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Nations Unies

CCPR/C/123/D/2662/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

24 septembre 2018

Original : français

Comité des droits de l’homme

Constatationsadoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2662/2015 * , **

Communication présentée par :

F. A. (représentée par deux conseils, Claire Waquet et Michel Henry)

Au nom de :

L’auteure

État partie :

France

Date de la communication :

18 juin 2015

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 2 novembre 2015 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

16 juillet 2018

Objet :

Interdiction du port d’un voile sur le lieu de travail

Question(s) de procédure :

Question(s) de fond :

Liberté de manifester sa religion, discrimination en raison de la religion et du genre

Article(s) du Pacte :

18 et 26

Article(s) du Protocole facultatif :

2

1.L’auteure de la communication est F. A., de nationalité marocaine, née en 1969. Elle affirme que l’État partie a violé les droits qu’elle tient des articles 18 et 26 du Pacte. Elle est représentée par les avocats Claire Waquet et Michel Henry. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 17 mai 1984.

Rappel des faits tels que présentés par l’auteure

2.1L’auteure travaillait depuis 1991 comme éducatrice de jeunes enfants dans une crèche établie par une association privée. En raison de ses convictions religieuses, elle a, depuis 1994, l’habitude de porter un foulard autour du visage couvrant ses cheveux. Peu avant son retour de congé parental en décembre 2008, la directrice de la crèche l’a informée de ce qu’en application des dispositions du règlement intérieur de la crèche, elle ne serait pas autorisée à revenir travailler vêtue d’un foulard.

2.2Le 9 décembre 2008, convoquée pour reprendre son travail, l’auteure s’est présentée à la crèche portant, comme elle avait l’habitude de le faire, un foulard. Par lettre du 19 décembre 2008, elle a été notifiée de son licenciement pour faute grave pour insubordination. Les motifs du licenciement étaient la violation du règlement intérieur de la crèche pour avoir refusé d’ôter son « voile islamique » ; le refus de quitter la crèche au mépris de la mise à pied conservatoire prononcée par la directrice de la crèche ; et « l’altercation » qui, selon la directrice, aurait suivi ce refus.

2.3L’auteure a engagé une procédure devant les juridictions internes en vue de voir reconnaître que son licenciement avait un caractère discriminatoire et attentatoire à sa liberté de manifester sa religion. Dans cette procédure, l’auteure a mis en cause la légalité de la clause du règlement intérieur qui établissait que « le principe de la liberté de conscience et de religion de chacun des membres du personnel ne peut faire obstacle au respect des principes de laïcité et de neutralité qui s’appliquent dans l’exercice de l’ensemble des activités développées par [l’association] ». Un jugement du 13 décembre 2010 du conseil des prud’hommes de Mantes-la-Jolie, puis, sur appel, un arrêt confirmatif de la cour d’appel de Versailles du 27 octobre 2011, ont validé la clause du règlement intérieur et le licenciement.

2.4L’auteure a présenté un recours en cassation. Par arrêt du 19 mars 2013, la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé que le principe de laïcité instauré par l’article 1er de la Constitution française n’est pas applicable aux salariés privés qui ne gèrent pas un service public et que les restrictions à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, doivent répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et doivent être proportionnées au but recherché. La Cour a conclu que, contrairement à ce qu’avait retenu l’arrêt de la cour d’appel de Versailles, la clause du règlement intérieur de la crèche instaurait une restriction générale et imprécise à la liberté religieuse de ses salariés, de sorte que le licenciement, prononcé pour motif discriminatoire, était nul.

2.5Le 27 novembre 2013, la cour d’appel de Paris, statuant comme juridiction de renvoi après cassation, a de nouveau confirmé le jugement du conseil des prud’hommes de Mantes-la-Jolie du 13 décembre 2010. L’arrêt de la cour s’est fondé sur la notion d’« entreprise de conviction » selon laquelle une personne morale de droit privé qui assure une mission d’intérêt général peut, dans certaines circonstances, constituer une entreprise de conviction et se doter de statuts et d’un règlement intérieur prévoyant une obligation de neutralité du personnel dans l’exercice de ses tâches. La cour a également considéré que telle obligation de neutralité emporte notamment interdiction de porter tout signe religieux ostentatoire.

2.6L’auteure a de nouveau formé un pourvoi en cassation, qui a été examiné en assemblée plénière. Par arrêt du 25 juin 2014, la Cour a rejeté le pourvoi. Tout en estimant que l’association ne pouvait être regardée comme une entreprise de conviction au regard de son objet social, la Cour a considéré que la cour d’appel pouvait déduire que la restriction à la liberté de manifester sa religion était suffisamment précise, justifiée par la nature des tâches accomplies par les salariés de l’association et proportionnée au but recherché en appréciant de manière concrète les conditions de fonctionnement d’une association de dimension réduite, dont les 18 salariés étaient en relation directe avec les enfants et parents.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure considère que les faits dont elle a été victime constituent une violation de ses droits en vertu des articles 18 et 26 du Pacte.

3.2L’auteure allègue que la restriction qui lui a été imposée par la clause du règlement intérieur de la crèche constitue une restriction qui n’est pas prévue par la loi. En ce sens, l’auteure considère que la loi en vigueur au moment des faits ne permettait pas qu’un règlement intérieur impose une restriction dans les conditions du cas d’espèce. Le principe de neutralité tel que prévu par la Constitution française est uniquement applicable aux services publics de l’État, mais pas à une crèche privée. En outre, le Code du travail applicable à la date du licenciement prévoyait en son article L. 1121-1 que : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché », et l’article L. 1321-3 stipulait que : « Le règlement intérieur ne peut contenir : […] des dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ». Enfin, le Code du travail applicable interdisait toute discrimination, notamment en raison du sexe ou des convictions religieuses. Selon la jurisprudence constante, une clause restrictive ne peut être légalement prévue par un règlement intérieur que si celui-ci précise que « les obligations qui en résultent doivent s’apprécier eu égard à la nature des fonctions exercées par les personnels qui y sont soumis ». En l’occurrence, le règlement de la crèche ne contenait aucune justification en ce sens. L’auteure allègue donc que l’interprétation faite par les juridictions saisies dans son cas n’est pas conforme à leur propre jurisprudence, rendant la loi imprévisible et la justice inaccessible dans son cas. L’auteure conclut qu’elle a fait l’objet d’une restriction qui n’était pas prévue par la loi, en contradiction avec les exigences du paragraphe 3 de l’article 18 du Pacte.

3.3L’auteure fait aussi valoir que la restriction dont elle a fait l’objet n’était pas nécessaire dans une société démocratique, car elle ne peut pas être justifiée par la protection de la sécurité, de l’ordre ou de la santé publique. L’auteure note que, selon la jurisprudence du Conseil d’État, le port d’un voile ne constitue pas un acte de prosélytisme. Seul un acte de pression ou de prosélytisme pourrait porter atteinte aux libertés et droits fondamentaux d’autrui. Or, le port d’un signe religieux par le personnel de la crèche n’interdit en rien aux parents de guider librement leurs enfants dans l’exercice de leur liberté de conscience et de religion. L’auteure note que le paragraphe 3 de l’article 18 exige également que la restriction soit proportionnée. Dans le cas d’espèce, le refus de l’auteure d’ôter son voile a été à l’origine de sa perte d’emploi et a été qualifié de faute grave, qualification particulièrement stigmatisante et privative de toute indemnité de rupture. En outre, la clause litigieuse est générale, imprécise, et donc disproportionnée.

3.4L’auteure invoque également une violation de l’article 26 du Pacte en ce qu’elle n’a pas bénéficié de la protection contre la discrimination prévue par la loi interne et a fait l’objet d’un licenciement discriminatoire. Elle note que la mesure de licenciement ordonnée repose sur un motif discriminatoire touchant à ses convictions religieuses et que la clause du règlement intérieur qui lui a été appliquée avait un effet indirectement discriminatoire, touchant de manière particulièrement désavantageuse et disproportionnée les femmes musulmanes.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Par note verbale du 4 janvier 2016, l’État partie a indiqué ne pas souhaiter contester l’admissibilité de la communication. Par note verbale du 3 mai 2016, il a présenté ses observations sur le fond de la communication.

4.2L’État partie présente le droit applicable garantissant la liberté religieuse et la non-discrimination en faisant référence à l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, aux articles 1et 2 de la Constitution du 4 octobre 1958, aux articles 9 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et aux titres II et III du Code du travail.

4.3L’État partie note que, dans le milieu du travail privé, le principe est la libre manifestation de sa religion. Toutefois, des restrictions peuvent être apportées à cette liberté lorsqu’elles sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché. La détermination de la conformité de ces restrictions avec les dispositions législatives est étroitement encadrée par l’inspection du travail et les autorités judiciaires. Un salarié peut, avant même qu’une clause du règlement intérieur ne lui soit appliquée, saisir l’inspection du travail de la légalité de cette clause.

4.4L’État partie note que la liberté qui est en cause dans le cas d’espèce n’est pas celle d’avoir une religion, mais celle de manifester sa religion, et que cette liberté n’est pas absolue et peut faire l’objet de restrictions en accord avec le paragraphe 3 de l’article 18 du Pacte. L’État partie note aussi que les actes dénoncés par l’auteure ont été commis par une personne privée, la question étant donc d’examiner si l’État partie a respecté son obligation positive de protéger le droit des individus à la liberté de manifester leur religion. Dans le cas présent, il rappelle que l’auteure a pu faire entendre ses arguments et a usé de toutes les voies de droit existantes en droit interne.

4.5L’État partie conteste les allégations de l’auteure selon lesquelles la restriction dont elle a fait l’objet n’était pas prévue par la loi. Il considère que la question de la légalité de la clause du règlement intérieur de la crèche est inopérante au regard de la condition selon laquelle la restriction doit être fixée par la loi. L’État partie ajoute que la seule question pertinente est celle de l’existence d’un cadre juridique régissant la procédure qui a conduit l’association à licencier l’auteure. L’État partie considère ainsi que la mesure de licenciement contestée s’inscrivait dans un cadre juridique parfaitement défini par les articles L. 1121-1 et 1321-3 du Code du travail, permettant aux employeurs de restreindre les libertés d’un salarié si les restrictions sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché.

4.6En ce qui concerne les allégations sur l’accessibilité et la prévisibilité du cadre juridique, l’État partie rappelle que, selon les constatations du Comité dans l’affaire Ross c. Canada : « [I]l n’appartient pas au Comité de réévaluer les conclusions de la Cour suprême sur ce point et le Comité estime en conséquence que la restriction imposée était prévue par la loi ». En outre, l’État partie fait valoir qu’au moment des faits, les juridictions nationales avaient déjà jugé à propos du voile islamique que le refus de l’employeur était justifié par la nature de la tâche à accomplir par une vendeuse nécessairement au contact d’un large public dont les convictions sont variées. La Cour de cassation avait, quant à elle, admis qu’un employeur peut imposer aux salariés en contact avec la clientèle qu’ils portent une tenue vestimentaire en adéquation avec les fonctions ou les produits qu’ils sont chargés de vendre. La cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion avait également admis qu’un employeur peut prohiber un style de vêtement en « totale opposition avec l’image de marque du magasin ». Dans le cas d’espèce, il s’agissait d’une association de dimension réduite, dont tous les salariés étaient ou pouvaient être en contact avec les enfants et leurs parents. L’État partie considère donc que la Cour de cassation a respecté les critères de sa jurisprudence.

4.7L’État partie allègue également que la restriction dont l’auteure a fait l’objet avait un but légitime, à savoir la protection des droits et libertés d’autrui. Il rappelle que la Cour européenne des droits de l’homme a déjà considéré que le foulard islamique n’est pas en soi « un signe passif » mais un « signe extérieur fort » et a reconnu la protection des droits et libertés d’autrui comme un but légitime des restrictions apportées par des employeurs à la liberté de manifester les religions au sein des entreprises. L’association gérant la crèche avait pour objet de développer une action orientée vers la petite enfance en milieu défavorisé et d’œuvrer pour l’insertion sociale et professionnelle des femmes sans distinction d’opinion politique et confessionnelle et, à ce titre, elle organisait mensuellement des réunions de femmes du quartier afin de leur permettre d’échanger à propos des difficultés qu’elles rencontrent et d’élaborer leurs propres réponses. La crèche est donc un lieu d’accueil et de stabilité sociale d’enfants en bas âge, particulièrement influençables et réceptifs à leur environnement, qui n’ont pas à être confrontés à des manifestations ostentatoires d’appartenance religieuse. Les salariés d’une crèche sont en contact avec un public particulier : des enfants et leurs parents. La vulnérabilité particulière des enfants à toute exposition et, à plus forte raison, à toute expression religieuse de la part de leurs éducateurs justifie donc la restriction imposée à l’auteure. L’État partie considère donc que la clause litigieuse du règlement avait pour objectif de protéger le droit des enfants et celui de leurs parents de voir ces derniers soustraits à toute influence religieuse autre que la leur.

4.8L’État partie conteste par ailleurs les allégations de l’auteure selon lesquelles la restriction dont elle a fait l’objet ne serait pas proportionnée au but poursuivi. Il souligne qu’il est important que les États parties jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure une ingérence est nécessaire. Dans le cas d’espèce, l’État partie rappelle que la restriction imposée ne porte que sur la liberté de manifester sa religion, s’agissant pour les salariés susceptibles d’être en contact avec des enfants en bas âge d’agir avec réserve quant à l’expression de leur opinion religieuse. Cette restriction ne s’applique pas en dehors du champ d’activités de la crèche et se limite aux activités entraînant le contact du personnel avec les enfants. Compte tenu du fait qu’il ne s’agissait pas d’une grande structure, tous les employés pouvaient être en relation avec ce public. L’État partie rappelle aussi que, dans une affaire où la requérante de confession catholique travaillant dans une crèche protestante était confrontée à une situation similaire, la Cour européenne des droits de l’homme s’est fondée sur la liberté contractuelle pour conclure à la non-violation de la liberté de religion.

4.9Pour ce qui est des allégations de l’auteure selon lesquelles son licenciement constituerait une discrimination en violation de l’article 26 du Pacte, l’État partie maintient que la clause du règlement intérieur de la crèche ne crée aucune discrimination en ce qu’elle ne visait aucune religion, aucune conviction philosophique, ni aucun sexe. La clause du règlement intérieur peut être regardée comme aboutissant à traiter différemment les salariés qui souhaitent manifester leurs convictions religieuses et ceux qui ne le souhaitent pas. Toutefois, l’État partie rappelle que, selon la jurisprudence constante du Comité, le droit à l’égalité devant la loi ne signifie pas que toutes les différences de traitement sont discriminatoires, et une différenciation fondée sur des critères raisonnables et objectifs n’équivaut pas à une discrimination au sens de l’article 26 du Pacte. La différence de traitement induite par le règlement intérieur de la crèche était objective et n’était ni arbitraire ni déraisonnable.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie

5.1Par lettre du 12 septembre 2016, l’auteure a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie sur le fond de la communication.

5.2L’auteure conteste l’affirmation de l’État partie selon laquelle la seule question pertinente concernant la légalité de la restriction au droit de manifester sa religion est celle de l’existence d’un cadre juridique régissant la procédure qui a conduit l’association à la licencier. L’auteure soutient que la clause du règlement intérieur est au cœur de son licenciement. Si elle était déclarée illégale, cela entraînerait ipso facto la nullité de la sanction disciplinaire lourde qui lui a été imposée. Or, le principe posé par les dispositions du Code du travail est clair : la liberté, y compris religieuse, est la règle ; l’interdiction, étant l’exception, est étroitement circonscrite à la nature de la tâche à accomplir, sous réserve de sa stricte proportionnalité au but poursuivi. La clause du règlement intérieur ne pouvait donc se prévaloir d’aucun titre de légalité et entre ainsi en contradiction avec la loi applicable. L’auteure fait noter que la récente modification du Code du travail, qui prévoit la possibilité pour les règlements intérieurs de contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité, démontre qu’une telle option n’existait pas auparavant. L’auteure considère que la question de la conformité de ce nouveau texte de loi au Pacte et aux droits et libertés constitutionnellement garantis se pose, mais le Conseil Constitutionnel n’en a pas été saisi pour l’instant.

5.3L’auteure note que, selon l’État partie, la Cour de cassation a considéré que la restriction apportée à la liberté de manifester sa religion répondait aux critères législatifs en se fondant sur un critère que la jurisprudence aurait déjà eu l’occasion d’appliquer et en appréciant de manière concrète la situation de l’auteure. Sur ce point, elle rappelle que la Cour de cassation n’est pas juge du fond, mais que, dans le cas d’espèce, elle a considéré que la cour d’appel a pu en déduire, appréciant de manière concrète les conditions de fonctionnement d’une association de dimension réduite, que tous les employés pouvaient être en relation directe avec les enfants et leurs parents, justifiant ainsi la restriction à la liberté de manifester sa religion. Toutefois, selon l’auteure, la cour d’appel ne s’était saisie ni de la dimension de l’association, ni du nombre de ses salariés, ni de ses conditions concrètes de fonctionnement, sa décision étant fondée sur la qualification juridique d’entreprise de conviction qui justifierait, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, l’édiction d’un principe de neutralité applicable à tous les employés y travaillant. La cour d’appel a d’ailleurs cherché à restreindre la clause, contre toute évidence, considérant que la formulation était suffisamment précise pour qu’elle soit entendue comme étant d’application limitée aux activités d’éveil et d’accompagnement des enfants à l’intérieur et à l’extérieur des locaux professionnels. Néanmoins, la situation d’emploi personnelle de l’auteure n’a jamais été examinée.

5.4L’auteure exprime en outre son désaccord avec l’affirmation de l’État partie selon laquelle il existe une jurisprudence constante permettant de présager une telle restriction du droit à manifester sa religion. L’auteure considère que les arrêts cités par l’État partie portaient sur des cas très différents du sien, étant principalement liés à des restrictions individuelles justifiées par la nature de la tâche ou par le but poursuivi, et non à des restrictions généralisées semblables à celle qui lui a été imposée. En outre, les arrêts de la Cour de cassation cités par l’État partie sont relatifs à la liberté de se vêtir à sa guise, liberté qui n’entre pas dans la catégorie des libertés fondamentales, contrairement à la liberté de manifester sa religion. L’auteure ajoute que, si deux des arrêts mentionnés par l’État partie concernent un signe religieux, ils sont demeurés isolés, ont été très critiqués par la doctrine, et n’ont pas reçu l’onction de la Cour de cassation. L’auteure rappelle que la Cour de cassation a décidé de saisir la Cour de justice de l’Union européenne de la question de savoir si une interdiction de porter des signes religieux pouvait être justifiée, dans l’intérêt de l’entreprise, par le souhait de la clientèle, démontrant par là-même que la jurisprudence n’était pas fixée sur le sujet.

5.5En ce qui concerne le but légitime poursuivi par la restriction, l’auteure considère que l’impérieuse nécessité d’une totale et permanente neutralité pour préserver la liberté de conscience des enfants et le choix éducatif des parents n’est pas caractérisée dans le cas d’espèce : les enfants âgés de trois ans et moins fréquentant la crèche, habitant dans un contexte de diversité ethnique et culturelle, sont accoutumés à voir leurs parents et leurs proches revêtus de tenues qui évoquent les origines ethniques de chacun. Pour bon nombre d’entre eux, ces tenues incluent le port d’un foulard, islamique ou non, cette distinction n’existant pas pour les enfants de cet âge. L’auteure ajoute que les enfants plus âgés ne sont reçus à la crèche que pour un accueil ponctuel ou exceptionnel, et que les parents n’ont jamais indiqué ou démontré qu’ils avaient adhéré à l’association en raison de la neutralité imposée à ses salariés, puisque ce principe figurait dans le règlement intérieur de la crèche mais non dans les statuts de l’association. L’auteure considère comme profondément choquante la position qui découle des observations de l’État partie selon laquelle les enfants ne devraient pas être approchés par une femme voilée.

5.6En ce qui concerne la proportionnalité de la restriction au but poursuivi, l’auteure note que, selon l’État partie, la restriction était proportionnelle en vue des fonctions de l’auteure. Elle rappelle toutefois que ces affirmations ne se retrouvent pas dans les décisions des tribunaux français qui n’ont pas examiné ses fonctions et sa situation individuelle. L’auteure a été renvoyée sans aucun effort d’aménagement de la part de l’employeur, et sans que son foulard n’ait causé le moindre trouble.

5.7Concernant l’argument de l’État partie selon lequel elle aurait choisi librement d’exercer sa profession au sein de cette association et avait conscience des dispositions du règlement intérieur, l’auteure fait remarquer que l’État partie se fonde sur un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme inopérant au cas d’espèce : l’arrêt de la Cour concerne une crèche protestante, qui est donc une entreprise de conviction, alors que la crèche dans laquelle elle travaillait n’entrait pas dans cette catégorie. L’auteure joint un rapport sur l’impact de l’islamophobie sur les femmes en France.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Par note verbale du 1er décembre 2016, l’État partie a communiqué des observations additionnelles.

6. 2 L’État partie conteste l’interprétation faite par l’auteure de la réforme du C ode du travail par la loi du 8 août 2016. Il soutient que cette modification s’inscrit dans la continuité des principes posés par les arti cles L.  1121-1 et 1321-3 du Code du travail , applicables à l’époque des faits litigieux, et qui permettaient déjà de restreindre l’expression des libertés, notamment de religion , dans certains cas. Ainsi, la restriction introduite par la clause du règlement intérieur de l’association disposait d’une base légale dans le cadre juridique antérieur à la loi du 8 août 2016, laquelle n’a fait que préciser les circonstances dans lesquelles les règlements intérieurs peuvent contenir ce type de clause.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité note que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la communication. En outre, il note que l’auteure a présenté un recours en cassation qui a été rejeté et qu’elle maintient qu’elle a donc épuisé toutes les voies de recours internes disponibles. En conséquence, le Comité considère que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne font pas obstacle à l’examen de la présente communication.

7.4Le Comité estime par ailleurs qu’aux fins de la recevabilité, l’auteure a suffisamment étayé ses allégations. Par conséquent, il déclare que la communication est recevable en ce qu’elle soulève des questions au regard des articles 18 et 26 du Pacte et passe à son examen au fond.

Examen au fond

8.1Le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.2Le Comité note l’allégation de l’auteure qui affirme que son licenciement pour faute grave, fondé sur le refus de retirer son foulard islamique lorsqu’elle travaillait à la crèche, a violé son droit à la liberté de manifester sa religion en vertu de l’article 18 du Pacte, puisqu’il constituerait une restriction qui ne serait ni prévue par la loi, ni nécessaire dans une société démocratique, ni proportionnée. Il prend note de ce que l’État partie estime que la restriction à la liberté de l’auteure de manifester sa religion est prévue par la loi et est proportionnelle au but légitime de la protection des libertés et droits fondamentaux d’autrui, à savoir la liberté de conscience et de religion des enfants fréquentant la crèche et de leurs parents.

8.3Le Comité rappelle que, comme indiqué dans le paragraphe 4 de son observation générale no 22 (1993) sur le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, relative à l’article 18 du Pacte, la liberté de manifester sa religion englobe le port de vêtements ou de couvre-chefs distinctifs. Le Comité note également que le port d’un foulard couvrant la totalité ou une partie de la chevelure est une pratique habituelle pour nombre de femmes musulmanes, qui le considèrent comme une partie intégrante de la manifestation de leur conviction religieuse. Le Comité note qu’il en est ainsi pour l’auteure et considère donc que l’interdiction qui lui a été faite de porter son foulard sur son lieu de travail constitue une ingérence dans l’exercice de son droit à la liberté de manifester sa religion.

8.4Le Comité doit donc déterminer si la restriction à la liberté de l’auteure de manifester sa religion ou sa conviction (article 18, paragraphe 1, du Pacte) est conforme aux principes énoncés par le paragraphe 3 de l’article 18 du Pacte, à savoir être prévue par la loi et nécessaire pour la protection de la sécurité, de l’ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui. Le Comité rappelle que, comme indiqué dans le paragraphe 8 de son observation générale no 22, « le paragraphe 3 de l’article 18 doit être interprété au sens strict : les motifs de restriction qui n’y sont pas spécifiés ne sont pas recevables, même au cas où ils le seraient, au titre d’autres droits protégés par le Pacte, s’agissant de la sécurité nationale, par exemple. Les restrictions ne doivent être appliquées qu’aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et doivent être en rapport direct avec l’objectif spécifique qui les inspire et proportionnelles à celui-ci. Il ne peut être imposé de restrictions à des fins discriminatoires ni de façon discriminatoire ».

8.5Dans le cas présent, le Comité note que, selon l’auteure, la restriction qu’elle a subie n’était pas prévue par la loi puisque le Code du travail applicable ne permettrait pas l’adoption de clauses restrictives dans les règlements intérieurs telles que celle qui lui a été appliquée. Le Comité note également l’argument de l’État partie selon lequel les articles L. 1121-1 et 1321-3 du Code du travail prévoyaient la possibilité d’introduire des clauses restrictives sous certaines conditions, qu’il considère remplies dans le cas d’espèce. Le Comité prend également note de ce qu’aucun élément du dossier n’indique ou ne permet de conclure que le règlement n’aurait pas été adopté en accord avec la loi en vigueur. Il ne peut donc pas être conclu que la restriction dont l’auteure a fait l’objet n’était pas prévue par la loi.

8.6La question pour le Comité est donc de déterminer si la restriction subie par l’auteure peut être considérée comme « nécessaire à la protection de la sécurité, de l’ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui », conformément au paragraphe 3 de l’article 18 du Pacte. À cet égard, le Comité rappelle que, selon le paragraphe 8 de son observation générale no 22, les restrictions « doivent être en rapport direct avec l’objectif spécifique qui les inspire et proportionnelles à celui-ci ». Il fait également référence aux critères établis par la Rapporteuse spéciale sur la liberté de religion ou de conviction pour déterminer si le principe de proportionnalité est respecté lorsqu’une restriction est constatée (voir E/CN.4/2006/5, par. 58).

8.7Au vu de ce qui précède, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la restriction dont l’auteure a fait l’objet avait un but légitime, à savoir la protection des droits et libertés des enfants et de leurs parents. Le Comité comprend cet argument comme faisant référence à la protection des libertés et droits fondamentaux d’autrui telle que prévue par le paragraphe 3 de l’article 18 du Pacte. Il note également que, faisant référence à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, l’État partie soumet que le foulard islamique n’est pas « un signe passif » mais un « signe extérieur fort » ; et que la crèche est un lieu d’accueil et de stabilité sociale d’enfants en bas âge, particulièrement influençables et réceptifs à leur environnement, qui n’ont pas à être confrontés à des « manifestations ostentatoires d’appartenance religieuse ». Le Comité note également que, selon l’auteure, seul un acte de pression ou de prosélytisme pourrait porter atteinte aux libertés et droits fondamentaux d’autrui, alors que le port d’un voile ne constitue pas un tel acte et n’interdit en rien aux parents de guider librement leurs enfants dans l’exercice de leur liberté de conscience et de religion. Le Comité note aussi l’argument de l’auteure selon lequel la neutralité totale et permanente des salariés de la crèche n’était pas nécessaire pour préserver la liberté de conscience des enfants et le choix éducatif de leurs parents puisque les parents n’avaient jamais indiqué ou démontré qu’ils avaient adhéré à l’association en raison de la neutralité imposée à ses salariés, et ce, d’autant plus que le principe de neutralité des salariés figurait dans le règlement intérieur de la crèche, mais pas dans les statuts de l’association. Le Comité note enfin la perception de l’auteure selon laquelle les observations de l’État partie semblent indiquer que les enfants ne devraient jamais être approchés par une femme voilée et qu’elle trouve cette position choquante.

8.8Le Comité observe par ailleurs que l’État partie n’explique pas dans quelle mesure le port du foulard serait incompatible avec la stabilité sociale et l’accueil promus au sein de la crèche. Il observe aussi que les arguments présentés par l’État partie n’expliquent pas pourquoi le foulard serait incompatible avec le but de l’association gérant la crèche de développer une action orientée vers la petite enfance en milieu défavorisé et, en même temps, d’œuvrer pour l’insertion sociale et professionnelle des femmes du quartier, d’autant que l’un des objectifs de l’association est de permettre l’insertion économique, sociale et culturelle des femmes sans distinction d’opinion politique ou confessionnelle. L’insertion de l’auteure, quelle que soit son opinion confessionnelle, s’inscrivait bien dans cet objectif. Enfin, le Comité considère que l’État partie n’a pas apporté de justification suffisante qui permette de conclure que le port d’un foulard par une éducatrice de la crèche porterait atteinte aux libertés et droits fondamentaux des enfants et des parents la fréquentant.

8.9Pour ce qui est de la proportionnalité de la mesure, le Comité prend note des arguments de l’État partie soulignant qu’il est important que les États parties jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure une ingérence est nécessaire ; ainsi que du fait que la restriction imposée ne s’appliquait pas en dehors du champ d’activités de la crèche et se limitait aux activités entraînant le contact du personnel avec les enfants. Toutefois, le Comité note également que, selon l’auteure, qui avait utilisé un foulard depuis 1994, même au travail, la restriction qui lui a été imposée n’était pas proportionnée puisqu’elle a donné lieu, sans autre motif que son refus de retirer son foulard, à son licenciement pour « faute grave », qualification particulièrement stigmatisante et privative de toute indemnité de rupture. Il note que les informations fournies par l’État partie ne permettent pas de conclure que l’interdiction du port du foulard dans les circonstances du cas d’espèce pouvait contribuer aux objectifs de la crèche ou à ce qu’une communauté religieuse ne soit pas stigmatisée. Le Comité rappelle enfin que le port d’un foulard ne saurait en soi être considéré comme constitutif d’un acte de prosélytisme. Le Comité considère donc que la restriction imposée et son application dans le cas de l’auteure ne sont pas une mesure proportionnée à l’objectif recherché. Au regard de ce qui précède, le Comité considère que l’obligation imposée à l’auteure de retirer son foulard lors de sa présence à la crèche et son licenciement pour faute grave qui a suivi son refus d’agir en ce sens ne sauraient être considérés comme conformes aux principes du paragraphe 3 de l’article 18 du Pacte. Il conclut donc que la restriction établie par le règlement intérieur de la crèche et sa mise en œuvre constituent une restriction portant atteinte à la liberté de religion de l’auteure en violation de l’article 18 du Pacte.

8.10Le Comité note que l’auteure invoque également une violation de l’article 26 du Pacte en ce que son licenciement reposerait sur une clause du règlement intérieur touchant de manière particulièrement désavantageuse et disproportionnée les femmes musulmanes faisant le choix de porter un foulard, et serait donc discriminatoire. Il prend note aussi des arguments de l’État partie selon lesquels : les faits que l’auteure dénonce ont été commis par une personne privée ; la seule question est donc d’examiner si l’État partie a respecté son obligation positive de protéger le droit des individus à la liberté de manifester leur religion ; et la clause du règlement intérieur de la crèche ne créait aucune discrimination en ce qu’elle ne visait aucune religion, aucune conviction philosophique, ni aucun sexe, n’aboutissant qu’à un traitement différent entre les salariés qui souhaitent manifester leurs convictions religieuses et ceux qui ne le souhaitent pas. Le Comité note enfin que, selon l’État partie, cette restriction était objective et n’était ni arbitraire, ni déraisonnable.

8.11Le Comité rappelle son observation générale no 18 (1989) sur la non-discrimination dans laquelle la discrimination est définie au paragraphe 7 comme la « distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée notamment sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, les opinions politiques ou autres, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation, et ayant pour effet ou pour but de compromettre ou de détruire la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice par tous, dans des conditions d’égalité, » de l’ensemble des droits humains et des libertés fondamentales. Le Comité rappelle que la prohibition de la discrimination s’applique tant à la sphère publique qu’à la sphère privée et qu’une violation de l’article 26 peut résulter d’une règle ou d’une mesure apparemment neutre ou dénuée de toute intention discriminatoire quand elle a un effet discriminatoire. Toutefois, toute différenciation en raison de la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou toute autre opinion, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation, tel qu’indiqué par le Pacte, ne constitue pas une discrimination, tant qu’elle est basée sur un critère raisonnable et objectif ayant un but légitime, tel que prévu par le Pacte.

8.12Le Comité note que, selon l’État partie citant la Cour européenne des droits de l’homme, le voile islamique est identifié comme un « signe extérieur fort ». Néanmoins, il note que l’État partie n’a pas expliqué le critère utilisé pour arriver à cette conclusion. Dans le cas présent, le Comité observe que, selon la décision de la cour d’appel de Paris du 27 novembre 2013, la clause du règlement intérieur de la crèche « emporte notamment interdiction de porter tout signe ostentatoire de religion ». Le Comité note également l’argument de l’auteure selon lequel la clause du règlement intérieur qui lui a été appliquée avait un effet discriminatoire indirect et, d’après une publication du Ministère de l’éducation nationale mentionnée dans le rapport du Collectif contre l’islamophobie en France fourni par l’auteure, la distinction entre les signes religieux « ostentatoires » ou « ostensibles » et les autres a été identifiée comme affectant de façon disproportionnée les voiles ou foulards islamiques. Le Comité rappelle que, dans ses observations finales concernant le cinquième rapport périodique de la France, il a fait référence aux restrictions à la liberté de manifester sa religion ou ses convictions, qui touchent particulièrement les personnes appartenant à certaines religions et les filles, tout en s’inquiétant de ce que les effets de ces lois sur le sentiment d’exclusion et de marginalisation de certains groupes pourraient aller à l’encontre des buts recherchés. Le Comité conclut que la restriction du règlement intérieur affecte de façon disproportionnée les femmes musulmanes, telles que l’auteure, faisant le choix de porter un foulard, ce qui constitue un traitement différencié.

8.13Le Comité doit, en conséquence, décider si le traitement différencié de l’auteure a un but légitime prévu par le Pacte et remplit les critères du caractère raisonnable et d’objectivité. Le Comité note l’argument de l’État partie selon lequel la restriction imposée à l’auteure ainsi que son licenciement étaient fondés sur le règlement intérieur de la crèche et le Code du travail et selon lequel le règlement intérieur n’était pas discriminatoire puisqu’il ne visait aucune religion, croyance ou sexe en particulier, mais avait pour but de protéger les enfants de l’exposition à une quelconque influence religieuse autre que la leur. L’État partie déclare en termes généraux que le traitement différencié se basait sur un critère objectif qui n’était ni arbitraire ni déraisonnable, sans expliquer suffisamment en quoi le port du foulard empêcherait l’auteure de mener à bien ses fonctions et sans examiner la proportionnalité de cette mesure. Le Comité note néanmoins que l’auteure a été licenciée sans indemnité de rupture parce qu’elle portait un foulard, sans qu’il lui soit donné une justification satisfaisante sur comment ce foulard l’empêchait de mener à bien ses fonctions et sans évaluer la proportionnalité de cette mesure. En conséquence, le Comité considère que l’État partie n’a pas suffisamment étayé la façon dont le licenciement de l’auteure en raison du port du voile avait un but légitime ou était proportionné à ce but. Le Comité conclut donc que le licenciement de l’auteure basé sur le règlement intérieur de la crèche, qui prévoit une obligation de neutralité du personnel dans l’exercice de ses tâches, et sur le Code du travail ne reposait pas sur un critère raisonnable et objectif et constitue donc une discrimination intersectionnelle basée sur le genre et la religion, en violation de l’article 26 du Pacte.

9.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, constate donc que les faits qui lui ont été présentés font apparaître une violation des articles 18 et 26 du Pacte.

10.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteure un recours utile. Cela signifie qu’il doit accorder une réparation complète aux personnes dont les droits reconnus par le Pacte ont été violés. Dans le cas d’espèce, l’État partie est tenu, entre autres : d’indemniser l’auteure de manière adéquate et de prendre des mesures de satisfaction appropriées, incluant une compensation pour la perte d’emploi sans indemnités et le remboursement de tout coût légal, ainsi que pour toute perte non pécuniaire encourue par l’auteure en raison des faits de l’espèce. L’État partie est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir des violations similaires à l’avenir.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 de celui-ci, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité, en outre, à rendre publiques les présentes constatations.