Nations Unies

CCPR/C/121/D/2610/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

13 décembre 2018

Français

Original : anglais

Anglais, espagnol et français seulement

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no2610/2015 * , ** , ***

Communication présentée par:

Yelitze Lisbeth Moreno de Castillo (représentée par des conseils, Carlos Ayala, Bernardo Pulido, José Guarenas et Raúl Castillo)

Au nom de:

L’auteure, son défunt mari Joe Luis Castillo González et son défunt fils Luis César Castillo Moreno

État partie:

République bolivarienne du Venezuela

Date de la communication:

10 avril 2015 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 13 mai 2015 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

10 novembre 2017

Objet:

Responsabilité de l’État pour l’attaque dont l’auteur et sa famille ont été l’objet

Question(s) de procédure:

La même affaire a été soumise à la Cour interaméricaine des droits de l’homme.

Question(s) de fond:

Droit à la vie, droit à l’intégrité physique, droit à la sécurité, garanties d’une procédure régulière

Article(s) du Pacte:

2, 6 (par. 1), 7, 9 (par. 1) et 14

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5 (par. 2 a))

1.L’auteure de la communication est Yelitze Lisbeth Moreno de Castillo, nationale de la République bolivarienne du Venezuela. La communication est présentée en son nom et au nom de son époux, Joe Luis Castillo González, et de son fils Luis César Castillo Moreno, l’un et l’autre décédés. L’auteure affirme que Joe Luis Castillo González a été victime de violations par la République bolivarienne du Venezuela des articles 6 (par. 1), 7 et 9 (par. 1), lus conjointement avec l’article 2, et de l’article 14 lu conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte, et qu’elle-même et son fils ont été victimes de violations des articles 7 et 9 (par. 1), lus conjointement avec l’article 2, et de l’article 14 lu conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 10 août 1978. L’auteure est représentée par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1Entre 1999 et 2003, Yelitze Lisbeth Moreno de Castillo et son mari, Joe Luis Castillo González, travaillaient au bureau d’action sociale du Vicariat apostolique de la ville de Machiques, dans l’État de Zulia, État vénézuélien à la frontière avec la Colombie. Joe Luis Castillo González s’occupait de questions directement en rapport avec la situation des peuples autochtones et des réfugiés. Ses activités consistaient notamment à apporter une assistance juridique et à assurer un suivi des questions migratoires et des questions relatives à l’asile et aux réfugiés dans la région, à diffuser des informations relatives aux droits de l’homme auprès des communautés autochtones et à dispenser des formations dans ce domaine, ainsi qu’à apporter une aide juridique aux paysans qui cherchaient à récupérer leurs terres. L’auteure décrit l’instabilité qui régnait en Colombie dans les zones jouxtant la région vénézuélienne de Catatumbo où son mari travaillait. La frontière entre les deux pays a toujours été le théâtre de conflits relatifs à la possession et à l’utilisation des terres, qui sont encore aggravés par la présence de laboratoires clandestins de production de cocaïne et par le processus de réforme agraire qui était en cours dans la République bolivarienne du Venezuela à l’époque des faits. Entre 1996 et 2003, 69 attentats ont eu lieu contre des défenseurs des droits de l’homme militant pour la restitution des terres dans l’État de Zulia et plusieurs dirigeants d’organisations paysannes ont été tués.

2.2Face à la détérioration des conditions de sécurité, en 2001, Joe Luis Castillo González a participé, en tant que représentant du Vicariat, au dépôt auprès de la Commission interaméricaine des droits de l’homme d’une demande de mesures provisoires, formulée conjointement par le Vicariat, le Programme vénézuélien d’éducation et d’action pour les droits de l’homme (PROVEA) et le Centre pour la justice et le droit international (CEJIL), dans le but de protéger 52 personnes déplacées qui risquaient de façon imminente d’être renvoyées de force en Colombie. Le 12 mars 2001, la Commission a fait droit à cette demande. En novembre 2002, l’une des personnes mentionnées dans la demande de mesures provisoires et son fils ont été assassinés par des individus présumés être des tueurs à gages, sans que les autorités vénézuéliennes n’aient pris aucune mesure pour assurer la protection de ces personnes.

2.3Compte tenu de l’insécurité qui régnait, le 15 août 2003 l’auteure et son époux ont l’un et l’autre quitté leur emploi au Vicariat et ont décidé de partir s’installer dans la ville de Mérida.

2.4Le 27 août 2003, vers 19 h 30, alors qu’ils se trouvaient encore à Machiques, l’auteure, son époux et leur fils alors âgé de 18 mois rentraient en voiture à leur domicile lorsque deux individus à moto se sont portés à la hauteur de leur véhicule, côté conducteur. Ralentissant dans un premier temps pour vérifier l’identité du conducteur, avant de reprendre de la vitesse, ils se sont arrêtés quelques mètres plus loin et ont tiré sur les trois occupants de la voiture. Sur les 13 coups de feu tirés, neuf projectiles ont atteint Joe Luis Castillo González, le tuant. L’auteure a reçu plusieurs balles dans le bras gauche, l’abdomen et le cou. Son fils a également été blessé par balles au bras gauche, au thorax et aux épaules.

2.5Après l’assassinat de Joe Luis Castillo González, le Vicariat apostolique de Machiques a reçu des appels téléphoniques anonymes de menaces, qui l’ont conduit à fermer provisoirement son bureau d’action sociale. Plus tard, le bureau a réorganisé ses activités, supprimant l’aide qu’il apportait aux réfugiés et son travail de suivi des affaires de violation des droits de l’homme.

2.6L’auteure a saisi la Commission interaméricaine des droits de l’homme d’une demande de mesures provisoires visant à protéger sa vie et son intégrité physique ainsi que celles de son fils, demande à laquelle la Commission a fait droit le 29 août 2003. Cependant, l’État partie n’a rien fait pour mettre en œuvre les mesures ordonnées.

2.7Le 20e Bureau du Procureur du ministère public de l’État de Zulia, situé à Machiques de Perijá, a ouvert une enquête pénale sur les faits le 28 août 2003. Ont participé à l’enquête la Brigade des enquêtes scientifiques et criminelles et de la criminalistique (CICPC), le 11e Bureau du Procureur du ministère public, qui avait pleine compétence au niveau national par ordre de la Direction des infractions de droit commun du Bureau du Procureur de la République, la Direction de la protection des droits fondamentaux et le 83e Bureau du Procureur du ministère public de la circonscription judiciaire de la zone métropolitaine de Caracas. Le 28 novembre 2006, l’affaire a été classée sans qu’aucun suspect n’ait été identifié.

2.8Selon l’auteure, l’enquête pénale s’est caractérisée par de nombreuses insuffisances, tenant notamment au manque de coordination entre les différents organes qui y participaient et au fait que certains axes d’enquête n’ont pas été explorés, notamment les déclarations faites par un membre présumé d’un groupe paramilitaire et par un membre de la Garde nationale, qui affirmaient que le nom de Joe Luis Castillo González figurait sur une liste de cibles visées par des groupes paramilitaires agissant avec la complicité du maire.

2.9Pour ce qui est de l’accès aux informations concernant l’affaire, l’auteure affirme que le classement de l’affaire ne lui a pas été notifié et qu’elle n’en a eu connaissance qu’en se rendant au bureau du procureur. Elle affirme également avoir demandé au ministère public le dossier original le 24 mai 2005. Elle n’en avait au préalable obtenu que des parties, et elle a été informée que les autres parties étaient classées confidentielles. L’auteure n’a toutefois pu consulter le dossier dans son intégralité qu’en 2007. Le Vicariat de Caracas a demandé copie du dossier au ministère public le 7 juin 2007, le 29 septembre 2008 et le 4 février 2009. Malgré ces trois demandes de copies certifiées, seule une copie non certifiée lui a été fournie. Le dossier n’a été mis à la disposition de l’auteure pour consultation qu’en 2007 et, si l’auteure a effectivement obtenu des copies du dossier d’enquête auprès du 20e Bureau du Procureur, ces copies étaient à caractère confidentiel et ne contenaient pas l’ordonnance de classement de l’enquête.

2.10Les actes violents dont l’auteure a été victime, associés au fait de savoir que les responsables n’avaient pas été arrêtés, lui ont causé une souffrance morale qui a nécessité une prise en charge spécialisée. L’auteure joint un certificat médical qui en témoigne.

2.11L’auteure a porté l’affaire devant la Commission interaméricaine des droits de l’homme, qui a constaté l’existence de plusieurs violations de la Convention américaine relative aux droits de l’homme. Par la suite, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a rendu, le 27 novembre 2012, un arrêt concluant à l’absence de violation de la Convention.

2.12L’auteure admet qu’elle n’a pas pu épuiser les recours internes et l’explique par le fait que ceux-ci ont été déraisonnablement longs. Le classement de l’affaire a empêché l’introduction en temps voulu des recours utiles pour protéger les droits des victimes. L’auteure ajoute qu’il n’y a pas litispendance internationale puisque la Cour interaméricaine s’est trouvée dessaisie de l’affaire en statuant sur le fond le 27 novembre 2012. En outre, le délai de trois ans prévu à l’article 96, alinéa c), du Règlement intérieur pour la soumission d’une communication au Comité n’est pas écoulé.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure affirme que l’assassinat de son époux et les blessures dont son fils et elle‑même ont souffert, conjugués à l’existence de preuves indiquant que les autorités locales étaient au courant des activités criminelles des groupes paramilitaires responsables d’assassinats de défenseurs des droits de l’homme dans la région et ne prenaient aucune mesure effective de protection ou de prévention, ainsi que les retards et les lacunes de l’enquête pénale, et l’absence de réparation intégrale, constituent des violations de ses droits de l’homme ainsi que de ceux de son fils et de son défunt mari. Elle affirme qu’il y a eu violation, en particulier, des droits à la vie et à l’intégrité et à la sécurité de la personne, ainsi que des garanties d’une procédure régulière, visés aux articles 6 (par. 1), 7 et 9, lus conjointement avec l’article 2, et à l’article 14 lu conjointement avec l’article 2 (par. 3), à l’égard de Joe Luis Castillo González ; et des droits à l’intégrité et à la sécurité de la personne, ainsi que des garanties d’une procédure régulière, visés aux articles 7 et 9, lus conjointement avec l’article 2, et à l’article 14 lu conjointement avec l’article 2 (par. 3), à son égard et à l’égard de son fils.

3.2L’auteure affirme que l’État partie a manqué à l’obligation qui lui incombait, en vertu du paragraphe 1 de l’article 6, lu conjointement avec l’article 2 du Pacte, de prendre en faveur de son mari les mesures de prévention et de protection qu’imposait son appartenance à un groupe vulnérable (les défenseurs des droits de l’homme), alors que les autorités connaissaient les risques auxquels étaient exposés les membres de ce groupe et les paysans auprès desquels ils travaillaient. L’existence de ces risques avait été mise en évidence dans la demande de mesures provisoires à laquelle avait fait droit la Commission interaméricaine des droits de l’homme le 12 mars 2001 puis, après la mort de Joe Luis Castillo González, dans la demande présentée le 29 août 2003 en faveur de l’auteure et de son fils. L’auteure souligne qu’en plus d’être victime, elle est le seul témoin oculaire capable de reconnaître les auteurs du meurtre de son époux, ce pourquoi sa protection aurait dû être une priorité dans le cadre de l’enquête. Les défenseurs des droits de l’homme qui travaillaient à cette époque dans la zone frontalière étaient particulièrement exposés, et l’État aurait donc dû prendre des mesures de protection. Les travaux que menait le Vicariat de Machiques suscitaient des réactions hostiles de la part des groupes paramilitaires, de la guérilla et d’autres opposants à la réforme agraire mise en œuvre après l’entrée en vigueur de la loi sur les terres.

3.3L’État partie est également responsable de la violation du droit à la vie de Joe Luis Castillo González, parce qu’il n’a pas enquêté convenablement sur les faits et identifié et puni les responsables, ce qui constitue également un déni du droit à réparation.

3.4L’auteure considère que l’État est responsable par omission d’une violation du droit à l’intégrité physique consacré par l’article 7, lu conjointement avec l’article 2 du Pacte, à l’égard de Joe Luis CastilloGonzález et de son fils et à son égard. Les blessures par balle subies par l’auteure, par son mari et par son fils, l’hospitalisation que ces blessures ont nécessitée et la souffrance morale que le crime a provoquée chez l’auteure et son fils sont autant de preuves de l’atteinte à l’intégrité physique. En ce qui concerne la responsabilité de l’État, l’auteure cite les éléments déjà mentionnés, à savoir l’absence de mesures de prévention et le manquement aux devoirs d’enquête, de sanction et de réparation.

3.5Concernant la violation du droit à la sécurité de la personne consacré par le paragraphe 1 de l’article 9, lu conjointement avec l’article 2 du Pacte, l’auteure soutient que le fait que l’État n’ait pas pris de mesures de prévention pour atténuer les risques auxquels était exposé Joe Luis Castillo Gonzáleza gravement compromis la sécurité de sa personne et celle de sa famille.

3.6L’auteure affirme que les droits qu’elle tient de l’article 14, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, ont été violés du fait de l’absence d’enquête suffisamment approfondie et de garanties judiciaires durant l’enquête. Il n’a pas été tenu compte, dans l’enquête, de paramètres essentiels tels que le risque d’être victime de tueurs à gages, auquel étaient exposés les défenseurs des droits de l’homme travaillant dans la région et plus spécialement Joe Luis Castillo González, parce qu’il prenait part à la lutte pour la restitution des terres, représentait des dirigeants d’organisations paysannes devant la Commission interaméricaine et menait auprès des réfugiés dans les zones frontalières une action comportant des risques, outre qu’il était peut-être considéré comme une cible par des groupes paramilitaires. L’enquête s’est enlisée dans une multitude d’actes inefficaces et désordonnés, faute de coordination de la part du ministère public et des organes chargés de l’enquête pénale. Il y a eu un manque de diligence dans le recueil des preuves et pas de recherche ni d’examen d’autres procédures judiciaires qui auraient pu avoir un lien avec l’affaire.

3.7L’auteure affirme en particulier qu’il y a eu violation du paragraphe 3 c) de l’article 14 du fait de la durée excessive de la procédure judiciaire, et soutient que le droit énoncé dans cette disposition est garanti non seulement à l’accusé dans un procès pénal, mais aussi à la victime d’une infraction. Elle souligne également que le fait que les victimes n’aient pas accès au contenu d’un dossier judiciaire contrevient au paragraphe 3 de l’article 2 et au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Le fait de communiquer aux victimes toutes les informations disponibles concernant une affaire et les personnes soupçonnées d’y être impliquées, pour autant que cela ne nuise pas au déroulement de l’enquête, doit être perçu comme un gage de l’indépendance et de l’impartialité du tribunal.

3.8 L’auteure prie le Comité de demander à l’État partie d’enquêter sur l’affaire et de poursuivre et punir les responsables, de mettre ses protocoles relatifs à la diligence raisonnable dans les enquêtes en conformité avec les normes internationales, d’adopter des mesures d’ordre législatif, administratif ou autre en vue de protéger les défenseurs des droits de l’homme, et d’accorder aux victimes réparation des violations subies, au moyen d’une indemnisation financière du préjudice moral et matériel et du remboursement des frais de justice passés, présents et futurs engagés aux niveaux national et international.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1L’État partie a fait part de ses observations au Comité le 29 décembre 2016 et le 28 avril 2017.

4.2L’État partie relève que l’affaire a été examinée par les organes du système interaméricain des droits de l’homme. La Commission interaméricaine des droits de l’homme, dans son rapport no 22/07 sur la recevabilité, a déclaré l’affaire recevable, et dans son rapport no 120/10 sur le fond, a constaté que l’État était responsable de la violation de plusieurs droits consacrés par la Convention américaine relative aux droits de l’homme. Par la suite, elle a transmis l’affaire à la Cour interaméricaine des droits de l’homme. Le 12 novembre 2012, celle‑ci a rendu un arrêt dans lequel elle concluait à l’absence de violations par la République bolivarienne du Venezuela des droits que Joe Luis Castillo González, Yelitze Lisbeth Moreno de Castillo et Luis César Castillo Moreno tenaient de la Convention, et décidait de clore le dossier. L’État partie considère par conséquent que la communication est irrecevable.

4.3L’État partie demande que la communication soit déclarée irrecevable au motif que la Cour interaméricaine des droits de l’homme a déjà rendu un jugement sur le fond dans la même affaire. La présente communication se distingue d’autres affaires que le Comité a examinées après qu’elles l’avaient été par d’autres instances internationales en ce sens que, en l’espèce, la Cour interaméricaine a examiné l’affaire non seulement du point de vue de la recevabilité mais aussi au fond. L’État partie appelle les instances internationales à revoir leur pratique consistant à examiner des plaintes sur lesquelles d’autres juridictions internationales des droits de l’homme ont déjà statué.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partieconcernant la recevabilité

5.Dans ses commentaires en date du 3 février 2017, l’auteure soutient à nouveau que l’existence d’un jugement de la Cour interaméricaine des droits de l’homme ne saurait en aucun cas empêcher le Comité de connaître de l’affaire. Elle fait observer que la République bolivarienne du Venezuela n’a formulé aucune réserve au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte. L’affaire concernant Joe Luis Castillo González n’est pas en cours d’examen devant la Cour interaméricaine des droits de l’homme puisque celle-ci s’est prononcée le 27 novembre 2012. Le Comité ne peut pas examiner une communication si la même question est en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, mais il lui est loisible de le faire une fois que ladite instance a achevé son examen.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1L’État partie donne des explications sur le conflit, lié à la mise en œuvre de la loi sur la terre et le développement agricole adoptée par le Gouvernement de la République bolivarienne du Venezuela en 2001, qui avait cours dans la région au moment des faits. La loi en question a autorisé la distribution de cartes agraires aux paysans qui travaillaient des terres publiques à vocation agricole, mesure qui a été perçue comme une menace par les propriétaires fonciers et qui a suscité une forte résistance de leur part. Certains de ces propriétaires ont engagé des paramilitaires colombiens comme tueurs à gages pour assassiner des dirigeants d’organisations paysannes qui cherchaient à faire appliquer la nouvelle loi. La Commission interaméricaine des droits de l’homme, dans son rapport sur le fond de l’affaire, a elle‑même conclu que l’analyse de la responsabilité de l’État dans cette affaire était particulièrement complexe du fait qu’il existait différentes versions quant au contexte, aux motivations et même aux individus impliqués dans l’attaque, et que le contexte général à lui seul ne suffisait pas à imputer à l’État la responsabilité d’une violation du devoir de prévention.

6.2Pour ce qui est des faits survenus le 27 août 2003, l’État partie fait observer que le 20e Bureau du Procureur de la circonscription judiciaire de l’État de Zulia a ouvert une enquête pénale le 28 août 2003. Une série d’actes utiles et nécessaires ont été accomplis dans le cadre de l’enquête, notamment une inspection visuelle de la scène de crime, une autopsie, un examen médico-légal, une expertise hématologique, un relevé planimétrique, une comparaison balistique et l’audition des témoins oculaires. Une fois achevés tous ces actes d’enquête, il a été conclu que les éléments de preuve n’étaient pas suffisants pour attribuer la responsabilité pénale, de sorte que, le 28 novembre 2006, l’affaire a été classée, conformément aux dispositions du Code de procédure pénale. Ce classement a été officiellement notifié à l’auteure, et celle-ci avait la possibilité, en vertu dudit Code, de s’adresser à un juge de contrôle pour demander l’examen des motifs du classement de l’affaire.

6.3L’État partie fait observer que, jusqu’à présent, il n’est pas apparu d’éléments de preuve suffisants pour justifier la réouverture de l’enquête pénale.

6.4En ce qui concerne les mesures de protection prises en faveur de l’auteure et de son fils, l’État partie signale que, après la mort de Joe Luis Castillo González, sa famille a décidé de quitter l’État de Zulia pour s’installer dans l’État de Miranda. En conséquence, le Bureau du Procureur principal de l’État de Miranda a demandé que des mesures de protection soient adoptées en faveur de l’auteure et de son fils. Le 24 septembre 2003, le troisième tribunal de première instance de contrôle a fait droit à cette demande et a chargé la police de l’État de Miranda de l’exécution de cette mesure de protection, qui a été prolongée le 15 mai 2007. Le Bureau du Procureur principal a également entrepris un certain nombre de démarches en vue de localiser l’auteure, qui s’est présentée le 16 juin 2011 et a déclaré : « […] à présent, après tant d’années, je ne crois pas que les mesures de protection soient réellement nécessaires […] ».

6.5Le 1er octobre 2015, l’État a entamé des démarches pour localiser l’auteure et trouver sa nouvelle adresse. Le 18 décembre 2015, le 76e Bureau du Procureur national a adressé une convocation à l’auteure pour la date du 21 janvier 2016 afin de l’auditionner. Cependant, l’auteure ne s’est pas présentée. Ayant été informé d’un nouveau changement d’adresse de l’auteure, le 9 décembre 2016 le même Bureau du Procureur a de nouveau entrepris des démarches pour localiser celle-ci dans le but de lui proposer une protection pour elle-même et sa famille.

6.6Compte tenu de ce qui précède, l’État partie affirme que l’État ne porte aucune responsabilité dans les faits survenus le 27 août 2003.

6.7Au sujet du devoir de prévention et de protection et du droit à l’intégrité physique et à l’intégrité de la personne, l’État partie rappelle qu’il s’agit d’une obligation de moyens et non de résultats. Il fait valoir en outre qu’aucun élément ne montre que la famille Castillo González ait fait l’objet de menaces ou d’actes d’intimidation ni qu’une demande de protection ait été introduite avant l’attaque, alors même que les intéressés avaient demandé à la Commission interaméricaine d’ordonner des mesures de protection afin de porter assistance à 52 réfugiés du Río de Oro, ainsi que l’a relevé la Commission interaméricaine dans son rapport no 120/10. Il est indiqué dans le dossier d’enquête pénale qu’aucune des personnes qui travaillaient au Vicariat n’a demandé de mesures de protection policière aux autorités de la République bolivarienne du Venezuela avant l’attaque contre la famille Castillo González, pas plus qu’elle n’a fait appel au Défenseur du peuple ou au ministère public.

6.8La Commission interaméricaine des droits de l’homme savait que Joe Luis Castillo González, dans le cadre de son travail humanitaire, était en relation avec des citoyens colombiens connus pour être des guérilleros et qui auraient été assassinés par des groupes paramilitaires. Cela avait pu porter les groupes paramilitaires à croire que l’intéressé protégeait ces guérilleros et collaborait avec eux. Cependant, il n’est pas ressorti des investigations que Joe Luis Castillo González ait eu des problèmes quelconques avec les autorités vénézuéliennes.

6.9L’enquête n’a pas mis en évidence d’éléments attestant le consentement, la collaboration ou la connivence d’agents de l’État. La Cour interaméricaine des droits de l’homme a estimé qu’il n’y avait aucune preuve de l’existence d’un risque structurel qui aurait imposé un devoir de prévention renforcé. Les plaintes pour violation des droits de l’homme doivent contenir des éléments précis qui favorisent l’approfondissement de l’enquête, et non être fondées sur de simples spéculations et hypothèses.

6.10L’État partie énumère les mesures qui ont été prises dans le cadre de l’enquête policière et judiciaire, notamment la comparaison balistique des douilles récupérées sur les lieux de l’attaque avec des armes saisies dans le cadre d’autres affaires d’homicide.

6.11En ce qui concerne le grief de violation des garanties judiciaires, l’État partie réaffirme qu’une enquête sérieuse a été menée sur les faits, conformément aux prescriptions du Protocole du Minnesota relatif aux enquêtes sur les homicides résultant potentiellement d’actes illégaux, durant les trois ans et trois mois qui ont précédé le classement de l’affaire, et qu’en dépit de certains retards et omissions, la qualité de l’enquête devait être évaluée dans son ensemble.

6.12 L’État partie fait également mention, à cet égard, de l’audition par la police de Machiques, le 12 septembre 2003, de deux personnes, à savoir E. H. T., membre présumé d’un groupe paramilitaire, et E. A. G., ancien membre de la Garde nationale, à laquelle l’auteure a fait référence. Il indique que ces auditions n’ont pas donné lieu à des déclarations formelles faites sous serment. En outre, les renseignements fournis par ces personnes étaient très généraux et ne contenaient pas d’éléments précis permettant d’établir un lien entre la mort de Joe Luis Castillo González et une possible implication d’agents de l’État sous la forme de consentement, de collaboration ou de connivence.

6.13Selon l’État partie, la Cour interaméricaine a mentionné dans l’arrêt qu’elle a rendu les mesures suivantes prises par les autorités vénézuéliennes en vue de l’enquête sur le meurtre de Joe Luis Castillo González : collecte d’éléments de preuve sur le lieu de l’attaque ; identification des témoins ; deux inspections visuelles du lieu du crime et du véhicule des victimes ; examen médical et autopsie ; expertises planimétrique, balistique et hématologique ; audition des témoins oculaires ; réception de la déposition de l’auteure ; établissement d’un portrait-robot ; identification photographique de trois paramilitaires présumés par un employé du Vicariat ; examen médical de l’auteure (par. 154). Diverses informations et déclarations ont également été recueillies au sujet de la possible intervention de groupes paramilitaires colombiens dans l’attaque, notamment les auditions mentionnées ci-avant (par. 156 et 157). Selon la Cour, il ne ressortait pas des preuves que les autorités en charge de l’enquête aient pris des mesures pour vérifier la véracité des déclarations faites par les personnes entendues par la police quant au fait que le maire de Machiques, plusieurs membres de la Garde nationale, les dirigeants d’un groupe d’éleveurs et des membres de groupes paramilitaires colombiens prétendument engagés par des éleveurs de la région auraient été impliqués dans l’attaque. Le 18 mai 2007, après le classement de l’affaire, une personne a accusé le maire de Machiques d’être le cerveau de l’assassinat, dans une plainte déposée auprès du 4e Bureau du Procureur. Cette personne a été convoquée par le 20e Bureau du Procureur pour être entendue le 27 juillet 2010. Bien que la convocation ait été renouvelée le 19 mai 2011, rien n’atteste que l’audition en question ait eu lieu (par. 159).

6.14Malgré cela, et en dépit de possibles lacunes, en se basant sur l’ensemble des éléments de preuve disponibles, la Cour a conclu que l’enquête avait été conduite de manière raisonnable. Elle a ajouté : « Les omissions et retards mentionnés, qui concernent des aspects ou des actes ponctuels de l’enquête judiciaire, ne sont pas, au regard de l’ensemble des mesures prises dans le cadre de l’enquête, d’une gravité de nature à entraîner une responsabilité internationale de l’État pour violation des droits aux garanties et à la protection judiciaires des victimes présumées » (par. 162).

6.15L’État partie fait observer également que le classement de l’affaire ne veut pas dire que celle-ci soit définitivement close. Aucune décision judiciaire n’ayant encore été rendue, la victime peut demander au juge de rouvrir l’enquête en indiquant les investigations appropriées. Elle peut également demander que le juge de contrôle examine les motifs du classement, conformément aux dispositions des articles 316 et 317 du Code de procédure pénale. Même si le juge prononce un non-lieu, cette décision peut être contestée en appel ou en cassation. Le ministère public peut également rouvrir l’affaire de sa propre initiative si de nouveaux éléments de preuve apparaissent ou si la victime le demande.

6.16En ce qui concerne l’accès des victimes à l’information, l’État partie affirme que l’auteure et ses représentants ont eu accès aux dossiers. Dans son arrêt, la Cour interaméricaine a relevé que, malgré certaines difficultés, Mme Moreno de Castillo et ses représentants avaient pu étudier les dossiers, maintenir le contact avec les autorités chargées de l’enquête, obtenir d’elles des informations et leur demander de prendre certaines mesures. Quant aux allégations de manquements dans la mise en œuvre des mesures de protection ordonnées en faveur de l’auteure et de son fils, la Cour a indiqué qu’il ne ressortait pas des éléments de preuve que les autorités aient empêché les bénéficiaires des mesures d’entreprendre une quelconque action ou qu’elles aient d’une autre manière compromis le déroulement de l’enquête ou ses résultats (par. 170).

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant le fond

7.1L’auteure a formulé des commentaires sur les observations de l’État partie concernant le fond les 3 février et 15 juin 2017.

7.2L’auteure fait observer que l’État partie reconnaît que, au moment de l’attaque, il existait un risque généralisé dans la région, du fait du conflit armé interne qui avait cours en Colombie. Elle relève que, entre 1996 et 2003, des attaques ont été menées contre 69 défenseurs des droits de l’homme qui œuvraient en faveur de la restitution des terres dans l’État de Zulia, et que de nombreux défenseurs des droits de l’homme ont été assassinés. Par conséquent, les activités de Joe Luis Castillo González l’exposaient à des risques. L’État partie était au courant de cette situation mais n’a pris aucune mesure pour protéger l’intéressé ou réduire ces risques. Joe Luis Castillo González lui-même a assisté, le 20 février 2001, à une réunion avec des agents de l’État qui avait pour objet d’informer ceux-ci de la situation et des risques qu’elle présentait, et il a participé au dépôt de la demande de mesures provisoires de protection auprès de la Commission interaméricaine. La demande de mesures provisoires a été acceptée et portée à l’attention de l’État. Plusieurs des personnes qui devaient bénéficier de ces mesures provisoires ont été tuées. Par conséquent, l’État partie ne peut pas affirmer que les victimes n’avaient pas dénoncé publiquement les risques auxquels elles devaient faire face ou n’en avaient pas prévenu les autorités.

7.3L’auteure répète ses arguments concernant le manque de diligence raisonnable dont l’État partie a fait preuve, tant pour prévenir l’attaque que pour enquêter sur les faits. Elle souligne en particulier que, durant l’enquête, la Brigade des enquêtes scientifiques et criminelles et de la criminalistique a recueilli les déclarations de deux individus qui affirmaient que le nom de Joe Luis Castillo González figurait sur une liste de cibles visées par des groupes paramilitaires et que le maire était au courant des agissements de ces groupes et en était complice. Il n’est pas acceptable que l’État n’ait pris aucune mesure judiciaire en vue de faire la lumière sur la participation ou le consentement des autorités locales à l’attaque contre la famille Castillo Moreno.

7.4L’auteure réfute également l’affirmation de l’État partie, qui prétend qu’elle a reçu notification du classement de l’affaire, et elle maintient qu’elle n’en a pas eu connaissance avant de se rendre au bureau du procureur le 28 novembre 2006. En outre, elle n’a pas pu consulter le dossier jusqu’en 2007 et la copie qu’elle a reçue ne contenait pas l’ordonnance de classement. De plus, la copie des actes qui a été fournie à ses avocats n’était pas certifiée. Ces obstacles les ont par la suite empêché d’exercer des recours.

7.5L’auteure rejette les arguments de l’État partie concernant la mise en œuvre des mesures de protection ordonnées en sa faveur et en faveur de son fils. Elle affirme que les mesures de protection qu’avait accordées le troisième tribunal de première instance de l’État de Miranda n’ont jamais été mises en œuvre, que ces mesures ne lui ont pas été notifiées et qu’elle n’a bénéficié d’aucune protection en dehors de la décision judiciaire. Le tribunal a demandé au commissariat de police de Miranda de faire appliquer ces mesures le 11 décembre 2003, le 29 juillet 2005, le 26 septembre 2006 et le 15 mai 2007, mais aucune disposition n’a jamais été prise pour protéger sa vie et son intégrité ainsi que celles de son fils.

7.6En ce qui concerne le fait qu’elle ne se soit pas rendue à la convocation du 21 janvier 2016, l’auteure fait savoir que celle-ci ne lui a pas été dûment notifiée : elle a été informée tardivement et de manière indirecte, alors que les autorités auraient pu prendre contact avec elle par l’intermédiaire du Vicariat épiscopal ou de ses avocats, dont les coordonnées figurent dans la lettre initiale adressée au Comité, copie en ayant été transmise à l’État partie. Elle estime que ni elle ni son fils n’ont reçu de protection de la part de l’État au moment où cette protection était nécessaire et urgente. À présent, sa vie n’est plus en danger, et elle demande donc seulement à obtenir justice et une réparation intégrale, et que des mesures de non-répétition soient mises en œuvre.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

8.2En ce qui concerne la soumission de l’affaire à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, le Comité note que, selon l’État partie, la communication devrait être déclarée irrecevable car la même question a été soumise d’abord à la Commission interaméricaine des droits de l’homme puis à la Cour interaméricaine des droits de l’homme. La Cour a rendu un arrêt sur l’affaire le 12 novembre 2012.

8.3Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que, conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, une communication sera déclarée irrecevable si elle est en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il invoque également sa jurisprudence pour réaffirmer que, si la version espagnole du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif peut donner lieu à une interprétation du sens de cet alinéa différente de celle qui ressort des autres versions linguistiques, il convient de résoudre cette différence conformément aux dispositions du paragraphe 4 de l’article 33 de la Convention de Vienne de 1969sur le droit des traités, en adoptant le sens qui concilie le mieux les textes authentiques, compte tenu de l’objet et du but du traité. Les termes « ha sido sometido », dans la version espagnole, doivent donc être interprétés à la lumière des autres versions linguistiques, ce qui signifie que le Comité doit s’assurer que la même question « n’est pas déjà en cours d’examen » par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité considère que cette interprétation concilie le sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 des textes qui, comme il est indiqué au paragraphe 1 de l’article 14 du Protocole facultatif, font également foi. Étant donné que la même affaire n’est plus en cours d’examen devant les organes régionaux susmentionnés, le Comité considère qu’il n’est pas empêché par le paragraphe 2 a) de l’article 5 de déclarer la communication recevable.Il note cependant que la Commission interaméricaine des droits de l’homme et la Cour interaméricaine des droits de l’homme ont examiné de manière approfondie des griefs fondamentalement semblables à ceux que soulève l’auteure contre l’État partie, et qu’elles ont pris à ce sujet des décisions pleinement motivées, qu’il convient de prendre dûment en considération.

8.4Le Comité prend note des griefs de l’auteure, qui affirme que son fils et elle n’ont pas bénéficié de mesures de protection après l’attaque, que les mesures ordonnées par le troisième tribunal de première instance de l’État de Miranda n’ont jamais été mises en œuvre et qu’elle n’a bénéficié d’aucune protection en dehors de la décision judiciaire. Le Comité note en outre que, bien qu’il donne des explications sur les mesures de protection accordées à l’auteure et à son fils durant les années qui ont suivi le meurtre de son mari (par. 6.4 à 6.6), l’État partie n’a pas précisé quelles mesures concrètes la police avait prises pour assurer leur protection. Le Comité estime cependant que les informations communiquées par l’auteure ne sont pas suffisamment précises quant à la nature du risque auquel elle était exposée après avoir quitté la zone frontalière de l’État de Zulia et ne lui permettent donc pas d’apprécier l’existence d’une responsabilité de l’État au regard du Pacte. Par conséquent, il considère que ces griefs n’ont pas été suffisamment étayés et les déclare irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.5En ce qui concerne le grief que l’auteure tire de l’article 14 au sujet de la conduite de l’enquête, le Comité note que l’auteure a déjà allégué une violation de ses droits et de ceux de son mari et de son fils au titre des articles 6 et 7, lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, en rapport avec les mêmes questions. Dans ces circonstances, il ne considère pas que l’examen de la question de savoir si l’État partie a également manqué à ses obligations au titre de l’article 14 soit distinct de l’examen de la violation des droits garantis à l’auteure ainsi qu’à son mari et à son fils par les articles 6 et 7, lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2. Le Comité considère donc que les griefs que l’auteure tire de l’article 14 sont incompatibles avec l’article 2 du Pacte et les déclare irrecevables en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

8.6Le Comité note que l’auteure affirme qu’elle n’a pas pu épuiser les recours internes parce que ceux-ci ont été déraisonnablement longs. Il note aussi que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la communication au motif du non-épuisement des recours internes.

8.7Le Comité considère que les autres griefs de l’auteure ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité. En l’absence d’autres obstacles à la recevabilité, il déclare la communication recevable en ce qu’elle soulève des questions au titre du paragraphe 1 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 6 et de l’article 7, lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

9.2Le Comité note que l’auteure associe ses griefs concernant la violation de ses droits et des droits de son époux et de son fils aux faits suivants : a) l’État partie n’aurait pas appliqué de mesures de protection et de prévention en faveur des défenseurs des droits de l’homme, constituant pourtant un groupe vulnérable, et de son époux en particulier, alors qu’il connaissait le risque auquel ces personnes étaient exposées dans la zone frontalière de l’État de Zulia où elles travaillaient ; b) l’État partie n’a pas mené d’enquête en bonne et due forme sur l’attaque dont la famille a été victime, et par conséquent, les responsables n’ont pas été identifiés et punis et l’auteure n’a pas pu obtenir réparation.

9.3En ce qui concerne les mesures de protection et de prévention, le Comité prend note de l’argument de l’État partie, qui soutient qu’aucun élément ne prouve que la famille de l’auteure ait fait l’objet de menaces ou d’actes d’intimidation avant l’attaque, ni qu’une demande de protection ait été introduite, en dépit du fait que Joe Luis Castillo González et d’autres défenseurs des droits de l’homme avaient présenté à la Commission interaméricaine une demande de mesures de protection visant 52 réfugiés. Il prend note également des conclusions de la Commission interaméricaine et de la Cour interaméricaine auxquelles l’État partie a fait référence. La Commission, en particulier, a indiqué que, s’il existait bien des éléments portant à croire que Joe Luis Castillo González, du fait de ses activités, faisait l’objet d’une surveillance et était une cible à atteindre pour certains groupes opérant dans la région, ces éléments n’étaient apparus qu’une fois l’enquête ouverte, et que rien n’indiquait que les autorités de l’État aient eu connaissance de cette situation particulière avant l’attaque, et donc qu’elles auraient pu prendre des mesures raisonnables de prévention (par. 6.1). Pour sa part, la Cour a indiqué que, avant l’attaque, Joe Luis Castillo González n’avait pas fait l’objet de menaces ni d’actes d’intimidation et qu’il n’avait pas été fait état publiquement ou auprès des autorités de l’État d’un risque pesant sur Joe Luis Castillo González ou sa famille, ou de la nécessité de prendre des mesures de protection (par. 6.9). Sur la base des renseignements communiqués par les parties, le Comité estime que, même si à l’époque où les faits en question se sont produits, les défenseurs des droits de l’homme, avec lesquels Joe Luis Castillo González travaillait dans le cadre de son travail humanitaire et de son métier d’avocat (par. 2.1), étaient exposés à des risques du fait des relations complexes existant entre tout un éventail d’acteurs, de causes et d’intérêts, ce risque n’était pas suffisamment individualisé, dans les circonstances de l’espèce, pour entraîner la responsabilité légale de l’État partie au motif que celui-ci n’avait pas pris de mesures de protection en faveur d’une personne, en l’occurrence Joe Luis Castillo González. En conséquence, le Comité constate que les faits tels qu’ils sont présentés ne font pas apparaître de violation des droits à la vie et à la sécurité consacrés à l’article 6 et au paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte à l’égard de l’auteure, de son fils et de son défunt mari.

9.4En ce qui concerne l’absence d’enquête pénale en bonne et due forme sur l’attaque dont la famille a été victime, le Comité croit comprendre que l’auteure soulève des griefs au titre du paragraphe 1 de l’article 6 et de l’article 7, lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. L’auteure soutient qu’il y a eu de nombreuses insuffisances dans l’enquête pénale, et souligne en particulier le manque de coordination entre les organismes participant aux investigations et le fait que certains axes d’enquête n’ont pas été explorés, notamment les déclarations recueillies auprès d’un membre présumé d’un groupe paramilitaire et d’un membre de la Garde nationale, qui affirmaient que le nom de Joe Luis Castillo González apparaissait sur une liste de cibles visées par des groupes paramilitaires et que le maire de Machiques était au courant des agissements de ces groupes et en était complice. Le Comité prend note de la position de l’État partie, qui soutient qu’une enquête sérieuse a été menée sur l’attaque durant la période de plus de trois ans qui a précédé le classement de l’affaire et que la Cour interaméricaine a conclu que l’enquête avait été conduite de manière raisonnable (par. 6.11 à 6.14).

9.5Le Comité note que la Commission interaméricaine a considéré qu’il avait été établi que l’enquête avait fait apparaître des indices d’une possible connivence et/ou implication d’agents de l’État dans l’attaque et que des axes d’enquête pertinents avaient été abandonnés sans avoir été explorés jusqu’au bout. Cela étant, la Cour interaméricaine a passé en revue les actes d’enquête que les autorités vénézuéliennes avaient ou non accomplis. Si elle a constaté qu’il y avait eu des omissions et des retards concernant certains aspects procéduraux ou autres de l’enquête judiciaire, elle a estimé que ces commissions et retards n’étaient pas, au regard de l’ensemble des mesures prises dans le cadre de l’enquête, d’une importance ou d’une gravité de nature à entraîner une responsabilité internationale de l’État pour violation du droit des victimes présumées aux garanties et à la protection judiciaires (par. 6.13 et 6.14).

9.6Le Comité, rappelant sa jurisprudence, réaffirme que les États doivent mettre en place des mécanismes administratifs qui permettent de donner effet à l’obligation générale de faire procéder de manière rapide, approfondie et efficace, par des organes indépendants et impartiaux, à des enquêtes sur les allégations de violation, et que le fait pour un État partie de ne pas mener d’enquête sur des violations présumées pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte. Pour évaluer le respect par les États des obligations que leur fait le Pacte à cet égard, le Comité accorde un poids considérable aux conclusions des juridictions internationales lorsque celles-ci ont procédé au recueil et à l’analyse d’éléments de preuve, y compris des dépositions de témoins. En l’espèce, il prend note des conclusions de la Cour interaméricaine et estime que les informations communiquées au Comité par les parties ne contiennent pas d’éléments suffisants pour contredire ces conclusions, et ne peuvent donc pas l’amener à conclure que la procédure interne n’a pas respecté l’obligation de mener une enquête prompte, approfondie et efficace que le Pacte fait à l’État partie.

9.7.Le Comité prend note des griefs de l’auteure, qui affirme que les autorités ne l’ont pas tenue suffisamment informée de l’enquête sur la mort de son mari − en particulier, que le classement de l’affaire, ordonné le 28 novembre 2006, ne lui a pas été notifié et qu’elle n’en a eu connaissance qu’en se rendant au bureau du procureur ; qu’elle a demandé le dossier original au ministère public le 24 mai 2005 parce qu’elle n’en avait reçu que des parties sous le couvert de la confidentialité, et qu’elle n’a pas pu accéder à l’intégralité du dossier avant 2007. Il estime, cependant, que les informations données par l’auteure ne sont pas suffisamment détaillées, en particulier en ce qui concerne la notification de la décision susmentionnée (par. 2.9, 6.16 et 7.4), pour conclure que la famille n’a pas été tenue suffisamment informée.

9.8Compte tenu de ce qui est décrit ci-dessus, le Comité considère qu’il n’existe pas d’éléments suffisants pour conclure à une violation par l’État partie des droits garantis à l’auteure, à son époux et à son fils par le paragraphe 1 de l’article 6 et l’article 7, lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, en relation avec l’enquête sur l’attaque qui a coûté la vie au mari de l’auteure et dans laquelle celle-ci et son fils ont été blessés.

10.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate par conséquent que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violations des droits garantis à l’auteure par le Pacte.

Annexe

Opinion individuelle (en partie concordante, en partie dissidente) de Sarah Cleveland

1.Je ne suis pas d’accord avec la position du Comité, qui s’incline devant la décision de la Cour interaméricaine des droits de l’homme concernant le caractère approprié de l’enquête (par. 9.4 à 9.6), ni avec la conclusion d’irrecevabilité à laquelle il parvient quant au fait que la République bolivarienne du Venezuela n’ait pas protégé l’auteure et son fils (par. 8.4).

Enquête inappropriée

2.Le défenseur des droits de l’homme Joe Luis Castillo González a été assassiné et son épouse et son fils ont subi de multiples blessures, dans un contexte où les attaques de paramilitaires contre les militants protégeant les droits fonciers étaient tragiquement fréquentes. L’enquête a été close en novembre 2006, sans que personne n’ait été identifié comme étant pénalement responsable.

3.Ces griefs ont déjà été examinés par la Commission interaméricaine des droits de l’homme et la Cour interaméricaine des droits de l’homme au regard de la Convention américaine relative aux droits de l’homme. Si l’on peut imaginer une approche différente de la relation entre les organes internationaux de défense des droits de l’homme, le Comité, de jurisprudence constante, considère qu’en l’absence de réserve, l’examen préalable devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement ne l’empêche pas d’examiner une plainte. Pareil examen ne l’empêche pas non plus, après mûre réflexion, de parvenir parfois, au regard du Pacte, à une conclusion différente de celle adoptée au regard d’un autre instrument international relatif aux droits de l’homme.

4.Le Comité note que la Commission interaméricaine et la Cour interaméricaine ont examiné en détail les griefs formulés par l’auteure à l’égard de la République bolivarienne du Venezuela et qu’il « convient de prendre dûment en considération » les décisions qui en découlent (par. 8.3). Il conclut que l’auteure n’a pas communiqué d’informations suffisantes pour contredire les conclusions de la Cour interaméricaine et qu’il ne peut donc pas conclure que l’État partie n’a pas mené une enquête appropriée (par. 9.6).

5.Or, la Commission interaméricaine et la Cour interaméricaine sont malheureusement parvenues à des conclusions diamétralement opposées quant au caractère approprié de l’enquête sur le meurtre de Joe Luis Castillo González. Le Comité n’explique à aucun moment pourquoi, dans ce contexte, il prend « dûment en considération » la conclusion de la Cour plutôt que celle de la Commission. Il n’analyse jamais de manière indépendante ni n’explique en quoi ladite enquête satisfait à ses propres critères d’appréciation du caractère approprié d’une enquête au regard de l’article 6. Cette acceptation de la décision en question est particulièrement préoccupante, étant donné que le critère appliqué par la Cour interaméricaine en l’affaire Castillo González v. Venezuela semble incompatible avec la jurisprudence antérieure et postérieure de cette juridiction.

6.L’auteure affirme en substance que, si certaines mesures visant à enquêter sur le meurtre de Joe Luis Castillo González ont été prises, notamment en ce qui concerne l’examen de la scène de crime (par. 6.2 et 6.13), l’enquête a néanmoins été gravement défectueuse. En particulier, à plusieurs reprises, l’État partie n’a pas donné suite à des informations impliquant des paramilitaires et les autorités de l’État, notamment le maire de Machiques.

7.Comme l’indique l’auteure, la Commission interaméricaine a conclu que l’État partie n’avait pas mené d’enquêtes sérieuses et efficaces pour identifier les responsables. Étaient notamment jugés préoccupants l’absence de comparaison balistique des armes saisies sur des suspects avec les douilles des balles qui avaient touché Joe Luis Castillo González ; l’absence d’examen du contexte général dans lequel les faits se sont produits (y compris le risque connu auquel étaient exposés les militants des droits de l’homme, en particulier les défenseurs du droit à la terre dans la région) ; le modus operandi de certains acteurs (notamment les paramilitaires) ; l’absence de recherche de procédures judiciaires connexes en Colombie ; le fait que des preuves directes d’une éventuelle participation de paramilitaires et/ou voire d’agents de l’État à l’attaque n’aient pas été prises en considération (note 3 et par. 3.6).

8.Un membre présumé d’un groupe paramilitaire et un ancien membre de la Garde nationale ont tous deux informé les enquêteurs que le nom de Joe Luis Castillo González figurait sur une liste de cibles visées par des groupes paramilitaires et que le maire était au courant des activités du groupe en question, qui agissait avec sa complicité et son consentement (par. 2.8 et 7.3). Plus précisément, le témoin ancien paramilitaire a indiqué que le meurtre de Joe Luis Castillo González avait été commis par des paramilitaires colombiens présumés avec le soutien des autorités locales vénézuéliennes. L’ancien membre de la Garde nationale a déclaré : « ces gars sont des paracos (paramilitaires) engagés par divers éleveurs de bétail de la région ; le maire Toto Márquez est au courant et, en fait, ses propres chauffeurs conduisent ces gars à différents endroits ; ils sont venus nettoyer Machiques de toute la racaille ; ils font peur parce qu’ils ne respectent personne ». Toutefois, les autorités de la République bolivarienne du Venezuela n’ont jamais recueilli de déclaration officielle sous serment de la part de ces personnes ni tenté de déterminer l’exactitude de ces allégations. Devant le Comité, elles se contentent de soutenir que les renseignements fournis par ces personnes étaient « très généraux » (par. 6.12).

9.En mai 2007, six mois après que l’affaire avait été close, une autre personne a accusé le maire d’être responsable du meurtre. Le procureur a mis plus de trois ans à convoquer cette personne à une audition − en juillet 2010 et en mai 2011 − et rien n’indique que celle-ci ait jamais eu lieu.

10.L’absence d’enquête déterminée sur la responsabilité d’agents de l’État et de paramilitaires est à l’origine d’une grande partie de l’impunité dont jouissent les auteurs d’atteintes dont sont victimes des défenseurs des droits de l’homme en Amérique latine. C’est dans ce domaine que les États ont le plus souvent manqué à leurs obligations de diligence raisonnable en matière d’enquêtes efficaces et de responsabilité, et cela reste un sujet de préoccupation permanent en ce qui concerne la République bolivarienne du Venezuela.

11.Le Comité a depuis longtemps établi que les enquêtes sur les violations de l’article 6 doivent toujours être indépendantes, impartiales, promptes, approfondies, efficaces, crédibles et transparentes. Les États parties doivent prendre des mesures appropriées pour établir la vérité sur des événements ayant conduit à la privation de la vie, notamment en révélant les raisons pour lesquelles certaines personnes sont prises pour cible.

12.Cela étant, à aucun moment le Comité ne se demande si, en premier lieu, il considérera que l’enquête sur le meurtre de Joe Luis Castillo González est appropriée au regard du Pacte. Il s’incline au contraire devant la conclusion de non-violation à laquelle est parvenue la Cour interaméricaine des droits de l’homme. Il laisse entendre qu’il accepte les décisions factuelles de la Cour, en raison de la capacité de celle-ci de « procéd[er] au recueil et à l’analyse d’éléments de preuve, y compris des dépositions de témoins » (par. 9.6).

13.Nulle part, cependant, le Comité ne mentionne la norme juridique que la Cour a appliquée pour parvenir à sa conclusion. Cette norme figure au paragraphe 153 de la décision de la Cour, qui indique ce qui suit :

[L]a Commission et les représentants ont mentionné des procédures qui, selon eux, auraient dû être suivies. Pour les besoins de la présente analyse, il ne sera tenu compte que de celles qui ont été ordonnées par les autorités. La Cour n’examinera pas les éventuelles mesures d’instruction spécifiques qui, selon les arguments de la Commission ou des représentants, auraient dû être prises et qui n’ont pas été ordonnées par les autorités. En effet, il n’appartient en principe pas à la Cour de se prononcer sur l’opportunité ou l’utilité d’actes ou de mesures d’instruction spécifiques, à moins que le fait de s’en abstenir ne soit contraire à des normes objectives ou ne soit manifestement déraisonnable.

En somme, la Cour a refusé d’examiner le caractère approprié de l’enquête à la lumière de la portée que celle-ci aurait pu avoir, et a limité son appréciation de l’instruction au champ défini par la République bolivarienne du Venezuela.

14.Même une analyse superficielle permet de voir que l’affaire Castillo González est un cas particulier dans la jurisprudence de la Cour interaméricaine. Celle-ci est, en général, connue et admirée pour son examen minutieux des enquêtes concernant le droit à la vie. Dans les affaires antérieures et postérieures à l’affaire Castillo González, soit elle n’a pas appliqué le critère ci-dessus, soit elle a conclu sans hésitation que les insuffisances d’une enquête étaient de fait « contraires à des normes objectives » ou « manifestement déraisonnables ».

15.Malheureusement, étant donné que la Cour a accepté la décision de la République bolivarienne du Venezuela de ne pas poursuivre les axes de l’enquête impliquant des paramilitaires et les autorités de l’État, et que le Comité s’incline devant cette décision, ni le Comité ni la Cour n’ont jamais examiné la question de savoir si l’enquête était appropriée au regard de la portée qu’elle aurait pu avoir.

16.C’est à juste titre que le Comité dit que les commissions et juridictions chargées des droits de l’homme sont souvent mieux placées pour déterminer les faits. Cependant, cela ne l’exonère pas de la responsabilité qui lui incombe d’examiner en toute indépendance une plainte dûment présentée au regard des normes juridiques établies par le Pacte. À mon avis, un tel examen en l’espèce aurait permis de conclure que la République bolivarienne du Venezuela a manqué à son obligation de mener une enquête indépendante, impartiale, prompte, approfondie, effective, crédible et transparente, conformément à l’article 6 de la Convention.

Mesures de protection

17.L’auteure affirme aussi que la République bolivarienne du Venezuela n’a pas protégé convenablement sa vie et son bien-être ainsi que ceux de son fils après le meurtre de Joe Luis Castillo González. En ce qui concerne ce grief, il n’est pas contesté qu’il y a eu de nombreuses attaques dans la région contre des défenseurs des droits de l’homme, y compris par des paramilitaires ; que, en mars 2001, Joe Luis Castillo González a obtenu de la Commission interaméricaine qu’elle ordonne en faveur des personnes déplacées des mesures de précaution que les autorités n’ont pas appliquées, ce qui a entraîné deux morts ; que l’auteure et son fils ont été blessés par balles au cours de l’attaque contre Joe Luis Castillo González et que l’auteure était la seule témoin oculaire ; que le Vicariat apostolique de Machiques a commencé à recevoir des appels téléphoniques de menaces, qui l’ont conduit à fermer son bureau, où l’auteure travaillait aussi ; que, deux jours après l’attaque, la Commission interaméricaine a ordonné des mesures de précaution pour protéger l’auteure et son fils.

18.En concluant à l’irrecevabilité de la présente communication, le Comité indique de manière énigmatique que les informations communiquées par l’auteure ne sont pas suffisamment précises quant à « la nature du risque auquel elle était exposée après avoir quitté la zone frontalière de l’État de Zulia ». Or, rien dans le dossier ne porte à croire que l’auteure et son fils n’avaient plus besoin de protection après qu’ils s’étaient installés dans l’État de Miranda immédiatement après l’attaque. Au contraire, les deux parties reconnaissent clairement, dans leurs observations, que ce besoin existait toujours. La République bolivarienne du Venezuela, en particulier, ne prétend pas que le besoin de protection avait diminué, mais souligne que le procureur et le tribunal de Miranda ont demandé et obtenu des mesures de protection − mesures qui, selon l’auteure, ont finalement été demandées et renouvelées quatre fois entre 2003 et 2007. L’auteure affirme toutefois que la police n’a pris aucune mesure pour les protéger, elle et son fils, pendant cette période où une telle protection était une nécessité impérieuse. La République bolivarienne du Venezuela ne présente pas non plus d’éléments prouvant que la police a bel et bien donné effet aux ordonnances du tribunal. Elle indique seulement que le Bureau du Procureur a finalement entrepris des démarches pour localiser l’auteure, apparemment en 2011, en 2015 ainsi que par la suite (par. 6.4 et 6.5 et note 8).

19.Le fait que, par bonheur, il n’ait finalement été fait aucun mal à l’auteure et à son fils ne saurait infirmer la nécessité d’une protection ex ante. Dans les circonstances de l’espèce, la République bolivarienne du Venezuela avait l’obligation de prendre des mesures pour protéger la vie et le bien-être de l’auteure et de son fils, ainsi que pour protéger l’auteure en tant que témoin du crime. Sur la base des informations qui précèdent, et en l’absence de toute preuve que la police ait jamais pris de mesures pour exécuter les nombreuses ordonnances du tribunal, le grief concernant l’absence de protection est recevable et fait apparaître une violation du paragraphe 1 de l’article 6.