Nations Unies

CCPR/C/125/D/2672/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

24 mai 2019

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Décision adoptée par le Comité en vertu du Protocole facultatif, concernant la communication no 2672/2015 * , **

Communication présentée par :

J.F.H. (représenté par un conseil, Rabih Azad-Ahmad)

Au nom de :

J.F.H.

État partie :

Danemark

Date de la communication :

23 janvier 2015 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 9 novembre 2015 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

29 mars 2019

Objet :

Expulsion du Danemark vers l’Italie ; traitement inhumain et dégradant

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes; fondement desgriefs

Question(s) de fond :

Peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en cas de renvoi dans le premier pays d’asile ; droits de la famille

Article(s) du Pacte :

7 et 23

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5 (par. 2 b))

Décision concernant la recevabilité

1.1L’auteur de la communication est J. F. H., ressortissant syrien d’origine kurde, né le 2 juin 1992 à Alep (République arabe syrienne). Il réside au Danemark et fait l’objet d’un arrêté d’expulsion vers l’Italie. Il se dit victime d’une violation par le Danemark des droits qu’il tient de l’article 7 du Pacte. Il est représenté par un conseil, Rabih Azad-Ahmad. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 23 mars 1976.

1.2Le 9 novembre 2015, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, agissant au nom du Comité, a décidé de ne pas demander de mesures provisoires au titre de l’article 92 du règlement intérieur du Comité.

Exposé des faits

2.1L’auteur a fui la République arabe syrienne en 2012 et a été inscrit dans la base de données européennes d’empreintes digitales des demandeurs d’asile (système EURODAC) le 25 octobre 2012 en Italie, et le 7 décembre 2012 en Allemagne. Il affirme qu’il a été expulsé de l’Allemagne vers l’Italie en vertu du règlement Dublin III, à une date non précisée. En Italie, il n’a reçu aucune aide et a été contraint de vivre dans la rue, exposé à la violence et à la criminalité.

2.2En raison des mauvaises conditions de vie en Italie, l’auteur est retourné en République arabe syrienne en mai 2013, où il a vécu chez un médecin jusqu’en 2014. En juin 2014, l’auteur a de nouveau fui la République arabe syrienne pour éviter d’être recruté par l’armée syrienne ou par les mouvements rebelles.

2.3Le 17 juin 2014, l’auteur est arrivé au Danemark, où vit sa tante paternelle, et a demandé l’asile deux jours plus tard. Dans une lettre en date du 28 juillet 2014, les autorités italiennes ont informé le Service danois de l’immigration que l’auteur avait obtenu le statut de réfugié en Italie. L’auteur soutient qu’il n’en a pas été informé. Il fournit une copie d’un certificat médical de l’hôpital chirurgical Daer Sem qui indique qu’il a été hospitalisé du 8 au 12 septembre 2013. Il affirme qu’il n’est en possession d’aucun autre élément de preuve ou document attestant qu’il a séjourné provisoirement en République arabe syrienne dans le but d’échapper aux autorités syriennes.

2.4Le 14 janvier 2015, au Danemark, la Commission de recours des réfugiés a rejeté la demande d’asile de l’auteur en vertu du paragraphe 3 de l’article 7 de la loi sur les étrangers, selon laquelle un permis de séjour peut être refusé si l’étranger a déjà obtenu une protection dans un autre pays, ou s’il a déjà des liens étroits avec un autre pays où il devrait pouvoir obtenir une protection. Cette disposition autorise le Gouvernement danois à renvoyer des personnes comme l’auteur en Italie, sans tenir compte de considérations humanitaires. Comme le Service de l’immigration, la Commission a estimé qu’en Italie l’auteur serait protégé contre le refoulement, bénéficierait d’une protection et aurait accès aux droits sociaux et économiques fondamentaux. Enfin, elle a considéré que les allégations de l’auteur concernant son séjour en République arabe syrienne en 2013 et 2014 étaient non crédibles et forgées de toutes pièces.

2.5L’auteur affirme avoir épuisé les recours internes étant donné que la Commission de recours des réfugiés a confirmé la décision du Service danois de l’immigration de rejeter sa demande d’asile au Danemark.

Teneur de la plainte

3.L’auteur soutient que son expulsion vers l’Italie l’exposerait au risque d’être soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, étant donné la situation sociale et économique des requérants renvoyés en Italie conformément au Règlement Dublin. Il affirme que cette situation est de nature à constituer une violation de l’article 7 du Pacte. Les mauvaises conditions d’accueil et perspectives d’intégration en Italie concernent même les personnes dotées du statut de réfugié. Il soutient qu’il a expliqué les défaillances systémiques du dispositif italien de protection des réfugiés qui touchent les requérants renvoyés en Italie conformément au Règlement Dublin, et que la Commission de recours des réfugiés doit examiner si les autorités italiennes offrent des garanties de protection.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 9 mai 2016, l’État partie a soumis ses commentaires sur la recevabilité et le fond de la communication. Il fait valoir que la communication devrait être déclarée irrecevable au motif qu’elle n’est pas suffisamment étayée pour établir que l’auteur risquerait d’être soumis à la torture ou à d’autres formes de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants à son retour en Italie.

4.2L’État partie décrit la procédure suivie par la Commission des recours des réfugiés.

4.3L’État partie informe le Comité qu’en application du paragraphe 3 de l’article 7 de la loi sur les étrangers, la question à trancher en l’espèce est celle de savoir si l’Italie pourrait être considérée comme premier pays d’asile de l’auteur. L’État partie rappelle que, le 28 juillet 2014, les autorités italiennes ont informé les autorités danoises que l’auteur avait obtenu le statut de réfugié en Italie. Par ailleurs, le 14 janvier 2015, la Commission de recours des réfugiés a rejeté la demande d’asile de l’auteur et conclu qu’en Italie celui‑ci serait protégé contre le refoulement, qu’il lui serait possible d’y entrer et d’y séjourner légalement et qu’il fallait présumer que son intégrité physique et sa sécurité y seraient garanties dans la mesure nécessaire. Cette décision supposait d’évaluer si la situation sociale et économique en Italie permettrait à l’auteur de jouir, dans une certaine mesure, de droits fondamentaux, en se référant à la Convention relative au statut des réfugiés − chapitres II à V − et à la Conclusion no 58 (1989) du Comité exécutif du Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). Selon l’État partie, on ne saurait toutefois exiger qu’il soit fait en sorte que le demandeur d’asile ait exactement le même niveau de vie que les nationaux ; il y a plutôt lieu de veiller à ce que son intégrité physique soit protégée. En outre, l’État partie fait valoir que la Commission de recours des réfugiés a estimé, sur la base des informations générales les plus récentes concernant la situation des réfugiés en Italie, que ce pays pouvait être considéré comme premier pays d’asile dans un certain nombre de cas. L’État partie fait également observer que l’Italie est liée par la Convention européenne des droits de l’homme et par le Pacte. Enfin, il considère que l’allégation selon laquelle l’auteur a séjourné en République arabe syrienne en 2013 et 2014, qui a été jugée non crédible et forgée de toutes pièces, est dénuée de pertinence pour déterminer si l’Italie peut être considérée comme pays de premier asile.

4.4L’État partie fait observer que l’auteur n’a présenté aucun élément nouveau dans la requête soumise au Comité, et que toutes les informations générales pertinentes ont été communiquées à la Commission de recours des réfugiés et examinées par celle-ci dans le cadre de sa décision du 14 janvier 2015. Après un examen approfondi de ces informations et de la situation personnelle de l’auteur, la Commission a conclu que celui-ci ne risquait pas de subir un traitement contraire à l’article 7 du Pacte. En ce qui concerne le renvoi fait par l’auteur au Règlement Dublin et au document du HCR intitulé UNHCR Recommendations on Important Aspects of Refugee Protection in Italy, de juillet 2013, l’État partie fait observer que ces recommandations concernent essentiellement les conditions d’accueil des demandeurs d’asile en Italie, et non les étrangers qui ont obtenu le droit de séjour. L’État partie souligne en outre que l’auteur renvoie également à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, qui est applicable aux demandeurs d’asile, notamment aux personnes renvoyées en Italie conformément au Règlement Dublin, mais non pas aux personnes qui, comme l’auteur, ont déjà obtenu le statut de réfugié.

4.5Sur la base de l’appréciation globale des informations générales disponibles et des renseignements communiqués par l’auteur, l’État partie conclut que rien ne laisse penser que l’auteur encourrait un risque particulier d’être soumis à un traitement contraire à l’article 7 du Pacte en raison de la situation sociale et économique générale des demandeurs d’asile en Italie ou des réfugiés qui y sont renvoyés conformément au Règlement Dublin. En tant que personne dont le statut de réfugié a été reconnu, l’auteur peut obtenir un permis de séjour renouvelable et a le droit, notamment, de se voir délivrer un document de voyage pour étrangers, de travailler, de prétendre au regroupement familial et de bénéficier des régimes généraux prévus par le droit interne italien en matière d’aide sociale, de santé, de logement social et d’éducation. L’État partie appuie ses allégations en renvoyant à une affaire récente dans laquelle la Cour européenne des droits de l’homme a considéré qu’« en l’absence de considérations humanitaires exceptionnellement impérieuses militant contre l’expulsion, le fait qu’en cas d’expulsion de l’État contractant le requérant connaîtrait une dégradation importante de ses conditions de vie matérielles et sociales n’est pas en soi suffisant pour emporter violation de l’article 3 » ou que « si la situation générale […] en Italie des demandeurs d’asile, des réfugiés acceptés et des étrangers ayant obtenu un permis de séjour à des fins de protection internationale ou à des fins humanitaires peuvent révéler quelques défaillances [...], il n’est pas établi qu’elles font ressortir une incapacité systémique à offrir un soutien et des structures destinées aux demandeurs d’asile en tant que personnes appartenant à un groupe particulièrement vulnérable ». En outre, l’État partie informe le Comité qu’il ressort d’informations émanant des autorités italiennes que l’auteur pourrait entrer en Italie et, éventuellement, demander le renouvellement de son permis de séjour au cas où celui-ci aurait expiré. Selon le rapport sur l’Italie publié en janvier 2015 dans Asylum Information Database, les réfugiés ont le même droit aux soins médicaux que les nationaux. L’État partie soutient également que les faits sur lesquels portaient une décision rendue par le Comité dans une autre affaire contre le Danemark différaient sensiblement des faits de l’espèce en ce qu’il s’agissait de l’expulsion vers l’Italie d’une mère célibataire et de ses trois enfants mineurs. En l’espèce, il s’agit de se prononcer sur l’expulsion d’un homme célibataire, jeune et en bonne santé, qui s’est vu reconnaître le statut de réfugié. Enfin, en ce qui concerne les allégations de l’auteur selon lesquelles il a été victime de violences de la part de fonctionnaires italiens ou exposé à la violence et à des vols pour avoir été contraint de vivre dans la rue, l’État partie soutient que l’auteur peut porter plainte pour tous ces faits devant les autorités italiennes.

4.6L’État partie fait valoir que la communication de l’auteur montre simplement qu’il désapprouve la manière dont la Commission de recours des réfugiés a apprécié sa situation particulière et les informations d’ordre général. Dans sa communication, l’auteur n’a mis en évidence aucune irrégularité dans le processus décisionnel, ni aucun facteur de risque dont la Commission de recours des réfugiés n’aurait pas dûment tenu compte. L’État partie soutient également que le Comité doit accorder un poids considérable aux constatations de fait de la Commission de recours des réfugiés, qui est mieux à même d’apprécier les éléments de fait du dossier. Partant, l’auteur n’a pas établi qu’il y avait des motifs sérieux de croire qu’il risquerait de subir des peines ou des traitements inhumains ou dégradants s’il était expulsé vers l’Italie.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1En date du 30 août 2016, l’auteur a soumis ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il reprend ses arguments précédents et insiste sur le fait que l’Italie n’a pas la capacité d’accueillir l’ensemble des réfugiés actuellement présents sur son territoire étant donné le nombre croissant de réfugiés syriens arrivant dans le pays.

5.2L’auteur informe le Comité que son frère vit actuellement au Danemark, où celui-ci a demandé l’asile. Par conséquent, l’expulsion de l’auteur vers l’Italie par l’État partie entraînerait également une violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme relatif au droit au respect de la vie familiale. L’auteur affirme avoir le droit de faire examiner sa demande d’asile au Danemark, où un membre de sa famille est en situation régulière.

Réponses complémentaires des parties

6.1Le 21 décembre 2016, l’État partie a fait valoir que les observations complémentaires de l’auteur en date du 30 août 2016 ne semblaient contenir aucune information essentielle, nouvelle ou particulière, sur sa situation personnelle.

6.2En ce qui concerne l’argument selon lequel l’auteur a droit au respect de sa vie familiale au motif que son frère vit actuellement au Danemark, l’État partie informe le Comité que le frère de l’auteur a effectivement obtenu un permis de séjour au Danemark le 7 avril 2015 en vertu du paragraphe 1) de l’article 7 de la loi sur les étrangers. Il soutient que cette circonstance ne saurait en soi avoir pour effet de modifier l’appréciation de la situation dans laquelle se trouve l’auteur, notamment le constat selon lequel l’Italie, où l’auteur a déjà obtenu le statut de réfugié, peut être considérée comme premier pays d’asile.

6.3L’État partie fait également observer que le Règlement de Dublin III régit le transfert des demandeurs d’asile d’un État membre à l’autre et qu’il n’est pas applicable à l’auteur puisqu’il a obtenu le statut de réfugié en Italie. L’État partie soutient en outre que la question du regroupement familial n’a aucun rapport avec la demande d’asile présentée par l’auteur.

7.Le 9 août 2017, l’auteur a réitéré sa demande de non-refoulement, ainsi que celle fondée sur son droit à la vie de famille.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Le Comité prend note de l’argument de l’auteur concernant son droit à la vie de famille. Il fait toutefois observer que cette question n’ayant jamais été soulevée devant les autorités nationales, il considère que le nouveau grief, tiré de l’article 23 du Pacte, est irrecevable au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.4Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle les décisions de la Commission de recours des réfugiés n’étant pas susceptibles d’appel, les recours internes ont été épuisés. Cela n’a pas été contesté par l’État partie. En conséquence, le Comité considère que les recours internes ont été épuisés en ce qui concerne le grief que l’auteur tire de l’article 7 du Pacte, comme l’exige le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.5Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle son retour en Italie l’exposerait au risque d’être soumis à la torture ou à d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants. L’auteur fonde son affirmation sur la situation sociale et économique générale des réfugiés en Italie.

8.6Le Comité constate également que la Commission de recours des réfugiés a tenu compte de la situation personnelle et sociale de l’auteur, et de la situation générale des réfugiés reconnus comme tels en Italie, et a conclu que l’allégation selon laquelle l’auteur avait été contraint de retourner en République arabe syrienne à cause de la situation générale des demandeurs d’asile ou des réfugiés en Italie était non crédible et forgée de toutes pièces.

8.7Le Comité rappelle qu’il appartient en général aux organes des États parties d’apprécier les faits et les éléments de preuve, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été arbitraire ou manifestement entachée d’erreurs ou qu’elle a représenté un déni de justice. En l’espèce, l’auteur n’a pas expliqué en quoi la décision de la Commission de recours des réfugiés serait contraire à cette règle, pas plus qu’il n’a avancé de motifs sérieux de croire que, comme il l’affirme, son renvoi en Italie l’exposerait personnellement à un risque réel de subir un préjudice irréparable, en violation de l’article 7 du Pacte. En particulier, le Comité fait observer que l’auteur n’a pas fourni d’informations concrètes et détaillées sur sa situation personnelle en Italie en 2013. En conséquence, le Comité conclut que l’auteur n’a pas suffisamment étayé son grief de violation de l’article 7 aux fins de la recevabilité et déclare la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

9.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 2 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.