Nations Unies

CCPR/C/121/D/2203/2012

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

1er février 2018

Français

Original : espagnol

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2203/2012 * , ** , ***

Communication présentée par :

Gabriel Osío Zamora

Au nom de :

L’auteur

État partie :

République bolivarienne du Venezuela

Date de la communication :

25 mai 2012

Références :

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 2 novembre 2012 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

7 novembre 2017

Objet :

Non-respect des garanties d’une procédure régulière lors de la liquidation d’une maison de courtage

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Droit de toute personne à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial ; droit à un recours utile ; égalité devant la loi et non-discrimination

Article(s) du Pacte :

2 (par. 1 et 3), 14 (par. 1 et 3) et 26

Article(s) du Protocole facultatif :

2, 3 et 5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication est Gabriel Osío Zamora, national de la République bolivarienne du Venezuela, né en 1967. Il se déclare victime d’une violation par l’État partie des articles 2 (par. 1 et 3), 14 (par. 1 et 3) et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il n’est pas représenté par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 10 août 1978.

Rappels des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur est dirigeant et actionnaire de la société Econoinvest, Casa de Bolsa, C. A., société vénézuélienne de bourse et de courtage de valeurs mobilières, fondée en 1996. En 2009, l’État a pris une série de mesures contre des maisons de courtage et des entreprises du secteur bancaire, financier et boursier, ce qui, conjugué à des perquisitions, des liquidations, des privations de liberté et des réformes législatives, a abouti à une politique de persécution et de harcèlement contre des personnes du secteur.

2.2C’est dans ce contexte qu’a été modifiée, le 17 mai 2010, la loi de 2007 contre les opérations de change illicites, qui réglementait plusieurs activités menées par les maisons de courtage. Dans sa rédaction de 2007, l’article 9 de cette loi prévoyait des sanctions contre quiconque réalisait des opérations d’achat et de vente de devises sans l’intermédiaire de la Banque centrale (opération de change illicite). Cependant, les transactions sur les valeurs mobilières n’étaient pas visées. La réforme de 2010 a élargi la définition de l’opération de change illicite pour y inclure les transactions sur les valeurs mobilières, introduisant ainsi une nouvelle infraction pénale passible d’une amende et d’un emprisonnement pouvant aller jusqu’à six ans. La disposition introduisant cette nouvelle infraction a été appliquée rétroactivement à plusieurs dirigeants et actionnaires de maisons de courtage, qui ont été poursuivis et privés de liberté. L’auteur souligne que ces faits ont eu lieu alors que la Constitution (art. 4) interdit l’application rétroactive des dispositions pénales. À l’occasion de cette réforme législative, le Président de la République de l’époque, Hugo Chávez, a critiqué publiquement les maisons de courtage, notamment Econoinvest, les qualifiant de « pourriture » qu’il fallait éliminer.

2.3Le 24 mai 2010, des policiers et des fonctionnaires du parquet ont perquisitionné les locaux du siège d’Econoinvest et arrêté quatre dirigeants de la société. Le lendemain, par la décision 070-2010, la Commission nationale des valeurs mobilières de l’époque (aujourd’hui Direction nationale des valeurs mobilières, ou SNV) a décidé de mettre Econoinvest sous tutelle sans mettre fin à ses opérations de marché et de désigner un administrateur chargé de la tutelle. Selon l’auteur, cette mesure a été prise sans qu’aucun des cas dans lesquels la loi sur le marché des capitaux prévoit une mise sous tutelle ne se soit produit. Econoinvest avait respecté les normes en vigueur et constamment présenté un bilan positif, avec un actif nettement supérieur au passif, et ses clients ou ses créanciers n’étaient donc exposés à aucun risque de préjudice patrimonial.

2.4Le 14 juin 2010, Econoinvest a saisi la SNV d’un recours gracieux en révision contre la décision de mise sous tutelle. Elle n’a jamais reçu de réponse. L’auteur précise que l’absence de réponse à un recours administratif vaut refus.

2.5Le 19 août 2010, le Président de la République de l’époque a fait des déclarations publiques sur la mise sous tutelle d’Econoinvest, désignant la société comme un modèle de corruption et annonçant qu’il avait demandé l’extradition de deux de ses dirigeants qui avaient fui le pays, qu’il qualifiait de « voleurs ».

2.6Le 5 septembre 2010, par le biais d’une insertion dans la presse nationale, une assemblée générale extraordinaire des actionnaires d’Econoinvest a été convoquée pour examiner le rapport final relatif à la mise sous tutelle, et prendre une décision concernant l’avenir de la société.

2.7Le 10 septembre 2010 l’assemblée générale extraordinaire a eu lieu. L’administratrice chargée de la tutelle nommée par le Gouvernement était la seule participante qui avait le droit de vote. Le représentant de l’auteur et les autres actionnaires ont pu y assister mais sans avoir le droit de vote. L’administratrice chargée de la tutelle a donné lecture du rapport relatif à la mise sous tutelle, ainsi que de la recommandation tendant à ce qu’Econoinvest soit mise en liquidation. Aucun des participants n’a pu présenter d’observations sur le rapport lu par l’administratrice, en demander une copie ou prendre la parole pour défendre les droits et les intérêts des actionnaires. L’administratrice a ajouté qu’elle se réservait le droit de demander à la SNV l’ouverture d’une procédure disciplinaire contre les administrateurs et les actionnaires d’Econoinvest.

2.8Le 30 septembre 2010, l’auteur a déposé une demande d’asile aux États-Unis, affirmant être victime d’une persécution politique. L’asile lui a été accordé en 2014.

2.9Le 6 octobre 2010, sans avoir engagé de procédure préalable ni avoir entendu les actionnaires, la SNV a publié au Journal officiel la décision no 001 par laquelle la liquidation d’Econoinvest était prononcée, sur le fondement du paragraphe 3 de l’article 21 de la loi sur le marché des titres, qui dispose qu’il est procédé à la liquidation « lorsqu’elle est considérée comme appropriée dans le cadre de la procédure de mise sous tutelle ». L’auteur fait observer que cette disposition est arbitraire en ce qu’elle donne à l’autorité un pouvoir discrétionnaire absolu pour procéder à une liquidation. Il était dit dans la décision no 001 qu’au cours de la procédure de mise sous tutelle, des violations graves de la loi sur le marché des capitaux, du Code du commerce, de la loi organique relative à la lutte contre la criminalité organisée et de la loi contre les opérations de change illicites avaient été constatées. Or, selon l’auteur, aucun autre organe, administratif ou judiciaire, n’avait constaté de telles violations.

2.10Le 25 octobre 2010, l’auteur et d’autres actionnaires d’Econoinvest ont demandé à la SNV des copies certifiées conformes du rapport relatif à la mise sous tutelle et du procès‑verbal de l’assemblée générale extraordinaire, demande renouvelée les 27 octobre et 4 novembre 2010, et restée sans réponse.

2.11Le 4 novembre 2010, en sa qualité d’actionnaire d’Econoinvest, l’auteur a formé un recours en annulation et un recours en amparo préventif et déposé, à titre subsidiaire, une demande de mesures provisoires aux fins de suspension des effets de la décision de liquidation d’Econoinvest, faisant valoir une violation des droits de la défense, notamment des droits à une procédure régulière, à la présomption d’innocence et au juge naturel. Il soutenait qu’au cours de la mise sous tutelle et de la liquidation de la société, les actionnaires n’avaient pas eu droit à une défense adéquate, n’avaient pas été entendus en audience, n’avaient pas eu accès au dossier et n’avaient pas eu la possibilité de produire des preuves ; à l’issue de la procédure, des violations de certaines lois ne relevant pas de la compétence de la SNV avaient été constatées, et les actionnaires n’avaient pas été informés qu’ils faisaient l’objet d’une enquête pour ces infractions.

2.12Le 14 novembre 2010, le Président de la République de l’époque a fait de nouvelles déclarations publiques méprisantes à l’égard d’Econoinvest, annonçant pour le mois suivant « la mise en place d’une nouvelle maison de courtage [...] la nôtre, celle du peuple et non celle du capitalisme ».

2.13Le 23 novembre 2010, à la demande de l’État partie, l’Organisation internationale de police criminelle (INTERPOL) a lancé une notice pour rechercher l’auteur, considéré comme « fugitif ».

2.14Le 6 décembre 2010, le tribunal pénal de première instance no 13 (circonscription judiciaire de la zone métropolitaine de Caracas), agissant en qualité de juridiction de contrôle, a ordonné l’arrestation de l’auteur pour commerce illicite de devises et association de malfaiteurs. L’auteur affirme que cette décision était fondée sur une mesure de sûreté qui aurait été prononcée par le tribunal no 16 en date du 30 juillet 2010. Cependant, comme cette mesure de sûreté ne figure dans aucun dossier du tribunal no 16, l’arrestation de l’auteur était manifestement illégale et arbitraire. Contrairement à ce qui s’est passé pour les autres actionnaires et dirigeants d’Econoinvest, le mandat d’arrestation n’a pas pu être exécuté parce que l’auteur était à l’étranger.

2.15Dans son jugement du 18 avril 2011, la deuxième chambre administrative a jugé dénuées de fondement la demande d’amparo et la demande de suspension des effets de la décision de la SNV, faites dans le recours formé le 4 novembre 2010. La chambre a considéré : a) que la SNV avait agi dans le cadre de ses fonctions de contrôle de l’activité boursière et que ses activités n’étaient pas réglementées étant donné qu’elles sont très étendues et ne sont pas régies par une procédure particulière ; b) que l’auteur n’avait pas démontré qu’il n’avait pas eu la possibilité de consulter le rapport relatif à la mise sous tutelle ; c) que la procédure de mise sous tutelle et de liquidation ne prévoyait pas la tenue d’une audience ; d) que la procédure de mise sous tutelle n’avait pas un caractère répressif, que la liquidation d’Econoinvest n’était pas une sanction ; e) qu’il n’y avait pas eu violation du droit au juge naturel car la décision ne faisait pas référence uniquement à des normes pénales et que, si des éléments constitutifs d’une infraction étaient constatés, la SNV pouvait demander aux autorités compétentes d’intervenir.

2.16Le 2 mai 2011, l’auteur a demandé la récusation des juges de la deuxième chambre administrative qui devaient examiner son recours en annulation, au motif que ces mêmes juges avaient déjà rejeté le recours en amparo formé contre la décision de liquidation.

2.17En août 2011, INTERPOL a supprimé la notice rouge délivrée contre l’auteur, en vertu de l’article 3 de son Statut et Règlement général qui lui interdit toute coopération internationale pour la recherche d’un individu dans les affaires présentant un caractère politique, militaire, religieux ou racial.

2.18Le 19 octobre 2011, le Tribunal suprême de justice a débouté l’auteur de l’appel qu’il avait formé en sa qualité d’actionnaire d’Econoinvest contre le rejet de son recours en amparo.Le Tribunal a considéré notamment que le droit à la défense et le droit à une procédure régulière avaient été respectés « du moins au début», puisque une assemblée extraordinaire des actionnaires avait eu lieu et que le rapport relatif à la mise sous tutelle avait été présenté, et que l’auteur n’avait pas démontré que les autorités lui avaient refusé l’accès au dossier.

2.19Le 21 novembre 2011, la juge suppléante de la deuxième chambre a déclaré sans fondement la demande de récusation des juges de cette même juridiction, présentée par l’auteur le 2 mai 2011. Elle a considéré que les juges n’avaient pas émis d’avis sur le fond du recours en annulation, et avaient « simplement fait une appréciation approximative sur l’objet du litige ». Le 15 décembre 2011, l’auteur a fait appel de cette décision devant la même chambre, soutenant que la décision de refuser la récusation aurait dû être collégiale et n’aurait pas dû être prise par un juge unique, que la procédure établie par la loi n’avait pas été respectée et que lui-même n’avait pas été autorisé à présenter des preuves, contrairement aux dispositions des articles 42 et suivants de la loi organique relative à la juridiction administrative. Le 16 janvier 2012, la chambre a rejeté l’appel, par une décision non motivée rendue par le Président de la chambre, qui faisait lui-même l’objet d’une demande de récusation.

2.20Le 24 janvier 2012, l’auteur a saisi la chambre des affaires politiques et administrativesdu Tribunal suprême de justice d’un recours pour déni d’appel, dans lequel il demandait le rétablissement de ses droits, recours qui a été rejeté en date du 29 février 2012.

2.21L’auteur affirme qu’il a épuisé tous les recours internes qui pouvaient empêcher la liquidation d’Econoinvest et que pour ce qui est du recours en annulation déposé le 4 novembre 2010, la procédure se prolonge de façon excessive puisqu’à ce jour aucune date n’a même été fixée pour l’audience.

2.22L’auteur affirme qu’en tant qu’actionnaire et dirigeant d’Econoinvest il a été personnellement touché par les procédures administratives et judiciaires engagées contre la société. Même si la mise sous tutelle et la liquidation visaient la société Econoinvest, leur déroulement et leurs effets ont porté directement atteinte aux droits individuels que l’auteur tient du Pacte. C’est ainsi qu’à titre individuel et sans se faire représenter, l’auteur, tout comme les autres actionnaires, a saisi les juridictions nationales pourdénoncer le non-respect de la légalité dans ces procédures.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur fait valoir que la procédure administrative de mise sous tutelle et de liquidation a violé le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement. Tant le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte que la Constitution du Venezuela (art. 49) reconnaissent que les garanties judiciaires s’appliquent au pénal comme au civil, et cette garantie est donc également applicable à la procédure administrative de mise sous tutelle et de liquidation d’Econoinvest. La SNV a ordonné la mise sous tutelle d’Econoinvest sans respecter aucune procédure légale, se limitant à publier une décision au Journal officiel. Les actionnaires n’ont jamais été convoqués à une audience et n’ont jamais été autorisés à présenter des arguments et des preuves. Pour pouvoir établir les responsabilités et prononcer des sanctions, la SNV aurait dû suivre une procédure permettant aux intéressés d’exercer leur droit à la défense. Il est vrai que la loi sur le marché des capitaux ne fixe aucune procédure administrative à suivre pour la mise sous tutelle des sociétés, mais il aurait fallu suivre la procédure prévue par l’article 394 de la loi générale sur les banques et autres institutions financières, qui prévoit l’audition des parties. En l’espèce, l’administratrice chargée de la tutelle a décidé la liquidation d’Econoinvest sans entendre les actionnaires et sans attendre l’issue du recours gracieux formé contre la décision de mise sous tutelle.

3.2L’auteur n’a pas non plus disposé des facilités nécessaires à la préparation de sa défense, comme le prévoit le paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte. Le droit à un « procès équitable » suppose le respect du principe de l’égalité des moyens et du principe du contradictoire. Le fait de ne pas avoir eu les moyens nécessaires pour préparer sa défense et de ne pas avoir eu accès au dossier malgré des demandes répétées constitue une violation de ces principes.

3.3En outre, les décisions relatives à la mise sous tutelle et à la liquidation de la société n’étaient pas motivées, alors que la loi organique sur la procédure administrative (art. 9 et 12) exige que les décisions administratives soient motivées, condition indispensable à l’exercice d’un contrôle approprié de la proportionnalité, du caractère raisonnable et de la légalité des décisions administratives. Par conséquent l’auteur a été empêché de connaître les raisons de la mise sous tutelle et d’exercer son droit à la défense, en violation des paragraphes 1 et 3 a) de l’article 14 du Pacte.

3.4L’auteur soutient également que les tribunaux saisis des recours qu’il a formés contre les décisions administratives n’étaient pas indépendants et impartiaux, en violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. La deuxième chambre administrative était composée de juges provisoires qui n’avaient pas été nommés à l’issue d’un concours public (art. 255 de la Constitution), si bien qu’il n’avaient pas la nécessaire stabilité dans leur charge et qu’ils pouvaient être démis de leurs fonctions sans motif, en dehors de toute procédure et sans pouvoir faire appel. En outre, les juges qui devaient examiner le recours en annulation formé contre la décision de la SNV étaient les mêmes que ceux qui avaient déjà déclaré irrecevable le recours en amparo, de sorte que leur impartialité était compromise parce qu’ils avaient émis un avis sur le fond de la plainte. L’auteur soutient qu’au cours de la procédure de récusation, il n’a jamais eu la possibilité de présenter ses arguments et qu’à aucun moment il n’a été appelé à présenter des preuves.

3.5Les procédures administratives et judiciaires ont excédé des délais raisonnables. Bien que le paragraphe 3 c) de l’article 14 vise les procédures pénales, le Comité a établi que cette obligation s’applique également aux litiges de caractère civil de sorte que, de manière générale, les procédures judiciaires doivent être rapides. Or le recours gracieux formé contre la décision de mise sous tutelle et le recours en annulation de la décision de liquidation sont encore pendants. Pourtant, en application de la loi organique relative à la juridiction administrative, le recours en annulation aurait dû être tranché dans un délai de quatre-vingt-dix jours.

3.6Dans ce contexte, l’auteur soutient qu’il n’a pas eu accès à un recours utile, en violation du paragraphe 1 de l’article 14, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. La demande de mesures provisoires tendant à suspendre la décision de liquider Econoinvest ayant été rejetée, la procédure en annulation de cette décision est devenue sans objet dans la pratique étant donné que, lorsque le recours en amparo et la demande de mesures provisoires aux fins de suspension des effets administratifs de la liquidation ont été rejetés, la mise en liquidation a suivi son cours. Par conséquent, même si le recours en annulation était admis, la décision serait inapplicable puisque la société a déjà été liquidée.

3.7La décision de liquidation prise par la SNV a représenté en réalité une confiscation des biens des actionnaires d’Econoinvest et une inégalité de traitement par « l’application d’une réglementation spéciale visant à les priver de leurs droits ». Même si le droit de propriété n’est pas protégé par le Pacte, l’auteur soutient que la façon dont les faits se sont déroulés et le non-respect des garanties de procédure, comme le droit d’accès aux tribunaux dans des conditions d’égalité et le droit à un recours utile, énoncées au paragraphe 1 de l’article 14, et aux paragraphes 1 et 3 a) de l’article 2, ont également porté atteinte aux principes de non-discrimination et d’égalité devant la loi, consacrés par l’article 26 du Pacte.

3.8L’auteur prie le Comité de demander à l’État partie de rétablir pleinement les garanties de procédure dans les recours judiciaires engagés, de lui assurer un recours utile devant des juges indépendants et impartiaux pour qu’il puisse défendre les droits et garanties qui lui sont reconnus, y compris le droit de propriété que lui confère sa qualité d’actionnaire de la société Econoinvest, et de lui accorder une réparation complète et une indemnisation pour le dommage subi, conformément à la règle de la restitutio in integrum.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Dans ses observations en date du 2 janvier et du 12 février 2013, l’État partie objecte que la communication est irrecevable pour non-épuisement des recours internes. Le recours en annulation formé le 4 novembre 2010 est toujours pendant. De même, l’auteur n’a pas épuisé les autres voies de recours ouvertes, à savoir le recours spécial en légalité et le recours en constitutionnalité. Le recours en légalité, prévu par l’article 95 de la loi organique relative à la juridiction administrative, consiste à demander la révision d’un jugement de dernière instance considéré comme contraire au droit. Saisie de ce recours, la chambre des affaires politiques et administratives du Tribunal suprême de justice peut réexaminer le fond. Le recours en constitutionnalité, prévu par l’article 5 de la loi portant organisation du Tribunal suprême de justice, permet à la chambre constitutionnelle du Tribunal suprême de vérifier si une décision sur un recours en amparo comporte des erreurs dans l’application ou l’interprétation de la Constitution. Il s’agit d’un recours « extraordinaire, exceptionnel, limité et discrétionnaire », la chambre constitutionnelle ayant le pouvoir discrétionnaire de déterminer si elle révise ou non une décision sur un recours en amparo. Enfin, l’auteur n’a pas formé le recours permettant de faire valoir le grief d’absence d’indépendance et d’impartialité des juges, c’est-à-dire la demande de récusation des juges chargés de la procédure pénale engagée contre lui.

4.2L’État partie signale qu’il peut, dans le cadre fixé par la loi, restreindre le droit de propriété, voire procéder à une expropriation pour protéger les intérêts de la société. En outre, conformément à l’article 113 de la Constitution, les accords instituant des pratiques interdites comme les monopoles, l’abus de position dominante ou l’usure sont frappés de nullité. L’État peut prendre des mesures pour faire cesser ou empêcher ces pratiques, qu’elles constituent ou non des infractions pénales. Ces restrictions à la propriété ou à la liberté économique sont inhérentes à l’existence d’un État social régi par le droit et visent à protéger l’intérêt général et la stabilité macroéconomique.

4.3La mise sous tutelle d’Econoinvest a eu lieu parce que ses dirigeants avaient été arrêtés, et elle visait à sauvegarder les intérêts des clients de la société et à préserver la stabilité du marché des valeurs mobilières. La Commission nationale des valeurs mobilières, agissant dans le cadre de ses attributions, a ordonné la mise sous tutelle d’Econoinvest sans contraindre la société à cesser ses opérations, de sorte qu’elle a pu continuer ses activités. À l’assemblée générale extraordinaire des actionnaires qui avait été convoquée et ouverte au public, le rapport de mise sous tutelle a été présenté, et la liquidation de la société était recommandée pour violation de la législation sur les opérations de change. Sur cette base, la SNV a prononcé la liquidation d’Econoinvest, en appliquant les règles de 2011 relatives à la liquidation administrative des courtiers en valeurs mobilières agréés, des maisons de courtage de produits agricoles et des sociétés d’investissement collectif et de leurs sociétés gestionnaires.

4.4La procédure de liquidation d’Econoinvest n’est pas terminée pour des raisons indépendantes de la volonté de la SNV, notamment l’existence de dispositions pénales interdisant d’aliéner ou de grever les actifs de la société, des prises de participations financières dans des sociétés étrangères et l’existence de créanciers qui n’ont pas encore recouvré leur créance. Cependant, la procédure administrative de liquidation n’a pas eu d’incidence sur la procédure pénale engagée contre les dirigeants d’Econoinvest.

4.5Les enquêtes pénales ouvertes contre plusieurs maisons de courtage, dont Econoinvest, ont été lancées à la suite de la plainte déposée le 12 mai 2010 par SNV, pour des irrégularités commises par plusieurs maisons de courtage qui effectuaient des opérations en devises qui n’étaient pas adossées à des titres, transactions appelées V-Brokers. Sur la base de cette plainte, le parquet a demandé un mandat judiciaire de perquisition afin de contrôler les opérations de la société. Pendant la perquisition, effectuée le 24 mai 2010, des preuves à charge ont été recueillies, et les dirigeants présents ont été arrêtés pour être déférés devant le juge. À partir des preuves recueillies, le parquet a engagé une procédure pénale, le 12 juillet 2010, contre les membres du conseil d’administration d’Econoinvest, pour « commerce illicite de devises et association de malfaiteurs », devant le tribunal de première instance no 16 (circonscription judiciaire de la zone métropolitaine de Caracas), agissant en qualité de juridiction de contrôle. La plainte a été admise partiellement, l’infraction d’« association de malfaiteurs » ayant été requalifiée en « association criminelle » (association illicite).

4.6Le 12 juillet 2012, le parquet a engagé des poursuites contre les quatre dirigeants d’Econoinvest, pour les infractions de commerce illicite de devises (définie à l’article 9 de la loi contre les opérations de change illicites) et d’association criminelle (définie à l’article 286 du Code pénal). Les procureurs chargés de l’enquête ont rassemblé 100 preuves documentaires et testimoniales, qu’ils produiront au procès, établissant la réalité des infractions retenues. Cette affaire est sans précédent car il n’existe aucune jurisprudence, et elle marque un « tournant en droit pénal économique ».

4.7L’infraction de « commerce illicite de devises » est réprimée par la loi contre les opérations de change illicites de 2007, dont la nouvelle rédaction, du 27 février 2008, était entrée en vigueur au moment des faits. La loi du 17 mai 2010 portant modification partielle de la loi contre les opérations de change illicites n’a pas été appliquée rétroactivement.

4.8En ce qui concerne l’indépendance et l’impartialité du pouvoir judiciaire, l’État partie décrit le « processus de refondation » de l’État à partir de la Constitution de 1999. Dans ce contexte, la restructuration du pouvoir judiciaire se fait progressivement, avec pour objectif de réduire le pourcentage de juges provisoires . De plus le caractère temporaire de la charge de juge n’exclut pas l’impartialité des juges concernés. S’il est vrai que ceux-ci n’ont pas la stabilité d’emploi d’un fonctionnaire de carrière, cela ne signifie pas que leurs décisions sont dénuées de validité. Être jugé par un juge provisoire ne porte pas atteinte à la sécurité juridique étant donné que les droits des citoyens sont garantis par le système judiciaire qui supervise la procédure judiciaire. En l’espèce, rien ne permet de présumer que les juges et les procureurs chargés de cette affaire ont subi des pressions ou ont agi avec partialité.

4.9Comme l’a relevé la chambre des affaires politiques et administratives du Tribunal suprême de justice, la mise sous tutelle d’une maison de courtage est une mesure sui generis qui vise à corriger la situation patrimoniale d’une société. S’agissant d’un acte unilatéral de l’organisme de contrôle, la mise sous tutelle ne nécessite pas de procédure préalable, comme celle qui est prévue par la loi générale sur les banques et autres institutions financières, étant donné que la loi sur le marché des capitaux ne régit aucune procédure administrative de mise sous tutelle.

4.10En ce qui concerne l’accès au rapport relatif à la mise sous tutelle et au procès-verbal de l’assemblée générale extraordinaire des actionnaires, la deuxième chambre a indiqué qu’il n’existait aucune preuve montrant que la SNV avait refusé de procurer ces documents. En outre, le fait que la SNV n’ait pas fourni de copies des documents ne constitue pas en soi une violation du droit à une procédure régulière car ce droit n’est enfreint que si l’administration refuse catégoriquement d’autoriser l’accès. La chambre a également estimé que la procédure administrative de mise sous tutelle n’était pas une sanction. Dans le cadre de la procédure de mise sous tutelle, aucun acte punissable qualifié dans la loi organique relative à la lutte contre la criminalité organisée ou dans la loi contre les délits bancaires n’a été retenu. La SNV ne peut prononcer que les sanctions administratives expressément prévues par la loi sur le marché des capitaux. Dans le cadre de ses attributions, la SNV a vérifié la légalité des pratiques d’Econoinvest et a transmis le dossier à l’organe compétent.

4.11L’État partie souligne que la deuxième chambre a estimé que l’analyse de la situation patrimoniale d’Econoinvest avait révélé la nécessité d’un soutien probatoire, qui n’avait pas été apporté. La chambre a aussi indiqué qu’il ressortait du rapport relatif à la mise sous tutelle que la décision de liquidation n’était pas fondée exclusivement sur une situation patrimoniale faible mais reposait aussi sur des « informations faisant état d’activités suspectes et sur un ensemble de faits qui, selon l’administration, pouvaient causer un préjudice grave aux actionnaires, aux créanciers, aux clients et au marché des valeurs mobilières ».

4.12En ce qui concerne les griefs tirés de l’article 26 du Pacte, l’État partie renvoie à l’arrêt rendu le 18 octobre 2011 par le Tribunal suprême de justice, qui confirme la décision de la deuxième chambre.

4.13L’État partie indique que la SNV est habilitée à agir en cas de violation des règles régissant la conduite des personnes privées et des personnes morales et des sociétés qui relèvent de sa compétence. Dans le cadre de ces attributions, la SNV « peut se substituer à la volonté des actionnaires d’une société » dont elle peut prononcer la liquidation sans qu’il soit nécessaire de convoquer au préalable une assemblée des actionnaires.

4.14En ce qui concerne le droit à la défense, la deuxième chambre a estimé que la tenue d’une audience pour permettre à l’auteur de contester les accusations portées contre lui entraînerait la « désorganisation de la procédure de mise sous tutelle ». La procédure de mise sous tutelle débutera et sera menée à terme sans interruption avec les mesures nécessaires que la SNV pourra décider, car cette procédure est particulière et n’est pas régie par les règles applicables aux procédures administratives. Si la partie concernée estime que le rapport relatif à la mise sous tutelle porte atteinte à ses droits, elle peut le contester en formant un recours gracieux.

4.15Le droit à une protection judiciaire effective est garanti par la possibilité de saisir les tribunaux pour demander l’annulation d’un acte administratif. Sans préjudice de ce qui précède, l’administration peut exécuter un acte administratif même s’il n’a pas encore été soumis à un contrôle judiciaire, et à condition que des mesures provisoires n’aient pas été prises pour empêcher sa mise en œuvre, afin de garantir le caractère exécutoire des actes administratifs.

4.16Enfin, la procédure pénale engagée contre l’auteur a été suspendue parce que celui‑ci s’est soustrait à la justice et que la loi vénézuélienne interdit de juger une personne en son absence.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans des commentaires en date du 5 mars 2013, l’auteur objecte que dans le cas de son recours en annulation, qui en est toujours au stade initial depuis le 4 novembre 2010, la procédure se prolonge de façon excessive et sans aucune justification, pour des raisons qui ne sont pas imputables à l’auteur et qui ne tiennent pas non plus à la complexité de l’affaire. Le traitement de la demande de mesures provisoires et l’incident de récusation des juges ne suspendent pas l’instance principale. Ce recours a de plus perdu toute utilité étant donné que les conséquences que l’auteur cherchait à prévenir se sont déjà produites. Le recours qui aurait pu le protéger contre les violations du Pacte causées par la mise sous tutelle d’Econoinvest était le recours en amparo, qui a été rejeté arbitrairement en première instance et en appel. L’auteur fait valoir que ni la demande de mesures provisoires ni l’incident de récusation des juges de la deuxième chambre ni le recours pour déni d’appel n’ont entraîné une suspension de l’instance principale et, partant, que ces moyens de défense ne peuvent expliquer le retard excessif pris dans cette procédure. Deux ans après le dépôt de ces requêtes, aucune date n’avait été fixée pour une première audience.

5.2En ce qui concerne le recours extraordinaire en constitutionnalité et le recours spécial en légalité mentionnés par l’État partie, l’auteur souligne que ce sont des recours extraordinaires et discrétionnaires, outre qu’ils ne sont ni disponibles ni effectifs. L’État partie mentionne ces recours dans l’abstrait sans expliquer en quoi ils seraient utiles en l’espèce et sans prouver qu’il y avait raisonnablement lieu de les considérer comme utiles.

5.3L’auteur ne remet pas en question la notion d’État social régi par le droit avancée par l’État partie, ni l’existence et le mandat de la SNV, laquelle doit toutefois, en tant qu’organisme public, agir dans le respect de la loi et des droits de l’homme.

5.4L’auteur soutient que les activités d’Econoinvest n’étaient pas illégales ou contraires à l’intérêt général et que, en tout état de cause, l’État partie n’a pas démontré le contraire.

5.5L’État partie a justifié la liquidation d’Econoinvest par l’arrestation de ses dirigeants. Or cette arrestation a été déclarée arbitraire par le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire. De plus, l’arrestation des dirigeants ne justifiait pas la mise sous tutelle et la liquidation d’Econoinvest car il existait des mesures moins lourdes pour redresser la situation. Ainsi, d’après ses statuts, Econoinvest pouvait avoir entre 3 et 11 dirigeants, dont chacun avait un remplaçant. La gestion d’Econoinvest aurait pu être confiée à d’autres dirigeants qui n’étaient pas en détention, ou une assemblée générale aurait pu être convoquée pour élire de nouveaux dirigeants.

5.6L’auteur fait observer que, même si la loi sur les marchés des capitaux est lacunaire en ce qu’elle ne régit pas la procédure de liquidation, l’État partie aurait dû combler cette lacune par l’application d’une procédure assurant le respect de la légalité. La convocation de l’assemblée générale extraordinaire n’a pas compensé l’absence d’une procédure appropriée qui garantisse le droit à la défense des actionnaires.

5.7L’État partie a justifié la liquidation de la société Econoinvest par une prétendue violation de la loi. Toutefois, cette violation n’a pas été établie par un tribunal dans le cadre d’une procédure régulière. De plus ce n’est pas parce la décision de liquidation est déclarée légale qu’elle est pour autant légitime ou moins attentatoire aux droits consacrés par le Pacte.

5.8D’après l’auteur, les créances d’Econoinvest auraient dû être placées en fidéicommis à la disposition des actionnaires, comme le prévoit la loi. Or, à ce jour cela n’a pas été fait, et la liquidation de la société n’est pas achevée.

5.9L’auteur souligne que sa communication porte non pas sur les poursuites pénales engagées contre lui et trois autres dirigeants d’Econoinvest mais sur la mise sous tutelle et la liquidation d’Econoinvest.

5.10L’auteur maintient que la modification apportée en 2010 à la loi contre les opérations de change illicites a été appliquée de manière rétroactive. Même si l’article 9 de la loi de 2007 visait l’achat et la vente de devises, il excluait les opérations sur valeurs mobilières. Cette exception a été supprimée par la modification de 2010, et les dirigeants d’Econoinvest ont été poursuivis pour commerce de valeurs mobilières, ce qui montre que la loi pénale a clairement été appliquée rétroactivement.

5.11En ce qui concerne l’indépendance du pouvoir judiciaire, l’auteur indique qu’environ 50 % des juges vénézuéliens continuent d’être nommés et révoqués librement, et que s’il existe au sein de l’appareil judiciaire un régime disciplinaire de contrôle de l’intégrité et de la rectitude des juges, il ne sert qu’à poursuivre ceux qui rendent des décisions contraires aux intérêts du pouvoir exécutif. Étant donné qu’en l’espèce tous les juges de la deuxième chambre, outre qu’ils n’étaient pas titulaires, ont examiné le recours en amparo et l’incident de récusation, ils n’étaient pas indépendants. De plus, tous les procureurs chargés de l’enquête pénale dans la procédure relative à la mise sous tutelle et à la liquidation et les procureurs chargés des poursuites pénales ouvertes contre les dirigeants d’Econoinvest, étaient nommés à titre provisoire, et ils n’étaient donc pas indépendants non plus.

5.12L’auteur signale que, même si la mise sous surveillance d’une maison de courtage est un acte sui generis qui donne à l’État une plus grande marge de manœuvre et plus de flexibilité cela ne saurait justifier le non-respect des garanties minimales d’une procédure régulière consacrées par la Constitution et le Pacte, qui sont applicables à toute procédure visant à déterminer des droits, quels que soient l’organe et la nature du droit en question.

5.13L’auteur réaffirme qu’il a demandé une copie du rapport relatif à la mise sous tutelle et du procès-verbal de l’assemblée générale extraordinaire, comme le montrent les copies soumises au Comité.

Observations supplémentaires des parties

6.1Par une note du 4 avril 2014, l’auteur a fait savoir que, le 6 mars 2014, le tribunal de première instance no 5 (circonscription métropolitaine de Caracas), agissant en qualité de juridiction de contrôle, avait prononcé le non-lieu dans l’action pénale engagée contre lui, au motif que les faits reprochés ne constituaient pas une infraction selon la loi en vigueur.

6.2L’auteur indique que le recours en annulation déposé le 4 novembre 2010 est toujours pendant, et qu’il maintient donc ses griefs portant sur le retard injustifié.

7.En date du 8 octobre 2014, l’État partie a confirmé que le non-lieu avait été prononcé dans la procédure pénale engagée contre l’auteur et trois autres dirigeants d’Econoinvest, sur le fondement du décret du 19 février 2014 portant abrogation de la loi contre les opérations de change illicites. Le tribunal no 5 a considéré qu’en application de ce décret les faits reprochés ne constituaient plus une infraction.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Le Comité prend note des allégations de l’auteur, qui affirme qu’il présente sa communication à titre personnel et que, en sa qualité d’actionnaire et de dirigeant d’Econoinvest, il a été personnellement touché par la procédure de mise sous tutelle et de liquidation de cette société. Le Comité rappelle son observation générale no 31, selon laquelle « le fait que la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications soit restreinte aux seules communications soumises par un individu ou au nom d’un individu n’empêche pas un tel individu de faire valoir que les actions ou omissions affectant des personnes morales et entités similaires constituent une violation de ses propres droits ». Le Comité note qu’en l’espèce l’auteur agit à titre personnel et non en tant que représentant d’Econoinvest, qu’il se déclare victime de violations de droits individuels qu’il tient du Pacte, violations qui seraient la conséquence directe de la procédure de mise sous tutelle et de liquidation d’Econoinvest et, qu’en ce qui concerne les violations qu’il a porté à l’attention du Comité, il a engagé un recours en annulation et un recours en amparo devant les juridictions nationales en son nom propre. Le Comité considère donc que les dispositions de l’article premier du Protocole facultatif ne font pas obstacle à la recevabilité de la communication.

8.4Le Comité prend note des allégations de l’État partie, qui affirme que les recours internes disponibles n’ont pas été épuisés étant donné que, d’une part, le recours en annulation formé contre la décision de liquidation d’Econoinvest est toujours pendant et, d’autre part, le recours en légalité et le recours en constitutionnalité dans le cadre de la procédure administrative n’ont pas été exercés et que dans la procédure pénale engagée contre l’auteur les juges n’ont pas été récusés. Le Comité observe toutefois que le recours en annulation, déposé le 4 novembre 2010 et sur lequel il aurait dû être statué dans le délai légal de quatre‑vingt‑dix jours, est toujours pendant devant la juridiction administrative, plus de six ans après, sans que l’État partie n’ait apporté d’explication pour justifier ce retard. En ce qui concerne le recours spécial en légalité et le recours en constitutionnalité, le Comité relève que les deux parties les qualifient d’extraordinaires et de discrétionnaires. En outre, ces recours ne pourraient être formés que contre la décision sur le recours en annulation, et non contre d’autres décisions internes. Le Comité constate également que le recours en amparo et la demande de suspension des effets de la décision de liquidation, présentés par l’auteur, ont été rejetés par la deuxième chambre et, en appel, par le Tribunal suprême de justice. Enfin, le Comité note que, comme le signale l’auteur, la communication ne porte pas sur les poursuites pénales ouvertes contre lui, qui ont abouti à un non-lieu, et que l’auteur a soulevé sans succès un incident de récusation visant les juges chargés de la procédure contentieuse relative à l’annulation de la décision de liquidation. Le Comité considère donc que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne font pas obstacle à la recevabilité de la communication.

8.5Le Comité prend note des griefs que l’auteur tire du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, à savoir que le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement a été violé en ce que la mise sous tutelle et la liquidation d’Econoinvest ont été décidées en dehors de toute procédure légale spécifique, et alors que la loi sur le marché des capitaux ne prévoit même pas de procédure administrative de mise sous tutelle ; les actionnaires, notamment l’auteur, n’ont pas été autorisés à présenter des arguments et des preuves pour contester le rapport relatif à la mise sous tutelle ; ils n’ont pas été autorisés à consulter le rapport ou le procès-verbal de l’assemblée générale extraordinaire, malgré des demandes répétées adressées à la SNV, sur lesquelles figure le tampon de réception de celle‑ci ; les décisions de mise sous tutelle et de liquidation étaient dénuées de fondement. Le Comité rappelle toutefois que la deuxième phrase du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte protège le droit de toute personne à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, qui décidera des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, et que le terme « tribunal », dans cette phrase, « désigne un organe, quelle que soit sa dénomination, qui est établi par la loi, qui est indépendant du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif ou, dans une affaire donnée, qui statue en toute indépendance sur des questions juridiques dans le cadre de procédures à caractère judiciaire ». Étant donné que la SNV était un organe purement administratif dépourvu de telles caractéristiques, le Comité considère que les garanties énoncées au paragraphe 1 de l’article 14 ne sont pas applicables à la procédure administrative de mise sous tutelle et de liquidation d’Econoinvest menée par cet organe. En conséquence, il estime que les griefs concernant cette procédure sont incompatibles ratione materiae avec les paragraphes 1, 3 a) et 3 b) de l’article 14 du Pacte, invoqués par l’auteur, et les déclare irrecevables au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

8.6Le Comité note que l’auteur affirme que les juges qui devaient examiner le recours en annulation étaient les mêmes que ceux qui avaient examiné le recours en amparo formé dans la même affaire et qu’ils avaient avancé un avis sur le fond de la plainte, ce qui avait conduit l’auteur à demander leur récusation. Le Comité observe toutefois que l’auteur n’a pas démontré dans quelle mesure le rejet par la deuxième chambre administrative du recours en amparo aurait pu compromettre l’impartialité des juges saisis du recours en annulation, sachant que l’examen d’un recours en amparo ne suppose pas de rendre préalablement une décision sur le fond de l’affaire. Par conséquent, le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ses griefs et les déclare irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.7En ce qui concerne les griefs tirés de l’article 26 du Pacte portant sur l’inégalité de traitement dont il a été victime en raison du non-respect des garanties de procédure, le Comité note que, comme il a conclu que les garanties d’une procédure régulière définies au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte n’étaient pas applicables à la procédure administrative de mise sous tutelle et de liquidation d’Econoinvest et étant donné que l’auteur n’a pas montré en quoi la procédure avait été discriminatoire à son égard par rapport aux autres acteurs du marché, ni quel était le motif de discrimination invoqué, le Comité considère que ces griefs n’ont pas été suffisamment étayés et les déclare irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.8Le Comité considère que les griefs tirés du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, concernant les garanties que ne présenteraient pas les juges non titulaires, l’examen de l’incident de récusation par un juge lui-même visé par cet incident, et le retard excessif pris dans la procédure relatif au recours en annulation de la décision de liquidation d’Econoinvest, sont suffisamment étayés aux fins de la recevabilité ; il déclare ces griefs recevables et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la communication à la lumière de toutes les informations communiquées par les parties.

9.2Le Comité note les allégations de l’auteur fondées sur le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, relativement aux procédures judiciaires menées par la deuxième chambre administrative, qui devait se prononcer sur le recours en annulation de la décision de liquidation d’Econoinvest. Il rappelle que la notion de détermination des droits et obligations « de caractère civil », au sens du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, englobe notamment les procédures visant à déterminer le bien-fondé de contestations relevant du domaine des contrats, des biens et de la responsabilité civile en droit privé, mais également les procédures concernant des concepts équivalents en droit administratif, comme l’appropriation de biens privés. Le Comité rappelle aussi que, dans tous les cas où le droit interne donne à un organe juridictionnel une fonction judiciaire, les garanties énoncées dans la première phrase du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte − le droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice − sont applicables et, par conséquent, les principes d’impartialité, d’équité et d’égalité consacrés dans cette disposition le sont aussi. En conséquence, le Comité estime que ces garanties sont applicables aux procédures de la deuxième chambre administrative.

9.3Le Comité prend note de l’allégation de l’auteur selon laquelle la deuxième chambre administrative n’était ni indépendante ni impartiale parce qu’elle était composée de juges non titulaires, en violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Il rappelle que la procédure de nomination des juges et les garanties relatives à leur inamovibilité sont des conditions indispensables à l’indépendance de la justice, et que toute situation dans laquelle le pouvoir exécutif peut contrôler ou diriger le pouvoir judiciaire est incompatible avec le Pacte. À ce sujet, la nomination à titre provisoire de membres du pouvoir judiciaire ne saurait dispenser un État partie d’assurer les garanties indispensables à la sécurité dans leur charge des membres ainsi désignés. Indépendamment de la nature de leur nomination, les membres de la magistrature doivent être indépendants, et paraître indépendants. En outre, les nominations à titre provisoire devraient être exceptionnelles et limitées dans le temps. Dans la présente affaire, le Comité prend note de l’argument de l’auteur selon lequel la deuxième chambre administrative était composée de juges qui avaient tous été nommés à titre provisoire et qui pouvaient être démis de leurs fonctions sans motif, en dehors de toute procédure et sans pouvoir faire appel, selon la jurisprudence de la chambre constitutionnelle du Tribunal suprême de justice. En l’absence d’informations de la part de l’État partie réfutant ces allégations ou démontrant l’existence de garanties relatives à la sécurité dans la fonction judiciaire, en particulier de garanties qui protègent les juges en question contre une révocation discrétionnaire, et compte tenu du contexte politique dans lequel a eu lieu la mise sous tutelle de la société de l’auteur, le Comité estime, à la lumière des renseignements dont il dispose, que les juges de la deuxième chambre administrative ne jouissaient pas des garanties d’indépendance nécessaires conformément au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, en violation de cette disposition.

9.4Le Comité prend note du grief de l’auteur qui affirme que sa demande de récusation des juges composant la deuxième chambre administrative a été rejetée en première instance par une juge suppléante, qu’il a fait appel de cette décision en faisant valoir qu’elle aurait dû être collégiale et qu’il ne lui avait pas été permis de présenter des arguments et des preuves comme l’exige la loi organique relative à la juridiction administrative, et que l’appel a été tranché par le Président de la chambre, qui était également visé par l’incident de récusation soulevé par l’auteur. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle « un procès sérieusement entaché par la participation d’un juge qui, selon le droit interne, aurait dû être écarté, ne peut pas être considéré comme un procès impartial ». En l’espèce, le fait qu’un juge visé par une demande de récusation participe à cette même procédure jette le doute sur l’impartialité de la procédure. En l’absence d’informations de la part de l’État partie réfutant les allégations de l’auteur, le Comité considère que celui-ci n’a pas eu accès à un tribunal impartial, comme l’exige le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

9.5Le Comité prend note des griefs de l’auteur concernant le retard excessif pris dans l’examen du recours administratif en annulation. Il rappelle qu’un élément important du procès équitable est la rapidité de la procédure et que, dans un procès, les retards que ne justifient ni la complexité de l’affaire ni la conduite des parties portent atteinte au principe du procès équitable consacré par le paragraphe 1 de l’article 14. En l’espèce, le Comité constate que le recours administratif en annulation est toujours pendant, depuis plus de six ans, et que l’État partie n’a présenté aucun argument convaincant pour expliquer le retard mis à statuer. À la lumière de ce qui précède, le Comité considère que l’auteur n’a pas bénéficié d’un procès impartial au sens du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. En conséquence, il considère qu’il y a eu violation du droit reconnu à l’auteur par le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

10.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

11.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder pleine réparation aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. Entre autres mesures, l’État partie doit garantir à l’auteur une procédure judiciaire conforme aux garanties établies par l’article 14 du Pacte. Il doit également offrir à l’auteur une indemnisation adéquate pour les violations qu’il a subies et dont les présentes constatations font état. Il est en outre tenu de prendre les mesures nécessaires pour éviter que des violations analogues ne se reproduisent.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent-quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques, à les faire traduire dans la langue officielle du pays et à les diffuser largement.

Annexe

[ Original : français]

Opinion individuelle (partiellement dissidente) d’Olivier de Frouville

1.Au paragraphe 8.3. de ses constatations, le Comité reconnaît la qualité de l’auteur à présenter une communication devant le Comité. Il relève en effet que l’auteur agit à titre personnel et non en tant que représentant d’Econoinvest, qu’il se déclare victime de violations de droits individuels qu’il tient du Pacte, violations qui auraient été la conséquence directe de la procédure de mise sous tutelle et de liquidation d’Econoinvest, et qu’il a engagé sur le plan national des recours devant les tribunaux en son nom propre.

2.L’article premier du Protocole facultatif limite la faculté de présenter des communications devant le Comité aux « particuliers […] qui prétendent être victimes d’une violation ». Les personnes morales n’ont donc pas cette faculté et n’ont pas de locus standi devant le Comité.

3.Dans l’affaire S. M . c. Barbade, l’auteur était le propriétaire et le seul actionnaire d’une entreprise et se déclarait victime d’une violation de l’article 14 du Pacte. Le Comité a déclaré la communication irrecevable au titre de l’article premier du Protocole :

« Essentiellement, l’auteur fait valoir devant le Comité des violations des droits de sa société. Bien qu’il en soit l’unique actionnaire, la société a sa personnalité juridique propre. Tous les recours internes évoqués dans l’affaire en cause ont été introduits en fait au nom de la société et non en celui de l’auteur. ».

4.Le Comité a appliqué le même principe dans les affaires Lamagna c. Australieet Mariategui et consorts c. Argentine.

5.Il ne semble pas que la présente espèce soit si différente des précédents cités. Ici, comme dans les autres affaires, les instances engagées sur le plan national l’ont été exclusivement en vue de défendre les droits de la société, et non les droits propres de l’auteur. C’est tout d’abord la société Econoinvest elle-même qui a saisi la SNV, le 14 juin 2010, d’un recours gracieux contre la décision de mise sous tutelle. Une fois la mise sous tutelle effective, il était devenu impossible pour la société d’agir par l’intermédiaire de ses organes statutaires pour s’opposer à sa liquidation. Certains des dirigeants et actionnaires, dont l’auteur, ont donc pris le relais de la société pour défendre les droits de celle-ci. Ils l’ont fait en exerçant un recours en annulation, un recours en amparo préventif et une demande de mesures provisoires aux fins de la suspension des effets de la décision de liquidation d’Econoinvest. Les moyens invoqués pour dénoncer l’irrégularité de la procédure, à savoir la violation des « droits à la défense et au juge naturel » des actionnaires, ne changent pas l’objet des recours, qui était la défense des droits de la société, et non des droits propres des actionnaires. L’auteur lui-même le dit d’ailleurs explicitement. Il fait remarquer que la présente communication ne porte pas sur les poursuites pénales engagées contre lui et trois autres dirigeants d’Econoinvest mais sur la mise sous tutelle et la liquidation d’Econoinvest (par. 5.9). Au fond, ce que l’auteur cherche à faire dire au Comité, c’est que la procédure qui a conduit à la mise sous tutelle et à la liquidation de la société était irrégulière.

6.Le Comité n’interprète pas correctement sa propre jurisprudence dans cette affaire. Il cite l’observation générale no 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, qui rappelle qu’un individu peut faire valoir que les actions ou omissions affectant des personnes morales constituent une violation de ses propres droits. Le Comité semble en déduire que les actionnaires pourraient en quelque sorte se substituer à la société pour défendre ses droits, lorsque celle-ci devient incapable de les défendre par elle-même, par exemple en cas de liquidation. Mais il y a là un pas que l’on ne saurait franchir, sauf à modifier le sens à donner à la jurisprudence du Comité dans les affaires citées plus haut. Le Comité a en effet toujours pris soin de maintenir le « voile social », en considérant que la violation des droits d’une société n’avait pas pour conséquence nécessaire la violation des droits de ses actionnaires. Le Comité a poussé cette logique très ou peut-être même trop loin puisque, comme on l’a vu avec l’affaire S. M. c. Barbade , il l’applique même aux actionnaires uniques, au motif qu’une société a « sa personnalité juridique propre », alors que, dans ce type d’hypothèse, on pourrait avancer l’idée d’une transparence du voile.

7.En l’espèce, les irrégularités procédurales constatées par le Comité dans son analyse sur le fond portent préjudice aux droits de la société, qu’il s’agisse du manque d’indépendance de la Cour administrative, du manque d’impartialité du juge statuant sur la récusation ou bien encore de la violation du délai raisonnable. Mais l’auteur n’a pas établi que ces irrégularités portaient atteinte à ses droits individuels.

8.Le Comité n’a pas indiqué vouloir effectuer un revirement de jurisprudence dans cette affaire. Au regard de sa jurisprudence établie, il aurait par conséquent dû déclarer la communication irrecevable en vertu de l’article premier du Protocole facultatif.

9.Reste posée la question de savoir si la jurisprudence du Comité devrait évoluer ou pas, notamment à la lumière du droit et de la pratique dans les systèmes régionaux. Lecadre européen n’est pas comparable, car la Convention européenne des droits de l’homme, dans son article 34, autorise les organisations non gouvernementales à saisir la Cour, ce que celle-ci a toujours interprété comme donnant un locus standi aux sociétés commerciales.

10.Quant à la jurisprudence interaméricaine, elle va dans le même sens que celle du Comité et la reprend même explicitement sur certains points. Elle devrait donc plutôt encourager le Comité à réserver le locus standi aux personnes physiques. S’agissant des actionnaires, il me semble prudent de conserver la distinction entre droits et intérêts qu’avait effectuée, en son temps, la Cour internationale de Justice. À mon sens, un actionnaire ne devrait avoir de locus standi devant le Comité qu’à la condition d’invoquer une violation de ses droits propres en vertu du Pacte, et non lorsqu’il invoque la violation des droits de la société, quand bien même une telle violation aurait une incidence défavorable sur ses intérêts en tant qu’actionnaire.