Nations Unies

CCPR/C/123/D/2273/2013

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

10 août 2018

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernantla communication no 2273/2013*,**

Communication présentée par :

Andrea Vandom (représentée par Benjamin K. Wagner)

Au nom de :

L’auteure

État partie :

République de Corée

Date de la communication :

7 juillet 2013 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 18 juillet 2013 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

12 juillet 2018

Objet :

Tests obligatoires de dépistage du VIH et de drogues aux fins du renouvellement d’un visa

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes ; mesure dans laquelle les allégations sont étayées ; abus du droit de présenter une communication

Question(s) de fond :

Droit à un recours utile ; égalité devant la loi ; droit au respect de la vie privée ; discrimination fondée sur la nationalité et la race

Article(s) du Pacte :

2, 14 (par. 1), 17 et 26

Article(s) du Protocole facultatif :

2, 3 et 5 (par. 2 b))

1.L’auteure de la communication est Andrea Vandom, de nationalité américaine, née le 8 septembre 1978. Elle affirme que la République de Corée a violé les droits qu’elle tient de l’article 2, du paragraphe 1 de l’article 14 et des articles 17 et 26 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 10 juillet 1990. L’auteure est représentée par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1En mars2006, l’auteure a été recrutée en tant que professeur d’anglais par une université privée d’Anseong (République de Corée). Elle est titulaire d’une maîtrise de lettres (enseignement) et d’une licence d’enseignement délivrée en Californie. Aux États‑Unis, elle enseignait à des enfants, mais, en République de Corée, elle enseignait l’anglais en tant que langue étrangère à des étudiants de l’université.

2.2Le 15 décembre2007, le Ministère coréen de la justice a introduit une politique subordonnant la délivrance duvisa dont avaient besoin les enseignants qui n’étaient pas de nationalité ou d’origine coréenne à l’obligation de se soumettre à des tests de dépistage du VIH et de drogues. Cette politique instituait un processus de vérification en deux étapes. En premier lieu, les enseignants étrangers demandant un « visa E-2 d’enseignant d’une langue étrangère » depuis l’étranger devaient remplir un questionnaire intitulé Déclaration sanitaire de demandeur de visaE‑2. Conformément à la réglementation en vigueur en matière d’immigration, tous les étrangers devaient se faire enregistrer dans les quatre‑vingt‑dixjours de leur entrée sur le territoire de l’État partie. Les titulaires de visa E‑2 présentaient alors un certificat médical délivré par un hôpital désigné par le Gouvernement attestant qu’ils n’étaient pas toxicomanes et que le résultat du dépistage du VIH/sida était négatif. À la fin du processus, les titulaires de visa E-2 se voyaient délivrer une carte d’identité, tandis que le visa de ceux dont le résultat du test de dépistage avait été positif était annulé et les intéressés, expulsés. Les titulaires de visaE-2 déjà présents dans le pays qui demandaient le renouvellement de leur visa étaient également tenus de se soumettre aux tests en question. L’auteure précise que, lorsque les autorités ont introduit cette nouvelle procédure de délivrance des visasE-2 en2007, il s’agissait simplement d’un « mémorandum de politique générale »,qui n’avait pas force de loi, et que le texte n’a été promulgué en tant que règlement d’immigration que le 4 avril2009, lorsque l’article 76(1) du Règlement d’application de la loi sur l’immigration a été modifié. Elle évoque une affaire similaire dont a connu la Cour constitutionnelle de Corée, dans laquelle celle-ci a conclu qu’au regard du droit constitutionnel, toute limitation du droit à l’égalité de traitement sur le lieu de travail, là où une telle limitation était possible, devait faire l’objet d’une loi adoptée par l’Assemblée nationaleet qu’un simple règlement administratif n’était pas suffisant. La légalité des restrictions imposées dans le cadre de la nouvelle politique ayant été contestée, le Ministère de la justice a affirmé que le mémorandum d’orientation avait force de loi, puisqu’il avait été publié par le Ministère de la justice au nom du Gouvernement. À la suite de l’introduction des mesures relatives au visa E‑2, quelque 20 000 enseignants étrangers, dont bon nombre résidaient et travaillaient dans le pays depuis des années, ont commencé à passer les tests obligatoires de dépistage du VIH et de drogues.

2.3Les enseignants ayant la nationalité coréenne étaient exemptés de ces tests, tout comme ceux qui étaient d’origine ethnique coréenne sans avoir la nationalité de la République de Corée. L’origine ethnique coréenne conférait aux intéressés le statut juridique de « Coréens d’outre-mer » et ils pouvaient à ce titre obtenir des visasF-4, dont la délivrance n’était pas subordonnée à l’obligation de passer des tests de dépistage du VIH et de drogues.

2.4L’auteure soutient que cette politique de délivrance des visasE-2 a été instituée pour renforcer les stéréotypes négatifs concernant la moralité des enseignants non coréens. Lesmédias en sont venus à présenter les enseignants étrangers comme des délinquants potentiels, bien différents de leurs collègues de nationalité ou d’origine ethnique coréenne. Les déclarations du Gouvernement ont confirmé que les tests ont été imposés pour des raisons totalement symboliques et non pour des raisons de santé publique, par crainte de contagions accidentelles ou en raison de l’ignorance de la population quant aux modes d’infection.

2.5Le 27 février 2009, l’auteure a fait une demande de renouvellement de son visaE-2 au Bureau de l’immigration de Suwon. Un fonctionnaire lui a délivré une extension temporaire de trente jours et a précisé que, pour faire renouveler son visa, elle devait revenir avec un certificat médical présentant les résultats des tests obligatoires de dépistage de drogues et du VIH. Le 25 mars, l’auteure a déposé une déclaration écrite dans laquelle elle expliquait qu’elle refusait de se soumettre aux tests de dépistage de drogues et du VIH parce qu’elle jugeait que cette prescription était discriminatoire et constituait une violation de son droit à la vie privée et une atteinte à sa dignité personnelle. Lefonctionnaire de l’immigration a lu la déclaration de l’auteure et a renouvelé son visa pour un an.

2.6Les 30 et 31 mars2009, les services de l’immigration ont informé l’auteure par téléphone et par l’intermédiaire de l’université qui l’employait que son visa avait été renouvelé par erreur et l’ont priée de passer les tests requis. On lui a également fait savoir qu’en cas de refus, son visa serait annulé, elle serait arrêtée et perdrait son emploi. Le 1er avril, un fonctionnaire de l’immigration a informé l’auteure par téléphone que, parce qu’elle ne s’était pas acquittée de son obligation de se soumettre aux tests obligatoires, son visa serait immédiatement annulé.

2.7Par lettres datées des 10 et 29 avril2009, l’auteure a été sommée de se présenter auBureau de l’immigration, étant soupçonnée d’avoir violé la loi relative à l’immigration. Sur le conseil de son avocat, l’auteure n’a déféré à aucune de ces convocations. Le 30 avril, le Bureau de l’immigration a adressé à l’employeur de l’auteure une lettre dans laquelle il engageait la direction de l’université à convaincre l’auteure « de présenter son rapport sanitaire afin qu’elle puisse continuer à enseigner ». L’université a exercé des pressions sur l’auteure pour qu’elle fasse droit à cette demande. Des fonctionnaires de l’université lui ont dit qu’elle perdrait son emploi si elle ne présentait pas les résultats de tests de dépistage duVIH et de drogues. Lorsque l’auteure a expliqué qu’elle ne le ferait pas, même si elle devait perdre son emploi, les fonctionnaires de l’université lui ont dit qu’en refusant de coopérer, elle mettait également en péril l’emploi de ses collègues étrangers. Ils ont également commencé à informer ceux-ci qu’en refusant de présenter les résultats de tests, l’auteure causait un problème qui aurait des répercussions pour eux. Sous la pression exercée par l’université, l’auteure a présenté sa démission au milieu du mois de juilletet a quitté la République de Corée le 31 juillet. Bienqu’ayant régulièrement quitté le pays au regard de la réglementation relative à l’immigration et ayant rendu sa carte d’identité, des articles parus dans les médias et citant des fonctionnaires l’ont décrite comme « recherchée » par les services de l’immigration.

2.8Avant de quitter le pays, l’auteure a introduit une requête contre l’État partie devant la Cour constitutionnelle. Dans cette requête, elle demandait à la Cour de dire si les convocations au Bureau de l’immigration, la lettre adressée par le Bureau de l’immigration à son employeur et les tests obligatoires de dépistage du VIH/sida et de drogues prévus à l’article 76(1) du Règlement d’application de la loi sur l’immigration violaient ses droits fondamentaux. Le 29 septembre2011, la Cour constitutionnelle a rejeté sa requête, estimant que les deux lettres émanant du chef du Bureau de l’immigration de Suwon ne faisaient que prier l’auteure de se présenter au Bureau de l’immigration et ne lui demandaient aucunement de présenter des documents relatifs à des tests de dépistage du VIH et de drogues. La Cour a fait observer que l’on pouvait supposer que de tels documents seraient ultérieurement demandés à l’auteure, mais que l’obligation de les présenter était « imposée par une prescription distincte et non par cette convocation ». Elle a en outre jugé que la lettre adressée à l’université ne faisait que demander à l’université de guider l’auteure ou de lui conseiller de se présenter au Bureau de l’immigrationet que, de surcroît, elle était adressée à l’université et non à l’auteure elle-même. La Cour a conclu que l’expédition de cette lettre n’avait aucun effet juridique obligeant l’auteure à présenter les documents en question et qu’en conséquence,il n’y avait pas lieu de voir dans les actes du Bureau de l’immigration un exercice intrusif de la puissance publique portant atteinte aux droits fondamentaux de l’auteure. Elle a en outre fait observer que l’article76(1) du Règlement d’application de la loi sur l’immigration stipulait qu’aux fins de la délivrance d’un visa, le certificat médical du demandeur devait indiquer son statut sérologique et toxicologique. Elle a toutefois jugé que l’auteure était déjà entrée dans le pays avec un visaE-2 et ne demandait qu’une prolongation de son séjour, et qu’ainsi elle ne faisait pas partie de la catégorie de personnes relevant de l’article76(1) et n’avait donc pas d’intérêt pour agir en contestation de la règle prescrivant des tests obligatoires de dépistage du VIH et de drogues. La Cour a également jugé que l’auteure avait « incorrectement qualifié l’objet de sa requête ». Elle a noté que l’auteure avait présenté une demande de renouvellement de son visa pour une année supplémentaire le 27février 2009 au Bureau de l’immigration de Suwon, qu’un fonctionnaire de l’immigration avait provisoirement accepté sa demande, mais que le Bureau de l’immigration lui avait demandé de compléter son dossier en présentant un certificat médical le 30mars au plus tard. La Cour a jugé qu’elle pouvait modifier d’office l’objet de la requête de manière à pouvoir examiner cette demande faite à l’auteure de compléter son dossier, mais elle a conclu qu’il n’y avait pas lieu de le faire puisque qu’elle serait amenée à constater que la requête complémentaire n’avait pas été introduite dans le délai prescrit de quatre-vingt-dix jours.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure affirme que l’État partie a violé les droits qu’elle tient des articles 2, 14, 17 et 26 du Pacte. Elle fait valoir que la protection des droits de l’homme est un élément essentiel de la prévention du VIH/sida. Elle invoque des rapports et déclarations de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), selon laquelle « [a]ucun programme de dépistage pour les voyageurs internationaux ne saurait éviter l’introduction et la propagation de l’infection à VIH »et « il n’y a aucune raison de santé publique justifiant des mesures limitant les droits de l’individu, notamment des mesures prescrivant un dépistage obligatoire ». L’auteure invoque également la recommandationsur le VIH et le sida(no200) de l’Organisation internationale du Travail (OIT, 2010), aux termes de laquelle « aucune discrimination ni stigmatisation ne devrait s’exercer à l’encontre des travailleurs, notamment des personnes à la recherche d’un emploi ou des demandeurs d’emploi, en raison de leur statut VIH réel ou supposé, ou de leur appartenance à des régions du monde ou à des groupes de population perçus comme plus exposés ou plus vulnérables au risque d’infection à VIH ».

3.2L’auteure affirme que la politique de l’État partie consistant à imposer des tests de dépistage du VIH administrés dans le pays viole son droit à être protégée de la discrimination qu’elle tient des articles 2 et 26 du Pacte. Elle fait valoir que cette politique a opéré à son encontre une discrimination interdite sur la base de sa nationalité et de son origine ethnique et qu’elle était discriminatoire dans son intention, puisqu’elle résultait d’une animosité à l’encontre des enseignants étrangers, ne répondait à aucun objectif légitime et ne pouvait être justifiée comme raisonnablement nécessaire. Du fait que seuls les membres d’un groupe perçu comme étant un groupe à haut risque, à savoir les enseignants étrangers d’origine non coréenne, étaient tenus de se soumettre à des tests, l’auteure affirme que cette politique reposait sur la présomption de sa séropositivité. L’auteure affirme que l’État partie soumet les personnes vivant effectivement avec le VIH à un traitement discriminatoire les empêchant de trouver un emploi ou leur faisant perdre leur emploi, en annulant leurs visas et en les expulsant du pays. Elle affirme qu’elle a effectivement été victime de telles conséquences du fait de la politique de tests obligatoires de dépistage du VIH présumant qu’elle est séropositive.

3.3L’auteure affirme en outre que la politique de tests obligatoires de dépistage du VIH constitue une atteinte arbitraire et déraisonnable au droit à la vie privée qu’elle tient de l’article 17 du Pacte. Elle fait valoir que cette politique et les mesures prises par l’État partie pour l’appliquer ont violé son droit à la vie privée parce qu’elles l’obligeaient à révéler son statut sérologique à l’État partie ; l’État partie a tenté de la contraindre à se soumettre à un test de dépistage du VIH sur la base d’un mémorandum de politique générale, avant que celui-ci ne soit promulgué en tant que règlement d’immigration ; l’État partie a adressé à l’employeur de l’auteure un rapport sur l’auteure et fait pression sur lui pour qu’il oblige l’auteure à se soumettre à des tests ; l’État partie a menacé l’auteure par téléphone de l’expulser et d’annuler son visa ; et l’État partie a fait des déclarations publiques désignant nommément l’auteure et déclarant qu’elle était recherchée et que son visa n’était plus valide.

3.4L’auteure affirme également que la politique et la réglementation relatives aux tests de dépistage de drogues dans le pays ont violé le droit de ne pas faire l’objet d’une discrimination et le droit au respect de sa vie privée qu’elle tient des articles 2, 17 et 26 duPacte. Elle relève que, dans certaines circonstances, des tests obligatoires de dépistage de drogues peuvent être justifiés eu égard à certains emplois, par exemple pour des raisons de sécurité. Elle fait toutefois valoir qu’un poste d’enseignant n’est pas généralement considéré comme un emploi faisant intervenir des questions de sécurité qui justifieraient des tests obligatoires de dépistage de drogues. Elle note en outre que les enseignants de nationalité ou d’origine ethnique coréenne n’étaient pas assujettis à la politique en question. Elle cite le Recueil de directives pratiques du BIT intitulé « Prise en charge des questions d’alcoolisme et de toxicomanie sur le lieu de travail », qui stipule que « [l]es politiques et programmes de maîtrise des problèmes d’alcool et de drogues devraient s’appliquer à l’ensemble du personnel, cadres et travailleurs, et être exempts de toute discrimination fondée sur la race, la couleur, le sexe, les convictions religieuses, les opinions politiques, la nationalité ou l’origine sociale ». L’auteure affirme que l’application discriminatoire de la politique de tests de dépistage de drogues viole les droits qu’elle tient des articles 2 et 26 du Pacte. Elle soutient en outre que, comme un test de dépistage de drogues constitue une fouille corporelle, il est assimilable à une atteinte illégale et arbitraire aux droits qu’elle tient de l’article 17 du Pacte.

3.5L’auteure affirme par ailleurs qu’en rejetant sa requête sans l’examiner au fond, laCour constitutionnelle a violé les droits qu’elle tient des paragraphes 2 et 3 de l’article26 et des articles 14 et 26 du Pacte. Elle affirme également que le droit à l’égalité devant la loi et à l’égale protection de la loi qu’elle tient de l’article 26 a été violé, puisque la Cour a refusé d’examiner sa requête au fond, alors qu’elle avait examiné au fond une requête comparable introduite par un étranger d’origine ethnique coréenne. Elle fait valoir que ses arguments sont substantiellement les mêmes que ceux avancés par le requérant dans cette affaire, à savoir qu’elle a été traitée de manière discriminatoire non seulement par rapport aux nationaux de l’État partie, mais également par rapport à d’autres non-nationaux.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication, datées du 23 avril2014, l’État partie fait valoir que les griefs de l’auteure ne sont pas clairs et sont vagues quant aux actes des autorités de l’État partie dont elle considère qu’ils violent lePacte. Il soutient en outre que l’auteure n’a pas précisé quelles politiques, quels règlements ni quels actes ou omissions de l’État partie constitueraient une violation des droits qu’elle tient du Pacte, mais a évoqué des articles de presse et des déclarations de personnes non identifiées. L’État partie soutient en outre que, selon l’auteure, elle a été « sommée » de se présenter au Bureau de l’immigration, alors que le terme coréen employé doit se traduire par « convocation». Il considère que le mot « sommer » utilisé dans la plainte évoque erronément l’idée d’un effet juridique contraignant en cas de non-comparution. L’État partie considère donc que l’auteure a abusé du droit de présenter une communication du fait qu’elle n’a pas étayé ses allégations.

4.2L’État partie fait également valoir que la communication est irrecevable pour non‑épuisement des recours internes en application de l’alinéa b) du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif. Il prend note de l’argument de l’auteure selon lequel les directives publiées par leMinistère de la justice en2007 avaient pour effet juridique de limiter ses droits, mais affirme que ce n’étaient en principe que de simples directives internes n’ayant pas pour effet juridique de limiter des droits individuels. Il fait valoir que si l’auteure considérait que ces directives lui ont été appliquées et ont violé ses droits, il lui était loisible d’introduire une requête constitutionnelle à cet égard. Il fait aussi valoir que la requête constitutionnelle introduite par l’auteure en 2009 ne visait pas les directives duMinistère de la justice, mais la demande qui lui avait été faite de se présenter au Bureau de l’immigration et l’article 76(1) du Règlement d’application de la loi sur l’immigration. Ilfait observer que la Cour constitutionnelle a rejeté cette requête au motif que la demande adressée à l’auteure ne semblait pas comporter l’obligation de présenter des certificats médicaux et n’était donc pas un exercice de la puissance publique, et que le règlement relatif à l’immigration ne s’appliquait pas à l’auteure puisqu’elle demandait une prolongation de son séjour.

4.3Sur le fond de la communication, l’État partie argue que le droit international laisse aux États un large pouvoir discrétionnaire s’agissant de réglementer l’entrée des étrangers sur leur territoire sur la base d’éléments tels que le casier judiciaire, les infractions antérieures à la réglementation sur l’immigration, la sécurité nationale, la santé publique, les risques d’emploi illégal ou des considérations économiques. Il fait valoir que la réglementation exigeant que certains étrangers demandant à séjourner dans le pays plus de quatre-vingt-dix jours présentent un certificat médical contenant les résultats de tests de dépistage du VIH relève des objectifs légitimes de protection de la santé publique et de maintien de l’ordre public. Seuls les demandeurs dont la profession s’exerce dans un environnement fermé et qui sont en contact avec des mineurs, tels que les demandeurs de visaE-2 et les demandeurs de visasE-6 (emplois dans le secteur artistique et récréatif), E‑10 (équipages de navire), D-3 (stagiaires dans l’industrie), E-7 (enseignants dans des établissements d’enseignement étrangers) et E-9 (emplois non professionnels) sont soumis à cette obligation. Étant donné qu’elle s’applique à tous les demandeurs des visas susvisés, cette obligation n’a pas un caractère discriminatoire.

4.4L’État partie fait en outre valoir que les non-nationaux, comme l’auteure, qui sont déjà dans le pays et titulaires d’un visa valide ne sont pas obligés de se soumettre à des tests de dépistage du VIH ou de drogues, mais sont simplement encouragés à consulter un médecin et à se soumettre volontairement à un examen médical. Il fait valoir que l’affirmation de l’auteure selon laquelle elle a fait l’objet d’une discrimination par rapport aux étrangers d’origine ethnique coréenne est incorrecte car, dans le cadre de la procédure d’octroi d’un visaE-2, les étrangers d’origine ethnique coréenne sont assujettis à la même obligation de se soumettre à des tests. Il fait observer que le visaF-4 est accordé eu égard à l’héritage historique de la péninsule coréenne, puisqu’en bénéficient les personnes qui ont eu la nationalité coréenne ou dont les parents ou les grands-parents étaient Coréens :ces différences de traitement reposent sur des motifs objectifs et raisonnables.

4.5En ce qui concerne les griefs de l’auteure au titre de l’article 17, l’État partie affirme que la demande qui lui a été faite de présenter des certificats médicaux reposait sur des directives publiées par le Ministère de la justice en vertu de la loi sur le contrôle de l’immigration et qu’en conséquence,on ne saurait la considérer comme illégale et dépourvue de base légale. Il argue également que la mesure a été imposée à une fin objective et juste, à savoir gérer l’entrée et le séjour des étrangers pour protéger la santé publique et maintenir l’ordre public. Les enseignants, qui éduquent des enfants et sont en contact avec eux, doivent être assujettis à des normes professionnelles plus rigoureuses ;c’est la raison pour laquelle il leur est demandé de présenter des certificats médicaux qui ne sont pas demandés aux autres catégories de demandeurs de visas. Les tests en question sont effectués selon des méthodes appropriées (analyse d’urine et prise de sang) et des mesures sont en place pour empêcher toute divulgation d’informations personnelles confidentielles. L’obligation faite aux demandeurs de visasE-2 de présenter les résultats d’un test de dépistage du VIH et de drogues satisfait donc aux normes de nécessité et de proportionnalité et ne viole pas l’article17 du Pacte.

4.6L’État partie prend en outre note de l’argument de l’auteure selon lequel en rejetant sa requête, la Cour constitutionnelle a violé les droits qu’elle tient des articles 2, 14et 26 du Pacte. Il soutient que, pour étayer son allégation de discrimination s’agissant du droit à un procès équitable, l’auteure doit démontrer que la Cour a violé son droit à l’égalité devant la loi ou qu’elle a été placée dans une position défavorable dans le cadre de la procédure du seul fait qu’elle n’avait pas la nationalité coréenne. L’État partie affirme que la Cour a reconnu les droits fondamentaux de l’auteure et examiné sa requête. Il note que la Cour a envisagé la possibilité de rectifier d’office les demandes irrecevables de l’auteure mais qu’elle ne l’a pas fait parce que la requête ainsi complétée n’aurait pas été introduite dans le délai prescrit de quatre-vingt-dix jours.

4.7L’État partie fournit également des informations sur les modifications apportées à la législation relative à l’immigration. Il indique qu’en ce qui concerne l’entrée et le séjour des non-nationaux, le Ministère de la justice a publié en 2010 des directives amendées, intitulées « Modification partielle des directives relatives à la délivrance des visasE-2 et au séjour des titulaires de tels visas ».Selon ces directives, les fonctionnaires ne peuvent pas refuser un visa, annuler l’autorisation de séjour ni ordonner l’expulsion au seul motif que la personne concernée est séropositive ou atteinte du sida et la décision d’autoriser ou non l’entrée ou de proroger le séjour est prise sur une base individuelle, compte tenu des circonstances de l’espèce. L’État partie affirme que ces modifications devraient être prises en considération dans le cadre de l’examen de la communication.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernantla recevabilité et le fond

5.1Le 14 janvier 2015, l’auteure a soumis ses commentaires sur les observations de l’État partie. Elle soutient que la communication est recevable et qu’elle a clairement désigné les actes et omissions de l’État partie constitutifs de violations du Pacte. Elle invoque sa communication du 7 juillet2013 et relève que le mémorandum de politique générale publié en2007 par le Ministère de la justice contient un document intitulé « Déclaration sanitaire du demandeur de visa E-2 » et fait valoir que c’est ce document qui est à l’origine de l’obligation de se soumettre dans le pays à des tests de dépistage du VIH et de drogues. Elle renvoie en outre à un document publié le 10 décembre2007 par le Ministère de la justice et intitulé « Nouvelles modifications concernant les titulaires de visas d’enseignement E-2 en Corée » dans lequel il est indiqué que « [l]es titulaires de visas d’enseignement E-2 qui sont déjà en Corée doivent présenter leur certificat médical lorsqu’ils demandent l’extension de leur résidence en Corée. Ceux qui demandent pour la première fois un visa d’enseignement E-2 doivent présenter leur certificat médical lorsqu’ils se font enregistrer comme étrangers au Bureau de l’immigration en Corée ».

5.2Quant à l’argument de l’État partie concernant les documents qui lui ont été adressés par le Bureau de l’immigration les 10 et 29 avril2009, l’auteure affirme que ce n’est pas elle mais le Bureau de l’immigration lui-même qui en a fait la traduction, et que c’est ce bureau qui a qualifié le document de « sommation ».

5.3L’auteure soutient qu’elle a épuisé tous les recours internes disponibles. Elle prend note de l’argument de l’État partie selon lequel sa communication devrait être jugée irrecevable parce que sa requête constitutionnelle a été introduite contre la réglementation relative à l’immigration et non contre le mémorandum de politique générale. Elle estime que cette affirmation est inexacte car elle a fait valoir devant la Cour constitutionnelle que, avant que l’obligation de se soumettre à des tests soit promulguée en tant que règlement d’immigration,c’est sur la base du mémorandum de politique générale qu’elle a été requise de présenter des certificats médicaux, alors qu’après cette promulgation, c’est en vertu de la réglementation relative à l’immigration que ces certificats ont été exigés. Elle fait en outre valoir que l’État partie n’a pas montré comment une requête introduite contre le mémorandum de politique générale aurait eu une chance raisonnable d’aboutir puisque le libellé du mémorandum était identique à celui de la réglementation en matière d’immigration.

5.4En ce qui concerne les observations de l’État partie quant au fond, l’auteure renvoie à sa communication du 7 juillet 2013 et réitère les arguments qu’elle y a avancés. S’agissant de l’argument de l’État partie selon lequel les renseignements médicaux relatifs aux titulaires de visaE-2 sont gérés de manière à prévenir la divulgation d’informations confidentielles, l’auteure relève qu’aucune information n’a été fournie par l’État partie quant à la manière dont les données en question sont traitées, stockées ou communiquées, ni quant aux protections éventuellement en place.

Nouveaux commentaires de l’auteure

6.1Dans une communication datée du 21 septembre2016, l’auteure relève que, dans un document présenté en2016 à l’occasion de l’examen du quatrième rapport périodique de l’État partie au Comité, la Commission nationale des droits de l’homme de la République de Corée a confirmé que les titulaires de visasE-2 devaient toujours se soumettre à un test obligatoire de dépistage du VIH.Elle renvoyait en outre à l’opinion adoptée par le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale dans l’affaire L. G. c.République de Corée(CERD/C/86/D/51/2012), dans laquelle le Comité a jugé que la pratique du Gouvernement consistant à exempter les personnes de nationalité ou d’origine ethnique coréenne de l’obligation de se soumettre à des tests de dépistage du VIH/sida et de drogues à laquelle les enseignants étrangers étaient assujettis constituait une discrimination raciale.

6.2Le 1er décembre2016, l’auteure a présenté un exposé du secrétariat du Programme commun des Nations Unies sur le VIH/sida (ONUSIDA), selon lequel l’expulsion systématique des étrangers séropositifset les autres formes de restrictions à l’entrée, au séjour et à la résidence des personnes vivant avec le VIH sont contraires aux obligations internationales relatives aux droits de l’homme ; des données d’expérience émanant de diverses régions du monde montrent que les formes obligatoires et autres formes coercitives de dépistage du VIH visant des groupes de population définis ainsi que l’expulsion systématique des personnes séropositives nuisaient à la lutte contre le VIH ; les tests volontaires de dépistage du VIH et la fourniture de conseils en la matière, ainsi que l’accès de toutes les personnes, y compris les non‑nationaux, à la prévention, au traitement, aux soins et à un soutien étaient l’approche la plus efficace pour promouvoir la santé publique dans le contexte de la mobilité.

6.3Le secrétariat d’ONUSIDA note que, par tests obligatoires de dépistage du VIH, on entend les tests auxquels une personne est soumise sans son consentement éclairé et que, selon l’OMS et ONUSIDA, les seules formes acceptables de tests en l’absence du consentement éclairé des personnes concernées sont celles qui ne consistent pas à procéder directement à des tests sur ces personnes. Il relève que les organes conventionnels de l’ONU ont reconnu que l’état de santé, y compris le statut sérologique réel ou supposé, est un motif de discrimination interdit en droit international et que, dans le contexte de la mobilité internationale, la Cellule internationale de réflexion sur les restrictions au voyage liées au VIH a conclu que « les restrictions à l’entrée, au séjour et à la résidence au seul motif du statut VIH peuvent être assimilées à un traitement discriminatoire et différentiel à l’encontre des personnes séropositives et à l’inégalité devant la loi ».Le secrétariat d’ONUSIDA souligne de plus qu’il est admis depuis longtemps que le VIH ne peut être transmis par des particules en suspension dans l’air ni par des contacts occasionnels. Lesmodes de transmission du VIH sont très spécifiques : rapports sexuels non protégés avec une personne séropositive, injection au moyen d’aiguilles ou de seringues contaminées, transfusion de sang ou de produits sanguins contaminés et transmission de la mère séropositive à son fœtus in utero par inoculation intrapartum ou de la mère à l’enfant durant l’allaitement. De ce fait, le VIH n’entre pas dans la catégorie des maladies pouvant donner lieu à des restrictions aux voyages au regard du Règlement sanitaire international. Il indique également que l’expérience acquise depuis plus de trente ans dans toutes les régions du monde en ce qui concerne le VIH a montré que les tests obligatoires de dépistage du VIH et les autres formes coercitives de dépistage du VIH portent directement préjudice à la lutte contre le VIH. Les tests obligatoires de dépistage du VIH ciblent souvent les populations vulnérables et marginalisées, notamment les migrants, et rien n’atteste qu’ils servent les objectifs de santé publique. Au contraire, selon plusieurs études et experts, ils nuisent à la santé publique. En soumettant les étrangers à des tests obligatoires de dépistage du VIH, on perpétue l’idée erronée que le VIH est principalement transmis par les étrangers et qu’il suffit pour lutter contre l’épidémie d’imposer des restrictions à l’entrée, au séjour et à la résidence des migrants séropositifs. Le secrétariat d’ONUSIDA considère que les tests obligatoires de dépistage du VIH, visant notamment les étrangers, portent atteinte aux droits de l’homme, compromettent l’efficacité des programmes de lutte contre le VIH et risquent de créer parmi les nationaux un sentiment erroné de sécurité qui nuit aux mesures de prévention du VIH. Il souligne que la protection des droits de l’homme, notamment des droits à l’autonomie et au consentement éclairé dans le contexte des services et programmes relatifs au VIH, est essentielle pour que l’action soit efficace, et que les pays devraient donc recourir en la matière à des approches volontaires, non discriminatoires et fondées sur les droits, y compris en ce qui concerne les tests de dépistage du VIH.

6.4Dans sa communication du 1er décembre2016, l’auteure note qu’après la décision du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale dans l’affaire L. G. c. République de Corée, la Commission nationale des droits de l’homme de Corée a publié, le 8 septembre 2016, une décision sur les tests de dépistage du VIH imposés aux titulaires de visas E-2. La Commission a confirmé que les enseignants coréens et les professeurs de langues étrangères d’origine ethnique coréenne étaient exemptés des tests obligatoires de dépistage du VIH, tandis que les titulaires étrangers de visasE-2 étaient tenus de s’y soumettre. Elle a jugé que la pratique consistant à imposer des tests constituait une discrimination au regard de l’article 11 de la Constitution et de l’article 26 du Pacte et qu’elle pouvait constituer un acte discriminatoire sur la base des antécédents médicaux.

6.5Dans une nouvelle communication datée du 26 juillet2017, l’auteure a indiqué que le 8 juillet2017, le Ministère coréen de la justice avait annoncé que l’obligation faite aux titulaires de visas E-2 de se soumettre à des tests de dépistage du VIH avait été supprimée,mais que celle qui concernait les tests de dépistage de drogues avait été maintenue.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité prend note de l’affirmation de l’État partie selon laquelle la communication devrait être jugée irrecevable parce que les recours internes n’ont pas été épuisés comme l’exige l’alinéa b) du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif. Il rappelle sa jurisprudence selon laquelle l’auteur d’une communication doit exercer tous les recours internes pour satisfaire à l’obligation énoncée à l’alinéa b) du paragraphe 2 de l’article 5, pour autant que ces recours semblent utiles dans ce cas particulier et lui soient ouverts de facto. Il prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteure aurait pu introduire une requête constitutionnelle devant la Cour constitutionnelle contre les directives/le mémorandum de politique générale publiés par le Ministère de la justice en2007. Le Comité relève qu’avant de quitter l’État partie, l’auteure a introduit devant la Cour constitutionnelle une requête qui a été rejetée le 29 septembre2011, la Cour faisant observer dans sa décision que cette requête lui demandait de décider si les demandes adressées à l’auteure de se présenter au Bureau de l’immigration, la lettre adressée par ce bureau à l’employeur de l’auteure et les tests obligatoires de dépistage du VIH et de drogues à effectuer dans le pays prévus à l’article 76(1) du Règlement d’application de la loi sur l’immigration violaient les droits de l’auteure au respect de sa privée, à l’égalité et au respect de sa dignité humaine. Étant donné que l’auteure a contesté l’obligation de se soumettre à des tests de dépistage énoncée à l’article 76(1) du Règlement d’application de la loi sur l’immigration devant la Cour constitutionnelle, et eu égard à son argument non réfuté selon lequel le libellé du mémorandum de politique générale était identique à celui de la disposition contestée du règlement susvisé, le Comité considère qu’il n’est pas empêché par les dispositions de l’alinéa b) du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif d’examiner la communication.

7.4Le Comité prend de plus note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication constitue « un abus du droit de présenter une communication », parce que l’auteure n’a pas précisé les actes ou omissions de l’État partie qui constitueraient une violation de ses droits et parce qu’elle n’aurait pas correctement traduit les documents que lui a adressés le Bureau de l’immigration les 10 et 29 avril 2009. À cet égard, l’État partie fait valoir que l’intitulé de ces documents doit se traduire par « convocation » et non par « sommation ». Le Comité note toutefois qu’il existe une version coréenne et une version anglaise de ces documents et que la version anglaise porte l’intitulé « sommation ». En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel l’auteure n’a pas suffisamment étayé ses allégations, le Comité prend note des arguments développés par l’auteure pour démontrer que la politique de dépistage du VIH et de drogues violait son droit de ne pas faire l’objet d’un traitement discriminatoire et son droit à la vie privée, lui a fait perdre son emploi et l’a obligée à quitter le territoire de l’État partie. Cela étant, le Comité considère qu’aux fins de la recevabilité, l’auteure a suffisamment étayé ses allégations au regard des articles 17 et 26, lus seuls et conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2.

7.5Le Comité prend de plus note des griefs de l’auteure selon lesquels en rejetant sa requête sans l’examiner au fond, la Cour constitutionnelle a violé les droits qu’elle tientdes paragraphes 2 et 3 de l’article 2 et des articles14 et 26 du Pacte. Le Comité relève toutefois que l’auteure n’a fourni aucune information qui lui permettrait de conclure que le droit à un procès équitable et le droit à l’égalité devant la Cour lui ont été déniés ou qu’elle a été désavantagée dans le cadre de la procédure en raison de sa nationalité et de son origine ethnique. Le Comité déclare en conséquence que cette partie de la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.6En l’absence d’autres contestations de la recevabilité de la communication, leComité déclare la communication recevable en ce qui concerne les griefs de l’auteure au titre de l’article 17 et de l’article 26, lus seuls et conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte, et il va procéder à son examen au fond.

Examen au fond

8.1Le Comité a examiné la communication à la lumière de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.2Le Comité note que les griefs de l’auteure selon lesquels la politique de tests obligatoires de dépistage du VIH et de drogues administrés dans le pays violait le droit de ne pas subir de discrimination qu’elle tientdu paragraphe 1 de l’article 2 et de l’article 26 du Pacte, ainsi que le droit au respect de sa vie privée qu’elle tient de l’article 17. De plus, il prend note de son argument selon lequel cette politique ne sert aucun objectif légitime et qu’elle ne saurait être considérée comme raisonnable et nécessaire. Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les directives −le mémorandum de politique générale − n’étaient que des directives internes qui n’avaient pas pour effet juridique de limiter des droits individuels et que les non-nationaux qui, comme l’auteure, étaient déjà dans le pays et titulaires d’un visa n’étaient pas tenus de se soumettre à des tests de dépistage du VIH ou de drogues, mais simplement encouragés à consulter un médecin et à se faire examiner volontairement. Il prend note de l’affirmation de l’auteure selon laquelle lorsqu’elle a demandé un renouvellement de son visa le 27 février 2009, elle a été informée qu’elle devait présenter un certificat médical contenant les résultats de tests de dépistage duVIH et de drogues administrés dans le pays ; que les 30 et 31 mars, elle a été informée par les services de l’immigration que son visa avait été renouvelé par erreur et qu’elle devait se soumettre à des tests de dépistage du VIH et de drogues administrés dans le pays ; et que le 1er avril, elle a été informée par un fonctionnaire de l’immigration que, parce qu’elle ne s’était pas soumise à ces tests, son visa serait immédiatement annulé. Le Comité note en outre que ces demandes ont été communiquées à l’auteure avant que la politique en matière de visas ne soit promulguée en tant que disposition du Règlement relatif à l’immigration le 4 avril2009.

8.3Le Comité prend également note que la déclaration publiée par le Ministère de la justice le 10 décembre2007 et intitulée « Nouvelles dispositions concernant les enseignants titulaires de visas E-2 en Corée », selon laquelle les titulaires de visas E-2 qui étaient déjà en République de Corée devaient présenter un certificat médical lorsqu’ils demandaient une extension de leur résidence dans l’État partie et que lesdits certificats devaient comprendre un test de dépistage de la tuberculose et un test de dépistage de cannabinoïdes et un test de dépistage du VIH. Le Comité prend également note de la décision de la Commission nationale des droits de l’homme de la République de Corée, en date du 8 septembre2016, indiquant que les titulaires étrangers de visasE‑2 étaient tenus de se soumettre à des tests de dépistage administrés dans le pays. Le Comité note en outre que les documents adressés à l’auteure lui demandant de se présenter au Bureau de l’immigration ont été envoyés les 10et 29 avril2009, et que les lettres adressées par le Bureau de l’immigration à l’employeur de l’auteure demandant à celui-ci de lui conseiller de présenter un certificat médical ont été envoyées le 30 avril, alors que la politique de tests obligatoires de dépistage du VIH et de drogues avait été promulguée par des amendements au Règlement d’application de la loi sur l’immigration. Le Comité note en outre que, dans sa décision du 29 septembre 2011, la Cour constitutionnelle a jugé que «[s]i la requérante s’était présentée au Bureau de l’immigration, on peut supposer que le défendeur lui aurait alors fait une demande distincte de présenter un certificat médical ». Le Comité conclut donc, sur la base des informations versées au dossier, qu’en vertu du mémorandum de politique générale publié par l’État partie en décembre2007 ainsi que du Règlement d’application de la loi sur l’immigration du 4avril2009, l’auteure devait se soumettre à des tests obligatoires de dépistage du VIH et de drogues pour que sa demande de renouvellement de visa soit approuvée.

8.4Le Comité prend de plus note de l’argument de l’État partie selon lequel les États ont le pouvoir discrétionnaire de réglementer l’entrée des étrangers sur leur territoire, et de son argument selon lequel sa politique exigeant des demandeurs de visasE-2 qu’ils présentent des documents sanitaires comprenant les résultats de tests de dépistage du VIH et de drogues servait des objectifs légitimes, à savoir protéger la santé publique et maintenir l’ordre public. Le Comité rappelle qu’il incombe en principe à l’État partie de décider qui il admet sur son territoire, mais il rappelle également que, dans certaines situations, un étranger peut bénéficier de la protection du Pacte même en ce qui concerne l’entrée ou le séjour : tel est le cas si des considérations relatives à la non-discrimination, à l’interdiction des traitements inhumains et au respect de la vie familiale entrent en jeu. Le Comité rappelle de plus que le terme « discrimination », tel qu’il est utilisé dans le Pacte, doit être compris comme s’entendant de toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, les opinions politiques ou autres, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation, ayant pour effet ou pour but de compromettre ou de détruire la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice par tous, dans des conditions d’égalité, de l’ensemble des droits de l’homme et des libertés fondamentales.En l’espèce,le Comité relève que la politique de tests obligatoires de dépistage du VIH et de drogues s’appliquait à tous les demandeurs et titulaires de visas E-2 tels que l’auteure, à savoir les instructeurs de langue étrangers, mais ne s’appliquait pas aux enseignants de nationalité ou d’origine ethnique coréenne occupant un emploi comparable à celui de l’auteure. Dans le cadre de cette politique, une distinction était faite sur la base de la nationalité et de l’origine ethnique, qui a directement touché l’auteure en tant que titulaire d’un visa E-2.

8.5À cet égard, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle les différences de traitement ne sauraient toutes être réputées discriminatoires au regard de l’article 26 ; un traitement différent qui est compatible avec les dispositions du Pacte et qui est fondé sur des motifs objectifs et raisonnables ne constitue pas une discrimination interdite au sens de cet article. Il prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la politique en cause a été introduite pour protéger la santé publique et maintenir l’ordre public. Toutefois, leComité note également que l’État partie n’a fourni aucune justification quant à la raison pour laquelle l’imposition de tests obligatoires de dépistage du VIH/sida et de drogues au groupe bien défini des instructeurs de langue étrangers d’origine ethnique non coréenne, mais non aux autres personnes se trouvant dans une situation comparable, aurait contribué à protéger la santé publique et à maintenir l’ordre public. Le Comité note de plus que laCellule internationale de réflexion sur les restrictions au voyage liées au VIH a constaté qu’aucun des États qui avaient promulgué des restrictions aux voyages liées au VIH n’avait été en mesure de démontrer que celles-ci étaient justifiées et rationnelles. Le Comité note de plus que les Directives internationales sur le VIH/sida et les droits de l’homme indiquent qu’«[i]l est donc évident que les mesures de santé publique coercitives écartent les personnes qui ont le plus grand besoin de ces services et qu’elles ne peuvent atteindre leurs objectifs de prévention, fondés sur les changements des comportements et la fourniture de soins et d’un appui sanitaire » (par. 96). Le Comité prend également note de l’opinion exprimée par le secrétariat d’ONUSIDA dans la communication de l’auteure datée du 1er décembre2016, à savoir que les tests obligatoires et autres formes coercitives de dépistage du VIH ciblant des groupes de population spécifiques et l’expulsion systématique des personnes séropositives nuisent à la lutte contre le VIH et que les tests volontaires de dépistage du VIH et les conseils en la matière, associés à l’accès de toutes les personnes, ycompris les non-nationaux, à la prévention, au traitement, aux soins et à un soutien constituent l’approche la plus efficace pour promouvoir la santé publique dans le contexte de la mobilité. Le Comité prend également note des vues exprimées par le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale dans l’affaire L. G .c. République de Corée, dans laquelle le Comité a jugé que la politique de dépistage obligatoire constituait une violation du droit au travail sans distinction de race, de couleur ou d’origine nationale ou ethnique, en violation de l’obligation de l’État partie au regard de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (par. 7.4). Vu ces circonstances, le Comité considère que l’État partie n’a pas démontré que sa politique exigeant des titulaires et demandeurs de visasE-2 qu’ils se soumettent à des tests de dépistage du VIH/sida et de drogues répondait à des motifs objectifs et raisonnables ou était dans l’intérêt de la santé publique ou de l’ordre public. Le Comité conclut donc qu’en exigeant de l’auteure, lorsqu’elle a demandé le renouvellement de son visa, un certificat attestant qu’elle s’était soumise aux tests obligatoires de dépistage du VIH/sida et de drogues, l’État partie a violé les droits que l’auteure tient de l’article 26 du Pacte.

8.6Le Comité prend de plus note des griefs de l’auteure selon lesquels la politique de tests obligatoires de dépistage du VIH et de drogues constituait une immixtion arbitraire et déraisonnable dans sa vie privée, dont le respect est garanti par l’article 17 du Pacte. Ilprend note à cet égard de l’argument de l’auteure, à savoir que les tests violaient son droit au respect de sa vie privée parce qu’ils l’obligeaient à révéler son statut VIH à l’État partie, que les autorités de l’État partie ont fait pression sur elle pour qu’elle se soumette à ces tests et l’ont menacée d’annuler son visa si elle ne le faisait pas, et que ces tests constituent une fouille corporelle. Le Comité prend également note de l’opinion de l’OMS et d’ONUSIDA selon laquelle on entend par tests obligatoires de dépistage du VIH des tests menés sur une personne sans son consentement éclairé et que les seules formes acceptables de tels tests sont ceux qui ne consistent pas à tester directement les intéressés. Cela étant, le Comité considère qu’imposer des tests de dépistage du VIH et de drogues aux enseignants étrangers pour renouveler leurs visas est suffisamment intrusif pour constituer une « immixtion » dans la vie privée de l’auteure au sens de l’article 17 du Pacte. La question qui se pose est celle de savoir si cette immixtion était arbitraire ou illégale au sens de l’article 17 du Pacte.

8.7Le Comité rappelle son observation générale no16 (1988), relative au droit à la vie privée, dans laquelle il indique que l’adjectif « illégal » signifie « qu’aucune immixtion ne peut avoir lieu, sauf dans les cas envisagés par la loi ». Le Comité note que l’auteure a été pour la première fois priée de se soumettre à un test de dépistage du VIH et de drogues en tant que condition du renouvellement de son visa en février2009, soit deux mois avant la promulgation des amendements apportés au Règlement d’application de la loi sur l’immigration. Le Comité note en outre que, dans ses observations, l’État partie déclare que le mémoire de politique générale/les directives de2007 sont « de simples directives internes qui n’ont pas d’effet juridique ». Le Comité conclut donc que l’immixtion dans la vie privée de l’auteure n’était pas prévue par la loi au moment où la politique a été introduite en2007. Néanmoins, suite à la promulgation de cette politique moyennant la modification du Règlement d’application de la loi sur l’immigration en avril2009, les tests obligatoires de dépistage du VIH et de drogues sont devenus légaux en droit interne.

8.8Le Comité rappelle en outre que la loi elle-même doit être « conforme aux dispositions, aux buts et aux objectifs du Pacte et [être], dans tous les cas, raisonnable eu égard aux circonstances particulières ». C’est pourquoi toute immixtion dans la vie privée et la vie familiale doit être proportionnelle au but légitime visé et nécessaire eu égard aux circonstances de l’espèce.

8.9Dans la présente affaire, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la politique en cause a été « imposée à une fin objective et juste », à savoir gérer l’entrée et le séjour des étrangers afin de préserver la santé et l’ordre publics ; que les tests sont effectués selon des méthodes appropriées (analyse d’urine et prise de sang), que des mesures ont été prises pour empêcher toute divulgation d’informations personnelles confidentielles et que ces tests satisfont donc aux normes de nécessité et de proportionnalité. À cet égard, le Comité prend note de la conclusion de la Cellule de réflexion internationale selon laquelle rien n’atteste que les restrictions à l’entrée, au séjour et à la résidence fondées sur la séropositivité contribuent seules à protéger la santé publique et que ces restrictions peuvent au contraire porter préjudice à celle-ci. De plus, le Comité relève que l’État partie n’a présenté aucune explication quant à la manière dont l’imposition de tests obligatoires de dépistage du VIH/sida et de drogues au groupe bien défini de titulaires et demandeurs de visas E‑2 aurait contribué à protéger la santé publique et à maintenir l’ordre public, ou pouvait autrement être justifiée comme raisonnable eu égard aux circonstances, eu égard en particulier au fait que la politique ne s’appliquait pas aux enseignants de nationalité ou d’origine ethnique coréenne. Le Comité conclut donc que la politique de tests obligatoires de dépistage du VIH/sida et de drogues a violé les droits que l’auteure tient de l’article 17 duPacte.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 duProtocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des droits que l’auteure tient des articles 17 et26 du Pacte.

10.Conformément à l’alinéa a) du paragraphe 3de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteure une réparation effective. Il doit pour cela réparer pleinement le préjudice causé aux personnes dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. L’État partie est donc tenu, notamment, d’octroyer à l’auteure une indemnisation adéquate. Deplus, l’État partie est tenu de prendre des mesures pour que des violations similaires ne se reproduisent pas à l’avenir, notamment en révisant sa législation afin qu’elle soit conforme au Pacte, et en abolissant les tests obligatoires et autres formes coercitives de dépistage du VIH/sida et de drogues. Si les tests en question ont déjà été supprimés, il doit veiller à ce qu’ils ne soient pas réintroduits.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est également invité à publier celles-ci et à les diffuser largement dans sa langue officielle.