Nations Unies

CCPR/C/120/D/2470/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

9 octobre 2017

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2470/2014*,**,***

Communication présentée par :

Hibaq Said Hashi (représentée par un conseil, Stinne Østergaard Poulsen, du Conseil danois pour les réfugiés)

Au nom de :

L’auteure et son fils mineur, S. A. A.

État partie :

Danemark

Date de la communication :

27 octobre 2014 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 27 octobre 2014 (non publiée sous forme de document)

Date de s constatat ion s :

28 juillet 2017

Objet :

Expulsion vers l’Italie

Question(s) de procédure :

Allégations insuffisamment étayées

Question(s) de fond :

Traitement inhumain et dégradant

Article(s) du Pacte :

7

Article(s) du Protocole facultatif :

2

1.1L’auteure de la communication est Mme Hibaq Said Hashi, de nationalité somalienne, née le 1er janvier 1989. Elle présente la communication en son nom propre et au nom de son enfant mineur, S. A. A., né le 18 mai 2012 en Suède. Elle affirme que, s’il procédait à leur expulsion vers l’Italie, l’État partie commettrait une violation des droits qu’elle-même et son fils tiennent de l’article 7 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Danemark le 23 mars 1976. L’auteure est représentée par un conseil.

1.2Le 27 octobre 2014, conformément à l’article 92 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a demandé à l’État partie de ne pas expulser l’auteure et son fils mineur vers l’Italie tant que la communication serait à l’examen. Le 28 octobre 2014, la Commission de recours des réfugiés a différé jusqu’à nouvel ordre l’expulsion des intéressés de l’État partie, conformément à la demande du Comité.

1.3Les 28 janvier et 7 décembre 2016, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a rejeté la demande de levée des mesures provisoires de l’État partie.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1L’auteure, qui est originaire de Qoryooley (région du Bas-Chébéli, Somalie), et appartient au clan Madhiban, est de religion musulmane. Elle n’est pas allée à l’école. Son travail en Somalie consistait à réaliser des peintures au henné sur les mains et les pieds. Les clans Gare et Jidle étaient majoritaires dans sa ville, qui était contrôlée par les Chabab. Après avoir divorcé de son premier époux, l’auteure a rencontré son époux actuel, avec qui elle s’est mariée en février 2011. Quand les membres de sa belle-famille l’ont appris, en mai 2011, leur réaction a été violente, car ils n’acceptaient pas que son mari actuel, qui appartenait au clan Hawaadle, ait épousé quelqu’un d’un clan différent. En outre, son ex‑époux a dit aux Chabab qu’en fait, elle n’était même pas divorcée, et qu’elle avait eu des rapports sexuels avec un autre homme. Le 2 juillet 2011, les Chabab ont pris contact avec le père de l’auteure et lui ont dit que celle-ci avait eu des rapports sexuels avec un autre homme que son époux, et qu’elle devait être lapidée. Le père de l’auteure l’a aidée à quitter Qoryooley le jour même. Il a été tué par les Chabab le 3 juillet 2011. L’époux actuel de l’auteure a été condamné à mort, et elle ne sait pas où il se trouve actuellement. Elle a fui la Somalie car elle craignait d’être persécutée par les Chabab.

2.2L’auteure est arrivée en Italie par bateau en août 2011. Elle a été enregistrée le 11 août 2011 et orientée vers un centre d’accueil. Selon l’auteure, les conditions de vie dans ce centre étaient mauvaises : elle dormait sur un matelas, sans draps, dans un hangar, et ne recevait qu’un repas par jour. Elle ne se rappelle pas avoir été entendue par la police italienne en dehors de son enregistrement à son arrivée, et elle ne savait pas qu’elle avait un titre de séjour en Italie (voir par. 2.6). Elle est tombée enceinte et a commencé à avoir des saignements et à se sentir mal. Elle affirme que, contrairement à ce qu’indique le résumé de l’entretien avec la police, dont il est fait état dans la décision prise par la Commission danoise de recours des réfugiés en date du 13 janvier 2014, elle n’a pas été hospitalisée. On lui a dit qu’elle ne pouvait pas aller à l’hôpital ni consulter un médecin. Une infirmière s’est alors occupée d’elle et a confirmé que le fœtus était vivant, mais ne lui a pas prodigué de soins particuliers. Parfois, l’auteure ne mangeait pas car elle était trop faible pour faire la queue pour le repas quotidien.

2.3En mars 2012, l’auteure se sentait mieux, mais elle avait toujours des difficultés à obtenir de la nourriture et à accéder à des structures sanitaires de base. Elle a découvert qu’il était très difficile de trouver un logement en Italie, et elle avait peur d’accoucher sans assistance médicale. Elle s’est donc rendue en Suède, où elle a accouché le 18 mai 2012. Elle affirme que son fils mineur n’a pas été enregistré en Italie et n’a pas de titre de séjour dans ce pays.

2.4Quand l’auteure a appris que les autorités suédoises voulaient la renvoyer en Italie, elle a décidé de partir pour le Danemark, où elle est arrivée avec son fils, sans documents de voyage valides, le 1er août 2012. Le 2 août 2012, elle a déposé une demande d’asile auprès du Service danois de l’immigration. Elle affirmait que, si elle était renvoyée en Somalie, elle serait persécutée par les Chabab, que son père avait été tué par ce groupe et que son époux actuel avait été condamné à mort. Elle a de surcroît fait valoir pendant la procédure que, si elle était renvoyée en Italie, elle vivrait à nouveau dans des conditions très difficiles et ne serait pas en mesure de subvenir aux besoins élémentaires de son fils. Elle serait sans doute sans abri et sans ressources, et dépendrait entièrement de l’aide des églises pour se nourrir.

2.5Selon le procès-verbal d’enregistrement établi le 16 août 2012 par le centre national des étrangers de la police danoise, l’auteure a déclaré que, à son arrivée en Italie, elle avait été hospitalisée en raison de sa grossesse ; qu’elle n’avait pas déposé de demande d’asile en Italie, et n’avait pas reçu de permis de séjour ou d’autre document de la part des autorités ; qu’elle s’était rendue en Suède en mars 2012 avec un faux passeport italien car les conditions de vie en Italie n’étaient pas adaptées à une femme enceinte. Elle a mentionné la mauvaise qualité de la nourriture, les difficultés d’accès à l’eau et le fait qu’elle était livrée à elle-même et ne pouvait pas subvenir à ses besoins.

2.6Le 19 mars 2013, le Service de l’immigration a envoyé à l’Italie une demande d’informations au titre de l’article 21 du Règlement Dublin. Le 4 juin 2013, les autorités italiennes l’ont informé que l’auteure s’était vu accorder la protection subsidiaire, et donc le droit de résider en Italie, jusqu’au 22 décembre 2014.

2.7L’auteure a été entendue par le Service de l’immigration le 18 novembre 2013. Selon le compte rendu de l’entretien, l’auteure a déclaré qu’elle n’était pas sûre d’avoir obtenu un permis de séjour en Italie ; qu’on lui avait remis de nombreux documents, et qu’elle ne savait pas si l’un d’eux était un permis de séjour ; qu’elle avait été malade et avait reçu des soins à l’hôpital ; qu’elle n’avait pas été hospitalisée, mais qu’une infirmière était venue la voir à l’endroit où elle vivait à l’époque, une maison à la campagne ; qu’elle avait quitté l’Italie dès sa guérison. Pendant l’entretien, elle a été informée que, le 4 juin 2013, les autorités italiennes avaient indiqué qu’elle avait obtenu la protection subsidiaire et un permis de séjour valable jusqu’au 22 décembre 2014. Elle a également été informée que, selon l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme (« la Cour européenne » ou « la Cour ») dans l’affaire Samsam Mohammed Hussein et autres c. Pays-Bas et Italie, les personnes à qui l’Italie accordait la protection subsidiaire obtenaient un permis de séjour renouvelable valable trois ans, qui, notamment, leur donnait le droit à un document de voyage pour étrangers, et leur permettait de travailler et de bénéficier du regroupement familial et des prestations prévues par la loi italienne en matière d’aide sociale, de soins médicaux, de logement social et d’éducation. L’auteure n’a pas commenté ces informations. Le même jour, le Service de l’immigration a estimé que, du fait de sa situation en Somalie, l’auteure avait besoin d’une protection subsidiaire, mais qu’elle devrait être renvoyée en Italie qui était son premier pays d’asile. L’auteure a contesté la décision devant la Commission de recours des réfugiés.

2.8Lors de son audition par la Commission de recours des réfugiés, l’auteure a indiqué que sa vie en Italie était difficile car après avoir reçu trop peu de nourriture, elle avait été sous‑alimentée, s’évanouissait souvent et avait failli faire une fausse couche. Cependant, personne ne l’avait emmenée à l’hôpital. Elle s’était plainte de ces conditions de vie, sans succès. Sa vie serait donc en danger si elle était renvoyée en Italie.

2.9Le 13 janvier 2014, la Commission de recours des réfugiés a estimé que l’auteure relevait des prévisions du paragraphe 2 de l’article 7 de la loi sur les étrangers car elle avait été persécutée par les Chabab, et qu’il s’agissait donc de déterminer si l’Italie pouvait être son premier pays d’asile, en application du paragraphe 3 de l’article 7 de la même loi. La Commission a renvoyé à la décision rendue par la Cour européenne dans l’affaire Samsam Mohammed Hussein et autres c. Pays-Bas et Italie, et a estimé qu’on ne pouvait considérer comme certain que l’auteure serait morte de faim si elle était restée en Italie ; que l’auteure ne risquerait pas le refoulement à son retour en Italie, où elle avait obtenu un permis de séjour temporaire valable jusqu’à la fin de 2014 ; que les conditions financières et sociales dans lesquelles elle se trouverait seraient adéquates, et que l’Italie pouvait donc être son premier pays d’asile au titre du paragraphe 3 de l’article 7 de la loi sur les étrangers. La Commission a donc ordonné à l’auteure de quitter le Danemark avec son fils dans les quinze jours.

2.10L’auteure affirme qu’elle a épuisé tous les recours internes au Danemark, car la décision de la Commission de recours des réfugiés n’est pas susceptible d’appel devant les tribunaux danois.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure affirme que, en procédant à leur renvoi forcé en Italie, l’État partie violerait les droits qu’elle-même et son fils tiennent de l’article 7 du Pacte. Les insuffisances dans l’accueil des demandeurs d’asile et des réfugiés titulaires de permis de séjour temporaires en Italie leur feraient courir, à elle et plus particulièrement à son fils mineur, le risque de subir un traitement inhumain et dégradant ; ils se trouveraient dans le dénuement et n’auraient accès ni à un logement, ni à de la nourriture, ni à une aide médicale. L’auteure rappelle à cet égard ce qu’elle a vécu en Italie avant son départ et souligne que, malgré sa grossesse, elle n’a pas pu accéder à des soins médicaux suffisants, à un logement adéquat ni à une aide humanitaire durable. Si elle était expulsée, elle ne pourrait plus être hébergée dans un centre d’accueil. Dans ces conditions, son expulsion serait contraire à l’intérêt supérieur de son enfant.

3.2Au sujet du principe du premier pays d’asile, l’auteure mentionne la conclusion no 58 (XL) (1989) du Comité exécutif du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) sur le problème des réfugiés et des demandeurs d’asile quittant de façon irrégulière un pays où la protection leur a déjà été accordée, dans laquelle il est indiqué que ce principe ne doit s’appliquer que si, à leur retour dans le premier pays d’asile, les réfugiés et les demandeurs d’asile sont autorisés à y rester et s’ils sont traités conformément aux normes humanitaires de base reconnues jusqu’à ce qu’une solution durable leur soit offerte.

3.3 Le système italien d’accueil des demandeurs d’asile et des bénéficiaires d’une protection internationale est insuffisant et n’est pas conforme aux normes humanitaires fondamentales et aux obligations internationales en matière de protection. Des rapports indiquent que des centaines de migrants, notamment des demandeurs d’asile, vivent à Rome dans des bâtiments abandonnés et n’ont qu’un accès limité aux services publics. Faute de logements et de centres d’accueil, de nombreux demandeurs d’asile et réfugiés en Italie vivent dans la rue et ne sont qu’occasionnellement nourris ou hébergés par des églises ou des organisations non gouvernementales. Les personnes qui sont renvoyées en Italie alors qu’elles avaient obtenu une protection internationale et bénéficié du système d’accueil à leur arrivée dans ce pays n’ont pas accès aux centres d’accueil. Le Service jésuite des réfugiés indique, dans son rapport annuel pour 2013, qu’un véritable problème se pose pour les personnes qui sont renvoyées en Italie et qui y avaient déjà bénéficié d’une certaine forme de protection. Si une personne quitte volontairement un des centres d’hébergement disponibles à son arrivée avant le délai fixé, elle ne peut plus prétendre à ce type d’hébergement. La plupart de celles qui occupent des bâtiments abandonnés à Rome appartiennent à cette catégorie. Il ressort des conclusions du rapport que le manque de places d’hébergement est un problème notable, en particulier pour les personnes renvoyées en Italie qui, pour la plupart, bénéficient d’une protection internationale ou humanitaire.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Par lettre du 27 avril 2015, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il considère que l’auteure n’a pas fourni d’éléments suffisants pour démontrer que sa plainte au titre de l’article 7 du Pacte était recevable. Il n’y a pas de motifs sérieux de croire que l’auteure et son fils risquent d’être soumis à la torture ou à un traitement cruel, inhumain ou dégradant s’ils sont renvoyés en Italie, et la communication est donc manifestement dénuée de fondement et doit être déclarée irrecevable. Dans l’hypothèse où le Comité considérerait les allégations de l’auteure comme recevables, l’État partie maintient que le renvoi de l’auteure et de son fils mineur vers l’Italie ne constituerait pas une violation de l’article 7 du Pacte.

4.2 L’État partie décrit la structure, la composition et le fonctionnement de la Commission de recours des réfugiés ainsi que la législation applicable aux cas relevant du Règlement Dublin.

4.3 L’auteure n’a fourni aucun autre élément essentiel concernant son affaire devant le Comité, au-delà des arguments déjà invoqués dans le cadre de la procédure d’asile. L’État partie considère que les renseignements fournis ont fait l’objet d’un examen approfondi par la Commission de recours des réfugiés dans sa décision du 13 janvier 2014. La Commission a estimé que l’auteure relevait des prévisions du paragraphe 2 de l’article 7 de la loi relative aux étrangers. Cependant, étant donné qu’elle s’était déjà vu accorder une protection subsidiaire en Italie, l’auteure pouvait rentrer dans ce pays et y séjourner légalement avec son enfant. L’Italie est considérée comme le premier pays d’asile, ce qui justifie le refus des autorités danoises d’accorder l’asile à l’auteure et à son fils, conformément au paragraphe 3 de l’article 7 de la loi relative aux étrangers.

4.4Lorsqu’elle applique le principe du pays de premier asile, la Commission de recours des réfugiés exige au minimum que le demandeur d’asile soit protégé contre le refoulement et qu’il soit en mesure d’entrer et de s’établir légalement dans le pays concerné. Une telle protection comprend certains éléments sociaux et économiques, puisque les demandeurs d’asile doivent être traités conformément à des normes humanitaires fondamentales et que leur intégrité personnelle doit être préservée. L’élément essentiel d’une telle protection est que la sécurité personnelle de l’intéressé doit être assurée, tant au moment de son entrée qu’au cours de son séjour dans le pays de premier asile. Toutefois, l’État partie considère que l’on ne saurait demander instamment que les demandeurs d’asile aient exactement la même situation sociale et le même niveau de vie que les nationaux de ce pays.

4.5L’État partie renvoie à la décision d’irrecevabilité rendue le 2 avril 2013 par la Cour européenne dans l’affaire Samsam Mohammed Hussein et autres c. Pays-Bas et Italie , qui concernait le traitement des demandeurs d’asile, des bénéficiaires d’une protection subsidiaire en Italie et des personnes renvoyées, prévu par le Règlement Dublin. La Cour, tenant compte des rapports établis par des organisations tant gouvernementales que non gouvernementales, a considéré que « si la situation générale et les conditions de vie en Italie des demandeurs d’asile, des réfugiés acceptés et des étrangers ayant obtenu un permis de séjour à des fins de protection internationale ou à des fins humanitaires peuvent révéler quelques défaillances [...], il n’est pas établi qu’elles font ressortir une incapacité systémique à offrir un soutien et des structures destinées aux demandeurs d’asile en tant que personnes appartenant à un groupe particulièrement vulnérable, comme c’était le cas dans M. S. S. c. Belgique et Grèce ». La Cour a relevé qu’une personne ayant obtenu une protection subsidiaire en Italie recevait un permis de séjour d’une durée de trois ans, renouvelable, qui lui donnait le droit de travailler, d’obtenir un document de voyage pour étrangers, de solliciter le regroupement familial et de bénéficier des prestations générales en matière d’aide sociale, de soins médicaux, de logement social et d’éducation. En outre, un étranger pouvait demander le renouvellement de son permis de séjour à l’expiration de celui-ci. La Cour a estimé que les griefs de la requérante étaient manifestement infondés et irrecevables, et que l’intéressée pouvait être renvoyée en Italie. Dans la présente affaire, l’État partie considère que, bien que l’auteure se soit appuyée sur les conclusions de la Cour dans l’affaire M. S. S. c. Belgique et Grèce (2011), la décision rendue en l’affaire Samsam Mohammed Hussein et autres c. Pays-Bas et Italie (2013) est plus récente et traite spécifiquement de la situation en Italie. Il soutient donc que, comme l’a fait observer la Cour, une personne ayant obtenu une protection subsidiaire en Italie se verrait accorder un permis de séjour de trois ans renouvelable lui permettant de travailler, d’obtenir un document de voyage pour étrangers, de solliciter le regroupement familial et d’avoir accès aux prestations générales en matière d’aide sociale, de soins de santé, de logement social et d’éducation.

4.6L’État partie renvoie aussi au rapport de 2013 sur l’Italie cité par l’auteure − établi dans le cadre du projet Asylum Information Database − qui indique que certains demandeurs d’asile qui n’avaient pas accès aux centres d’accueil étaient contraints de vivre dans des « camps de fortune » souvent surpeuplés. Il fait valoir que, dans la mise à jour de ce rapport en date de décembre 2013, il est indiqué qu’il s’agissait des conditions d’accueil en Italie des demandeurs d’asile, et non des étrangers qui, comme l’auteure, avaient déjà obtenu un permis de séjour. Il relève également que l’auteure s’est essentiellement appuyée sur des rapports et d’autres renseignements d’ordre général relatifs aux conditions d’accueil en Italie qui concernaient uniquement les demandeurs d’asile, notamment les personnes renvoyées en Italie conformément au Règlement Dublin, et non les personnes qui, comme elle, avaient déjà obtenu une protection subsidiaire dans ce pays. De surcroît, aucune nouvelle information n’est apportée sur les conditions de vie en Italie des personnes qui se sont vu accorder un titre de séjour, par rapport à la décision rendue par la Cour européenne en l’affaire Samsam Mohammed Hussein et autres c. Pays-Bas et Italie .

4.7L’État partie renvoie à une autre décision, rendue en l’affaire Tarakhel c. Suisse, dans laquelle la Cour européenne a jugé qu’il y aurait violation de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention européenne des droits de l’homme ») (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) si les autorités suisses renvoyaient une famille de requérants afghans de Suisse vers l’Italie en vertu du Règlement Dublin sans avoir au préalable obtenu des autorités italiennes des garanties individuelles concernant une prise en charge adaptée à l’âge des enfants et la préservation de l’unité familiale. L’État partie estime que la décision rendue en l’affaire Tarakhel c. Suisse ne s’écarte pas de la jurisprudence de la Cour au sujet des individus et des familles titulaires d’un permis de séjour en Italie, car elle concerne des demandeurs d’asile. Il fait valoir que les États parties ne sont pas censés obtenir des garanties individuelles des autorités italiennes préalablement au renvoi de personnes ou de familles ayant besoin de protection à qui un permis de séjour a déjà été accordé en Italie.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie

5.1En date du 15 janvier 2016, l’auteure a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie et réitéré ses remarques à propos d’une violation de l’article 7 du Pacte. Elle affirme qu’en Italie, les conditions de vie des demandeurs d’asile et des bénéficiaires d’une protection (subsidiaire) internationale sont analogues, car il n’existe aucun dispositif d’intégration efficace. Les demandeurs d’asile et les bénéficiaires d’une protection subsidiaire se heurtent souvent aux mêmes difficultés considérables pour trouver un abri élémentaire, accéder à des structures sanitaires et se nourrir. Le fait que les rapports cités dans la communication initiale portent principalement sur les centres d’accueil pour les demandeurs d’asile ne rend pas moins valides les informations sur les conditions de vie des bénéficiaires d’une protection internationale.

5.2L’auteure conteste en outre l’interprétation que fait l’État partie de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Elle fait valoir que les passages de la décision Samsam Mohammed Hussein et autres c. Pays-Bas et Italie mis en avant par l’État partie décrivent les dispositions législatives applicables produites par les autorités italiennes. Or, ces informations au sujet des conditions d’accueil des demandeurs d’asile et des réfugiés ne correspondent pas aux conclusions du HCR, ni à celles des ONG.

5.3Contrairement à l’interprétation de l’État partie, l’arrêt rendu en l’affaire Tarakhel c. Suisse est un élément plus pertinent de la jurisprudence de la Cour car, comme il est indiqué plus haut, les conditions de vie et les difficultés pour trouver un abri, avoir accès à des soins médicaux et se nourrir sont similaires pour les demandeurs d’asile et les personnes qui ont déjà obtenu une protection. Dans l’affaire Tarakhel c. Suisse, la Cour a déclaré que la présomption selon laquelle un État participant au système de Dublin respecterait les droits fondamentaux inscrits dans la Convention européenne des droits de l’homme n’était pas irréfragable. Elle a également estimé que, compte tenu de la situation actuelle en Italie, « l’on ne saurait écarter comme dénuée de fondement l’hypothèse d’un nombre significatif de demandeurs d’asile privés d’hébergement ou hébergés dans des structures surpeuplées dans des conditions de promiscuité, voire d’insalubrité ou de violence ». Elle a demandé aux autorités suisses de s’assurer auprès de leurs homologues italiennes que les requérants (une famille) seraient accueillis dans des structures et des conditions adaptées à l’âge des enfants, faute de quoi la Suisse commettrait une violation de l’article 3 de la Convention en transférant les requérants en Italie. L’arrêt rendu dans l’affaire Tarakhel c. Suisse semble indiquer que l’hypothèse sur laquelle reposait la décision rendue dans l’affaire Samsam Mohammed Hussein et autres c. Pays-Bas et Italie ne peut plus être considérée comme suffisante. Au contraire, selon la Cour, des garanties individuelles, en particulier celles visant à préserver les enfants de la misère et de conditions d’hébergement éprouvantes, sont nécessaires. L’auteure fait valoir que, au vu de cette conclusion, les conditions de vie très difficiles des bénéficiaires d’une protection subsidiaire renvoyés en Italie relèveraient de l’article 3 de la Convention européenne et de l’article 7 du Pacte. En conséquence, elle réaffirme que son expulsion, avec son enfant, vers l’Italie constituerait une violation de l’article 7 du Pacte.

5.4Enfin, l’auteure souligne que les familles renvoyées qui ont déjà obtenu une protection internationale risquent même d’avoir plus de difficultés à trouver un hébergement, à accéder à des structures sanitaires et à se nourrir que des demandeurs d’asile renvoyés, qui jouissent d’un minimum de protection au titre du Règlement Dublin et peuvent, s’ils ont de la chance, être hébergés dans des centres d’accueil financés par l’Union européenne. Les familles renvoyées qui bénéficient d’une protection internationale n’ont toutefois pas accès aux centres d’accueil. Elles risquent donc de se trouver à la rue dès leur retour dans le pays et n’auront que peu de chances de voir leur situation s’améliorer compte tenu des défaillances du système italien d’intégration des bénéficiaires de la protection internationale. À cet égard, l’auteure renvoie aux constatations du Comité dans l’affaire Jasin c. Danemark, soulignant que cette affaire est très comparable à son propre cas.

Réponses complémentaires des parties

6.1En date du 5 octobre 2016, l’État partie a de nouveau présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond. Il fait observer que, d’après la réponse reçue des autorités italiennes qu’il avait consultées à l’été 2015, un étranger qui a obtenu le droit de séjourner en Italie avec un statut de réfugié ou de protection peut solliciter le renouvellement de son titre de séjour à son retour dans ce pays, même en cas d’expiration dudit titre. Les autorités italiennes ont également informé les autorités danoises que, à son retour en Italie, l’étranger doit prendre contact avec le commissariat de police ayant délivré son titre de séjour qui transmettra ensuite la demande à l’autorité compétente pour que celle-ci détermine si les conditions de renouvellement du titre sont réunies. Les autorités italiennes ont indiqué que l’étranger dont le permis de séjour a expiré peut entrer légalement en Italie aux fins du renouvellement de ce document. Dans ce contexte, l’État partie estime que l’on peut considérer comme établi que l’auteure, dont le permis de séjour en Italie au titre de la protection subsidiaire a expiré, est autorisée à entrer dans le pays pour en demander le renouvellement.

6.2 Les plaintes de l’auteure au sujet de ce qu’elle a vécu en Italie contredisent les informations générales sur l’Italie dont dispose la Commission de recours des réfugiés et les informations données par l’auteure elle-même à la Police nationale danoise et au Service de l’immigration. Selon le rapport sur l’Italie publié en décembre 2015 dans le cadre du projet Asylum Information Database (p. 83 et suiv.), les réfugiés et les étrangers bénéficiant, comme l’auteure, de la protection subsidiaire ont les mêmes droits aux soins médicaux que les nationaux. Il en ressort de surcroît qu’il suffit aux réfugiés et aux bénéficiaires d’une protection internationale de se déclarer sans ressources pour bénéficier gratuitement des services de santé. Il apparaît également que le droit à une aide médicale est acquis dès l’enregistrement de la demande d’asile, et maintenu durant la procédure de renouvellement du titre de séjour. Il ressort en outre du procès-verbal de l’entretien du 16 août 2012 établi par la Police danoise que l’auteure a dit qu’elle avait « été hospitalisée en Italie ». Selon le procès-verbal de l’entretien mené par le Service danois de l’immigration le 18 novembre 2013, l’auteure avait indiqué avoir été malade et soignée à l’hôpital. Elle a ensuite dit qu’elle n’avait en fait pas été hospitalisée, mais qu’une infirmière était venue la voir à l’endroit où elle vivait à l’époque, une maison à la campagne, qu’elle avait été soignée là-bas, et qu’elle avait quitté l’Italie dès sa guérison.

6.3Contrairement aux circonstances de l’affaire Jasin et consorts c. Danemark, en l’espèce, ni l’auteure ni son fils ne souffrent d’une maladie rendant nécessaire un traitement médical, et leur situation n’est pas exceptionnelle. Les autorités de l’État partie ont bien pris en compte les informations données par l’auteure sur son expérience. Dans l’affaire A. A. I. et A. H. A. c. Danemark, le Comité avait déclaré la communication irrecevable, car l’expérience passée des auteurs en Italie ne permettait pas d’étayer leurs dires quant à l’existence d’un risque réel d’être soumis à un traitement cruel, inhumain ou dégradant s’ils y étaient renvoyés. Très récemment, la Cour européenne a estimé, dans une affaire concernant l’expulsion d’une mère célibataire et de ses deux enfants mineurs vers l’Italie, que la requérante n’avait pas démontré que ses perspectives d’avenir en cas de renvoi vers l’Italie avec ses enfants, que ce soit d’un point de vue matériel, physique ou psychologique, faisaient apparaître un risque suffisamment réel et imminent de préjudice si grave qu’il relèverait du champ d’application de l’article 3.

7.Par courrier du 7 octobre 2016, l’auteure a de nouveau fait part de ses allégations, et a fait valoir que, en tant que mère célibataire avec un enfant mineur, elle se trouverait dans une situation de vulnérabilité comparable à celle des auteurs et de leurs enfants qui était décrite dans Jasin c. Danemark et Ali et Mohamad c. Danemark.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Le Comité note que l’auteure affirme avoir épuisé tous les recours internes utiles qui lui étaient ouverts. L’État partie n’ayant pas soulevé d’objection à cet égard, il considère que les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont remplies.

8.4Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif que le grief que l’auteure tire de l’article 7 du Pacte n’est pas étayé. Il considère toutefois que l’auteure a suffisamment étayé ses allégations aux fins de la recevabilité. En conséquence, il décide que la communication est recevable en ce qu’elle soulève des questions au regard de l’article 7 du Pacte et procède à son examen au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

9.2Le Comité prend note du grief de l’auteure, qui affirme que son expulsion vers l’Italie avec son fils mineur, en application du principe du premier pays d’asile énoncé dans le Règlement Dublin, les exposerait tous deux à un risque de préjudice irréparable contraire à l’article 7 du Pacte. L’auteure se fonde notamment sur le traitement qu’elle a effectivement subi en Italie ; sur sa vulnérabilité particulière, en tant que mère célibataire d’un jeune enfant ; sur les conditions générales dans les centres d’accueil pour demandeurs d’asile en Italie, et sur les défaillances, décrites dans divers rapports, du système italien d’intégration des bénéficiaires d’une protection internationale.

9.3Le Comité rappelle son observation générale no 31, dans laquelle il indique que les États parties ont l’obligation de ne pas extrader, déplacer, expulser quelqu’un ou le transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable, tel le préjudice envisagé à l’article 7 du Pacte, qui interdit les traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le Comité a aussi indiqué que le risque devait être personnel et qu’il fallait des motifs sérieux de conclure à l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable. Le Comité rappelle en outre sa jurisprudence, d’où il ressort qu’un poids considérable doit être accordé à l’évaluation faite par l’État partie et que, d’une manière générale, c’est aux organes des États parties au Pacte qu’il appartient d’examiner et d’apprécier les faits et les preuves en vue de déterminer l’existence d’un tel risque, sauf s’il peut être établi que l’appréciation en question était manifestement arbitraire ou a constitué un déni de justice.

9.4Le Comité note que l’auteure n’a pas contesté les informations données par les autorités italiennes au Service danois de l’immigration, indiquant qu’elle avait obtenu une protection subsidiaire en Italie ainsi qu’un permis de séjour valable jusqu’au 22 décembre 2014. Il note en outre l’allégation de l’auteure qui affirme que, alors qu’elle était enceinte et avait des problèmes de santé quand elle vivait en Italie, elle n’avait reçu aucun soin particulier et avait des difficultés à trouver de quoi se nourrir et à accéder à des services sanitaires de base.

9.5Le Comité prend note des différents rapports soumis par l’auteure, qui mettent en évidence le manque de places disponibles dans les centres d’accueil en Italie pour les demandeurs d’asile et les personnes renvoyées en application du Règlement Dublin. Il prend note, en particulier, de l’argument de l’intéressée, selon qui les personnes renvoyées en Italie et ayant déjà, comme elle, reçu une forme de protection et bénéficié du système d’accueil quand elles se trouvaient dans ce pays, ne peuvent plus prétendre à un hébergement dans un centre public d’accueil pour demandeurs d’asile. Il note également que l’auteure fait valoir que les personnes renvoyées en Italie ont aussi de grandes difficultés à accéder à des structures sanitaires et à se nourrir.

9.6Le Comité note que la Commission de recours des réfugiés a conclu que l’Italie devait être considérée en l’espèce comme premier pays d’asile et que l’État partie fait valoir que, si ledit pays est tenu de garantir aux demandeurs d’asile le respect des normes humanitaires fondamentales, il n’est pas exigé que ces personnes jouissent des mêmes acquis sociaux et du même niveau de vie que les nationaux de ce pays (voir par. 4.4). Le Comité note également que l’État partie a aussi renvoyé à une décision de la Cour européenne des droits de l’homme, dans laquelle celle-ci a déclaré que, même si la situation en Italie présentait des défaillances, elle ne faisait pas ressortir une incapacité systémique à offrir un soutien ou des structures destinées aux demandeurs d’asile (voir par. 4.5).

9.7 Le Comité rappelle que, lorsqu’ils examinent des recours formés contre des décisions d’expulsion de leur territoire, les États parties devraient accorder un poids suffisant au risque réel et personnel auquel les personnes visées seraient exposées si l’expulsion avait lieu. En particulier, pour apprécier s’il est probable que les personnes subissent des conditions de vie équivalant à un traitement cruel, inhumain ou dégradant contraire à l’article 7 du Pacte, les États parties doivent s’appuyer non seulement sur une évaluation de la situation générale dans le pays d’accueil, mais aussi sur la situation personnelle des intéressés. Cela inclut des facteurs accroissant la vulnérabilité de ces personnes et pouvant transformer une situation qui est tolérable pour la plupart en une situation intolérable pour d’autres. Les États parties devraient également tenir compte, dans les cas relevant du Règlement Dublin, de ce que les personnes expulsées ont déjà vécu dans le premier pays d’asile, qui peut mettre en relief les risques particuliers qu’elles sont susceptibles de courir et peut donc faire de leur retour dans ce pays une expérience particulièrement traumatisante pour elles.

9.8Le Comité prend note des informations données à l’État partie par les autorités italiennes, selon qui les réfugiés et les bénéficiaires de la protection subsidiaire titulaires d’un permis de séjour en Italie qui est venu à expiration peuvent demander le renouvellement de leur permis à leur retour en Italie.

9.9Cela étant, le Comité considère que l’État partie n’a pas étudié de façon approfondie les griefs fondés sur la situation personnelle de l’auteure, qui affirme que, bien qu’elle ait obtenu un permis de séjour en Italie, elle y vivrait dans des conditions intolérables.

9.10Le Comité rappelle que les États parties doivent accorder une attention suffisante au risque réel et personnel que court une personne si elle est expulsée, et considère que l’État partie devait effectuer une évaluation personnalisée du risque que l’auteure et son fils courraient en Italie, et non se fonder sur des informations d’ordre général et sur l’hypothèse que, puisqu’elle avait bénéficié d’une protection subsidiaire par le passé, l’auteure aurait en principe droit à la même protection aujourd’hui. Le Comité note que, par le passé, l’auteure a pu être hébergée dans des centres d’accueil. Cela étant, d’après ses allégations non contestées, l’auteure devait faire face à de mauvaises conditions de vie, même pendant sa grossesse, puisqu’elle dormait sur un matelas, sans draps, dans un hangar, et ne recevait qu’un repas par jour ; elle n’a aucune instruction et, bien qu’elle ait reconnu avoir reçu de nombreux documents des autorités italiennes, elle ne savait pas qu’elle avait un titre de séjour en Italie. Le Comité prend également note des allégations de l’auteure, qui affirme que, en raison des difficultés d’accès à une nourriture et à des soins médicaux suffisants en Italie, elle était sous-alimentée, s’évanouissait souvent et avait failli faire une fausse couche. Les informations dont il dispose montrent que les personnes se trouvant dans une situation comparable à celle de l’auteure se retrouvent fréquemment à la rue ou vivent dans des conditions de précarité et d’insécurité particulièrement inadaptées aux jeunes enfants. Or, dans sa décision, la Commission de recours des réfugiés n’a pas évalué l’expérience personnelle passée de l’auteure en Italie et les conséquences prévisibles de son retour forcé. Dans ces conditions, le Comité considère que l’État partie n’a pas dûment pris en compte la particulière vulnérabilité de l’auteure, mère célibataire d’un enfant de 5 ans, sans instruction, et qui n’était pas déjà intégrée dans la société italienne. Malgré la protection subsidiaire à laquelle elle a officiellement droit en Italie, rien ne permet de penser que l’auteure serait effectivement en mesure de trouver un logement et de subvenir à ses besoins et à ceux de son enfant, sans l’aide des autorités italiennes. L’État partie n’a pas non plus demandé aux autorités italiennes des assurances suffisantes que l’auteure et son fils seraient pris en charge dans des conditions répondant à leur situation de demandeurs d’asile ayant droit à une protection temporaire et aux garanties prévues à l’article 7 du Pacte. En particulier, il n’a pas demandé à l’Italie : a) de renouveler le permis de séjour de l’auteure et de délivrer un permis à son enfant ; et b) d’accueillir l’auteure et son fils dans des conditions adaptées à l’âge de l’enfant et à la vulnérabilité de la famille, ce qui leur permettrait de rester en Italie.

9.11En conséquence, le Comité considère que le renvoi de l’auteure et de son fils en Italie, dans les circonstances de l’espèce et sans les assurances précitées, constituerait une violation de l’article 7 du Pacte.

10.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que l’expulsion de l’auteure et de son fils vers l’Italie sans assurances suffisantes constituerait une violation des droits qu’ils tiennent de l’article 7 du Pacte.

11.Conformément au paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte, en vertu duquel les États parties s’engagent à respecter et à garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence les droits reconnus dans le Pacte, l’État partie est tenu de réexaminer les griefs de l’auteure, en tenant compte des obligations qui lui incombent en vertu du Pacte, des présentes constatations et de la nécessité d’obtenir de l’Italie les assurances visées au paragraphe 9.10 ci-dessus. Il est également prié de ne pas expulser l’auteure et son fils vers l’Italie tant que leur demande d’asile est en cours de réexamen.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques, à les faire traduire dans la langue officielle du pays et à les diffuser largement.

Annexe

Opinion conjointe (dissidente) de Yuval Shany,Christof Heyns et Photini Pazartzis

1.Nous regrettons de ne pas pouvoir souscrire à l’avis de la majorité des membres du Comité, qui a conclu que le Danemark manquerait à ses obligations au titre de l’article 7 du Pacte s’il mettait à exécution sa décision d’expulser l’auteure.

2.Au paragraphe 9.3 des présentes constatations, le Comité rappelle que « d’une manière générale, c’est aux organes des États parties au Pacte qu’il appartient d’examiner et d’apprécier les faits et les preuves en vue de déterminer l’existence d’un tel risque, sauf s’il peut être établi que l’appréciation en question était manifestement arbitraire ou a constitué un déni de justice ». Malgré cela, la majorité du Comité a rejeté les conclusions du Service de l’immigration et de la Commission de recours des étrangers, selon qui l’auteure n’avait pas établi l’existence de motifs d’octroi de l’asile parce qu’elle serait protégée en Italie contre le refoulement et parce que « les conditions financières et sociales dans lesquelles elle se trouverait seraient adéquates, et que l’Italie pouvait donc être son premier pays d’asile » (par. 2.9). La majorité a estimé que l’État partie n’avait pas « étudié de façon approfondie les griefs fondés sur la situation personnelle de l’auteure, qui affirme que, bien qu’elle ait obtenu un permis de séjour en Italie, elle y vivrait dans des conditions intolérables » (par. 9.9).

3.Nous ne sommes pas d’accord avec l’analyse faite par la majorité, car il ne nous a pas été démontré que les autorités danoises n’avaient pas tenu compte de l’un quelconque des faits allégués par l’auteure. En outre, la conclusion à laquelle sont parvenues les autorités danoises représente, à notre avis, une application raisonnable des normes juridiques énoncées par le Pacte.

4.Selon la jurisprudence bien établie du Comité, les États parties sont tenus de ne pas expulser une personne de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable dans le pays vers lequel doit être effectué le renvoi ou dans tout pays vers lequel la personne concernée peut être renvoyée par la suite, tel le préjudice envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte. Cependant, l’exposition à des difficultés personnelles dans le pays de renvoi ne met pas systématiquement en jeu les obligations de non-refoulement de l’État qui expulse.

5.À l’exception éventuelle du cas de personnes en proie à des difficultés particulières du fait d’une vulnérabilité spécifique, rendant leur situation particulièrement grave et sans remède, de mauvaises conditions de vie et des difficultés à avoir accès aux services sociaux disponibles ne constituent pas en elles-mêmes un motif de non-refoulement. L’interprétation inverse, qui consisterait à considérer toute personne devant faire face à la pauvreté et à une aide sociale limitée comme une victime potentielle d’une violation de l’article 7 du Pacte, est fort peu étayée par la jurisprudence du Comité ou par la pratique des États et étendrait les protections offertes par l’article 7 et par le principe de non-refoulement (qui sont de nature absolue) au-delà du raisonnable.

6.Nous appuyons les constatations adoptées par le Comité dans Jasin c. D a n e mark, mais dans cette affaire les faits étaient nettement différents de ceux de l’espèce et ne conduisaient pas à la même conclusion juridique. Dans Jasin c. Danemark, l’auteure était dans une situation particulièrement vulnérable qui faisait qu’il lui était quasiment impossible d’affronter les difficultés exceptionnelles qui l’attendaient si elle était expulsée vers l’Italie : c’était une mère seule avec trois enfants en bas âge, qui souffrait de problèmes de santé, qui avait perdu son statut d’immigration en Italie et à qui le système de protection sociale italien, comme il avait été démontré, n’avait apporté aucune assistance. Dans ces circonstances exceptionnelles, le Comité avait considéré que, faute d’assurances concrètes concernant une prise en charge par les services sociaux, l’Italie ne pouvait pas être considérée comme un pays de renvoi « sûr » pour l’auteure et ses enfants (et l’affaire soulevait en conséquence la question de la possibilité d’un refoulement de facto de l’Italie vers son pays d’origine).

7.Dans la présente affaire, il n’est pas contesté que l’auteure, qui a un enfant, bénéficie d’une protection subsidiaire et peut prétendre à des prestations sociales en Italie. L’auteure n’a aucun problème de santé et pourrait aussi travailler légalement pour subvenir à ses besoins et à ceux de son fils. Les faits de la cause montrent en outre que, contrairement à l’affaire Jasin c. Danemark, les autorités italiennes n’ont pas failli dans la prise en charge des besoins sociaux ou médicaux de l’auteure : celle-ci a bénéficié d’une solution de logement et a eu accès à des soins médicaux (voir par. 2.2).

8.Si nous considérons que son expulsion vers l’Italie risque de mettre l’auteure dans une situation plus difficile que celle qu’elle et son fils connaissent au Danemark, nous n’avons pas d’éléments portant à croire que leur situation est d’une nature différente de celle de nombreux autres demandeurs d’asile arrivés en Europe ces dernières années. Nous ne sommes pas non plus en mesure de conclure, sur la base des éléments dont nous disposons, que les difficultés auxquelles l’auteure serait exposée si elle était expulsée atteindraient un degré exceptionnel de gravité et auraient le caractère irréparable entraînant une violation de l’article 7 du Pacte. Que l’auteure n’ait pas d’instruction ne change rien à cette conclusion, car il n’y a aucune raison de penser que c’est ce qui l’a empêchée de bénéficier d’une assistance en Italie par le passé, ni que l’accès aux services sociaux en Italie suppose que les demandeurs d’asile aient un certain niveau d’instruction.

9.Dans ces circonstances, nous ne pouvons pas conclure que l’exécution de la décision des autorités danoises d’expulser l’auteure et son fils vers l’Italie serait arbitraire ou constituerait une erreur ou un déni de justice manifestes qui donneraient lieu à une violation par le Danemark de l’article 7 du Pacte. En conséquence, bien que nous regrettions que les autorités danoises aient décidé de ne pas demander d’assurances particulières à l’Italie préalablement à l’expulsion de l’auteure, nous ne considérons pas que cette omission soit constitutive d’une violation de l’article 7 du Pacte.