Nations Unies

CCPR/C/126/D/2685/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. Générale

17 juillet 2020

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2685/2015*,**,***

Communication présentée par :

R. M. et F. M. (représentés par un conseil, Mme Jytte Lindgård)

Victime(s) présumée(s) :

Les auteurs et leurs deux enfants mineurs

État partie :

Danemark

Date de la communication :

19 novembre 2015 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 25 novembre 2015 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

24 juillet 2019

Objet :

Expulsion vers l’Afghanistan

Question(s) de procédure :

Fondement des griefs

Question(s) de fond :

Droit à la vie ; risque de torture et de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; non-refoulement

Article(s) du Pacte :

6, 7, 17 et 23

Article(s) du Protocole facultatif :

2

1.1Les auteurs de la communication sont R. M., né le 12 mars 1989, et son épouse, F. M., née le 23 avril 1994, tous deux de nationalité afghane. Ils présentent la communication en leur nom et au nom de leurs deux enfants : X, né le 23 février 2011, et Y, né le 23 mai 2014. Ils affirment que, en les renvoyant de force vers l’Afghanistan, le Danemark commettrait une violation des droits qu’ils tiennent des articles 6, 7, 17 et 23 du Pacte. Les auteurs sont représentés par un conseil.

1.2Le 25 novembre 2015, en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires a demandé à l’État partie de ne pas expulser les auteurs et leurs enfants vers l’Afghanistan tant que la communication serait à l’examen. Le 27 janvier 2017 puis le 9 avril 2018, le Rapporteur spécial a décidé de ne pas accéder à la demande de l’État partie de lever les mesures provisoires.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les auteurs ont fui l’Afghanistan après qu’ils ont eu des relations sexuelles hors mariage et que F. M. est tombée enceinte. Ces relations sexuelles avaient eu lieu chez F. M. alors que sa famille était absente. Alors qu’elle était enceinte de trois mois, F. M. a été fiancée officiellement à un ami de son oncle, qui était plus âgé et avec qui elle n’avait eu aucun contact auparavant. Après le départ des auteurs, la famille de F. M. a menacé la famille de R. M. Le cousin de F. M. a tué le frère de R.M. parce qu’il avait aidé les auteurs à s’enfuir. Les auteurs sont restés environ six mois en Turquie, où leur premier fils est né. Ils se sont ensuite rendus en Grèce, où ils sont restés quatorze mois.

2.2F. M. est entrée au Danemark sans documents de voyage valables le 23 avril 2012 et R. M. le 11 décembre 2012. Chacun a demandé l’asile le jour de son arrivée. F. M. a déclaré qu’elle craignait d’être tuée par son oncle ou son fiancé parce qu’elle avait eu des relations sexuelles avec R. M. et était tombée enceinte. R. M. a quant à lui déclaré qu’il craignait d’être victime d’un acte de vengeance meurtrière de la part de l’oncle de son épouse parce qu’il avait eu des relations sexuelles avec une jeune femme sans être marié avec elle et l’avait ensuite aidée à fuir sa famille. Il craignait également pour sa vie parce que son frère avait été tué par la famille de F. M. Le Service danois de l’immigration a cependant rejeté la demande d’asile de F. M. le 15 août 2012 et celle de R. M. le 17 mai 2013.

2.3Dans deux décisions en date du 22 octobre 2013, la Commission de recours des réfugiés a confirmé les décisions prises par le Service de l’immigration. Elle a estimé que les explications données par les auteurs sur certains points divergeaient, étaient invraisemblables et forgées pour l’occasion. En particulier, elle a relevé que leurs déclarations divergeaient quant au moment de leurs relations sexuelles et, compte tenu des informations générales pertinentes sur l’Afghanistan, a estimé qu’il était peu probable que les auteurs aient eu des rapports sexuels au domicile de F. M. Dans ces circonstances, la Commission a jugé que les documents produits par R. M. sur les circonstances du décès de son frère n’avaient aucune valeur probante.

2.4Le 1er septembre 2015, les auteurs ont demandé que leur dossier soit rouvert. Ils ont maintenu leurs déclarations antérieures et ont expliqué que certaines des erreurs concernant les dates étaient dues au fait que F. M. est analphabète. Ils ont aussi affirmé qu’ils avaient pris contact avec un avocat afghan, qui avait confirmé le risque élevé qu’ils courraient s’ils étaient renvoyés en Afghanistan.

2.5Le 3 juin 2016, la Commission de recours des réfugiés a refusé de rouvrir l’affaire parce que les auteurs n’avaient pas démontré qu’ils risquaient de subir des peines ou traitements dégradants s’ils étaient renvoyés en Afghanistan.

Teneur de la plainte

3.1Le Danemark commettrait une violation des droits que les auteurs tiennent des articles 6, 7, 17 et 23 du Pacte s’il les expulsait vers l’Afghanistan, où ils craignent pour leur vie. F. M. craint d’être lapidée à mort pour avoir eu des relations sexuelles extraconjugales. Les autorités afghanes ne pourraient ou ne voudraient probablement pas la protéger. En 2013, la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA) a signalé que la police plaçait en détention des personnes − presque exclusivement des femmes − pour infraction morale.

3.2Selon le même rapport, « [l]es policiers et les autorités judiciaires accusent souvent les femmes d’avoir l’intention de commettre le délit de zina pour justifier leur arrestation et leur incarcération pour infractions sociales (…). L’article 130 de la Constitution donne aux tribunaux le pouvoir discrétionnaire d’avoir recours à la charia (loi islamique) (…). Des observateurs ont signalé que les autorités judiciaires utilisent cet article pour inculper des femmes et des hommes d’“immoralité” ou de “fugue”. La police place souvent des femmes en détention pour zina à la demande des membres de leur famille ».

3.3Selon un autre rapport publié par la MANUA, même si le Bureau du Procureur général de l’Afghanistan a donné instruction aux procureurs afghans de ne pas engager de poursuites contre les femmes pour « fugue » ou « tentative de zina » − car il ne s’agit pas de véritables infractions codifiées en droit afghan, comme la Cour suprême l’a confirmé, les informations communiquées à la MANUA par la Cour suprême pour trois provinces, dont celle de Kaboul, montrent que les autorités continuent d’incarcérer des femmes et des filles pour « fugue/tentative de zina », au mépris des directives du Procureur général de l’Afghanistan et des instructions de la Cour suprême. Il est donc probable que F. M. risque des poursuites pénales si elle est renvoyée en Afghanistan, car elle est coupable à la fois de zina et de « fugue ».

3.4L’article 427 du Code pénal afghan dispose qu’une personne qui commet un adultère est passible d’une longue peine de prison qui, conformément à l’article 100, ne peut être inférieure à cinq ans ni supérieure à quinze ans. Le fait que la victime soit âgée de moins de 18 ans, ou soit une femme mariée ou une vierge est une circonstance aggravante. R. M. risque par conséquent jusqu’à quinze ans de prison. Il craint également d’être victime d’un acte de vengeance meurtrière parce qu’il a eu des relations sexuelles avec F. M. sans être marié avec elle et parce qu’il l’a aidée à fuir sa famille. Le cousin de F. M. a déjà tué le frère de R. M. et la famille de celui-ci s’est enfuie au Pakistan après avoir refusé de payer le prix du sang et reçu des menaces de la famille de F. M..

3.5La Commission de recours des réfugiés a commis une erreur en concluant que le récit des auteurs n’était pas crédible. Il faut accorder une importance particulière au fait que F. M. a donné naissance à un enfant en février 2011, ce qui signifie que le bébé a nécessairement été conçu vers mai 2010, alors que les auteurs étaient encore en Afghanistan. Les auteurs reconnaissent qu’il y a des divergences dans leurs explications relatives au moment où ils ont eu des relations sexuelles, mais affirment qu’il n’y a aucune différence sur le fond. Les rapports sexuels hors mariage constituent une infraction pénale en Afghanistan et peuvent être punis d’une longue peine de prison pour la femme. Le nombre de jours écoulés entre le moment où les auteurs se sont rencontrés pour la première fois et celui où ils ont eu des rapports sexuels, ainsi que le nombre de jours entre les rapports sexuels, n’ont donc qu’une importance mineure.

3.6La Commission n’a pas accordé foi aux documents produits par les auteurs et traduits en danois, qui ont montré que le frère de R. M. avait été tué en raison de la relation des auteurs. Dans l’affaire A. Hc. Danemark , le Comité a pris note des allégations de A. H. selon qui ni le Service de l’immigration ni la Commission n’avaient initialement mené d’enquête sur la véracité et la validité des preuves produites à l’appui de ses allégations détaillées. Il en va de même dans le cas des auteurs.

3.7Le cas des auteurs a été rendu public par des médias danois, et tous deux sont apparus à la télévision pour raconter leur histoire. Du fait de cette exposition supplémentaire, qui n’a probablement pas échappé aux médias afghans, il leur sera difficile de rentrer en Afghanistan sans se faire remarquer.

3.8La santé mentale de F. M. est mauvaise ; celle-ci a fait plusieurs tentatives de suicide. Son état mental ne fera qu’empirer si elle retourne en Afghanistan, et la famille peut donc être considérée comme particulièrement vulnérable. Les auteurs ne seront pas en mesure d’obtenir de l’aide des autorités afghanes en raison de leur relation extraconjugale.

3.9Selon les directives du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) intitulées Eligibility Guidelines for Assessing the International Protection Needs of Asylum-Seekers from Afghanistan, les femmes qui sont a) victimes de violences sexuelles et sexistes ou exposées à ce risque, b) victimes de pratiques traditionnelles préjudiciables ou exposées à ce risque, ou c) perçues comme contrevenant aux mœurs sociales sont susceptibles d’avoir besoin d’une protection internationale en qualité de réfugiées. F. M. appartient à deux de ces groupes.

3.10Enfin, les auteurs admettent qu’il y a de petites divergences dans les déclarations faites par R. M. aux autorités danoises, qui sont essentiellement dues au fait que celui-ci « n’a pas une compréhension mathématique du temps » et, lorsqu’il parle de mois civils, n’utilise pas le système calendaire utilisé en Occident. R. M. reconnaît qu’il est tenu de justifier les motifs de sa demande d’asile, mais tout doute raisonnable devrait bénéficier à la personne qui demande l’asile. Seules des explications totalement non crédibles peuvent justifier le rejet d’une demande et le Service de l’immigration ne devrait pas utiliser comme critère le fait de n’être « pas convaincu ».

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une lettre datée du 15 juillet 2016, l’État partie a affirmé que la communication devrait être déclarée irrecevable. Même si le Comité la déclarait recevable, le renvoi des auteurs et de leurs deux enfants en Afghanistan ne constituerait pas une violation des articles 6, 7, 17 et 23 du Pacte.

4.2Le 10 décembre 2014, la Commission de recours des réfugiés a refusé de rouvrir la procédure au motif que les auteurs n’avaient apporté aucun élément nouveau et que, le 22 octobre 2013, elle avait déjà apprécié l’ensemble des renseignements qu’ils avaient fournis, conjointement avec les informations générales sur l’Afghanistan. Dans sa décision de 2013, la Commission n’a pas exclu la possibilité de relations extraconjugales en Afghanistan, mais a estimé peu probable que les auteurs aient eu des rapports sexuels plusieurs fois chez F. M. et se soient ainsi exposés à un risque évident de faire l’objet de sanctions graves de la part de leur famille et des autorités.

4.3Dans sa décision du 3 juin 2016, la Commission de recours des réfugiés a estimé qu’aucune valeur probante ne pouvait être accordée aux documents produits par les auteurs parce qu’ils semblaient avoir été fabriqués pour l’occasion. Elle a donc analysé la nature et le contenu de ces documents. Elle a d’abord relevé que, selon le document intitulé Country of Origin Information for Use in the Asylum Determination Process que le Service danois de l’immigration a publié en mai 2012, il était facile de se procurer des documents falsifiés en Afghanistan et il existait un marché noir pour ce type de documents. De plus, la date du 23 juillet 2010 mentionnée dans le document comme étant celle où les auteurs s’étaient enfuis de chez eux ne correspondait pas à la déclaration de R. M., selon qui ils avaient quitté l’Afghanistan le 13 septembre 2010, et ne concordait pas non plus pleinement avec la déclaration de R. M. qui avait affirmé que son frère avait été tué le 12 juillet 2011, soit plus d’un an plus tard. En outre, les assertions des auteurs quant à la séquence des événements ne correspondent pas à l’âge de leur premier enfant : l’enfant est né le 23 février 2011 et doit donc avoir été conçu autour du 23 mai 2010. La séquence des événements concernant le moment où F. M. a réalisé qu’elle était enceinte, ses fiançailles forcées, l’annonce de sa grossesse à R. M., leur périple depuis chez eux et leur départ du pays − autrement dit, tous les motifs sur lesquels était fondée la demande d’asile −, ne correspond pas aux déclarations faites par les auteurs.

4.4La Commission a également jugé étrange que les auteurs n’aient trouvé aucune raison de vérifier leurs déclarations jusqu’à ce que près de deux années se soient écoulées après le rejet de leur demande d’asile. Les autorités danoises les ont constamment invités à produire des documents. D’après leurs déclarations, les auteurs sont restés en Grèce pendant plus d’une année, au cours de laquelle ils ont continué d’avoir des contacts avec la famille de R. M., et ils auraient demandé au père de R. M. d’obtenir un document attestant que son frère avait été tué. La Commission n’avait donc aucune raison de demander une vérification des documents pertinents. Enfin, le fait que les auteurs soient apparus à la télévision danoise ne pouvait pas donner lieu à une appréciation différente. La Commission a rejeté les déclarations faites par les auteurs quant aux motifs pour lesquels ils demandaient l’asile ; il n’y a donc aucune raison de penser qu’ils risquent d’être persécutés étant donné que les informations données dans l’émission de télévision ne peuvent être considérées comme exactes.

4.5Les auteurs n’ont pas démontré que leurs griefs étaient à première vue fondés aux fins de la recevabilité, en l’absence de motifs sérieux de croire qu’eux-mêmes et leurs enfants risquent d’être privés de la vie ou soumis à des traitements inhumains ou dégradants s’ils sont renvoyés en Afghanistan. La communication est donc manifestement dénuée de fondement.

4.6En outre, les auteurs cherchent à faire appliquer les obligations découlant des articles 17 et 23 du Pacte de manière extraterritoriale. Cette partie de la communication est également incompatible ratione loci et ratione materiae avec les dispositions du Pacte. Le Danemark ne peut être tenu responsable des violations des articles 17 et 23 que pourrait commettre un autre État partie.

4.7Sur le fond, les auteurs n’ont pas communiqué d’informations qui n’aient déjà été examinées par la Commission de recours des réfugiés. L’État partie relève des divergences dans les déclarations faites par les auteurs aux autorités danoises en ce qui concerne le moment où ils ont eu des rapports sexuels, la manière dont F. M. a annoncé sa grossesse à R. M., leurs contacts après avoir eu des rapports sexuels pour la deuxième fois, le temps écoulé entre les fiançailles forcées de F. M. et leur fuite, le meurtre du frère de R. M. et le cousin de F. M. Comme elle l’a souligné lorsqu’elle a annoncé sa décision de ne pas rouvrir le dossier des auteurs le 10 décembre 2014, la Commission de recours des réfugiés a tenu compte, lorsqu’elle a apprécié les incohérences dans les déclarations des auteurs, d’une part, du temps écoulé depuis leur départ d’Afghanistan et du fait qu’ils sont analphabètes et, d’autre part, du fait que ces incohérences sont importantes et concernent des éléments à l’appui des demandes d’asile qui sont par ailleurs très simples et portent sur une très courte période de temps, la séquence des événements semblant être peu probable.

4.8Lorsqu’elle a examiné la relation secrète des auteurs, la Commission de recours des réfugiés a aussi tenu compte des informations générales pertinentes. Selon un rapport publié en mai 2012 sur la mission d’enquête menée par le Service danois de l’immigration à Kaboul du 25 février 2012 au 4 mars 2012, un institut de recherche indépendant à Kaboul a souligné que « les mariages en Afghanistan sont presque tous des mariages arrangés (…), et la culture en Afghanistan est telle qu’il est presque impossible d’avoir des relations hors mariage ou avant le mariage. La famille d’une jeune fille mobilisera un réseau autour d’elle pour la protéger et s’assurer qu’elle ne pourra engager aucune relation ». Bien qu’elle n’ait pas exclu que des relations hors mariage soient possibles − quoique très rarement − en Afghanistan, la Commission a estimé peu probable que les auteurs aient pu avoir des relations sexuelles à plusieurs reprises chez F. M., s’exposant ainsi à un risque évident d’être arrêtés et soumis à de graves sanctions tant de la part de leur famille que de la part des autorités. Interrogé le 18 février 2013, R. M. a déclaré qu’ils auraient été tués tous les deux s’ils avaient été surpris alors qu’il rendait visite à F. M. Il semble peu probable que les auteurs auraient couru ce risque, étant donné en particulier qu’aucun d’eux ne savait quand la famille de F. M. rentrerait chez elle. Les voisins auraient pu découvrir que R. M. rendait visite à F. M. chez elle pendant que le reste de sa famille était absent. R. M. ayant également déclaré qu’ils avaient tous deux regretté leur premier rapport sexuel, il semble de ce fait improbable qu’ils aient eu à nouveau des relations sexuelles. Les deux auteurs ont déclaré qu’ils avaient adopté une attitude discrète après leur deuxième relation sexuelle parce qu’ils étaient effrayés et inquiets.

4.9Selon le Country Marriage Pack − Afghanistan publié par le Centre de documentation des réfugiés (Irlande) en avril 2015, même si, en principe, la liberté de choisir son propre conjoint existe, les mariages en Afghanistan sont en général conclus après un accord entre deux familles. Les parties ne se sont en règle générale jamais rencontrées avant le mariage, et elles ne refuseraient jamais un mariage arrangé, car elles ne s’opposeraient pas aux souhaits de leur famille. Pour cette raison également, il semble peu probable que les auteurs aient même entamé une relation, et encore moins une relation sexuelle, compte tenu de la perception générale selon laquelle le mariage est un accord entre deux familles ou groupes qui n’a rien à voir avec le désir des intéressés eux-mêmes.

4.10L’État partie relève en outre des incohérences dans les déclarations des auteurs concernant leur départ d’Afghanistan et la naissance de leur fils. Les auteurs affirment avoir vécu à Istanbul pendant environ six mois, puis dans une chambre dans une maison à Athènes pendant environ un an, et prétendent que leur agent a payé le loyer pendant tout ce temps. Il est peu crédible qu’un ou plusieurs trafiquants d’êtres humains aient payé le loyer − et probablement aussi la nourriture − des auteurs pendant un an et demi au total. En outre, il semble étrange qu’aucun des deux auteurs n’ait pu fournir le moindre détail sur les quartiers où ils ont vécu à Istanbul et à Athènes. R. M. a déclaré à la Police danoise le 18 décembre 2012 puis au Service de l’immigration le 18 février 2013 que la Police grecque l’avait conduit avec F. M. dans un camp de réfugiés où on les avait enregistrés et pris en photo et où leurs empreintes digitales avaient été prises. Toutefois, il n’y a pas de résultats positifs dans Eurodac pour les auteurs en Grèce. Il semble également étrange que R. M., interrogé par le Service de l’immigration le 23 avril 2013, n’ait pas pu préciser quand son fils était né. Il n’a même pas été en mesure d’indiquer la période de l’année, ni s’il faisait chaud ou froid. Toutefois, il a pu affirmer avec certitude que leur fils avait 20 jours quand la famille avait tenté la première fois de quitter la Turquie pour la Grèce.

4.11La Commission de recours des réfugiés ne pouvait pas considérer la déclaration de F. M. concernant le risque de poursuites et sa déclaration concernant sa relation avec R. M comme des faits. Selon le rapport Afghanistan 2015 Human Rights Report publié par le département d’État des États-Unis le 13 avril 2016, qui était disponible lorsque la Commission a refusé de rouvrir le dossier d’asile des auteurs le 3 juin 2016, « en 2012, le Bureau du Procureur général a ordonné que l’on cesse de poursuivre les femmes pour “fugue”, celle-ci ne constituant pas une infraction au regard du droit ». Cela étant, comme la Commission ne peut considérer les déclarations des auteurs au sujet de leur situation, y compris celle concernant la fuite de F. M. loin de sa famille, comme des faits, l’État partie ne juge pas utile de commenter ce point plus avant.

4.12Les documents produits par les auteurs ont été traduits à la demande de la Commission de recours des réfugiés, ce pourquoi celle-ci en connaît bien la teneur. La Commission a conclu qu’aucune importance particulière ne pouvait être accordée au document produit par R. M. au sujet des circonstances du décès de son frère. Ce document semble confirmer que le frère de R. M. a été blessé le 12 juillet 2011 et est mort des suites de ses blessures. Il apparaît également que trois personnes ont été arrêtées en relation avec ce fait. Le document a apparemment été établi le 24 octobre 2012. La Commission a trouvé étrange que le frère de R. M. ait été tué plus d’un an après le départ des auteurs d’Afghanistan. Il a semblé également étrange que le document n’ait été établi que plus d’un an après que le frère de R. M. a été tué. Selon R. M., sa famille était au Pakistan à cette époque.

4.13L’autre document, qui semble être une déclaration du conseil des anciens du village des auteurs et n’a été produit que dans le cadre de la communication au Comité, ne saurait non plus avoir la moindre valeur probante. La Commission a mis l’accent sur le moment où le document a été produit et sur son contenu, notant également selon ce document, les auteurs se seraient enfuis le 23 juillet 2010, alors que R. M. a indiqué qu’ils avaient fui l’Afghanistan le 13 septembre 2010.

4.14Pour décider s’il y a lieu de demander une vérification de l’authenticité des documents produits par un demandeur d’asile, la Commission de recours des réfugiés procède à une appréciation d’ensemble de leur nature et de leur contenu, entre autres, en tenant compte de la possibilité que cette vérification puisse conduire à une appréciation différente des éléments de preuve, du moment et des circonstances de la production des documents et de la crédibilité de la déclaration du demandeur d’asile à la lumière des renseignements généraux disponibles concernant la situation dans le pays. La Commission n’est pas tenue de demander une vérification de l’authenticité dans tous les cas où un demandeur d’asile présente des documents à l’appui des raisons qui fondent sa demande. En l’affaire J. K. et autres c. Suède , la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas remis en question le fait que les autorités suédoises n’avaient pas demandé à vérifier l’authenticité des documents produits.Il est facile de se procurer des documents falsifiés en Afghanistan ; il existe en effet un marché noir pour les faux documents. Compte tenu des informations disponibles en l’espèce ainsi que de la nature et du contenu des documents produits, la Commission de recours des réfugiés n’a trouvé aucune raison de demander une vérification.

4.15Les allégations concernant la santé mentale de F. M. ne sont pas étayées. Elles ne sont pas non plus pertinentes pour déterminer si les auteurs risquent d’être victimes de persécution au sens de l’article 7 de la loi relative aux étrangers s’ils retournent en Afghanistan. L’affaire des auteurs n’est en outre pas comparable à l’affaire A. H. c. Danemark   car les circonstances sont très différentes.

4.16Le fait que les auteurs soient apparus à la télévision danoise et qu’ils aient répété les récits que la Commission n’avait pas considérés comme des faits ne peut conduire à une appréciation différente de l’affaire, étant donné que la Commission a rejeté leurs déclarations relatives aux motifs de leur demande d’asile. Il n’y a aucune raison de supposer que les auteurs risquent d’être persécutés car les informations communiquées au cours du programme de télévision ne peuvent être considérées comme exactes. En outre, selon leurs propres déclarations, les auteurs n’ont eu aucun problème avec les autorités afghanes et semblent donc, pour tout ce qui concerne celles-ci, être des personnes n’ayant pas attiré l’attention sur elles.

4.17En conclusion, la Commission de recours des réfugiés a tenu compte de toutes les informations pertinentes et des informations générales sur la situation en Afghanistan. Il ressort de la jurisprudence constante du Comité qu’il convient d’accorder le crédit voulu à l’appréciation faite par l’État partie, et qu’il appartient généralement aux États parties d’examiner et d’apprécier les faits et les éléments de preuve, sauf s’il est établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice. La présente communication n’a pas mis en lumière de nouvelles précisions quant à la situation des auteurs. Les auteurs n’ont pu déceler aucune irrégularité dans le processus décisionnel ni mis en évidence des facteurs de risque dont la Commission n’aurait pas dûment tenu compte. Ils cherchent à utiliser le Comité comme un organe d’appel pour obtenir le réexamen des circonstances factuelles invoquées à l’appui de leur demande d’asile. Or, le Comité doit accorder un poids considérable aux conclusions de la Commission de recours des réfugiés, qui est la mieux placée pour évaluer les circonstances factuelles dans le cas des auteurs. Il n’y a aucune raison de remettre en cause, ou a fortiori de rejeter, l’appréciation faite par la Commission selon laquelle les auteurs n’ont pas établi qu’il y a des motifs sérieux de croire qu’ils risqueraient d’être condamnés à mort ou d’être soumis à des traitements inhumains ou dégradants s’ils étaient renvoyés en Afghanistan.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Dans leurs commentaires du 17 novembre 2016, les auteurs affirment que leur renvoi en Afghanistan constituerait une violation des articles 6 et 7 du Pacte et qu’ils « n’ont pas d’autres commentaires à faire sur d’éventuelles violations des articles 17 et 23 du Pacte ».

5.2L’État partie semble fonder son appréciation de la crédibilité sur un niveau de preuve excessivement élevé dans les procédures d’asile. La Commission de recours des réfugiés a utilisé le critère de la « probabilité », alors que le critère approprié est celui du « raisonnablement possible », tel qu’il est utilisé dans les directives internationales pertinentes du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR).

5.3En ce qui concerne la recevabilité de la communication des auteurs, il existe un risque personnel et réel de préjudice qui découle à la fois d’une appréciation individualisée de la situation des auteurs et d’informations générales pertinentes. Les auteurs n’ont cessé d’exprimer leur crainte de subir des préjudices extrêmement graves de la part de la famille de F. M. ou des autorités afghanes, et les informations générales confirment les conséquences très graves de leurs relations sexuelles et de leur fuite. Ainsi, le préjudice irréparable qui sera causé aux auteurs est une conséquence nécessaire et prévisible de leur expulsion vers l’Afghanistan.

5.4Sur le fond, l’État partie relève un certain nombre d’incohérences mineures qui ne contredisent pas l’essentiel de la demande d’asile des auteurs. La jurisprudence internationale pertinente permet de conclure à la crédibilité nonobstant des contradictions mineures dans le récit du demandeur d’asile. Dans l’affaire E. U. R. c. Danemark , le Comité a conclu à une violation de l’article 7, considérant, entre autres, que les incohérences dans les dates elles-mêmes n’étaient pas suffisantes pour entamer la crédibilité de l’ensemble des allégations et que ces incohérences n’étaient pas d’une importance décisive au regard de l’allégation générale de l’auteur. Dans ce cas, comme dans celui de R. M., l’auteur ne connaissait pas le calendrier grégorien. F. M. est analphabète et n’a jamais été scolarisée.

5.5La Cour européenne des droits de l’homme a aussi souligné dans A. A. c. France qu’un simple décalage dans le déroulement chronologique des événements n’était pas de nature à ôter toute crédibilité aux allégations du requérant. La présente communication est analogue à cette affaire, étant donné qu’il existe de légères différences de chronologie entre les récits des auteurs. Dans R. C. c. Suède , la Cour a jugé que, contrairement à l’opinion des autorités suédoises, l’histoire de base du requérant était cohérente et crédible, même s’il y avait certaines incertitudes quant à la crédibilité de son évasion. Une telle jurisprudence étaye la conclusion selon laquelle l’essentiel des éléments de la demande d’asile des auteurs est bel et bien crédible.

5.6Les éventuelles incohérences dans les récits des auteurs doivent être comprises dans le contexte de l’ensemble des allégations et compte tenu de leur situation particulière. Dans le Guide et principes directeurs sur les procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés, le HCR souligne que « les déclarations du demandeur ne peuvent pas être prises dans l’abstrait et elles doivent être considérées dans le contexte général d’une situation concrète ». Le contexte général comprend un large éventail d’éléments, notamment « (…) les antécédents personnels du demandeur, son âge, sa nationalité, son origine ethnique, son sexe, son orientation sexuelle et/ou son identité de genre, son éducation, son statut social, sa religion et son origine culturelle ». À l’époque, F. M. était une orpheline analphabète de 16 ans élevée par son oncle ; elle n’a jamais fréquenté l’école sous aucune forme et a rarement quitté la maison. R. M. est allé à l’école pendant huit ans, mais n’a pas une compréhension mathématique du temps et ne connaissait pas le calendrier grégorien au moment de sa demande d’asile. Leurs incohérences sont tout à fait naturelles pour des demandeurs d’asile dans leur situation.

5.7Les incohérences dans les déclarations des auteurs doivent également être envisagées à la lumière des trois années qui se sont écoulées entre les événements et la décision de la Commission de recours des réfugiés. Selon le HCR, « les demandeurs peuvent ne pas être en mesure de se souvenir de tous les détails factuels ou de les raconter avec précision ou peuvent les confondre en raison du temps écoulé ou de l’intensité des événements passés. L’incapacité de se rappeler ou de fournir toutes les dates ou tous les détails mineurs, ou les incohérences mineures, les imprécisions formelles ou les déclarations incorrectes qui ne sont pas significatives peuvent être prises en considération dans l’appréciation finale de la crédibilité, mais ne devraient pas être utilisées comme facteurs décisifs ». Les incohérences dans les affirmations des auteurs ne concernent pas l’essentiel de leur demande d’asile et sont raisonnables compte tenu de leurs antécédents individuels et du temps qui s’est écoulé entre les événements en question et la procédure d’asile au Danemark.

5.8L’État partie note qu’un certain nombre d’éléments du récit des auteurs sont « peu probables ». Dans l’affaire J. K. et autres c. Suède , la Cour européenne des droits de l’homme a confirmé le principe du bénéfice du doute dans le contexte de l’appréciation de la crédibilité. C’est à tort que l’État partie affirme que les auteurs ont eu des relations sexuelles « plusieurs fois » au domicile de F. M., ceux-ci ayant dit n’en avoir eues que deux fois pendant la période considérée. Les informations générales pertinentes portent à croire que les relations extraconjugales sont possibles en Afghanistan. Le fait que de nombreuses femmes et filles soient accusées d’avoir des activités sexuelles indique que ces relations sont effectivement possibles, du moins dans une certaine mesure.

5.9L’État partie note que les auteurs n’ont pas pu fournir « le moindre détail » sur les lieux où ils ont vécu à Istanbul et à Athènes. C’est inexact. Le 22 octobre 2013, R. M. a déclaré devant la Commission de recours des réfugiés qu’ils avaient habité dans le quartier Aksara d’Istanbul et dans la rue Akharnoon à Athènes, près du parc Victoria. Le fait que F. M. ne puisse pas donner de précisions sur leur situation en Turquie et en Grèce est compatible avec son profil de jeune femme analphabète fuyant l’Afghanistan. L’État partie note également qu’il semble « étrange » que R. M. n’ait pu indiquer à quel moment est né son fils. R. M. a déclaré au cours de son dernier entretien avec les autorités danoises qu’il ne se souvenait pas de la date de naissance de son fils car c’était une période particulièrement stressante. Cela est compatible avec l’identité de R. M. qui est une personne peu instruite, ne connaissant pas le calendrier grégorien et fuyant l’Afghanistan.

5.10L’État partie semble aussi suggérer que la crainte qu’a F. M. d’être persécutée parce qu’elle s’est enfuie de chez elle n’est pas fondée. Plusieurs sources donnent des renseignements qui montrent clairement, cependant, que des poursuites continuent d’être engagées. Il existe également un risque réel qu’un « crime d’honneur » soit commis contre F. M. par sa famille. Par conséquent, il y a toute une série d’informations générales pertinentes qui montrent l’existence de conséquences extrêmement graves pour les femmes, comme F. M., qui fuient les mariages arrangés et les soupçons d’infractions morales (telles que les relations extraconjugales). Les informations de base vont également dans le sens de l’existence d’un risque réel pour R. M. ; les Principes directeurs du HCR relatifs à l’éligibilité́ indiquent que « les hommes dont le comportement est jugé contraire au droit coutumier sont également exposés à des mauvais traitements, notamment dans des situations où ils sont accusés d’adultère ou de relations sexuelles extraconjugales ». En conclusion, ces informations générales étayent les allégations des auteurs qui affirment que c’est à raison qu’ils craignent d’être persécutés à cause de leur liaison extraconjugale et de leur fuite d’Afghanistan.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Le 17 mai 2017, l’État partie a fait valoir que les commentaires des auteurs n’apportaient aucune information nouvelle sur leur situation. Il informe également le Comité que les auteurs ont eu un troisième enfant le 14 juillet 2016.

6.2En ce qui concerne l’allégation des auteurs qui affirment que la Commission de recours des réfugiés semble fonder son appréciation de la crédibilité sur un niveau de preuve excessivement élevé, il découle de l’article 40 de la loi relative aux étrangers qu’un étranger doit communiquer les informations nécessaires pour qu’il soit décidé si cette personne relève de l’article 7 de cette loi. Il incombe donc au demandeur d’asile de faire en sorte qu’il soit probable que les conditions d’octroi de l’asile soient remplies. Lors de l’examen d’une demande d’asile, le demandeur d’asile est informé de cette obligation de fournir des renseignements et on lui dit qu’il importe de donner toutes les informations pertinentes. La Commission de recours des réfugiés est libre d’apprécier les éléments de preuve ; cette appréciation n’est donc pas régie par des règles spéciales en matière de preuve.

6.3La Commission cherche à déterminer quels éléments peuvent être considérés comme des faits. Si les déclarations du demandeur d’asile semblent cohérentes et constantes, elle les considérera normalement comme des faits. Lorsque les déclarations du demandeur d’asile se caractérisent tout au long de la procédure par des incohérences, des changements, des ajouts ou des omissions, la Commission tentera d’en clarifier les raisons. Dans de nombreux cas, les déclarations du demandeur d’asile deviendront plus détaillées et plus précises au cours de la procédure. Il peut y avoir plusieurs raisons à cela, telles que l’évolution de la procédure et de la situation particulière du demandeur d’asile, dont la Commission tiendra compte dans son appréciation de la crédibilité de l’intéressé.

6.4Toutefois, les déclarations incohérentes faites par le demandeur d’asile au sujet d’éléments cruciaux des motifs pour lesquels il demande l’asile peuvent affaiblir sa crédibilité. L’une des circonstances dont la Commission tiendra compte est ce que dira le demandeur d’asile pour expliquer ses incohérences. La Commission tiendra compte de la situation particulière du demandeur d’asile, notamment des différences culturelles, de son âge et de son état de santé. Une attention particulière est accordée aux demandeurs d’asile analphabètes.

6.5Il découle des paragraphes 206 à 219 du Guide et principes directeurs du HCR sur les procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés que, dans certaines situations, il peut être nécessaire, en raison de l’âge ou de l’état mental du demandeur d’asile, de mettre davantage l’accent sur des circonstances objectives que sur les déclarations faites par l’intéressé au cours de la procédure. La Commission de recours des réfugiés évaluera la capacité du demandeur d’asile de se plier à la procédure et sera d’une manière générale moins exigeante en ce qui concerne la charge de la preuve dans les cas d’enfants demandeurs d’asile ou de demandeurs d’asile souffrant de troubles mentaux ou de déficiences mentales. Enfin, elle appréciera toujours la mesure dans laquelle le principe du bénéfice du doute doit être appliqué en cas de doute sur la crédibilité du demandeur d’asile.

6.6La Commission de recours des réfugiés a tenu compte de la situation particulière des auteurs, notamment du fait que F. M. est analphabète. R. M. est cependant allé à l’école pendant huit ans et a suivi des cours d’anglais privés pendant huit mois. Il n’est donc pas exact que, comme l’indiquent les auteurs dans leurs commentaires en date du 17 novembre 2016, R. M. est « peu instruit ». En outre, les affaires citées par les auteurs ne sont pas comparables à la leur.

Nouveaux commentaires des auteurs

7.1Le 11 août 2017, les auteurs ont contesté l’affirmation de l’État partie qui prétend qu’ils cherchent à utiliser le Comité comme un organe d’appel. Dans plusieurs affaires, l’État partie n’a pas respecté les recommandations du Comité.

7.2R. M. avait un très bon emploi en Afghanistan, travaillant avec son père dans leur propre entreprise, qui employait plusieurs personnes. Il avait un bon niveau de vie et n’avait donc aucune raison de quitter son pays, n’était le conflit qu’il fait valoir. Les auteurs auraient pu avoir « une vie bien meilleure » en Afghanistan qu’au Danemark, où ils sont demandeurs d’asile. Cet élément devrait aussi être pris en compte dans l’appréciation de leur crédibilité par le Comité. Le Comité peut également apprécier les éléments factuels de l’affaire, et il n’appartient pas uniquement à la Commission de recours des réfugiés de le faire, comme l’a déclaré l’État partie.

7.3Même si R. M. est allé à l’école pendant huit ans, sa scolarité a été interrompue à plusieurs reprises à cause de la guerre. De plus, les cours d’anglais qu’il a suivi pendant huit mois avaient lieu deux fois par semaine et duraient une heure et demie.

7.4Il est impossible aux auteurs de retourner en Afghanistan. La tante de R. M. vit près de chez l’oncle de F. M., donc les familles seront alertées si les auteurs reviennent. Les auteurs ont maintenant trois enfants, de sorte qu’il leur serait difficile de s’installer ailleurs en Afghanistan où ils n’ont pas de famille. Leur histoire a en outre été exposée dans la presse et à la télévision ; leur demande d’asile au Danemark est de notoriété publique et rendrait également difficile leur retour en Afghanistan.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Le Comité note que les auteurs affirment avoir épuisé tous les recours internes utiles disponibles. En l’absence de toute objection de l’État partie sur ce point, il considère que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la communication.

8.4Le Comité prend note de l’allégation des auteurs qui affirment que l’État partie, s’il les renvoyait de force avec leurs enfants en Afghanistan, commettrait une violation des droits qu’ils tiennent des articles 6, 7, 17 et 23 du Pacte.

8.5Le Comité note tout d’abord que les auteurs ont allégué une violation des articles 17 et 23 du Pacte, mais n’ont pas apporté d’informations, d’éléments de preuve ou d’explications quant à la manière dont l’État partie, en les renvoyant en Afghanistan, commettrait une violation des droits qu’ils tiennent de ces articles. Il conclut donc que cette partie de la communication n’est pas suffisamment étayée, et la déclare irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.6 Le Comité prend note du fait que l’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif que le grief de violation des articles 6 et 7 du Pacte soulevé par les auteurs n’est pas étayé. Il considère toutefois qu’aux fins de la recevabilité, les auteurs ont suffisamment expliqué les raisons pour lesquelles ils craignent que leur retour forcé en Afghanistan ne leur fasse courir un risque de traitement contraire aux articles 6 et 7 du Pacte. Le Comité déclare par conséquent la communication recevable en ce qu’elle soulève des questions au regard des articles 6 et 7, et procède à son examen au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

9.2Le Comité prend note de l’affirmation des auteurs selon laquelle en cas de renvoi en Afghanistan, ils seraient exposés au risque de subir un préjudice irréparable, en violation des articles 6 et 7 du Pacte. Le Comité prend note également de l’argument des auteurs selon lequel F. M. ferait l’objet de poursuites pénales pour relations sexuelles extraconjugales et fugue, et R. M. ferait l’objet de poursuites pénales pour adultère et serait victime d’un acte de vengeance meurtrière de la part de la famille de son épouse. Il prend note en outre de l’argument des auteurs selon lequel leur affaire a été rendue publique par les médias danois et est également probablement connue des médias afghans. Le Comité relève également que l’État partie a reconnu, en se fondant sur diverses informations, que des relations hors mariage puissent se produire −quoique rarement− en Afghanistan, et que les mariages en Afghanistan sont en général des mariages arrangés conclus après un accord entre deux familles.

9.3Le Comité rappelle son observation générale no 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, dans laquelle il a fait référence à l’obligation qu’ont les États parties de ne pas extrader, déplacer ou expulser quelqu’un ou le transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable, tel que le préjudice envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte (par. 12). Le Comité a aussi indiqué que le risque devait être couru personnellement et qu’il fallait des motifs sérieux pour conclure à l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable. C’est pourquoi tous les faits et circonstances pertinents doivent être pris en considération, notamment la situation générale des droits de l’homme dans le pays d’origine de l’auteur.

9.4Le Comité rappelle que c’est généralement aux organes des États parties qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée afin de déterminer s’il existe un tel risque, à moins qu’il ne soit établi que cette appréciation a été clairement arbitraire ou manifestement erronée, ou qu’elle a constitué un déni de justice.

9.5Le Comité prend note du fait que la Commission de recours des réfugiés a conclu que les auteurs n’avaient pas établi qu’il y avait des motifs sérieux de croire que, du fait de leur relation extraconjugale, ils risqueraient d’être condamnés à la peine de mort ou d’être soumis à des peines ou traitements inhumains ou dégradants s’ils étaient renvoyés en Afghanistan, et qu’ils manquaient de crédibilité. À cet égard, le Comité prend note de ce que la Commission a relevé des divergences dans les déclarations des auteurs en ce qui concernait le moment où ils ont eu des rapports sexuels, leurs contacts réguliers, la fuite de F. M. et le meurtre du frère de R. M. par la famille de F. M.

9.6Cependant, pour le Comité, le critère reste celui de savoir si, indépendamment de la véracité des déclarations d’un demandeur d’asile donné, il y a des motifs sérieux de croire que les circonstances invoquées peuvent avoir des conséquences négatives graves dans le pays d’origine de celui-ci, de nature à créer un risque réel de préjudice irréparable tel que celui envisagé par les articles 6 et 7 du Pacte. En conséquence, même lorsqu’elles concluent que le récit d’un demandeur d’asile présente des incohérences sur certains points, les autorités devraient apprécier si, dans les circonstances de l’affaire, le comportement du demandeur d’asile et les activités auxquelles il s’est livré en lien avec ses déclarations, ou pour les justifier, pourraient avoir des conséquences négatives graves dans son pays d’origine, de nature à l’exposer à un risque de préjudice irréparable.

9.7En l’espèce, le Comité constate qu’il n’est pas contesté que les auteurs avaient des relations sexuelles extraconjugales, et que ce qui est contesté est principalement les circonstances dans lesquelles leur relation s’est inscrite. Les autorités danoises n’ont pas non plus contesté que le premier enfant des auteurs a été conçu en Afghanistan ou que les auteurs n’étaient pas mariés à cette époque. En outre, les autorités danoises ont rejeté les éléments de preuve concernant le meurtre du frère de R. M., jugeant qu’ils avaient été fabriqués pour l’occasion, sans toutefois vérifier les faits, mais en s’appuyant seulement sur l’observation selon laquelle il était facile de se procurer des documents falsifiés en Afghanistan et il y existait un marché noir pour cela. Le Comité constate que la Commission a fondé son raisonnement sur des incohérences dans les déclarations des auteurs et a conclu qu’ils n’avaient pas démontré qu’il était probable qu’ils courraient un risque de subir des persécutions ou de violences de la part de membres de leur famille ou de tiers.

9.8Le Comité rappelle que les États parties doivent accorder un poids suffisant au risque réel et personnel qu’une personne pourrait courir si elle était expulsée et considère qu’il incombait à l’État partie de procéder à une évaluation personnalisée du risque que les auteurs et leurs enfants courraient en Afghanistan, plutôt que de concentrer son attention sur certaines incohérences dans leurs déclarations. Le Comité relève en particulier que la Commission n’a pas apprécié si la relation extraconjugale des auteurs pouvait avoir des conséquences négatives graves dans leur pays d’origine, de nature à les exposer à un risque de préjudice irréparable. Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que l’État partie n’a pas apprécié correctement le risque réel et prévisible que les auteurs courraient personnellement s’ils revenaient en Afghanistan. En conséquence, il conclut que l’État partie n’a pas dûment pris en considération les conséquences de la situation personnelle des auteurs dans leur pays d’origine.

10.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que l’expulsion des auteurs vers l’Afghanistan, s’il y était procédé, violerait les droits que les intéressés tiennent des articles 6 et 7 du Pacte.

11.Conformément au paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte, qui dispose que les États parties s’engagent à respecter et à garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence les droits reconnus dans le Pacte, l’État partie est tenu de procéder à un réexamen de l’affaire des auteurs, en tenant compte des obligations mises à sa charge par le Pacte ainsi que des présentes constatations. L’État partie est également prié de ne pas expulser les auteurs tant que leur demande d’asile est en cours de réexamen.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.

Annexe I

Opinion individuelle (dissidente) de Shuichi Furuya

1.Je ne suis pas en mesure de souscrire à la conclusion du Comité selon laquelle l’expulsion des auteurs vers l’Afghanistan, s’il y était procédé, violerait les droits que les intéressés tiennent des articles 6 et 7 du Pacte.

2.Cette conclusion repose essentiellement sur le fait que l’État partie, ne retenant que les contradictions figurant dans les déclarations des auteurs, n’a pas évalué le risque réel de préjudice irréparable auquel ceux-ci pourraient être exposés (par. 9.8). Il me semble toutefois que cette conclusion ne tient pas compte de la structure de la procédure de détermination du statut de réfugié. L’évaluation de la probabilité qu’un demandeur d’asile soit l’objet de persécutions dans son pays d’origine comprend deux étapes : la première consiste à confirmer les faits allégués par le demandeur d’asile et à déterminer pour quels motifs il risquerait d’être persécuté ; la deuxième consiste à évaluer si ces faits entraîneraient un risque réel de persécution au vu de la situation dans le pays en question, et dans quelle mesure. À cet égard, il est indispensable, avant de procéder à l’appréciation du risque, de vérifier la véracité des déclarations et des documents que le demandeur d’asile a fournis pour expliquer sa situation.

3.En l’espèce, toutefois, il est inexact d’affirmer que les autorités danoises n’ont pas procédé à une appréciation individualisée du risque que les auteurs courraient en Afghanistan. Au contraire, il ressort clairement des observations de l’État partie que les autorités ont examiné les faits allégués par les auteurs en écoutant réellement leurs déclarations et en vérifiant les documents qu’ils avaient produits, afin d’apprécier ce risque. Cependant, cet examen a conduit les autorités à conclure que les déclarations et documents produits par les auteurs étaient, sur de nombreux points essentiels, sujets à caution. Lorsque les faits allégués ne sont pas suffisamment crédibles, il est raisonnable que les autorités ne passent pas − ou ne soient pas en mesure de passer − à la seconde étape, à savoir l’évaluation du risque de préjudice irréparable que pourraient courir les auteurs.

4.Ainsi que le Comité le rappelle au paragraphe 9.4, c’est généralement aux organes de l’État partie qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée afin de déterminer s’il existe un tel risque, à moins qu’il ne soit établi que cette appréciation a été clairement arbitraire ou manifestement erronée, ou qu’elle a constitué un déni de justice. Le Comité devrait donc vérifier si l’évaluation à laquelle ont procédé les autorités danoises de la crédibilité des déclarations et documents produits par les auteurs a été adéquate, afin qu’elle ne puisse pas être considérée comme clairement arbitraire ou manifestement erronée.

5.Conformément à la jurisprudence du Comité, il incombe aux auteurs d’établir s’il y a eu arbitraire ou erreur manifeste dans l’évaluation réalisée par les autorités danoises. En l’espèce, les autorités ont entendu les auteurs à plusieurs reprises et examiné les documents pertinents, mais ont émis des doutes sur des éléments décisifs pour l’évaluation de l’existence d’un risque de persécution, comme le moment où les relations sexuelles ont eu lieu (par. 2.2, note 5, et par. 4.8), le départ des auteurs d’Afghanistan, leurs séjours en Turquie et en Grèce et la naissance de leur enfant (par. 4.10), ainsi que le meurtre du frère de R.M. (par. 2.1, note 3, et par. 4.12). Par conséquent, il incombait aux auteurs de démontrer au Comité que les autorités avaient fait erreur en doutant de la crédibilité de leurs déclarations et des documents qu’ils avaient produits. Il me semble cependant que les auteurs n’ont pas répondu à ces doutes en apportant des éléments probants, et qu’ils n’ont donc pas convaincu le Comité que leurs déclarations et les documents produits étaient suffisamment dignes de foi pour qu’il puisse conclure que l’évaluation des autorités était erronée au point de pouvoir être considérée comme clairement arbitraire.

6.Compte tenu de ce qui précède, je dois conclure que le grief de violation des articles 6 et 7 n’est pas suffisamment étayé aux fins de la recevabilité, et que cette partie de la communication est donc irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

Annexe II

Opinion conjointe (dissidente) de Photini Pazartzis, Yuval Shany et Andreas Zimmermann

1.Nous regrettons de ne pas pouvoir nous rallier à la majorité des membres du Comité pour conclure que s’il faisait exécuter sa décision d’expulser les auteurs vers l’Afghanistan, le Danemark violerait les obligations mises à sa charge par les articles 6 et 7 du Pacte.

2.Au paragraphe 9.4, le Comité rappelle que c’est généralement aux organes de l’État partie qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée afin de déterminer s’il existe un tel risque, à moins qu’il ne soit établi que cette appréciation a été clairement arbitraire ou manifestement erronée, ou qu’elle a constitué un déni de justice. En dépit de cette affirmation, la majorité des membres du Comité a rejeté la conclusion factuelle du Service danois de l’immigration et de la Commission de recours des réfugiés, qui ont estimé que les auteurs n’avaient pas établi l’existence de motifs d’octroi de l’asile parce que leurs allégations relatives au risque qu’ils fassent l’objet de graves sanctions de la part de leurs deux familles ainsi que des autorités manquaient de crédibilité du fait des contradictions nombreuses et importantes de leurs déclarations (par. 4.3).

3.La majorité a fondé sa position sur le fait que l’État partie n’a pas examiné si la relation extraconjugale des auteurs pouvait avoir des conséquences négatives graves dans leur pays d’origine, de nature à les exposer à un risque de préjudice irréparable (par. 9.8). Elle a estimé qu’il incombait à l’État partie de procéder à une évaluation personnalisée du risque que les auteurs et leurs enfants courraient en Afghanistan, au lieu de ne retenir que les incohérences de leurs déclarations (par. 9.8).

4.Nous ne partageons pas l’analyse présentée par la majorité. Toutes les allégations formulées par les auteurs ont fait l’objet d’un examen approfondi par le Service danois de l’immigration et la Commission de recours des réfugiés, lesquels les ont rejetées comme manquant de crédibilité en raison de contradictions graves dans les déclarations des auteurs, rendant leur récit des événements peu vraisemblable (par. 4.7). De plus, les documents produits semblaient avoir été fabriqués et ne concordaient pas avec les déclarations des auteurs (par. 4.3) ; par exemple, les auteurs ont fait plusieurs déclarations contradictoires au sujet du moment où avait démarré leur relation extraconjugale (note 20), des circonstances dans lesquelles F.M. avait annoncé sa grossesse à R.M. (note 21), de la fréquence de leurs rencontres pendant leur liaison (note 22) et du moment où ils s’étaient enfuis de chez eux (note 23). Les autorités danoises ont également exprimé des doutes quant à la probabilité que les auteurs aient entretenu une relation extraconjugale chez F.M. et au domicile de sa tante, compte tenu des coutumes sociales en Afghanistan, et quant au fait que le meurtre du frère de R.M., s’il avait bien eu lieu, avait un lien avec la relation extraconjugale des auteurs, étant donné le temps écoulé entre la fugue du couple et le meurtre.

5.Ces contradictions et invraisemblances ont été jugées importantes par les autorités danoises − lesquelles, contrairement au Comité, se sont fait leur propre impression sur les auteurs − et ont entraîné le rejet des motifs d’asile. Nous ne voyons dans les informations dont nous disposons aucune raison de considérer que les conclusions du Service danois de l’immigration et de la Commission de recours des réfugiés concernant la crédibilité des auteurs et l’incidence de ces conclusions sur leur appréciation du risque aient été clairement arbitraires, manifestement erronées ou aient constitué un déni de justice. Nous estimons par conséquent que la majorité des membres du Comité n’a pas correctement appliqué le critère d’appréciation fixé par celui-ci, et n’a pas suivi la position établie de longue date selon laquelle le Comité n’est pas une quatrième instance compétente pour réexaminer les conclusions de fait.

6.Dans de précédentes affaires dans lesquelles il a estimé que la décision des organes de l’État d’expulser une personne était contraire au Pacte, le Comité s’est efforcé de fonder sa position sur des carences du processus décisionnel interne, comme le fait qu’il n’ait pas été tenu suffisamment compte des preuves disponibles ou des droits spécifiques que l’auteur tenait du Pacte, qu’il y ait eu de graves failles dans la conduite de la procédure interne d’examen, ou l’incapacité de l’État partie de donner à sa décision une justification raisonnable.

7.En l’espèce, la majorité des membres du Comité relève deux failles éventuelles de la procédure d’asile au Danemark : l’absence de prise en compte des risques liés à la relation extraconjugale, et le rejet par l’État partie du document attestant le meurtre du frère de F.M. en raison de la facilité de se procurer des documents falsifiés en Afghanistan (par. 9.7). Nous contestons également cet aspect de l’analyse de la majorité.

8.Les multiples contradictions dans le récit des événements fait par les auteurs ont conduit l’État partie à estimer que l’allégation selon laquelle les auteurs avaient fui leurs familles n’était étayée par aucun fait (par. 4.11). L’État partie a aussi observé que la « fugue » ne constitue plus une infraction au regard du droit pénal en Afghanistan (par. 4.11). Dans ces conditions, les auteurs doivent démontrer – ce qu’ils n’ont pas fait – que les couples mariés, comme celui qu’ils forment, risquent véritablement d’être l’objet de persécutions en Afghanistan en raison de leurs relations sexuelles prénuptiales, et que les détails de leur histoire personnelle seraient de notoriété publique en Afghanistan et propres à attirer l’attention des autorités ou de la société en général.

9.Dans le même ordre d’idées, nous ne pouvons pas conclure que la position de l’État partie selon laquelle − dans les circonstances particulières de l’espèce − une vérification indépendante de l’authenticité du document attestant le décès du frère n’était pas nécessaire, soit déraisonnable. Nous observons à cet égard que les auteurs n’ont pas expliqué en quoi une telle vérification aurait pu remédier au grave manque de crédibilité de leurs déclarations concernant les circonstances de leur départ d’Afghanistan et celles du meurtre.

10.Au vu de ces éléments, nous ne considérons pas comme établi que la procédure ait été entachée d’une irrégularité devant nous conduire à douter du résultat de la procédure d’asile ou de son équité.