Nations Unies

CCPR/C/123/D/2768/2016

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

29 août 2018

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Décision adoptée par le Comité en vertu du Protocole facultatif, concernant la communication no 2768/2016 * , **

Communication présentée par :

Z. B. (représentée par un conseil, Gruša Matevžič, du Comité Helsinki hongrois)

Au nom de :

Z. B.

État partie :

Hongrie

Date de la communication :

23 mai 2016 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 25 mai 2016 (non publiée sous la forme de document)

Date de la décision :

19 juillet 2018

Objet :

Expulsion vers la Serbie

Question de procédure :

Statut de victime

Questions de fond :

Risque de torture, de peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant ; non-refoulement ; droit à un recours utile

Articles du Pacte :

2 (par. 3 a)), 7 et 13

Article du Protocole facultatif :

2

1.1L’auteure de la communication est Z. B., née le 2 février 1982, de nationalité camerounaise et sud-soudanaise. Elle a déposé une demande d’asile en Hongrie et, cette demande ayant été rejetée par les autorités hongroises, elle fait l’objet d’une mesure d’expulsion vers la Serbie. Elle affirme qu’en la renvoyant de force en Serbie, la Hongrie violerait les droits qu’elle tient de l’article 7, lu isolément et conjointement avec le paragraphe 3 a) de l’article 2, et de l’article 13 du Pacte. L’auteure est représentée par le Comité Helsinki hongrois. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour la Hongrie le 7 septembre 1988.

1.2Le 25 mai 2016, conformément à l’article 92 du règlement intérieur du Comité, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires a demandé à l’État partie de ne pas expulser l’auteure vers la Serbie tant que son cas était à l’examen devant le Comité.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1L’auteure est née au Cameroun. Elle habitait à Douala (Cameroun) avec son fils et sa sœur. Le 8 février 2015, alors qu’elle était sortie avec son fils, des individus non identifiés ont pénétré dans son appartement et ont violemment frappé sa sœur au motif de son homosexualité. L’homosexualité est illégale au Cameroun. À la suite de cette agression, les autorités camerounaises ont émis un mandat d’arrêt à l’égard de l’auteure et de sa sœur, accusant l’auteure de faciliter l’homosexualité. L’auteure a donc fui avec son fils et sa sœur dans le nord du Cameroun.

2.2Peu après, le mandat d’arrêt a été étendu à l’ensemble du territoire. L’auteure est donc partie, en juin 2015, avec son fils et sa sœur, pour Yambio, au Soudan du Sud, chez son père et son demi-frère. Le Soudan du Sud était alors en proie à la guerre civile. Une nuit de novembre 2015, un groupe d’une trentaine d’hommes armés ont fait irruption dans la maison du père de l’auteure et ont contraint l’auteure et son père, ainsi que son demi-frère et sa sœur, respectivement, à avoir des rapports sexuels. Ils ont ensuite tué tous les hommes et garçons présents, dont le fils de l’auteure âgé de 10 ans. Après cette attaque, M. B., un ami du père de l’auteure, a proposé d’aider l’auteure et sa sœur à fuir en Europe.

2.3À une date non précisée, l’auteure et sa sœur ont fui à Istanbul (Turquie), accompagnées par M. B. À l’aéroport, M. B. a pris leurs bagages et est parti en promettant de revenir. Au lieu de quoi, elles ont vu venir deux étrangers qui les ont conduites dans une camionnette avec une dizaine d’autres personnes. Deux semaines plus tard, l’auteure et sa sœur, un bandeau sur les yeux, ont été embarquées de force dans une camionnette où se trouvaient de nombreuses autres personnes. Après avoir roulé toute la nuit sans avoir été informées de leur destination, elles sont arrivées le lendemain matin à Belgrade. Les trafiquants ont maintenu l’auteure et sa sœur en captivité dans une maison pendant au moins un mois, jusqu’en février 2016. Pendant cette période, ils les ont violées et contraintes à se prostituer.

2.4Une nuit de février 2016, les trafiquants ont abandonné l’auteure, sa sœur et plusieurs autres captifs dans une forêt à proximité de la frontière hongroise en leur disant qu’ils se trouvaient en Hongrie alors qu’en fait ils étaient toujours en Serbie. Le 23 février 2016, après avoir marché dans la direction que leur avait indiquée les trafiquants, l’auteure et sa sœur sont entrées en Hongrie en se faufilant à travers le grillage à la frontière. Elles ont été appréhendées par la police et conduites au bureau local du contrôle de la frontière, à Szeged, où elles ont demandé l’asile. Le 24 février 2016, elles ont été placées dans le centre d’accueil pour réfugiés de Bicske.

2.5Le 11 avril 2016, le Bureau de l’immigration et de la nationalité a interrogé l’auteure pour la première et unique fois. Un interprète francophone était présent. Mais, à la fin de l’entretien, l’interrogateur n’a pas donné lecture de la transcription de l’entretien à l’auteure, qui n’a donc pas pu en corriger les erreurs. Le 13 avril 2016, des conseillers juridiques du Comité Helsinki hongrois ont rencontré l’auteure et lui ont communiqué la traduction de la transcription de son entretien. Ils ont relevé avec elle les erreurs qui y figuraient et établi un document que l’auteure a soumis au Bureau de l’immigration et de la nationalité.

2.6Le 15 avril 2016, le Bureau de l’immigration et de la nationalité a déclaré la demande d’asile de l’auteure irrecevable en vertu de l’article 51 2) e) de la loi LXXX de 2007 sur l’asile (loi relative à l’asile), au motif que l’auteure était arrivée par la Serbie, un pays tiers qui était considéré comme sûr. L’auteure prétend que le Bureau de l’immigration et de la nationalité n’a accordé aucune considération au document établi par le Comité Helsinki. Dans sa décision, le Bureau de l’immigration et de la nationalité a cité des renseignements concernant la Serbie et s’est référé à la protection constitutionnelle du droit d’asile en Serbie et au fait que ce pays avait ratifié plusieurs instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme garantissant ce droit et disposait d’une loi sur l’asile qui était entrée en vigueur en 2008 et d’un cadre juridique régissant la prise des décisions à cet égard et l’examen de ces décisions. Mais le Bureau de l’immigration et de la nationalité n’a pas examiné la question de savoir si l’accès à l’asile en Serbie était garanti dans la pratique et n’a fait aucune mention des violences sexuelles que l’auteure avait subies dans ce pays. Il n’a pas non plus évalué ce qu’elle avait dit des atrocités dont elle et sa sœur avaient fait l’objet à Belgrade, ni tenu compte du fait qu’elles avaient été victimes de traite. Le Bureau de l’immigration et de la nationalité a donc conclu à tort que l’auteure avait eu la possibilité de demander l’asile en Serbie, et il a ordonné son expulsion et émis à son endroit une interdiction d’entrée du territoire de deux ans.

2.7La décision du Bureau de l’immigration et de la nationalité a été communiquée à l’auteure le 20 avril 2016. L’auteure l’a contestée auprès du tribunal administratif et du travail de Budapest et a demandé une audience individuelle. Le 26 avril 2016, le conseil de l’auteure a fait part d’observations urgentes au tribunal, par l’intermédiaire du Bureau de l’immigration et de la nationalité. Il a fait valoir que la Serbie ne pouvait pas être considérée comme un pays tiers sûr pour l’auteure ; que l’évaluation individuelle concernant le refoulement en Serbie n’avait pas été effectuée avec toute l’attention voulue ; que les déclarations de l’auteure sur sa captivité et son viol en Serbie n’avaient pas donné lieu à l’enquête spéciale requise du fait de sa vulnérabilité particulière ; qu’aucun expert médical n’avait été dépêché pour examiner l’auteure ; et que le Bureau de l’immigration et de la nationalité n’avait produit aucun élément prouvant que la Serbie était un pays sûr pour l’auteure, ni donné à celle-ci la possibilité de faire part de ses commentaires à ce sujet.

2.8Le Bureau de l’immigration et de la nationalité dit avoir reçu ces observations le 29 avril 2016 ; or, malgré leur caractère d’urgence, il ne les a transmises au tribunal que le 2 mai 2016. Le conseil de l’auteure a appelé le tribunal les 2 et 3 mai 2016 pour savoir s’il avait reçu les observations, mais on l’a informé que celles-ci n’étaient pas parvenues au tribunal et que l’affaire n’était pas enregistrée. Le 4 mai 2016, le conseil a rappelé le tribunal et a été informé qu’un numéro avait été assigné à l’affaire le 3 mai dans l’après-midi et que le tribunal s’était déjà prononcé à son sujet. La décision du tribunal étant datée du 3 mai 2016, il est manifeste que les observations de l’auteure n’ont pas été dûment examinées. Le juge n’a pas mentionné le fait que l’auteure était représentée dans la procédure.

2.9Dans sa décision du 3 mai 2016, le tribunal administratif et du travail de Budapest a rejeté l’appel de l’auteure et confirmé la décision du Bureau de l’immigration et de la nationalité, déclarant que l’auteure n’avait présenté aucun fait nouveau concernant les points d’ordre juridique soulevés par son affaire. Il n’avait donc pas jugé utile d’entendre l’auteure en personne. Le tribunal a ensuite considéré que l’auteure n’avait pas présenté de faits expliquant pourquoi la Serbie ne serait pas pour elle un pays sûr et a fait observer qu’elle aurait pu demander l’asile en Serbie et invoquer une protection effective, ce qu’elle n’avait pas fait. Il a conclu que les renseignements concernant le pays montraient qu’un asile pouvait être accordé en Serbie. Il a en outre déclaré ce qui suit : « conformément à la section 2 du décret gouvernemental 191/2015 (VII.21) sur les pays d’origine et pays tiers sûrs, la Serbie, en tant que candidate reconnue à l’adhésion à l’Union européenne, est un pays tiers sûr. Ce décret établit une présomption (praesumptio juris) concernant la sûreté de la Serbie. Le Bureau de l’immigration et de la nationalité a porté ce fait à l’attention de la requérante dans le cadre de la procédure d’asile mais celle-ci n’a présenté aucun fait expliquant pourquoi la Serbie ne serait pas pour elle un pays sûr. ».

2.10L’auteure dit que, conformément à l’article 53 5) de la loi relative à l’asile, les décisions du tribunal administratif et du travail de Budapest en matière d’asile ne sont pas susceptibles d’appel et qu’elle a donc épuisé tous les recours internes.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure affirme que son expulsion vers la Serbie l’exposerait à une violation de l’article 7 du Pacte. Renvoyant aux observations générales du Comité no 20 (1992) sur l’interdiction de la torture et des autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et no 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, l’auteure dit que si un État partie prend une décision concernant une personne relevant de sa juridiction qui aura pour conséquence prévisible une violation des droits de cette personne dans une autre juridiction, l’État partie lui-même peut être coupable d’une violation du Pacte. Le Comité a également indiqué que le risque doit être personnelet qu’il faut des motifs sérieux pour établir qu’il existe un risque réel de préjudice irréparable. Tous les faits et circonstances pertinents doivent donc être pris en considération, notamment la situation générale des droits de l’homme dans le pays de renvoi. Il existe des motifs sérieux de croire que le renvoi de l’auteure en Serbie créerait un risque réel de préjudice irréparable équivalant à un traitement inhumain ou dégradant.

3.2L’auteure renvoie à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Budinac. Russie, selon laquelle le fait pour un État partie de ne pas agir pour remédier à une situation grave dans sa juridiction peut constituer un traitement inhumain ou dégradant. Elle renvoie également à l’affaire M .  S .  S .c. Belgique et Grèce, dans laquelle la Cour a considéré que les conditions d’accueil inappropriées et les sérieuses défaillances de la procédure d’asile constituaient un traitement inhumain et dégradant.

3.3L’auteure pointe ensuite les multiples insuffisances du système d’asile serbe régulièrement relevées ces dernières années dans des rapports publiés par des organisations nationales et internationales, notamment le fait que les demandes d’asile ne sont pas systématiquement enregistrées, sont souvent rejetées et sont examinées après de longs délais, que la procédure d’asile n’est pas assortie de garanties procédurales et que les demandeurs vulnérables ne sont pas repérés.

3.4Les personnes renvoyées en Serbie n’ont pas accès, dans la pratique, à la procédure d’asile et aux structures d’accueil. Elles sont au contraire poursuivies pour franchissement illégal de la frontière, infraction pénale passible d’une peine d’amende ou d’emprisonnement. Dans la pratique, la plupart se voient adresser un simple avertissement, mais la décision du tribunal s’accompagne d’une décision du Ministère de l’intérieur qui met fin au droit du demandeur d’asile de séjourner sur le territoire serbe. Une fois cette décision prise, les demandeurs d’asile ne sont plus autorisés à rester dans les camps de réfugiés du pays et, faute de résidence enregistrée, ne peuvent pas déposer officiellement une demande d’asile en Serbie.

3.5Il y a en outre un manque critique de places d’accueil en raison de l’important afflux de migrants en Serbie. À cause des nombreux migrants qui entrent en Serbie et de la mauvaise gestion des centres d’accueil pour demandeurs d’asile, qui refusent parfois les personnes munies d’une attestation d’entrée, beaucoup de demandeurs d’asile sont obligés de coucher dehors par mauvais temps dans les bois environnants ou dans des immeubles abandonnés, ce qui constitue un traitement inhumain et dégradant. En outre, les réfugiés sont souvent victimes de brutalités policières, contraints à verser des pots-de-vin, insultés verbalement et violentés, et privés d’accès au territoire serbe.

3.6L’auteure affirme aussi que si elle était renvoyée en Serbie, elle serait exposée à un refoulement en chaîne. Elle se réfère aux nombreuses informations concordantes et dignes de foi indiquant que les demandeurs d’asile sont systématiquement refoulés dans l’ex-République yougoslave de Macédoine sans que leur situation individuelle ait été examinée et sans avoir pu demander l’asile. L’article 33 de la loi serbe relative à l’asile incorpore le principe de « pays tiers sûr », qui permet de refuser une demande sans l’examiner au fond, à moins que le demandeur d’asile puisse prouver que le pays n’est pas sûr pour lui. Ce principe est systématiquement appliqué, sachant que la liste des pays tiers sûrs, qui n’a pas été actualisée depuis 2009, inclut tous les États frontaliers de la Serbie et la quasi-totalité des États par lesquels les demandeurs d’asile doivent passer pour gagner la Serbie (dont la Grèce, l’ex-République yougoslave de Macédoine et la Turquie). Ne sont considérés ni les critères permettant de déterminer si le pays tiers prévoit une procédure d’asile juste et efficace, ni la question de savoir s’il existe une protection effective. L’auteure risque donc d’être expulsée vers l’ex-République yougoslave de Macédoine puis vers la Grèce, sans que sa demande d’asile ait fait l’objet d’un examen au fond. Les défaillances systémiques du dispositif d’asile grec l’exposeront à un risque d’expulsion en chaîne, en violation du principe de non-refoulement, et elle risque au bout du compte de se retrouver dans son pays d’origine, où elle sera exposée à des persécutions.

3.7Plusieurs organisations internationales se sont dites préoccupées par la procédure d’asile et les violations des droits de l’homme en Serbie. Par exemple, en mai 2015, le Comité contre la torture a exhorté la Serbie à « poursuivre et intensifier ses efforts pour faciliter l’accès à une procédure de détermination du statut de réfugié rapide, équitable et individualisée afin d’éviter le risque de refoulement » et à « veiller à ce que la procédure d’asile prévoie un examen approfondi des demandes effectué dans le respect du principe du non-refoulement, que le pays de destination soit considéré comme sûr ou non ». Le HCR est lui aussi d’avis que la Serbie n’est pas sûre pour les demandeurs d’asile et recommande de ne pas les renvoyer dans ce pays. La Commission européenne, dans son rapport sur la Serbie pour 2014, a également relevé l’absence d’accès effectif à la procédure d’asile en Serbie et souligné la nécessité de réformer radicalement le système d’asile.

3.8En Hongrie, la demande d’asile de l’auteure n’a pas été examinée au fond, les autorités ayant simplement vérifié que la Serbie avait souscrit à des obligations internationales et était dotée de dispositions législatives, sans s’assurer qu’elles étaient effectivement appliquées en Serbie. Cela n’est pas conforme à la jurisprudence de la Cour européenne, qui a considéré dans l’affaire M .  S .  S .c. Belgique et Grèce que « l’existence de textes internes et l’acceptation de traités internationaux garantissant, en principe, le respect des droits fondamentaux ne suffisent pas, à elles seules, à assurer une protection adéquate contre le risque de mauvais traitements ». Les autorités hongroises ont complètement ignoré le fait que l’auteure était une victime de la traite qui avait subi de graves violences en Serbie, qu’elle avait été maintenue en captivité, contrainte à se prostituer et violée à plusieurs reprises avant d’être abandonnée par ses ravisseurs dans la forêt à la frontière hongroise, et qu’elle n’aurait donc pas pu demander l’asile en Serbie même si elle l’avait voulu. Il est évident que les autorités hongroises n’ont pas procédé à un examen approfondi et personnalisé tenant compte des circonstances personnelles de l’auteure et de la situation générale existant dans le pays de renvoi à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne.

3.9L’auteure est particulièrement exposée à un traitement inhumain et dégradant en Serbie car elle est une femme seule qui a été victime de la traite et a connu de ce fait des problèmes de santé mentale et psychologique. Elle souffre de troubles post-traumatiques et de troubles dépressifs importants. Elle a été violée plusieurs fois et privée de liberté quand elle était en Serbie, ce qui constitue, d’après l’observation générale no 20 du Comité, une violation de l’article 7 du Pacte. Aucun de ces facteurs n’a été pris en considération par le Bureau de l’immigration et de la nationalité ou par le tribunal administratif et du travail de Budapest dans le cadre de la procédure d’asile.

3.10Différents rapports montrent par ailleurs que les victimes de la traite ne sont pas suffisamment protégées en Serbie. Celles qui ont été secourues passent parfois par une procédure longue et impersonnelle qui peut entraîner un traumatisme secondaire. Leur identité n’est souvent pas protégée efficacement par les autorités, ce qui peut les mettre en danger. Les efforts faits par les autorités pour repérer les victimes de traite parmi les demandeurs d’asile sont jugés insuffisants et les victimes de viol sont dans une situation très difficile en Serbie, craignant de faire l’objet de représailles de la part de leurs agresseurs et d’être humiliées devant le tribunal. La population est peu sensibilisée à la question du harcèlement sexuel, les pouvoirs publics ne font pas correctement appliquer la loi et le nombre de plaintes déposées par des femmes demeure faible.

3.11S’agissant de l’article 13 du Pacte, l’auteure a été privée de la possibilité de faire valoir les raisons militant contre son expulsion et d’être représentée devant le tribunal administratif et du travail de Budapest. Après son entretien avec le Bureau de l’immigration et de la nationalité, il ne lui a pas été donné lecture de la transcription de l’entretien pour qu’elle puisse en corriger d’éventuelles erreurs. Le Bureau de l’immigration et de la nationalité n’a en outre pas pris en compte le rapport du Comité Helsinki hongrois dans sa décision, notamment le fait que l’auteure et sa sœur ont été victimes de traite et d’abus sexuels en Serbie. Bien que l’auteure ait déposé un recours dans le délai légal de sept jours, le tribunal a statué sur son cas sans examiner ses observations, que le Bureau de l’immigration et de la nationalité lui avait transmises avec un retard d’une semaine. L’auteure dit d’autre part que dans le cas de sa sœur, dont la plainte a été rejetée le même jour selon les mêmes procédures, le recours est en instance car le tribunal administratif et du travail de Budapest n’a pas statué dans les huit jours et a donc pu prendre en compte les observations du conseil et les pièces fournies.

3.12L’auteure a en outre été privée de la possibilité d’exprimer son opinion sur son expulsion car le tribunal a refusé de l’entendre personnellement comme elle en avait fait la demande. Ceci est contraire aux constatations adoptées par le Comité dans l’affaire Ahanic. Canada .Dans cette affaire, le Comité a considéré qu’en ne donnant pas les garanties de procédure à l’auteur au motif qu’il n’avait pas montré qu’il courait un risque, l’État partie avait enfreint les dispositions de l’article 13 en vertu desquelles il était tenu d’autoriser l’auteur à faire valoir les raisons militant contre son expulsion et de faire réexaminer son dossier par une autorité compétente.

3.13En ce qui concerne l’allégation de violation du paragraphe 3 a) de l’article 2, lu conjointement avec l’article 7 du Pacte, l’examen judiciaire du tribunal administratif et du travail de Budapest n’a pas constitué un recours utile. Le tribunal, au lieu de prendre en considération l’avis d’organes internationaux comme celui du HCR concernant les défaillances pratiques de la procédure d’asile serbe, s’est fondé sur le fait que la Serbie disposait d’une loi relative à l’asile pour garantir une protection et avait ratifié les conventions pertinentes. De plus, le Bureau de l’immigration et de la nationalité n’a pas transmis dans les meilleurs délais les observations du conseil de l’auteure au tribunal, qui n’a pas eu le temps de les examiner dans les huit jours impartis. Le délai de huit jours imparti au tribunal pour se prononcer est en général insuffisant pour permettre, comme le prescrit le droit de l’Union européenne, « un examen complet et ex nunc tant des faits que des points d’ordre juridique ». Cinq ou six jours ouvrables ne suffisent pas à un juge pour obtenir des éléments de preuve déterminants, tels qu’un résumé traduit des renseignements concernant le pays ou un avis médical/psychologique spécialisé, ou pour organiser une audience individuelle avec un interprète compétent.

3.14De surcroît, le recours n’est pas utile parce qu’il n’y a pas d’obligation d’organiser une audience individuelle devant un juge, ce qui est particulièrement problématique car les audiences sont une garantie essentielle dans le cadre de la procédure d’examen judiciaire lorsque le juge de première instance rend une décision définitive qui n’est pas susceptible d’appel. Du fait du délai excessivement court et de l’absence d’audience individuelle, l’examen judiciaire risque de se réduire à une simple formalité, le juge ne disposant pour toute information que les pièces du dossier fournies par le Bureau de l’immigration et de la nationalité. Ainsi, eu égard au risque de préjudice irréparable pouvant découler − directement ou indirectement − du renvoi d’un requérant dans un pays tiers, l’affaire de l’auteure n’a pas fait l’objet d’un « examen rigoureux » conformément au principe établi par la jurisprudence de la Cour européenne. En omettant d’apprécier le risque potentiel que l’auteure soit soumise à un traitement inhumain et dégradant si elle est renvoyée en Serbie et le risque ultérieur de refoulement en chaîne, la procédure d’examen judiciaire devant le tribunal administratif et du travail de Budapest enfreint les dispositions du paragraphe 3 a) de l’article 2, lu conjointement avec l’article 7 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 21 décembre 2016, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il affirme que l’auteure a souscrit à la transcription de son entretien avec le Bureau de l’immigration et de la nationalité, laquelle lui a été lue, conformément à ce qui y est consigné et comme l’attestent sa signature et celle de l’interprète. De plus, à l’audience, l’auteure a été expressément priée de dire si elle avait bien compris les propos de l’interprète ; elle a répondu par l’affirmative, déclarant n’avoir pas rencontré de problèmes de communication. C’est donc à l’auteure qu’il incombe de réfuter les preuves documentaires du dossier dans la procédure administrative.

4.2En ce qui concerne la décision du Bureau de l’immigration et de la nationalité en date du 15 avril 2016, les observations de l’auteure concernant la transcription de son entretien ne sont parvenues au Bureau qu’après que l’autorité eut rendu sa décision. Celle-ci n’a donc pas pu les examiner. Ces observations étaient toutefois jointes au dossier que l’autorité chargée des réfugiés a transmis au tribunal compétent pour examen judiciaire.

4.3L’article 93 2) de la loi relative à l’asile prévoit que le Gouvernement peut définir par décret la liste des pays d’origine et des pays tiers sûrs. Conformément à la section 2 du décret gouvernemental no 191/2015 (VII.21), les pays candidats à l’adhésion à l’Union européenne, au nombre desquels figure la Serbie, appartiennent au groupe des pays tiers sûrs.

4.4En ce qui concerne le recours formé par l’auteure contre la décision du Bureau de l’immigration et de la nationalité, la requête en appel a été reçue par l’autorité chargée des affaires d’asile le 25 avril 2016. Conformément à l’article 53 3) de la loi relative à l’asile, le Bureau de l’immigration et de la nationalité a immédiatement transmis cette requête ainsi que la contre-requête au tribunal compétent pour examen judiciaire. L’autorité a transmis l’affaire au tribunal le 28 avril 2016. Les observations préliminaires du représentant légal de l’auteure ont été reçues par le Bureau de l’immigration et de la nationalité le 29 avril 2016 et, une fois enregistrées, remises le même jour à la personne chargée de l’affaire. En raison de la brièveté des délais fixés pour la procédure judiciaire, le document a été enregistré et déposé auprès du tribunal le jour ouvrable suivant. Ainsi, le 2 mai 2016, le Bureau de l’immigration et de la nationalité avait transmis les documents au tribunal. Étant donné le volume de la documentation préliminaire, l’autorité chargée des affaires d’asile a envoyé la demande d’asile par la poste au tribunal administratif et du travail. Les demandes en révision doivent être déposées auprès des autorités chargées des affaires d’asile, comme le prévoit l’article 53 3) de la loi relative à l’asile, alors que, conformément à l’article 93 2) du Code de procédure civile, les pièces complémentaires sont adressées directement au tribunal. L’insuccès de la démarche du représentant légal de l’auteure ne saurait par conséquent être attribué au Bureau de l’immigration et de la nationalité, contrairement à ce que prétend l’auteure.

4.5En ce qui concerne la décision définitive du tribunal, les atrocités que l’auteure dit avoir subies de la part de trafiquants n’ont rien à voir avec la décision prise par l’autorité chargée des questions d’asile. Le seul fait que l’auteure ne se soit pas plainte devant les autorités serbes des infractions pénales qu’elle allègue, ou qu’elle n’ait pas déposé de demande d’asile, ne signifie pas que les autorités serbes ne lui auraient pas accordé une protection contre les persécutions ou contre le préjudice grave qu’elle affirmait avoir subis.

4.6Quant au renvoi à l’arrêt de la Cour européenne dans l’affaire Budinac. Russie, qui a considéré que toute indifférence ou inaction de la part des autorités peut constituer un traitement inhumain et dégradant, l’État partie fait observer que ces conclusions ne sont pas applicables en l’espèce car l’autorité chargée des questions d’asile a bien mené une procédure et s’est fondée sur des motifs juridiques pour déclarer la demande irrecevable.

4.7En ce qui concerne l’affirmation de l’auteure disant que sa demande d’asile n’a pas été examinée au fond, l’autorité ne pouvait pas examiner le fond de l’affaire, c’est-à-dire la question de savoir si l’auteure avait effectivement subi des persécutions ou un préjudice grave dans son pays d’origine. À ce stade, elle pouvait se prononcer uniquement sur la question de savoir quel État membre était responsable de l’examen de la demande d’asile.

4.8La Serbie est régie par l’état de droit, a ratifié plusieurs instruments relatifs aux droits de l’homme et a adopté une loi sur l’asile reposant sur le principe de non-refoulement. Cette loi garantit que les personnes qui se trouvent dans une situation similaire ou identique à celle de l’auteure sont reconnues comme réfugiées ou reçoivent une protection temporaire en Serbie. L’auteure avait donc une réelle possibilité de déposer une demande de protection internationale en Serbie. Or elle ne s’est pas prévalue de cette possibilité et refuse toujours de le faire. D’ailleurs, d’après les informations disponibles sur la Serbie, il existe un cadre institutionnel régissant le dépôt des demandes d’asile et leur examen en bonne et due forme. En outre, la Serbie est un pays candidat à l’adhésion à l’Union européenne et, à ce titre, elle a officiellement déclaré qu’elle acceptait l’acquis communautaire en matière de liberté, de sécurité et de justice (au 1er janvier 2016), y compris la partie garantissant des normes élevées de protection internationale et constituant les éléments du régime d’asile européen commun.

4.9S’agissant de la référence faite par l’auteure à la position officielle du HCR et de la Commission européenne concernant la Serbie, selon l’avis no 1/2016 (21 mars) de la Curie (Cour suprême) hongroise, les lois de l’Union européenne et leurs modifications concernant la réglementation de l’activité législative des États membres autorisent les États membres à décider individuellement de la liste des pays tiers sûrs. Conformément à la section 3 2) du décret gouvernemental no 191/2015 (VII.21), un demandeur d’asile qui, avant d’arriver sur le territoire hongrois, a séjourné dans un pays ou transité par un pays figurant sur la liste de l’Union européenne en tant que pays tiers sûr peut établir dans le cadre de la procédure d’asile qu’il n’a eu aucun accès dans ce pays à une protection effective conforme à l’article 2 i) de la loi relative à l’asile. L’article 51 11) de la loi dispose qu’une personne faisant une telle déclaration peut expliquer, immédiatement ou dans les trois jours au plus tard, pourquoi tel pays ne serait pas un pays d’origine ou un pays tiers sûr dans son cas particulier.

4.10Lorsqu’elle a été entendue dans le cadre de la procédure d’asile, l’auteure a été informée que la Serbie était considérée comme un pays tiers sûr, et que, conformément à la loi susmentionnée, elle avait trois jours pour réfuter une telle présomption. L’auteure a confirmé avoir compris cette information mais n’a fait aucune déclaration à cet égard, sauf pendant la procédure judiciaire, alors qu’il était trop tard. Lorsqu’elle se prononce sur la recevabilité d’une demande, l’autorité peut uniquement examiner la question de savoir si le demandeur a résidé sur le territoire d’un pays tiers sûr ou transité par un tel territoire, et s’il a eu une réelle possibilité de demander une protection effective dans le pays en question. D’autre part, eu égard à l’article 3.1 b) de l’accord de réadmission conclu entre la Communauté européenne et la Serbie promulgué par la décision no 2007/819/CE du Conseil de l’Union européenne, l’autorité d’asile hongroise n’avait aucune raison de penser que la Serbie, en tant que pays candidat à l’adhésion à l’Union européenne, ne respecterait pas les obligations qui lui incombent en vertu d’un traité international conclu avec l’Union européenne. Par conséquent, il a été raisonnablement établi que, dans le cas de l’auteure, la Serbie peut être considérée comme un pays tiers sûr en mesure d’approuver sa demande d’asile.

4.11En ce qui concerne les allégations d’expulsion en chaîne vers la Macédoine et la Grèce, le système d’asile grec a connu des changements notables. Au cours des cinq dernières années, la Grèce a reçu une assistance financière et technique importante sur les fonds de l’Union européenne pour pouvoir développer son système d’asile et résorber l’arriéré d’affaires. Depuis octobre 2015, dans le cadre du plan de mise en opération des « hotspots grecs », le Bureau européen d’appui en matière d’asile a en outre dépêché en Grèce 136 experts des États membres afin de seconder le Service grec pour les réfugiés dans les domaines suivants : flux d’information, enregistrement, traitement des cas Dublin et détection de faux documents. Récemment, l’Union européenne a alloué des sommes considérables à l’amélioration de la situation des demandeurs d’asile en Grèce, et les choses ont beaucoup évolué, en particulier les conditions et les capacités de logement. La Grèce a en outre appliqué l’acquis communautaire, qui contient les éléments du régime d’asile européen commun, a mis sur pied un système d’asile (service des réfugiés) et a créé un organe d’examen judiciaire indépendant.

4.12Quant à la vulnérabilité de l’auteure, celle-ci n’a pas indiqué qu’elle avait besoin d’assistance à cause de quelconques problèmes physiques ou mentaux, que ce soit auprès des administrateurs de l’autorité d’asile ou des travailleurs sociaux du centre d’accueil, bien qu’elle ait eu la possibilité de le faire. De plus, les déclarations qu’elle a faites devant le Bureau de l’immigration et de la nationalité étaient marquées par des incohérences, ce qui jetait un doute sur sa crédibilité.

4.13En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 13 et du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’auteure ne s’est pas prévalue de la possibilité qu’elle avait de réfuter la présomption selon laquelle la Serbie était considérée comme un pays tiers sûr alors qu’elle avait été informée en temps utile que la loi lui imposait de le faire. Elle n’est intervenue à ce sujet qu’à l’audience. Le Bureau de l’immigration et de la nationalité s’est acquitté de l’obligation qu’il avait d’offrir des recours utiles à l’auteure, puisque la demande en révision de celle-ci et ses observations ultérieures ont été transmises au tribunal le premier jour ouvrable suivant leur réception.

4.14S’agissant de l’affirmation de l’auteure selon laquelle le juge a statué sur son cas sans tenir compte des observations de son conseil, le tribunal a révisé la décision de l’autorité d’asile dans le cadre d’une procédure dite non contentieuse. Il a donc établi les faits en se fondant sur les éléments figurant au dossier de la procédure administrative. Selon l’article 53 4) de la loi relative à l’asile, le tribunal statue sur les demandes en révision en se fondant sur les documents disponibles dans le cadre d’une procédure non contentieuse, et ce, dans les huit jours à compter de la date de réception de la demande de recours. Il prend en considération l’ensemble des faits et des aspects juridiques connus à la date où il rend sa décision. Des audiences individuelles peuvent avoir lieu si elles sont jugées nécessaires, même sans que l’intéressé en fasse la demande. La décision d’organiser de telles audiences appartient au juge. Si le tribunal n’a pas jugé nécessaire d’entendre l’auteure, il a quand même fondé sa décision sur les déclarations qu’elle avait faites personnellement dans le cadre de la procédure d’asile.

4.15Dans le souci de protéger les demandeurs d’asile et de garantir le respect du principe de non-refoulement, l’article 51/A de la loi sur l’asile dispose que si le pays d’origine sûr ou le pays tiers sûr refuse de réadmettre le demandeur d’asile, l’autorité d’asile annule sa décision et relance la procédure.

4.16Pour toutes ces raisons, l’État partie considère que les articles du Pacte invoqués par l’auteure dans la présente communication n’ont pas été violés.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Dans ses commentaires en date du 23 mars 2017, l’auteure maintient que la transcription de son entretien avec le Bureau de l’immigration et de la nationalité ne lui a pas été lue et qu’elle n’a pas été informée de la déclaration indiquant qu’il lui en avait été donné lecture. Elle a signé cette transcription sans en connaître la teneur exacte.

5.2En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel elle ne s’est plainte d’aucun problème de communication avec l’interprète pendant l’entretien, les erreurs de transcription ne tiennent pas toujours à une mauvaise communication avec l’interprète mais peuvent survenir, même involontairement, lors de la traduction des déclarations du demandeur d’asile ou lors de la frappe de la traduction par l’agent concerné. D’où l’existence de la garantie procédurale prévue à l’article 17 3) de la Directive de l’Union européenne relative aux procédures d’asile (refonte), qui dispose que les États membres veillent à ce que le demandeur ait la possibilité de faire des commentaires et/ou d’apporter des précisions, oralement et/ou par écrit, concernant toute erreur de traduction ou tout malentendu dans le rapport ou la transcription, à la fin de l’entretien personnel ou dans un délai précis avant que l’autorité responsable de la détermination ait pris une décision.

5.3L’auteure a soumis ses corrections concernant la transcription au service du Bureau de l’immigration et de la nationalité du camp de réfugiés de Bicske le 13 avril 2016, c’est-à-dire deux jours seulement après l’entretien. Ce n’est donc pas de sa faute si le département du Bureau de l’immigration et de la nationalité de Budapest qui a rendu la décision le 15 avril 2016 n’avait pas reçu ce document à temps. La transcription a le statut de preuve documentaire et aurait dû être prise en considération par le Bureau de l’immigration et de la nationalité.

5.4La Serbie ne peut pas être considérée comme un pays tiers sûr pour elle à cause des violations qu’elle y a subies. Il ne suffit pas qu’un pays dispose d’une loi sur l’asile, ait ratifié des traités dans ce domaine et soit candidat à l’adhésion à l’Union européenne pour pouvoir être considéré comme un pays sûr pour un demandeur d’asile ; « la situation générale dans un autre pays, notamment la capacité de ses pouvoirs publics à offrir une protection, doit être établie d’office par les autorités nationales compétentes en matière d’immigration », surtout « lorsque les informations sur un tel risque sont faciles à vérifier à partir d’un grand nombre de sources ». Quant à la déclaration de l’État partie disant que l’auteure pourrait, à son retour en Serbie, se plaindre devant les autorités des violations qu’elle avait subies dans ce pays, les rapports que l’auteure a portés à l’attention du Comité indiquent que les victimes de traite et de viol ne sont pas suffisamment protégées en Serbie (voir plus haut par. 3.10).

5.5L’auteure cite l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Ilias et Ahmed c. Hongrie, considérant que les problèmes de fond dans son cas sont identiques aux défaillances révélées par la Cour européenne. La Cour a constaté que l’expulsion des requérants vers la Serbie les exposerait à un risque réel de traitement inhumain ou dégradant, consistant en une situation de refoulement en chaîne vers la Grèce, où ils seraient soumis à des conditions d’accueil inhumaines et dégradantes. La Cour a réaffirmé que, d’après la position officielle du HCR, la Serbie n’était pas un pays sûr pour les demandeurs d’asile. L’État partie ne peut pas simplement se fonder sur une liste de pays tiers sûrs sans prendre en compte les informations existant sur le pays.

5.6En théorie, l’État partie a correctement appliqué la procédure d’asile. Toutefois, plusieurs problèmes sont survenus dans le cas de l’auteure. Moins de vingt-quatre heures se sont écoulées entre le moment où son recours a été enregistré et le moment où le tribunal a statué à son sujet (voir plus haut par. 2.8). Pareille rapidité peut s’expliquer par le fait que la décision rendue dans son cas reproduit littéralement d’autres décisions adoptées dans des affaires où le Comité Helsinki hongrois contestait l’affirmation selon laquelle la Serbie était un pays tiers sûr, la seule chose qui ait été modifiée étant son nom. De plus, le conseil de l’auteure a envoyé ses observations six jours après qu’elle eut été informée du rejet de sa demande, c’est-à-dire dans le délai de sept jours imparti, mais ces observations n’ont pas été transmises au tribunal à temps par l’autorité compétente et n’ont donc pas pu être prises en considération dans le jugement.

5.7À propos de l’affirmation de l’État partie disant qu’elle n’avait pas réfuté la présomption selon laquelle la Serbie était un pays tiers sûr alors qu’elle avait été informée qu’elle pouvait produire d’autres éléments de preuve à cet effet dans les trois jours après son entretien avec le Bureau de l’immigration et de la nationalité, l’auteure dit qu’elle n’avait pas pu le faire parce qu’elle avait été maintenue en captivité pendant tout son séjour en Serbie et était donc dans l’incapacité de réunir des éléments de preuve supplémentaires. Ses déclarations concernant la manière dont elle avait été traitée en Serbie suffisaient à prouver que la Serbie n’était pas pour elle un pays sûr, mais ces faits n’avaient même pas été mentionnés dans la décision du Bureau de l’immigration et de la nationalité ni pris en considération par le tribunal. Les autorités hongroises n’ont donc pas examiné avec toute la diligence voulue la question de savoir si l’auteure avait réellement la possibilité de demander une protection effective.

5.8Quant à l’allégation de l’État partie selon laquelle elle n’aurait pas précisé qu’elle avait besoin d’aide pour des problèmes physiques et mentaux, il ressort de la déclaration que l’auteure a faite lors de son entretien avec le Bureau de l’immigration et de la nationalité qu’elle a été victime de tortures et a subi un profond traumatisme, ce qui fait qu’elle relève de la catégorie des personnes particulièrement vulnérables au regard de l’article 2 k) de la loi relative à l’asile et de l’article 21 de la Directive relative aux conditions d’accueil. Selon l’auteure, c’est aux autorités qu’il incombe d’identifier les demandeurs d’asile vulnérables, et ce n’était pas à elle d’informer le Bureau de l’immigration et de la nationalité qu’elle pouvait prétendre au statut de personne ayant besoin d’un traitement spécial, d’autant que sa vulnérabilité était évidente.

5.9L’auteure informe d’autre part le Comité que, le 5 décembre 2016, elle a obtenu le statut de réfugié, ce qui dément l’affirmation de l’État partie disant que ses déclarations manquaient de crédibilité.

5.10L’auteure conteste l’allégation de l’État partie selon laquelle le Bureau de l’immigration et de la nationalité aurait envoyé ses observations ultérieures au tribunal le premier jour ouvrable suivant la date de leur réception. Le Bureau de l’immigration et de la nationalité n’a envoyé ces observations que le 2 mai 2016, donc pas le jour ouvrable suivant le 29 avril 2016, date à laquelle il les avait reçues. Enfin, l’État partie n’a avancé aucun argument prouvant que l’examen judiciaire de son affaire ait bien été effectif.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Le 26 avril 2017, l’État partie a indiqué qu’une seconde procédure d’asile avait été ouverte, le 27 juin 2016, à la demande de l’auteure. À l’audience, l’auteure avait confirmé ce qu’elle avait dit lors de son premier entretien au sujet de son trajet vers la Hongrie, mais elle avait donné davantage de détails sur les raisons de sa fuite et corrigé certains points de ses déclarations précédentes. Le tribunal a décidé d’annuler la première décision de l’autorité d’asile et de demander à celle-ci d’ouvrir une nouvelle procédure. Il a considéré que l’autorité d’asile avait enfreint l’article 64 4) de la loi relative à l’asile, qui dispose qu’il n’y a pas lieu, pour déterminer le bien-fondé des craintes de persécution d’un demandeur, de s’assurer que celui-ci possède ou non certaines caractéristiques raciales, religieuses, politiques ou d’appartenance nationale pouvant donner lieu à des persécutions, dès lors que le persécuteur lui attribue ces caractéristiques. Ainsi, le 1er décembre 2016, sur la base de la décision judiciaire susmentionnée, il a été ouvert d’office une troisième procédure d’asile, à l’issue de laquelle l’auteure a obtenu l’asile.

6.2L’auteure ne peut donc pas prétendre être victime de la violation alléguée de ses droits au titre des articles 7 et 13 du Pacte puisqu’elle ne risque plus d’être expulsée vers la Serbie. En conséquence de quoi, l’État partie demande au Comité de rejeter la plainte pour irrecevabilité.

Commentaires supplémentaires de l’auteure

7.1Le 5 juin 2017, l’auteure a insisté sur le fait qu’elle n’avait pas demandé l’asile en Serbie, contrairement à ce qu’avait déclaré l’État partie. Pendant son séjour en Serbie, elle a été maintenue en captivité par des trafiquants d’êtres humains et n’a eu aucun contact avec les autorités serbes.

7.2L’auteure n’a obtenu le statut de réfugié qu’après avoir elle-même déposé une seconde demande d’asile. Sa demande a finalement été déclarée recevable et examinée au fond. Cela tient uniquement aux mesures provisoires ordonnées par le Comité et n’est pas le résultat d’une quelconque initiative des autorités de l’État partie.

7.3Le fait que l’auteure ne risque plus d’être expulsée vers la Serbie ne signifie pas en soi qu’il n’y a pas eu violation de l’obligation positive incombant aux États de se conformer à l’article 7 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 3 a) de l’article 2. Selon la jurisprudence de la Cour européenne, « dans le domaine de l’extradition et du renvoi de migrants, la perte éventuelle du statut de victime au titre de l’article 3 de la Convention ne saurait automatiquement et rétrospectivement dispenser l’État de ses obligations au titre de l’article 13, en particulier lorsqu’il est possible de démontrer qu’un demandeur avait un grief “défendable” au titre de l’article 3 au moment où il était menacé d’un renvoi imminent ». L’auteure maintient donc son grief selon lequel les autorités hongroises n’ont pas respecté leur obligation d’accorder des garanties effectives pour la protéger d’un renvoi arbitraire en Serbie, d’où une violation potentielle de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 a) de l’article 2, du Pacte. Sa plainte porte essentiellement sur les défauts et les graves défaillances procédurales de la procédure administrative et judiciaire, qui ont conduit à la décision définitive et exécutoire de son renvoi en Serbie.

7.4Enfin, l’auteure maintient sa plainte au titre de l’article 13 du Pacte, réaffirmant que son droit de faire valoir les raisons militant contre son expulsion et d’être représentée a été violé dans le cadre de la procédure d’asile. Le fait qu’elle n’a finalement pas été renvoyée en Serbie est étranger à la violation de ce droit précis.

Nouvelles observations de l’État partie

8.1Le 7 août 2017, l’État partie a fait part de nouvelles observations. Il réitère ses arguments et conteste la déclaration de l’auteure disant que l’évaluation positive de sa seconde demande d’asile était le résultat des mesures provisoires ordonnées par le Comité. Les autorités ont examiné une nouvelle fois ce qui s’était passé en Serbie, en dépit de certaines incohérences, et considéré que, parce l’affaire faisait intervenir des questions humanitaires et des questions touchant les droits de l’homme, il n’aurait pas été approprié de suspendre la procédure − comme le demandait le représentant légal de l’auteure − en attendant une décision définitive du Comité. Il était donc dans l’intérêt de l’auteure que la décision précédente soit annulée, que la procédure soit relancée et qu’une nouvelle décision définitive soit rendue.

8.2La décision d’irrecevabilité rendue dans le cadre de la première procédure d’asile a été adoptée compte tenu de toutes les informations disponibles, sans la moindre erreur de procédure ni violation de droits et conformément aux conditions légales, ce qu’a confirmé le tribunal qui a procédé à la révision.

Nouveaux commentaires de l’auteure

9.1Le 29 août 2017, l’auteure a réitéré ses observations précédentes et salué la décision de l’État partie de réexaminer l’affaire après la décision du Comité relative à l’adoption de mesures provisoires, même si ce n’est qu’après le dépôt d’une seconde demande d’asile, le 27 juin 2016. Elle n’a pas été invitée à déposer une seconde demande d’asile par le Bureau de l’immigration et de la nationalité, et affirme que ce n’est donc pas ce Bureau qui l’a protégée d’un risque de traitement inhumain et dégradant contraire au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte. Par conséquent, si sa seconde demande a été examinée au fond, cela est dû uniquement aux mesures provisoires ordonnées par le Comité, et non à l’action des autorités hongroises.

9.2Le fait que l’auteure n’a finalement pas été renvoyée en Serbie n’a aucun rapport avec la violation de son droit, garanti à l’article 13 du Pacte, de faire valoir les raisons militant contre son expulsion et d’être représentée devant l’autorité compétente.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

10.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

10.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

10.3Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteure disant qu’elle a épuisé tous les recours internes utiles dont elle disposait. En l’absence de toute objection de la part de l’État partie à cet égard, le Comité considère qu’il n’est pas empêché d’examiner la communication en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

10.4Le Comité relève que la seconde demande d’asile de l’auteure a été acceptée et que, le 5 décembre 2016, l’auteure a obtenu le statut de réfugié en Hongrie. Il prend note aussi de l’argument de l’État partie disant que la communication devrait par conséquent être déclarée irrecevable.

10.5Le Comité note d’autre part que l’auteure, bien qu’elle ne risque plus d’être expulsée vers la Serbie, maintient sa plainte au titre de l’article 7, lu isolément et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, et de l’article 13 du Pacte, en raison des défauts et des graves défaillances qui ont caractérisé, selon elle, la procédure d’examen de sa première demande d’asile et ont conduit à la décision exécutoire de son renvoi en Serbie.

10.6Le Comité prend dûment note des allégations de l’auteure et se dit préoccupé par la manière dont la procédure a été conduite et par les conséquences directes que cela a eu pour l’auteure, sur le plan tant de son statut légal que de sa situation personnelle et de son état de santé, entre le moment où elle est arrivée et le moment où elle a obtenu le statut de réfugié en Hongrie. Le Comité prend note également de la décision favorable adoptée le 5 décembre 2016 accordant le statut de réfugié à l’auteure, qui ne risque donc plus d’être renvoyée. Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que les questions soulevées par l’auteure concernant des violations présumées de l’article 7, lu isolément et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, et de l’article 13 du Pacte, dans le cadre du rejet de sa demande d’asile, sont devenues sans objet au regard de l’article premier du Protocole facultatif. Dès lors, vu les circonstances de l’espèce, ces questions n’ont pas à être examinées plus avant dans le cadre de la présente communication.

11.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article premier du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteure.