Nations Unies

CCPR/C/122/D/2364/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

25 mai 2018

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication n°  2364/2014* , **

Communication présentée par :

Sarita Devi Sharma, Bijaya Sharma Paudel et Basanta Sharma Paudel (représentés par un conseil, Philip Grant, de Track Impunity Always)

Au nom de :

Les auteurs

État partie :

Népal

Date de la communication :

20 décembre 2013

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 21 mars 2014 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations:

6 avril 2018

Objet :

Disparition forcée

Questions de procédure :

Fondement des allégations ; épuisement des recours internes

Questions de fond :

Droit à la vie ; interdiction de la torture et des traitements cruels ou inhumains ; droit à la liberté et à la sûreté de la personne ; respect de la dignité inhérente à la personne humaine ; droit à la reconnaissance de la personnalité juridique ; droit de ne pas subir d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie de famille ; droit à la protection de la famille ; droit à une protection spéciale en tant que mineur et droit à un recours utile.

Article(s) du Pacte :

2 (par. 3), 6, 7, 9 (par. 1 à 4), 10 (par. 1), 16, 17, 23 (par. 1) et 24 (par. 1).

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5 (par. 2 b))

1.1Les auteurs de la communication sont Sarita Devi Sharma, son mari Bijaya Sharma Paudel et leur fils aîné, Basanta Sharma Paudel, tous trois de nationalité népalaise, nés respectivement le 24 février 1979, le 14 juin 1968 et le 30 octobre 1995. Ils affirment que l’État partie a violé les droits qu’ils tiennent des articles 6, 7, 9 (par. 1 à 4), 10 (par. 1) et 16 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte), lus seuls et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, en ce qui concerne Sarita Sharma ; des articles 7, 17 et 23 (par. 1), lus seuls et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, concernant Bijaya Sharma Paudel ; et des articles 7, 17, 23 (par. 1) et 24 (par. 1), lus seuls et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, concernant Basanta Sharma Paudel. Les auteurs sont représentés par un conseil.

1.2Le 18 juin 2014, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé d’examiner la recevabilité de la communication en même temps que le fond, conformément à l’article 97 du règlement intérieur.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1En février 1996, le Parti communiste maoïste du Népal a lancé contre le Gouvernement une rébellion armée qui s’est rapidement propagée dans tout le pays, provoquant un conflit armé qui a duré dix ans. Le Gouvernement a proclamé l’état d’urgence le 26 novembre 2001 ; promulgué la loi sur les activités terroristes et subversives (prévention et répression), qui a suspendu l’exercice d’un certain nombre de droits consacrés par le Pacte, mais susceptibles de dérogation conformément à l’article 4 de cet instrument ; et conféré à l’Armée royale népalaise un large éventail de pouvoirs lui permettant d’arrêter les personnes soupçonnées de participation à des activités terroristes et de les maintenir en détention pendant une période pouvant aller jusqu’à quatre-vingt-dix jours sans les mettre en examen. Des violations graves des droits de l’homme telles que des détentions arbitraires, des disparitions forcées, des actes de torture et des exécutions extrajudiciaires ont été constatées au cours de cette période par différentes sources de l’Organisation des Nations Unies et d’autres sources non gouvernementales, y compris après la levée de l’état d’urgence, le 20 août 2002.

2.2D’après le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires du Conseil des droits de l’homme, en 2003 et 2004, le Népal a été le pays où le plus grand nombre de disparitions forcées ont été signalées. Dans le rapport qu’il a établi sur sa mission de 2004 au Népal, le Groupe de travail a fait observer que la disparition forcée était un phénomène très répandu et que ses auteurs étaient protégés par l’impunité politique et juridique. Entre 2003 et 2006, c’est à la caserne du bataillon Bhairabnath, située dans le quartier de Maharajguni, à Katmandou, que la plupart des personnes soupçonnées d’appartenir au Parti communiste maoïste du Népal étaient placées en détention illégale et soumises à la disparition forcée, à la torture et à l’exécution sommaire.

2.3Mme Sharma est la sœur de Himal Sharma, Secrétaire général du parti politique All Nepal National Independent Student Union Revolutionary, affilié aux maoïstes. Les auteurs affirment que, le 20 octobre 2003, elle et une de ses amies, B. M., ont été suivies par des membres des forces de sécurité habillés en civil. Sarita Sharma a été interrogée sur ses liens de parenté avec Himal Sharma et menacée avec une arme à feu. Les deux femmes ont été menottées et traînées à l’intérieur d’une camionnette, les yeux bandés, pour être emmenées à la caserne de Maharajgunj. Elles ont été privées de toutes les garanties juridiques pendant toute la durée de leur privation de liberté. Mme Sharma a supplié ses geôliers de l’autoriser à contacter ses deux enfants, son mari ne se trouvant pas à Katmandou à ce moment-là, et a finalement pu téléphoner à l’école de ses fils et demander au directeur de s’occuper d’eux en prétextant, comme on l’y avait obligée, qu’elle « participait à un programme ».

2.4Le lendemain, pendant que Mme Sharma était interrogée, son frère Himal a été amené dans la pièce voisine et elle a entendu qu’il était torturé. Elle-même a été frappée à coups de pied et de tuyau en plastique.

2.5Le 24 octobre 2003, les autorités ont accompagné Mme Sharma chez elle, où elles ont perquisitionné. L’intéressée a été autorisée à apporter des vêtements à l’école de ses enfants et à les remettre au directeur, sans toutefois pouvoir mentionner qu’elle était en détention.

2.6Le 25 octobre 2003, le mari de Mme Sharma, M. Sharma Paudel, est rentré d’un séjour dans son village et cherché à savoir où se trouvait sa famille. Le lendemain, le directeur de l’école des enfants l’a informé que ceux-ci avaient été gardés à l’école et qu’il avait reçu l’ordre des autorités de ne pas les lui rendre sans autorisation. Un mois plus tard, les enfants sont finalement rentrés chez eux.

2.7Le 27 octobre 2003, un agent de l’État s’est rendu chez Mme Sharma pour perquisitionner et a informé M. Sharma Paudel que sa femme était en état d’arrestation mais serait bientôt libérée, sans toutefois dire où elle se trouvait.

2.8Le 29 octobre 2003, Mme Sharma n’ayant toujours pas été libérée, M. Sharma Paudel a signalé sa disparition à la Commission nationale des droits de l’homme. Le lendemain, M. Sharma Paudel a demandé à la Cour suprême de rendre une ordonnance d’habeas corpus, alléguant que sa femme était détenue illégalement dans un lieu inconnu.

2.9La Cour suprême a émis une ordonnance de justification à l’intention des huit défendeurs visés par la requête en habeas corpus. En novembre 2003, toutes les autorités publiques concernées ont nié toute implication dans la disparition de Mme Sharma, dont elles ont affirmé ne rien savoir. Le 25 juin 2004, la Cour suprême a rejeté la requête en habeas corpus au motif qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments permettant de penser que Mme Sharma était détenue illégalement.

2.10Le 4 février 2004, M. Sharma Paudel a signalé la disparition de sa femme à Amnesty International. L’organisation a demandé des éclaircissements au Gouvernement, mais celui-ci n’a jamais répondu.

2.11Mme Sharma affirme que, pendant les quatre ou cinq premiers mois de sa détention, elle était régulièrement interrogée sous la contrainte à toute heure du jour et de la nuit, frappée à coups de matraque, soumise à la « falanga » (technique consistant à fouetter la plante des pieds), maintenue sous l’eau pendant de longues périodes et menacée de viol. Pendant la majeure partie de sa détention, elle est restée menottée et les yeux bandés, sauf pendant les repas, n’a eu qu’un accès très limité à l’eau et à la nourriture, qui était de mauvaise qualité, n’a pu aller aux toilettes qu’une fois par jour et n’a pas été autorisée à se laver. Deux de ses codétenus, B. M. et J. M. B., ont dit qu’elle avait été rouée de coups. Le 11 mars 2004, Mme Sharma a été soumise à la technique du « sous-marin » à plusieurs reprises, jusqu’à ce qu’elle signe de faux aveux. Après cela, elle n’a plus été torturée, mais sa santé s’est détériorée en raison des mauvaises conditions de détention. En juin 2004, elle est tombée gravement malade et a été amenée deux fois de suite à l’hôpital militaire de Chhauni, où on a diagnostiqué un ulcère. Elle est restée à l’hôpital jusqu’à la mi-septembre 2004 environ.

2.12Le 25 août 2004, pendant son séjour à l’hôpital, Mme Sharma a rencontré par hasard une de ses amies et lui a secrètement confié une lettre destinée à M. Sharma Paudel dans laquelle elle indiquait qu’elle était détenue dans la caserne du bataillon de Bhairabnath. Elle a demandé à son amie de ne pas immédiatement divulguer cette information, par crainte de représailles.

2.13Trois mois après avoir reçu la lettre, comme il n’avait pas eu d’autres nouvelles de sa femme, M. Sharma Paudel en a fait part à des membres du parti All Nepal National Independent Student Union Revolutionary. Le19 novembre 2004, l’organisation a publié un communiqué de presse sur la situation de Mme Sharma. Après que sa lettre a été rendue publique, l’intéressée a été soumise à un interrogatoire brutal et a été frappée à coups de tuyaux pendant plus d’une semaine.

2.14Au début de 2005, Mme Sharma a été transférée dans une petite pièce sans lumière où elle a été maintenue à l’isolement, menottée et les yeux bandés. Elle a cependant réussi à écrire sur un petit carnet, et s’est arrangée avec un cuisinier pour faire remettre quelques lettres à M. Sharma Paudel.

2.15Le 11 février 2005, les conclusions d’une commission dirigée par le cosecrétaire du Ministère de l’intérieur (la « Commission Malego ») ont été rendues publiques. Mme Sharma y était expressément reconnue comme une victime de disparition forcée.

2.16Le 12 avril 2005, grâce à l’aide de la Commission nationale des droits de l’homme, M. Sharma Paudel et son fils aîné ont pu rendre visite à Mme Sharma. Le 8 juin 2005, M. Sharma Paudel a déposé une nouvelle requête en habeas corpus auprès de la Cour suprême. Le 28 juin 2005, la Cour a ordonné la libération immédiate de Mme Sharma, jugeant sa détention illégale, à la suite de quoi l’intéressée a finalement été libérée le 30 juin 2005.

2.17Le jour de sa libération, Mme Sharma a reçu l’ordre de se présenter une fois par semaine à la caserne pour y rendre compte de ses activités. Les soldats ont menacé de l’arrêter à nouveau et d’arrêter ses proches si elle cherchait à obtenir justice. M. Sharma Paudel a été averti de ne rien dire de la détention de sa femme. En raison de ces menaces, ni Mme Sharma ni ses proches n’ont tenté d’obtenir justice dans les mois qui ont suivi la libération.

2.18Le 24 avril 2006, le Gouvernement népalais et le Parti communiste maoïste du Népal ont signé l’Accord de paix global, qui prévoyait la création d’une commission vérité et réconciliation. La Constitution provisoire, promulguée en 2007, réaffirmait la nécessité de créer pareille commission et d’accorder réparation aux victimes et à leurs familles.

2.19Le 1er juin 2007, la Cour suprême a rendu une ordonnance enjoignant au Gouvernement de constituer une commission indépendante chargée d’enquêter sur la situation des personnes disparues et de poursuivre les responsables. Toutefois, aucune enquête n’a été ouverte et personne n’a fait l’objet d’une action pénale ou disciplinaire pour des actes d’arrestation arbitraire, de disparition forcée ou de torture. Au contraire, en octobre 2008, le Gouvernement a adopté une politique de classement des affaires pénales, qui a conduit à l’abandon des poursuites dans un grand nombre d’affaires.

2.20En 2008, le Ministère de la paix et de la reconstruction a mis en place un programme de secours provisoire. Le 4 juin 2009, Mme Sharma a présenté une demande pour être reconnue comme une victime du conflit et, trois jours plus tard, le chef du district a confirmé que sa demande, dans laquelle elle indiquait qu’elle avait été victime de disparition entre le 20 octobre 2003 et 2005, était fondée. Le 20 juillet 2009, le bureau de l’administration du district de Katmandou a ordonné à la police d’enquêter sur le terrain pour vérifier les dires de Mme Sharma. La disparition a été établie et une indemnité provisoire de 25 000 roupies népalaises (environ 250 dollars des États-Unis) a été versée à l’intéressée. Mme Sharma a également été reconnue comme une victime de coups et blessures par un groupe de travail créé par le Ministère de la paix et de la reconstruction, ce qui lui a valu une indemnité de 50 000 roupies népalaises (environ 500 dollars des États‑Unis).

2.21Le 14 mars 2013, l’exécutif a adopté le décret no 2069 (2012), qui prévoyait la création d’une commission unique chargée d’enquêter sur les disparitions et de promouvoir la vérité et la réconciliation. Toutefois, ce texte est apparu lacunaire à plusieurs égards, notamment parce qu’il ne contenait pas de définition de la torture et de la disparition forcée et donnait aux autorités le pouvoir discrétionnaire d’accorder l’amnistie. Le 31 mars 2013, la Cour suprême a sursis à l’exécution du décret. Depuis, la commission n’a toujours pas été créée.

2.22Constatant qu’elle ne pouvait pas s’attendre à obtenir justice par l’intermédiaire d’une éventuelle nouvelle commission, le 11 juin 2013, Mme Sharma a tenté de déposer un premier rapport d’information auprès de la Police métropolitaine de Katmandou pour dénoncer les personnes impliquées dans son arrestation, sa disparition et les actes de torture qu’elle avait subis. Toutefois, l’officier supérieur de la police métropolitaine a refusé d’enregistrer sa plainte au motif que l’affaire concernait un crime commis pendant le conflit et relevait donc du gouvernement. L’avocat de Mme Sharma ayant insisté, la police a expliqué qu’elle ne pouvait pas enquêter sur des crimes autres que ceux visés à l’annexe 1 de la loi sur les affaires d’État (1992), comme la torture. Elle a refusé de confirmer par écrit le rejet de la plainte.

2.23Le 21 juillet 2013, Mme Sharma a déposé plainte sur le fondement de la loi sur l’indemnisation des victimes de torture afin d’obtenir réparation pour les tortures subies. Toutefois, sa plainte a été rejetée au motif qu’elle aurait dû demander l’indemnisation dans un délai de trente-cinq jours à compter de sa libération.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs distinguent deux phases dans la détention de Mme Sharma : la première va du 20 octobre 2003 au 25 août 2004, date à laquelle l’intéressée a pu écrire secrètement une lettre à son mari, et la deuxième, du 25 août 2004 à sa libération définitive, le 30 juin 2005.

3.2Les auteurs affirment que l’arrestation et la détention arbitraires de Mme Sharma par des agents de l’État du 20 octobre 2003 au 25 août 2004 sont constitutives de disparition forcée. Tout au long de cette période, les autorités ont nié toute implication dans la privation de liberté de Mme Sharma et ont persisté à refuser de révéler ce qu’il était arrivé à l’intéressé et où elle se trouvait. La Commission nationale des droits de l’homme, le chef du district de Katmandou et la Commission Malego ont reconnu que Mme Sharma avait été victime de disparition forcée. Les auteurs font valoir que la disparition forcée constitue en soi une violation de multiples droits de l’homme consacrés par le Pacte, à savoir les droits consacrés aux articles 6, 7, 9 (par. 1 à 4), 10 (par. 1), 16 et 2 (par. 3).

3.3Les auteurs affirment que, même si Mme Sharma n’est pas morte pendant sa disparition forcée, elle a été soustraite à la protection de la loi et sa vie a été gravement menacée. Mme Sharma a été soumise à des mauvais traitements et son état de santé s’est à ce point détérioré qu’elle a failli perdre la vie et a dû être hospitalisée. L’État partie a donc violé l’article 6 du Pacte.

3.4Les auteurs estiment que la disparition forcée constitue en soi un acte de torture et une violation de l’article 7 du Pacte. Ils soutiennent également que Mme Sharma a été soumise à plusieurs reprises à des actes de torture physique et psychologique. Ses souffrances ont été constatées par plusieurs autres détenus et confirmées par la Commission nationale des droits de l’homme. En 2011, elle a été examinée par le Département de médecine légale, qui a conclu que ses blessures pouvaient avoir été causées par des coups portés avec des objets contondants, et a aussi fait l’objet d’une évaluation psychologique dont il est ressorti qu’elle était atteinte d’une maladie dépressive liée à de lourds antécédents de torture physique et mentale.

3.5Les auteurs soutiennent que la détention secrète et la détention au secret constituent une violation des paragraphes 1 à 4 de l’article 9 du Pacte. Or, Mme Sharma a été détenue au secret jusqu’en août 2004. Pendant sa disparition forcée, elle ignorait les motifs de sa privation de liberté, et elle a été maintenue en détention sans être mise en examen au-delà de la durée prévue par la loi en vigueur à l’époque. Elle n’a jamais été présentée devant un juge ou un autre magistrat compétent et n’a pas eu l’occasion de contester la légalité de sa privation de liberté. Les autorités n’ont pas admis sa détention et ses proches et son avocat n’ont pas été informés du lieu où elle se trouvait et ni été autorisés à lui rendre visite. Les auteurs avancent en outre que la requête en habeas corpus présentée par M. Sharma Paudel le 30 octobre 2003 n’a servi à rien car les autorités concernées ont nié toute implication dans la détention de Mme Sharma. Les auteurs estiment que ces faits constituent une violation de l’article 9 (par. 1 à 4) du Pacte par l’État partie.

3.6Les auteurs estiment que la disparition forcée elle-même constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte. En outre, les conditions inhumaines dans lesquelles Mme Sharma a été détenue pendant plus de dix mois ont porté atteinte à la dignité de l’intéressée, en violation du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.

3.7Les auteurs considèrent la disparition forcée de Mme Sharma comme une négation de la personnalité juridique de celle-ci en ce que l’État a refusé de révéler où elle se trouvait et ce qui lui était arrivé, la soustrayant ainsi à la protection de la loi. Les auteurs affirment donc que l’État partie a violé les droits garantis à Mme Sharma par l’article 16 du Pacte.

3.8Les auteurs font valoir que les autorités de l’État partie n’ont toujours pas pris l’initiative de mener une enquête prompte, impartiale et indépendante sur la détention arbitraire, la disparition et les actes de torture subis Mme Sharma afin que la victime puisse obtenir réparation et que les auteurs responsables soient poursuivis et sanctionnés, ce qui constitue une violation du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec les articles 6, 7, 9 (par. 1 à 4), 10 (par. 1) et 16 du Pacte.

3.9Alors que la disparition forcée de Mme Sharma a pris fin le 25 août 2004, date à laquelle l’intéressée a réussi à envoyer secrètement une lettre à son mari, sa détention arbitraire s’est poursuivie jusqu’au 30 juin 2005. Selon les auteurs, ces circonstances font apparaître une violation des articles 7, 9 (par. 1 à 4) et 10 du Pacte, lus seuls et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2.

3.10Les auteurs avancent que Mme Sharma a été victime d’une violation des articles 7 et 10 (par. 1) du Pacte pendant la deuxième partie de sa détention parce qu’elle a été détenue dans de mauvaises conditions, d’autant que sa santé était précaire depuis son hospitalisation et qu’elle a subi des représailles lorsque la lettre qu’elle avait envoyée à son mari a été rendue publique. Mme Sharma a en outre été placée à l’isolement pendant environ six mois, jusqu’à sa libération, le 30 juin 2005.

3.11Les auteurs affirment que le maintien en détention de Mme Sharma après son hospitalisation était arbitraire, soutenant que les autorités n’ont pas présenté de mandat d’arrêt à l’intéressée au moment où elle a été ramenée de l’hôpital et ne l’ont accusée d’aucune infraction. Mme Sharma n’a pas été présentée devant un juge et n’a pas eu la possibilité de consulter un avocat. Dans la décision du 8 juin 2005 par laquelle elle a ordonné la libération de Mme Sharma, la Cour suprême a déclaré que sa détention était arbitraire et constituait une violation de l’article 9 (par. 1 à 4) du Pacte.

3.12Au cours de la deuxième partie de la détention de Mme Sharma, les autorités n’ont pas pris l’initiative d’ouvrir rapidement une enquête impartiale sur la détention arbitraire et les mauvais traitements infligés à l’intéressée. Par conséquent, les auteurs allèguent qu’il y a eu violation continue du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec les articles 7, 9 et 10 (par. 1) du Pacte.

3.13Les auteurs soutiennent que l’angoisse et la détresse causées à M. Sharma Paudel par la disparition forcée de sa femme, auxquelles s’est ajoutée la crainte pour sa sécurité et celle de ses fils, constituent une violation de l’article 7 du Pacte. Ces sentiments ont été exacerbés par la présence fréquente de soldats, postés chez lui pour surveiller de près sa famille.

3.14Les auteurs soutiennent qu’en plus de l’angoisse et de la détresse liées à la recherche de sa femme, M. Sharma Paudel a dû supporter la présence arbitraire de soldats dans son appartement et le fait que ses enfants ont été gardés à l’école publique de Nilgagan pendant un mois contre sa volonté, tout en continuant de travailler et de s’occuper de sa famille. Les menaces de l’armée et l’obligation imposée à Mme Sharma de faire rapport à la caserne après sa libération ont continué d’affecter sa famille. Par conséquent, la disparition forcée de son épouse a gravement perturbé la vie de famille de M. Paudal, en violation des articles 17 et 23 (par. 1) du Pacte.

3.15M. Sharma Paudel avance que le cadre juridique interne ne permet pas de réclamer une indemnisation ou une autre forme de réparation, en violation du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec les articles 7 et 17 et le paragraphe 1 de l’article 23 du Pacte.

3.16Les auteurs soutiennent que la disparition de Mme Sharma a perturbé la vie familiale de son fils aîné. Basanta Sharma Paudel a été privé de l’attention et des soins de ses parents, car son père était pris par son travail et par les recherches pour retrouver sa mère et il a été forcé de vivre dans son école pendant le mois qui a suivi la disparition de celle-ci, sans savoir pourquoi. Une fois qu’il a appris la disparition de sa mère, il est devenu angoissé et stressé, ce qui a profondément affecté son humeur et son comportement. La présence de soldats chez lui représentait une menace constante. Ces circonstances font apparaître une violation des articles 7, 17, 23 (par. 1) et 24 (par. 1), lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 3), à l’égard de Basanta Sharma Paudel.

3.17Les auteurs affirment en outre qu’ils ne disposent d’aucun recours juridictionnel pour les infractions dont ils ont été victimes et que, en tout état de cause, les procédures existantes sont inefficaces. La disparition forcée de Mme Sharma a été portée à plusieurs reprises à l’attention des autorités, mais celles-ci n’ont jamais ouvert d’enquête. Après sa libération, Mme Sharma a vécu dans la crainte permanente des autorités. Lorsque le conflit s’est finalement terminé, le 26 novembre 2006, il était trop tard pour déposer plainte sur le fondement de la loi de 1996 sur l’indemnisation des victimes de torture, le délai de prescription ayant expiré trente-cinq jours avant. De surcroît, Mme Sharma était découragée par le fait que la police refusait généralement d’enregistrer les plaintes.

3.18Mme Sharma a présenté une demande d’indemnisation provisoire ; elle s’est vu accorder 25 000 roupies en tant que victime d’« enlèvement » et 50 000 roupies en tant que victime de « blessures ». Toutefois, ces indemnités lui ont été accordées à titre de mesures d’aide sociale et ne constituent pas une réparation intégrale. Une enquête menée dans le cadre du programme de secours provisoire a confirmé de prime abord les infractions signalées par Mme Sharma. Toutefois, les autorités n’ont pas poussé plus loin et personne n’a été mis en accusation.

3.19Le 14 mars 2013, le Président du Népal a adopté l’ordonnance no 2069 (2012) relative à la commission chargée d’enquêter sur les disparitions et de promouvoir la vérité et la réconciliation. Toutefois, cette commission n’a pas encore été créée et les auteurs affirment qu’elle ne peut pas être considérée comme offrant une voie de recours car la Cour suprême a sursis à l’exécution de l’ordonnance.

3.20Le 11 juin 2013, la police a refusé d’enregistrer le premier rapport d’information que Mme Sharma a tenté de déposer au motif que ce type de rapport ne pouvait être présenté que pour les infractions visées à l’annexe 1 de la loi de 1992 sur les affaires d’État, parmi lesquelles ne figurent ni la torture ni la disparition forcée. Comme la loi le prévoit, Mme Sharma et son avocat se sont adressés à l’officier de rang supérieur de la police métropolitaine, sans toutefois obtenir gain de cause, et, comme ils n’ont pas été officiellement notifiés du rejet de leur demande, ils n’ont pas pu faire appel auprès de l’officier en chef du district. Étant donné que le Comité a déjà constaté l’inefficacité du premier rapport d’information et qu’aucune personne responsable de violations flagrantes des droits de l’homme pendant la période du conflit n’a été traduite en justice, les auteurs soutiennent que cette voie de recours n’a aucune chance d’aboutir.

3.21Le 21 juillet 2013, Mme Sharma a déposé plainte sur le fondement de la loi de 1996 sur l’indemnisation des victimes de torture, mais sa plainte a été déclarée irrecevable le 23 juillet 2013 pour cause de prescription. Les auteurs soutiennent qu’il aurait été impossible pour Mme Sharma de saisir la justice dans le délai légal de trente-cinq jours en raison des graves menaces reçues à sa libération. Ils soutiennent également que la prescription ne devrait pas s’appliquer aux violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et que le non-épuisement des recours internes en raison de l’expiration de délais de prescription imposés par une législation nationale imparfaite ne devrait pas rendre une communication irrecevable. En tout état de cause, les plaintes déposées sur le fondement de la loi susmentionnée sont de nature civile et ne peuvent donner lieu à des poursuites pénales.

3.22Les auteurs soutiennent que la date du rejet de la plainte déposée sur le fondement de la loi de 1996 sur l’indemnisation des victimes de torture, à savoir le 23 juillet 2013, est celle à prendre en considération pour évaluer la compatibilité de la communication avec l’article 96 c) du Règlement intérieur du Comité. Ils soutiennent également que les mesures qu’ils ont prises montrent de manière incontestable qu’ils ont activement cherché à obtenir justice.

3.23Les auteurs prient le Comité de recommander à l’État partie de prendre les mesures suivantes : a) traduire les auteurs de la privation arbitraire de liberté, des actes de torture et de la disparition forcée dont a été victime Mme Sharma devant les tribunaux ordinaires compétents afin qu’ils soient poursuivis, jugés et sanctionnés, et diffuser publiquement l’issue des poursuites ; b) suspendre immédiatement de leurs fonctions tous les responsables de l’armée qui ont à première vue été impliqués dans les crimes commis contre Mme Sharma, en attendant les résultats de l’enquête ; c) modifier l’ordonnance relative à la Commission chargée d’enquêter sur les disparitions et de promouvoir la vérité et la réconciliation adoptée le 14 mars 2013 afin qu’aucune personne accusée de violations flagrantes des droits de l’homme, y compris de torture, de disparition forcée et d’exécution arbitraire, ne puisse bénéficier d’une amnistie ; d) veiller à ce que les auteurs obtiennent une réparation intégrale, notamment une indemnisation juste, rapide et appropriée ; e) veiller à ce que les mesures de réparation couvrent le préjudice matériel et moral et comprennent des mesures de restitution, de réadaptation et de satisfaction et des garanties de non-répétition. Les auteurs demandent en particulier à l’État partie de reconnaître sa responsabilité au regard du droit international en organisant une cérémonie publique à l’occasion de laquelle les autorités leur adresseront des excuses officielles. L’État partie devrait en outre assurer aux auteurs une prise en charge médicale et psychologique immédiate et gratuite, par l’intermédiaire de ses institutions spécialisées, et leur permettre d’avoir accès à l’aide juridictionnelle, si besoin, afin de leur offrir des recours utiles et suffisants. À titre de garantie de non‑répétition, l’État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour que les disparitions forcées et la torture, ainsi que les différentes formes de participation à ces crimes, constituent des infractions autonomes en droit pénal et emportent des peines tenant compte de leur extrême gravité. Enfin, l’État partie devrait établir dès que possible des programmes de formation sur le droit international des droits de l’homme et le droit international humanitaire pour tous les membres de l’armée, des forces de sécurité et de l’appareil judiciaire.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une note verbale datée du 23 mai 2014, l’État partie a présenté ses observations, dans lesquelles il conteste la recevabilité de la communication au motif que les griefs ne sont pas étayés et que les recours internes n’ont pas été épuisés, et demande au Comité d’examiner la recevabilité séparément du fond.

4.2L’État partie affirme que Mme Sharma a été arrêtée et détenue conformément aux dispositions de la législation en vigueur au Népal et qu’elle a été traitée avec humanité pendant sa détention. L’intéressée a été soignée à l’hôpital militaire de Birendra et, pendant sa détention, elle a reçu des visites des membres de sa famille, visites qui ont été officiellement consignées. Elle a été libérée en présence de son mari le 30 juin 2005. Sa détention n’a donc pas participé d’une disparition forcée. L’État partie fait de surcroît observer que l’état d’urgence était en vigueur au moment de l’arrestation et de la détention de Mme Sharma.

4.3L’État partie affirme également que les allégations des auteurs selon lesquelles Mme Sharma a été torturée pendant sa détention ne sont étayées par aucune preuve. Si elle avait été torturée, Mme Sharma aurait dû demander réparation sur le fondement de la loi sur l’indemnisation des victimes de torture. D’après l’État partie, il n’est pas logique de soutenir qu’elle n’a pas pu saisir la justice parce qu’il y avait prescription. De surcroît, l’État partie rejette catégoriquement les rapports du Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires selon lesquels la police et l’armée pratiquent systématiquement la torture.

4.4Mme Sharma a saisi la Commission nationale des droits de l’homme. Conformément à la recommandation de cette institution, elle s’est vu octroyer 161 000 roupies. En outre, l’État lui a versé 25 000 roupies supplémentaires à titre d’indemnité provisoire. La Commission nationale des droits de l’homme a été habilitée par la Cour suprême à formuler des recommandations concernant l’opportunité d’engager des poursuites en cas de violation des droits de l’homme, et le Procureur général est tenu de déclencher l’action publique si la Commission le recommande. Selon les résultats de l’enquête menée par la Commission et les recommandations formulées par celle-ci, les auteurs pourraient donc avoir droit à une réparation dans le cadre du mécanisme de justice transitionnelle.

4.5Conformément à la Constitution et à l’Accord de paix global, le Parlement a promulgué une loi sur les disparitions forcées, la vérité et la réconciliation, ce qui a ouvert la voie à la création d’une commission chargée d’enquêter sur les disparitions forcées et d’une commission vérité et réconciliation. Étant donné que le mécanisme de justice transitionnelle est en cours d’établissement, l’État partie ne juge pas approprié de poursuivre l’examen de la présente communication. En outre, l’État est en passe d’incriminer la torture et les disparitions forcées. Selon l’État partie, le système de justice pénale ordinaire ne permet pas véritablement de rechercher la vérité, de poursuivre les auteurs de violations des droits de l’homme et d’offrir réparation aux victimes de violations des droits de l’homme commises en période de conflit armé.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Le 3 juin 2014, les auteurs ont soumis leurs commentaires sur les observations de l’État partie. Ils font observer que l’État partie n’a pas contesté pas les violations commises à l’égard de MM. Sharma Paudel. En ce qui concerne Mme Sharma, les auteurs soutiennent que les arguments présentés par l’État partie portent aussi sur le fond et appellent une réponse. Ils estiment que le Comité devrait considérer que les observations que l’État partie lui a adressées le 23 mai 2014 portent à la fois sur la recevabilité et sur le fond et adopter ses constatations.

5.2En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel l’arrestation et la détention de Mme Sharma n’étaient pas arbitraires, les auteurs renvoient à leur communication, dans laquelle ils décrivent en détail comment l’intéressée a été arbitrairement privée de liberté et maintenue en détention secrète et au secret. Ils soutiennent que l’État partie n’a pas précisé quelles dispositions justifiaient l’arrestation de Mme Sharma ni réfuté le fait que celle-ci n’a pas été informée des motifs de son arrestation ni été autorisée à contacter sa famille ou son représentant légal et n’a pas non plus pu contester la légalité de sa détention puisqu’elle n’a jamais été présentée devant un juge ou un autre magistrat compétent. Les auteurs n’ont jamais nié que Mme Sharma avait reçu des soins médicaux à l’hôpital militaire, mais ils avancent qu’elle n’a été prise en charge qu’en juin 2004, plus de huit mois après son arrestation. Ils ne contestent pas non plus que Mme Sharma a été libérée en présence de son mari le 30 juin 2005, mais, selon eux, cela ne change rien au fait qu’elle a été détenue au secret du 20 octobre 2003 au 25 août 2004. En fait, Mme Sharma a été libérée en exécution d’une ordonnance de la Cour suprême, qui a jugé sa détention illégale. En outre, la Commission nationale des droits de l’homme et le Bureau de l’administration du district de Katmandou ont reconnu que Mme Sharma avait été victime de disparition forcée.

5.3En ce qui concerne l’affirmation de l’État partie selon laquelle ils n’ont pas apporté la preuve que Mme Sharma avait été torturée, les auteurs renvoient aux détails fournis dans leur communication, aux déclarations des témoins et aux éléments qui prouvent que les mauvais traitements infligés à Mme Sharma ont laissé des séquelles physiques et psychologiques. Ils arguent que la torture n’est pas encore définie ni incriminée en droit népalais. L’État partie ne conteste pas que Mme Sharma a été détenue au secret et a été soumise à des conditions inhumaines pendant toute la durée de sa détention. La charge de la preuve ne devrait pas reposer uniquement sur les auteurs de la communication, ceux-ci et l’État partie n’ayant pas un accès égal aux éléments de preuve. De plus, comme le Comité l’a dit précédemment, le maintien en détention au secret prolongée dans un lieu inconnu est constitutif de torture. Les auteurs font valoir en outre que le Comité contre la torture a constaté dans le cadre de ses enquêtes que, au Népal, les autorités recourraient de manière systématique et généralisée à la torture.

5.4Les auteurs ne contestent pas que Mme Sharma a obtenu une indemnisation provisoire, mais soutiennent que cette indemnisation doit être complétée par d’autres mesures définitives visant à accorder une réparation intégrale. L’indemnisation provisoire ne peut pas être qualifiée de juste et adéquate au regard du préjudice subi. D’ailleurs, l’État partie n’avance pas que les auteurs ne recevront pas réparation sous une autre forme, mais que la réparation accordée dépendra de la recommandation du mécanisme de justice transitionnelle.

5.5En ce qui concerne le fait que Mme Sharma ne s’est pas prévalue à temps des dispositions de la loi sur l’indemnisation des victimes de la torture, les auteurs avancent que le délai de prescription de trente-cinq jours n’est pas conforme aux normes internationales. Ils rappellent que le Comité a déjà constaté dans une affaire antérieure que ce délai était excessivement strict et ne saurait caractériser un recours utile devant être épuisé. De surcroît, Mme Sharma n’aurait pas pu déposer plainte dans les trente-cinq jours suivant les actes de torture subis car elle était détenue au secret.

5.6En ce qui concerne le mécanisme de justice transitionnelle qu’il est prévu d’établir, les auteurs font observer qu’on ne peut pas leur demander d’épuiser un recours qui, concrètement, n’existe pas, et dont on ne saurait dire quand il sera disponible si tant est qu’il le soit un jour. De surcroît, le Comité a précédemment estimé qu’il n’était pas nécessaire d’épuiser tous les recours pouvant être introduits devant les organes non judiciaires. En outre, la loi sur la commission vérité et réconciliation adoptée le 11 mai 2014 est contraire au droit international à plusieurs égards : a) le pouvoir de médiation conféré à la Commission dans les affaires de violations flagrantes des droits de l’homme est excessif, et il est légalement impossible d’intenter une action en justice dans ces affaires ; b) la Commission a le pouvoir discrétionnaire de recommander l’amnistie ; c) certains crimes de droit international ne sont pas punis par la législation pénale de l’État partie ; iv) le droit des victimes d’obtenir réparation n’est pas reconnu dans l’État partie. Partant, le recours offert par la loi sur la commission vérité ne saurait être considéré comme un recours effectif.

5.7Les auteurs affirment que la possibilité de poursuivre les responsables de violations flagrantes des droits de l’homme ne devrait pas dépendre de l’existence d’un mécanisme de justice transitionnelle, surtout lorsque l’identité des auteurs est connue et a été signalée aux autorités.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Dans une note verbale du 12 septembre 2014, l’État partie a présenté ses observations sur le fond. Il soutient que Mme Sharma a été arrêtée en période d’état d’urgence en vertu de la loi de 2002 sur les activités terroristes et subversives (prévention et répression).

6.2L’État partie réaffirme que les auteurs n’ont pas été en mesure de fournir des preuves à l’appui de leurs allégations de torture. Il réaffirme également qu’il s’est engagé à établir un mécanisme de justice transitionnelle, et avance que le Gouvernement a créé un ministère de la paix et de la réconciliation qui a élaboré divers principes directeurs, procédures et manuels concernant l’octroi de réparations aux victimes. Les victimes du conflit se sont initialement vues accorder une indemnisation provisoire et auront le droit de se voir octroyer d’autres mesures d’indemnisation et de réparation, selon qu’il conviendra, une fois que leur plainte aura fait l’objet d’une enquête et en fonction des recommandations de la commission vérité et réconciliation. Un comité dirigé par l’ancien Président de la Cour suprême a été chargé de recommander des noms aux fins de la nomination des membres de la Commission d’enquête sur les disparitions forcées et de la Commission vérité et réconciliation.

6.3Enfin, l’État partie soutient que les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes et que les questions qui font l’objet de la communication peuvent être tranchées par le mécanisme de justice transitionnelle.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie sur le fond

7.1Le 4 décembre 2014, les auteurs ont soumis leurs commentaires sur les observations de l’État partie sur le fond. En ce qui concerne le non-épuisement des recours internes, ils ont répété les arguments qu’ils avaient présentés le 6 juin 2014.

7.2Les auteurs font observer que l’État partie ne conteste pas les allégations de violation des articles 7, 9, 10 et 16, lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, en ce qui concerne Mme Sharma, et des articles 7, 17, 23 et 24, lus seuls et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, en ce qui concerne Basanta Sharma Paudel. Ils en déduisent que l’État partie ne conteste pas les faits tels qu’ils les ont exposés. Par ailleurs, l’État partie a dit souhaiter contester les allégations de violations des articles 7, 17 et 23, lus seuls et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, en ce qui concerne Bijaya Sharma Paudel, mais n’a fourni aucun argument concret à cet effet.

7.3Les auteurs constatent que les observations que l’État partie a opposées aux allégations selon lesquelles Mme Sharma a été victime d’arrestation et de détention arbitraires, de disparition forcée et de torture sont presque identiques aux observations qu’il avait soumises le 23 mai 2014. Les auteurs renvoient donc le Comité aux arguments qui figurent dans leur note verbale du 4 juin 2014. Ils précisent qu’en plus des sommes de 161 000 et 25 000 roupies reçues à titre de mesure provisoire, Mme Sharma a aussi obtenu 60 000 roupies, également à titre de mesure provisoire, de la part du bureau de l’administration du district de Parbat. Ils répètent toutefois que ces mesures provisoires ne constituent pas une réparation suffisante au regard de la gravité des violations commises. Ils soutiennent que, puisque la réponse de l’État partie concernant le mécanisme de justice transitionnelle est essentiellement la même que celle du 23 mai 2014, leur réponse du 4 juin 2014 reste valable. En outre, ils renvoient aux conclusions récemment formulées par le Comité, selon lesquelles les éventuels mécanismes de justice transitionnelle ne sont pas des organes judiciaires et ne peuvent donc pas être considérés comme offrant des recours utiles. L’État partie n’ayant pas apporté d’éléments de preuve permettant de réfuter leurs allégations crédibles et détaillées, les auteurs estiment que le Comité devrait considérer celles-ci comme pleinement étayées.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3En ce qui concerne la règle de l’épuisement des recours internes, le Comité prend note des arguments de l’État partie, qui affirme que les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes étant donné qu’ils n’ont pas déposé plainte au titre de la loi de 1996 sur l’indemnisation des victimes de la torture et que l’affaire devrait être traitée dans le cadre du mécanisme de justice transitionnelle établi conformément à la Constitution provisoire de 2007 et à la loi no 2071 (2014) sur la commission chargée d’enquêter sur les disparitions forcées et de promouvoir la vérité et la réconciliation. Le Comité prend également note des allégations des auteurs, qui soutiennent que la loi sur l’indemnisation des victimes de la torture ne prévoit pas la responsabilité pénale ; que Mme Sharma a été forclose parce qu’elle était détenue au secret et n’a pas déposé plainte une fois libérée car elle avait reçu de graves menaces ; que le délai de prescription de trente-cinq jours est incompatible avec la gravité de l’infraction et avec les normes internationales ; et que les mécanismes de justice transitionnelle ne remplacent pas l’accès à la justice et ne sauraient être considérés comme offrant un recours utile à épuiser. Le Comité note que, le 29 octobre 2003, M. Sharma Paudel a saisi la Commission nationale des droits de l’homme pour dénoncer la disparition de son épouse et que, le 30 octobre 2003, il a déposé une requête en habeas corpus auprès de la Cour suprême, requête qui n’a toutefois pas permis de faire la lumière sur le sort de Mme Sharma. Le 11 juin 2013, Mme Sharma a tenté de déposer plainte auprès de la police métropolitaine de Katmandou, mais cette dernière a refusé d’enregistrer sa plainte.

8.4Le Comité rappelle que, selon sa jurisprudence, les victimes de violations graves des droits de l’homme telles que la torture ou la disparition forcée doivent avoir accès à des recours judiciaires. Il note que les organes de justice transitionnelle institués par la loi no 2071 (2014) sur la commission chargée d’enquêter sur les personnes disparues et de promouvoir la vérité et la réconciliation ne sont pas des organes judiciaires et ne peuvent donc pas offrir pareils recours. En ce qui concerne le recours prévu par la loi de 1996 sur l’indemnisation des victimes de la torture, le Comité fait observer que, en application de l’article 5 (par. 1) de cette loi, les demandes d’indemnisation doivent être présentées dans un délai de trente-cinq jours à compter de la date à laquelle les actes de torture ont été commis ou de la libération de la personne détenue. Le Comité estime que ce délai, qui est en soi totalement incompatible avec la gravité des crimes visés, a privé les auteurs de la possibilité de se prévaloir du recours. Il constate de surcroît que les auteurs ont tenté à plusieurs reprises de signaler les violations dont ils ont été victimes et ont par deux fois porté l’affaire devant la Cour suprême. En conséquence, il estime que les auteurs ont épuisé tous les recours internes disponibles et que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne font pas obstacle à l’examen de la communication.

8.5Le Comité prend note des observations de l’État partie selon lesquelles les allégations des auteurs n’ont pas été étayées. Il estime toutefois que, aux fins de la recevabilité, les auteurs ont présenté suffisamment d’arguments plausibles à l’appui de leurs allégations. Toutes les conditions de recevabilité étant remplies, le Comité déclare la communication recevable et procède à son examen au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

9.2Le Comité prend note des allégations des auteurs selon lesquelles Mme Sharma a été soumise à la disparition forcée du 20 octobre 2003 au 25 août 2004, puis a été maintenue en détention arbitraire, torturée et maltraitée entre le 25 août 2004 et sa libération, le 30 juin 2005. Mme Sharma a été libérée en exécution d’une ordonnance de la Cour suprême, qui a jugé sa détention illégale. Sa disparition forcée a été reconnue par la Commission nationale des droits de l’homme et par le bureau de l’administration du district de Katmandou.

9.3.Le Comité prend note des arguments de l’État partie, qui affirme que les allégations des auteurs n’ont pas été étayées et que Mme Sharma a été arrêtée en vertu de la loi de 2002 sur les activités terroristes et subversives (prévention et répression).

9.4Le Comité fait observer qu’il a examiné de nombreuses communications concernant des faits similaires et le même État partie. Dans le droit fil de ses précédentes constatations, il réaffirme que la charge de la preuve ne peut pas incomber uniquement aux auteurs de la communication, d’autant que ceux-ci et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et, souvent, seul l’État partie dispose des informations pertinentes. Il ressort implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que l’État partie est tenu d’enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violation du Pacte formulées contre lui et ses représentants et de transmettre au Comité les informations dont il dispose. Lorsque l’auteur a communiqué à l’État partie des allégations corroborées par des éléments de preuve crédibles l’élucidation des faits dépend de renseignements que l’État partie est le seul à détenir, le Comité peut estimer que les allégations de l’auteur sont fondées si l’État partie ne les réfute pas par des preuves ou des explications satisfaisantes.

9.5Le Comité rappelle que, si l’expression « disparition forcée » n’apparaît expressément dans aucun des articles du Pacte, la disparition forcée est une suite d’actes particuliers et constitue une violation continue de plusieurs droits consacrés par cet instrument.

9.6En l’espèce, le Comité note que l’État partie affirme que Mme Sharma a été arrêtée en vertu de la loi de 2002 sur les activités terroristes et subversives (prévention et répression), mais ne précise ni la date, ni les motifs de l’arrestation, ni les dispositions qui la justifiaient. L’État partie n’a pas contesté les allégations des auteurs concernant le caractère arbitraire de cette arrestation de Mme Sharma, survenue le 20 octobre 2003 sans que l’intéressée se voie présenter de mandat. Le Comité note que le 30 octobre 2003, dès qu’il a eu connaissance de la disparition de sa femme, M. Sharma Paudel a saisi la Commission nationale des droits de l’homme et présenté une requête en habeas corpus. Il note également que la détention de Mme Sharma à Maharajgunj a été corroborée par les déclarations d’autres détenus et que, d’après la Commission Malego, Mme Sharma a été victime de disparition forcée. Il note en outre que, dans le cadre de la procédure d’habeas corpus engagéedevant la Cour suprême, toutes les autorités, y compris le bataillon Bhairabnat, ont nié que Mme Sharma ait jamais été détenue. Le Comité constate que, le 4 février 2004, Amnesty International s’est enquis auprès du Gouvernement du sort de plusieurs personnes disparues, dont Mme Sharma, et du lieu où elles se trouvaient, mais n’a jamais reçu de réponse. Il constate également que M. Sharma Paudel n’a appris où se trouvait sa femme que parce que celle-ci a réussi à lui envoyer des lettres en cachette par l’intermédiaire d’une amie qu’elle avait rencontrée par hasard à l’hôpital et d’un cuisinier de Maharajgunj. Toutefois, l’État partie n’a jamais fourni d’éléments qui auraient permis de localiser Mme Sharma si celle-ci n’avait pas réussi à envoyer des lettres à son mari. Le Comité estime donc que le fait que, entre le 20 octobre 2003 et le 25 août 2004, Mme Sharma a été privée de liberté sans que les autorités ne le reconnaissent ni ne donnent des informations sur son sort, constitue une disparition forcée.

9.7Le Comité rappelle que, dans les cas de disparition forcée, la privation de liberté qui n’est pas reconnue ou s’accompagne de la dissimulation du sort réservé à la personne disparue a pour effet de soustraire cette personne à la protection de la loi et de faire peser sur sa vie un risque grave et constant dont l’État est responsable. En l’espèce, l’État partie n’a produit aucun élément de preuve montrant que, du 20 octobre 2003 au 25 août 2004, il s’est acquitté de son obligation de protéger la vie de Mme Sharma, qui était détenue au secret. En conséquence, le Comité conclut que l’État partie a manqué à son devoir de protéger la vie de Mme Sharma, en violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte.

9.8Le Comité prend note des allégations des auteurs selon lesquelles la détention et la disparition forcée de Mme Sharma constituent en soi un traitement contraire à l’article 7. Il est conscient de la souffrance qu’entraîne le fait d’être maintenu indéfiniment en détention sans contact avec le monde extérieur. Il rappelle son observation générale no 20 (1992) sur l’interdiction de la torture et des autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, dans laquelle il a recommandé aux États parties de prendre des dispositions pour interdire la détention au secret. En l’espèce, le Comité note que les auteurs affirment que Mme Sharma a été détenue au secret du 20 octobre 2003 au 25 août 2004. Il prend aussi note des allégations des auteurs selon lesquelles Mme Sharma a été torturée, ainsi que des éléments de preuve fournis à l’appui de ces allégations, et de l’argument selon lequel, entre le 25 août 2004 et le 30 juin 2005, les conditions de détention de Mme Sharma sont restées très dures, l’intéressée ayant été détenue menottée, les yeux bandés et à l’isolement jusqu’à sa libération. De surcroît, Mme Sharma aurait fait l’objet de représailles lorsque la lettre qu’elle a envoyée à son mari a été rendue publique, le 19 novembre 2004. Étant donné que l’État partie n’a pas contesté le fait que Mme Sharma avait été détenue au secret ni fourni d’éléments concernant la manière dont elle avait été traitée en détention, le Comité constate que la disparition forcée et la détention au secret de Mme Sharma, les actes de torture que celle-ci a subis et les conditions de sa détention font apparaître des violations distinctes et cumulatives de l’article 7 du Pacte. Étant parvenu à cette conclusion, le Comité n’examinera pas les griefs relatifs à la violation du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte soulevés à raison des mêmes faits.

9.9Le Comité prend note du grief que les auteurs tirent de l’article 9 (par. 1 à 4) du Pacte, à savoir que Mme Sharma a été arrêtée le 20 octobre 2003 sans se voir présenter de mandat ni être informée des motifs de son arrestation. L’État partie n’a pas contesté que Mme Sharma avait été détenue au secret dans la caserne du bataillon Bhairabnath, à Maharajguni, n’avait pas été présentée devant un juge ou un autre magistrat compétent et n’avait pas eu la possibilité de saisir la justice pour contester la légalité de sa détention. Le Comité prend également note de l’argument des auteurs selon lequel Mme Sharma a continué d’être détenue arbitrairement après son hospitalisation étant donné que les conditions de sa détention sont restées inchangées, qu’elle n’a pas été présentée devant un juge et qu’elle n’a pas eu la possibilité de consulter un avocat. Par conséquent, le Comité considère que la disparition forcée de Mme Sharma du 20 octobre 2003 au 25 août 2004 et la détention arbitraire de l’intéressée entre le 25 août 2004 et le 30 juin 2005 constituent une violation des droits consacrés par l’article 9 (par. 1 à 4) du Pacte.

9.10Le Comité est d’avis que le fait de soustraire intentionnellement une personne à la protection de la loi constitue un refus de reconnaître la personnalité juridique de l’intéressé, surtout lorsque la famille a été systématiquement empêchée d’accéder à un recours utile. Il estime donc que la disparition forcée de Mme Sharma, qui l’a privée de la protection de la loi, l’a aussi privée de son droit à la reconnaissance de sa personnalité juridique, en violation de l’article 16 du Pacte.

9.11Le Comité prend note de l’angoisse et de la détresse causées à MM. Sharma Paudel par la disparition de Mme Sharma. Il note que pendant la disparition de son épouse, Bijaya Sharma Paudel a dû travailler, s’occuper de ses deux enfants et les élever seul, en plus d’essayer de la retrouver et d’obtenir sa libération. En outre, MM. Sharma Paudel craignaient pour leur propre sécurité, d’autant qu’il y avait souvent des soldats chez eux. Le Comité note que l’État partie n’a fourni aucun argument de nature à réfuter les allégations relatives à l’angoisse et à la détresse causées à MM. Sharma Paudel par la disparition de Mme Sharma. Il estime donc que les faits dont il est saisi font aussi apparaître une violation de l’article 7 du Pacte à l’égard de MM. Sharma Paudel. Compte tenu des constatations ci-dessus, le Comité n’examinera pas séparément les griefs soulevés par les auteurs au titre des articles 17, 23 (par. 1) et 24 (par. 1) du Pacte.

9.12En ce qui concerne les griefs que les auteurs tirent du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, qui impose aux États parties l’obligation de garantir un recours utile à toutes les personnes dont les droits reconnus dans le Pacte auraient été violés, le Comité rappelle qu’il juge important que les États parties établissent de véritables mécanismes judiciaires et administratifs chargés d’examiner les allégations de violations des droits de l’homme. Il renvoie à son observation générale no 31 (2004), sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, dans laquelle il a notamment dit que le fait pour un État partie de ne pas mener d’enquête sur des violations présumées pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte. En l’espèce, le Comité constate que Mme Sharma n’a eu accès à un recours utile ni pendant sa détention ni après sa libération. Pendant sa détention, M. Sharma Paudel a saisi la Commission nationale des droits de l’homme et a introduit une requête en habeas corpus auprès de la Cour suprême, qui l’a rejetée le 25 juin 2004. Le 8 juin 2005, M. Sharma Paudel a introduit une autre requête en habeas corpus auprès de la Cour suprême, qui a ordonné la libération de Mme Sharma le 28 juin 2005. Malgré les efforts des auteurs, la reconnaissance de la disparition forcée de Mme Sharma par la Commission nationale des droits de l’homme et le bureau de l’administration du district de Katmandou et le fait que la Cour suprême enjoignant au Gouvernement d’enquêter sur les disparitions et d’accorder une réparation appropriée aux victimes, aucune enquête approfondie et efficace n’a été menée à bien par l’État partie pour élucider les circonstances entourant la détention et la disparition forcée de Mme Sharma, et aucune enquête n’a même été ouverte en vue de traduire les responsables en justice. En outre, les 246 000 roupies népalaises reçues par Mme Sharma à titre de mesure provisoire ne constituent pas une réparation proportionnée à la gravité des violations commises. MM. Sharma Paudel n’ont jamais reçu aucune forme de réparation ni d’indemnisation provisoire. En conséquence, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec les articles 6, 7, 9 (par. 1 à 4) et 16, en ce qui concerne Mme Sharma, et une violation du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 7 du Pacte, en ce qui concerne MM.  Sharma Paudel.

10.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des articles 6, 7, 9 (par. 1 à 4) et 16, lus seuls et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, à l’égard de Mme Sharma, et une violation de l’article 7, lu seul et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, en ce qui concerne M. Bijaya Sharma Paudel et M. Basanta Sharma Paudel.

11.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres : a) de mener une enquête approfondie et efficace sur les faits entourant la détention de Mme Sharma et les mauvais traitements qu’elle a subis en détention ; b) de poursuivre, juger et punir les responsables des violations commises et de rendre publique l’issue de ces démarches ; c) de fournir aux auteurs des informations détaillées sur les résultats de l’enquête ; d) de veiller à ce que les auteurs bénéficient de toutes les mesures de réadaptation psychologique et de tous les soins médicaux dont ils ont besoin ; e) d’assurer aux auteurs une réparation effective, y compris une indemnisation adéquate et des mesures de satisfaction appropriées, pour les violations subies. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas. Il devrait en particulier faire en sorte que la législation nationale : a) punisse la torture et la disparition forcée et prévoie à des sanctions et des réparations proportionnées la gravité du crime commis ; b) garantisse que toute disparition forcée donne rapidement lieu à une enquête impartiale et efficace ; c) permette de poursuivre les responsables au pénal ; d) prévoie que, dans les affaires de torture, l’action publique peut être exercée dans un délai conforme aux normes internationales et donc supérieur aux trente-cinq jours actuel.

12.Étant donné qu’en devenant partie au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu la compétence du Comité pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à faire en sorte que tous les individus se trouvant sur son territoire ou relevant de sa juridiction jouissent des droits reconnus dans le Pacte et à offrir un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été constatée, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent-quatre-vingt jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également prié de publier les présentes constatations et de les diffuser largement dans ses langues officielles.