Nations Unies

CCPR/C/121/D/2868/2016

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

30 novembre 2017

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Décision adoptée par le Comité en vertu du Protocole facultatif, concernant la communication no 2868/2016* , **

Communication présentée par :

S. A. et consorts(représentés par des conseils, Andrea Saccucci et Massimiliano Massara)

Au nom de :

Les auteurs

État partie :

Grèce

Date de la communication :

24 juin 2016 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 24 novembre 2016 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

10 novembre 2017

Objet :

Participation non consentie à l’échange d’obligations d’État

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes ; qualité de victime

Question(s) de fond :

Droit à un procès équitable ; droit à une égale protection de la loi ; droit à un recours utile

Article(s) du Pacte :

2 (par. 3),4, 14 et 26

Article(s) du Protocole facultatif :

1 et 5 (par. 2 b))

1.1Les auteurs de la communication, de nationalités autrichienne, italienne et slovaque, sont au nombre de 42. Ils étaient détenteurs d’obligations d’État grecques au moment de la promulgation de la loi de 2012 sur les porteurs d’obligations grecques, qui a modifié les caractéristiques des obligations. Afin de réduire la dette publique, l’État partie a invité les porteurs d’obligations à échanger celles-ci contre d’autres titres de créance de moindre valeur. Les auteurs n’ont pas accédé à cette demande. La loi sur les porteurs d’obligations disposait que si au moins deux tiers des créanciers privés répondaient favorablement à la demande, l’échange s’appliquerait également aux porteurs d’obligations qui n’avaient pas donné leur consentement. La majorité des deux tiers ayant été obtenue, les obligations des auteurs ont été retirées du marché et novées par l’émission de nouveaux titres d’une valeur nominale inférieure de 53,5 %. Les auteurs affirment que leur participation forcée à cet échange a constitué une violation des droits qu’ils tiennent de l’article 26 du Pacte et du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 14, ainsi que de l’article 4 du Pacte. Ils sont représentés par un conseil.

1.2Le 20 mars 2017, en application du paragraphe 3 de l’article 97 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé d’examiner la recevabilité de la communication séparément du fond, ainsi que l’État partie le lui avait demandé.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les auteurs détenaient des obligations émises par l’État grec et régies par la législation grecque avant le 9 mars 2012, date à laquelle les caractéristiques des obligations ont été modifiées. En tant que porteurs d’obligations, ils auraient dû être en droit de se voir restituer, à l’échéance, la valeur nominale de leurs obligations. Ils relèvent qu’en avril 2010, la note attribuée à la dette de l’État grec a été abaissée au niveau « d’obligation pourrie », c’est-à-dire d’obligation à rendement élevé dite spéculative en raison du risque important de défaillance ou d’autres incidents de crédit. Le 2 mai 2010, l’Union européenne et le Fonds monétaire international (FMI) ont accordé à la Grèce un prêt de sauvetage de 110 milliards d’euros, subordonné à la mise en œuvre de mesures d’austérité. En octobre 2011, les dirigeants de la zone euro ont consenti à accorder à la Grèce un deuxième prêt de sauvetage de 109 milliards d’euros (porté par la suite à 130 milliards d’euros), à la condition non seulement qu’un autre plan d’austérité soit mis en place, mais aussi que les créanciers acceptent la mise en œuvre d’un plan de restructuration générale de la dette souveraine grecque, plan dit de « participation du secteur privé », le but étant de réduire le poids de la dette, qui devait selon les prévisions atteindre 198 % du produit intérieur brut en 2012, à 120,5 % avant 2020.

2.2Les principaux créanciers privés, qui étaient des banques, des fonds et d’autres investisseurs institutionnels, ont consenti à l’échange de leurs obligations, assorti d’une décote (diminution de la valeur nominale des obligations) de 53,5 % et d’un réaménagement des conditions de remboursement, les nouvelles obligations ayant une maturité allant de onze à trente ans et un rendement moyen inférieur (3,65 %).

2.3Seuls les investisseurs institutionnels internationaux, comme les banques et d’autres établissements de crédit, qui détenaient la majeure partie de la dette grecque, ont pu négocier les modalités de la décote et les compensations qu’ils obtiendraient en contrepartie de leur perte financière et de leur participation volontaire au plan. Les particuliers n’ont pas été invités à participer aux négociations, ni n’ont été informés de leur avancement.

2.4Le 23 février 2012, le Parlement grec a voté la loi de 2012 sur les porteurs d’obligations grecques, qui établissait un cadre juridique devant permettre la novation des « titres visés » (les obligations en question) selon des procédures particulières détaillées dans cette même loi. La loi prévoyait l’introduction et l’application de clauses d’action collective en vertu desquelles la novation des titres visés que proposait le Gouvernement serait considérée comme approuvée par les porteurs d’obligations : a) si les détenteurs d’au moins 50 % du montant total de l’encours du principal acceptaient la procédure de novation ; b) si au moins les deux tiers des porteurs d’obligations consentaient à la novation. Si l’offre était acceptée, tous les titres visés seraient automatiquement novés par l’émission de nouveaux titres et tout droit ou toute obligation découlant des anciens titres seraient éteints. La loi précisait en outre que ses dispositions, qui visaient à protéger l’intérêt général suprême, étaient d’application obligatoire et immédiate, et primaient tout texte législatif ou réglementaire ou tout accord contraires.

2.5Le 24 février 2012, le Conseil des ministres a autorisé l’Organisme de gestion de la dette publique à formuler une proposition de participation au plan de participation du secteur privé. Les modalités de cette proposition ont été rendues publiques le jour même dans un communiqué de presse publié par le Ministère des finances. Le 9 mars 2012, le Gouvernement a annoncé que 85,8 % des créanciers privés porteurs d’obligations régies par la loi grecque avaient remis leurs obligations en vue d’un échange ou consenti à la novation. Ayant obtenu la majorité requise, le Gouvernement grec a pu faire jouer les clauses d’action collective de sorte que les 14,2 % restants soient eux aussi concernés, contre leur gré, par la novation proposée des titres visés.

2.6Les auteurs n’ont pas remis leurs obligations en vue d’un échange, ni consenti à la novation proposée par le Gouvernement le 24 février 2012. Toutefois, en application de la loi sur les porteurs d’obligations et comme suite à la décision du Gouvernement de faire jouer les clauses d’action collective contenues dans celle-ci, les obligations détenues par les auteurs ont été retirées du marché et tous les droits et obligations en découlant se sont éteints. Les auteurs ont reçu en échange des obligations régies par le droit britannique. En raison de l’application des clauses d’action collective et selon les modalités de cet échange non consenti, ils ont subi une perte considérable sur leur investissement, bien supérieure à la décote de 53,5 % de la valeur nominale de leurs obligations. Les nouveaux titres ont qui plus est une maturité bien plus longue que les anciens titres. Les auteurs ont par conséquent subi une perte financière qui avoisinerait 70 % de la valeur de leur investissement de départ.

2.7Les auteurs affirment ne disposer d’aucun recours utile, au sein du système juridique grec ou ailleurs, qui leur permette de contester la compatibilité de l’introduction rétroactive et de l’application des clauses d’action collective avec les droits consacrés par le Pacte. Ils renvoient à la jurisprudence du Comité (affaire Länsman et consorts c.Finlande), faisant valoir qu’ils ne sont pas tenus d’épuiser les recours internes si, au regard de la jurisprudence de la plus haute juridiction nationale sur la question litigieuse, il est exclu qu’un recours devant les juridictions internes puisse connaître une issue favorable. D’après la jurisprudence du Comité, nul n’est tenu de contester la légalité d’une mesure si cette dernière est clairement autorisée par le droit interne. Les auteurs notent que la procédure d’action collective a été introduite rétroactivement par la loi de 2012 sur les porteurs d’obligations et qu’elle s’applique à toutes les obligations publiques régies par le droit grec, ce qui permet à l’État partie d’imposer la novation proposée des titres visés, après avoir obtenu l’approbation d’une majorité des deux tiers des porteurs d’obligations. Les griefs qu’ils tirent de l’article 26 du Pacte découlent par conséquent d’une défaillance fonctionnelle du droit interne qui pénalise des milliers de porteurs d’obligations. La décision d’imposer la novation proposée à la minorité de créanciers qui n’y avaient pas consenti a été prise sans que l’État ait officiellement exposé les raisons pour lesquelles il était impératif d’étendre la portée du plan de participation du secteur privé en faisant jouer les clauses d’action collective. En outre, le Parlement grec a affirmé que le recours à la procédure d’action collective était nécessaire pour protéger l’intérêt général suprême et déclaré que les dispositions en cause primaient toute autre disposition contraire. L’introduction, à titre rétroactif, de la procédure d’action collective a été sciemment mise en œuvre comme une mesure dérogatoire, contraire aux droits des porteurs d’obligations.

2.8En 2012, plusieurs porteurs d’obligations de nationalité grecque ont saisi le Conseil d’État pour contester la décision du Gouvernement de faire jouer les clauses d’action collective et de procéder à l’échange d’obligations en application de la loi sur les porteurs d’obligations. Le 21 mars 2014, le Conseil d’État a statué sur la première série de recours, estimant que les dispositions de la loi sur les porteurs d’obligations et la décision du Gouvernement de faire jouer les clauses d’action collective n’étaient pas contraires au principe constitutionnel d’égalité, ne portaient pas atteinte au droit de propriété, et n’outrepassaient pas l’interdiction de la discrimination énoncée dans la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme). Les auteurs ne disposaient en Grèce d’aucun recours juridictionnel qui leur aurait offert des perspectives raisonnables d’obtenir gain de cause, aurait abouti à la constatation d’une violation des droits qui leur sont garantis par le Pacte et leur aurait permis d’obtenir une indemnisation suffisante. Le Conseil d’État ayant estimé que la décision d’appliquer les clauses d’action collective avait été prise conformément aux dispositions impératives de la loi sur les porteurs d’obligations et que ces dispositions avaient été adoptées dans l’intérêt général suprême et n’étaient pas contraires à la Constitution, tout effort fait pour contester l’introduction rétroactive des clauses d’action collective ou leur application serait vain.

2.9Les 17 et 19 septembre 2014, les auteurs ont saisi la Cour européenne des droits de l’homme, dénonçant une violation de leur droit à la protection de la propriété et de leur droit à la non-discrimination. Le 9 janvier 2015, ils ont été avisés que leurs requêtes avaient été jugées irrecevables par la Cour, siégeant en formation de juge unique, mais n’ont pas été informés des motifs de cette décision. Il leur a simplement été dit que les critères de recevabilité énoncés aux articles 34 et 35 de la Convention européenne des droits de l’homme n’avaient pas été remplis.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs avancent que l’échange des obligations publiques grecques imposé aux créanciers privés dans le cadre du plan de participation du secteur privé a été effectué de manière discriminatoire, en violation des droits qui leur sont reconnus par l’article 26 du Pacte puisque : a) les clauses d’action collective n’ont pas été appliquées à tous les porteurs d’obligations étrangers dans des conditions d’égalité ; b) l’État partie n’a pas réservé de traitement différent aux personnes dont la situation était sensiblement différente, et ce, sans justification objective ni rationnelle.

3.2Les auteurs affirment avoir été pénalisés par ces mesures discriminatoires, contraires à leurs droits patrimoniaux. Ils affirment qu’en tant que porteurs d’obligations d’État, ils étaient en droit de se voir rembourser, à l’échéance, la valeur nominale des obligations souscrites, et de percevoir les intérêts courus selon les modalités indiquées dans le prospectus d’émission de chaque série d’obligations. Ils affirment avoir été victimes de discrimination par rapport à d’autres investisseurs nationaux et étrangers pour les raisons suivantes :

a)Ils ont été contraints de participer au plan de participation du secteur privé et ont fait l’objet d’un traitement moins favorable que des investisseurs officiels tels que la Banque centrale européenne, les banques centrales d’autres États ou d’autres entités étatiques dont les avoirs n’ont pas fait l’objet d’une restructuration ;

b)En tant que porteurs d’obligations publiques régies par le droit grec, les auteurs ont fait l’objet d’un traitement moins favorable que celui dont ont bénéficié les créanciers privés porteurs d’obligations publiques régies par le droit d’autres États, qui n’étaient pas concernés par l’application obligatoire des clauses d’action collective ;

c)Les auteurs ont fait l’objet d’un traitement moins favorable que celui dont ont bénéficié d’autres porteurs d’obligations d’État dont les avoirs n’ont pas été renégociés selon les modalités énoncées dans la proposition formulée par le Gouvernement ;

d)Les auteurs ont été traités moins favorablement que d’autres porteurs d’obligations d’État, qui ont bénéficié de meilleures conditions dans le cadre du plan de participation du secteur privé. Ils notent ainsi qu’au lieu de recevoir des titres du Fonds européen de stabilité financière ayant une maturité d’un à deux ans, les créanciers américains ont été remboursés en espèces à hauteur de 15 % de leur investissement ;

e)Les autorités grecques n’ont fait aucune distinction entre les différents types de porteurs d’obligations, traitant de la même manière des situations foncièrement différentes. Les auteurs ont ainsi été traités de la même manière que les investisseurs institutionnels privés qui détenaient la grande majorité de la valeur nominale totale des obligations publiques grecques. Ces investisseurs ont néanmoins eu la possibilité d’influer grandement sur le plan de participation du secteur privé puisqu’ils ont négocié la décote. Il leur est en outre facile de limiter leurs pertes en achetant d’autres obligations publiques grecques sur le marché et de conserver jusqu’à l’échéance les nouvelles obligations émises dans le cadre de l’échange, sans être forcés de les brader sur le marché. Les auteurs font valoir qu’il n’était pas absolument indispensable de leur appliquer les clauses d’action collective et que la participation imposée des créanciers privés au plan de participation du secteur privé a pénalisé de façon disproportionnée un groupe particulier de créanciers, à savoir ceux qui n’ont pas pris part à la négociation du plan et n’y ont pas consenti ; ils ajoutent qu’à l’inverse, cette opération s’est avérée particulièrement avantageuse pour les principaux créanciers du secteur privé qui avaient accepté la restructuration de la dette. Ils soutiennent par conséquent que le fait de traiter de la même manière des porteurs d’obligations qui se trouvaient dans des situations très différentes est discriminatoire, étant donné que ce traitement ne visait pas un but légitime et n’avait pas de fondement objectif et légitime.

3.3Les auteurs se disent également victimes d’une violation des droits qu’ils tiennent des alinéas a) et b) du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, lus conjointement avec l’article 14. Ils affirment qu’aucune voie de recours utile ne leur est ouverte, ni au sein du système juridique de l’État partie ni ailleurs, pour leur permettre de dénoncer les violations des droits qui leur sont reconnus par le Pacte. Ils soutiennent que les voies de recours internes ordinaires qui leur sont ouvertes ne leur permettraient pas de contester la compatibilité des clauses d’action collective de la loi sur les porteurs d’obligations avec les droits qui leur sont reconnus par le Pacte.

3.4Les auteurs se disent également victimes d’une violation de l’article 4 du Pacte, l’État partie ayant adopté des mesures extraordinaires dérogeant aux obligations prévues dans le Pacte sans se conformer aux prescriptions édictées dans cet instrument. Les autorités grecques peuvent prétendre, notent-ils, que le plan de participation du secteur privé devrait être considéré comme une mesure extraordinaire, impérative et inévitable qu’elles devaient prendre pour réduire la dette souveraine et recevoir l’aide financière internationale. À cet argument les auteurs objectent qu’au regard des instruments relatifs aux droits de l’homme, une situation de crise économique ou d’instabilité financière grave n’a jamais justifié le recours à des clauses dérogatoires, et qu’il n’est pas certain que l’on puisse considérer que l’État partie a agi dans la stricte mesure où la situation l’exigeait. Ils font valoir en outre que l’application des clauses d’action collective à la minorité de porteurs d’obligations qui n’y avaient pas consenti n’était pas indispensable à la réussite du plan de participation du secteur privé, puisque le degré de participation volontaire était suffisant pour assurer, comme prévu, une réduction substantielle de la dette. Les auteurs soutiennent également que l’État partie n’a pas pleinement informé le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies des mesures dérogatoires contestées et des motifs de leur adoption.

3.5Les auteurs prient le Comité : a) d’établir que l’État partie a manqué aux obligations mises à sa charge par l’article 26 du Pacte ; b) d’établir que l’État partie a manqué aux obligations mises à sa charge par le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, lu conjointement avec l’article 14 ; c) d’établir que l’État partie a manqué aux obligations mises à sa charge par l’article 4 du Pacte ; d) de demander à l’État partie de prendre les mesures voulues pour garantir aux auteurs la jouissance effective de leur droit à l’égale protection de la loi contre la privation discriminatoire de biens et de leur droit à un recours utile et à l’égalité d’accès à la justice et pour leur accorder une réparation suffisante.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 24 janvier 2017, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité de la communication. Il a donné des renseignements d’ordre général sur la crise financière mondiale de 2008, les obligations d’État grecques, les facteurs économiques qui ont amené la Grèce à procéder à l’échange d’obligations, les clauses d’action collective et la loi sur les porteurs d’obligations. Il note qu’en dépit de l’aide financière accordée par l’Union européenne et le FMI en mai 2010, la situation financière de la Grèce a continué de s’aggraver. En juin 2011, les ministres des finances des États de la zone euro sont convenus de la nécessité de prendre de nouvelles mesures pour éviter la faillite de l’État grec, notamment de mobiliser des fonds supplémentaires auprès de sources publiques et privées, et d’assurer la participation du secteur privé. Le 26 octobre 2011, les chefs d’État de la zone euro se sont mis d’accord sur les modalités de la procédure de participation du secteur privé, procédure que l’État partie était tenu de mettre en œuvre pour pouvoir continuer de bénéficier de l’appui des États membres de la zone euro. L’accord prévoyait une annulation d’environ 50 % de la valeur totale des obligations détenues par les créanciers privés, mesure qui devait être appliquée début 2012. Le 21 février 2012, les ministres des finances des États de la zone euro ont annoncé une augmentation de l’enveloppe financière accordée à la Grèce et ont déclaré être parvenus à un accord avec le secteur privé sur les conditions générales du plan de participation du secteur privé, qui prévoyait une réduction de 53,5 % de la valeur nominale de la dette grecque. L’aide financière était subordonnée à la mise en œuvre de l’échange d’obligations.

4.2L’État partie fait observer que les détails de la procédure appliquée aux fins de la mise à exécution du plan de participation du secteur privé étaient expliqués sur le site Web officiel sur lequel les demandes de participation à l’opération et tous autres documents utiles, notamment les avis et les textes législatifs applicables, étaient publiés. En outre, les établissements de crédit et autres dépositaires s’étaient engagés à informer leurs clients de la procédure, conformément aux principes généraux régissant leur relation juridique avec ces derniers. L’État partie soutient que le taux élevé de participation à l’opération montre que les dépositaires mandatés par les investisseurs ont informé ces derniers de l’opération, comme prévu dans les accords conclus entre eux.

4.3L’État partie soutient que la communication est irrecevable au regard de l’article premier du Protocole facultatif, les auteurs n’ayant pas démontré leur qualité de victimes en montrant qu’ils avaient été personnellement et directement pénalisés par l’échange d’obligations qui leur a été imposé en mars 2012. Il fait valoir que, compte tenu de la nature juridique des obligations et du fait qu’il s’agit de titres au porteur, dématérialisés et échangeables sur le marché secondaire, il ne sait pas, ni n’est en mesure de savoir, qui détient les titres qu’il émet et quelles transactions sont réalisées par chaque créancier. Il affirme donc n’être pas en mesure de savoir qui est le détenteur final de chaque titre ; cette information est connue de l’établissement de crédit qui vend les titres, établissement qui est le dépositaire mandaté par chaque investisseur. Plus précisément, l’État partie soutient que les auteurs n’ont pas démontré qu’ils détenaient des titres visés par l’opération d’échange, ou qu’ils avaient participé ou non à la procédure de vote. Il soutient que, pour étayer leurs allégations, les auteurs doivent produire des certificats indiquant les caractéristiques exactes de leurs titres, à savoir le code ISIN, la date d’émission, le taux d’intérêt et le nombre de titres, et contenant des renseignements attestant qu’ils détiennent les titres en cause, notamment la date et le prix d’acquisition, ainsi que tout ordre relatif à leur participation ou à leur absence de participation à la procédure de vote.

4.4L’État partie soutient en outre que la communication est irrecevable au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, les auteurs n’ayant pas épuisé les recours internes. Il fait observer que les auteurs auraient pu contester la légalité des actes administratifs en cause devant le Conseil d’État en formant un recours en annulation de ces actes, mais qu’ils ne l’ont pas fait. Il fait également valoir que, dans le cadre d’un tel recours, le Conseil d’État peut conclure au défaut de compétence, au non-respect d’une règle de procédure essentielle, à une infraction à la loi ou à un abus de pouvoir discrétionnaire. Toute requête devant le Conseil d’État est recevable si elle est introduite dans un délai de soixante jours à compter de la notification de l’acte au requérant, ou de sa publication, si la loi le prévoit, ou à défaut, de la date à laquelle le requérant a pris connaissance de l’acte. Ce délai est porté à quatre-vingt-dix jours si le requérant réside à l’étranger. Le délai a ainsi commencé à courir à compter du 9 mars 2012, date à laquelle la décision no 2/20964/0023A/9.3.2012 du Vice-Ministre des finances a été publiée au Journal officiel. L’État partie relève que les médias, tant nationaux qu’internationaux, ont largement couvert la réduction de la dette au moyen de l’échange d’obligations, et que toutes les parties intéressées ont donc pu être immédiatement informées de la procédure. Il observe également que, dans un recours en annulation formé devant le Conseil d’État, le requérant peut dénoncer une violation de ses droits constitutionnels, ainsi que des droits que lui reconnaissent la Convention européenne des droits de l’homme ou le Pacte. L’État partie soutient qu’il ne fait par conséquent aucun doute qu’un recours en annulation constitue un recours utile. Il fait valoir que certains résidents étrangers ont introduit des requêtes de cette nature devant le Conseil d’État dans les délais prescrits.

4.5L’État partie fait valoir que les auteurs auraient donc pu saisir le Conseil d’État pour exposer les griefs qu’ils tiraient des dispositions du Pacte. En ne le faisant pas, ils ont privé le Conseil d’État de la possibilité d’examiner les violations présumées. L’État partie relève que le Conseil d’État, siégeant en formation plénière, a rendu sa première décision bien après l’expiration du délai de recours en annulation, et fait valoir que, par conséquent, à l’expiration du délai, les auteurs disposaient d’un recours utile. Il soutient que quiconque n’a pas introduit de requête devant le Conseil d’État a accepté la légalité de la procédure.

4.6L’État partie relève que, dans une lettre datée du 16 janvier 2017, le greffier de la Cour européenne des droits de l’homme a confirmé que la requête introduite par les auteurs devant la Cour avait été déclarée irrecevable pour non-épuisement des recours internes, les auteurs n’ayant pas formé de recours en annulation devant le Conseil d’État. Il note en outre qu’en l’affaire Mamatas et autres c. Grèce, la Cour a jugé irrecevables les requêtes introduites par les requérants qui n’avaient pas saisi le Conseil d’État, estimant qu’au moment où ils avaient choisi de ne pas former de recours devant cette instance, les intéressés ne pouvaient prédire l’issue de la procédure.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1Le 27 février 2017, les auteurs ont soumis leurs commentaires sur les observations de l’État partie. Ils soutiennent avoir démontré leur qualité de victimes. Ils précisent avoir joint à leur plainte des documents délivrés par leurs établissements de crédit et contenant : a) les caractéristiques exactes des titres, notamment le code ISIN, la date d’émission, le taux d’intérêt et le nombre de titres ; b) des éléments démontrant qu’ils détenaient ces titres, notamment la date et le prix d’acquisition ; c) une attestation de leur banque dépositaire indiquant qu’ils n’avaient donné aucune instruction concernant leur participation au vote ; d) la preuve qu’ils détenaient les titres en question le 9 mars 2012, date de la mise à exécution du plan de participation du secteur privé.

5.2Pour ce qui est de l’épuisement des recours internes, les auteurs renvoient à la jurisprudence du Comité, notant qu’il n’y a pas lieu d’épuiser les recours internes lorsque ceux-ci n’offrent pas de perspectives raisonnables d’obtenir réparation ou s’il est exclu, au regard de la jurisprudence de la plus haute juridiction nationale sur la question litigieuse, qu’un recours devant les juridictions internes puisse connaître une issue favorable. Les auteurs notent que le Conseil d’État a débouté de leurs recours en annulation d’autres porteurs d’obligations qui se trouvaient dans la même situation qu’eux, estimant que la loi sur les porteurs d’obligations et l’application des clauses d’action collective étaient pleinement conformes à la Constitution et aux obligations internationales relatives aux droits de l’homme. Ils estiment que le Comité devrait s’intéresser à la question de savoir si les recours internes ont été épuisés au moment où il examinera la recevabilité de la plainte.

5.3Les auteurs renvoient à la jurisprudence du Comité, dont il ressort que nul n’est tenu de contester l’action d’un État partie si celle-ci est clairement autorisée par le droit interne. Ils font valoir que l’application des clauses d’action collective était autorisée en vertu de la loi sur les porteurs d’obligations et que ces clauses étaient destinées à être impératives et immédiatement applicables et étaient supposées primer toute autre disposition contraire. Ils soutiennent en outre que le contexte politique et économique dans lequel les violations présumées ont été commises doit également être pris en considération. Ils affirment avoir été expropriés au motif que l’État partie se serait trouvé dans une situation d’urgence. Dans ces circonstances exceptionnelles, ils n’étaient donc pas en mesure, disent-ils, de contester les actions de l’État partie.

5.4Pour ce qui est de la requête qu’ils ont introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme, les auteurs notent que, contrairement à l’État partie, ils n’ont pas été informés par la Cour des motifs de la décision d’irrecevabilité qu’elle a rendue. Ils soutiennent en outre qu’en tant que ressortissants étrangers, ils n’avaient pas accès aux tribunaux grecs dans des conditions d’égalité avec les citoyens grecs, ce qui les distingue des requérants grecs dans l’affaire Mamatas et autres c.Grèce. Ils notent que, bien que la loi sur les porteurs d’obligations ait été rédigée en anglais, elle a été publiée au Journal official grec. Ils font valoir en outre qu’ils n’ont pas été informés de la proposition de l’État partie et en ont pris connaissance trop tard pour pouvoir prendre contact avec un avocat grec. Compte tenu de ces circonstances exceptionnelles, on ne saurait considérer que leur situation est semblable à celles des requérants grecs de l’affaire Mamatas.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité note que, d’après l’État partie, la communication devrait être déclarée irrecevable pour non-épuisement des recours internes, les auteurs n’ayant pas saisi le Conseil d’État pour contester la légalité de la loi sur les porteurs d’obligations et de l’application des clauses d’action collective. Il prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel le Conseil d’État peut, dans le cadre d’un tel recours, déterminer s’il y a eu violation des droits que le requérant tient du Pacte ou d’autres instruments relatifs aux droits de l’homme. Il note en outre que, selon ce qu’affirme l’État partie, le Conseil d’État peut aussi déterminer, dans le cadre de la même procédure, si l’acte administratif en cause est contraire à des règles de procédure essentielles ou à la loi, ou s’il constitue un abus de pouvoir discrétionnaire. Le Comité note que les auteurs affirment qu’ils ne disposaient, dans l’État partie, d’aucun recours utile qui leur aurait offert des perspectives raisonnables d’obtenir gain de cause et aurait abouti à la constatation d’une violation des droits qui leur sont garantis par le Pacte. Il prend aussi note de l’argument des auteurs selon lequel le Conseil d’État avait estimé, dans la décision rendue le 21 mars 2014 concernant des requêtes introduites par d’autres porteurs d’obligations, que les dispositions de la loi sur les porteurs d’obligations et la décision du Gouvernement grec de faire jouer les clauses d’action collective n’étaient pas contraires au principe constitutionnel d’égalité, ne portaient pas atteinte au droit de propriété et n’outrepassaient pas l’interdiction de la discrimination énoncée dans la Convention européenne des droits de l’homme. Il relève en outre que, selon les auteurs, l’application des clauses d’action collective était clairement autorisée par la loi sur les porteurs d’obligations, et qu’il aurait donc été vain d’en contester la légalité devant le Conseil d’État.

6.4Le Comité rappelle sa jurisprudence, dont il ressort que, bien qu’il ne soit pas obligatoire d’épuiser les recours internes si ceux-ci n’ont aucune chance d’aboutir, les auteurs des communications doivent faire preuve de la diligence voulue pour exercer les voies de recours qui leur sont ouvertes et que de simples doutes ou supputations quant à l’utilité d’un recours ne dispensent pas un auteur de l’épuiser. Il rappelle également que, selon sa jurisprudence, les auteurs ne sont pas tenus d’épuiser les recours internes aux fins du Protocole facultatif lorsqu’au regard de la jurisprudence de la plus haute juridiction nationale sur la question litigieuse, il est exclu qu’un recours devant les juridictions internes puisse connaître une issue favorable. Il fait observer qu’en l’espèce, les auteurs auraient pu former un recours en annulation devant le Conseil d’État, arguant d’une violation des droits que leur reconnaît le Pacte. Il note que la proposition de l’État partie et les conditions de participation au plan de participation du secteur privé avaient été rendues publiques dans un communiqué de presse publié par le Ministère des finances le 24 février 2012, et que des renseignements concernant l’opération avaient été publiés sur un site Web spécialement prévu à cet effet, tandis que les établissements de crédit s’étaient engagés à informer leurs clients de l’opération. Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel les médias, tant nationaux qu’internationaux, avaient largement relayé les informations concernant l’opération et l’échange d’obligations. Le Comité fait en outre observer qu’à l’expiration du délai de recours en annulation, le Conseil d’État n’avait jamais encore tranché la question litigieuse. Dans ces conditions, il estime qu’en ne formant pas de recours en annulation devant le Conseil d’État, les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes qui leur étaient ouverts. Il considère donc que la communication est irrecevable au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.5Étant parvenu à cette conclusion, le Comité n’examinera pas séparément les motifs de recevabilité énoncés à l’article premier du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et aux auteurs.