure avec tout le respect qui leur était dû.

3.2Les auteurs avancent que l’État partie a violé l’article 23 de la Convention en ce que l’action engagée par le parquet provincial de León contre les parents de Rubén, accusés d’abandon de famille, aurait pu faire perdre leurs droits parentaux aux intéressés. Ils soutiennent que leur droit au respect de la vie familiale a été violé car, comme suite aux décisions des autorités de l’État partie, Rubén a été mis en pension et séparé de ses parents.

3.3Les auteurs allèguent que Rubén a été victime d’une violation de l’article 7 de la Convention car l’État partie n’a pas pris les mesures nécessaires pour lui garantir la pleine jouissance de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales sur la base de l’égalité avec les autres enfants.

3.4Les auteurs dénoncent une violation de l’article 13 de la Convention, faisant valoir qu’aucune des décisions rendues par les autorités de l’État partie au cours de la procédure interne ne mentionne la Convention ou le droit à l’éducation inclusive alors qu’eux-mêmes y ont fait référence dans toutes leurs écritures.

3.5Les auteurs avancent que Rubén a été victime d’une violation de l’article 15 de la Convention, lu conjointement avec l’article 17, en ce qu’il a été rejeté, maltraité, livré à lui‑même et soumis à la discrimination au cours des années scolaires 2009/10 et 2010/11, pendant lesquelles il a fréquenté l’école publique Antonio González de Lama de León. Ils ajoutent que les mauvais traitements que Rubén a subis de la part du personnel éducatif ont mis en danger son intégrité physique et que le parquet provincial de León, auprès duquel ils se sont plaints à deux reprises, n’a jamais voulu rencontrer les parents de Rubén, a ignoré les déclarations des témoins et n’a rien fait pour protéger les droits de l’enfant.

3.6Enfin, les auteurs soutiennent qu’ils sont victimes d’une violation de l’article 4 de la Convention car l’État partie ne s’est toujours pas doté d’un cadre législatif, éducatif et administratif permettant de garantir à Rubén le plein exercice de ses droits humains, y compris le droit à une éducation inclusive, alors que la Convention est pourtant entrée en vigueur pour l’État partie le 3 mai 2008.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 26 décembre 2017, l’État partie a présenté des observations sur la recevabilité de la communication dans lesquelles il soutient que celle-ci devrait être déclarée irrecevable.

4.2L’État partie rappelle que les auteurs demandaient, à titre de mesure de réparation, que Rubén soit autorisé à suivre une formation professionnelle d’assistant administratif adaptée à son handicap donnant lieu à l’obtention d’un certificat de compétences. À cet égard, il fournit un rapport du rectorat provincial de León dont il ressort que Rubén a été admis, pour l’année scolaire 2017/18, à suivre une formation professionnelle élémentaire d’assistant administratif à l’établissement privé conventionné Down León Amidown Amigos del Síndrome de Down.

4.3L’État partie conclut que, étant donné que les auteurs ont obtenu la réparation demandée, la communication n’est plus pertinente et, partant, rien ne sert qu’il présente des observations sur la recevabilité et sur le fond.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1Dans une note du 1er février 2018, les auteurs ont présenté des commentaires sur les observations de l’État partie. Ils confirment que Rubén est inscrit pour l’année scolaire en cours à l’établissement privé conventionné Down León Amidown Amigos del Síndrome de Down, mais soutiennent que, contrairement à ce qu’affirme l’État partie, cela ne signifie pas qu’ils ont obtenu satisfaction en ce qui concerne le grief de violation du droit à l’éducation inclusive tiré de l’article 24 de la Convention. Ils signalent que l’établissement où Rubén étudie est un établissement spécialisé qui accueille surtout des personnes atteintes du syndrome de Down et n’est donc pas un établissement d’enseignement ordinaire. Six élèves sont inscrits à la même formation que Rubén, et tous souffrent d’un handicap intellectuel et ont des besoins éducatifs particuliers. En conséquence, les auteurs estiment qu’on ne saurait dire que le droit de Rubén à une éducation inclusive a été respecté, et contestent l’argument de l’État partie selon lequel la communication n’est plus pertinente et est dénuée de fondement.

5.2Les auteurs réaffirment qu’ils entendent faire reconnaître le droit de Rubén de suivre une formation professionnelle élémentaire d’assistant administratif au sein du système d’enseignement ordinaire, de bénéficier à cette fin des aménagements nécessaires compte tenu de ses besoins particuliers, et d’obtenir à l’issue de la formation un certificat de compétences.

5.3Les auteurs expliquent que Rubén a dû être inscrit à l’établissement Down León Amidown Amigos del Síndrome de Down parce qu’il n’y avait, dans sa ville et aux alentours, aucun établissement d’enseignement ordinaire adapté proposant véritablement une éducation inclusive de qualité.

5.4Les auteurs réaffirment qu’ils sont victimes d’une violation des droits consacrés aux articles 4, 7, 13, 15, 17 et 23 de la Convention, et font observer que l’État partie n’a formulé aucune observation au sujet de leurs allégations.

Observations supplémentaires des parties

6.1Dans des observations du 30 mai 2018, l’État partie avance que les violations des articles 4, 7, 13, 15, 17 et 23 de la Convention dont les auteurs tirent grief dans leurs commentaires ne sont pas mentionnées dans la lettre initiale. Concernant le grief qui, à son sens, fait l’objet de la communication, à savoir la violation de l’article 24 de la Convention, l’État partie réaffirme qu’il a déjà fait droit à la demande de réparation des auteurs.

6.2La formation suivie par Rubén est une formation ordinaire dispensée par un établissement d’enseignement ordinaire. L’ordonnance EDU/465/2017, en date du 13juin 2017, dispose [traduction non officielle]: « Premièrement. [...] La reconduction des conventions pédagogiques conclues avec les établissement d’enseignement privés conformément aux dispositions des annexes I, II et III est approuvée, avec les modifications qui figurent dans lesdites annexes : a) Annexe I : Renouvellement des conventions pédagogiques conclues avec les établissement d’enseignement préscolaire du deuxième cycle, les établissements d’enseignement primaire, les établissement d’enseignement secondaire obligatoire et les lycées. b) Annexe II : Reconduction des conventions pédagogiques conclues avec les établissements de formation professionnelle c) Annexe III : Reconduction des conventions pédagogiques conclues avec les établissements d’enseignement spécialisé. Deuxièmement. Conclusion des conventions pédagogiques. La conclusion de conventions pédagogiques avec les établissements d’enseignement privés et les établissements visés aux annexes IV et V est approuvée : a)Annexe IV : Conclusion de conventions pédagogiques avec les établissements de formation professionnelle. b) Annexe V : Conclusion de conventions pédagogiques avec les établissements d’enseignement spécialisé ».

6.3L’État partie indique que le centre Down León-Amidown-Asociación Amigos Síndrome de Down est mentionné à l’annexe IV (Conclusion de conventions pédagogiques avec les établissements de formation professionnelle), ce qui montre qu’il est agréé pour dispenser une formation professionnelle élémentaire et non un enseignement spécialisé, auquel cas il serait mentionné aux annexes III et IV. L’État partie ajoute que le centre figure sur le registre des centres privés de formation spécialisée tenu par le Ministère régional de l’éducation.

6.4Le 19 septembre 2018, les auteurs ont présenté des observations complémentaires. Ils soulignent que la formation d’assistant administratif dispensée au centre privé Amidown n’est pas inclusive car c’est une formation professionnelle élémentaire destinée aux élèves qui ont besoin d’un soutien scolaire particulier et qu’ils sont conscients de la situation, comme le sont du reste les parents des camarades de classe de Rubén, mais estiment néanmoins que c’est la moins mauvaise des solutions mises à leur disposition par l’État partie sachant qu’il n’existe pas près de chez eux d’établissement dispensant un enseignement véritablement inclusif. Les auteurs expliquent que, dans la ville de León, il existe deux formations comparables à celle suivi par Rubén : la formation d’assistant administratif dispensée au lycée Ordoño II et la formation de jardinage et composition florale dispensée au lycée Juan del Enzina.

6.5Le fait que les formations susmentionnées soient dispensées dans des écoles publiques ou privées ordinaires n’est pas un gage d’inclusivité ; d’ailleurs, les cours ont lieu dans des salles de classe réservées aux élèves ayant besoin d’un soutien scolaire particulier. En outre, la scolarisation dans un établissement d’enseignement quel qu’il soit ne garantit pas une éducation inclusive de qualité si, dans la pratique, la ségrégation se perpétue.

6.6Enfin, les auteurs allèguent de nouveau des violations des articles 4, 7, 13, 15, 17 et 23 de la Convention. Ils soutiennent que l’administration ne leur a jamais accordé une protection adéquate et n’a pas dûment protégé les droits garantis par la Convention et inscrits dans la Constitution de l’État partie et que les droits de Rubén à l’égalité et à une vie exempte de discrimination fondée sur le handicap ont été violés, ce qui a gravement porté atteinte à sa dignité et à son intégrité morale.

6.7L’ordonnance EDU/465/2017 du 13 juin 2017, qui perpétue la ségrégation scolaire des élèves handicapés, a été prise après que le Comité s’est rendu dans l’État partie. Comme suite à sa visite, le Comité avait pourtant conclu que l’instauration d’un système inclusif fondé sur le droit à la non-discrimination et à l’égalité des chances supposait l’abolition de tout système d’enseignement dans lequel les élèves handicapés étaient séparés des autres. En outre, les auteurs rappellent que les parents de Rubén ont été poursuivis au pénal pour abandon de famille parce qu’ils avaient défendu le droit fondamental de leur fils de bénéficier d’une éducation inclusive sur un pied d’égalité avec les autres élèves et que la procédure dont ils ont fait l’objet a été lourde de conséquences sur leur vie personnelle, familiale et sociale, leur santé et leurs finances, d’autant qu’elle a duré plus de sept ans. Ils soulignent que le Comité a recommandé à l’État partie de veiller à ce que les parents d’élèves handicapés ne puissent pas être poursuivis pour abandon de famille pour avoir revendiqué le droit de leur enfant à une éducation inclusive dans des conditions d’égalité avec les autres. Enfin, ils demandent que la Convention soit pleinement et véritablement appliquée afin d’éviter que se reproduise le type de violations extrêmement graves dont Rubén a été victime, dont il a énormément souffert et qui le maintiennent dans une situation de discrimination dans laquelle ses droits fondamentaux sont bafoués.

B.Examen de la recevabilité et examen au fond

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 2 du Protocole facultatif et à l’article 65 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

7.2Le Comité constate que l’auteur a saisi la Cour européenne des droits de l’homme d’une requête portant sur les mêmes faits que la communication. Dans une décision du 13 novembre 2014, la Cour a estimé que la requête ne satisfaisait pas aux critères de recevabilité énoncés aux articles 34 et 35 de la Convention européenne des droits de l’homme. Le Comité rappelle que lorsque la Cour fonde une décision d’irrecevabilité non seulement sur l’examen des critères de recevabilité, mais aussi sur un examen de questions de fond, il convient de considérer que la question a déjà été examinée au sens de l’alinéa c) de l’article 2 du Protocole facultatif. Toutefois, il est d’avis que, compte tenu de la brièveté de la décision de la Cour, et en particulier du fait que cette décision n’est pas motivée en ce qui concerne le fond, il ne peut pas conclure avec certitude que le grief soulevé par l’auteur a déjà été examiné quant au fond, fût-ce superficiellement. En conséquence, il estime que les dispositions de l’alinéa c) de l’article 2 du Protocole facultatif ne font pas obstacle à l’examen de la communication.

7.3Le Comité note que les auteurs disent avoir épuisé tous les recours internes disponibles et utiles. En l’absence d’objection de la part de l’État partie, il estime donc que la communication satisfait aux conditions énoncées à l’alinéa d) de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.4Enfin, le Comité note que, pour l’État partie, la communication devrait être déclarée irrecevable au motif que les auteurs ont déjà obtenu la réparation demandée, Rubén ayant été inscrit, pour l’année scolaire 2017/18, en première année de la formation professionnelle élémentaire d’assistant administratif à l’établissement privé conventionné Down León Amidown migos del Síndrome de Down. Toutefois, il note également que les auteurs estiment ne pas avoir obtenu réparation car cet établissement n’est pas un établissement d’enseignement ordinaire et la formation qui y est dispensée n’est pas inclusive en ce qu’elle est réservée aux élèves ayant besoin d’un soutien pédagogique particulier. En outre, il constate que les auteurs allèguent que l’État partie a violé les droits qu’ils tiennent de la Convention car : a) la décision de l’administration d’inscrire Rubén à l’établissement d’enseignement spécialisé Nuestra Señora del Sagrado Corazón, confirmée par les tribunaux de l’État partie, a porté atteinte au droit de l’intéressé à une éducation inclusive ; b) en poursuivant les parents de Rubén pour abandon de famille au motif qu’ils avaient refusé d’amener leur fils dans un établissement d’enseignement spécialisé, le parquet provincial de León a porté atteinte au droit de l’intéressé au respect de la vie familiale ; c) les autorités de l’État partie n’ont pas dûment enquêté sur les allégations de discrimination et de mauvais traitements à l’égard de Rubén ; d) l’État partie n’a pas pris les mesures nécessaires pour garantir à Rubén le plein exercice de tous ses droits dans des conditions d’égalité avec les autres enfants ; e) bien que la Convention soit entrée en vigueur pour lui le 3 mai 2008, l’État partie ne s’est toujours pas doté de lois et de politiques permettant de garantir le plein exercice des droits humains de Rubén. Compte tenu de ce qui précède, et du fait que l’État partie n’a formulé aucun commentaire sur ces allégations, le Comité estime que les auteurs ont suffisamment étayé leurs griefs aux fins de la recevabilité.

7.5Le Comité prend note des allégations selon lesquelles l’État partie a violé les droits garantis à Rubén par l’article 13 de la Convention car aucune des décisions judiciaires ou autres prises par les autorités espagnoles ne fait référence à la Convention alors que les auteurs ont pourtant invoqué cet instrument à de multiples reprises dans toutes les procédures internes qu’ils ont intentées. Toutefois, il estime que ces allégations ne sont pas suffisamment étayées aux fins de la recevabilité, les auteurs ne fournissant aucune information indiquant une absence de formation des personnes concourant à l’administration de la justice dans l’État partie, et les déclare donc irrecevables au regard de l’alinéa f) l’article 7 du Protocole facultatif.

7.6En conséquence, et en l’absence de tout autre obstacle à la recevabilité, le Comité déclare la communication recevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif en ce qui concerne les allégations de violation des articles 7, 15, 17, 23 et 24 de la Convention, lus conjointement avec l’article 4, et va maintenant procéder à l’examen de ces allégations quant au fond.

Examen au fond

8.1Conformément à l’article 5 du Protocole facultatif et au paragraphe 1 de l’article 73 de son règlement intérieur, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui avaient été communiquées.

8.2En ce qui concerne les allégations de violation de l’article 24 de la Convention, le Comité note que la décision de l’administration d’inscrire Rubén à l’établissement d’enseignement spécialisé Nuestra Señora del Sagrado Corazón, confirmée par les tribunaux de l’État partie, a porté atteinte au droit de l’intéressé à une éducation inclusive. Il constate que les auteurs soutiennent que cette décision reposait sur deux rapports que les conseillers d’orientation avait établis à la demande des enseignants de l’école ordinaire que Rubén fréquentait et en étroite collaboration avec eux, alors pourtant que ces personnes auraient soumis l’enfant à la discrimination et à des mauvais traitements. Il constate également que l’État partie n’a fait aucun commentaire concernant ces allégations. De surcroît, il note que, comme l’affirment les auteurs, les informations figurant au dossier ne permettent pas de penser que les autorités de l’État partie ont procédé à une évaluation raisonnable ou à un examen approfondi et détaillé des besoins éducatifs de Rubén et des aménagements raisonnables auxquels il aurait fallu procéder pour que l’enfant puisse continuer à fréquenter un établissement d’enseignement ordinaire. À ce sujet, le Comité constate que le tribunal du contentieux administratif no1 de León a estimé dans son jugement que seul un accompagnement individuel par des enseignants spécialisés travaillant avec Rubén depuis longtemps était susceptible d’apporter une solution acceptable aux problèmes d’apprentissage de l’intéressé et que, si l’administration s’était jusqu’alors efforcée de faire en sorte que Rubén puisse s’intégrer dans un établissement d’enseignement ordinaire, l’enfant était arrivé à un stade de son évolution éducative et cognitive où l’administration ne pouvait plus garantir son inclusion avec les moyens dont elle disposait, qui « étaient ce qu’ils étaient ». Le Comité constate également que Rubén n’a pas bénéficié d’un soutien technico-pédagogique dès le début de l’année scolaire 2010/11 car son professeur principal estimait que ce n’était pas nécessaire, que l’assistante technico-pédagogique a été engagée ultérieurement et à la demande des parents, et qu’elle a déclaré que le professeur principal avait fini par se désintéresser de Rubén et ne plus du tout suivre sa scolarité.

8.3Le Comité note que les décisions des autorités judiciaires de l’État partie semblent indiquer qu’aucun poids n’a été accordé au rapport établi par le psychologue clinicien G. C., qui estimait que, si Rubén ne s’était pas adapté à l’enseignement public ordinaire, c’était parce qu’il n’avait pas bénéficié du soutien pédagogique nécessaire et était la cible de comportements discriminatoires et hostiles. Le Comité constate que les informations disponibles ne permettent pas de conclure que l’État partie a pris toutes les mesures d’aménagement raisonnable qu’il aurait pu prendre pour permettre à Rubén d’étudier dans un établissement d’enseignement ordinaire.

8.4Le Comité rappelle que « [c]onformément au paragraphe 1 de l’article 24 de la Convention, les États parties doivent faire en sorte que les personnes handicapées exercent leur droit à l’éducation, grâce à un système éducatif qui pourvoie à l’inclusion de tous les élèves, notamment de ceux qui présentent un handicap, à tous les niveaux d’enseignement, y compris aux niveaux primaire, secondaire et tertiaire, dans la formation professionnelle et la formation permanente, dans les activités extrascolaires et sociales, sans discrimination et sur la base de l’égalité avec les autres ». Il rappelle également que « [o]n parle d’inclusion dans le cas d’un processus de réforme systémique, impliquant des changements dans les contenus pédagogiques, les méthodes d’enseignement ainsi que les approches, les structures et les stratégies éducatives, conçus pour supprimer les obstacles existants, dans l’optique de dispenser à tous les élèves de la classe d’âge concernée un enseignement axé sur l’équité et la participation, dans un environnement répondant au mieux à leurs besoins et à leurs préférences ». En outre, « [l]e droit de ne pas subir de discrimination renvoie au droit d’échapper à la ségrégation et de bénéficier d’aménagements raisonnables ; il doit être interprété à la lumière de l’obligation de pourvoir à des environnements pédagogiques accessibles et à des aménagements raisonnables ».

8.5Le Comité tient à rappeler le contexte dans lequel les faits dénoncés s’inscrivent. Il rappelle notamment que, dans le rapport issu de l’enquête menée concernant l’Espagne au titre de l’article 6 du Protocole facultatif, il a conclu : a) que l’État partie avait adopté un modèle médical qui perpétuait la discrimination structurelle fondée sur le handicap en favorisant l’exclusion et la ségrégation scolaires et qui désavantageait tout particulièrement les personnes souffrant d’un handicap intellectuel ou psychosocial et les personnes plurihandicapées ; b) que compte tenu de l’ampleur, de la permanence et de la diversité des violations constatées, qui allaient systématiquement de pair, et du fait que ces violations étaient en grande partie dues à la nature du système établi par la législation, aux politiques adoptées et aux pratiques des institutions concernées, la situation constatée par les enquêteurs était suffisamment grave pour relever de l’article 6 du Protocole facultatif et l’article 83 du règlement ; c) que, ainsi qu’il ressortait de sa jurisprudence et de son observation générale no 4, l’instauration d’un système inclusif fondé sur le droit à la non‑discrimination et à l’égalité des chances supposait l’abolition de tout système d’enseignement dans lequel les élèves handicapés étaient séparés des autres.

8.6Le Comité rappelle que, dans ses plus récentes observations concernant l’État partie, il s’est déclaré préoccupé « par les progrès limités réalisés par l’État partie en matière d’éducation inclusive, notamment par l’absence de politique et de plan d’action clairs pour la promotion de l’éducation inclusive [,] particulièrement [...] le fait que l’État partie a[vait] maintenu toutes les dispositions réglementaires relatives à l’éducation spécialisée et continu[ait] d’appliquer une approche médicalisée du handicap [;] ainsi que par le fait qu’un grand nombre d’enfants handicapés, notamment les enfants autistes, les enfants présentant des handicaps intellectuels ou psychosociaux et des handicaps multiples, continu[ai]ent de recevoir une éducation spéciale séparée ».

8.7En ce qui concerne l’allégation selon laquelle Rubén a été victime d’une violation de l’article 24 de la Convention, lu conjointement avec l’article 4, en ce que l’État partie n’a pas encore adopté de lois ou de politiques permettant de garantir le droit de Rubén à une éducation inclusive alors pourtant que la Convention est entrée en vigueur pour lui le 3 mai 2008, le Comité rappelle que « [a]ux fins de l’alinéa b) du paragraphe1 de l’article 4 de la Convention, les États parties devraient prendre toutes mesures appropriées, y compris des mesures législatives, pour modifier, abroger ou abolir les lois, règlements, coutumes et pratiques qui sont sources de discrimination envers les personnes handicapées et qui sont contraires aux dispositions de l’article 24. Le cas échéant, ces lois, règlements, coutumes et pratiques discriminatoires devraient être abrogés ou modifiés de manière systématique et dans un délai donné ».

8.8Pour les raisons susmentionnées, le Comité estime que, en décidant d’inscrire Rubén dans un établissement d’enseignement spécialisé sans avoir tenu compte de l’avis de ses parents, sans avoir véritablement envisagé de faire des aménagements raisonnables lui permettant de rester scolarisé dans le système ordinaire, sans avoir accordé du poids au rapport du psychologue clinicien et aux déclarations de l’assistante technico-éducative et sans avoir pris en considération les allégations des auteurs concernant la discrimination et les mauvais traitements subis par Rubén à l’école, l’administration a porté atteinte aux droits que l’enfant tient de l’article 24 de la Convention, lu seul et conjointement avec l’article 4.

8.9En ce qui concerne les allégations relatives à l’article 23 de la Convention, lu conjointement avec l’article 4, le Comité note que les auteurs soutiennent que l’État partie a violé leur droit au respect de la vie familiale en poursuivant les parents de Rubén pour abandon de famille au motif qu’ils avaient refusé d’amener leur fils à l’établissement d’enseignement spécialisé Nuestra Señora del Sagrado Corazón. Le Comité note également que les auteurs soutiennent que, si les poursuites avaient abouti, les parents de Rubén auraient pu être déchus de l’autorité parentale. De surcroît, il constate que, selon les informations figurant au dossier, le 23 mai 2014, le tribunal a ordonné aux parents de Rubén de verser la somme de 2 400 euros chacun à titre de garantie conservatoire sous peine de voir saisir des biens d’un montant équivalent, et que cette mesure conservatoire n’a été levée que près d’un an plus tard, le 20 avril 2015, date de l’acquittement des intéressés. Il estime que le versement de la caution a fait peser une charge financière excessive sur les parents de Rubén, ajoutant encore aux tensions causées par le combat mené pour défendre le droit de leur enfant à une éducation inclusive, et a sans aucun doute eu des conséquences négatives sur leur bien-être individuel et familial.

8.10Le Comité rappelle que, dans le rapport qu’il a établi concernant l’Espagne au titre de l’article 6 du Protocole facultatif, il a recommandé à l’État partie de veiller à ce que les parents d’élèves handicapés ne puissent pas être poursuivis pour abandon de famille pour avoir défendu le droit de leur enfant à une éducation inclusive dans des conditions d’égalité avec les autres enfants. Compte tenu de ce qui précède, le Comité conclut que l’État partie a manqué aux obligations mises à sa charge par l’article 23 de la Convention, lu seul et conjointement avec l’article 4.

8.11Le Comité prend note de l’allégation des auteurs selon laquelle, au cours des années scolaires 2009/10 et 2010/11, Rubén a subi à l’école publique Antonio González de Lama de León des actes constitutifs de discrimination et de mauvais traitements qui ont mis en danger son intégrité personnelle et porté atteinte à sa dignité et qui, partant, étaient constitutifs de violations des droits garantis à l’article 15 de la Convention, lu conjointement avec l’article 17. En particulier, le Comité note : a) que les mères de deux camarades de classe de Rubén ont déclaré devant le tribunal du contentieux administratif no 1 de León que le professeur principal de Rubén l’avait attrapé par le cou et avait menacé de le jeter par la fenêtre, et qu’il l’avait aussi menacé de le frapper avec une chaise ; b) que les auteurs soutiennent que Rubén a été agressé physiquement par une enseignante, qui l’a giflé.

8.12Le Comité rappelle que, aux termes de l’article 15 de la Convention, nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et les États parties doivent prendre toutes mesures législatives, administratives, judiciaires et autres mesures efficaces pour empêcher, sur la base de l’égalité avec les autres, que des personnes handicapées ne soient soumises à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il rappelle également que, selon l’article 17 de la Convention, toute personne handicapée a droit au respect de son intégrité physique et mentale sur la base de l’égalité avec les autres. À cet égard, il constate que, dans son jugement, le Tribunal supérieur de justice de Castille-et-León a reconnu que, les dernières années, l’école que fréquentait Rubén ne satisfaisait effectivement plus aux besoins de l’enfant, certains des professeurs n’ayant pas fait preuve de la moindre coopération et la direction n’ayant pas pris les mesures qu’elle aurait dû immédiatement prendre à leur égard compte tenu de la gravité des faits qui leur étaient reprochés, ce qui pourrait être indicateur de dysfonctionnements dans l’établissement dans lequel Rubén était censé recevoir l’éducation et le soutien dont il avait besoin.

8.13Le Comité note que les auteurs soutiennent que le parquet provincial de León a classé les deux plaintes dont ils l’avaient saisi. Il constate en particulier que, dans leur seconde plainte, les auteurs présentaient, comme éléments nouveaux, les déclarations des mères des camarades de classe de Rubén concernant les mauvais traitements infligés à l’enfant, qui étaient mentionnées dans le jugement du Tribunal supérieur de justice de Castille-et-León, ainsi que la conclusion du Tribunal selon laquelle il y avait peut-être eu des dysfonctionnements à l’école. Le Comité estime que, compte tenu de ces informations, les autorités de l’État partie étaient tenues de mener une véritable enquête approfondie sur les allégations des auteurs; or, elles ne l’ont pas fait. À la lumière de ce qui précède et en l’absence de commentaire de l’État partie, le Comité estime que l’Espagne a violé les droits que Rubén tient des articles 15 et 17 de la Convention, lus seuls et conjointement avec l’article 4.

8.14Ayant constaté une violation des droits que les auteurs tiennent des articles 15 et 17 de la Convention, le Comité ne juge pas nécessaire d’examiner les allégations formulées au regard de l’article 7 de la Convention.

8.15Le Comité rappelle que l’article 4 de la Convention impose aux États parties l’obligation générale de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir et promouvoir le plein exercice de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales des personnes handicapées. Partant, et compte tenu de ce qui précède, il conclut que l’État partie a manqué aux obligations mises à sa charge par les articles 7, 15, 17, 23 et 24 de la Convention, lus seuls et conjointement avec l’article 4.

C.Conclusion et recommandations

9.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 du Protocole facultatif, considère que l’État partie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 7, 15, 17, 23 et 24 de la Convention, lus seuls et conjointement avec l’article 4. En conséquence, le Comité adresse à l’État partie les recommandations suivantes :

a)S’agissant des auteurs, l’État partie a pour obligation :

i)De leur accorder une réparation effective, y compris le remboursement de tous les frais de justice et une indemnisation tenant compte du préjudice émotionnel et psychologique que leur a causé le comportement des autorités compétentes et la manière dont celles-ci ont traité l’affaire ;

ii)De faire en sorte que Rubén soit inscrit à une formation professionnelle véritablement inclusive choisie en consultation avec lui et avec ses parents ;

iii)De mener une véritable enquête sur les allégations de mauvais traitements et de discrimination formulées par les auteurs et de veiller à ce que les responsables soient amenés à rendre compte de leurs actes à tous les niveaux ;

iv)De reconnaître publiquement, dans le droit fil des présentes constatations, la violation des droits de Rubén à une éducation inclusive et à une vie sans violence ni discrimination, ainsi que la violation des droits de ses parents, pour qui le fait d’avoir été accusés à tort d’abandon de famille a eu des conséquences psychologiques et économiques ;

v)De rendre publiques les présentes constatations et de les diffuser largement, dans un format accessible, auprès de tous les secteurs de la population ;

b)De façon générale, l’État partie est tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent. À cet égard, le Comité renvoie aux recommandations formulées dans ses observations finales (CRPD/C/ESP/CO/2-3, par. 46 et 47) et dans le rapport issu de l’enquête menée concernant l’Espagne au titre de l’article 6 du Protocole facultatif (CRPD/C/ESP/IR/1), et demande en particulier à l’État partie de travailler en étroite collaboration avec les personnes handicapées et les organisations qui les représentent afin :

i)D’accélérer la réforme entreprise pour mettre la législation en conformité avec la Convention en éliminant complètement le modèle médical du handicap et en définissant clairement les mesures à prendre pour assurer l’intégration pleine et entière de tous les élèves handicapés et les objectifs à atteindre à cet égard à tous les niveaux de l’enseignement ;

ii)De prendre des mesures pour que l’éducation inclusive soit considérée comme un droit et que tous les élèves handicapés aient le droit d’accéder à un apprentissage inclusif dans le système éducatif ordinaire, indépendamment de leurs caractéristiques personnelles, tout en recevant l’appui dont ils ont besoin ;

iii)De formuler une politique d’éducation inclusive globale assortie de stratégies visant à promouvoir une culture d’inclusion dans l’enseignement ordinaire et prévoyant l’évaluation fondée sur les droits de l’homme des besoins éducatifs de chaque enfant et des aménagements nécessaires pour chacun ; le soutien des enseignants ; le respect de la diversité dans la perspective de garantir le droit à l’égalité et à la non-discrimination ; et la participation pleine et entière des personnes handicapées à la vie sociale ;

iv)D’éliminer toute ségrégation scolaire des élèves handicapés, tant dans les établissements d’enseignement spécialisé que dans les sections spécialisées des établissements ordinaire ;

v)De faire en sorte que les parents d’élèves handicapés ne puissent pas être poursuivis pénalement pour abandon de famille parce qu’ils ont revendiqué le droit de leur enfant à une éducation inclusive dans des conditions d’égalité avec les autres enfants.

10.Conformément à l’article 5 du Protocole facultatif et à l’article 75 du Règlement intérieur du Comité, l’État partie est invité à soumettre au Comité, dans un délai de six mois, une réponse écrite, dans laquelle il indiquera toute mesure qu’il aura prise à la lumière des présentes constatations et recommandations du Comité.