Comité des droits de l’homme
Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2372/2014 * , **
Communication présentée par : |
Evelio Ramón Giménez (représenté par Hugo Valiente, Ximena López Giménez, Base de Investigaciones Sociales et Coordinadora de Derechos Humanos del Paraguay (réseau national d’organisations de défense des droits de l’homme)) |
Au nom de : |
Evelio Ramón Giménez |
État partie : |
Paraguay |
Date de la communication : |
30 juillet 2013 (date de la lettre initiale) |
Références: |
Décision prise en application des articles 92 et 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 3 avril 2014 (non publiée sous forme de document) |
Date des constatations : |
25 juillet 2018 |
Objet : |
Garanties d’une procédure régulière ; droit de réunion pacifique |
Question ( s ) de procédure : |
Faits et éléments de preuve |
Question (s) de fond : |
Droit de réunion pacifique |
Article ( s ) du Pacte : |
14 (par. 1 et 3 a)), 15 et 21 |
Article ( s ) du Protocole facultatif : |
3 et 5 (par. 2 b)) |
1.1L’auteur de la communication, dont la lettre initiale est datée du 30 juillet 2013, est Evelio Ramón Giménez, de nationalité paraguayenne, né le 6 octobre 1971. La communication est présentée par l’auteur en son nom propre. L’auteur soutient que l’État partie a violé les droits qu’il tient du paragraphe 1 et de l’alinéa a) du paragraphe 3 de l’article 14 ainsi que des articles 15 et 21 du Pacte. Il est représenté par des conseils. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 10 janvier 1995.
Exposé des faits
2.1L’auteur est ouvrier agricole et vit dans une exploitation du district de Tava’i (département de Caazapá). Il a fondé et dirige une organisation nationale d’ouvriers agricoles dénommée Organización de Lucha por la Tierra, ainsi que le parti politique Convergencia Popular Socialista.
2.2À partir de 2003, l’auteur a soutenu une action de contestation menée par des dirigeants sociaux et des habitants du district de Tava´i pour obtenir la réouverture d’un hôpital. La fermeture de cet établissement faisait suite à la résiliation d’un accord conclu entre les autorités et la fondation allemande chargée d’administrer l’établissement. L’hôpital en question était le seul auquel les habitants du district de Tava´i avaient accès et offrait des services essentiels à une communauté depuis longtemps victime de discriminations exercées par les autorités parce que composée en majorité de peuples autochtones, à savoir les Mbya Guarani et les Aché.
2.3Lorsque l’hôpital a cessé ses activités, les administrateurs ont vendu le bâtiment et le terrain d’environ 520 hectares sur lequel celui-ci était construit à un citoyen paraguayen, qui a décidé de démolir le bâtiment et d’utiliser le terrain à des fins d’élevage. En conséquence, l’auteur a mis en place un « Réseau d’organisations sociales et populaires », dont l’objectif était de permettre à l’État partie de reprendre possession de l’hôpital et de le remettre en service. Le Réseau a organisé des manifestations et mené des actions, entrant notamment en contact avec diverses autorités, sans succès. En juillet 2008, face à l’imminence de la démolition du bâtiment de l’hôpital, le Réseau a décidé d’organiser une manifestation permanente et d’installer un campement en face de l’entrée du site. Pour sa part, le propriétaire a engagé une procédure d’amparo devant le juge pénal des garanties de San Juan Nepomuceno, afin que celui-ci ordonne les mesures nécessaires face au risque d’occupation de l’immeuble. Le 23 juillet 2008, le juge a enjoint au Ministère de l’intérieur et à la police de prendre les mesures nécessaires pour éviter une occupation de l’immeuble et d’arrêter les éventuels occupants.
2.4Le 7 août 2008, l’auteur, accompagné d’environ 150 personnes, ont occupé le bâtiment de l’hôpital. Le lendemain, le propriétaire a déposé plainte auprès du Procureur pour occupation de propriété privée. L’auteur signale que l’occupation a cessé le 13 août 2008 et que les membres du Réseau ont quitté pacifiquement les lieux après avoir fait la connaissance du propriétaire et amorcé le dialogue directement avec lui, étant parvenus à empêcher la démolition du bâtiment et à signer un accord avec le propriétaire, qui s’est engagé à proposer à l’État partie de racheter le bâtiment. Toutefois, le campement installé le long de la voie publique située en face du site a été maintenu afin de poursuivre certaines actions visant à exiger de la réouverture de l’hôpital.
2.5Le 11 août 2008, le Procureur de l’unité pénale no 1 du parquet régional de San Juan Nepomuceno a émis un mandat d’arrêt contre l’auteur, qui a été placé en garde à vue le 21 août 2008. Le 22 août, il a été informé qu’il était accusé d’occupation de propriété privée et a déposé en tant qu’inculpé. Il a déclaré qu’en sa qualité de responsable du Réseau il avait participé, avec environ 500 personnes, à l’occupation pacifique du bâtiment afin d’obtenir la réouverture de l’établissement. Le Procureur a engagé une poursuite pénale contre l’auteur sur la base de l’article 142 du Code pénal.
2.6L’auteur a été mis en liberté provisoire le 22 août 2008 sur ordre du tribunal des garanties pénales de San Juan Nepomuceno, sous réserve des restrictions suivantes : a) interdiction de quitter le pays ou son domicile sans l’autorisation du juge ; b) obligation de se présenter au tribunal dans les dix premiers jours de chaque mois ; c) engagement sous serment à se conformer à la procédure ; d) interdiction d’entrer dans le bâtiment de l’ancien hôpital.
2.7Le 9 janvier 2009, l’auteur a été arrêté sur ordre du Procureur pour avoir occupé de nouveau les lieux. Le 21 janvier 2009, le tribunal des garanties pénales de San Juan Nepomuceno a ordonné le placement en détention provisoire de l’auteur, au motif que l’une des conditions de sa libération conditionnelle avait été violée. La défense a demandé la levée de cette mesure, invoquant l’absence de risque d’obstruction à la justice ou de fuite. L’auteur a été placé en détention jusqu’au 24 février 2009, date à laquelle le tribunal des garanties pénales de San Juan Nepomuceno a décidé qu’il serait assigné à domicile pendant la durée de la détention provisoire.
2.8Le 20 février 2009, l’unité pénale no 1 du parquet régional de San Juan Nepomuceno a inculpé officiellement l’auteur pour occupation de propriété privée et a demandé que l’affaire fasse l’objet d’une procédure orale et publique. Le 7 mai 2009, lors de l’audience préliminaire, la défense a demandé que l’auteur bénéficie d’un non-lieu définitif. Elle a soutenu que le ministère public n’avait pas respecté les règles relatives aux droits de la défense parce qu’au cours de l’enquête l’auteur n’avait pas été informé en détail des faits qui lui étaient reprochés et qu’on ne lui avait pas dûment expliqué quels étaient les éléments de preuve à charge. Selon la défense, l’auteur ne s’était pas rendu coupable d’occupation de propriété privée puisque tous les éléments constitutifs de l’infraction n’étaient pas réunis. Elle a souligné que l’auteur n’était pas entré dans le bâtiment de manière clandestine et dans l’intention de s’y installer, comme l’exige l’article 142 du Code pénal. En outre, elle a fait valoir que l’auteur était entré dans le bâtiment à l’occasion d’une manifestation pacifique, exerçant ainsi ses libertés de réunion et de manifestation consacrées par la Constitution.
2.9Le 7 mai 2009, le tribunal des garanties pénales de San Juan Nepomuceno a rejeté la demande de non-lieu, au motif que le compte rendu de l’enquête montrait que l’auteur connaissait en détail les faits qui lui étaient reprochés, puisqu’il avait assuré sa défense en fonction de ceux-ci. Quant à l’argument de l’auteur tenant au fait que tous les éléments de l’infraction reprochée n’étaient pas réunis, le juge a signalé que l’enquête avait révélé l’existence d’éléments compromettants pour l’auteur, ajoutant que celui-ci n’avait démontré aucune des trois hypothèses dont la réalisation est indispensable pour qu’une demande de non-lieu soit fondée, à savoir établir que les faits reprochés ne se sont pas produits, qu’ils ne constituent pas une infraction ou que l’inculpé n’y a pas participé.
2.10Le 30 juin 2009, l’auteur a déposé un recours en nullité contre la décision du 7 mai 2009, dans lequel il a répété les arguments exposés dans la demande de non-lieu. Il a également relevé que le juge n’avait pas dûment motivé sa décision puisqu’il s’était contenté d’énoncer les exigences en matière de non-lieu définitif, sans autre explication. Le 6 octobre 2009, le tribunal collégial de jugement des départements de Guairá et Caazapá a rejeté le recours en nullité et sur la base des témoignages présentés par le Procureur et par la victime (le propriétaire du bâtiment), a condamné l’auteur à une peine de deux ans d’emprisonnement, assortie d’une libération conditionnelle. Le tribunal a estimé que les faits étaient établis, ayant constaté que l’auteur était entré dans le bâtiment de force avec 100 personnes qu’il « dirigeait » et qu’immédiatement après des tentes avaient été installées sur le site. Le tribunal a imposé à l’auteur les restrictions suivantes : a) interdiction de quitter le pays ou son domicile sans l’autorisation du juge ; b) interdiction de participer à des réunions de plus de trois personnes ; c) présentation tous les trois mois devant le tribunal ; d) interdiction de porter une arme et de consommer des boissons alcoolisées ; e) assignation à résidence de 20 heures à 6 heures ; f) interdiction de s’approcher du bâtiment de l’ancien hôpital.
2.11Le 27 octobre 2009, l’auteur a fait appel de ce jugement, considérant que le tribunal avait considérablement restreint ses libertés de réunion, de manifestation et de circulation. Il a répété que l’un des éléments constitutifs de l’infraction pénale n’était pas réalisé puisqu’il n’avait jamais eu l’intention de s’installer dans le bâtiment et ne l’avait jamais fait, ajoutant qu’il était sur les lieux pour participer à une manifestation pacifique, ce dont la police et le propriétaire du bâtiment avaient été informés. Il a estimé que ses droits de la défense avaient été bafoués par le formalisme et le dogmatisme dont avait fait preuve le tribunal, que les éléments de preuve à décharge n’avaient pas été pris en compte et que la décision n’était pas dûment motivée. Le 10 mars 2010, la cour d’appel en matière civile, commerciale, prud’homale et pénale du département de Caazapá a débouté l’auteur et confirmé le jugement de première instance. Elle a estimé que « le fait de séjourner plus de vingt-quatre heures en un lieu donné et de cuisiner dans un campement de fortune » revient à s’installer, au sens de l’article 142 du Code pénal. Elle a également jugé que l’argument de la défense, pour qui le combat social était érigé en infraction, était infondé au motif que les droits du propriétaire de l’immeuble avaient été violés. S’agissant de l’argument de l’auteur selon lequel les éléments de preuve n’avaient pas été pris en compte, la Cour a conclu que le juge de première instance en avait correctement apprécié la valeur selon les règles de la saine critique (opinion réfléchie).
2.12Le 16 avril 2010, l’auteur s’est pourvu en cassation devant la Cour suprême de justice, recours que la Cour a rejeté le 19 août 2011. Elle a estimé que, dans son pourvoi, l’auteur contestait uniquement le jugement rendu en deuxième instance et que les juges avaient correctement analysé les motifs sur lesquels ils s’étaient fondés pour statuer.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur soutient que l’État partie a violé les droits qu’il tient du paragraphe 1 et de l’alinéa a) du paragraphe 3 de l’article 14 ainsi que des articles 15 et 21 du Pacte.
3.2S’agissant du grief tiré du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, l’auteur soutient que la violation des droits qu’il tient de cet article résulte de l’appréciation manifestement arbitraire des éléments de preuve effectuée dans la procédure pénale et du caractère infondé des décisions relatives aux recours. L’auteur rappelle que, selon les observations générales et la jurisprudence du Comité, « [il] appartient généralement aux juridictions des États parties au Pacte d’examiner les faits et les éléments de preuve ou l’application de la législation nationale dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que l’appréciation des éléments de preuve ou l’application de la législation ont été de toute évidence arbitraires, manifestement entachées d’erreur ou ont représenté un déni de justice, ou que le tribunal a par ailleurs violé son obligation d’indépendance et d’impartialité ». Il soutient qu’en l’espèce, le tribunal collégial des départements de Guairá et Caazapá a rendu une décision manifestement arbitraire en ce qu’il n’a avancé aucun motif pour rejeter sa demande de non‑lieu et son recours en nullité. L’auteur signale en outre que le tribunal s’est contenté d’employer des « formules rituelles » sans motiver sa décision du 6 octobre 2009. Il renvoie à une affaire dans laquelle le Comité a conclu à une violation de l’article 14 du Pacte au motif qu’un tribunal avait omis de rédiger des considérants écrits, violant ainsi le droit de la victime de faire appel devant une juridiction supérieure.
3.3L’auteur fait également valoir que les tribunaux internes ont rendu une décision manifestement arbitraire en le déclarant coupable d’occupation de propriété privée, alors qu’un des éléments constitutifs de cette infraction pénale, le fait de s’installer dans un bâtiment privé dans l’intention de se l’approprier, n’était pas réalisé en l’espèce. L’auteur soutient que les juridictions nationales ont déclaré, en l’absence de preuves, que cette situation résultait des circonstances de l’espèce, sans qu’il soit nécessaire que le Procureur le prouve. L’auteur ajoute que les tribunaux nationaux ont apprécié de manière manifestement arbitraire les éléments de preuve produits, en particulier lorsqu’ils ont évalué la crédibilité des témoins. Il relève que le tribunal a estimé que le témoignage du propriétaire du bâtiment était totalement crédible et qu’au contraire, il a refusé, sans donner d’arguments, d’admettre les dépositions de quatre personnes − des témoins à décharge − qui avaient participé à la manifestation et à la tentative de reprise de l’ancien hôpital.
3.4L’auteur estime que les droits qu’il tient de l’alinéa a) du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte ont été violés car, lorsqu’il a ordonné son arrestation et l’a inculpé, le 22 août 2008, le tribunal des garanties pénales l’a simplement informé qu’il était accusé d’occupation de propriété privée au sens de l’article 142 du Code pénal, sans préciser les faits sur lesquels cette accusation était fondée, les termes de la plainte, la législation applicable ou les éléments de preuve à charge à ce moment-là. Ces éléments ne lui ont été communiqués que le 20 février 2009, soit six mois plus tard, lorsque le ministère public l’a officiellement inculpé, ce qui constitue une violation de l’obligation prévue dans le Pacte d’informer dans le plus court délai et de façon détaillée la personne mise en examen des accusations portées contre elle. L’auteur soutient que, lorsqu’il a été informé en détail de ces accusations, l’enquête était déjà achevée et les possibilités de présenter des preuves à décharge pour éviter de subir un procès étaient limitées.
3.5L’auteur affirme qu’il a utilisé les recours disponibles pour remédier à cette situation − demande de non-lieu et recours en nullité − mais que le tribunal a rejeté ses requêtes sans s’appuyer sur des arguments solides, se contentant d’affirmer que l’auteur était au courant des faits qui lui étaient reprochés. Il renvoie à l’observation générale no 32 dont il ressort que l’« on peut satisfaire aux conditions du paragraphe 3 a) de l’article 14 en énonçant l’accusation [...] par écrit, à condition de préciser aussi bien le droit applicable que les faits généraux allégués sur lesquels l’accusation est fondée ». Il renvoie également à la jurisprudence du Comité relative à ce même article et au paragraphe 2 de l’article 9.
3.6L’auteur soutient également qu’en le jugeant et en le condamnant pour un comportement qui n’est pas punissable en vertu de la législation nationale, l’État partie a violé le paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte. Il fait observer que l’article 142 du Code pénal prévoit les quatre éléments constitutifs suivants : l’entrée dans un bâtiment privé, l’absence de consentement du propriétaire ou son opposition, une entrée avec violence ou sans autorisation et l’installation dans le bâtiment. En l’espèce, tous ces éléments ne sont pas réunis : il n’y a pas eu d’entrée avec violence ou sans autorisation car il s’agissait d’une occupation pacifique, qui s’est effectuée au grand jour ; l’auteur ne s’est pas installé dans le bâtiment, son intention n’étant pas de s’y établir pour se l’approprier. Selon l’auteur, le fait d’assimiler par analogie à l’occupation de propriété privée la simple entrée dans une propriété pour organiser une réunion publique, pacifique et temporaire, même sans l’autorisation du propriétaire, est contraire au paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte.
3.7L’auteur ajoute qu’en vertu du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte, il ne saurait y avoir d’infraction sans une loi qui réprime le comportement visé et que, partant, la loi pénale doit être interprétée de manière restrictive et les infractions par analogie n’existent pas. Selon la jurisprudence du Comité, pour être responsable d’une infraction, l’accusé doit avoir commis les actes définis par la loi pénale avec précision et sans ambiguïté quant à leur qualification pénale. Ainsi, dans l’affaire Nicholas c. Australie, le Comité a considéré qu’il était nécessaire, pendant le procès, de démontrer l’existence des éléments constitutifs de l’infraction, sans quoi le principe résumé par l’adage nullem crimen sine lege et le principe de la sécurité juridique, consacrés à l’article 15, seraient violés. Au cours du procès pénal, l’existence de tous les éléments constitutifs de l’infraction n’a pas été démontrée car le Procureur n’a pas établi que l’installation dans le bâtiment avait eu lieu ; le tribunal a considéré sans s’appuyer sur de solides arguments que cette installation était démontrée. Les juridictions nationales se sont contentées de déduire l’existence de cet élément en se fondant sur des préjugés, comme en témoignent les expressions telles que « s’installer dans un lieu suppose que l’on y reste avec l’intention d’en prendre possession […], cette situation peut se déduire des circonstances de l’espèce. […] Séjourner plus de vingt-quatre heures en un lieu donné et cuisiner dans un campement de fortune ».
3.8L’auteur fait valoir que l’interdiction de participer à des réunions de plus de trois personnes pendant deux ans constitue une violation des droits qu’il tient de l’article 21 du Pacte. Il soutient qu’en le condamnant à une peine arbitraire, les tribunaux nationaux ont restreint son droit de réunion pacifique de manière inutile et disproportionnée. Il renvoie à la jurisprudence du Comité selon laquelle les restrictions au droit de réunion doivent répondre à un critère de légitimité pour déterminer si elles sont prévues par la loi, et si elles sont nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d’autrui.
3.9L’auteur affirme qu’en l’espèce les restrictions ne répondent pas au critère applicable en ce qu’elles sont disproportionnées et dénuées de fondement juridique.La législation pénale interne applicable au sursis à l’exécution de la peine n’autorise pas l’abolition du droit de réunion. De plus, en vertu des principes applicables au sursis à l’exécution de la peine prévus par le Code pénal, on ne saurait porter atteinte aux droits inviolables de la personne ou restreindre de manière excessive les relations sociales entre les individus. L’auteur estime également que l’État partie n’a pas justifié la nécessité de restreindre son droit à la liberté de réunion dans le but de protéger la propriété privée, ni la nécessité de lui imposer une restriction aussi longue, compte tenu du fait que plusieurs années s’étaient écoulées depuis l’occupation de l’ancien hôpital. Par conséquent, l’interdiction de participer à des réunions de plus de trois personnes pendant deux ans constitue une restriction injustifiée et disproportionnée. De même, cette restriction n’est pas compatible avec le but du Pacte, puisque la limitation de sa liberté de réunion répondait à d’autres fins que celles prévues par le droit interne pour le sursis à l’exécution de la peine, à savoir apporter un soutien aux personnes condamnées pour éviter la récidive. Enfin, l’auteur estime qu’une telle restriction n’était pas nécessaire en ce qu’elle ne répondait pas à une nécessité publique pressante et qu’elle limitait de manière illégitime un droit qui devrait l’emporter sur d’autres droits, s’agissant d’un moyen d’expression essentiel en démocratie, en particulier lorsque des personnes à faible revenu et victimes d’exclusion sociale n’ont pas d’autre choix pour faire connaître leurs besoins aux autorités publiques.
Observations de l’État partie
4.1Le 22 octobre 2014, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. En ce qui concerne la recevabilité, il fait valoir que la communication est irrecevable parce que l’auteur n’est pas correctement représenté et qu’il n’a pas épuisé les recours internes. En premier lieu, l’État partie note que la procuration signée par l’auteur a été attribuée auréseau national d’organisations de défense des droits de l’homme(CODEHUPY), mais que la communication a été signée par quatre avocats, dont deux sont employés par l’organisation non gouvernementale dénommée Base de Investigaciones Sociales (BASE IS), qui n’a aucun rapport avec la CODEHUPY. En ce qui concerne les deux personnes qui ont apposé leur signature au nom de la CODEHUPY, il n’est pas établi qu’elles étaient membres de ladite organisation non gouvernementale. L’État partie considère donc que l’auteur n’a pas respecté les dispositions de l’article 96 b) du règlement intérieur du Comité.
4.2En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, l’État partie affirme que l’auteur n’a pas respecté cette condition s’agissant des griefs de violation de l’article 21 du Pacte. L’auteur n’a soutenu ni dans le mémoire d’appel présenté contre le jugement de première instance, ni dans le pourvoi en cassation, que l’interdiction de participer à des réunions de plus de trois personnes portait atteinte à des droits consacrés par le Pacte ou qu’elle lui avait causé un préjudice. Par conséquent, il estime que l’auteur n’a pas respecté les dispositions de l’alinéa b) du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif. L’État partie renvoie aux constatations du Comité dans l’affaire Aouf c. Belgique, selon lesquelles « si l’auteur d’une communication n’est pas tenu d’invoquer expressément les dispositions du Pacte dont il estime qu’elles ont été violées, il doit cependant avoir fait valoir en substance devant les juridictions nationales le grief qu’il invoque par la suite devant le Comité. L’auteur n’ayant pas soulevé les griefs précités devant la Cour de cassation, ni même devant le juge du fond en ce qui concerne les allégations au titre du paragraphe 3 b) de l’article 14, ces aspects de la communication sont irrecevables ».
4.3S’agissant des allégations de violation du paragraphe 1 de l’article 14, l’État partie soutient qu’elles sont dénuées de fondement du fait que les tribunaux nationaux n’ont fait preuve d’aucun arbitraire. Il estime que toutes les décisions des juridictions nationales ont été dûment étayées, notamment la décision prise lors de l’audience préliminaire, au cours de laquelle l’auteur a été informé que les exceptions qu’il avait soulevées étaient infondées puisqu’il avait demandé un non-lieu, la décision du tribunal de jugement, qui contient une analyse des éléments de preuve produits, la décision dans laquelle la cour d’appel examine les raisons pour lesquelles il a été considéré que le jugement de première instance était conforme au droit, et la décision dans laquelle la Cour suprême constate que les décisions judiciaires soumises à son examen ne sont entachées d’aucune erreur. De même, l’État partie soutient que l’auteur a été jugé dans le cadre d’un procès oral et public, dans le respect de tous les droits énoncés aux articles 17 de la Constitution et 75 et 86 du Code de procédure pénale. Renvoyant à la jurisprudence du Comité, l’État partie rappelle qu’il appartient aux tribunaux des États parties d’examiner ou d’apprécier les faits et les éléments de preuve, ou d’analyser l’interprétation de la législation nationale.
4.4En ce qui concerne l’allégation de violation de l’alinéa a) du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte, l’État partie soutient que l’auteur a exercé ses droits de la défense en déposant dans le cadre de l’enquête accompagné par un défenseur public qui n’a pas contesté la procédure engagée, n’a pas demandé son report et n’a pas remis en cause la déclaration de son client. L’État partie soutient en outre que l’auteur a été brièvement informé qu’il était cité à comparaître pour éventuellement répondre du chef d’occupation de propriété, que des éléments de preuve avaient été réunis contre lui jusque-là, et que tous ses droits procéduraux avaient été portés à sa connaissance. L’État partie fait remarquer que l’auteur était parfaitement conscient, savait et comprenait qu’il avait agi de manière illégale, puisque, pendant l’enquête, il avait reconnu être le chef d’un mouvement social qui s’était non pas emparé d’un bâtiment mais qui l’avait occupé afin de faire respecter les droits de la communauté, ce qui démontre que l’auteur savait que son comportement était punissable et aurait des conséquences juridiques.
4.5L’État partie signale également que le ministère public a établi un acte d’accusation à l’encontre de l’auteur, le 20 février 2009, présentant au tribunal tous les éléments de preuve disponibles qui seraient produits au cours du procès oral et public. Pendant le procès, l’auteur a eu la possibilité de demander qu’on lui lise les accusations en guarani. Un délai de sept mois et seize jours s’est écoulé entre l’inculpation officielle et le jugement, ce qui a laissé à l’auteur plus de temps pour préparer sa défense que le délai accordé au Procureur pour mener à bien son enquête.
4.6En ce qui concerne la violation du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte, l’État partie soutient que l’auteur a été jugé et condamné conformément à l’article 142 du Code pénal, qui a été adopté le 26 novembre 1997. Cette disposition vise à protéger la propriété privée, principe consacré par l’article 109 de la Constitution, qui a été adoptée en 1992. Les faits pour lesquels l’auteur a été condamné ayant eu lieu le 7 août 2008, l’auteur fait une interprétation erronée de la disposition du Pacte, puisque l’infraction en question était punie par le droit interne avant les événements. L’État partie en conclut que le principe de la légalité n’a pas été violé.
4.7L’État partie considère en outre que l’auteur a agi illégalement et de manière fautive en pénétrant dans le bâtiment avec violence et sans autorisation, causant de graves préjudices à son propriétaire, dans l’intention d’occuper les lieux afin de récupérer le bâtiment. Il estime aussi que le comportement constitutif de l’occupation de propriété privée est instantané et a des effets continus, et que l’infraction est consommée dès lors que sont mis en œuvre les moyens permettant de priver autrui de ses biens ; par conséquent, au moment où l’auteur est entré et s’est installé dans le bâtiment avec d’autres personnes, l’infraction était consommée. L’État partie ajoute qu’il appartient aux juridictions nationales d’interpréter certains éléments de l’infraction pénale, à moins d’une décision manifestement arbitraire. Il réaffirme que toutes les décisions prises dans le cadre de la procédure pénale engagée contre l’auteur étaient dûment motivées et que l’auteur cherche à obtenir du Comité qu’il agisse comme une quatrième instance.
4.8Enfin, en ce qui concerne les allégations au titre de l’article 21 du Pacte, l’État partie réaffirme que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes. Il fait observer que les droits d’association et de manifestation sont garantis par la Constitution, pour autant qu’ils soient exercés pacifiquement et à des fins licites, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce. L’auteur a passé des messages sur des stations de radio communautaire pour inciter les villageois de la communauté de Tava’i à entrer dans le bâtiment avec violence. Par conséquent, il appartenait aux tribunaux internes de rétablir la paix sociale, en gardant à l’esprit que l’on ne saurait recourir à des moyens inadéquats, illégaux et punissables pour défendre les intérêts d’une communauté.
Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie
5.1Le 30 décembre 2014, l’auteur a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il soutient que la communication répond aux critères de recevabilité énoncés dans le Protocole facultatif. En ce qui concerne l’allégation selon laquelle il n’a pas respecté l’article 96 b) du règlement intérieur du Comité, l’auteur fait valoir que le secrétaire exécutif de la CODEHUPY, qui a signé la communication, a la capacité juridique de représenter cette organisation. Il signale que cette capacité de représentation a été reconnue par diverses autorités de l’État partie dans leurs interactions avec l’organisation non gouvernementale. L’auteur rappelle également qu’il a accordé une procuration à la CODEHUPY et autorisé les deux organisations non gouvernementales − CODEHUPY et BASE IS − à soumettre au Comité la communication en son nom. Il ajoute que ces organisations non gouvernementales sont dotées de la personnalité juridique dans l’État partie.
5.2En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel les recours internes n’auraient pas été épuisés en rapport avec ses griefs relatifs à l’article 21 du Pacte, l’auteur signale qu’il a dénoncé la violation de son droit de réunion pendant la procédure pénale engagée contre lui, notamment lors de l’audience préliminaire, du recours en nullité et de l’appel contre le jugement de condamnation. Il estime que tous ses recours ont été rejetés sans fondement, et qu’il a épuisé les recours qui étaient disponibles. S’agissant de l’argument de l’État partie selon lequel le droit de réunion aurait dû être invoqué dans le pourvoi en cassation, l’auteur fait valoir que la législation interne est restrictive et réserve la possibilité de se prévaloir d’une inconstitutionnalité aux seuls cas où la peine est supérieure à dix ans, et que la peine infligée en l’espèce était de deux ans. En conséquence, il a été contraint de limiter sa stratégie de défense au stade des recours pour se conformer à ce que prescrit le paragraphe 3 de l’article 478 du Code de procédure pénale, faisant valoir l’absence de fondement du jugement de condamnation et des décisions rejetant ses recours. Il soutient enfin que l’État partie ne saurait prétendre qu’un recours qui n’était pas disponible devait être épuisé.
5.3L’auteur fait également valoir que, selon la jurisprudence du Comité, il n’est pas nécessaire que l’auteur d’une communication invoque expressément devant les juridictions nationales les dispositions du Pacte dont il estime qu’elles ont été violées, car il suffit qu’il ait fait valoir en substance qu’elles l’ont été. Il note également qu’en vertu du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, les États parties sont tenus d’effectuer un contrôle de conventionalité au niveau des tribunaux nationaux, et qu’il appartenait à ces juridictions d’examiner la compatibilité de ses allégations avec le « bloc constitutionnel » − dont le Pacte fait partie − mais qu’elles n’ont pas exercé ce contrôle.
5.4L’auteur note que l’État partie n’a formulé aucune objection à la recevabilité de la communication au titre du paragraphe 1 et de l’alinéa a) du paragraphe 3 de l’article 14 et du paragraphe 1 de l’article 15 et qu’il n’a pas contesté les faits décrits dans la communication. Selon lui, l’État partie se contente de répéter les contradictions contenues dans les décisions des juridictions nationales, puisqu’il dit que l’auteur s’est rendu coupable de l’infractiond’occupation de propriété privée, tout en reconnaissant qu’il est entré sur le site dans le cadre d’un mouvement de contestation sociale qui a débouché sur une négociation avec les autorités, ce qui montre que cette action était pacifique et non secrète, et que les éléments constitutifs de l’infraction ne sont pas réunis. L’État partie ne conteste pas non plus l’argument de l’auteur selon lequel la condamnation n’est pas motivée puisqu’elle repose sur des présomptions et non pas sur des éléments probants.
5.5En ce qui concerne les griefs tirés de l’alinéa a) du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte, l’auteur considère que l’État partie s’est contenté de reprendre l’argumentation des juridictions internes. S’agissant du paragraphe 1 de l’article 14, l’auteur soutient que l’État partie s’est borné à déclarer que les décisions des juridictions internes étaient motivées, sans réfuter les allégations de l’auteur concernant leur caractère arbitraire. Il réaffirme que les juridictions internes ont rendu des décisions manifestement arbitraires à trois reprises au moins : a) lorsqu’elles ont rejeté le recours en nullité, sans motif à l’appui, en employant des formules « rituelles » ; b) lorsqu’elles ont conclu, en l’absence de toute motivation, que l’élément constitutif de l’installation dans un bâtiment privé était réalisé, alors que l’accusation ne l’avait pas démontré ; et c) lorsqu’elles ont procédé à une appréciation arbitraire des éléments de preuve, en particulier lors de l’évaluation de la crédibilité des témoins.
5.6Réitérant ses allégations sur la violation de l’article 21 du Pacte, l’auteur ajoute que l’État partie n’a pas indiqué quel était l’objectif légitime et nécessaire dans une société démocratique qui justifiait la suspension de son droit de réunion pendant une période de deux ans et que, partant, cette suspension était dénuée de fondement juridique. Il fait valoir également que la législation nationale n’autorise pas la suspension ou l’annulation de son droit de réunion.
5.7L’auteur sollicite les réparations suivantes : a) la garantie d’un recours judiciaire permettant une révision de la condamnation infligée en violation du Pacte ; b) la garantie d’une indemnisation complète et adéquate ; c) une réforme des lois et politiques pénales afin de veiller à ce que leur mise en œuvre ne constitue pas une restriction injustifiée du droit à la liberté de réunion tel qu’il est consacré par le Pacte.
Observations complémentaires de l’État partie
6.1Le 23 avril 2015, l’État partie a présenté des observations complémentaires. En ce qui concerne l’article 96 b) du règlement intérieur du Comité, il réaffirme que l’auteur n’a fourni aucun élément de preuve pour démontrer que les signataires de la communication étaient ses représentants. Il soutient également que l’auteur n’a joint à sa communication aucune procuration au nom de l’organisation non gouvernementale BASE IS. Le fait que l’auteur a reconnu, dans ses commentaires du 30 décembre 2014, que la CODEHUPY et BASE IS étaient ses représentants, confirme le bien-fondé de l’objection concernant la recevabilité de la communication. L’État partie ajoute qu’il est infondé d’affirmer, comme le fait l’auteur, qu’il aurait reconnu que le secrétaire exécutif de la CODEHUPY agissait en tant que représentant de l’auteur, au motif que les autorités ne savent pas nécessairement quelles sont les personnes qui dirigent les organisations non gouvernementales et qu’elles ne peuvent pas savoir si les personnes avec lesquelles elles correspondent sont les représentantes légales de ces organisations.
6.2En ce qui concerne les allégations de l’auteur relatives au paragraphe 1 de l’article 14, l’État partie fait valoir qu’il répète ses observations et soutient que la lecture des décisions attaquées suffit à vérifier qu’elles sont dûment motivées. Réitérant ses arguments relatifs aux griefs de violation de l’alinéa a) du paragraphe 3 de l’article 14, l’État partie relève que la décision prise par le Comité dans l’affaire Grant c. Jamaïque, citée par l’auteur, n’a aucun rapport avec l’espèce. Dans cette affaire, le Comité a conclu à une violation du paragraphe 2 de l’article 9 du Pacte parce que l’auteur n’avait été informé des motifs de son arrestation qu’après un délai de sept jours, ce qui est sans rapport avec ce qui s’est passé en l’espèce et avec les allégations de l’auteur au titre de l’alinéa a) du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte.
6.3L’État partie ajoute que les griefs tirés de l’article 21 du Pacte sont infondés, puisque les tribunaux nationaux ont considéré que la restriction du droit de réunion de l’auteur, fondée sur le droit interne, était indiquée et proportionnée. Il réitère que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes en ce qui concerne ces griefs.
6.4S’agissant des réparations demandées par l’auteur, l’État partie fait observer que son ordre juridique prévoyait des recours utiles, mais que l’auteur n’ayant pas le droit de son côté, il avait été débouté. En ce qui concerne l’indemnisation demandée, l’État partie relève que l’auteur n’ayant pas démontré qu’il avait subi un préjudice, il n’a pas le droit d’être indemnisé. S’agissant de la demande de l’auteur tendant à ce que les lois et les politiques pénales soient réformées de manière que leur mise en œuvre n’entraîne pas une violation de l’article 21 du Pacte, l’État partie considère que cette requête est tardive et que le Comité n’aurait pas la compétence d’ordonner ces réformes, car il s’agirait d’une ingérence dans ses affaires intérieures.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
7.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable au regard de l’article 96 b) du règlement intérieur parce que l’auteur n’est pas correctement représenté (par. 4.1 et 6.1). Le Comité rappelle que l’article 96 b) de son règlement intérieur dispose que normalement, « la communication doit être présentée par le particulier lui‑même ou par son représentant ». Le Comité rappelle également sa jurisprudence selon laquelle il faut que le conseil qui agit au nom de la personne qui affirme être victime de violations montre qu’il a une véritable autorisation de l’intéressé (ou de ses proches parents) pour agir en son nom. En l’espèce, le Comité note que l’auteur affirme qu’il a donné procuration à la CODEHUPY, et que le secrétaire exécutif de celle-ci, qui a signé la communication, a la capacité juridique de représenter cette organisation. Le Comité note également que l’auteur confirme qu’il a autorisé la CODEHUPY à soumettre la communication au Comité en son nom, et que le secrétaire exécutif de cette organisation, avec d’autres avocats, a adressé la communication au Comité au nom de l’auteur. En conséquence, le Comité conclut que la procuration donnée par l’auteur à la CODEHUPY accrédite l’existence de cette autorisation, et estime qu’il n’existe aucun obstacle à la recevabilité de la présente communication au regard de l’article 96 b) de son règlement intérieur.
7.4Le Comité prend note également de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur n’a pas épuisé les recours internes en ce qui concerne ses griefs au titre de l’article 21 du Pacte. Il fait observer que, selon l’État partie, l’auteur n’a pas dénoncé ces violations devant les tribunaux nationaux, en particulier l’interdiction de participer à des réunions de plus de trois personnes pendant deux ans (par. 4.2 et 6.3). Le Comité note également que l’auteur fait valoir qu’il s’est plaint au cours de la procédure pénale engagée contre lui de la violation des droits qu’il tient de l’article 21 du Pacte, notamment lors de l’audience préliminaire, du recours en nullité et de l’appel contre sa condamnation. Il note aussi que l’auteur soutient qu’il n’a pas été en mesure de dénoncer la violation de son droit de réunion pacifique lorsqu’il s’est pourvu en cassation puisque, conformément à la législation nationale, un recours pour inconstitutionnalité n’est ouvert qu’en cas de condamnation pénale à une peine supérieure à dix ans, et que la peine qui lui a été infligée était de deux ans (par. 5.2).
7.5Le Comité fait observer que l’auteur a fait référence aux droits qu’il tient de l’article 21 du Pacte lors de l’audience préliminaire et dans le cadre du recours en nullité, affirmant notamment qu’il ne pouvait pas être accusé d’une infraction dont les éléments constitutifs n’étaient pas réalisés puisqu’il ne s’était pas « installé dans le bâtiment » (par. 3.6 et 3.7). À cet égard, le Comité note que l’auteur soutient qu’au lieu de chercher à s’installer, il exerçait son droit de protester et de manifester consacré à l’article 32 de la Constitution (par. 3.8, 3.9 et 5.6). Par ailleurs, le Comité constate que, dans l’appel qu’il a formé contre le jugement du 6 octobre 2009, qui institue l’« interdiction d’assister à des réunions de plus de trois personnes », l’auteur a affirmé que ce jugement avait considérablement limité ses droits de réunion et de manifestation (par. 2.10, 2.11, 3.8 et 3.9). Compte tenu de ce qui précède, le Comité conclut que l’auteur a soulevé devant les tribunaux nationaux l’essentiel des griefs qu’il a exposés au Comité.
7.6Le Comité constate également que le paragraphe 1 de l’article 478 du Code de procédure pénale dispose que, lorsque l’on cherche à dénoncer l’inobservation ou l’application erronée d’un principe constitutionnel dans un jugement de condamnation, seul le pourvoi en cassation est ouvert lorsque la peine privative de liberté est supérieure à dix ans. En conséquence, le Comité considère qu’en l’espèce, ce recours n’était pas disponible, car le jugement du 6 octobre 2009 a condamné l’auteur à une peine de deux ans d’emprisonnement. Le Comité note également que l’ordre juridique de l’État partie ne prévoit pas de recours en amparo contre les jugements. Compte tenu des renseignements donnés et du fait que l’État partie n’a pas fourni d’informations sur l’existence d’un recours effectif ou permettant de réfuter les allégations de l’auteur concernant l’épuisement des recours internes, le Comité conclut que rien ne s’oppose à ce qu’il déclare la communication recevable au regard de l’alinéa b) du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif.
7.7Le Comité prend note des allégations de l’auteur au titre du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte en ce qui concerne le caractère prétendument arbitraire des décisions des tribunaux nationaux. Il relève en particulier que, selon l’auteur, les décisions judiciaires prises dans le cadre du procès pénal n’étaient pas dûment motivées, le jugement de condamnation étant limité à des « formules rituelles » et les motifs qui le justifient n’étant pas précisés. Le Comité note également que, pour l’auteur, ces décisions sont manifestement arbitraires car : a) les tribunaux ont conclu qu’il s’était rendu coupable d’occupation de propriété privée malgré l’absence d’un des éléments constitutifs de cette infraction ; b) leur appréciation des éléments de preuve, en particulier l’évaluation de la crédibilité des témoins, était manifestement arbitraire puisqu’ils ont estimé que seuls les témoins à charge étaient crédibles, refusant d’admettre les dépositions des témoins à décharge sans motiver ce refus par des arguments convaincants (par. 3.2, 3.3 et 5.5).
7.8Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle l’application de la législation nationale incombe généralement aux organes de l’État partie, sauf s’il peut être établi que cette application a été de toute évidence arbitraire, manifestement entachée d’erreur ou a représenté un déni de justice. En l’espèce, le Comité observe que le tribunal de jugement, après avoir examiné les éléments de preuve produits, a conclu que l’auteur avait commis l’infraction visée à l’article 142 du Code pénal et que tous les éléments constitutifs étaient réalisés, l’auteur étant entré dans un bâtiment par la force, accompagné d’une centaine de personnes, et qu’immédiatement après ces personnes ont monté des tentes et se sont installées sur le site (par. 2.10). Le Comité constate en outre que la cour d’appel a confirmé cette décision, considérant que l’élément consistant à s’installer sur le site était réalisé, l’auteur ayant séjourné dans les tentes pendant plusieurs jours. Le Comité note que le tribunal de première instance a admis les témoignages proposés par les deux parties et les a analysés un par un ; et que le tribunal de deuxième instance, après avoir examiné le grief de l’auteur selon lequel l’appréciation des témoignages avait été arbitraire, a décidé que ce n’était pas le cas, et a constaté que le juge de première instance en avait correctement apprécié la valeur selon les règles de la saine critique (par. 2.11, 4.3 et 4.7). Le Comité note aussi que les informations fournies par l’auteur ne permettent pas de démontrer en quoi l’interprétation de la législation interne faite par les tribunaux serait arbitraire, manifestement entachée d’erreur ou constitutive d’un déni de justice. Par conséquent, le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ses griefs et les déclare irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.
7.9Le Comité prend également note du grief formulé par l’auteur au titre de l’alinéa a) du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte, selon lequel il n’a pas été informé en détail des accusations portées contre lui au moment de son arrestation, puisqu’il a été simplement accusé d’occupation de propriété privée, infraction qualifiée à l’article 142 du Code pénal, et qu’aucune précision ne lui a été donnée concernant les faits sur lesquels cette accusation était fondée, la législation applicable ou les éléments de preuve dont disposait le Procureur de l’époque. L’auteur soutient qu’il n’a été informé en détail des accusations portées contre lui que six mois plus tard, lorsqu’il a été officiellement inculpé, le 20 février 2009 (par. 2.8, 3.4 et 3.5). Toutefois, le Comité note que, selon l’État partie, l’auteur a été informé de la nature et des motifs des accusations portées contre lui, ainsi que des preuves à charge, lorsqu’il a déposé dans le cadre de l’enquête, soit le 22 août 2008 (par. 2.5, 2.7, 2.9, 4.4 et 4.5).
7.10Le Comité rappelle que, selon sa jurisprudence, « [l]e droit d’être informé de l’accusation “dans le plus court délai” exige que l’information soit donnée dès que l’intéressé est formellement inculpé d’une infraction pénale en droit interne, ou est désigné publiquement comme tel » et que les exigences énoncées à l’alinéa a) du paragraphe 3 de l’article 14 ne sont respectées que lorsque l’accusé est informé aussi bien du droit applicable que des faits généraux allégués sur lesquels l’accusation est fondée. Il rappelle également que l’alinéa a) du paragraphe 3 de l’article 14 s’applique seulement aux chefs d’accusation et non aux enquêtes pénales. Le Comité prend note de l’allégation de l’État partie selon laquelle l’auteur a exercé ses droits de la défense en déposant initialement en présence d’un défenseur public, qui n’a pas contesté la procédure, n’en a pas demandé le report et n’a pas remis en cause la déclaration de son client. L’État partie indique également que l’auteur avait été informé du fait qu’il était cité à comparaître pour éventuellement répondre de l’accusation d’occupation de propriété privée et que les éléments de preuve qui avaient été réunis contre lui jusque-là avaient été portés à sa connaissance, ainsi que ses droits. Le Comité prend note également de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur savait et comprenait parfaitement qu’il avait agi de manière illégale, ainsi qu’il ressort de sa déposition initiale, dans laquelle il a reconnu être le chef d’un mouvement social, qui n’avait pas occupé de propriété privée mais était entré dans le bâtiment dans le but de faire respecter les droits de la communauté (par. 4.10). En outre, le Comité prend note de l’allégation de l’État partie, qui affirme qu’après avoir recueilli les preuves contre l’auteur, le Procureur l’a inculpé le 20 février 2009 et a mis à la disposition du tribunal l’ensemble des éléments de preuve qui seraient produits au cours du procès oral, et que, pendant le procès, l’auteur a eu la possibilité de demander qu’on lui lise les accusations en guarani. Le Comité note également que l’État partie affirme que, entre la date de l’inculpation formelle et le jugement, il s’est passé sept mois et seize jours, et que l’auteur a donc eu plus de temps pour préparer sa défense que le Procureur n’en avait eu pour mener à bien son enquête (par. 4.5).
7.11Le Comité note que, lorsque les autorités ont ouvert leur enquête sur les événements en question le 11 août 2008, l’auteur savait déjà qu’il était cité à comparaître pour éventuellement répondre de l’accusation d’occupation de propriété privée et avait déjà connaissance des éléments de preuve réunis contre lui, et qu’après avoir été formellement inculpé, l’auteur a disposé de plus de sept mois pour préparer sa défense. En conséquence, le Comité constate que l’auteur n’a pas étayé l’allégation selon laquelle le fait de n’avoir pas reçu de renseignements détaillés sur les accusations portées contre lui au moment de son arrestation avait porté atteinte à son droit de produire des éléments de preuve en temps utile. En conséquence, le Comité considère que les griefs que l’auteur tire de l’alinéa a) du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte sont irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.
7.12Le Comité prend note des allégations de l’auteur concernant la violation du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte, selon lesquelles, au cours de la procédure pénale, les éléments constitutifs de l’infraction n’ont pas tous été démontrés, en particulier l’installation dans le bâtiment ; et selon lesquelles les tribunaux internes se sont contentés de déduire l’existence de cet élément en se fondant sur des préjugés (par. 3.6 et 3.7). Le Comité constate également que, selon l’auteur, le paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte exige que la loi pénale soit interprétée de manière restrictive et que l’accusé ait commis les actes définis par la loi pénale avec précision et sans ambiguïté quant à leur qualification pénale. Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie qui soutient que, comme l’auteur a été jugé et condamné pour violation de l’article 142 du Code pénal en vigueur au moment de la commission de l’infraction, le principe de la légalité n’a pas été violé (par. 4.6). Le Comité note en outre que l’État partie fait valoir que le comportement constitutif d’une occupation de propriété privée est une infraction instantanée qui a des effets continus, et qu’il appartient aux juridictions nationales, et non au Comité, d’interpréter certains éléments constitutifs de cette infraction pénale, à moins qu’une décision manifestement arbitraire n’ait été rendue (par. 4.7). Le Comité constate également que, selon l’État partie, toutes les décisions prises dans le cadre de la procédure pénale engagée contre l’auteur sont dûment étayées et motivées et que, par conséquent, rien ne permet de conclure qu’elles sont arbitraires (par. 4.3). Le Comité note en outre que les allégations au titre du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte portent principalement sur l’appréciation des faits et des éléments de preuve effectuée par le tribunal collégial de jugement des départements de Guairá et Caazapá et par la cour d’appel en matière civile, commerciale, prud’homale et pénale du département de Caazapá.
7.13Le Comité rappelle sa jurisprudence, dont il ressort qu’il appartient aux juridictions des États parties d’apprécier les faits et les éléments de preuve ou l’application de la législation nationale dans une affaire donnée, sauf s’il peut être établi que l’appréciation des éléments de preuve ou l’application de la loi ont été de toute évidence arbitraires, manifestement entachées d’erreur ou constitutives d’un déni de justice. Ayant examiné les documents fournis par les parties, en particulier les décisions du tribunal de jugement, de la cour d’appel et de la Cour suprême siégeant en chambre de cassation, le Comité considère que ces éléments ne démontrent pas que la procédure pénale engagée contre l’auteur soit entachée de telles irrégularités. Il considère par conséquent que l’auteur n’a pas suffisamment étayé son grief de violation du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte, et déclare donc ce grief irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.
7.14En ce qui concerne le grief que l’auteur tire de l’article 21 du Pacte, le Comité considère qu’il a été suffisamment étayé aux fins de la recevabilité. En conséquence, il déclare la communication recevable en ce qu’elle soulève des questions au titre de cet article du Pacte.
Examen au fond
8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.
8.2Le Comité prend note de l’argument de l’auteur selon lequel l’interdiction de participer à des réunions de plus de trois personnes pendant deux ans constitue une violation des droits consacrés par l’article 21 du Pacte. Il note également que, selon l’auteur, les tribunaux nationaux ont restreint son droit de réunion pacifique d’une manière inutile et disproportionnée en prononçant une condamnation arbitraire, non conforme aux normes établies par le Comité puisqu’elle imposait des restrictions disproportionnées et dénuées de fondement juridique. Le Comité note également que, selon l’auteur, l’État partie n’a pas justifié la nécessité de restreindre son droit à la liberté de réunion dans le but de protéger la propriété privée, ni la nécessité de lui imposer une restriction aussi longue, et qu’il n’a pas non plus indiqué quel objectif légitime et nécessaire justifiait la suspension de son droit à la liberté de réunion pendant deux ans (par. 3.8, 3.9 et 5.6). Le Comité note en outre que l’État partie soutient que les droits d’association et de manifestation sont garantis par la Constitution, pour autant qu’ils soient exercés pacifiquement et à des fins licites, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce, et que, par conséquent, il appartenait aux tribunaux internes de rétablir la paix sociale, en gardant à l’esprit que l’on ne saurait recourir à des moyens inadéquats, illégaux et punissables même si c’est pour défendre les intérêts d’une communauté (par. 4.8). De même, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les tribunaux nationaux ont considéré que la restriction du droit de réunion de l’auteur, fondée sur le droit interne, était indiquée et proportionnée (par. 4.3 et 6.3).
8.3Le Comité rappelle que le droit de réunion pacifique, garanti par l’article 21 du Pacte, est un droit de l’homme fondamental, qui est essentiel à l’expression publique des points de vue et opinions de chacun et indispensable dans une société démocratique. Ce droit suppose notamment la possibilité de participer à une réunion pacifique pour soutenir ou contester telle ou telle cause, dans des locaux fermés ou des espaces ouverts, ainsi que dans les lieux publics ou privés. Les organisateurs d’une réunion ont en règle générale le droit de décider quelles sont les personnes qu’elles souhaitent réunir et de choisir un lieu qui soit à portée de vue et d’ouïe du public ciblé et l’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions : a) imposées conformément à la loi ; et b) qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale ou de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques ou les droits et libertés d’autrui. Lorsqu’ils imposent des restrictions au droit de réunion des particuliers afin de concilier ce droit avec l’intérêt général, les États parties doivent s’efforcer d’en faciliter l’exercice et non s’employer à le restreindre par des moyens qui ne sont ni nécessaires ni proportionnés. L’État partie est donc tenu de justifier la limitation du droit garanti à l’article 21 du Pacte.
8.4En l’espèce, le Comité constate que, par la décision du 6 octobre 2009, l’auteur a été condamné à une peine privative de liberté de deux ans, assortie d’un sursis à l’exécution de la peine dans un établissement pénitentiaire à condition que l’auteur respecte certaines restrictions, notamment l’interdiction de participer à des réunions de plus de trois personnes pendant la durée de l’exécution de la peine, ce qui pourrait être perçu comme un moyen d’éviter que l’auteur soit incarcéré et d’empêcher qu’il commette d’autres infractions. Le Comité fait observer que le tribunal de jugement considère qu’« une question sociale […] ne mérite ni ne justifie l’occupation d’une propriété privée », et que le fait d’occuper un bâtiment, d’y entrer et d’y rester constitue un acte punissable. Le Comité note aussi que ni la cour d’appel ni la Cour suprême siégeant en chambre de cassation ne se sont prononcées sur la restriction du droit de réunion pacifique de l’auteur ou sur les motifs qui l’auraient justifiée.
8.5Le Comité constate également que, selon l’État partie, les droits d’association et de manifestation sont garantis par la Constitution, pour autant qu’ils soient exercés pacifiquement et à des fins licites, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce, l’auteur ayant, au moyen de messages sur des stations de radio communautaire, incité les villageois de la communauté de Tava’i à entrer dans le bâtiment avec violence et que, par conséquent, il appartenait aux tribunaux internes de rétablir la paix sociale. Cependant, le Comité constate que l’État partie n’a pas cherché à expliquer pourquoi ces restrictions étaient nécessaires ni en quoi elles étaient proportionnées à l’un des objectifs légitimes énoncés dans la seconde phrase de l’article 21 du Pacte, par exemple la protection des droits du propriétaire du bâtiment qui abritait l’hôpital (par. 4.8). Mis à part qu’il souligne l’impossibilité d’exercer le droit de réunion par des moyens inappropriés, illégaux et punissables, l’État partie n’explique pas comment, en l’espèce, la participation de l’auteur à une réunion de trois personnes ou plus aurait pu porter atteinte aux droits et libertés d’autrui ou constituer une menace pour la sécurité publique ou l’ordre public, ou la santé ou la moralité publiques. Le Comité constate également, au vu des éléments versés au dossier, que, dans leurs décisions, les autorités nationales n’ont pas démontré en quoi la participation de l’auteur à une réunion de plus de trois personnes, sans considération du motif ou de la nature de la réunion, constituerait nécessairement une menace pour la sécurité nationale, la sûreté publique ou l’ordre public, ou pour la protection de la santé ou la moralité publiques, ou des droits et libertés d’autrui. En conséquence, le Comité considère que la décision de l’État partie d’interdire à l’auteur de participer à des réunions de plus de trois personnes pendant deux ans est injustifiée et que cette interdiction limite indûment le droit à la liberté de réunion. À la lumière de ce qui précède, le Comité conclut que l’État partie a violé le droit de l’auteur consacré à l’article 21 du Pacte.
9.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international, constate que l’État partie a violé le droit que l’auteur tient de l’article 21 du Pacte.
10.Conformément à l’alinéa a) du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, notamment sous la forme du remboursement des frais de justice engagés dans le cadre des procédures considérées en l’espèce, ainsi qu’une indemnisation. Il est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas. À cet égard, le Comité rappelle que l’État partie doit prendre les mesures nécessaires pour garantir le plein exercice des droits consacrés à l’article 21 du Pacte, de sorte que les peines prononcées dans le cadre d’une procédure pénale n’entraînent pas une violation des droits énoncés à l’article 21 du Pacte.
11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans le pays en espagnol et en guarani.