Nations Unies

CCPR/C/123/D/2328/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

8 août 2018

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2328/2014*,**

Communication présentée par :

H. A. (représenté par un conseil, Niels-Erik Hansen)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Danemark

Date de la communication :

6 janvier 2014 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 8 janvier 2014 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

9 juillet 2018

Objet :

Expulsion vers l’Afghanistan

Question(s) de procédure :

Irrecevabilité ratione materiae; griefs insuffisamment étayés

Question(s) de fond :

Droit à la vie ; torture, peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant ; non-refoulement ; protection des étrangers contre l’expulsion arbitraire ; droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial

Article(s) du Pacte :

6, 7, 13 et 14

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 3

1.1L’auteur de la communication est H. A., de nationalité afghane, né en 1989. Sa demande d’asile au Danemark a été rejetée et, au moment où la communication a été soumise, il se trouvait en détention en attendant d’être expulsé vers l’Afghanistan. L’auteur affirmait alors que le Danemark, en l’expulsant de force vers l’Afghanistan, violerait les droits qu’il tient des articles 6, 7 et 14 du Pacte. Dans ses observations ultérieures, l’auteur a également soulevé un grief au titre de l’article 13 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 23 mars 1976. L’auteur est représenté par un conseil.

1.2Le 8 janvier 2014, conformément à l’article 92 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a demandé à l’État partie de ne pas expulser l’auteur vers l’Afghanistan pendant que son cas était à l’examen devant le Comité. Le 16 janvier 2014, la Commission danoise de recours des réfugiés a prolongé jusqu’à nouvel ordre le délai fixé pour le départ de l’auteur de l’État partie, comme l’avait demandé le Comité.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur, d’origine ethnique hazara et de confession chiite, vient du village de Siapita (Ziapetaw) dans la province de Wardak (Afghanistan). Son père, qui était propriétaire d’un magasin à Jalriz et de trois voitures, avait fait l’objet pendant un certain temps de chantage par les Taliban après avoir pris publiquement parti pour le Gouvernement afghan et les forces internationales. Les Taliban le tenaient aussi pour un espion travaillant pour le compte du régime, ce qui n’était pas le cas. Il était simplement satisfait de la reconstruction du pays et du développement et en parlait ouvertement dans son magasin. Les Taliban lui ayant extorqué de l’argent, il a décidé d’envoyer l’auteur, qui était son plus jeune fils et était célibataire, à l’étranger pour le protéger. Le frère aîné de l’auteur était marié et avait un enfant en bas âge et le père de l’auteur lui-même ne pouvait pas quitter l’Afghanistan parce qu’il n’avait pas les moyens d’emmener toute la famille à l’étranger.

2.2L’auteur a d’abord quitté l’Afghanistan début 2008, illégalement, et est arrivé en Grèce le 28 mai 2008, où il a été immédiatement appréhendé par les autorités grecques et maintenu en détention entre dix et douze jours. Il est ensuite resté sans autorisation en Grèce jusqu’en novembre 2008 avant d’être envoyé en Turquie par les autorités grecques. En Turquie, il est resté détenu pendant treize jours jusqu’à ce que sa famille lui envoie de l’argent pour lui permettre d’acheter un billet d’avion et de rentrer en Afghanistan. L’auteur est rentré en Afghanistan en décembre 2008. Environ quatre mois et demi plus tard, les Taliban ont exigé du père de l’auteur une somme si importante que celui-ci a compris qu’il ne pourrait pas réunir l’argent demandé dans le délai fixé. Les Taliban sont alors venus au domicile familial, de nuit, à une date indéterminée et ont emmené le père et frère aîné de l’auteur, et on ne les a plus revus. À cette occasion, ils ont frappé la mère, la sœur et la belle-sœur de l’auteur et demandé où se trouvait ce dernier. L’auteur passait la nuit chez son oncle maternel, qui habitait aussi à Siapita. Le lendemain matin, la mère de l’auteur s’est rendue chez l’oncle et a dit à l’auteur que les Taliban avaient fouillé leur maison et emmené son père et son frère. Elle lui a donné 50 000 afghanis pour qu’il puisse quitter le pays. Elle pensait, que s’il avait été présent, les Taliban l’auraient emmené lui aussi.

2.3En mars ou avril 2009, l’auteur a quitté l’Afghanistan une seconde fois et, après avoir traversé l’Iran, la Turquie, la Grèce, l’Italie, la France, l’Allemagne et la Suède, est arrivé en Norvège où il a demandé l’asile, le 24 juillet 2009. Sa demande a été rejetée le 9 novembre 2009 et la Direction norvégienne de l’immigration a décidé de le renvoyer en Grèce, comme le prévoit le Règlement Dublin II.

2.4Le 23 janvier 2010, l’auteur est entré au Danemark sans document de voyage valide et a aussitôt demandé l’asile, expliquant qu’il craignait d’être enlevé par les Taliban s’il rentrait en Afghanistan. Le 9 juin 2011, le Service danois de l’immigration a rejeté sa demande. Le 25 août 2011, le Ministère aux affaires des réfugiés, de l’immigration et de l’intégration (désormais le Ministère de la justice) a rejeté la demande de permis de séjour pour raisons humanitaires déposée par l’auteur. La Commission de recours des réfugiés a confirmé la décision du Service de l’immigration le 23 janvier 2012.

2.5L’auteur dit qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles car la décision de la Commission n’est pas susceptible d’appel.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que son expulsion du Danemark vers l’Afghanistan violerait les droits qui lui sont garantis aux articles 6 et 7 du Pacte puisqu’il risquerait d’être tué, enlevé ou violé par les Taliban. Il fait valoir, en particulier, qu’il appartient à la minorité hazara, prise pour cible par les Taliban, qui sont principalement d’ethnie pachtoune. Il ajoute qu’il ne pourrait pas trouver de protection car il n’a plus de famille en Afghanistan et que le groupe ethnique auquel il appartient est persécuté dans tout le pays.

3.2L’auteur se réfère en outre aux Principes directeurs relatifs à l ’ éligibilité dans le cadre de l ’ évaluation des besoins de protection internationale des demandeurs d ’ asile afghans publiés par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) le 6 août 2013. Selon ces Principes, peuvent avoir besoin d’une protection internationale, notamment : les individus liés ou perçus comme étant favorables au Gouvernement afghan et à la communauté internationale, y compris les forces militaires internationales ; les hommes et les garçons en âge de se battre ; les individus dont le comportement est jugé contraire aux préceptes, normes et valeurs de l’islam tels qu’ils sont interprétés par les Taliban ; les membres des groupes ethniques (minoritaires). L’auteur explique que, du fait qu’il est parti en Europe, il serait certainement perçu, s’il était renvoyé en Afghanistan, comme ayant agi contrairement aux règles de l’islam et comme étant favorable au Gouvernement et/ou à la communauté internationale. Il ajoute qu’à cause de son âge, il risquerait d’être contraint de se battre pour les forces gouvernementales ou pour les Taliban, et fait valoir que des agressions sexuelles contre les jeunes hommes sont fréquemment signalées en Afghanistan.

3.3L’auteur affirme aussi que, conformément aux Principes directeurs susmentionnés et contrairement à l’évaluation faite par la Commission dans sa décision du 23 janvier 2012, il a certainement besoin d’une protection internationale en tant qu’homme jeune d’origine ethnique hazara venant de la province de Wardak. Les Principes directeurs établissent en outre clairement que de nombreux facteurs doivent être pris en considération dans l’évaluation d’une possibilité de fuite ou de réinstallation interne en Afghanistan. À cet égard, l’auteur dit que le fait que la Commission n’a pas pris ces facteurs en considération lorsqu’elle a rendu sa décision du 23 janvier 2012 et la confirmation de cette décision, obligeant l’auteur à quitter le Danemark, constituent une violation des articles 6 et 7 du Pacte.

3.4L’auteur soutient que le droit qu’il tient de l’article 14 du Pacte a été violé parce que la décision rendue par la Commission au sujet de sa demande d’asile dans le cadre de la procédure administrative n’était pas susceptible d’appel auprès d’un organe judiciaire.

3.5Dans les écritures qu’il a adressées au Comité le 24 septembre 2014, l’auteur a ajouté un grief au titre de l’article 13 du Pacte faisant valoir que le risque qu’il courrait d’être persécuté et de subir un préjudice irréparable à son retour en Afghanistan n’a pas été évalué conformément aux garanties de procédure prévues par cet article, puisqu’il n’a pas pu faire appel de la décision de la Commission auprès d’un organe judiciaire.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 8 juillet 2014, après avoir rappelé les faits sur lesquels repose la présente communication ainsi que les griefs de l’auteur, l’État partie soutient que la communication devrait être déclarée irrecevable. Pour le cas où le Comité déclarerait la communication recevable, l’État partie dit qu’aucune des dispositions du Pacte ne serait violée si l’auteur était expulsé vers l’Afghanistan.

4.2L’État partie décrit la structure, la composition et le fonctionnement de la Commission, qu’il considère comme un organe indépendant et quasi judiciaire, ainsi que le fondement juridique de ses décisions.

4.3Quant à la recevabilité de la communication, l’État partie affirme que l’auteur n’a pas montré à première vue, aux fins de la recevabilité, l’existence d’une violation des articles 6 et 7 du Pacte car il n’a pas établi qu’il y avait des motifs sérieux de croire que sa vie serait en danger ou qu’il risquerait d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en Afghanistan. La communication est donc manifestement mal fondée et devrait être déclarée irrecevable.

4.4L’État partie rappelle en outre que l’article 14 du Pacte énonce le principe d’une procédure régulière, notamment le droit de toute personne à ce que sa cause soit entendue par un tribunal qui décidera des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil. Il ressort de la jurisprudence du Comité que les procédures d’expulsion des étrangers n’impliquent pas de décision sur des « droits et obligations de caractère civil » au sens du paragraphe 1 de l’article 14, et qu’elles relèvent de l’article 13 du Pacte. Dans ces conditions, l’État partie affirme que la procédure d’asile ne relève pas de l’article 14 du Pacte, et que cette partie de la communication devrait donc être déclarée irrecevable ratione materiae au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

4.5Sur le fond, l’État partie dit que l’auteur n’a pas suffisamment établi que son renvoi en Afghanistan constituerait une violation des articles 6 et 7 du Pacte. L’État partie rappelle à cet égard que ses obligations au titre des articles 6 et 7 du Pacte trouvent leur expression au paragraphe 2 de l’article 7 de la loi relative aux étrangers, qui dispose qu’un étranger se voit délivrer un permis de séjour, à sa demande, s’il risque la peine de mort ou d’être soumis à la torture ou à une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant en cas de renvoi dans son pays d’origine.

4.6En ce qui concerne la crédibilité de la déclaration de l’auteur, l’État partie renvoie aux conclusions adoptées par la Commission dans sa décision du 23 janvier 2012. La Commission a constaté, en particulier, que l’auteur n’avait pas étayé sa demande d’asile et que la déclaration qu’il avait faite à ce sujet avait été forgée pour l’occasion. À cet égard, la Commission a considéré que l’auteur n’avait pas expliqué les circonstances dans lesquelles sa famille se serait défaite de trois voitures. Il n’avait ainsi pas pu dire si les Taliban avaient saisi ces voitures ou si sa famille les avait vendues pour payer les Taliban. L’auteur n’avait pas non plus expliqué pourquoi sa famille, qui était aisée, n’avait pu faire face aux menaces des Taliban, par exemple en déménageant son magasin ou en s’enfuyant quand elle avait compris qu’elle ne pourrait pas payer les Taliban.

4.7La Commission a pris également en considération le fait que l’auteur avait développé sa déclaration pendant la procédure d’asile. Devant la police, il avait déclaré qu’il avait quitté l’Afghanistan parce que sa vie était en danger depuis que son père et son frère avaient été enlevés par les Taliban. Il était certain que les Taliban avaient cherché à l’enlever lui aussi parce que son père avait exprimé des opinions favorables au régime en place et aux forces internationales. Par la suite, l’auteur a précisé ces propos, expliquant au Service de l’immigration qu’il passait la nuit chez son oncle maternel quand les Taliban le cherchaient au domicile familial. De même, avant d’être interrogé par le Service de l’immigration, l’auteur n’avait pas évoqué la violence à laquelle les Taliban avaient recouru pour forcer sa famille à révéler où il se trouvait. Il n’avait pas non plus dit que sa mère était venue lui porter de l’argent chez son oncle maternel pour qu’il puisse quitter le pays le lendemain. La Commission a conclu que l’auteur n’avait pas expliqué de manière plausible pourquoi il avait omis de fournir ces éléments essentiels à l’appui de sa demande d’asile avant d’être interrogé par le Service de l’immigration. La Commission a en outre considéré que la raison invoquée par l’auteur disant qu’il n’avait pas eu le temps de faire de telles déclarations à la police ne changeait rien à son appréciation. En conséquence, elle a conclu qu’il n’y avait pas de raison de lui délivrer un permis de séjour au titre des paragraphes 1 ou 2 de l’article 7 de la loi relative aux étrangers.

4.8L’État partie dit que la Commission a rendu sa décision au titre des paragraphes 1 et 2 de l’article 7 de la loi relative aux étrangers en se fondant sur une appréciation particulière et individuelle des motifs avancés par l’auteur à l’appui de sa demande d’asile, ainsi que sur sa connaissance de base de la situation générale en Afghanistan et les circonstances particulières de l’espèce. Il n’y a donc aucune raison de douter de l’évaluation de la Commission, qui a considéré que l’auteur n’avait pas étayé sa demande d’asile et que sa déclaration à ce sujet avait été fabriquée pour l’occasion. L’État partie fait également observer que l’auteur n’a pas fait état dans sa communication au Comité de nouveaux faits concrets concernant sa situation et qu’il cherche en fait à se servir du Comité comme d’un organe d’appel pour qu’il réexamine les faits invoqués à l’appui de sa demande d’asile. Il ajoute à cet égard que le Comité doit accorder un poids considérable aux constatations de fait de la Commission, qui est mieux placée pour apprécier les faits en l’espèce.

4.9En ce qui concerne l’allégation de l’auteur affirmant qu’il risque d’être recruté de force par les Taliban, l’État partie fait observer que, d’après le rapport du Service de l’immigration, rien n’indique que les Taliban, qui peuvent compter sur l’engagement de nombreux volontaires, recrutent de force des jeunes gens. Il est de même peu probable que les Taliban cherchent à recruter de force des personnes d’origine hazara, sachant que ces deux groupes se méfient l’un de l’autre et que les Taliban ne feront donc pas confiance aux Hazaras comme soldats. L’État partie affirme par conséquent que l’auteur n’a pas étayé l’allégation selon laquelle les Taliban chercheront à le recruter de force à son retour en Afghanistan.

4.10L’État partie considère que le fait que l’auteur est d’origine ethnique hazara et vient de la province de Wardak ne justifie pas en soi qu’il puisse prétendre à une protection internationale. À cet égard, l’État partie dit que, d’après les informations disponibles, il existe une importante minorité hazara dans la province de Wardak et que les membres de cette minorité ne risquent pas d’être soumis à des violences relevant de l’article 7 du Pacte du seul fait de leur appartenance ethnique. Selon l’État partie, rien non plus ne permet de penser que le fait que l’auteur, comme beaucoup d’autres ressortissants afghans, a séjourné un certain temps en Occident lui attirerait une attention particulière à son retour en Afghanistan. Il fait observer que l’auteur, qui ne semble pas s’être fait remarquer d’une quelconque façon, devrait pouvoir s’installer dans d’autres régions d’Afghanistan, notamment dans des grandes villes comme Kaboul. L’invocation par l’auteur des Principes directeurs (voir plus haut par. 3.2 et 3.3), qui sont un élément des informations générales de base sur lesquelles s’est fondée la Commission (pièce no 497), ne conduit pas à une évaluation différente.

4.11Compte tenu de ce qui précède, l’État partie conclut que rien ne permet de mettre en doute, et encore moins d’écarter, l’appréciation de la Commission selon laquelle l’auteur n’a pas prouvé que son renvoi en Afghanistan l’exposerait au risque d’être soumis à des persécutions ou à des violences justifiant qu’on lui accorde asile. Par conséquent, le renvoi de l’auteur ne constituerait pas une violation de l’article 6 ou de l’article 7 du Pacte.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 24 septembre 2014, le conseil de l’auteur a fait savoir au Comité que l’auteur avait disparu à une date non précisée mais qu’il restait en contact avec le centre pour les réfugiés de la Croix-Rouge danoise au cas où l’auteur réapparaîtrait. En attendant, étant donné que le mandat que lui avait donné l’auteur était toujours en vigueur, il continuerait de le représenter devant le Comité.

5.2Aux griefs soulevés dans la lettre initiale au titre des articles 6, 7 et 14 du Pacte, le conseil souhaite ajouter un grief distinct au titre de l’article 13, qu’il avait omis d’invoquer précédemment. Il précise que, comme il n’a pas pu faire appel de la décision de la Commission du 23 janvier 2012 auprès d’un organe judiciaire, le risque qu’il soit persécuté et subisse un préjudice irréparable à son retour en Afghanistan n’a pas été apprécié conformément aux garanties de procédure prévues à l’article 13 du Pacte.

5.3Le conseil fait en outre observer qu’il est arrivé à la Commission de devoir, du fait de la saisine du Comité, rouvrir plusieurs procédures concernant des demandes d’asile rejetées, ce qui montre qu’elle se trompe souvent. Il communique une liste de 11 affaires enregistrées par le Comité et rouvertes par la Commission dans lesquelles, après un réexamen du dossier, le statut de réfugié a été accordé. Il se réfère en particulier aux communications qui avaient été soumises au nom de ressortissants afghans et que le Comité avait décidé de cesser d’examiner parce que les auteurs avaient obtenu le statut de réfugié après le réexamen de leur cas par la Commission.

5.4S’agissant des observations de l’État partie sur la recevabilité de la communication, en particulier concernant la violation des droits que l’auteur tient des articles 6 et 7 du Pacte, le conseil dit que ces allégations sont en fait dûment étayées car la situation actuelle en Afghanistan est extrêmement dangereuse. Il rappelle à cet égard les références faites par l’auteur aux Principes directeurs.

5.5Quant aux observations de l’État partie sur le fond, le conseil dit que, l’auteur ayant disparu, il n’a pas pu discuter avec lui des arguments de l’État partie pour préparer les présents commentaires. Il reprend donc les arguments initialement avancés par l’auteur et résumés plus haut aux paragraphes 3.1 à 3.3. Il conclut que l’expulsion de l’auteur vers l’Afghanistan constituerait une violation par l’État partie des articles 6 et 7 du Pacte et qu’il a été porté atteinte aux articles 13 et 14 du Pacte, puisque la décision de la Commission en date du 23 janvier 2012 n’était pas susceptible d’appel auprès d’un organe judiciaire.

5.6Le 13 octobre 2015, le conseil a informé le Comité que l’auteur avait apparemment si peur d’être expulsé du Danemark, bien que le Comité eût accédé à sa demande de mesures provisoires, qu’il s’était enfui en Suède, où il avait demandé l’asile. Il ajoute que l’auteur semble souffrir de troubles mentaux qui compromettent ses facultés cognitives. Ainsi, l’auteur a eu de grandes difficultés à expliquer au conseil pourquoi il craignait de rester au Danemark et ce qui l’avait poussé à s’enfuir en Suède. Le conseil précise que l’auteur a été renvoyé au Danemark quand les autorités suédoises ont appris qu’il avait déjà un dossier en cours dans ce pays. L’auteur a ensuite exprimé le souhait que le Comité procède à l’examen de la présente communication.

5.7Outre les commentaires de son conseil en date du 24 septembre 2014, l’auteur invoque le discours prononcé par le Président de l’Afghanistan, Mohammad Ashraf Ghani, le 20 juin 2015 à l’occasion de la Journée mondiale des réfugiés. Dans ce discours, le Président a appelé les pays d’Europe, l’Australie, le Canada et les États-Unis d’Amérique, ainsi que d’autres pays accueillant des réfugiés et des demandeurs d’asile en provenance d’Afghanistan, à « prendre en considération nos problèmes cette année » et à « cesser d’expulser des demandeurs d’asile afghans » parce qu’ils n’avaient pas de papiers. Il a parlé de « l’histoire de nos réfugiés » comme étant un « triste épisode de notre histoire moderne ».

5.8L’auteur indique également qu’au début du mois de mars 2015, les autorités afghanes ont officiellement fait part aux autorités danoises d’une demande de renégocier le mémorandum d’accord tripartite conclu entre l’État islamique transitionnel d’Afghanistan, le Danemark et le HCR le 18 octobre 2004. Il ajoute que le Ministre danois de la justice, interrogé par un parlementaire sur les expulsions forcées vers l’Afghanistan eu égard à cette demande des autorités afghanes, aurait répondu que les autorités danoises comptaient que les autorités afghanes se conforment à la politique de retour convenue dans le cadre du mémorandum d’accord. Par conséquent, la police danoise n’a pas reçu pour instruction de cesser temporairement les expulsions forcées vers l’Afghanistan. L’auteur ajoute que la Norvège, la Suède et, dernièrement, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord ont provisoirement mis fin à ces expulsions du fait de la demande des autorités afghanes.

5.9L’auteur se réfère également à un avertissement concernant les voyages publié par le Ministère danois des affaires étrangères et recommandant aux ressortissants danois de ne pas se rendre en Afghanistan vu le risque élevé d’attentats terroristes et d’enlèvements dans tout le pays, y compris à Kaboul. Dans ce contexte, l’auteur note avec regret que les autorités danoises n’ont toujours pas admis la position énoncée par le HCR dans ses Principes directeurs concernant les besoins de protection des demandeurs d’asile en provenance d’Afghanistan. Enfin, l’auteur ajoute que la situation en Afghanistan a beaucoup changé depuis 2004, année où le mémorandum d’accord a été négocié.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Le 19 février 2016, l’État partie a communiqué des observations complémentaires au Comité et fait remarquer que les observations de l’auteur en date du 13 octobre 2015 ne contenaient aucun renseignement nouveau à propos des conflits dans son pays d’origine sur lesquels sa communication était fondée.

6.2Quant aux conseils du Ministère danois des affaires étrangères concernant les voyages en Afghanistan évoqués par l’auteur, l’État partie précise qu’il s’agit d’une évaluation des risques et de conseils destinés aux ressortissants danois.

6.3D’après ses observations en date du 13 octobre 2015, l’auteur aurait eu si peur de rester au Danemark qu’il est parti en Suède au moment où le Comité était saisi de sa communication. L’État partie fait observer à cet égard que, d’après un courriel daté du 24 février 2015 de la Division nationale des étrangers de la Police nationale, l’auteur, lorsqu’il a été contrôlé à son départ, avait déclaré qu’il voulait retirer sa demande d’asile au Danemark et rentrer volontairement au plus vite avec l’assistance de l’Organisation internationale pour les migrations.

6.4En ce qui concerne les références faites par l’auteur aux Principes directeurs, au discours prononcé par le Président afghan à l’occasion de la Journée mondiale des réfugiés en 2015 et à l’intention des autorités afghanes, annoncée en mars 2015, de renégocier l’accord de rapatriement avec les autorités danoises, l’État partie fait observer qu’elles ne peuvent pas donner lieu à une réévaluation juridique du droit de l’auteur à l’asile. Ainsi, la Commission reste d’avis que la situation générale en Afghanistan, y compris à Kaboul, n’est pas en soi d’une nature telle que, pour cette seule raison, l’auteur satisfait aux conditions à remplir pour obtenir l’asile. L’État partie souscrit à la conclusion de la Commission.

6.5L’État partie fait en outre observer que l’auteur a également invoqué, dans sa lettre initiale au Comité, une violation par le Danemark de l’article 14 du Pacte. Sur ce point, l’État partie a indiqué dans ses observations du 8 juillet 2014 que les procédures d’asile ne relevaient pas du champ d’application de cet article. L’État partie note que le conseil de l’auteur a ultérieurement invoqué une violation de l’article 13 et/ou de l’article 14 du Pacte à propos de la décision rendue le 23 janvier 2012 par la Commission, du fait que cette décision n’était pas susceptible d’appel devant un tribunal. En réponse à ce grief, l’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité et rappelle que l’article 13 du Pacte offre une partie de la protection garantie par le paragraphe 1 de l’article 14, mais pas le droit de recours ni le droit d’être entendu par un tribunal. Par conséquent, l’État partie considère que l’auteur n’a pas expliqué en quoi l’article 13 du Pacte prévoit un droit de recours, ni établi à première vue la recevabilité du grief qu’il soulève au titre de cet article 13, comme l’exige l’article 96 b) du règlement intérieur du Comité. Cette partie de la communication est donc manifestement mal étayée et devrait être déclarée irrecevable.

Nouveaux commentaires de l’auteur sur les observations complémentairesde l’État partie

7.Le 29 avril 2016, le Comité a fait droit à la requête de l’auteur en date du 28 avril 2016 demandant une prolongation, jusqu’au 24 mai 2016, du délai fixé pour la soumission de ses commentaires concernant les observations complémentaires de l’État partie, afin de lui permettre de prendre en compte dans ses commentaires les Principes directeurs actualisés.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle il a épuisé tous les recours internes à sa disposition. En l’absence de toute objection de la part de l’État partie à cet égard, le Comité considère que les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont satisfaites.

8.4En ce qui concerne le grief de l’auteur au titre de l’article 14 du Pacte concernant l’impossibilité de faire appel auprès d’un organe judiciaire de la décision négative de la Commission, le Comité renvoie à sa jurisprudence et rappelle que les procédures d’expulsion des étrangers n’impliquent pas de décision sur des « droits et obligations de caractère civil » au sens du paragraphe 1 de l’article 14, et qu’elles relèvent de l’article 13 du Pacte. Le Comité conclut donc que ce grief est irrecevable ratione materiae au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

8.5Le Comité prend note ensuite du fait que l’auteur a formulé un grief identique − à savoir qu’il n’a pas pu faire appel auprès d’un organe judiciaire de la décision négative de la Commission − au titre de l’article 13 du Pacte. Renvoyant à sa jurisprudence, le Comité rappelle que cet article offre aux demandeurs d’asile une partie de la protection garantie par l’article 14 mais pas le droit de recours devant des organes judiciaires. Le Comité conclut donc que l’auteur n’a pas suffisamment étayé son grief au titre de l’article 13 du Pacte et déclare cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.6Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les allégations de l’auteur au titre des articles 6 et 7 du Pacte devraient être déclarées irrecevables pour défaut de fondement car l’auteur n’a pas établi à première vue que sa communication était recevable. Le Comité considère toutefois que l’auteur a bien expliqué, aux fins de la recevabilité, pourquoi il craignait que son renvoi forcé en Afghanistan l’expose à un risque de traitement incompatible avec les articles 6 et 7 du Pacte. Le Comité est donc d’avis que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, ses allégations au titre des articles 6 et 7 du Pacte.

8.7Compte tenu de ces considérations, le Comité considère la communication recevable en ce qu’elle soulève des questions au regard des articles 6 et 7 du Pacte, et procède à son examen au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

9.2Le Comité rappelle son observation générale no31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, conformément à laquelle les États ont l’obligation de ne pas extrader, déplacer, expulser quelqu’un ou le transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable, tel le préjudice envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte. Le Comité a également indiqué que ce risque devait être personnel et qu’il fallait des motifs sérieux pour établir qu’il existe un risque réel de préjudice irréparable. Tous les faits et circonstances pertinents devaient donc être pris en considération, notamment la situation générale des droits de l’homme dans le pays d’origine de l’auteur.

9.3Le Comité rappelle qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée pour déterminer l’existence d’un tel risque, sauf s’il peut être établi que l’appréciation a été manifestement arbitraire ou erronée ou a représenté un déni de justice.

9.4Le Comité prend note de l’allégation de l’auteur disant qu’il risquerait d’être tué, enlevé ou violé par les Taliban parce qu’il appartient à la minorité hazara, laquelle est visée par les Taliban, qui sont principalement pachtounes. Le Comité prend note également des allégations de l’auteur affirmant que son père et son frère aîné ont été enlevés par les Taliban en 2009 parce que le père de l’auteur ne pouvait pas verser la somme exigée par les Taliban dans le délai fixé. Le Comité note aussi que l’auteur affirme qu’il correspond, du fait de ses caractéristiques individuelles, réelles ou perçues, au profil des demandeurs d’asile venant d’Afghanistan pouvant avoir besoin d’une protection internationale en vertu des Principes directeurs (voir par. 3.2 et 3.3 ci-dessus).

9.5À cet égard, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel, comme l’a établi la Commission dans sa décision du 23 janvier 2012, la déclaration de l’auteur concernant les motifs de sa demande d’asile a été forgée pour l’occasion (voir par. 4.6 ci-dessus) et que l’auteur a « développé sa déclaration [initiale] » pendant la procédure d’asile (voir par. 4.7 ci-dessus). Le Comité prend acte également de l’observation de l’État partie disant que la Commission s’est fondée, dans sa décision, sur une appréciation particulière et individuelle des motifs avancés par l’auteur à l’appui de sa demande d’asile, ainsi que sur sa connaissance de la situation générale en Afghanistan et des éléments particuliers du dossier. Le Comité note que les autorités de l’État partie, après avoir examiné les éléments fournis par l’auteur dans le cadre de sa demande d’asile, y compris les entretiens et les audiences orales, ont constaté que l’auteur n’avait pas montré qu’il y avait des motifs sérieux de croire que sa vie serait en danger ou qu’il serait exposé à un risque de torture s’il était renvoyé en Afghanistan.

9.6Le Comité relève en outre que l’État partie soutient que l’argument de l’auteur selon lequel il risque d’être recruté de force par les Taliban ne correspond pas aux informations de base disponibles, d’où il ressort que de nombreux volontaires rejoignent les rangs des Taliban et que ceux-ci n’ont donc pas besoin de recruter de force des jeunes gens, surtout d’origine ethnique hazara sachant que les deux groupes se méfient l’un de l’autre. Le Comité prend note également de la déclaration de l’État partie indiquant que, d’après les informations de base disponibles, les personnes d’origine ethnique hazara constituent une minorité importante dans la province de Wardak et ne sont pas exposées à un risque de violence relevant de l’article 7 du Pacte du seul fait de leur appartenance ethnique. Aussi, le fait que l’auteur est d’origine ethnique hazara et vient de la province de Wardak ne peut justifier à lui seul sa prétention à une protection internationale. Le Comité prend note en outre de l’argument de l’État partie disant que rien en particulier ne permet de penser que le fait que l’auteur, comme beaucoup d’autres ressortissants afghans, a séjourné un certain temps en Occident lui attirerait une attention particulière à son retour en Afghanistan.

9.7Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur indiquant que la Commission fait souvent des erreurs (voir par. 5.3 ci-dessus) et n’a pas tenu compte, dans sa décision du 23 janvier 2012, de la position du HCR concernant les besoins de protection des demandeurs d’asile venant d’Afghanistan. Il observe toutefois que l’auteur n’a fait état d’aucune irrégularité dans le processus de prise de décisions, ni d’aucun facteur de risque que les autorités de l’État partie auraient omis de prendre dûment en compte. Il constate que l’auteur, bien que contestant les conclusions de fait des autorités de l’État partie, n’a pas montré que ces conclusions étaient manifestement arbitraires ou erronées ou constituaient un déni de justice.

9.8Le Comité rappelle que l’obligation de ne pas expulser un individu en violation des obligations incombant à un État partie en vertu du Pacte s’applique au moment de l’expulsion et que, dans les cas d’expulsion imminente, le moment à prendre en considération pour se prononcer sur ce point est le moment où il examine l’affaire. En conséquence, dans le contexte de la procédure de communication au titre du Protocole facultatif, le Comité doit également, lorsqu’il évalue les faits soumis par les parties, tenir compte des éléments nouveaux susceptibles d’avoir une incidence sur les risques auxquels peut être exposé un auteur devant être expulsé. En l’espèce, d’après des informations à caractère public, la situation s’est sensiblement détériorés ces derniers temps en Afghanistan. Toutefois, sur la base des informations contenues dans le dossier, le Comité ne peut évaluer dans quelle mesure la situation actuelle dans le pays d’origine de l’auteur peut avoir une incidence sur le risque personnel qu’il court. Dans ce contexte, le Comité rappelle qu’il incombe à l’État partie d’évaluer constamment le risque auquel une personne serait exposée en cas de renvoi vers un autre pays avant de prendre des mesures définitives concernant son expulsion ou son renvoi.

9.9Sans préjudice de la responsabilité qui incombe en permanence à l’État partie de tenir compte de la situation actuelle du pays vers lequel l’auteur serait expulsé, et à la lumière des informations disponibles concernant la situation personnelle de l’auteur, le Comité considère que les informations dont il dispose ne montrent pas que l’auteur serait exposé à un risque personnel et réel de traitement contraire à l’article 6 ou l’article 7 du Pacte s’il était renvoyé en Afghanistan.

10.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que le renvoi de l’auteur en Afghanistan ne constituerait pas une violation des droits qui lui sont garantis aux articles 6 ou 7 du Pacte.