Nations Unies

CCPR/C/121/D/2643/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

22 décembre 2017

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2643/2015 * , **

Communication présentée par :

M. P. (représentée par un conseil, Eddie Omar Rosenberg Khawaja)

Au nom de :

L’auteure et ses deux enfants mineurs

État partie :

Danemark

Date de la communication :

13 août 2015 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application des articles 92 et 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 17 août 2015 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

9 novembre 2017

Objet :

Expulsion de l’auteure du Danemark vers Sri Lanka

Question(s) de procédure :

Irrecevabilité − défaut manifeste de fondement ; griefs insuffisamment étayés

Question(s) de fond :

Risque de torture et de mauvais traitements en cas de renvoi dans le pays d’origine

Article(s) du Pacte :

7 et 13

Article(s) du Protocole facultatif :

2, 3 et 5 (par. 2 a) et b))

1.1L’auteure de la communication est M. P. née le 2 juillet 1976. Elle soumet la communication en son nom et au nom de ses deux enfants mineurs, A. M. P. (né le 11 mars 2003) et A. N. P. (né le 24 août 2005). Tous sont de nationalité sri-lankaise. L’auteure et ses enfants sont sous le coup d’une mesure d’expulsion vers Sri Lanka à la suite du rejet de leur demande d’asile par la Commission danoise de recours des réfugiés le 20 juin 2013, puis le 22 juin 2015. Ils vivent au centre d’asile de Sandholm, à Birkerød (Danemark), en attendant leur expulsion. L’auteure affirme qu’en les renvoyant de force à Sri Lanka, le Danemark violerait les droits qu’elle et ses enfants tiennent de l’article 7 du Pacte. Elle affirme également que l’État partie a violé les droits qu’elle tient de l’article 13 du Pacte, étant donné que la Commission de recours des réfugiés n’a pas tenu d’audience avant l’adoption de ses décisions du 10 janvier 2014 et du 22 juin 2015. Elle a demandé que des mesures provisoires soient prises pour empêcher le renvoi à Sri Lanka. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Danemark le 23 mars 1976. L’auteure est représentée par un conseil.

1.2Le 17 août 2015, en application de l’article 92 de son règlement intérieur, le Comité a prié l’État partie, par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, de surseoir à l’expulsion de l’auteure et de ses enfants vers Sri Lanka tant que la communication serait à l’examen. Le 21 août 2015, la Commission de recours des réfugiés a suspendu jusqu’à nouvel ordre le délai fixé pour le départ de l’auteure et de ses enfants du Danemark, conformément à la demande du Comité. Le 17 mars 2016, l’État partie a demandé la levée des mesures provisoires, l’auteure n’ayant pas établi la probabilité d’un risque de préjudice irréparable si elle et ses enfants étaient renvoyés à Sri Lanka. Il a renouvelé sa demande le 17 janvier 2017.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1L’auteure est originaire de Kilinochchi, dans le nord de Sri Lanka. Elle est d’origine tamoule et de confession hindoue. Elle a quatre frères et une sœur. Sa famille a des liens étroits avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE). Ses deux parents et trois de ses jeunes frères ont été affiliés aux LTTE. Lorsqu’elle avait 7 ans, son père a été tué par l’armée sri-lankaise en raison de ces liens. Un de ses frères a été tué au combat lors d’affrontements entre l’armée sri-lankaise et les LTTE. Un autre frère cadet, qui a aujourd’hui autour de 35 ans, a été incarcéré par les autorités de 2009 à 2012 en tant que membre actif des LTTE. Sous la pression, il a donné les noms de ses frères et sœurs aux autorités, y compris le nom de l’auteure.

2.2L’auteure a également été affiliée aux LTTE, pour qui elle a travaillé dès son enfance. Plus tard, elle a assuré des activités de secrétariat et recruté de nouveaux membres pour l’organisation. Elle a également cuisiné pour les LTTE et prodigué des soins à certains de leurs membres. En outre, elle a aidé à préparer les corps pour des funérailles et à s’occuper d’orphelins dont les parents avaient été affiliés aux LTTE.

2.3En 2009, le troisième frère cadet de l’auteure a été interrogé et brutalisé par les autorités en raison des activités des autres frères pour les LTTE. En conséquence, il souffre aujourd’hui d’un handicap permanent. Le frère aîné de l’auteur a également été affilié aux LTTE. Rentré à Sri Lanka depuis la République de Corée en 2012, il a depuis été porté disparu. La sœur de l’auteure vit au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, où elle et son mari ont obtenu une protection.

2.4L’auteure est entrée (illégalement) en Suisse en 2001. Elle se serait vu accorder le statut de personne protégée en Suisse en 2001 en raison de ses liens avec les LTTE. En Suisse, l’auteure a rencontré son ex-mari, qui est également le père de ses enfants, nés en 2003 et 2005. Lorsqu’ils étaient encore mariés, celui-ci a eu des comportements très violents à son égard ; elle l’a dénoncé plusieurs fois à la police. L’auteure affirme qu’elle a reçu de son ancien avocat plusieurs documents attestant de ces accès de violence, mais que la police suisse les lui a pris. Ces documents ne lui ont jamais été restitués et ils ne sont pas non plus en possession de la police danoise ou du Service danois de l’immigration.

2.5En Suisse, le mari de l’auteure a été déclaré coupable de violences conjugales et condamné à trois ans d’emprisonnement. En raison de ce jugement, il devait être expulsé de Suisse vers Sri Lanka une fois qu’il aurait purgé sa peine, mais avant d’être expulsé de Suisse il a obligé l’auteure et ses enfants à l’accompagner au Danemark. Comme l’auteure refusait de partir, il lui a fait prendre un sédatif pour la forcer à se rendre au Danemark. L’auteure et son mari sont arrivés au Danemark le 25 mai 2012 sans documents de voyage valides. Le 29 mai 2012, ils ont présenté une demande d’asile.

2.6Au Danemark, le mari de l’auteure l’a obligée à faire une fausse déclaration quant à son identité et aux motifs d’asile pour éviter un renvoi en Suisse. Les demandes d’asile de l’auteure et de sa famille ont donc été examinées au Danemark. Ayant subi de fortes pressions de son mari, l’auteure a fait la fausse déclaration mentionnée dans la décision rendue par le Service danois de l’immigration le 20 décembre 2012. Comme motif d’asile, l’ex-mari de l’auteure a indiqué qu’il avait été détenu par l’armée en août 2009. L’auteure a déclaré qu’elle s’était alors adressée au camp de l’armée sri-lankaise le plus proche pour demander des informations sur le sort de son mari. À cette occasion, elle aurait subi des violences sexuelles de la part des militaires. Après cela, jusqu’en 2010, des membres de l’armée sri-lankaise se seraient régulièrement rendus chez elle, continuant de lui infliger des violences sexuelles. Le Service danois de l’immigration a décidé de rejeter la demande d’asile de l’auteure. Cette décision a été confirmée par la Commission danoise de recours des réfugiés le 20 juin 2013. La Commission a estimé que le mari de l’auteure n’avait que très peu de liens avec les LTTE et que, par conséquent, il n’y avait pas lieu de lui accorder un permis de séjour ainsi qu’à sa famille.

2.7L’auteure avait très peur de son mari, qui avait menacé de la tuer et d’enlever leurs enfants si elle ne corroborerait pas sa version. Le mari avait également agressé l’auteure et ses enfants physiquement. Cela a été confirmé par des certificats datant du début de 2013 du psychologue de l’auteure figurant dans le dossier médical de celle-ci. Le 26 février 2013, le psychologue a noté que l’auteure « donnait l’impression de quelqu’un qui avait dû se maquiller pour masquer son visage ».

2.8En 2013, l’ex-mari de l’auteure a été renvoyé à Sri Lanka après avoir agressé une autre personne au Danemark. L’auteure a témoigné contre son ex-mari à ce sujet. Après son retour à Sri Lanka, l’ex-mari de l’auteure l’a contactée par téléphone et a menacé de la tuer si elle revenait à Sri Lanka.

2.9Après le retour de son ex-mari à Sri Lanka, l’auteure a estimé qu’elle pouvait en toute sécurité exposer les véritables motifs de sa demande d’asile au Danemark. Le 24 juin 2013, elle a adressé une lettre à la Commission danoise de recours des réfugiés pour demander la réouverture de son dossier, en faisant part de ses véritables motifs. Le 17 septembre 2013, la Commission a refusé de rouvrir le dossier de l’auteure. Le 10 janvier 2014, la Commission a de nouveau rejeté la demande de l’auteure au motif qu’elle n’avait fourni aucun élément nouveau pouvant justifier un réexamen de la décision de rejet de sa demande d’asile. Le 16 janvier 2014, la demande de résidence pour motifs d’ordre humanitaire présentée par l’auteure le 26 juin 2013 a été rejetée par le Ministère danois de la justice.

2.10À la suite de ces décisions négatives, l’auteure est retournée en Suisse le 19 janvier 2014, mais elle a été renvoyée au Danemark en juillet 2014 en vertu de la Convention de Dublin sur la détermination de l’État responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres des Communautés européennes (la Convention de Dublin). Le 20 novembre 2014, le Conseil danois pour les réfugiés a de nouveau demandé à la Commission de rouvrir le dossier la concernant. Pour justifier sa demande, le Conseil a notamment indiqué que l’auteure, avant d’entrer au Danemark le 25 mai 2012, avait été titulaire d’un permis de résidence en Suisse depuis 2001, et qu’elle avait subi des violences sexuelles de la part de son ex-mari.

2.11Le 22 juin 2015, la Commission a de nouveau refusé de rouvrir le dossier de l’auteure, estimant que la nouvelle déclaration de celle-ci sur les risques de mauvais traitements auxquels elle serait exposée du fait qu’elle et sa famille avaient été affiliées aux LTTE n’était pas crédible. L’auteure avait fait valoir que sa nouvelle déclaration était la même que celle qu’elle avait faite en Suisse où elle aurait obtenu l’asile, ce qui, selon la logique de la Commission, signifiait que l’auteure avait fait de fausses déclarations en Suisse et au Danemark. Selon l’auteure, la Commission a insisté sur le fait qu’aucune nouvelle information importante n’avait été présentée en plus des éléments connus au moment de l’audience initiale. La Commission s’est fondée sur sa décision du 20 juin 2013, dans laquelle elle avait notamment déclaré qu’indépendamment de la question de savoir si elle pouvait considérer les déclarations de l’auteure comme véridiques, la majorité de ses membres n’avait trouvé aucune raison d’octroyer un permis de séjour aux intéressés en vertu de l’article 7 de la loi sur les étrangers étant donné que les liens du mari avec les LTTE étaient très limités. La Commission a également conclu que le fait que les soldats de l’armée sri-lankaise aient fait subir des violences sexuelles à l’auteure en 2009 et 2010 ne pouvait pas en soi justifier l’octroi d’un permis de résidence. Selon la Commission, l’affirmation de l’auteure selon laquelle son retour à Sri Lanka l’exposerait à un risque de mauvais traitements en raison de son affiliation et de celle de sa famille aux LTTE et des menaces proférées par son ex-mari ne justifiait pas non plus une appréciation différente. L’auteure précise que la Commission a aussi conclu que les conditions généralement difficiles pour les femmes dans le nord-est de Sri Lanka et la situation des Tamouls n’étaient pas de nature à justifier à elles seules l’octroi d’un permis de résidence.

2.12L’auteure affirme avoir épuisé tous les recours internes utiles qui lui étaient ouverts puisque les décisions de la Commission ne sont pas susceptibles d’appel devant les tribunaux danois. Elle n’a pas saisi d’autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure affirme que le Danemark violerait les obligations qui lui incombent en vertu de l’article 7 du Pacte en la renvoyant de force à Sri Lanka avec ses enfants mineurs.

3.2L’auteure craint d’être arrêtée par les autorités, avec ses enfants, dès son arrivée à Sri Lanka en raison de son affiliation et de celle de sa famille aux LTTE, et de subir des traitements contraires à l’article 7 du Pacte. Elle craint en particulier d’être détenue, battue, violée ou torturée par l’armée sri-lankaise et de finir tuée ou handicapée à vie comme son frère. Elle craint également d’être victime de violences aux mains de son ex-mari, qui a menacé de la tuer si elle rentrait à Sri Lanka. Elle ne peut pas demander la protection des autorités sri-lankaises de crainte d’attirer l’attention et de s’exposer ce faisant à un risque accru de mauvais traitements en raison de ses liens avec les LTTE.

3.3 En outre, l’auteure a présenté plusieurs rapports et articles relatifs à la violence sexuelle contre les Tamouls, ainsi que des articles sur les demandeurs d’asile déboutés rentrant à Sri Lanka, qui risquent d’être soumis à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Par exemple, selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), les demandeurs d’asile déboutés et les réfugiés rapatriés peuvent être exposés à un risque de torture s’ils sont accusés d’activités politiques contre le Gouvernement ou de liens avec les LTTE.

3.4L’auteure ajoute que dans ses constatations récentes concernant les demandeurs d’asile tamouls déboutés, le Comité a estimé que les États parties avaient l’obligation de prendre en compte le risque inhérent au fait d’être un demandeur d’asile débouté originaire de Sri Lanka et ayant des liens avec les LTTE. Elle fait aussi observer que, dans plusieurs cas, la Commission danoise de recours des réfugiés a accordé un permis de résidence à des Tamouls ayant, personnellement ou par l’intermédiaire de membres de leur famille, des liens réels ou supposés avec les LTTE. Elle fait en outre valoir qu’à aucun stade de la procédure d’asile la Commission n’a examiné le risque de mauvais traitements auquel elle serait exposée en cas de renvoi à Sri Lanka en tant que demandeuse d’asile déboutée.

3.5 En outre, l’auteure affirme que plusieurs pays ont suspendu toutes les expulsions vers Sri Lanka en raison des nombreux rapports faisant état d’arrestations et d’actes de torture visant les Sri-Lankais rentrés au pays après avoir vécu à l’étranger. Elle mentionne deux cas dans lesquels des demandeurs d’asile déboutés ont affirmé qu’ils avaient été placés en détention et torturés à Sri Lanka à leur retour de Suisse. Après que des organisations non gouvernementales eurent divulgué des informations à ce sujet, l’Office fédéral suisse des migrations a annoncé qu’il examinerait ces affaires et que toutes les expulsions vers Sri Lanka seraient suspendues en attendant les résultats des enquêtes sur les cas de torture allégués. De plus, l’Office fédéral des migrations allait réexaminer avec soin le cas de tous les Sri-Lankais dont la demande d’asile avait été rejetée et qui devaient quitter la Suisse.

3.6L’auteure considère qu’elle court un risque réel et personnel de préjudice irréparable en raison de son appartenance ethnique, et parce que ses liens avec les LTTE sont connus des autorités sri-lankaises.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 17 mars 2016, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication, en donnant des précisions sur la procédure d’asile concernant l’auteure et sur les décisions de la Commission danoise de recours des réfugiés en date des 20 juin 2013, 17 septembre 2013, 10 janvier 2014 et 22 juin 2015.

4.2L’État partie décrit la structure, la composition et le fonctionnement de la Commission, qu’il considère comme un organe quasi judiciaire indépendant. Il affirme que l’auteure n’a pas démontré à première vue la recevabilité de sa communication au regard de l’article 7 du Pacte. Selon lui, l’auteure n’a pas établi qu’elle courrait un risque réel et personnel de préjudice irréparable, tel que celui envisagé à l’article 7 du Pacte. Par conséquent, la communication devrait être déclarée irrecevable parce que manifestement infondée.

4.3Sur le fond, l’État partie affirme que l’auteure n’a pas suffisamment établi que son renvoi et celui de ses enfants à Sri Lanka constituerait une violation de l’article 7 du Pacte.

4.4Dans ses décisions du 20 juin 2013 et du 17 septembre 2013, la Commission s’est fondée sur les motifs invoqués par l’auteure dans sa première demande d’asile, c’est-à-dire sa peur d’être persécutée en cas de renvoi à Sri Lanka en raison de l’affiliation de son ex-mari aux LTTE. Plus tard, l’auteure a retiré ces motifs et déclaré qu’ils avaient été inventés de toutes pièces pour l’occasion. Dans sa décision du 10 janvier 2014, la Commission s’est fondée sur les nouveaux motifs invoqués par l’auteure pour demander l’asile, à savoir que sa vie serait en danger si elle était renvoyée à Sri Lanka parce que son frère cadet aurait été membre des LTTE, et qu’elle craignait des représailles de la part de son ex-mari. Dans sa décision du 22 juin 2015, la Commission a examiné les motifs les plus récents, qui étaient que l’auteure craignait d’être persécutée par les autorités en cas de retour à Sri Lanka en raison des liens qu’elle et sa famille auraient entretenus avec les LTTE. L’auteure répétait qu’elle craignait des représailles de la part de son ex-mari. L’État partie considère qu’aucune nouvelle information ou considération importante ne figure dans la communication soumise par l’auteure au Comité le 13 août 2015.

4.5Le 10 janvier 2014, la Commission a également estimé, indépendamment de la question des pressions exercées sur l’auteure par son ex-mari, qu’il ressortait des renseignements disponibles que l’auteure avait fait de fausses déclarations sur les motifs de sa demande d’asile tout au long de la procédure d’asile. Par conséquent, les nouveaux motifs d’asile invoqués par l’auteure ne pouvaient pas être considérés comme crédibles. En outre, l’affiliation présumée du frère de l’auteure aux LTTE avant que l’auteure ne quitte Sri Lanka ne justifiait pas en soi l’octroi d’un permis de résidence. Le 22 juin 2015, la Commission a déclaré que le nouveau motif invoqué, qui était que l’auteure risquait de subir des mauvais traitements en raison de son affiliation et de celle de sa famille aux LTTE, ne pouvait pas conduire à une appréciation différente, ni être considéré comme fondé. L’auteure a constamment modifié et amplifié ses déclarations aux autorités danoises concernant son affiliation et celle de sa famille aux LTTE, ce qui, de l’avis de l’État partie, compromet sa crédibilité générale.

4.6L’État partie fait également observer que lors des deux entretiens menés par les autorités suisses en 2001, l’auteure a déclaré qu’elle s’était rendue en Suisse dans le seul but d’épouser son futur conjoint, qui vivait dans ce pays. Elle a déclaré que l’un de ses frères avait été tué par l’armée sri-lankaise le 14 avril 2000 parce qu’une personne inconnue d’elle avait à tort informé l’armée qu’il appartenait aux LTTE. Plus tard, elle a affirmé que cela n’était pas vrai et que son frère n’avait pas été membre des LTTE. Elle a également indiqué que son beau-frère avait été arrêté par l’armée sri-lankaise environ cinq ans avant son départ parce qu’il était soupçonné d’être un partisan des LTTE, et qu’elle ne savait pas s’il était encore en prison. Elle a en outre indiqué que deux autres de ses frères avaient disparu pendant la guerre et qu’elle ne les avait jamais revus depuis leur disparition lors d’une attaque de grande ampleur en 1991. Enfin, l’auteure a déclaré que sa mère, sa sœur et un autre frère vivaient à Sri Lanka et que son père était mort.

4.7En ce qui concerne sa propre situation, l’auteure a déclaré qu’elle n’était pas politiquement active et qu’elle n’avait eu aucun problème avec les autorités. Lorsqu’on lui a demandé si elle avait déjà été emprisonnée, elle a répondu par l’affirmative, indiquant qu’elle avait été arrêtée une fois par l’armée sri-lankaise en 2001 pour un contrôle, et qu’elle avait été immédiatement remise en liberté. L’auteure a précisé que rien ne lui était arrivé à elle personnellement. Elle a répondu par la négative à la question de savoir si elle avait d’autres raisons de quitter son pays d’origine et de venir en Suisse. Il ressortait de son récit qu’elle n’avait jamais été affiliée aux LTTE d’aucune manière, qu’elle n’avait jamais personnellement connu d’autres conflits ou problèmes avec les autorités, et que les autorités ne s’étaient jamais intéressées à elle. En conséquence, l’État partie estime qu’il ne peut pas être supposé que l’auteure, ses frères et ses parents étaient liés aux LTTE de quelque manière que ce soit, comme l’a par la suite affirmé l’auteure.

4.8Il ressort du dossier de demande d’asile de l’auteure en Suisse que l’ex-mari de l’auteure avait obtenu un permis de séjour temporaire pour des raisons autres que l’asile. L’auteure a demandé l’asile en Suisse mais sa demande a été rejetée. Elle a obtenu un permis de séjour temporaire parce que son ex-mari était titulaire d’un tel permis. Le recours formé par l’auteure contre la décision de rejet de sa demande d’asile est devenu caduc du fait qu’elle s’est vu accorder un droit de séjour temporaire. Par conséquent, les informations présentées au Service danois de l’immigration par l’auteure, à savoir qu’elle avait obtenu un permis de séjour en Suisse en raison de l’affiliation de son frère aux LTTE, sont inexactes. Le permis de séjour temporaire de l’auteure en Suisse a été renouvelé en 2003 et en 2005 ; il a toutefois été annulé le 31 juillet 2012, l’auteure et ses enfants n’ayant plus d’adresse enregistrée en Suisse depuis le 10 avril 2012.

4.9Lorsqu’elle est revenue en Suisse le 19 janvier 2014, l’auteure a confirmé que les informations fournies dans sa demande d’asile en 2001 étaient toujours correctes. Elle a toutefois déclaré qu’elle craignait de subir des violences de la part de son ex-mari, qui avait été expulsé du Danemark vers leur pays d’origine, si elle était renvoyée à Sri Lanka. Elle a également déclaré que leurs enfants avaient grandi en Suisse. L’auteure n’a pas affirmé devant les autorités suisses qu’elle et sa famille étaient affiliées aux LTTE, ni que, pour cette raison, elle-même et sa famille étaient en conflit avec les autorités sri-lankaises. Les informations fournies par l’auteure aux autorités suisses ne sont donc pas compatibles avec celles qu’elle a fournies aux autorités danoises. D’après les informations les plus récentes fournies par l’auteure à ces dernières, elle et sa famille seraient affiliées aux LTTE depuis des années, et leur différend avec les autorités sri-lankaises durerait également depuis des années − dans les deux cas la situation remonterait à une date antérieure à celle à laquelle l’auteure a été interrogée par les autorités suisses, le 27 janvier 2014. L’auteure a donc eu plusieurs occasions de communiquer ces informations, si tant est qu’elles soient vraies, aux autorités suisses.

4.10Les déclarations faites par l’auteure aux autorités suisses et aux autorités danoises à l’appui de ses demandes d’asile se contredisent sur plusieurs autres points. Ainsi, lorsqu’elle est arrivée au Danemark en mai 2012, l’auteure a déclaré que son ex-mari avait été emprisonné de 2009 à 2011 en raison de son affiliation aux LTTE et qu’en conséquence, elle avait subi des violences sexuelles de la part de soldats de l’armée sri-lankaise. L’auteure a maintenu cette déclaration sur ce point pendant plus d’un an. Elle l’a également maintenue après le placement de son ex-époux en détention provisoire le 5 mars 2013. Dans sa deuxième demande de réouverture de son dossier de demande d’asile, présentée en octobre 2013, l’auteure a retiré sa déclaration initiale et déclaré que sa vie serait en danger en cas de renvoi à Sri Lanka parce que son frère cadet avait été membre des LTTE et qu’elle craignait aussi des représailles de son ex-mari. Elle a ajouté qu’elle avait résidé en Suisse de 2001 à 2011 et qu’elle souhaitait retourner au Suisse. Dans sa troisième demande de réouverture de son dossier de demande d’asile, présentée en novembre 2014, l’auteure a donné des précisions sur ses motifs d’asile, affirmant qu’elle craignait d’être persécutée par les autorités si elle était renvoyée à Sri Lanka en raison des liens supposément étroits qu’elle et sa famille avaient entretenus avec les LTTE. L’auteure a déclaré à la Commission danoise de recours des réfugiés que ses deux parents et trois de ses frères avaient été affiliés aux LTTE, et que son père avait été tué par l’armée en raison de son affiliation aux LTTE. Elle-même aurait également été affiliée aux LTTE, et ce, depuis son enfance. Elle a en outre répété qu’elle craignait des représailles de la part de son ex-mari. L’auteure a donc invoqué plusieurs motifs d’asile différents et fluctuants devant les autorités danoises. Pour ce qui est des premiers motifs invoqués, elle a elle-même reconnu qu’ils n’étaient pas vrais. Les motifs invoqués ultérieurement, à savoir que son frère avait été affilié aux LTTE et que la Suisse lui avait accordé l’asile pour cette raison, n’étaient pas vrais non plus.

4.11Comme indiqué plus haut, l’auteure a déclaré aux autorités suisses qu’elle n’avait pas eu d’activités politiques, qu’elle n’avait eu aucun problème avec les autorités sri‑lankaises, et que son frère n’était en fait pas affilié aux LTTE. En ce qui concerne les pressions qui auraient été exercées par l’ex-mari, l’État partie fait observer que celui-ci a été placé en détention provisoire le 5 mars 2013 et qu’il était toujours privé de liberté au moment de l’audience de la Commission le 20 juin 2013. L’auteure aurait donc pu informer également la Commission des violences commises par son ex-mari. Toutefois, elle a choisi de continuer à faire de fausses déclarations aux autorités danoises. L’État partie fait en outre observer que l’auteure aurait déjà pu retourner en Suisse à ce moment-là.

4.12Étant donné que douze années se sont écoulées depuis que l’auteure a quitté Sri Lanka, l’État partie ne voit aucune raison de penser que les autorités sri-lankaises s’intéresseraient à elle. Même si le frère de l’auteure a été pris pour un partisan des LTTE et abattu pour cette raison, il s’agit là d’un incident isolé remontant à 2000, soit à plus de quinze ans. Par conséquent, on ne peut supposer que les autorités sri-lankaises s’intéresseraient à l’auteure pour cette seule raison. Comme elle l’a déclaré aux autorités suisses, l’auteure a été détenue par l’armée sri-lankaise en 2001 puis remise en liberté. De plus, les autorités sri-lankaises ne s’en sont jamais prises directement à elle. À cet égard, il est fait référence aux arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l’homme le 20 janvier 2011 concernant cinq requêtes présentées par des Tamouls de Sri Lanka contre le Danemark, dans lesquels la Cour a déclaré que le renvoi des requérants à Sri Lanka ne constituerait pas une violation de la Convention européenne des droits de l’homme.

4.13En ce qui concerne l’invocation par l’auteure des constatations du Comité dans l’affaire P. T. c. Danemark, l’État partie rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle il convient d’accorder un poids important à l’analyse qu’a faite l’État partie de l’affaire, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice. L’État partie ajoute que le fait d’avoir été exposé à un risque par le passé n’implique pas l’existence d’un risque actuel, et que l’auteure doit présenter des preuves que les autorités l’ont recherchée ou se sont intéressées, dans un passé récent, à la question de savoir où elle se trouvait.

4.14L’État partie affirme en outre que, selon les Lignes directrices du HCR permettant d’évaluer les besoins de protection internationale des demandeurs d’asile originaires de Sri Lanka adoptées le 21 décembre 2012, certains groupes de personnes ayant des liens avec les LTTE pourraient être soumis à des traitements susceptibles de justifier un besoin de protection internationale, notamment les personnes qui ont occupé des postes de responsabilité ou ont été investies de pouvoirs importants dans l’administration civile des LTTE, les anciens combattants ou cadres des LTTE et les personnes ayant des liens familiaux ou d’autres liens étroits avec ces personnes. D’autres rapports ne contiennent aucune information permettant de supposer que les Tamouls qui, comme l’auteure, présentent un profil à faible risque seraient victimes, à leur retour à Sri Lanka, de persécutions ou de mauvais traitements justifiant l’octroi de l’asile. Dans sa décision du 22 juin 2015, la Commission danoise de recours des réfugiés a procédé à une évaluation précise et individuelle de la situation de l’auteure en tenant compte des informations générales disponibles et a conclu que l’auteure ne serait pas exposée à un risque de persécution ou de mauvais traitements en cas de retour à Sri Lanka. Le fait que l’auteure rentre à Sri Lanka en tant que demandeuse d’asile déboutée ne peut pas en soi conduire à une appréciation différente, étant donné qu’elle n’est pas en conflit avec les autorités sri-lankaises.

4.15En ce qui concerne la crainte de l’auteure que son ex-mari s’en prenne à elle, la Commission a estimé que les incidents violents liés à des conflits entre anciens conjoints étaient d’ordre privé et n’étaient donc pas de nature à justifier l’octroi d’un permis de résidence. Les femmes concernées devaient demander une protection aux autorités de leur pays d’origine. Toutefois, dans sa jurisprudence, la Commission a reconnu que certaines violences commises par des particuliers pouvaient être d’une ampleur et d’une intensité telles qu’elles constituaient une forme de persécution si les autorités n’avaient pas la capacité ou la volonté d’offrir une protection. Dans sa décision du 10 janvier 2014, la Commission a estimé que l’auteure n’avait pas établi qu’il était probable qu’elle ne pourrait pas obtenir une protection des autorités sri-lankaises. Elle a également noté que l’auteure vivait séparée de son ex-mari depuis qu’il avait été placé en détention le 5 mars 2013 et qu’il était retourné à Sri Lanka à la fin de 2013. En outre, l’auteure avait porté plainte contre son ex-mari auprès de la police suisse pour violences et abus sexuels et il avait été condamné en Suisse pour ce motif. Elle avait aussi témoigné contre lui dans le cadre d’une procédure pénale au Danemark. Par conséquent, l’auteure ne saurait être considérée comme particulièrement vulnérable face à son ex-mari et, ayant des membres de sa famille, notamment ses frères, à Sri Lanka, elle pourrait compter sur un réseau social masculin à Sri Lanka.

4.16L’État partie rappelle que la Commission a soigneusement examiné chacune des allégations de l’auteure et a constaté que plusieurs points de ses affirmations concernant son affiliation et celle de sa famille aux LTTE n’étaient pas crédibles. Dans sa communication au Comité, l’auteure s’est contentée d’exprimer son désaccord avec l’appréciation des preuves et les conclusions factuelles de la Commission, mais elle n’a pas démontré que cette appréciation avait été arbitraire ou constituait un déni de justice. L’État partie considère par conséquent que l’auteure tente en fait d’utiliser le Comité comme un organe d’appel pour obtenir un réexamen des faits présentés dans sa demande d’asile.

4.17En conclusion, l’État partie réaffirme que l’auteure n’a pas établi qu’il existe des motifs sérieux de croire qu’elle et ses enfants seraient en danger d’être soumis à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants s’ils étaient renvoyés à Sri Lanka. En conséquence, il affirme que leur renvoi à Sri Lanka ne constituerait pas une violation de l’article 7 du Pacte et demande au Comité de lever les mesures provisoires qu’il a accordées.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

5.1Dans une note en date du 23 juin 2016, l’auteure affirme que rien ne permet de conclure qu’elle n’a pas démontré à première vue la recevabilité de sa communication au regard de l’article 7 du Pacte.

5.2L’auteure affirme avoir expliqué en détail les raisons pour lesquelles elle craint qu’un retour forcé à Sri Lanka ne l’expose, elle et ses enfants, à un risque de traitement incompatible avec l’article 7 du Pacte. Elle ajoute qu’elle a expliqué pourquoi elle estime que les conclusions de la Commission danoise de recours des réfugiés, y compris son appréciation des informations générales pertinentes sur les personnes affiliées aux LTTE et leur persécution à Sri Lanka, étaient erronées. Elle fait valoir que la Commission n’a pas procédé à une évaluation approfondie de la crédibilité de ses déclarations concernant ses liens directs et indirects avec les LTTE car elle n’a tenu aucune audience orale à cet effet avant de rendre les décisions du 10 janvier 2014 et du 22 juin 2015.

5.3L’auteure affirme que les décisions du 10 janvier 2014 et du 22 juin 2015, par lesquelles les autorités de l’État partie ont rejeté la demande de réouverture de son dossier sans convoquer d’audience, constituent une violation des droits qu’elle tient de l’article 13 du Pacte, lu seul ou conjointement avec l’article 7 du Pacte. À cet égard, elle estime que les autorités de l’État partie n’ont pas procédé à un examen approfondi de ses nouvelles déclarations concernant ses liens avec les LTTE.

5.4L’auteure fait valoir que l’article 13 du Pacte prévoit que les procédures d’expulsion se déroulent en deux temps ; le premier est l’adoption de la décision d’expulsion elle‑même, et le second l’examen de cette décision. Cela signifie que la personne visée doit avoir la possibilité de présenter ses arguments contre la décision initiale, y compris en soumettant des éléments de preuve pertinents, et de faire réexaminer son cas. Les garanties prévues à l’article 13 sont généralement respectées en vertu de la législation danoise régissant le réexamen et l’appel des décisions du Service danois de l’immigration par la Commission. Une évaluation quant au fond des preuves présentées est néanmoins nécessaire. Lorsque les éléments de preuve reposent sur les déclarations du demandeur, la Commission doit évaluer ces éléments et déclarations dans le cadre d’une audience. En l’espèce, l’État partie a rejeté les déclarations de l’auteure concernant ses liens avec les LTTE au motif qu’elles étaient incompatibles avec ses déclarations antérieures concernant l’affiliation de son mari. Toutefois, les autorités n’ont pas fait bénéficier l’auteure d’une procédure en deux temps, d’abord auprès du Service danois de l’immigration, puis devant la Commission, et elles ne lui ont pas donné la possibilité d’être entendue oralement, ce qui était indispensable pour évaluer la crédibilité de ses déclarations afin de les accepter ou de les rejeter.

5.5L’auteure fait valoir que les conclusions de l’État partie quant à son manque de crédibilité et, partant, le rejet de ses déclarations concernant ses liens et ceux de son frère avec les LTTE ne sauraient être considérés comme fondés sur une évaluation appropriée par la Commission, la procédure s’étant déroulée par écrit seulement. Dans sa décision du 10 janvier 2014, la Commission a rejeté les nouvelles déclarations de l’auteure en vertu de l’article 40 de la loi danoise sur les étrangers, au motif que l’auteure était tenue de donner toutes les informations pertinentes aux autorités, ce qu’elle n’avait pas fait au cours du premier entretien. Dans sa décision du 22 juin 2015, la Commission a toutefois déclaré qu’aucune nouvelle information pertinente n’avait été fournie par l’auteure.

5.6L’auteure considère que l’État partie tente d’utiliser le Comité comme une instance de recours ordinaire pour parvenir à une décision sur la base d’une nouvelle évaluation de la crédibilité de l’auteure. Elle affirme que cela aurait dû être fait par la Commission dans le cadre d’une audience conformément à l’article 13 du Pacte, avant l’adoption des décisions du 10 janvier 2014 et du 22 juin 2015.

5.7L’auteure demande au Comité de déterminer s’il y a eu violation de l’article 7, lu conjointement avec l’article 13 du Pacte, compte tenu des circonstances factuelles de l’affaire au moment où la Commission a rendu ses décisions le 10 janvier 2014 et le 22 juin 2015. Elle affirme que les décisions de la Commission en date du 10 janvier 2014 et du 22 juin 2015 étaient manifestement déraisonnables et arbitraires, étant donné qu’elle n’a pas eu droit à une audience en bonne et due forme sur les nouvelles déclarations concernant ses liens et ceux de son frère avec les LTTE.

5.8L’auteure réaffirme que ses liens avec les LTTE donneraient lieu à des persécutions si elle et ses enfants étaient renvoyés de force à Sri Lanka. Par conséquent, elle prie le Comité de ne pas lever les mesures provisoires.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1L’État partie a présenté des observations complémentaires le 17 janvier 2017. Il affirme que les commentaires de l’auteure en date du 23 juin 2016 n’apportent aucun nouvel élément d’information précis sur les motifs d’asile qu’elle avait initialement invoqués. Il réitère donc ses observations du 17 mars 2015.

6.2En ce qui concerne l’affirmation de l’auteure selon laquelle les décisions de la Commission danoise de recours des réfugiés en date du 10 janvier 2014 et du 22 juin 2015 constituaient une violation des droits qu’elle tient de l’article 13 du Pacte, lu seul et conjointement avec l’article 7, l’État partie fait valoir que cette partie de la communication devrait aussi être déclarée irrecevable parce que manifestement infondée. Il fait valoir que l’auteure n’a pas démontré à première vue que cette partie de la communication était recevable au regard de l’article 13 du Pacte. Subsidiairement, il fait valoir que l’auteure n’a pas démontré que l’article 13 avait été violé.

6.3En ce qui concerne l’argument de l’auteure concernant son droit à une procédure orale, l’État partie fait observer qu’il ressort de la jurisprudence du Comité que l’article 13 du Pacte ne garantit pas le droit d’appel, ni le droit d’être entendu par un tribunal.

6.4L’État partie fait en outre observer que dans tous les cas où le demandeur d’asile affirme que des informations fondamentalement nouvelles sont apparues, la Commission procède à une évaluation précise et individuelle de ces informations pour déterminer si elles peuvent conduire à une décision différente.

6.5À cet égard, l’État partie donne des précisions sur le règlement intérieur de la Commission, qui peut maintenir sa décision antérieure ou décider de rouvrir un dossier. En particulier, le président de la formation qui a rendu la décision initiale peut décider qu’il appartient à cette formation de déterminer s’il y a lieu de rouvrir le dossier dans le cadre d’une procédure orale ou de délibérations écrites. En cas de réouverture du dossier, il convient alors de décider s’il sera examiné lors d’une nouvelle audience devant la formation qui a statué précédemment, en présence de toutes les parties, ou si le dossier sera examiné lors d’une audience devant une nouvelle formation. Les dossiers peuvent être rouverts aux fins d’un réexamen dans le cadre d’une nouvelle audience devant la formation de la Commission qui a déjà tranché l’affaire si le demandeur d’asile a fourni des informations nouvelles essentielles susceptibles d’influer sur la décision et si l’on estime qu’il doit avoir la possibilité d’être entendu en personne.

6.6Selon les principes généraux de l’administration publique, la Commission doit, de sa propre initiative, rouvrir les dossiers des demandeurs d’asile déboutés qui sont sur le point d’être renvoyés si elle a connaissance d’informations nouvelles essentielles qui modifient le fondement sur lequel reposait sa décision précédente. Il peut être nécessaire d’obtenir des informations complémentaires avant que la Commission ne puisse se prononcer sur la question de la réouverture. Cela correspond pleinement à la pratique habituelle de la Commission, et cela est conforme au principe d’une procédure en deux temps.

6.7L’État partie fait observer que la demande d’asile de l’auteure a été examinée par le Service danois de l’immigration en première instance, puis par la Commission en deuxième instance. De plus, la Commission s’est penchée en trois occasions sur la question de savoir s’il y avait lieu de rouvrir le dossier d’asile de l’auteure à la suite d’une évaluation approfondie des informations sur les liens supposés de celle-ci et de son frère avec les LTTE qui accompagnaient la demande de réouverture du dossier. La Commission a conclu que ces nouvelles informations ne pouvaient pas être considérées comme avérées, compte tenu en particulier des informations fournies précédemment, à deux reprises, par l’auteure aux autorités suisses.

6.8En outre, l’État partie fait valoir que la Commission examine attentivement les informations fournies et les observations formulées dans toutes les communications soumises au Comité. Dans de tels cas, le président de la formation qui a initialement examiné l’affaire détermine si la communication contient des éléments justifiant de rouvrir le dossier d’asile et, le cas échéant, donne les raisons détaillées de décider une réouverture. La Commission procède donc toujours à une évaluation sur le fond des communications soumises au Comité. En l’espèce, l’État partie affirme que l’allégation de l’auteure selon laquelle la Commission tente d’utiliser le Comité comme un organe de recours est sans fondement.

6.9L’État partie considère donc que les droits que l’auteure tient de l’article 13 du Pacte, lu seul ou conjointement avec l’article 7 du Pacte, n’ont pas été violés dans le cadre de l’examen de la demande d’asile de l’auteure par les autorités danoises. Il réaffirme que l’auteure a tenté d’obtenir un permis de résidence au Danemark en donnant délibérément des informations inexactes sur les persécutions actuelles à Sri Lanka alors qu’elle vivait déjà en Suisse depuis plusieurs années. Cette situation a été révélée lorsque l’auteure a demandé la réouverture de son dossier d’asile. L’auteure a alors invoqué différents motifs à l’appui de sa demande d’asile, que la Commission, comme expliqué plus haut, n’a pas considéré comme véridiques. De l’avis de l’État partie, l’auteure a ainsi délibérément abusé du système d’asile, et cela a été aggravé par sa tentative de prolonger son séjour injustifié au Danemark en présentant une communication au Comité.

6.10Par conséquent, l’État partie prie le Comité de réexaminer sa demande de levée des mesures provisoires et d’examiner l’affaire à sa prochaine session.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité relève que l’État partie n’a pas soulevé d’objection à la recevabilité de la communication au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Il relève également que l’auteure a déposé une demande d’asile, qui a été rejetée pour la dernière fois par la Commission danoise de recours des réfugiés le 22 juin 2015. Comme les décisions de la Commission ne sont pas susceptibles d’appel, l’auteure ne dispose plus d’aucun autre recours. En conséquence, le Comité considère que les recours internes ont été épuisés.

7.4En ce qui concerne le grief de violation de l’article 13, le Comité prend note de l’argument de l’État partie pour qui les griefs de l’auteure ne sont pas suffisamment étayés, dans la mesure où cette disposition du Pacte ne garantit pas le droit d’appel, ni le droit de faire entendre sa cause par un tribunal. À cet égard, il note que l’État partie fait observer que la demande d’asile de l’auteure a été examinée par deux organes, dont la Commission, organe quasi judiciaire indépendant considéré comme une juridiction. De plus, il relève que la Commission s’est penchée en trois occasions sur la question de savoir s’il y avait lieu de rouvrir le dossier d’asile de l’auteure et a estimé qu’il était raisonnable et objectif de ne pas accepter comme des faits avérés les nouveaux motifs invoqués à l’appui de la demande d’asile, sans tenir d’audience orale. Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que l’auteure n’a pas suffisamment démontré, aux fins de la recevabilité, en quoi la procédure susvisée a en l’espèce représenté un déni de justice, en violation de l’article 13 du Pacte. Le Comité conclut donc que cette partie de la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.5Le Comité prend note du grief tiré par l’auteure de l’article 7 du Pacte, à savoir qu’elle risquerait d’être détenue, battue, violée ou torturée par l’armée sri-lankaise si elle était renvoyée à Sri Lanka. Il prend également note de l’argument de l’auteure faisant valoir qu’elle craint son ex-mari violent, qui a menacé de la retrouver et de la tuer si elle rentrait à Sri Lanka, et qu’elle ne peut pas envisager de solliciter la protection des autorités sri-lankaises dans ce contexte. De plus, il prend note des arguments de l’État partie selon lesquels l’auteure n’a pas suffisamment étayé les griefs qu’elle tire de l’article 7 eu égard à sa supposée affiliation aux LTTE, la crainte de l’auteure que son ex‑mari s’en prenne à elle ne permet pas de conclure à l’existence d’un risque de persécution, et l’auteure n’a pas démontré qu’il était probable qu’elle ne pourrait pas obtenir la protection des autorités sri-lankaises. Le Comité considère toutefois que l’auteure a suffisamment étayé ces griefs aux fins de la recevabilité.

7.6Le Comité déclare la communication recevable en ce qu’elle semble soulever des questions au regard de l’article 7 du Pacte et va donc procéder à son examen au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

8.2Le Comité note que l’auteure affirme que l’État partie violerait les obligations qui lui incombent en vertu de l’article 7 du Pacte en la renvoyant de force, avec ses enfants mineurs, à Sri Lanka. À cet égard, il note que l’auteure craint d’être placée en détention par les autorités en raison des liens qu’elle et sa famille auraient entretenus avec les LTTE. Elle craint en particulier d’être détenue, battue, violée ou torturée par l’armée sri-lankaise et de finir tuée ou handicapée à vie comme son frère. Le Comité note qu’elle craint en outre son ex-mari violent, qui a menacé de la retrouver et de la tuer si elle rentrait à Sri Lanka. À cet égard, il note que l’auteure affirme que, dans ce contexte, elle ne peut pas envisager de solliciter la protection des autorités sri-lankaises car une telle démarche attirerait l’attention sur elle et l’exposerait à un risque accru de mauvais traitements aux mains de ces autorités. Il note aussi que l’auteure affirme que les demandeurs d’asile déboutés d’origine ethnique tamoule qui retournent à Sri Lanka et qui appartiennent ou sont soupçonnés d’appartenir aux LTTE risquent d’être soumis à des traitements cruels, inhumains ou dégradants, y compris des violences sexuelles. À ce sujet, l’auteure affirme que la Commission danoise de recours des réfugiés n’a jamais, dans ses décisions, pris en compte le risque de mauvais traitements qu’elle courrait en cas de renvoi à Sri Lanka en tant que demandeuse d’asile déboutée.

8.3 Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui affirme que les griefs que l’auteure tire de l’article 7 du Pacte doivent être considérés comme manifestement infondés parce que l’auteure n’a pas suffisamment établi qu’elle serait exposée à un risque réel de préjudice irréparable, tel que celui envisagé à l’article 7 du Pacte, si elle était renvoyée à Sri Lanka. L’État partie souligne que la Commission a examiné les quatre motifs d’asile invoqués par l’auteure : a) la crainte d’être persécutée en raison de l’affiliation de son ex-mari aux LTTE, motif que l’auteure a retiré par la suite en reconnaissant qu’elle l’avait inventé de toutes pièces ; b) la crainte que sa vie soit en danger en cas de renvoi à Sri Lanka parce que son frère cadet aurait été membre des LTTE, motif qui n’était pas vrai non plus ; c) la crainte de représailles de la part de son ex-mari ; d) la crainte d’être persécutée par les autorités sri-lankaises en raison des liens qu’elle et sa famille auraient entretenus avec les LTTE. Le Comité note que l’État partie fait valoir que la communication de l’auteure ne contient aucune information nouvelle importante et que l’auteure a constamment modifié et amplifié ses déclarations aux autorités danoises concernant ses liens supposés et ceux de sa famille avec les LTTE, ce qui compromet sa crédibilité générale. Le Comité note en outre que l’auteure a vécu en Suisse de 2001 à 2011 ; qu’elle a demandé l’asile en Suisse et que sa demande a été rejetée ; qu’elle a reconnu devant les autorités suisses chargées de l’asile qu’elle n’avait jamais été affiliée aux LTTE d’aucune manière, et qu’elle n’avait jamais eu personnellement de différend ou de problème avec les autorités sri-lankaises.

8.4Le Comité rappelle son observation générale no 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique imposée aux États parties au Pacte, dans laquelle il indique que les États parties ont l’obligation de ne pas extrader, déplacer, expulser quelqu’un ou le transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable, tel le préjudice envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte. Le Comité a aussi indiqué que le risque devait être personnel et qu’il fallait des motifs sérieux de conclure à l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable. Il rappelle en outre sa jurisprudence selon laquelle un poids considérable doit être accordé à l’évaluation faite par l’État partie et c’est généralement aux organes des États parties au Pacte qu’il appartient d’examiner ou d’apprécier les faits et les preuves en vue de déterminer l’existence d’un tel risque, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a constitué un déni de justice.

8.5Le Comité note en particulier que dans ses décisions du 10 janvier 2014 et du 22 juin 2015, la Commission a estimé, indépendamment de la question des pressions exercées sur l’auteure par son ex-mari, qu’il ressortait des renseignements disponibles que l’auteure avait fait de fausses déclarations sur les motifs de sa demande d’asile tout au long de la procédure d’asile ; par conséquent, les nouveaux motifs d’asile invoqués par l’auteure ne pouvaient pas être considérés comme crédibles. La Commission a noté par exemple que la déclaration faite par l’auteure devant le Service danois de l’immigration en 2013 selon laquelle elle avait obtenu un permis de séjour en Suisse en raison de l’affiliation de son frère aux LTTE n’était pas vraie. Le Comité note également que l’État partie fait observer que lors des deux entretiens menés par les autorités suisses en 2001, l’auteure a déclaré qu’elle s’était rendue en Suisse dans le seul but d’épouser son futur conjoint qui vivait en Suisse. La Commission a relevé les incohérences entre les informations fournies par l’auteure aux autorités danoises − selon lesquelles elle et sa famille étaient affiliées aux LTTE depuis des années et étaient également depuis des années en conflit avec les autorités sri-lankaises − et les informations fournies aux autorités suisses le 27 janvier 2014. Il en ressort que l’auteure n’a pas affirmé devant les autorités suisses qu’elle et sa famille étaient affiliées aux LTTE, ni que, pour cette raison, elle-même et sa famille étaient en conflit avec les autorités sri-lankaises ; l’auteure n’a invoqué que sa crainte de subir des violences de la part de son ex-mari, ce qu’elle n’avait pas mentionné devant la Commission lors de l’audience du 20 juin 2013.

8.6Le Comité note en outre que dans sa décision du 10 janvier 2014, la Commission a constaté que l’auteure pouvait demander une protection contre son ex-mari aux autorités sri-lankaises, et qu’elle n’avait pas démontré qu’il était probable que les autorités ne seraient pas en mesure de lui fournir cette protection. Dans sa décision du 22 juin 2015, la Commission a estimé que les informations disponibles sur la situation à Sri Lanka ne contenaient aucun d’élément donnant à penser que des Tamouls n’ayant pas eux-mêmes appartenu aux LTTE et ne comptant dans leur famille aucun membre en vue des LTTE risquaient d’être victimes de persécutions ou de voies de fait justifiant l’octroi de l’asile au seul motif de leur appartenance ethnique. Elle a également estimé que le fait que l’auteure, qui présentait un profil à faible risque, rentre à Sri Lanka en tant que demandeuse d’asile déboutée ne pouvait pas en soi conduire à une appréciation différente, étant donné qu’elle n’était pas en conflit avec les autorités sri-lankaises. À cet égard, le Comité relève que l’État partie affirme que la Commission a procédé à la fois à un examen individuel et à une évaluation globale des circonstances particulières de l’affaire, en tenant compte des informations générales sur la situation à Sri Lanka, et estimé que l’auteure n’était pas confrontée à une menace qui pourrait justifier l’asile au Danemark.

8.7Le Comité prend aussi note de l’argument de l’auteure selon lequel ses allégations n’ont pas été correctement examinées par les autorités de l’État partie et les décisions rendues par la Commission le 10 janvier 2014 et le 22 juin 2015 étaient manifestement déraisonnables et arbitraires étant donné que l’auteure n’avait pas eu droit à une audience orale permettant un examen approfondi de ses nouvelles déclarations concernant ses liens et ceux de son frère avec les LTTE, en violation de l’article 7 du Pacte. À cet égard, le Comité note que, selon les informations dont il dispose, l’auteure a été arrêtée une fois, en 2001, par l’armée sri-lankaise et immédiatement remise en liberté ; elle était peu en vue, sans affiliation claire aux LTTE ; elle n’a apporté aucune preuve que les autorités sri-lankaises la recherchaient ou qu’elles s’étaient, dans un passé récent, intéressées à la question de savoir où elle se trouvait ; et elle n’a pas démontré que les autorités sri-lankaises n’auraient pas la capacité ou la volonté de la protéger contre d’éventuelles violences conjugales. Il rappelle sa jurisprudence selon laquelle certaines violences commises par des particuliers peuvent être d’une ampleur et d’une intensité telles qu’elles constituent une forme de persécution si les autorités n’ont pas la capacité ou la volonté d’offrir une protection. Il considère toutefois qu’en l’espèce les griefs de l’auteure sont avant tout l’expression de son désaccord avec les conclusions factuelles de l’État partie, notamment en ce qui concerne le risque qu’elle soit victime de violences de la part de son ex-mari, et que l’auteure n’a pas démontré que ces conclusions ont été arbitraires et manifestement déraisonnables ou que la procédure en cause a constitué un déni de justice.

8.8Compte tenu de ce qui précède, le Comité conclut que les éléments dont il dispose ne démontrent pas que l’auteure serait exposée à un risque réel et personnel de subir un traitement contraire à l’article 7 du Pacte si elle était renvoyée à Sri Lanka.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que le renvoi de l’auteure à Sri Lanka ne constituerait pas une violation des droits qu’elle tient de l’article 7 du Pacte.