Nations Unies

CCPR/C/122/D/2212/2012

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

14 mai 2018

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2212/2012 * , **

Communication présentée par :

Andrei Sannikov (non représenté par un conseil)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Bélarus

Date de la communication :

12 juillet 2012 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 26 novembre 2012 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

6 avril 2018

Objet :

Condamnation d’un chef de l’opposition ; détention illégale ; procès inéquitable ; torture et extorsion d’aveux ; conditions de détention inhumaines ; immixtion illégale dans la vie privée ; liberté d’expression ; droit de réunion pacifique ; discrimination fondée sur l’opinion politique

Question(s) de procédure :

Fondement des griefs ; non-coopération de l’État partie

Question(s) de fond :

Torture ; peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; détention arbitraire ; droit d’être présenté rapidement à un juge ; droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal impartial ; droit à la présomption d’innocence ; droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ; droit de communiquer avec le conseil de son choix ; droit d’interroger des témoins ; droit de ne pas être obligé de témoigner contre soi-même ou de s’avouer coupable ; droit au respect de la vie privée ; liberté d’expression ; droit de réunion pacifique ; égalité devant la loi et égale protection de la loi ; droit à un recours utile

Article(s) du Pacte :

7, 9, 10, 14, 17, 19, 21 et 26

Article(s) du Protocole facultatif :

2

1.L’auteur de la communication est Andrei Sannikov, de nationalité bélarussienne, né en 1954. Il affirme que l’État partie a violé les droits qui lui sont garantis par les articles 7, 9, 10, 14, 17, 19, 21 et 26 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Bélarus le 30 décembre 1992. L’auteur n’est pas représenté.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur est un homme politique et un militant. Diplomate de carrière, il a occupé plusieurs postes de haut niveau, notamment celui de Vice-Ministre des affaires étrangères de 1995 à 1996, et a été nommé Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire. En novembre 1996, il a démissionné de son poste de Vice-Ministre des affaires étrangères en protestation contre un referendum organisé cette année-là qui avait abouti à une modification de la Constitution élargissant les attributions du pouvoir exécutif et restreignant certains droits et libertés. En novembre 1997, l’auteur a cofondé la Charte 97, une initiative en faveur des droits civils. Il a organisé des manifestations non violentes contre les élections présidentielles et parlementaires de 2001, 2004, 2006 et 2008. En 2005, il a reçu le prix Bruno Kreisky pour son action en faveur des droits de l’homme. En 2008, l’auteur a lancé la campagne civique pour un Bélarus européen en association avec d’autres personnalités politiques bélarussiennes. L’auteur se considère comme un des chefs de l’opposition politique au Bélarus.

2.2En octobre 2010, l’auteur a déposé sa candidature à l’élection présidentielle qui devait avoir lieu le 19 décembre 2010, aux côtés de neuf autres candidats, y compris le Président du Bélarus, M. Aleksandr Lukashenko. Pendant sa campagne électorale, l’auteur a fait de nombreuses déclarations aux médias et s’est adressé aux électeurs, évoquant l’illégitimité des pouvoirs du Président en exercice, et critiquant le régime et le caractère non démocratique du processus électoral. En particulier, il a encouragé ses partisans à prendre part à une manifestation pacifique à l’appui de l’opposition la veille de l’élection. La manifestation devait débuter à 20 heures sur la place Oktyabrskaya, au centre de la ville de Minsk, et sept autres candidats à l’élection présidentielle avaient également appelé leurs partisans à participer à l’événement.

2.3L’auteur indique qu’en application des articles 5 et 9 de la loi du 30 décembre 1997 sur les manifestations publiques, tous les rassemblements publics sont soumis à l’autorisation préalable des autorités, dans le cas présent le Comité exécutif de la ville de Minsk, et que la place choisie par les organisateurs de la manifestation pacifique n’était pas un des lieux approuvés à cette fin par les autorités de Minsk. L’auteur était pleinement conscient qu’en l’absence d’une autorisation officielle, la manifestation serait considérée comme illégale et il avait été averti par le Bureau du Procureur général qu’une telle manifestation publique était « illicite ». Il affirme, cependant, que ni lui ni les autres candidats de l’opposition n’avaient demandé l’autorisation d’organiser la manifestation parce qu’ils savaient que, compte tenu du climat politique et de la pratique de l’administration, il n’y avait aucune chance que l’autorisation en question soit donnée. Toutefois, pendant la campagne électorale, l’auteur et d’autres candidats de l’opposition ont essayé de discuter avec les autorités de la manifestation prévue. Ils ont demandé à rencontrer le Ministre de l’intérieur et le chef du Bureau de la sûreté de l’État, en vain, et, le 17 décembre 2010, au cours d’une interview, le chef du Bureau de la sûreté de l’État a dit que les fonctionnaires chargés d’appliquer la loi ne pouvaient pas discuter des demandes d’organisation de manifestations avec l’opposition parce que ces manifestations étaient illégales.

2.4Le 11 décembre 2010, le chef de l’administration présidentielle a affirmé dans une déclaration faite sur une chaîne de télévision publique que l’opposition était en train de rassembler des hommes armés et des engins pyrotechniques et explosifs dans le but de semer le désordre pendant la manifestation prévue le 19 décembre 2010.

2.5Le 19 décembre 2010, vers 20 heures, un rassemblement public non autorisé a commencé sur la place Oktyabrskaya à Minsk. La plupart des candidats de l’opposition, y compris l’auteur, et près de 15 000 de leurs partisans, y participaient pour protester contre ce qu’ils considéraient comme une élection inéquitable, dénonçant d’importantes irrégularités et fraudes. La manifestation était pacifique et aucune des personnalités qui y ont pris la parole n’ont exhorté à des troubles ou à des actes de violence. L’auteur a prononcé un discours dans lequel il a critiqué le caractère non démocratique du régime et souligné que les résultats des sondages non officiels à la sortie des bureaux de vote différaient des résultats officiels des élections. L’auteur et les autres candidats de l’opposition ont invité leurs partisans à se rendre au palais du Gouvernement, situé place Nezavisimost, en vue d’entamer des négociations directes avec les autorités et de veiller à ce que la Commission électorale centrale ne commette pas de violations pendant le décompte des voix. Les forces de police ont surveillé la manifestation sans intervenir. Vers 21 heures, la majorité des manifestants, dont les candidats de l’opposition, ont commencé à défiler pacifiquement le long de l’avenue Nezavisimost, y compris sur la chaussée, en direction du palais du Gouvernement et des bureaux de la Commission électorale centrale. L’auteur précise que bien qu’il n’ait pas été le premier à arpenter la chaussée, il a défilé au milieu du cortège. Environ 40 000 personnes se sont rassemblées sur la place Nezavisimost. Les candidats de l’opposition, y compris l’auteur, ont prononcé des discours sans lancer d’appel au désordre ou à la violence. Il n’y avait aucun agent des forces de l’ordre ou dispositif de sécurité devant le palais du Gouvernement bien que les autorités aient eu assez de temps et suffisamment de moyens pour mettre en place un périmètre de sécurité.

2.6Vers 21 h 45, un petit groupe isolé de personnes non identifiées a commencé à jeter des pierres contre le palais du Gouvernement. Ce groupe était accompagné de personnes qui filmaient la scène au moyen de caméras vidéo. Pendant les trente premières minutes, les forces de l’ordre ne sont pas intervenues. Plusieurs candidats de l’opposition, dont l’auteur, ont essayé de s’approcher du palais du Gouvernement pour entamer des négociations avec les autorités. Ils ont demandé à la foule de rester calme et de ne pas commettre d’actes de vandalisme, indiquant que les jets de pierres étaient le fait d’agents du Gouvernement qui cherchaient à provoquer les manifestants. Un des candidats de l’opposition, Vitaly Rymashevsky, a fait cette demande par haut-parleur. Après une trentaine de minutes, les unités de police spéciales sont arrivées et ont formé un cordon devant les grilles du palais du Gouvernement pendant dix minutes, avant de quitter les lieux. Un petit groupe de personnes a continué de briser les vitres et de casser les portes du palais du Gouvernement. À un moment, on a dit aux candidats de l’opposition que les autorités étaient prêtes à négocier, et l’auteur, sa femme et Nikolai Statkevich se sont approchés du palais du Gouvernement. L’auteur a regardé à travers les portes et a demandé aux officiers de police qui se trouvaient à l’intérieur s’il était possible de négocier. En l’absence de réaction, les candidats sont revenus sur le podium. Une demi-heure plus tard, les unités de police sont revenues sur les lieux et ont commencé à disperser la foule qui se trouvait sur la place Nezavisimost, en faisant un usage disproportionné de la force et en utilisant notamment des moyens comme les boucliers antiémeutes et les matraques. La plupart des manifestants n’opposaient pas de résistance mais la police a commencé à les frapper. L’auteur note qu’à aucun moment pendant la manifestation les forces de police n’ont demandé à la foule de se disperser de son plein gré. L’auteur a été frappé à la jambe et à la tête et a perdu connaissance. Lorsqu’il a repris conscience, il s’est rendu compte qu’il était gravement blessé à la jambe et qu’il avait besoin de soins médicaux. Des amis lui ayant proposé de le conduire à l’hôpital, il a accepté mais la voiture dans laquelle il se trouvait a été arrêtée quelques kilomètres plus loin par la police et l’auteur a été tiré violemment du véhicule et arrêté avec un emploi disproportionné de la force. Pendant son arrestation, il a été battu et frappé à coups de pied, a reçu des coups au visage, à la tête, au bras et au torse qui lui ont causé de multiples hématomes à la tête, au bras et au torse et une grave blessure à la jambe.

2.7L’auteur a d’abord été détenu dans une cellule de garde à vue dans des locaux situés rue Okrestina à Minsk, avant d’être conduit peu de temps après vers un centre de détention provisoire du Bureau de la sûreté de l’État alors qu’on lui avait dit qu’il allait être emmené à l’hôpital ; il est resté en détention dans ce centre jusqu’à la fin de son procès. Le 20 décembre 2010, des poursuites pénales ont été engagées contre lui sur le fondement de l’article 293 (première partie) du Code pénal (fomentation de troubles de grande ampleur accompagnés d’actes de violence contre des personnes, de pogroms, d’incendies criminels, de destruction de biens ou de résistance armée à l’autorité) et de l’article 293 (deuxième partie) du même Code (participation à des émeutes, y compris la commission d’actes tels que décrits dans la première partie de l’article 293). Le 22 décembre 2010, le Bureau du Procureur a ordonné le placement de l’auteur en détention provisoire, et celui-ci est resté en détention jusqu’à son procès. L’auteur a été officiellement inculpé au titre de l’article 293 (première et deuxième parties) du Code pénal le 29 décembre 2010. Les chefs d’accusation retenus contre lui étaient formulés d’une manière générale, ne précisant pas quels actes on l’accusait d’avoir commis. L’auteur affirme que son placement en détention provisoire était illégal et infondé au regard de la législation nationale. En outre, sa détention provisoire a été autorisée par le Procureur, qui n’est pas habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires. Les avocats de l’auteur ont déposé le 23 décembre 2010, les 21 et 28 janvier, le 24 février, le 25 mars et les 5, 8, 11 et 27 avril 2011, des recours contre son placement en détention et des demandes de libération sous caution, qui ont tous été rejetés ou ignorés par les tribunaux.

2.8L’auteur affirme que pendant l’enquête préliminaire, il n’a eu que peu de contacts avec ses avocats. Entre le 19 décembre 2010 et le 22 mars 2011, alors qu’il était détenu dans le centre de détention provisoire du Bureau de la sûreté de l’État, les autorités du centre ont dit à ses avocats qu’ils ne pouvaient pas lui rendre visite parce qu’aucun local n’était disponible à cet effet. À aucun moment pendant sa détention l’auteur n’a eu l’occasion de s’entretenir de manière confidentielle avec eux pendant que l’enquête préliminaire était en cours. Ses avocats ont déposé des plaintes à ce propos les 23 et 29 décembre 2010, 6 janvier 2011, 27 janvier 2011 et 16 février 2011. Toutes ces plaintes ont été ignorées ou rejetées par les enquêteurs ou par les autorités du centre de détention. En outre, le 3 mars 2011, l’avocat qui défendait l’auteur au départ, Pavel Sapelko, a été radié du barreau de Minsk et s’est vu retirer son permis d’exercer par le Ministère de la justice parce qu’il aurait exprimé en public des préoccupations au sujet des conditions « épouvantables » dans lesquelles l’auteur était détenu et des mauvais traitements qui lui étaient infligés pendant sa détention avant jugement.

2.9L’auteur affirme que pendant qu’il était détenu au centre de détention provisoire du Bureau de la sûreté de l’État, il a été torturé et maltraité. À son arrivée dans ce centre, le 20décembre 2010, il souffrait de nombreuses blessures dues aux coups qu’il avait reçus, mais aucun soin médical ne lui a été prodigué. On lui a refusé l’accès aux toilettes pendant cinq heures, on l’a placé dans une très petite cellule glaciale et on l’a obligé à rester couché à même le sol en bois. À peine pouvait-il utiliser l’espace exigu où il se trouvait à cause des douleurs aiguës à sa jambe blessée. Après trois à quatre jours, on lui a alloué une place sur une banquette en bois en lui ordonnant de rester couché immobile sous une lumière vive. Lalampe de la cellule était en permanence allumée. On lui a interdit de changer de position sur sa banquette et s’il se retournait dans son sommeil, les gardiens les réveillaient, lui et ses compagnons de cellule, et leur ordonnaient de reprendre leur position initiale. Après avoir adressé une plainte par lettre au directeur du centre de détention provisoire du Bureau de la sûreté de l’État, il a été transféré dans une autre cellule où il était de nouveau forcé de dormir par terre. Il souffrait beaucoup à cause de sa jambe blessée. Il n’y avait pas de toilettes dans la cellule et l’auteur ne pouvait utiliser les toilettes extérieures que deux fois par jour. Il subissait des fouilles quotidiennes humiliantes au cours desquelles des personnes non identifiées encagoulées le forçaient à monter et descendre à toute vitesse un escalier escarpé malgré sa jambe blessée, l’obligeaient à se déshabiller, l’insultaient et lui donnaient des coups de bâton. Chaque fois qu’il quittait sa cellule, l’auteur avait les mains menottées dans le dos.

2.10L’auteur a été privé de contact avec ses proches et n’a reçu aucune nouvelle d’eux pendant un mois après son arrestation. On lui a dit que sa femme avait également été détenue et qu’il perdrait la garde de son fils âgé de 3 ans et que sa famille ferait l’objet de mesures brutales s’il refusait d’avouer. En particulier, le 31 décembre 2010, l’auteur a reçu la visite du chef du Bureau de la sûreté de l’État, qui a ouvertement menacé de porter atteinte à « la vie et la santé » de sa femme et de son fils. Sachant parfaitement qu’il avait le pouvoir de mettre sa menace à exécution, l’auteur a accepté de faire des aveux après leur deuxième rencontre. Pendant les interrogatoires qui ont eu lieu par la suite, le « témoignage » de l’auteur était examiné au préalable par l’officier de police et l’enquêteur chargé du dossieravant d’être enregistré, conformément au protocole d’interrogatoire. Bien que l’avocat de l’auteur était présent, son client n’était pas autorisé à lui parler ni même à le regarder, ce qui l’a privé de toute assistance judiciaire. Au cours des interrogatoires, l’auteur a subi des pressions psychologiques et physiques. Il a été en outre privé de tout contact avec le monde extérieur, notamment de tout accès à des journaux et à la télévision publique. L’auteur était forcé à regarder les chaînes de télévision interne, qui diffusaient de la propagande antisémite et des images de scènes de violence. En mars 2011, la demande de l’auteur d’être hospitalisé pour recevoir un traitement suite à un accès de goutte a été rejetée par l’administration du centre de détention provisoire. Le 8 avril 2011, l’auteur a adressé par écrit une plainte pour torture et mauvais traitements au chef du service du Département des affaires intérieures de la ville de Minsk chargé d’enquêter sur les atteintes à la vie, à la santé et aux biens des personnes mais aucune enquête n’a été ouverte.

2.11L’auteur et ses avocats ont déposé des plaintes au sujet du recours disproportionné à la force lors de son arrestation ; le 20 décembre 2010, ils ont demandé que ses blessures soient examinées par un médecin mais la demande a été rejetée le 23 décembre 2010 par l’enquêteur du Bureau de la sûreté de l’État. L’avocat de l’auteur a déposé un recours contre le rejet de cette demande auprès du Procureur général, par l’intermédiaire des organes chargés de l’enquête préliminaire. Le 14 février 2011, il a reçu une réponse signée du même enquêteur du Bureau de la sûreté de l’État, dans laquelle il était indiqué que la demande d’examen médical avait déjà été étudiée et rejetée. Le recours n’a jamais été transmis au Bureau du Procureur général. Le 12 mai 2011, au cours d’une audience devant le tribunal du district Partizansky à Minsk, l’auteur a déclaré que les gardiens de la prison l’avaient torturé, qu’il avait été privé de sommeil et laissé dans le froid et que l’on avait menacé sa famille pour lui arracher des aveux. Il a témoigné que les preuves soumises par les autorités avaient été obtenues par la contrainte. En réponse, le Procureur a présenté au tribunal une lettre, datée du 17 mai 2011, signée par le procureur adjoint de Minsk, selon laquelle les « allégations » de l’auteur « n’avaient pas été confirmées ». Le tribunal n’a pas ordonné de complément d’enquête sur ces allégations. Dans tous les recours qu’il a formés par la suite, l’auteur s’est plaint en vain d’avoir fait l’objet d’actes de torture et de mauvais traitements pendant qu’il était détenu au centre de détention provisoire du Bureau de la sûreté de l’État.

2.12L’auteur indique qu’alors que l’enquête préliminaire concernant son affaire était en cours, plusieurs organes d’information de l’État ont publié des articles ou diffusé des documentairesdans lesquels il était dit qu’il était coupable de crimes commis lors des événements du 19 décembre 2010. Le Président du Bélarus, M. Aleksandr Lukashenko, a lui aussi évoqué la culpabilité de l’auteur dans des interviews données à des chaînes de télévision publiques, et au Washington Post le 28 février 2011.

2.13Au terme de l’enquête préliminaire, en prenant connaissance des pièces de son dossier, l’auteur a appris que l’adjoint du Procureur général du Bélarus avait autorisé l’enregistrement de ses appels téléphoniques ainsi que de ceux de son épouse et des membres de sa campagne électorale pendant la période allant du 28 juillet au 19 décembre 2010, y compris lorsqu’il était déjà enregistré comme candidat à l’élection présidentielle. La plainte de l’auteur à ce sujet a été envoyée au Procureur général fin mai 2011. L’auteur n’a reçu aucune réponse et aucune enquête n’a été ouverte mais les informations illégales obtenues au moyen de ces écoutes ont été utilisées par le tribunal comme preuves de sa culpabilité.

2.14Le 15 avril 2011, le Bureau du Procureur a transmis le dossier de l’auteur au tribunal. Selon l’acte d’accusation final, les chefs retenus contre lui en vertu de l’article 293 (première partie) du Code pénal étaient les suivants : exhortation du public à participer à une manifestation le 19 décembre 2010 ; propagation de fausses nouvelles selon lesquelles les élections n’étaient pas démocratiques et leurs résultats avaient été falsifiés ; planification et préparatifs visant à inciter la foule à commettre des actes d’agression ; exhortation à une marche de la place Oktyabrskaya à la place Nezavisimost ; manipulation de la foule pour accéder au palais du Gouvernement. À l’audience devant le tribunal du district Partizansky à Minsk, les nombreuses requêtes de l’auteur et de son avocat visant, entre autres, à ce que des examens soient effectués, des preuves soient produites, certains témoins soient interrogés et à ce que les enregistrements vidéo effectués le 19 décembre 2010 au moyen des caméras de télévision à circuit fermé de la place Nezavisimost soient fournis, ont été rejetées. Par exemple, les avocats de l’auteur ont recueilli des témoignages en son nom et ont fourni des photographies de la place Nezavisimost le soir de la manifestation, mais ces photographies n’ont pas été acceptées comme preuves par le tribunal. En revanche, le tribunal a autorisé le Procureur à produire comme preuve des enregistrements de conversations de l’auteur, dont la ligne téléphonique avait été mise sous écoute durant la campagne présidentielle. L’accusation n’a apporté aucune preuve montrant que l’auteur, à la manifestation, avait commis ou incité à commettre des atteintes à l’ordre public, des actes de violence ou des dommages à des personnes ou des destructions de biens. Outre qu’il était blessé aux jambes depuis son arrestation, l’auteur a des lourds antécédents médicaux. Il a maintes fois demandé au tribunal de suspendre temporairement le procès pour pouvoir être soigné mais ses demandes ont été rejetées.

2.15Le 14 mai 2011, l’auteur été reconnu coupable sur le fondement de l’article 293 (première partie) du Code pénal d’avoir organisé des troubles de grande ampleur et a été condamné à cinq ans d’emprisonnement dans une colonie de haute sécurité. Il a déposé un pourvoi en cassation devant le tribunal de la ville de Minsk, faisant valoir entre autres que les droits qu’il tenait des articles 7, 9, 14, 17, 19, 21 et 26 du Pacte avaient été violés. L’auteur avait demandé à être autorisé à assister en personne à l’audience mais sa requête a été refusée. Son pourvoi en cassation a été rejeté par le tribunal de la ville de Minsk à l’issue d’une courte audience le 15 juillet 2011, et la condamnation de l’auteur est devenue exécutoire. À une date non précisée, les avocats de l’auteur ont déposé auprès du Président du tribunal de la ville de Minsk une demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle, qui a été rejetée le 12 octobre 2011. À une date non précisée, les avocats de l’auteur ont adressé une nouvelle demande de réexamen au Président de la Cour suprême, qui a été rejetée par le Vice‑Président de cette juridiction le 27 janvier 2012. Une deuxième demande adressée au Président de la Cour suprême a été rejetée par le premier Vice‑Président de la Cour suprême le 9 avril 2012.

2.16L’auteur signale que pendant qu’il exécutait sa peine, il a été transféré d’une colonie pénitentiaire à une autre à deux reprises sans être informé des raisons de ces transferts et qu’il a été privé de la possibilité de s’entretenir avec ses avocats du 17 novembre 2011 au 16 janvier 2012. Chaque fois que les avocats de l’auteur s’étaient rendus dans la colonie pénitentiaire pour le voir, il leur avait été signifié qu’ils ne pourraient pas rencontrer leur client en raison des « mesures de protection » dont il faisait l’objet parce qu’il estimait que sa vie était menacée. Un des avocats de l’auteur s’étant plaint de ne pas avoir été autorisé à rencontrer son client dans la colonie pénitentiaire no 4, dans la région de Mogilev, le 17 novembre 2011, le Bureau du Procureur général lui a répondu le 19 décembre 2011 qu’aucune violation du droit de l’auteur à la défense n’avait été constatée. Le 30 janvier 2012, l’avocat a déposé un recours contre le refus de lui permettre de rendre visite à son client auprès du tribunal du district Leninsky à Mogilev, mais ce recours a été rejeté le 3 février 2012. Le 10 février 2012, il a de nouveau fait appel de ce refus devant le tribunal régional de Mogilev, qui l’a débouté le 2 avril 2012. Le 30 avril 2012, l’avocat de l’auteur a déposé auprès du Président du tribunal régional de Mogilev une demande de réexamen des décisions susmentionnées dans le cadre de la procédure de contrôle, qui est restée sans suite. De même, les avocats de l’auteur ont déposé des recours contre ces refus de les autoriser à rencontrer leur client pendant la période allant de novembre 2011 au 16 janvier 2012 auprès du Bureau du Procureur de la région de Mogilev, du Procureur général du Bélarus, des départements compétents du Ministère de l’intérieur et du Ministre de l’intérieur, mais tous leurs recours ont été rejetés.

2.17Les avocats de l’auteur ont également déposé un recours auprès du tribunal de district de Vitebsk contre le refus de les autoriser à rencontrer leur client à la colonie pénitentiaire no3 de la région de Vitebsk en décembre 2011, mais leur plainte a été rejetée le 6 janvier 2012. À une date non précisée, ils ont fait appel de ce refus devant le tribunal régional de Vitebsk, qui les a déboutés le 30 janvier 2012. Le 31 janvier 2012, les avocats de l’auteur ont déposé une demande de réexamen des décisions susmentionnées au titre de la procédure de contrôle auprès du Président du tribunal régional de Vitebsk, qui a rejeté leur demande le 2 mars 2012. À une date non précisée, les avocats de l’auteur ont déposé auprès du Vice-Président du tribunal de la ville de Minsk une autre demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle, qui été rejetée par le Vice-Président de la Cour suprême le 26 avril 2012. L’auteur signale qu’il n’a été autorisé à rencontrer ses avocats à la colonie pénitentiaire no3 de la Région de Vitebsk qu’après le 16 janvier 2011, et que durant sa période « sans contact avec l’extérieur », sa communication par courrier et par téléphone avec ses avocats et sa famille était soumise à des restrictions.

2.18Le 14 avril 2012, l’auteur a obtenu une grâce présidentielle et le reste de sa peine a été annulé. La grâce présidentielle n’a cependant pas effacé la condamnation pénale de son casier judiciaire. Il était placé sous contrôle dit « préventif », ce qui l’obligeait à informer les services compétents du Ministère de l’intérieur de tout changement de domicile ou d’absence de plus d’un mois de son lieu habituel de résidence, et à se présenter aux autorités susmentionnées chaque fois que la demande lui en était faite pour expliquer son comportement et ses faits et gestes.

2.19L’auteur affirme qu’il a épuisé tous les recours internes utiles qui étaient disponibles.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que les droits qu’il tient de l’article 7 du Pacte ont été violés dans la mesure où les enquêteurs, les agents du centre de détention provisoire du Bureau de la sûreté de l’État et d’autres agents de ce Bureau l’ont soumis à la torture, à des mauvais traitements et à des pressions psychologiques pendant l’enquête préliminaire en vue d’obtenir des aveux de sa part. Il affirme aussi qu’il a subi un préjudice corporel du fait de la force disproportionnée dont il a été fait usage contre lui lors de l’intervention des unités spéciales de police sur la place Nezavisimost le 19 décembre 2010 et au moment de son arrestation. En dépit des nombreuses plaintes déposées par l’auteur et ses avocats auprès des autorités compétentes et des tribunaux de l’État partie (voir par. 2.9 à 2.11 supra), aucune enquête impartiale et indépendante sur ces allégations n’a été diligentée.

3.2L’auteur affirme qu’il a été arrêté et détenu en violation des garanties prévues à l’article 9 du Pacte. La décision initiale lui imposant une mesure de placement en détention avant jugement et la prolongation répétée de son maintien en détention étaient illégales parce qu’elles n’ont tenu compte ni des circonstances de la cause ni de sa situation personnelle. Il souligne que ni les autorités de l’État partie qui l’ont placé en détention ni les tribunaux n’ont expliqué pourquoi ils n’ont pas opté pour des mesures de contrainte prévues par le Code de procédure pénale autres que le placement en détention provisoire ou pour la libération sous caution. L’auteur ajoute que son placement en détention provisoire a été validé par le Procureur, qui n’est pas autorisé par la loi à exercer des fonctions judiciaires, comme le requiert l’article 9 (par. 3) du Pacte (voir par. 2.7 supra).

3.3En ce qui concerne la violation présumée de l’article 10 du Pacte, l’auteur affirme que du 17 novembre 2011 au 16 janvier 2012, il a été empêché de voir ses avocats par l’administration des institutions pénitentiaires dans lesquelles il exécutait sa peine sous prétexte que les « mesures de protection » qui lui était appliquées pour assurer sa sécurité rendaient de telles rencontres impossibles. Il ajoute que durant sa période « sans contact avec l’extérieur », sa communication par courrier et par téléphone avec ses avocats et sa famille était soumise à des restrictions (voir par. 2.17 supra).

3.4L’auteur affirme en outre qu’il n’a pas eu droit à un procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial, en violation de l’article 14 (par. 1) du Pacte. Il indique que les tribunaux ont rejeté les éléments de preuve essentiels présentés pour sa défense et ont accepté en revanche des éléments à charge étrangers à l’espèce produits par le Bureau du Procureur général. Les tribunaux ont aussi refusé d’interroger certains témoins identifiés par les avocats de l’auteur et ont rejeté les motions de la défense tout en admettant systématiquement celles de l’accusation (voir par. 2.14 supra). L’auteur fait aussi valoir qu’en refusant d’interroger des témoins qui lui étaient favorables, les tribunaux ont violé un droit qui lui est garanti à l’article 14 (par. 3 e)) du Pacte. Il soutient que le système judiciaire du Bélarus en lui-même n’est pas indépendant, et renvoie à plusieurs rapports à l’appui de cette affirmation.

3.5L’auteur fait observer en outre que pendant l’enquête préliminaire, du 19 décembre 2010 au 22 mars 2011, il n’a pas été autorisé à voir ses avocats et à communiquer avec eux d’une manière confidentielle. En outre, son premier avocat a été radié par le barreau de Minsk et s’est vu retirer sa licence par le Ministère de la justice, parce qu’il aurait exprimé publiquement des préoccupations à propos des conditions de détention « épouvantables » de l’auteur et des mauvais traitements qui lui étaient infligés par les autorités pendant sa détention avant jugement (voir par. 2.8 supra). L’auteur affirme aussi que son droit à la présomption d’innocence garanti par l’article 14 (par. 2) du Pacte a été violé dans la mesure où les médias étatiques et les autorités de l’État partie ont publiquement accusé l’auteur et d’autres candidats de l’opposition d’avoir tenté de renverser le Président en exercice avant et après les élections présidentielles et déclaré que l’auteur était coupable de crimes commis pendant les événements du 19 décembre 2010 avant que sa culpabilité n’ait été établie par les tribunaux. L’auteur ajoute qu’en violation de son droit à la présomption d’innocence également, il a été menotté et placé dans une cage au tribunal tout au long des audiences relatives à son affaire.

3.6L’auteur dénonce également une violation de l’article 17 du Pacte, arguant que les autorités de l’État partie ont illégalement enregistré ses appels téléphoniques ainsi que ceux de sa femme et de membres de sa campagne électorale entre le 28 juillet et le 19 décembre 2010, alors qu’il était déjà officiellement candidat à l’élection présidentielle. Il fait valoir que la mise sous écoute n’était pas nécessaire et était illégale et injustifiée et constituait par conséquent une violation de son droit au respect de la vie privée. Qui plus est, des informations obtenues illégalement de cette manière ont été utilisées au cours du procès comme preuve à charge (voir par. 2.13 supra).

3.7L’auteur affirme également qu’il y a eu violation de son droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et de son droit à la liberté d’expression garantis par l’article 19 du Pacte dans la mesure où les restrictions à l’exercice de ces droits imposées par l’État partie n’étaient pas prévues par la loi et n’étaient pas nécessaires dans une société démocratique. Il ajoute que les prétendus actes criminels qui lui ont été attribués par les tribunaux comprennent, entre autres, la propagation de la « fausse nouvelle » selon laquelle le Gouvernement était illégitime, les élections n’étaient pas démocratiques et la Commission électorale centrale en avait falsifié les résultats. Il affirme à cet égard que les déclarations incriminées étaient en réalité vraies, comme le confirmaient de nombreux rapports du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) relatifs aux élections au Bélarus. L’auteur déclare en outre que les autorités de l’État partie l’ont poursuivi et condamné à cinq ans d’emprisonnement pour avoir exercé son droit à la liberté d’expression. Il ajoute qu’une telle peine est manifestement disproportionnée d’autant plus que les organes d’enquête n’ont pas pu prouver qu’il y avait un lien de causalité direct entre les déclarations qui lui étaient reprochées et les actes illégaux des individus non identifiés qui avaient pris d’assaut le palais du Gouvernement le 19 décembre 2010.

3.8L’auteur indique qu’il était l’un des organisateurs du rassemblement public pacifique non autorisé du 19 décembre 2010. Il ajoute que, selon les normes internationales relatives à l’exercice du droit de réunion pacifique garanti à l’article 21 du Pacte, les autorités de l’État partie ont une obligation formelle d’assurer la sécurité des rassemblements pacifiques même lorsqu’ils ne sont pas officiellement autorisés. L’auteur soutient que les autorités de l’État partie ne se sont pas acquittées de cette obligation, n’ayant pas agi pour contenir rapidement les actes illégaux du petit groupe isolé de personnes qui ont pris d’assaut le palais du Gouvernement à 21 h 45 le 19 décembre 2010 (voir par. 2.6 supra). L’auteur déclare que ses propres actes étaient entièrement pacifiques et qu’il n’a jamais exhorté ses partisans à attaquer le palais du Gouvernement. Au contraire, il leur a publiquement demandé de rester calmes et de ne pas commettre d’actes de violence. Malgré le caractère pacifique de la manifestation organisée par l’auteur et d’autres candidats de l’opposition, les autorités de l’État partie l’ont dispersée, en violation de l’article 21 du Pacte, en faisant un usage disproportionné de la force. L’auteur lui-même a par la suite été déclaré coupable, sur le fondement de l’article 293 (première partie) du Code pénal, d’avoir organisé des troubles de grande ampleur. Il affirme avec force détails que les dispositions de l’article 293 du Code pénal sont trop vagues et générales pour qu’une personne puisse prévoir les conséquences juridiques de ses actes et que la législation nationale ne contient aucune définition de ce que sont des « troubles de grande ampleur ». L’auteur conclut qu’en le condamnant à cinq ans d’emprisonnement en application de l’article 293 (première partie) du Code pénal pour avoir organisé un rassemblement public non autorisé, l’État partie s’est immiscé de manière disproportionnée dans l’exercice de son droit de réunion pacifique garanti par l’article 21 du Pacte. La loi, qui comporte des lacunes à cet égard, ne contient de surcroît aucune disposition applicable à une telle immixtion.

3.9L’auteur affirme que les actes que le tribunal a qualifiés « d’organisation de troubles de grande ampleur » dans son affaire (notamment l’exhortation de partisans à participer à la manifestation pacifique sur la place Oktyabrskyaya et à se rendre place Nezavisimost, la critique du Gouvernement en place et la tentative de s’approcher du palais du Gouvernement en vue d’entamer des négociations avec les autorités) ont également été « commis » par les autres candidats de l’opposition. Or certains d’entre eux ont été déclarés coupables d’infractions moins graves et d’autres n’ont pas été inquiétés. L’auteur dit qu’il ne comprend pas pourquoi les mêmes actes commis par différentes personnes ont donné lieu à différentes conséquences. Il affirme qu’en violation de l’article 26 du Pacte, les autorités de l’État partie ont exercé à son égard une discrimination fondée sur ses opinions politiques, ce qui l’a privé de son droit à l’égalité devant la loi et à l’égale protection de la loi.

Défaut de coopération de l’État partie

4.Par des notes verbales en dates des 26 novembre 2012, 29 janvier et 19 novembre 2014 et 16 février 2015, le Comité a demandé à l’État partie de lui faire parvenir des informations et ses observations sur la recevabilité et le fond de la présente communication. Le Comité note que ces informations n’ont pas été reçues. Il regrette que l’État parti ne lui ait fourni aucune information sur la recevabilité ou le fond des allégations de l’auteur. Il rappelle que le paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif oblige les États parties à examiner de bonne foi toutes les allégations portées contre eux et à communiquer au Comité toutes les informations dont ils disposent. En l’absence de réponse de l’État partie, il y a lieu d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur, pour autant qu’elles aient été suffisamment étayées.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

5.3Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle tous les recours internes utiles et disponibles ont été épuisés. En l’absence d’objection de l’État partie sur ce point, il considère que les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont réunies.

5.4Le Comité prend note également du grief soulevé par l’auteur au titre de l’article 26 du Pacte, selon lequel les autorités de l’État partie ont exercé à son égard une discrimination fondée sur ses opinions politiques étant donné que les autres candidats de l’opposition qui avaient pris part à la manifestation pacifique non autorisée du 19 décembre 2010 ont été déclarés coupables d’infractions moins graves et que certains d’entre eux n’ont pas été poursuivis (voir par. 3.9 supra). Le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ce grief au titre de l’article 26 du Pacte aux fins de la recevabilité et le déclare donc irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.5Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé ses autres griefs au titre des articles 7, 9, 10, 14, 17, 19 et 21 du Pacte aux fins de la recevabilité. En conséquence, il déclare la communication recevable et procède à son examen sur le fond.

Examen au fond

6.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

6.2Pour ce qui est du grief de l’auteur selon lequel il a été soumis à la torture, à des mauvais traitements et à des pressions psychologiques pendant l’enquête préliminaire dans le but de l’obliger à faire des aveux, le Comité note que l’auteur a fourni une description détaillée des mesures utilisées, telles que l’exploitation de sa vulnérabilité sur le plan de la santé, la menace d’employer des mesures brutales à l’encontre des siens et le recours à des techniques humiliantes, telles que la privation de sommeil et les fouilles corporelles quotidiennes. Le Comité note également l’allégation de l’auteur selon laquelle il a subi un préjudice corporel du fait d’une utilisation disproportionnée de la force à son égard par des membres des unités de police spéciales au cours de l’opération de sécurité menée place Nezavisimost le 19 décembre 2010 et pendant son arrestation. Il note en outre que bien que souffrant de multiples blessures, l’auteur n’a pas reçu de soins médicaux et que ses demandes visant à ce que ses blessures soient examinées par un médecin ont été ignorées. Le Comité relève que l’auteur a affirmé que durant sa période « sans contact avec l’extérieur », du 17 novembre 2011 au 16 janvier 2012, il avait été empêché de rencontrer ses avocats et sa communication par courrier et par téléphone avec ceux-ci et avec sa famille était soumise à des restrictions. D’après les documents figurant au dossier, ces demandes ont été soumises maintes fois par l’auteur lui-même et par ses avocats aux autorités compétentes de l’État partie et aux tribunaux. En particulier, le 12 mai 2011, l’auteur a déclaré lors d’une audience devant le tribunal du district Partizansky à Minsk que les gardiens de la prison l’avaient torturé, privé de sommeil et exposé à un froid glacial et avaient menacé sa famille pour lui arracher des aveux. Il a déclaré que certains des éléments de preuve produits par les autorités avaient été obtenus sous la contrainte. En réponse, le Procureur a présenté au tribunal du district Partizansky une lettre datée du 17 mai 2011, signée par le procureur adjoint de Minsk, dans laquelle il était déclaré que les allégations de l’auteur n’avaient pas été confirmées. Le tribunal n’a ordonné aucune enquête sur ces allégations. Le Comité rappelle que chaque fois qu’une plainte au sujet d’un traitement contraire à l’article 7 du Pacte est déposée, l’État partie concerné est tenu d’ouvrir immédiatement une enquête impartiale. Le Comité note en outre que l’État partie n’a pas indiqué comment, le cas échéant, ses autorités et ses tribunaux avaient enquêté sur les allégations selon lesquelles l’auteur avait été soumis à la torture, à des mauvais traitements et à des pressions psychologiques dans le but d’obtenir qu’il s’avoue coupable. Dans ces circonstances, le crédit voulu doit être accordé aux allégations de l’auteur et le Comité considère que les faits tels qu’ils lui sont soumis font apparaître une violation de l’article 7 du Pacte.

6.3À la lumière de ces conclusions, le Comité ne juge pas nécessaire d’examiner séparément les griefs soulevés par l’auteur au titre de l’article 10 du Pacte.

6.4Le Comité rappelle également sa jurisprudence selon laquelle le libellé du paragraphe 3 g) de l’article 14, en vertu duquel toute personne « a droit à ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de s’avouer coupable », doit s’entendre comme interdisant toute pression physique ou psychologique, directe ou indirecte, de la part des autorités chargées de l’enquête préliminaire sur l’accusé dans le but d’obtenir un aveu de culpabilité. Le Comité rappelle aussi que dans les cas où sont formulées des allégations d’aveux forcés, il incombe à l’État partie de prouver que l’accusé a fait des déclarations de son plein gré. Dans ces circonstances, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font également apparaître une violation du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte.

6.5Le Comité prend note de l’allégation faite par l’auteur au titre de l’article 9 du Pacte selon laquelle les mesures de contrainte avant jugement prises contre lui et la prorogation répétée de son maintien en détention étaient illégales dans la mesure où il n’a pas été tenu compte des circonstances de la cause et de sa situation personnelle. L’auteur souligne que ni les autorités de l’État partie qui l’ont placé en détention ni les tribunaux n’ont expliqué pourquoi il n’a pas été opté en l’espèce pour des mesures de contrainte prévues dans le Code de procédure pénale autres que la détention et/ou pour la libération sous caution. Le Comité note que les allégations de l’auteur ont été portées à l’attention des autorités compétentes et des tribunaux de l’État partie, qui les ont rejetées de façon sommaire. Il rappelle à cet égard qu’il ne faut pas donner au mot « arbitraire » le sens de « contraire à la loi » mais qu’il faut l’interpréter plus largement pour viser ce qui est inapproprié, injuste et imprévisible ainsi que le non-respect des garanties judiciaires et des principes du caractère raisonnable, de la nécessité et de la proportionnalité. Cela signifie, entre autres choses, que le placement en détention provisoire dans une affaire pénale doit être une mesure raisonnable et nécessaire en toutes circonstances, par exemple pour empêcher la fuite, l’élimination de preuves ou la répétition d’un délit. L’État partie n’a pas démontré que ces risques existaient en l’espèce. En l’absence de toute autre information, le Comité conclut donc qu’il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.

6.6.Le Comité note en outre l’affirmation de l’auteur selon laquelle son placement en détention provisoire a été validé par le Procureur, qui n’est pas habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires, contrairement à ce qu’exige le paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte. Il rappelle que cette disposition donne à une personne accusée d’une infraction pénale placée en détention le droit à un contrôle judiciaire de sa privation de liberté. Un élément inhérent au bon exercice des fonctions judiciaires est qu’il doit être assuré par une autorité indépendante, objective et impartiale à l’égard des questions à traiter. Le Comité n’est donc pas convaincu que le procureur public puisse être considéré comme ayant l’objectivité et l’impartialité institutionnelles nécessaires pour être qualifié d’« autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires » au sens du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte et conclut par conséquent qu’il y a eu violation de cette disposition.

6.7Le Comité note que l’auteur affirme qu’il s’est vu priver du droit à un procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial, en violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte (voir par. 2.14 et 3.4 supra) et que les tribunaux de l’État partie ne l’ont pas fait bénéficier des garanties minimum prévues au paragraphe 3 b) et e) de l’article 14 du Pacte (voir par. 2.8 et 3.5 supra). Le Comité prend note également du grief de l’auteur selon lequel pendant l’enquête préliminaire, du 19 décembre 2010 au 22 mars 2011, il n’a pas été autorisé à rencontrer ses avocats ni à communiquer avec eux de façon confidentielle. Le Comité prend note en outre de l’affirmation de l’auteur selon laquelle son premier avocat a été radié du barreau de Minsk et s’est vu retirer sa licence par le Ministère de la justice apparemment pour avoir exprimé des préoccupations au sujet des conditions carcérales « épouvantables » de l’auteur et des mauvais traitements qui lui étaient infligés en détention par les autorités de l’État partie. En absence de commentaires de l’État partie pour réfuter les allégations de l’auteur, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des paragraphes 1 et 3 b) et e) de l’article 14 du Pacte.

6.8En ce qui concerne les allégations de violation du paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte, le Comité prend note du grief de l’auteur selon lequel son droit à la présomption d’innocence a été violé étant donné que les médias étatiques et les plus hautes autorités de l’État partie l’ont accusé publiquement d’avoir tenté de renverser le Président en exercice et ont affirmé qu’il était coupable d’infractions pénales commises dans le contexte des événements du 19 décembre 2010 avant que sa culpabilité n’ait été dûment établie par un tribunal (voir par. 2.12 et 3.5 supra). L’auteur a également affirmé qu’il avait été menotté et placé dans une cage au tribunal tout au long de son procès. L’État partie n’a pas contesté ces allégations. Le Comité rappelle que le droit d’un accusé d’être présumé innocent tant que sa culpabilité n’a pas été établie par un tribunal compétent est garanti par le Pacte. En l’absence de toute information pertinente de la part de l’État partie, le Comité conclut que les faits décrits par l’auteur font apparaître une violation du paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte.

6.9L’auteur dénonce également une violation de l’article 17 du Pacte, affirmant que les autorités de l’État partie ont illégalement mis sous écoute son téléphone, procédant à des enregistrements des appels faits par lui-même, sa femme et les membres de sa campagne électorale pendant la période allant du 28 juillet au 19 décembre 2010, y compris après son inscription en tant que candidat aux élections présidentielles. Il ajoute que sa mise sous écoute n’était pas nécessaire, qu’elle était illégale et injustifiée et a constitué par conséquent une violation de son droit au respect de la vie privée. De surcroît, des informations obtenues illégalement de cette manière ont été utilisées lors de son procès pour prouver sa culpabilité. Le Comité note à cet égard que la plainte adressée par l’auteur au Procureur général au sujet de sa mise sous écoute est restée sans réponse et que l’État partie n’a fait aucun commentaire sur les allégations détaillées de l’auteur à ce sujet. Le Comité conclut par conséquent que les faits dont il est saisi constituent une violation par l’État partie du droit garanti à l’auteur par l’article 17 du Pacte.

6.10Le Comité prend note de l’allégation de l’auteur selon laquelle sa condamnation en vertu de l’article 293 (première partie) du Code pénal constituait une violation de son droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et de son droit à la liberté d’expression garantis par l’article 19 du Pacte, étant donné que les restrictions imposées par l’État partie à l’exercice de ces droits n’étaient pas prévues par la loi et n’étaient pas nécessaires dans une société démocratique. L’auteur avançait que les autorités de l’État partie l’avaient poursuivi et condamné à cinq ans d’emprisonnement pour avoir exercé son droit à la liberté d’expression. Le Comité prend note également du grief de l’auteur selon lequel une telle peine était manifestement disproportionnée dans la mesure où les organes chargés de l’enquête n’ont pas démontré l’existence d’un lien de causalité direct entre les déclarations reprochées à l’auteur et les actes illégaux commis par les individus non identifiés qui ont attaqué le palais du Gouvernement le 19 décembre 2010.

6.11Le Comité renvoie à son observation générale no 34 (2011) relative aux libertés d’opinion et d’expression, dans laquelle il est dit que la liberté d’opinion et la liberté d’expression sont des conditions indispensables au développement complet de l’individu et sont essentielles pour toute société. Elles constituent le fondement de toute société libre et démocratique (par. 2). Le Comité rappelle que le paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte n’autorise certaines restrictions que si elles sont expressément fixées par la loi et nécessaires : a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui ; et b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Toute restriction à l’exercice de ces libertés doit être strictement conforme aux critères de nécessité et de proportionnalité. Les restrictions doivent être appliquées exclusivement aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et doivent être en rapport direct avec l’objectif spécifique qui les inspire. Le Comité rappelle également que c’est à l’État partie qu’il incombe de montrer que les restrictions imposées à l’exercice des droits reconnus à l’auteur par l’article 19 du Pacte étaient nécessaires et proportionnées. En l’espèce, le Comité constate toutefois que ni l’État partie ni ses tribunaux n’ont expliqué en quoi les restrictions au droit à la liberté d’expression de l’auteur étaient justifiées au regard des critères de nécessité et de proportionnalité énoncés au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte. En conséquence, le Comité conclut que l’État partie a violé les droits garantis à l’auteur par le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

6.12Le Comité prend note du grief de l’auteur selon lequel, en le condamnant à cinq ans d’emprisonnement en application de l’article 293 (première partie) du Code pénal pour avoir organisé un rassemblement public non autorisé, l’État partie s’est immiscé de façon disproportionnée dans l’exercice de son droit de réunion pacifique garanti à l’article 21 du Pacte. Une telle immixtion n’est pas prévue par la loi étant donné que les dispositions de l’article 293 du Code pénal sont trop vagues et trop générales pour qu’une personne puisse entrevoir les conséquences juridiques de ses actes et il n’y a pas de définition de ce qui constitue des « troubles de grande ampleur » en droit interne. Le Comité rappelle que le droit de réunion pacifique, tel que garanti par l’article 21 du Pacte, est un droit fondamental de l’homme indispensable dans une société démocratique. Ce droit implique la possibilité d’organiser des réunions pacifiques, y compris des réunions spontanées, dans un lieu public et d’y participer. En l’absence de toute information pertinente de la part de l’État partie, le Comité conclut qu’en l’espèce, l’État partie a violé les droits que l’auteur tient de l’article 21 du Pacte.

7.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie de l’article7, des paragraphes 1 et 3 de l’article 9, des paragraphes 1, 2 et 3 b), e) et g) de l’article14, de l’article 17, du paragraphe 2 de l’article 19 et de l’article 21 du Pacte.

8.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés un recours utile en leur accordant pleine réparation. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, d’accorder à Andrei Sannikov une indemnisation adéquate, d’effacer sa condamnation de son casier judiciaire et de mener immédiatement une enquête impartiale, sérieuse et approfondie sur les allégations de torture et de mauvais traitements et d’engager des poursuites judiciaires contre les responsables. L’État partie est également tenu de prendre toutes les mesures voulues pour que des violations analogues ne se produisent pas.

9.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent-quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.