Nations Unies

CCPR/C/126/D/2751/2016

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

20 septembre 2019

Français

Original : espagnol

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2751/2016 * , **

Communication présentée par :

Norma Portillo Cáceres (en son propre nom et au nom de son frère décédé, Rubén Portillo Cáceres), Hermenegilda Cáceres, Isabel Bordón Ramírez (en son propre nom et au nom de son fils mineur, Diego Rubén Portillo Bordón, fils du défunt), Ruperto Bordón Juárez, Ignacio Bordón Ramírez, Caferino Bordón Ramírez, José Bordón Ramírez, Alicia Aranda (en son propre nom et au nom de son fils mineur, Santiago Bordón Aranda), Benito Milcíades Jara Silva (représentés par Coordinadora de Derechos Humanos del Paraguay (CODEHUPY))

Victime(s) présumée(s) :

Les auteurs, les deux mineurs et Rubén Portillo Cáceres

État partie :

Paraguay

Date de la communication :

30 septembre 2013

Références :

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 92 du règlement intérieur duComité, communiquée à l’État partiele 16 mars 2016 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

25 juillet 2019

Objet :

Fumigations avec des produits agrochimiques et conséquences de ces fumigations pour la vie

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Droit à un recours utile ; droit à la vie ; interdiction des traitements cruels, inhumains ou dégradants ; droit de ne pas être l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile

Article(s) du Pacte :

2 (par. 3), 6, 7 et 17

Article(s) du Protocole facultatif :

5 (par. 2 b))

1.Les auteurs de la communication, datée du 30 septembre 2013, sont Norma Portillo Cáceres, Hermenegilda Cáceres, Isabel Bordón Ramírez, Ruperto Bordón Juárez, Ignacio Bordón Ramírez, Caferino Bordón Ramírez, José Bordón Ramírez, Alicia Aranda et Benito Milcíades Jara Silva, tous de nationalité paraguayenne et majeurs, agissant en leur nom propre et au nom de leur proche décédé, Rubén Portillo Cáceres, et de deux mineurs, Diego Rubén Portillo Bordón (fils du défunt) et Santiago Bordón Aranda (neveu du défunt). Les auteurs affirment être victimes d’une violation par l’État partie des droits énoncés aux articles 6, 7 et 17 du Pacte, lus seuls et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 10 avril 1995. Les auteurs sont représentés.

Rappel des faits présentés par les auteurs

Contexte : fumigations avec des produits agrochimiques dans des exploitations agricoles voisines des domiciles des auteurs

2.1Les auteurs, membres de deux familles unies par le mariage de l’une des auteures, Isabel Bordón Ramírez, avec le défunt Rubén Portillo Cáceres, sont des travailleurs ruraux qui pratiquent l’agriculture familiale paysanne pour leur propre consommation et pour la vente.

2.2Les auteurs vivent dans le département de Canindeyú (district de Curuguaty), dans la colonie Yerutí, créée en 1991 sur des terres appartenant à l’État qui ont été distribuées à des agriculteurs au bénéfice de la réforme agraire. La colonie est administrée par l’Institut de développement rural et foncier, institution responsable de la politique d’accès aux terres rurales. On estime qu’en 2011, la colonie Yerutí comptait environ 400 personnes, conséquence d’une émigration due à l’absence de conditions de vie décentes (accès difficile aux services publics, nombreuses fumigations avec des produits phytosanitaires toxiques et contamination croissante des eaux).

2.3La colonie est située dans l’une des zones dans lesquelles le secteur agro-industriel a connu l’une des plus fortes croissances, et est entourée d’anciennes exploitations d’élevage qui, depuis environ 2005, se livrent à la monoculture extensive et mécanisée de soja génétiquement modifié. Le domicile des auteurs est situé à l’extrémité sud-est de la colonie et est adjacente à des exploitations agricoles situées dans la colonie et à l’extérieur de celle‑ci. Ces exploitations, qui fumigent massivement en projetant des substances phytosanitaires toxiques depuis des tracteurs et des petits avions, ont systématiquement enfreint la réglementation environnementale interne. En particulier, des cultures de soja ont été plantées jusqu’au bord des voies publiques, en violation de cette réglementation, qui prévoit qu’en cas d’application de pesticides sur des cultures adjacentes à des chemins vicinaux dont des personnes sont riveraines, des barrières vives à feuillage dense d’une largeur d’au moins cinq mètres et d’une hauteur minimale de deux mètres doivent être aménagées. La réglementation interne dispose qu’en l’absence de barrières vives, une bande de 50 mètres le long de ces voies doit rester exempte de pesticides. Qui plus est, ces exploitants agricoles ont planté du soja jusqu’en bordure du domicile des auteurs, en violation de la réglementation, qui exige l’aménagement d’une bande de sécurité de 100 mètres entre la zone où sont répandus des pesticides et les établissements humains, les centres éducatifs, les centres et postes de santé, les lieux de culte et les espaces et lieux publics. Les exploitations agricoles ne respectent pas non plus l’obligation d’aménager une bande tampon d’une largeur minimale de 100 mètres autour des fleuves, rivières, sources et lacs, et lavent leurs réservoirs de produits phytosanitaires toxiques dans les cours d’eaux.

2.4Les actes des exploitations agricoles s’expliquent par le non-respect par l’État partie de ses obligations en matière d’autorisation et de contrôle des activités de ces exploitations. À cet égard, le Secrétariat à l’environnement, en tant qu’entité responsable de l’élaboration, de la coordination et de la mise en œuvre des politiques environnementales, est responsable de l’octroi des autorisations environnementales et doit s’assurer que les exploitations agricoles détiennent ces autorisations et respectent les plans de gestion. L’entité responsable de l’enregistrement des entreprises de produits agrochimiques et du contrôle du commerce de ces produits est le Service national pour la qualité et la santé des végétaux et des semences. À ce titre, celui-ci est chargé de s’assurer que les exploitations utilisent des produits prescrits par un conseiller technique enregistré auprès de lui, aient les barrières de protection de l’environnement requises et respectent les bandes de sécurité ; il est également l’institution chargée de contrôler la façon dont les fumigations aériennes sont effectuées. Le Ministère de l’agriculture et de l’élevage, quant à lui, est l’institution responsable de la politique agricole et a pour tâche de veiller à la préservation des ressources naturelles et de l’environnement. Enfin, l’Institut de développement rural et foncier est l’entité responsable des politiques relatives à la protection sociale en milieu rural et à la propriété foncière, et est chargé de veiller à ce qu’il ne soit pas mené d’activités illégales au sein de la colonie, telles que la vente de parcelles pour la culture du soja à des personnes qui ne sont pas au bénéfice de la réforme agraire.

Contamination de la colonie, qui a entraîné la mort de M. Portillo Cáceres, et intoxication des auteurs

2.5La pulvérisation massive de produits phytosanitaires toxiques a de graves répercussions sur les conditions de vie des auteurs, la situation financière de leur ménage et leur santé. En particulier, la contamination des ressources en eau et des aquifères entraîne l’impossibilité d’utiliser les cours d’eau Yerutí et Kuairû, où des poissons morts ont été trouvés, ainsi que la perte d’arbres fruitiers, la mort de divers animaux d’élevage et une détérioration importante des cultures des auteurs.

2.6Depuis 2005 environ, lorsque les exploitations agricoles adjacentes ont commencé à passer à une production mécanisée, les auteurs ressentent, pendant et après les fumigations auxquelles il est procédé pendant la saison de plantation du soja, divers malaises tels que nausées, étourdissements, maux de tête, fièvre, maux d’estomac, vomissements, diarrhée, toux et lésions cutanées. Les deux chemins de terre qui relient la colonie à la principale route asphaltée traversent de grandes parcelles de cultures, et aucun tronçon de ces chemins ne comporte la protection voulue. La conséquence en est que les membres de la communauté qui ont besoin d’accéder à la route principale sont exposés à des produits phytosanitaires toxiques. À chaque période annuelle de culture du soja, les membres de la communauté ont déposé des plaintes auprès de diverses autorités de l’État (autorités ministérielles et administratives telles que le Ministère de l’agriculture, le Secrétariat à l’environnement, l’Institut de développement rural et foncier et le Service national pour la qualité et la santé des végétaux et des semences, mais aussi autorités judiciaires, notamment le Bureau du Procureur de Curuguaty) ; ils n’ont jamais reçu de réponse.

2.7Le 3 janvier 2011, M. Portillo Cáceres, un paysan âgé de 26 ans, a commencé à avoir des vomissements, de la diarrhée et de la fièvre et à ressentir un malaise général. Plusieurs semaines auparavant, des boutons suppurants étaient apparus dans sa bouche, sur son visage et sur ses doigts. Le 6 janvier 2011, son état s’est aggravé et il a été emmené au dispensaire de la colonie, où il a été traité pour des nausées et des vomissements. Comme son état ne s’améliorait pas, qu’il était très pâle et très faible et qu’il était incapable de se tenir debout, sa famille a réussi à se procurer un moyen de transport et à l’emmener à l’hôpital du district de Curuguaty, situé à plus de quatre heures de route. M. Portillo Cáceres est décédé en cours de route ; à l’hôpital, le médecin a tenté des manœuvres de réanimation cardiorespiratoire, sans succès.

2.8Entre le 8 et le 14 janvier 2011, 22 autres personnes de la communauté, dont les auteurs et les deux enfants, ont été hospitalisées après avoir présenté des symptômes similaires. La directrice de l’hôpital a pris contact par téléphone avec plusieurs institutions, dont le Secrétariat à l’environnement et le Service national pour la qualité et la santé des végétaux et des semences, pour les informer des symptômes présentés par les auteurs et du décès de M. Portillo Cáceres.

Recours internes introduits à la suite du décès de M. Portillo Cáceres et de l’intoxication de membres de la colonie

Plainte pénale

2.9Le 13 janvier 2011, les auteurs ont porté plainte auprès du Bureau du Procureur de district de Curuguaty pour le décès de M. Portillo Cáceres et l’intoxication dont ils avaient été victimes. Le parquet spécialisé dans les infractions contre l’environnement no 1 a notifié au tribunal pénal l’ouverture du dossier pénal no 60/2011, intitulé « Enquête sur l’infraction présumée de violation des normes environnementales et d’intoxication ».

2.10Ce même jour, le Bureau du procureur a adressé au commissariat de Curuguaty et au sous-commissariat de Campo Agua’e une demande écrite tendant à ce qu’ils enquêtent sur les propriétaires des exploitations agricoles où l’on cultive le soja qui entourent la colonie. Le sous-commissariat de Campo Agua’e a communiqué les noms de plusieurs propriétaires et locataires qui cultivent entre 17 et 170 hectares de soja dans la colonie.

2.11Également ce même jour, des techniciens du parquet spécialisé dans les infractions contre l’environnement et des techniciens du Service national pour la qualité et la santé des végétaux et des semences ont procédé conjointement à une inspection de la colonie, au cours de laquelle ils ont prélevé des échantillons de l’eau du puits à usage domestique du domicile des auteurs. Les résultats ont mis en évidence la présence de produits agrochimiques interdits.

2.12Le 14 janvier 2011, le Service national pour la qualité et la santé des végétaux et des semences a procédé à l’inspection de deux entreprises de culture du soja adjacentes aux fermes des auteurs et situées à l’extérieur de la colonie, et a constaté qu’elles n’avaient ni la bande réglementaire ni l’autorisation environnementale, et qu’elles utilisaient des produits phytosanitaires toxiques sans s’être fait délivrer une ordonnance pour de tels produits et sans faire appel aux services d’un conseiller technique.

2.13Le 14 mars 2011, dans le cadre du dossier pénal no 60/2011, le ministère public a inculpé sept personnes résidant dans la colonie d’infraction à la réglementation environnementale.

2.14Le 14 septembre 2011, le ministère public a mis en accusation les sept inculpés, en qualité d’auteurs. L’audience préliminaire prévue pour le 20 septembre 2011 a été suspendue pour des questions de procédure. La procédure est restée au point mort jusqu’au 9 mai 2012, quand Norma Portillo Cáceres a demandé au tribunal des renseignements sur l’état de ladite procédure. Le tribunal a convoqué une audience préliminaire le 29 mai 2012, laquelle n’a pas eu lieu car les parties n’en avait pas été notifiées.

2.15L’audience préliminaire a eu lieu le 25 juin 2013. La défense a indiqué que les fermes des défendeurs étaient de petite taille en comparaison des grandes exploitations adjacentes mentionnées dans le dossier d’enquête, et que les pulvérisations auxquelles ils procédaient étaient de faible ampleur par rapport à celles effectuées par ces exploitations et qu’elles ne pouvaient donc pas avoir atteint les fermes des auteurs. Le ministère public a décidé de retirer l’accusation et de demander une suspension provisoire des poursuites, faute de preuves. Le 31 juillet 2013, le Bureau du Procureur général a approuvé la demande de suspension provisoire de la procédure et a indiqué que, dans un délai d’un an (délai accordé en cas de suspension provisoire de la procédure), 22 éléments de preuve supplémentaires devaient être recueillis (témoignages, rapports sur des études de laboratoire, antécédents judiciaires et policiers des accusés et autopsie de M. Portillo Cáceres). Le 3 septembre 2013, le tribunal pénal des garanties de Curuguaty a décidé de suspendre provisoirement les poursuites contre les sept accusés.

2.16Des éléments de preuve essentiels n’ont pas été recueillis, alors même qu’ils avaient été demandés par le procureur. L’autopsie n’a jamais été pratiquée, bien qu’elle ait été demandée à quatre reprises pour déterminer s’il y avait des traces ou des résidus de produits agrochimiques dans les organes internes et ainsi établir un lien entre le décès et l’exposition chronique à des fumigations et à des eaux, des sols et des aliments contaminés. Les dossiers médicaux des auteurs n’ont pas non plus été obtenus, et les résultats de leurs analyses de sang et d’urine n’ont pas été versés au dossier d’enquête. En outre, les propriétaires ou les administrateurs des deux grandes exploitations adjacentes à leurs domiciles n’ont pas été inculpés.

Recours en amparo constitutionnel

2.17Norma Portillo Cáceres a également déposé, le 14 janvier 2011, dans la capitale, un recours en amparo constitutionnel aux fins de protection de l’environnement et de la santé de tous les habitants de la colonie Yerutí, contre quatre entités gouvernementales (le Ministère de l’agriculture et de l’élevage, le Service national pour la qualité et la santé des végétaux et des semences, le Secrétariat à l’environnement et l’Institut de développement rural et foncier). Il était souligné dans le recours que l’État ne s’était pas acquitté de son devoir de protection, car c’est lui qui avait officiellement approuvé la création de la colonie et c’est à lui que les fermes avaient été payées, et que c’étaient des organes de l’État qui avaient consenti à ce que la colonie soit entourée d’exploitations de soja dans lesquelles toutes sortes d’infractions contre l’environnement avaient été commises impunément. Lerecours était motivé par le fait qu’il n’y avait eu ni contrôle ni suspension de la production agricole, ni sanctions, ce qui avait rendu possible la conduite d’activités sans autorisation environnementale et la réalisation de fumigations malgré l’absence des bandes de sécurité obligatoires. Le recours était également motivé par l’absence de contrôle concernant le régime foncier applicable aux parcelles dans la colonie ainsi que la propriété de celles-ci, ce qui a rendu possible le transfert de terres à des personnes qui n’auraient pas dû en bénéficier pour cultiver le soja. Les auteurs affirmaient qu’il y avait eu violation du droit à la vie, du droit de vivre dans un environnement sain et des droits à une alimentation adéquate, à l’eau, à la santé et à une certaine qualité de vie, qui sont tous des droits constitutionnels.

2.18Ce même jour, le tribunal pénal des garanties no 9 d’Asunción a déclaré recevable le recours et a demandé aux entités défenderesses de soumettre un rapport. Le Ministère de l’agriculture et de l’élevage a indiqué qu’il ne disposait pas d’éléments de preuve et a mis en relief les responsabilités des trois autres entités défenderesses. Le Service national pour la qualité et la santé des végétaux et des semences a indiqué qu’il était intervenu dans la zone pour prélever des échantillons d’eau. Le Secrétariat à l’environnement a rendu compte de ses actions dans cette affaire et a reconnu sa responsabilité dans l’absence de contrôles. L’Institut de développement rural et foncier n’a pas répondu.

2.19Dans une décision en date du 28 janvier 2011, le tribunal pénal d’Asunción s’est déclaré incompétent territorialement et a renvoyé le dossier au tribunal de district de Curuguaty (auquel les demandeurs s’était adressés initialement et dont les fonctionnaires avaient refusé d’accueillir le recours en amparo, affirmant qu’il devait être formé dans la capitale car il s’agissait d’un procès contre des institutions de l’État).

2.20Le 15 avril 2011, le tribunal de district de Curuguaty a déclaré le recours irrecevable en ce qui concernait l’Institut de développement rural et foncier et le Ministère de l’agriculture et de l’élevage car ceux-ci n’étaient pas des institutions chargées de contrôler le respect des mesures de sécurité relative à l’utilisation de produits phytosanitaires. Le tribunal a déclaré le recours partiellement recevable en ce qui concernait le Service national pour la qualité et la santé des végétaux et des semences et le Secrétariat à l’environnement. Dans sa décision, il a souligné non seulement le fait que le Secrétariat à l’environnement avait exprimé son acquiescement, mais qu’en raison des omissions de celui-ci dans l’exercice de ses fonctions « la fumigation des plantations agricoles a[vait] causé des préjudices graves à la santé de la population de la colonie Yerutí ». Le tribunal a estimé que « l’État ne s’[était] pas acquitté de son obligation ou de son devoir de protection de la santé, laquelle est un droit fondamental de la personne ». Il a estimé en outre que la situation considérée « constitu[ait] également une violation du droit constitutionnel de la personne à la protection par l’État de son intégrité physique et psychologique, de sa qualité de vie et de son droit de vivre dans un environnement sain et écologiquement équilibré ».

2.21Pour ce qui est du Service national pour la qualité et la santé des végétaux et des semences, il est affirmé dans la décision qu’« il est évident que le contrôle de l’utilisation de produits phytosanitaires à des fins agricoles n’a pas été effectué », que « l’obligation de respecter les dispositions relative à la bande de protection n’a pas été imposée » et que « le Service national pour la qualité et la santé des végétaux et des semences ne s’acquitte pas des fonctions qui lui sont imposées par la loi portant sa création en ce qui concerne les grands producteurs agricoles, qui utilisent des produits agrochimiques pour la fumigation de leurs cultures sans aucun contrôle par cette institution, ce qui a des incidences sur la santé des habitants ou cause de graves préjudices à celle-ci ». Le tribunal a considéré que « l’acte acquiert un caractère arbitraire ou illégitime dès le moment où les producteurs agricoles procèdent à la fumigation de leurs grandes plantations agricoles sans aucun contrôle et sans qu’il ait été pris quelque mesure de précaution ou de protection que ce soit, ce qui entraîne des conséquences pour les populations environnantes ou la touche directement ». Le caractère urgent de l’affaire est également souligné dans la décision, la situation pouvant continuer de causer de graves préjudices à la santé des habitants. Le tribunal, enfin, a affirmé qu’« il n’y a pas de voie ordinaire pour obtenir la protection du droit lésé, puisque ce sont les institutions chargées des politiques environnementales et phytosanitaires elles-mêmes qui ont omis de remplir leurs fonctions ».

2.22En conséquence, le tribunal a ordonné aux deux institutions de s’acquitter de leurs fonctions respectives dans la colonie, à savoir « planifier et exécuter [ces tâches], faire des contrôles et protéger les ressources environnementales en imposant le respect de l’exigence qu’il y ait une bande de protection ou des barrières vives de protection entre la zone d’application des produits phytosanitaires à usage agricole et les établissements humains, centres éducatifs, centres de santé et dispensaires, lieux de culte, places, lieux publics et cours d’eau en général ».

2.23Les auteurs affirment qu’aucune mesure n’a été prise pour exécuter cette décision définitive, qui n’a pas été respectée, les fumigations continuant d’être effectuées sans mesures de protection de l’environnement.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment que l’État partie a manqué à son devoir de protection en n’agissant pas avec diligence et en autorisant la projection à grande échelle de produits phytosanitaires toxiques dans les exploitations agricoles adjacentes à leurs habitations sans que soit respectée la réglementation en vigueur. Ils affirment que ces violations sont commises par des agents publics dans l’exercice de leurs fonctions. La conséquence en a été que M. Rubén Portillo est décédé en présentant des symptômes d’intoxication à des produits agrotoxiques, et que les auteurs ont subi de graves préjudices à leur santé.

3.2Les auteurs soulignent que l’affaire porte sur une situation qui a déjà attiré l’attention d’autres organes créés en vertu d’une convention des Nations Unies et de mécanismes extraconventionnels. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels avait déjà constaté avec préoccupation que « le développement de la culture du soja a entraîné une utilisation sans discrimination de substances agrotoxiques qui est à l’origine de maladies et de décès » ; il avait engagé instamment l’État partie à « prendre d’urgence des mesures pour faire en sorte que la culture du soja n’ait pas pour effet d’entraver l’exercice, par une partie de la population, des droits reconnus par le Pacte ». Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes s’est également déclaré préoccupé par l’emploi excessif de produits phytosanitaires toxiques qui ont des conséquences néfastes pour la santé des femmes dans les zones rurales ; il a invité l’État partie à « entreprendre une étude globale sur les causes négatives probables de l’utilisation abusive de produits phytosanitaires toxiques dans l’agriculture afin de mettre en œuvre les mesures nécessaires pour éliminer leurs effets sur la santé des femmes et de leurs enfants ». Le Comité des droits de l’enfant, pour sa part, s’est déclaré préoccupé « par les répercussions négatives de la fumigation d’agrotoxiques à laquelle les familles d’agriculteurs sont exposées », et a recommandé à l’État de prendre toutes les mesures nécessaires « pour combattre les conséquences excessivement néfastes de la fumigation d’agrotoxiques dans les communautés rurales ». La Rapporteuse spéciale sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté a constaté, lors de sa mission au Paraguay, que l’expansion de la monoculture du soja et l’utilisation abusive de substances agrochimiques « causent des préjudices graves à la santé des membres des communautés autochtones et paysannes », et que « l’inaction totale de l’État pour ce qui est de garantir la protection du droit à la santé des personnes touchées [...] met gravement en péril la vie des personnes qui vivent entourées de champs de soja, en particulier à [...] Canindejú ».

3.3Par ailleurs, les auteurs soutiennent que la communication relève de l’exception à la règle de l’épuisement préalable des recours internes, étant donné que les entités étatiques visées et responsables n’ont pas exécuté la décision rendue dans le cadre du recours en amparo, et que l’enquête pénale ouverte depuis le 12 janvier 2011 a excédé les délais raisonnables, deux ans s’étant écoulés avant que ne soit fixée une audience préliminaire, ce qui est contraire aux règles de procédure, qui prévoient que cette formalité doit être accomplie dans un délai de vingt jours. En outre, par la suite, la procédure a été provisoirement suspendue, ce qui a donné au ministère public un délai supplémentaire pour recueillir les éléments de preuve qui ne l’avaient pas été au stade de l’enquête ; au moment de la soumission de la communication, les éléments de preuve n’étaient pas en train d’être recueillis et l’enquête était au point mort. Les auteurs citent des constatations du Comité dans lesquelles celui-ci a établi que laisser s’écouler cinq années sans juger l’auteur présumé des faits considérés constituait un retard excessif, tout comme le constituait le fait de laisser s’écouler cinq années sans indiquer de possible date de clôture d’une enquête. Les auteurs font également référence aux constatations du Comité dans une affaire dans laquelle un retard de trois ans pour juger l’affaire en première instance n’avait pas empêché le Comité d’examiner la communication.

3.4Les auteurs affirment que les faits de la présente affaire constituent une violation des articles 6, 7 et 17 du Pacte, lus seuls et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2.

3.5Pour ce qui est de la violation du droit à la vie et à l’intégrité physique, les auteurs affirment qu’ils sont tombés malades et que M. Portillo Cáceres est décédé du fait des activités de fumigation menées sans aucun contrôle de l’État partie et sans que celui-ci remplisse son devoir de protéger leur vie et leur intégrité physique, puisqu’il n’a pas veillé avec diligence à l’application de la réglementation environnementale. Les auteurs invoquent également une violation de leur droit de vivre dans la dignité, du fait des conditions de vie qui sont les leurs, ceux-ci vivant au milieu de fumigations non contrôlées qui ont des incidences négatives sur leur vie quotidienne eu égard à la contamination des cours d’eau dans lesquels ils pêchent et des puits dont ils boivent l’eau, à la disparition des cultures dont ils se nourrissent et à la mort des animaux qu’ils élèvent, toutes choses qui ont conduit à leur intoxication.

3.6Les auteurs affirment également qu’il y a eu violation du droit reconnu par l’article 17 du Pacte du fait des activités des exploitations agricoles adjacentes qui ont entraîné une pollution de l’environnement et qui ne faisaient l’objet d’aucun contrôle de la part de l’État partie. Ils font valoir que le paragraphe 8 de l’observation générale no 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte devrait également être interprété comme signifiant que la protection garantie par l’article 17 doit comprendre la protection du logement et de la vie privée contre la pollution de l’environnement résultant de la pratique d’un tiers lorsque celle-ci constitue une forme d’intrusion illégale ou arbitraire qui a des incidences sur la vie privée ou familiale. Les auteurs affirment ainsi qu’il y a une faute de surveillance lorsqu’un État partie ne respecte pas la réglementation régissant les activités agricoles de tiers qui sont source de pollution ont une incidence sur le logement ou la vie privée ou familiale de personnes.

3.7Les auteurs soutiennent qu’il s’agit là d’un champ d’application qui n’est pas étranger au droit international des droits de l’homme et rappellent la jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’homme selon laquelle bien qu’aucune disposition de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme) ne protège le droit à l’environnement, il y a violation du droit au respect de la vie privée et familiale lorsqu’un risque pour l’environnement atteint un degré de gravité qui entraîne une diminution importante de la capacité du demandeur de jouir de son droit au respect de son domicile et de sa vie privée ou familiale. Ainsi, une pollution grave de l’environnement peut avoir des conséquences sur le bien-être de l’individu et l’empêcher de jouir de son domicile et ainsi porter atteinte à sa vie privée et familiale. Les auteurs affirment que l’article 17 du Pacte doit être interprété de manière évolutive, à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, et qu’en l’espèce suffisamment d’éléments de preuve ont été réunis pour établir un lien de causalité entre la projection à grande échelle de produits phytosanitaires toxiques, la contamination des eaux à usage domestique par des produits agrochimiques interdits, l’intoxication des auteurs et le décès de Portillo Cáceres.

3.8Enfin, les auteurs affirment qu’il y a eu une violation du droit à un recours judiciaire utile, la pollution de l’environnement qui a entraîné l’intoxication des auteurs et le décès de M. Portillo Cáceres n’ayant pas fait l’objet d’une enquête effective, adéquate, impartiale et diligente et les responsables n’ayant pas été sanctionnés.

3.9Les auteurs affirment en particulier que les recours intentés ont été inefficaces car, malgré une constatation sur place qui a fourni suffisamment d’éléments pour permettre de présumer que le non-respect de la réglementation interne a joué un rôle direct dans la contamination, causant les préjudices considérés, a) il a fallu deux ans pour convoquer une audience préliminaire dans une affaire où certains producteurs ont été mis en cause mais les deux grandes exploitations agricoles ne l’ont pas été, b) par la suite, une suspension provisoire a été ordonnée, c) le ministère public n’a pas mis à profit la possibilité procédurale de recueillir les éléments de preuve pertinents, d) les dossiers médicaux des auteurs et les résultats des analyses de sang et d’urine n’ont jamais été versés au dossier d’enquête, e) il y a impunité, et la pollution se poursuit, et f) la décision favorable sur laquelle a débouché le recours en amparo n’a jamais été exécutée.

3.10Les auteurs demandent les mesures de réparation suivantes : a) la réalisation d’une enquête effective et exhaustive et la sanction des responsables ; b) l’adoption des mesures législatives, administratives et autres nécessaires pour garantir effectivement que des faits analogues ne se reproduisent pas à l’avenir ; c) l’octroi d’une réparation complète et adéquate.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans des observations en date du 19 septembre 2018, l’État partie affirme que la communication est irrecevable ratione materiae car le Pacte ne reconnaît pas les droits environnementaux, et ajoute qu’il n’y a pas de rapport entre les faits, qui sont liés à des infractions présumées aux règlements administratifs régissant l’utilisation des produits agrochimiques, et les droits énoncés par le Pacte.

4.2L’État partie affirme également que la communication est irrecevable pour non‑épuisement des recours internes, car les faits font l’objet d’une procédure pénale en cours. L’État partie indique que l’affaire a été rouverte, que quatre des sept personnes initialement inculpées ont été mises en accusation le 30 septembre 2017 et qu’une audience préliminaire a été fixée au 27 septembre 2018. L’État partie fait valoir que si un jugement de condamnation est prononcé, il sera satisfait aux droits des auteurs. Il soutient que la procédure n’excède par les délais raisonnables car : a) il a agi conformément au principe d’objectivité et dans le respect du droit à la présomption d’innocence ; b) l’affaire est complexe car un nombre important de personnes font l’objet d’une enquête et des preuves techniques sont requises ; c) la procédure a été interrompue à plusieurs reprises en raison du refus d’obtempérer des défendeurs.

4.3L’État partie fait également valoir que les auteurs disposaient de recours civils susceptibles de déboucher sur un règlement immédiat et plus satisfaisant de l’affaire, tels que les actions possessoires visant à obtenir la protection possessoire de la propriété privée, à faire cesser des actes illicites et à obtenir des dommages-intérêts.

4.4Sur le fond, l’État partie fait valoir qu’il n’a pas violé les articles 6 et 7 du Pacte car les auteurs n’ont pas démontré qu’ils avaient été intoxiqués par l’action d’un pesticide, leurs analyses de sang et d’urine ayant révélé des valeurs se situant « dans des fourchettes normales, et une absence de résidus toxiques dans leur organisme ». L’État partie fait valoir en outre que le lindane est l’unique agent actif pour lequel il a été détecté une concentration supérieure à la limite maximale fixée (0,03 mg/k au lieu de 0,01 mg/kg). L’État souligne également que les auteurs ont dit avoir eu de la fièvre, alors qu’en fait « la fièvre n’est pas l’un des symptômes courants de l’intoxication au lindane ».

4.5En ce qui concerne la violation alléguée de l’article 17 du Pacte, l’État partie fait valoir que comme il dispose d’organes juridiques qui protègent l’environnement et d’organes de surveillance et d’application de sanctions, on ne peut guère parler d’absence de contrôle ou de surveillance. Il indique en outre que les faits dénoncés constituent un cas isolé, et que des sanctions administratives ont été imposées aux deux grandes exploitations agricoles adjacentes au domicile des auteurs. À cet égard, des enquêtes administratives sur la violation de normes environnementales ont été menées, lesquelles ont débouché sur les décisions nos 217/2018 (13 avril) dans le cas de l’entreprise Cóndor SA, et 250/2018 (26 avril) dans le cas de l’entreprise Hermanos Galhera Agrovalle del Sol SA et/ou Emmerson Shimin, en vertu desquelles ces entreprises se sont vu imposer une amende équivalent à 5 000 fois le salaire journalier minimum, ainsi qu’un accompagnement et un suivi permanents de leurs activités.

4.6Pour ce qui est de la violation présumée du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie affirme que les faits ont fait l’objet d’une enquête pénale et que les personnes qui cultivent du soja dans la colonie ont été identifiées et qu’elles seront éventuellement sanctionnées au terme de la procédure pénale.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1Dans une note en date du 23 décembre 2018, les auteurs ont précisé qu’ils ne dénonçaient pas une violation du droit à un environnement sain, mais une atteinte directe à leur vie privée et familiale, une violation de leur droit à la vie et à l’intégrité physique et l’absence de recours utile pour remédier à cette situation.

5.2En ce qui concerne la prétendue absence de lien entre les faits et le Pacte, les auteurs affirment que l’État partie fait, à tort, une interprétation restrictive de ses obligations relatives au droit à la vie, lesquelles comprennent, outre l’obligation négative de ne pas priver une personne de la vie par une action directe, l’obligation positive de garantir des conditions de vie décentes. Ce point appelle, en fait, une analyse sur le fond de la communication.

5.3Pour ce qui a trait à la prétendue réouverture de la procédure pénale en 2017, les auteurs disent en avoir eu connaissance à la lecture des observations écrites de l’État partie et qu’il s’agit d’une « mesure désespérée visant à éviter une décision concluant à sa responsabilité, et qui manque totalement de sérieux », l’audience préliminaire prévue en septembre 2018 n’ayant pas eu lieu. Ainsi, plus de sept ans après les faits, les auteurs n’ont toujours pas obtenu justice.

5.4S’agissant de l’action possessoire, de caractère civil, les auteurs font valoir qu’elle ne constitue pas une voie de recours utile s’agissant de la protection des droits à la vie et à l’intégrité physique en cas de violation de ceux-ci du fait de l’inefficacité de l’action des autorités. Les auteurs ajoutent que, conformément aux Règles de Brasilia sur l’accès des personnes vulnérables à la justice, il convient de garder à l’esprit la situation vulnérable des paysans de cette colonie rurale isolée, laquelle les empêche d’engager et de payer un avocat et de prendre le risque de devoir assumer des frais se chiffrant dans les millions en cas de perte d’un procès civil. Enfin, ils soutiennent que bien que l’État partie soit doté d’une législation relative à l’environnement, il n’a pas de juridiction spécialisée dans les questions agroenvironnementales qui aurait constitué la voie de recours adéquate, compte tenu de ce que les juges de la juridiction civile compétente en matière de protection de la propriété privée des particuliers n’ont pas l’obligation de tenir compte des principes du droit agraire et du droit de l’environnement.

5.5En ce qui concerne le fond de la communication, les auteurs insistent à nouveau sur la question de la violation des droits à la vie et à l’intégrité physique, soulignant qu’un organisme public a indiqué que l’eau des puits à usage domestique était contaminée par des produits agrochimiques et qu’un autre organisme avait fait état des fautes administratives commises par les entreprises adjacentes. En conséquence, les auteurs affirment que des particuliers ont commis des actes délibérés que l’État partie aurait pu prévenir et qui ont entraîné la mort d’un paysan et ont eu des incidences sur les droits d’autres membres de la communauté à une existence décente et à l’intégrité.

5.6À cet égard, les auteurs font valoir que si l’État partie « n’assure pas des contrôles efficaces pour garantir que les biens de consommation ne soient pas rendus toxiques, il porte atteinte au droit à la vie ». En outre, « un environnement sain, des soins de santé rapides et de qualité et une alimentation exempte de substances toxiques relèvent du droit à la vie ». Les auteurs s’appuient sur l’observation générale no 36 pour rappeler que les États doivent prendre toutes les mesures appropriées pour améliorer certains contextes dans la société susceptibles d’engendrer des menaces directes pour la vie ou d’empêcher des personnes de jouir de leur droit à la vie dans la dignité, parmi lesquelles figurent la pollution de l’environnement. Ils soulignent que le droit à la vie recouvre aussi le droit de chacun de ne pas subir d’actes ni d’omissions ayant pour résultat son décès prématuré ou non naturel, et de vivre dans la dignité.

5.7Concernant la violation de l’article 17 du Pacte, les auteurs font valoir que l’État partie ne peut pas prétendre échapper à sa responsabilité du simple fait qu’il a adopté des lois relatives à l’environnement et qu’il dispose d’organes chargés d’appliquer la réglementation environnementale. Ils affirment que le manque de surveillance par l’État du respect des normes environnementales est précisément ce qui constitue une immixtion arbitraire dans la vie privée, la famille et le domicile. Les auteurs rappellent que les ressources en eau sont devenues toxiques, que les cultures ont été contaminées et que des animaux d’élevage sont morts, et font valoir que tout cela fait partie de la vie privée, de la famille et du domicile, qui ont été envahis. Cette situation qui aurait pu être évitée si l’État partie s’était acquitté de son devoir de protection avec diligence.

5.8En ce qui concerne les enquêtes administratives ouvertes cinq ans après les faits, les auteurs affirment que non seulement elles n’ont pas entraîné de suspension de la fumigation, mais l’enquête administrative portant sur l’entreprise Hermanos Galhera Agrovalle del Sol S.A. et/ou Emmerson Shimmin a débouché sur un acquittement après un recours en réexamen formé le 23 mai 2018. Dans un rapport en date du 24 septembre 2018, la Direction des affaires juridiques du Ministère de l’environnement et du développement durable a indiqué qu’« il n’a pas été possible de prouver de façon irréfutable qui était le propriétaire ou le patron de l’établissement qui a fait l’objet de l’intervention des inspecteurs environnementaux », et que « des données indispensables font défaut, telles que le numéro d’immeuble et de registre du bien, et il n’a pas été pris note des coordonnées du lieu, de sorte que l’on ne dispose pas d’autres données sur la personne physique ou morale qui serait le propriétaire ou le locataire de ce bien ». Aussi, par son arrêté no 116/18 du 10 octobre 2018, le Ministère a-t-il décidé de suspendre les poursuites contre l’entreprise et Emerson Shimmin. Quant à l’enquête administrative visant l’entreprise Cóndor Agrícola S.A. et/ou KLM S.A., les auteurs n’ont pas pu accéder au dossier pour en analyser la teneur, bien qu’ils en aient demandé copie à l’institution concernée.

5.9Par ailleurs, les auteurs affirment que les faits de la présente affaire ne sont pas des cas isolés et que de nombreux avis sur la question ont été formulés sur le plan international. Outre les éléments déjà décrits pour situer le contexte dans lequel s’inscrit l’affaire (voir supra, par. 3.2), les auteurs évoquent le rapport de la Rapporteuse spéciale sur le droit à l’alimentation concernant sa mission au Paraguay, dans lequel elle demandait à l’État partie d’établir un cadre juridique efficace pour la protection de l’environnement, notamment pour la protection contre l’utilisation de produits phytosanitaires toxiques, qui prévoie des sanctions appropriées pour ceux qui violent la loi et une indemnisation adéquate des personnes touchées. Les auteurs citent également le rapport établi par la Rapporteuse spéciale sur les droits des peuples autochtones à la suite de sa mission au Paraguay, dans lequel celle-ci soulignait que le modèle de développement du pays, qui favorise une croissance rapide grâce à la monoculture, avait aggravé les problèmes environnementaux causés par les cultures transgéniques pour lesquelles on utilise des produits chimiques, raison pour laquelle elle recommandait à l’État partie d’étudier « les effets des fumigations de pesticides et d’autres produits chimiques à usage agricole sur la santé et sur les autres droits de l’homme [et d’adopter et d’appliquer] la législation nécessaire pour réglementer l’usage de tels produits ». Les auteurs citent également les observations finales du Comité des droits économiques, sociaux et culturels concernant le quatrième rapport périodique du Paraguay, dans lesquelles celui-ci exprimait une nouvelle fois sa préoccupation concernant les effets négatifs de la culture extensive du soja, l’utilisation inconsidérée de produits phytosanitaires toxiques, la pollution de l’eau et l’insécurité alimentaire. Le Comité a prié instamment l’État partie de « prendre les mesures nécessaires pour contrôler la culture du soja afin qu’elle n’ait pas d’effets préjudiciables sur la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels, en particulier le droit à un niveau de vie suffisant, à l’alimentation, à l’eau et à la santé ». Les auteurs donnent également des exemples de personnes décédées à la suite d’intoxications à des produits phytosanitaires toxiques. Evangelista Peralgo, âgé de 28 ans, qui vivait dans le village autochtone de Campo Agua’e (situé de l’autre côté de la route, à la même hauteur que la voie par laquelle on pénètre dans la colonie Yerutí), a dû être hospitalisée car elle vomissait du sang, et est décédée. Le 7 janvier 2003, Silvino Talavera, un enfant de 11 ans, est également décédé après avoir été aspergé de produits phytosanitaires toxiques, dans le département d’Itapúa, alors qu’il roulait à bicyclette sur un chemin vicinal adjacent à des plantations. Les auteurs indiquent également que deux sœurs sont décédées en 2014 après la fumigation d’un champ voisin de leur domicile, et que 18 adultes de leur communauté sont tombés malades. Les auteurs rappellent également qu’en août 2017, une communauté autochtone de Curuguaty a été touchée par des fumigations.

5.10Enfin, en ce qui concerne la violation du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec les articles 6, 7 et 17 du Pacte, les auteurs affirment que : a) l’autopsie de M. Portillo Cáceres n’a jamais été effectuée ; b) les propriétaires des entreprises adjacentes qui ont commis les infractions administratives constatées n’ont pas fait l’objet d’une enquête pénale ; c) aucun des recours n’a permis de remédier à l’absence de barrières vives de protection contre les fumigations, qui se poursuivent, ni de mettre en place des mesures expresses de nettoyage et d’épuration des cours d’eau ; d) ils n’ont pas reçu de réparation pour le préjudice que les violations continuent de leur causer.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité prend note des arguments de l’État partie concernant l’irrecevabilité ratione materiae de la communication, selon lesquels les droits environnementaux ne sont pas visés par le Pacte. Toutefois, le Comité prend note de l’argument des auteurs selon lequel ils n’invoquent pas une violation du droit à un environnement sain, mais une violation de leurs droits à la vie, à l’intégrité physique, à la vie privée et familiale et à un recours utile, l’État partie ayant manqué à son obligation positive de protéger ces droits, ce qui, dans leur situation particulière, impliquait de contrôler le respect des normes environnementales. Par conséquent, le Comité estime que l’article 3 du Protocole facultatif ne fait pas obstacle à la recevabilité de la communication.

6.4Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel les recours internes n’ont pas été épuisés car la procédure pénale dans le cadre de laquelle une enquête est menée sur le décès de M. Portillo Cáceres et sur l’intoxication des auteurs du fait d’infractions à la législation relative à l’environnement est en cours. Le Comité rappelle que l’objectif de l’obligation d’épuisement des recours est que l’État partie lui-même ait la possibilité de s’acquitter de son devoir de protéger et de garantir les droits consacrés par le Pacte. Cependant, conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, les recours internes ne doivent pas excéder les délais raisonnables. Compte tenu de ce que plus de huit ans se sont écoulés depuis les faits sans que des progrès significatifs aient été accomplis dans l’affaire pénale, et en l’absence de justification par l’État partie de ce retard important, le Comité considère que les enquêtes ont excédé les délais raisonnables et que, par conséquent, il n’est pas empêché d’examiner la présente communication.

6.5Le Comité prend note en outre de l’argument de l’État partie selon lequel les recours internes n’ont pas été épuisés car les auteurs n’ont pas intenté une action possessoire au civil. Toutefois, il prend également note de l’affirmation des auteurs selon lesquelles ce recours n’aurait pas constitué un recours utile aux fins de la protection des droits à la vie et à l’intégrité en cas d’atteinte à ceux-ci du fait de l’inefficacité de l’action des autorités. Le Comité rappelle qu’aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, les auteurs ne sont tenus d’exercer que les recours qui offrent des perspectives raisonnables d’obtenir réparation, qui ont un rapport avec la violation alléguée et qui sont susceptibles d’assurer une réparation qui soit proportionnée au préjudice subi. Le Comité constate que le tribunal qui a examiné le recours en amparo a reconnu qu’« il n’y a pas de voie ordinaire pour obtenir la protection du droit lésé, puisque ce sont les institutions chargées des politiques environnementales et phytosanitaires elles-mêmes qui ont omis de remplir leurs fonctions ». En conséquence, le Comité considère que l’action civile pour atteinte à une possession ne constituait pas un recours utile aux fins de la présente communication et déclare celle-ci recevable au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.6Le Comité, constatant que toutes les conditions de recevabilité sont remplies et considérant que les griefs que les auteurs tirent des articles 2 (par. 3), 6, 7 et 17 du Pacte sont suffisamment étayés aux fins de la recevabilité, déclare la communication recevable et procède à son examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité prend note de ce que les auteurs affirment que les faits de la présente affaire constituent une violation de l’article 6 du Pacte, tant en ce qui concerne M. Portillo Cáceres, qui est décédé en présentant des symptômes d’intoxication à des produits phytosanitaires toxiques, qu’en ce qui les concerne eux-mêmes, l’État partie ayant manqué à son devoir de protection. À cet égard, ils affirment être victime d’une violation de leur droit de vivre dans la dignité, compte tenu des fumigations constantes auxquelles ils sont exposés, qui ont des incidences négatives sur leur vie quotidienne et contaminent les cours d’eau dans lesquelles ils pêchent, les puits dont ils boivent l’eau, les cultures et les animaux d’élevage dont ils se nourrissent, toutes choses qui ont conduit à leur intoxication et ont rendu nécessaire leur hospitalisation car ils souffraient des mêmes symptômes que M. Portillo Cáceres (nausées, vertiges, maux de tête, fièvre, maux de ventre, vomissements, diarrhées, toux et lésions cutanées). Le Comité prend également note du fait que l’État partie affirme que les auteurs n’ont pas démontré qu’ils avaient été intoxiqués par l’action d’un pesticide et que le lindane est le seul produit phytosanitaire toxique dont il a été constaté une concentration supérieure à la limite maximale fixée. Le Comité relève toutefois que le ministère public a indiqué dans son rapport d’interprétation des résultats des analyses des échantillons de l’eau du puits à usage domestique du domicile de M. Portillo Cáceres que celles-ci ont révélé la présence d’aldrine et de lindane, pesticide et insecticide interdits par la législation interne. Le Comité relève également qu’il n’a jamais été procédé à l’autopsie de M. Portillo Cáceres, bien qu’elle ait été demandée à quatre reprises, pour déterminer s’il y avait des traces de produits agrochimiques dans ses organes internes ; que les dossiers médicaux des auteurs et les résultats de leurs analyses de sang et d’urine n’ont jamais été versés au dossier ; que l’État partie n’a fourni aucun élément de preuve montrant que les analyses de sang et d’urine ont révélé des valeurs se situant dans des fourchettes normales. Le Comité rappelle que la charge de la preuve n’incombe pas uniquement à l’auteur d’une communication donnée, d’autant plus que l’auteur et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que souvent seul l’État partie dispose des renseignements nécessaires. Dans les cas où l’éclaircissement dépend de renseignements que l’État partie est seul à détenir, le Comité peut estimer que les allégations formulées sont fondées si l’État partie ne les réfute pas en apportant des preuves et des explications satisfaisantes.

7.3Le Comité rappelle que le droit à la vie ne peut s’entendre correctement s’il est interprété de manière restrictive, et que la protection de ce droit exige des États qu’ils prennent des mesures positives. Le Comité rappelle également son observation générale no 36, dans laquelle il a posé que le droit à la vie recouvre aussi celui des personnes de vivre dans la dignité et de ne pas subir d’actes ni d’omissions ayant pour résultat leur décès prématuré ou non naturel. Les États doivent prendre toutes les mesures appropriées pour améliorer certains contextes dans la société susceptibles d’engendrer des menaces directes pour la vie ou d’empêcher des personnes de jouir de leur droit à la vie dans la dignité, parmi lesquelles figurent la pollution de l’environnement. À cet égard, le Comité constate que l’État partie est aussi lié par la Convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants. Le Comité rappelle également qu’il peut y avoir violation de l’article 6 du Pacte par les États parties même si de telles menaces ou situations n’ont pas effectivement abouti à la perte de la vie.

7.4Le Comité prend également note de l’évolution en la matière observée dans d’autres instances internationales, qui ont reconnu qu’il existait un lien indéniable entre la protection de l’environnement et la réalisation des droits de l’homme, et que la dégradation de l’environnement avait des incidences sur la jouissance effective du droit à la vie. En effet, il a déjà été conclu qu’une dégradation grave de l’environnement constituait une violation du droit à la vie.

7.5Dans la présente affaire, le Comité considère que les fumigations massives avec des produits phytosanitaires toxiques dans la zone considérée, dont il a été fait largement état, constituent une menace pour la vie des auteurs que l’État partie pouvait raisonnablement prévoir, ces fumigations massives ayant contaminé les cours d’eau dans lesquels les auteurs pêchent, les puits dont ils boivent l’eau et les arbres fruitiers, les cultures et les animaux d’élevage dont ils se nourrissent. Les auteurs ont été hospitalisés en raison de leur intoxication, et l’État partie n’a fourni aucun élément de preuve pour montrer que les analyses de sang et d’urine ont révélé des valeurs se situant dans des fourchettes normales et n’a pas non plus apporté d’autre explication à cette situation. En outre, M. Portillo Cáceres est décédé, et l’État partie n’a pas fourni d’explication à ce sujet, l’autopsie n’ayant jamais été pratiquée. Le Comité constate également qu’au cours des cinq années précédant les événements, au moins, diverses autorités de l’État avaient été alertées des activités de fumigation et de leurs conséquences pour les habitants de la colonie Yerutí (voir par. 2.6). Malgré ces alertes et ces plaintes, l’État parti n’a pas agi. En imposant des sanctions administratives à deux producteurs (par. 4.5), l’État partie a reconnu la dangerosité de ces activités, fait que n’annule pas la suspension des poursuites dans l’une des affaires en raison d’erreurs de forme commises par les inspecteurs environnementaux dans le cadre de leur action (par. 5.8). En outre, le Secrétariat à l’environnement a reconnu sa responsabilité dans l’absence de contrôles. Enfin, dans la décision favorable qu’il a rendue dans le cadre du recours en amparo, le tribunal a souligné clairement que « l’État ne s’[était] pas acquitté de son obligation ou de son devoir de protection ». Malgré tout ce qui précède, les fumigations se sont poursuivies. En conséquence, compte tenu des graves intoxications subies par les auteurs, dont la réalité a été reconnue par la décision de 2011 rendue dans le cadre du recours en amparo (par. 2.20 et 2.21), et du décès de M. Portillo Cáceres, au sujet duquel l’État partie n’a jamais donné d’explication, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 6 du Pacte, au préjudice de M. Portillo Cáceres et des auteurs de la communication.

7.6Ayant constaté une violation de l’article 6 du Pacte, le Comité n’estime pas nécessaire de se prononcer séparément sur l’existence d’une violation de l’article 7 en raison des mêmes faits.

7.7En ce qui concerne la violation présumée de l’article 17 du Pacte, le Comité prend note des allégations des auteurs selon lesquelles leurs animaux d’élevage, cultures, arbres fruitiers, ressources en eau et poissons constituent des éléments de leur vie privée, de leur famille et de leur domicile, et que le manque de surveillance par l’État du respect des normes environnementales constitue donc une immixtion arbitraire dans leur vie privée, leur famille et leur domicile. Les auteurs font également valoir que la protection garantie par l’article 17 du Pacte comprend la protection contre la pollution de l’environnement et qu’il y a donc une faute de surveillance de la part de l’État partie, qui n’a pas contrôlé l’activité agricole qui a causé la pollution. Le Comité prend également note de l’affirmation de l’État partie selon laquelle des sanctions administratives ont été prises contre les entreprises et quatre des inculpés ont été mis en accusation, de sorte qu’il n’y a pas eu de violation de l’article17 du Pacte. Toutefois, le Comité constate qu’il a finalement été décidé de suspendre les poursuites contre ceux qui étaient visés par les enquêtes administratives, en raison d’erreurs de forme commises par les inspecteurs environnementaux lors de leur intervention (par.5.8), et que les activités de fumigation illégales n’ont pas cessé.

7.8Le Comité prend note de ce que les auteurs, travailleurs ruraux membres d’une même famille qui pratiquent l’agriculture familiale paysanne sur des terres appartenant à l’État et administrées par une institution publique (par. 2.2), dépendent, pour leur subsistance, de leurs cultures, de leurs arbres fruitiers, de leurs animaux d’élevage, de la pêche et de leurs ressources en eau. Cela n’a pas été contesté par l’État partie. Le Comité rappelle que le terme « domicile » doit s’entendre du lieu où une personne réside ou exerce sa profession habituelle. Le Comité considère également que les éléments susmentionnés sont constitutifs du mode de vie des auteurs, qui ont un lien particulier de dépendance et de rattachement à la terre, et que ces éléments sont susceptibles d’entrer dans le champ de la protection conférée par l’article 17 du Pacte. Il considère en outre que l’article 17 du Pacte ne doit pas être compris comme se limitant à prescrire de s’abstenir de toute immixtion arbitraire, mais qu’il en découle également l’obligation pour les États parties de prendre les mesures positives nécessaires pour assurer le respect effectif de ce droit face aux éventuelles immixtions des pouvoirs publics ou de personnes physiques ou morales. En l’espèce, le Comité constate que l’État partie n’a pas procédé à des contrôles adéquats des activités illégales qui étaient source de pollution. Le manquement de l’État partie à son devoir de protection, qui a été reconnu dans la décision rendue dans le cadre du recours en amparo (par. 2.20 et 2.21), a permis la poursuite des fumigations massives et contraires à la réglementation interne, notamment avec des produits phytosanitaires toxiques interdits qui ont provoqué non seulement la contamination de l’eau du puits du domicile des auteurs, comme l’a reconnu le ministère public, mais aussi la mort des poissons et des animaux d’élevage et la perte de cultures et des arbres fruitiers sur les terres sur lesquelles les auteurs vivent et qu’ils cultivent, qui sont des éléments constitutifs de leur vie privée et familiale et de leur domicile. Le Comité constate que l’État partie n’a apporté aucune autre explication à cette situation. Lorsque la pollution a des répercussions directes sur le droit à la vie privée et familiale et sur le domicile et que les conséquences néfastes de la pollution ont un certain degré de gravité, compte tenu de l’intensité ou de la durée des nuisances et de ses effets physiques ou psychologiques, la dégradation de l’environnement peut avoir des incidences sur le bien‑être de l’individu et entraîner des violations du droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile. Le Comité constate qu’en l’espèce ces éléments sont présents. En conséquence, à la lumière des faits dont il est saisi, le Comité conclut que les faits de la présente affaire font apparaître une violation de l’article 17 du Pacte.

7.9Enfin, le Comité prend note de l’affirmation des auteurs selon laquelle les faits constituent également une violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, lu conjointement avec les articles 6 et 17, car la pollution de l’environnement qui a causé leur intoxication et le décès de M. Portillo Cáceres n’a pas fait l’objet d’une enquête effective, adéquate, impartiale et diligente. Ils soulignent, en particulier, que leurs dossiers médicaux et les résultats de leurs analyses de sang et d’urine n’ont jamais été versés au dossier d’enquête ; que les responsables présumés n’ont pas été condamnés et que la pollution se poursuit ; que les propriétaires des entreprises adjacentes qui ont commis les infractions administratives constatées n’ont pas fait l’objet d’une enquête pénale ; que la décision favorable sur laquelle a débouché le recours en amparo n’a jamais été exécutée ; qu’aucun des recours n’a permis de remédier à l’absence de barrières vives de protection contre les fumigations, qui se poursuivent ; qu’ils n’ont pas reçu de réparation. Le Comité note également que, selon l’État partie, les auteurs présumés ont été identifiés et ils seront éventuellement sanctionnés au terme de la procédure pénale. Cependant, plus de huit ans après les faits visés par la présente communication, les enquêtes n’ont guère avancé et elles n’ont pas permis de réparer les préjudices subis par les auteurs, en violation du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec les articles 6 et 17 du Pacte.

8.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des articles 6 et 17 du Pacte, lus seuls et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile. Cela suppose d’accorder pleine réparation aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres choses : a) de mener une enquête efficace et approfondie sur les faits ; b) de sanctionner, par les voies administrative et pénale, tous les responsables des faits de l’espèce ; c) de réparer intégralement le préjudice subi par les auteurs, y compris par une indemnisation adéquate. Il est également tenu de prendre des mesures pour empêcher que de telles violations ne se reproduisent.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est également prié de publier les présentes constatations et de les diffuser largement, en particulier de les publier dans un journal à grand tirage dans le département de Canindeyú.