Nations Unies

CAT/C/UZB/CO/4

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

10 décembre 2013

Français

Original: anglais

Comité contre la torture

Observations finales concernant le quatrième rapport périodique de l’Ouzbékistan *

Le Comité contre la torture a examiné le quatrième rapport périodique de l’Ouzbékistan (CAT/C/UZB/4) à ses 1172e et 1175e séances, les 29 et 30 octobre 2013 (CAT/C/SR.1172 et CAT/C/SR.1175), et adopté les observations finales ci-après à ses 1196e et 1197e séances (CAT/C/SR.1196 et 1197), le 14 novembre 2013.

A.Introduction

Le Comité se félicite de la soumission dans les délais du quatrième rapport périodique de l’Ouzbékistan, ainsi que des réponses détaillées qui ont été données à la liste des points à traiter (CAT/C/UZB/Q/4/Add.2) ou apportées par les représentants de l’État partie qui ont pris part au dialogue avec le Comité.

Le Comité sait gré à l’État partie d’avoir dépêché une délégation de haut niveau et le remercie également des informations complémentaires qui ont été données oralement et par écrit par ses représentants aux questions posées et aux préoccupations soulevées pendant l’examen du rapport.

B.Aspects positifs

Le Comité salue la ratification par l’État partie des instruments internationaux suivants:

a)Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants;

b)Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés;

c)Le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort;

d)La Convention no 182 (1999) de l’Organisation internationale du Travail (OIT) concernant l’élimination des pires formes de travail des enfants et l’action immédiate en vue de leur élimination;

e)La Convention no 138 (1976) de l’OIT concernant l’âge minimum d’admission à l’emploi;

f)Le Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants.

Le Comité salue également l’entrée en vigueur des lois suivantes:

a)La loi du 7 janvier 2008 sur les garanties des droits de l’enfant;

b)La loi du 17 avril 2008 sur la prévention de la traite des êtres humains;

c)La loi du 29 septembre 2010 relative à la prévention de l’abandon de mineurs et de la délinquance juvénile;

d)La loi du 26 avril 2011 modifiant et complétant le Code de la responsabilité administrative de la République d’Ouzbékistan en ce qui concerne l’exonération de la responsabilité administrative pour les délits de faible gravité;

e)La loi du 29 septembre 2011 sur la détention provisoire pendant la procédure pénale.

Le Comité prend note avec intérêt des efforts fournis par l’État partie pour élaborer des politiques, des programmes et des mesures administratives visant à répondre aux recommandations du Comité contre la torture, notamment l’adoption d’un plan national d’action pour faire suite à l’examen du troisième rapport périodique de l’Ouzbékistan par le Comité, en 2007.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Pratique généralisée de la torture et des mauvais traitements

Le Comité relève avec préoccupation les allégations nombreuses, persistantes et cohérentes faisant état d’un recours routinier à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements par des agents de la force publique, des enquêteurs et des agents pénitentiaires ou bien à leur instigation ou avec leur consentement, souvent dans le but d’extorquer des aveux ou des informations aux fins de l’action pénale. Tout en reconnaissant que l’État partie n’est pas soumis à la juridiction de la Cour européenne des droits de l’homme, le Comité note qu’en 2011, la Cour a affirmé que «le recours à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements contre des détenus, en Ouzbékistan, est systématique, impuni et encouragé par les agents de la force publique et des forces de sécurité». Le Comité est préoccupé par le fait que l’État partie ait qualifié d’«infondées» de nombreuses plaintes pour actes de torture mentionnées durant l’examen, dont certaines avaient déjà été examinées par d’autres mécanismes de protection des droits de l’homme des Nations Unies. Le Comité note que si l’État partie a signalé que 45 personnes avaient été poursuivies pour actes de torture entre 2010 et 2013, il a, au cours de la même période, enregistré 336 plaintes pour torture ou mauvais traitements mettant en cause des agents de la force publique. Le Comité accueille avec satisfaction les informations fournies par l’État partie indiquant que les pouvoirs législatif, judiciaire et exécutif s’emploient à combattre la torture, mais il s’inquiète de n’avoir reçu aucune information permettant de penser que des représentants du pouvoir exécutif auraient récemment condamné publiquement la torture ou adressé directement un message aux policiers et au personnel pénitentiaire pour condamner de tels agissements (art. 4, 12, 13, 15 et 16).

L’État partie devrait, d’urgence :

a) F aire le nécessaire pour enquêter rapidement et de manière impartiale et efficace sur toutes les allégations d’actes de torture et de mauvais traitements et pour poursuivre et punir tous les responsables, y compris lorsqu’il s’agit d’agents de la force publique et d’agents pénitentiaires. Le Comité recommande à nouveau à l’État partie de faire preuve de la tolérance zéro vis ‑à ‑vis du problème persistant de la torture et de la pratique de l’impunité ;

b ) Faire en sorte que les hauts fonctionnaires du pouvoir exécutif condamnent publiquement et sans ambiguïté la torture sous toutes ses formes, en s’adressant en particulier aux policiers et au personnel pénitentiaire;

c ) Avertir que toute personne qui commet de tels actes, y participe ou s’en rend complice, sera tenue personnellement responsable devant la loi et soumise à des sanctions pénales graves.

Intimidation, détention arbitraire et torture présumée de défenseurs des droits de l’homme

Le Comité est profondément préoccupé par les informations nombreuses et concordantes faisant état de la détention arbitraire de défenseurs des droits de l’homme et de journalistes en représailles de leurs travaux. Il s’inquiète particulièrement des allégations indiquant que de nombreux défenseurs des droits de l’homme privés de liberté, notamment les personnes dont le nom suit, ont été soumis à la torture et à d’autres mauvais traitements: Gaibullo Djalilov, Rasul Khudoynazarov, Azam Formonov, Mehrinisso et Zulhumor Hamdamova, Nosim Isakov, Yuldash Rasulov, Zafarjon Rahimov, Akzam Turgunov et Gulnaza Yuldasheva, et le journaliste Muhammad Bekjanov. Le Comité est également préoccupé par le fait que les autorités de l’État partie ne semblent pas enquêter efficacement au sujet des allégations selon lesquelles d’autres défenseurs des droits de l’homme, notamment (mais pas exclusivement) ceux dont le nom suit, sont détenus arbitrairement ou font l’objet d’actes d’intimidation en représailles de leurs travaux: Bobomurod Razzakov, Solijon Abdurakhmanov, Isroiljon Holdarov, Turaboi Juraboev, Ganihon Mamatkhanov, Dilmurod Saidov, Nematjon Siddikov et Elena Urlayeva. Le Comité regrette que l’État partie persiste à affirmer que les allégations susmentionnées sont «infondées» malgré les éléments qui les corroborent. Il constate de plus avec préoccupation qu’aucune enquête complète, indépendante et efficace sur les allégations n’a été menée ni aucune poursuite engagée contre les auteurs (art. 4, 12, 13 et 16).

Le Comité recommande à l’État partie:

a) De reconnaître que les défenseurs des droits de l’homme sont en danger et sont la cible de représailles en raison de leurs activités en faveur des droits de l’homme, activités importantes dans une société démocratique;

b) De prendre toutes les mesures voulues pour faire en sorte que tous les défenseurs des droits de l’homme puissent mener leurs travaux et activités librement et efficacement;

c) De mener dans les meilleurs délais des enquêtes approfondies et impartiales sur toutes les allégations faisant état d’actes d’intimidation, de détention arbitraire, de refus de soins médicaux appropriés, et de torture et autres mauvais traitements contre des défenseurs des droits de l’homme, y compris les personnes dont le nom est mentionné plus haut, de poursuivre et punir de manière appropriée les personnes reconnues coupables et d’accorder réparation aux victimes ;

d) De remettre en liberté les défenseurs des droits de l’homme qui sont emprisonnés ou détenus en représailles de leur action en faveur des droits de l’homme .

Enquêtes et poursuites pour actes de torture et mauvais traitements

Le Comité est profondément préoccupé par le fait que les autorités ne mènent pas rapidement des enquêtes efficaces et indépendantes sur les allégations faisant état d’actes de torture et de mauvais traitements mettant en cause des agents de l’État, en particulier dans les affaires concernant Erkin Musaev, Batyrbek Eshkuziev, Bahrom Ibragimov, Davron Kabilov, Ravshanbek Vafoev, Ruhiddin Fahrutdinov, Gayrat Mehliboev, Rustam Usmanov, Vahit Gunes, Zahid Umataliev, Norboy Kholjigitov et Yusuf Jumaev. Le Comité prend note des réponses apportées par l’État partie au sujet des cas de violation présumée de la Convention, mais constate avec préoccupation que l’État partie a donné de nombreux détails sur les crimes qui auraient été commis par les intéressés et n’a fourniaucun renseignement sur les enquêtes menées sur les allégations de torture (art. 12, 13 et 16).

L’État partie devrait fournir des renseignements plus précis concernant les mesures prises pour enquêter sur les cas présumés de torture et de mauvais traitements soulevés par le Comité. Il devrait fournir au Comité des données à jour sur le nombre de plaintes reçues au sujet d’actes de torture et de mauvais traitements infligés par les forces de l’ordre et d’autres agents de l’État, le nombre de plaintes sur lesquelles l’État partie a enquêté, les poursuites engagées et les condamnations et peines prononcées. L’État partie devrait également communiquer au Comité des données sur les affaires dans lesquelles des fonctionnaires ont fait l’objet de mesures disciplinaires pour ne pas avoir enquêté de manière appropriée sur des plaintes pour actes de torture ou mauvais traitements ou pour avoir refusé de coopérer à une enquête sur toute plainte correspondante.

Définition de la torture et amnisties pour faits de torture

Le Comité reste préoccupé par le fait que la définition qui figure dans l’article 235 du Code pénal restreigne la pratique interdite de la torture aux actes des agents de la force publique et ne couvre pas les actes commis par «toute autre personne agissant à titre officiel», y compris les actes commis à l’instigation ou avec le consentement exprès ou tacite d’un agent de la fonction publique, ce qui signifie que cette définition ne contient pas tous les éléments de l’article premier de la Convention. Le Comité note avec satisfaction que la Cour suprême, en 2004 et 2008, a rendu des décisions dans lesquelles elle indique que les juridictions nationales doivent utiliser la définition de la torture énoncée à l’article premier de la Convention, mais s’inquiète de ce que les juges, les enquêteurs et le personnel de maintien de l’ordre continuent d’appliquer exclusivement le Code pénal. Le Comité constate en outre avec préoccupation que l’État partie continue de faire bénéficier d’amnisties des personnes qui ont été reconnues coupables d’infraction à l’article 235 du Code pénal (art. 1er et 4).

Le Comité recommande une nouvelle fois à l’État partie d’introduire dans son Code pénal une définition de la torture qui contienne tous les éléments énoncés à l’article premier de la Convention. L’État partie devrait veiller à ce que les personnes agissant à titre officiel, ainsi que les agents de l’État qui consentent de manière expresse ou tacite à la pratique de la torture par des tiers, soient considérés par la loi comme auteurs d’actes de torture plutôt que comme complices ou personnes aidant à la commission de la torture, comme c’est actuellement le cas. La pratique consistant à faire bénéficier d’amnisties des personnes reconnues coupables de torture ou de mauvais traitements devrait être abolie, comme le Comité l’a indiqué dans ses Observations générales n os  2 (2007) relative à l’application de l’article 2 par les États parties et 3 (2012) relative à l’application de l’article 14 par les États parties , dans lesquelles il affirme que l’amnistie pour des faits de torture est incompatible avec les obligations des États parties.

Les événements survenus à Andijan en 2005

Le Comité demeure préoccupé par le fait qu’il n’a pas été mené d’enquêtes complètes et efficaces sur les nombreuses plaintes déposées contre des agents de l’État pour usage excessif de la force durant les événements survenus à Andijan en mai 2005. Le Comité rappelle que les actes des fonctionnaires ouzbeks ont causé la mort de 187 personnes selon l’État partie, au moins 700 personnes selon d’autres sources, et entraîné de nombreuses arrestations, et qu’il n’a connaissance d’aucun cas dans lequel des agents des forces de l’ordre ont été poursuivis pour usage excessif de la force contre des civils, détention arbitraire, ou torture ou mauvais traitements infligés à des personnes détenues à la suite de ces événements. Le Comité reste préoccupé par le fait que l’État partie ait limité, bloqué et par conséquent empêché la surveillance indépendante des droits de l’homme au lendemain des événements survenus à Andijan en mai 2005 et n’ait pas autorisé la conduite d’une enquête indépendante sur ces événements, déclarant qu’il les considérait comme «clos» (art. 1er, 4, 12, 13 et 16).

Le Comité recommande à nouveau à l’État partie de prendre des mesures efficaces pour lancer une enquête complète, efficace et impartiale sur les événements survenus à Andijan en mai 2005 de manière à garantir que les violations présumées de la Convention fassent l’objet d’investigations , que les personnes reconnues coupables soient dûment sanctionnées et que les victimes obtiennent réparation . Le Comité recommande que cette enquête soit menée par des experts crédibles et indépendants et que leurs conclusions soient rendues publiques.

Violences sexuelles

Le Comité prend note avec préoccupation des informations qu’il a reçues selon lesquelles des agents de l’État auraient commis, laissé commettre, menacé de commettre et menacé de laisser des prisonniers commettre des actes de violence sexuelle contre des personnes privées de liberté. Il relève en particulier les cas de la militante des droits de l’homme Mutabar Tajebaeva, qui affirme avoir été stérilisée de force pendant sa détention en mars 2008; de Katum Ortikov, qui affirme avoir subi des violences sexuelles et avoir été menacé par des policiers d’être violé par un autre détenu, alors qu’il était en détention, en janvier 2009; de Rayhon et Nargiza Soatova, qui affirment avoir fait l’objet de viol en réunion par des policiers pendant leur détention, en mai 2009; de Mehrinisso et Zulhumor Hamdamova, qui affirment avoir été forcées à se dévêtir et menacées de viol par des policiers pendant leur détention, en novembre 2009; et de la militante des droits de l’homme Gulnaza Yuldasheva, qui affirme avoir été menacée de viol par la police pendant qu’elle était détenue, en 2012. L’inquiétude du Comité est exacerbée par le fait que l’État partie prétende n’avoir reçu aucune plainte pour violence sexuelle de la part de personnes privées de liberté depuis l’examen de son dernier rapport par le Comité (art. 2 et 11).

Le Comité recommande à l’État partie de faire en sorte que des enquêtes approfondies soient menées sur toutes les allégations d’actes de torture ou de mauvais traitements, y compris de violence sexuelle et de viol, commis dans les lieux de détention et les autres lieux de privation de liberté; que les personnes reconnues coupables soient jugées et punies et que des mesures de réparation et une indemnisation appropriées soient offertes aux victimes.

Garanties juridiques fondamentales

Le Comité est gravement préoccupé par le fait que, dans la pratique, l’État partie n’offre pas toutes les garanties juridiques fondamentales à toutes les personnes privées de liberté dès le début de leur détention. Il s’inquiète des informations indiquant que des détenus se voient souvent refuser l’accès à un avocat de leur choix, indépendant des autorités de l’État et que des policiers extorquent des aveux par la force durant la période suivant immédiatement la privation de liberté. Le Comité s’inquiète également de ce que les personnes accusées d’infractions administratives n’aient pas suffisamment la possibilité, en droit comme dans la pratique, de consulter un conseil indépendant et d’être déférées sans délai devant un juge. Compte tenu de la concordance des informations reçues, le Comité regrette que l’État partie affirme n’avoir eu connaissance, pendant la période considérée, d’aucune affaire dans laquelle des agents de l’État n’auraient pas respecté les garanties dont doivent bénéficier les personnes privées de liberté, et qu’en conséquence aucun fonctionnaire n’a fait l’objet de mesures disciplinaires ou d’autres mesures pour de tels agissements (art. 2, 11, 12, 13, 15 et 16).

L’État partie devrait immédiatement prendre des mesures pour garantir, en droit et dans la pratique, que toute personne privée de liberté, y compris en application de la législation administrative nationale , bénéficie de garanties juridiques contre la torture dès le début de sa détention. L’État partie devrait:

a) Veiller à ce que toutes les personnes privées de liberté aient accès rapidement et sans entrave à un défenseur de leur choix indépendant des autorités de l’État , puissent, à leur demande et sans délai, être examinées par un médecin indépendant et prendre contact avec un membre de leur famille, et soient informées de leurs droits et des faits qui leur sont reprochés;

b) Surveiller le respect par tous les agents de l’État des garanties dont doivent bénéficier les personnes privées de liberté, notamment en exigeant que les informations utiles soient consignées dans les registres de détention et que le respect par les agents de l’État des obligations qui leur incombent en la matière soit contrôlé ;

c) Faire le nécessaire pour que tout agent de l’État qui dénie des garanties juridiques fondamentales à une personne privée de liberté fasse l’objet de mesures disciplinaires ou de poursuites, et fournir au Comité des données sur le nombre de cas dans lesquels des fonctionnaires ont été sanctionnés pour de tels agissements;

d) Envisager de prendre des mesures pour assurer l’enregistrement audiovisuel de tous les interrogatoires menés dans les postes de police et les lieux de détention, à titre de mesure de prévention.

Indépendance des avocats

Le Comité est préoccupé par des informations reçues qui indiquent que la Chambre des avocats n’est pas suffisamment indépendante du Ministère de la justice et que cela a eu une incidence néfaste sur l’indépendance des juristes. Il note aussi avec préoccupation que la modification législative de 2009 qui prévoit que tous les avocats doivent renouveler leur licence tous les trois ans s’est, dans la pratique, traduite par le refus d’accorder cette licence à plusieurs avocats qui avaient représenté des personnes qui auraient été victimes de torture, notamment Ruhiddin Komilov, Rustam Tyuleganov et Bakhrom Abdurakhmanov (art. 2).

L’État partie devrait prendre des mesures pour assurer l’indépendance des avocats et envisager de modifier sa législation afin que la Chambre des avocats soit pleinement indépendante du Ministère de la justice, et en particulier mettre fin au pouvoir qu’a le Ministère de nommer et de révoquer le Président de la Chambre. L’État partie devrait envisager de modifier l’obligation qu’ont les avocats de renouveler leur licence tous les trois ans.

Application des dispositions relatives à l’ habeas corpus

Le Comité prend note avec satisfaction de l’introduction dans la législation nationale de dispositions relatives à l’habeas corpus. Toutefois, il note avec préoccupation que les juges ne sont pas autorisés à apprécier la légalité de la détention, que la participation des avocats de la défense aux audiences de recours en habeas corpus n’est pas obligatoire, que ces audiences se tiendraient à huis clos et que la période de soixante-douze heures pendant laquelle une personne peut être détenue avant de comparaître devant un juge excède la période de quarante-huit heures recommandée par le Comité. En outre, il est préoccupé par les informations indiquant que dans la pratique, les agents dépassent fréquemment la période autorisée, notamment en plaçant des personnes en détention pour des chefs administratifs ou en enregistrant une heure ou une date de mise en détention erronées (art. 2, 11, 12, 13, 15 et 16).

Le Comité recommande à l’État partie de modifier le Code de procédure pénale de sorte à donner aux juges compétence pour appliquer des mesures de substitution moins restrictives que la détention pendant les audiences de recours en habeas corpus , y compris des garanties de conduite appropriée qui permettraient aux prévenus d’être libérés en attendant leur procès. Il devrait veiller, en droit et dans la pratique, à ce que le droit des détenus de choisir leur avocat pour les audiences de recours en habeas corpus soit respecté. Il devrait en outre faire en sorte que toutes les audiences de recours en habeas corpus soient publiques et ouvertes à des observateurs indépendants. Il devrait enfin envisager de réviser sa législation afin que toute personne détenue pour des raisons pénales ou administratives comparaisse dans le cadre d’une audience de recours en habeas corpus dans les quarante-huit heures suivant sa privation de liberté.

Éléments de preuve obtenus par la torture

Le Comité est préoccupé par les nombreuses allégations indiquant que des personnes privées de liberté sont soumises à la torture ou à des mauvais traitements dans le but de leur arracher des aveux forcés et que ces aveux sont ensuite acceptés comme éléments de preuve au tribunal faute d’enquête approfondie sur les allégations de torture. Il note en outre avec préoccupation que l’État partie ne lui a pas fourni de renseignements sur les cas dans lesquels les juges ont déclaré des aveux irrecevables au motif qu’ils avaient été obtenus par la torture ni de données sur le nombre de cas dans lesquels les juges ont mené une enquête sur les allégations de défendeurs qui affirmaient avoir avoué une infraction sous la torture (art. 15).

L’État partie devrait veiller à ce que toute déclaration dont il est établi qu’elle a été obtenue par la torture ne puisse pas être invoquée comme élément de preuve dans une procédure , si ce n’est contre la personne accusée de torture pour établir qu’une déclaration a été faite :

a) En faisant figurer expressément cette interdiction dans tous les articles pertinents du Code de procédure pénale;

b) En s’assurant que les juges demandent à tous les défendeurs dans des affaires pénales s’ils ont été ou non torturés ou maltraités en détention et ordonnent si nécessaire des examens médicaux indépendants;

c) En prévoyant dans la loi que les juges sont tenus d’ ordonner une enquête lorsqu’ils reçoivent des indices raisonnables de torture lors d’audiences de recours en  habeas corpus ;

d) En donnant au Comité des informations sur les cas dans lesquels des aveux ont été jugés irrecevables au motif qu’ils avaient été obtenus par la torture et en indiquant si des agents publics ont été poursuivis et punis pour avoir extorqué ces aveux.

Mécanisme de plainte indépendant

Nonobstant les efforts faits par l’État partie pour enquêter sur les plaintes pour torture, notamment au moyen de l’instruction no 334 du Ministère de l’intérieur, des unités spéciales de contrôle du personnel et du Médiateur parlementaire, le Comité note avec préoccupation que, selon de nombreuses informations, ces organes n’ont pas été efficaces dans la lutte contre la torture et manquent d’indépendance (art. 13).

L’État partie devrait garantir, en droit et dans la pratique, que toute personne a le droit de se plaindre d’actes de torture ou de mauvais traitements auprès d’un mécanisme efficace et totalement indépendant qui enquêtera et répondra promptement, et il devrait veiller à ce que le Médiateur parlementaire soit totalement indépendant.

Surveillance indépendante des lieux de détention

Tout en notant que l’État partie affirme que tous les lieux de détention sont surveillés par des organisations nationales et internationales indépendantes et seraient favorables à des inspections supplémentaires, le Comité reste préoccupé par les informations qu’il a reçues faisant état de l’absence quasi totale de contrôle indépendant et régulier des lieux de détention. Il est en outre préoccupé par les informations qu’il a reçues au sujet de mesures prises par l’État partie qui ont entravé le travail de nombreuses organisations indépendantes de défense des droits de l’homme qui opéraient auparavant dans l’État partie. Il note avec la plus grande inquiétude qu’en avril 2013, le Comité international de la Croix-Rouge a annoncé qu’il cessait ses visites dans les lieux de détention de l’État partie au motif qu’il ne pouvait pas suivre ses méthodes de travail, ce qui rendait ces visites «inutiles» (art. 2, 11, 12 et 13).

Le Comité prie instamment l’État partie de mettre en place un système national qui, de manière indépendante, efficace et régulière, surveille et inspecte tous les lieux de détention sans préavis, rende compte publiquement de ses constatations et dénonce aux autorités les conditions de détention ou les comportements assimilables à des actes de torture ou à des mauvais traitements dans les lieux de détention . L’État partie devrait modifier sa législation, ses règlements et ses politiques, selon qu’il convient, pour faciliter la réouverture et le fonctionnement optimal des organisations nationales et internationales indépendantes de défense des droits de l’homme et des organisations humanitaires dans l’État partie et autoriser leur accès. Il devrait veiller à ce que les représentants de ces organisations puissent effectuer une surveillance indépendante et sans préavis de tous les lieux de privation de liberté conformément à leur mode de fonctionnement habituel.

Conditions de détention

Le Comité prend note avec satisfaction des informations données par l’État partie au sujet de la diminution du nombre de détenus dans les établissements pénitentiaires du pays mais est préoccupé par les nombreuses informations faisant état de sévices subis en garde à vue et de décès en détention, dont certains seraient consécutifs à des actes de torture ou à des mauvais traitements. Il reste aussi préoccupé par les conditions de détention à la prison de Jaslyk (art. 2, 11 et 16).

Le Comité recommande une nouvelle fois à l’État partie d’améliorer les conditions de détention , y compris dans le centre de détention de Jaslyk . L’État partie devrait prendre rapidement des mesures pour garantir que tous les cas de décès en détention fassent rapidement l’objet d’une enquête et que les responsables de tout décès résultant d’actes de torture, de mauvais traitements ou d’autres actes illégaux soient traduits en justice.

Réparation pour les victimes de torture

Le Comité note avec préoccupation que, selon les informations données par l’État partie, celui-ci n’a accordé ou versé aucune indemnisation à des victimes de la torture pendant la période considérée, alors que la législation contient des dispositions prévoyant le droit des victimes à réparation pour des dommages matériels et moraux. Il est aussi préoccupé par l’absence d’exemples de cas concrets dans lesquels des personnes victimes de la torture ont bénéficié d’une réadaptation médicale ou psychosociale (art. 14).

L’État partie devrait veiller à ce que les victimes de la torture aient le droit d’obtenir réparation et d’être indemnisées équitablement et de manière adéquate, y compris les moyens nécessaires à leur réadaptation la plus complète possible. Le Comité appelle l’attention de l’État partie sur son Observation générale n o  3 (2012) , dans laquelle il explique la teneur et la portée de l’obligation qu’ont les États parties d’a ssurer une réparation complète aux victimes de torture , et lui recommande de modifier la législation nationale en conséquence.

Indépendance du pouvoir judiciaire

Le Comité est toujours préoccupé par le fait que le pouvoir judiciaire demeure faible, inefficace et soumis à l’influence du pouvoir exécutif, que les juges ne sont pas inamovibles et que les nominations aux rangs inférieurs sont du ressort du pouvoir exécutif, qui renomme les juges tous les cinq ans (art. 2, 12 et 13).

L’État partie devrait prendre des mesures visant à garantir pleinement l’indépendance et l’impartialité des membres de l’appareil judiciaire dans l’exercice de leurs fonctions et revoir le régime de nomination, de promotion et de révocation des juges en vue de le rendre conforme aux normes internationales pertinentes, notamment les Principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature (approuvées par l’Assemblée générale dans ses résolutions 40/32 du 29 novembre 1985 et 40/146 du 13 décembre 1985) .

Travail forcé et travail des enfants

Le Comité note avec satisfaction que les jeunes enfants jusqu’à la classe de neuvième année ne sont plus systématiquement amenés à travailler dans le secteur du coton, mais est préoccupé par les informations indiquant qu’entre 500 000 et 1,5 million d’adultes et d’élèves du secondaire âgés de 15 à 17 ans continuent d’être appelés pour récolter le coton pendant une période pouvant aller jusqu’à deux mois durant chaque automne, et que, pendant cette période, ils vivent dans de mauvaises conditions, sans accès à l’eau potable (art. 2 et 16).

Le Comité recommande à l’État partie de mettre fin à la pratique du recours au travail forcé des adultes et des enfants dans le secteur du coton et de permettre à des organisations non gouvernementales internationales et nationales indépendantes et à des militants d’assurer régulièrement une surveillance indépendante.

Situation des réfugiés et non-refoulement

Le Comité est particulièrement préoccupé par les allégations selon lesquelles des personnes extradées de pays voisins auraient été soumises à la torture et d’autres détenues au secret. Il note également avec préoccupation que près de 200 réfugiés reconnus par le Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) qui résident en Ouzbékistan sont considérés comme des migrants et que leurs besoins spécifiques de protection ne sont pas reconnus faute d’une loi relative aux réfugiés conforme aux normes internationales relatives à la protection des réfugiés (art. 2 et 3).

L’État partie devrait veiller à ce que les personnes extradées pour être jugées par ses tribunaux bénéficient pleinement de la prote ction offerte par la Convention . Il devrait adopter une loi sur les réfugiés qui soit conforme aux dispositions de la Convention. Il devrait inviter le HC R à revenir et à aider à protéger la population réfugiée. Il devrait envisager de devenir partie à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et à son Protocole de 1967.

Stérilisation forcée de femmes

Le Comité est gravement préoccupé par des informations dûment étayées qu’il a reçues indiquant que des femmes ayant eu deux enfants ou plus, en particulier dans les régions rurales, ont été stérilisées sans avoir donné leur consentement éclairé (art. 2, 12 et 16).

Le Comité recommande à l’État partie de mettre fin aux stérilisation s pratiquées sur des femmes sans avoir recueilli leur consentement éclairé, qui sont assimilables à des stérilisations forcées, et de protéger les droits des femmes en matière de procréation. Il lui recommande également d’établir un mécanisme de plainte indépendant et confidentiel qui soit facilement accessible aux femmes qui affirment avoir été stérilisées sans avoir donné leur consentement libre et éclairé.

Violence contre les femmes

Le Comité est préoccupé par les informations faisant état de cas de violences contre des femmes, dans des lieux de détention et ailleurs, et note qu’aucun renseignement n’a été donné au sujet de poursuites visant des auteurs d’actes de violence contre des femmes. Il est également préoccupé par le fait que la violence familiale et le viol conjugal ne sont pas définis dans le droit pénal de l’État partie et par les informations indiquant que les forces de l’ordre font peu de cas des plaintes déposées par des femmes victimes de ce type de violence et que les services disponibles pour les femmes victimes de cette violence dans l’État partie ne sont pas appropriés (art. 2, 12, 13, 14 et 16).

L’État partie devrait adopter des mesures législatives et autres propres à prévenir la violence contre les femmes, y compris la violence familiale. Il devrait définir et incriminer la violence familiale et le viol conjugal dans son droit et veiller à ce que toutes les femmes aient accès à des services médicaux, sociaux et juridiques appropriés et à un hébergement temporaire. Il devrait veiller à ce que des mécanismes soient en place pour encourager les femmes victimes de violence à se manifester et à ce que toutes les allégations de violence fassent promptement l’objet d’une enquête approfondie et efficace, que les auteurs a ient à répondre de leurs actes et que les femmes victimes de violence bénéficient d’une réparation appropriée, notamment d’une indemnisation et de services de réadaptation.

Coopération avec les mécanismes des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme

Malgré les efforts que l’État partie a récemment faits pour coopérer avec certains mécanismes et certaines procédures des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme, le Comité note avec préoccupation qu’il n’a pas accepté les dernières demandes de visite dans le pays émanant de plus de 10 titulaires de mandat au titre des procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme.

L’État partie devrait envisager d’adresser une invitation permanente aux titulaires de mandat au titre des procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme et en particulier accéder à la demande pendante du Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de se rendre en Ouzbékistan à la première occasion possible.

Formation du personnel

Le Comité prend note des informations concernant les programmes d’étude sur la Convention et les ateliers de formation organisés à l’intention des agents de la force publique, des agents pénitentiaires, du personnel médical en service dans le système pénitentiaire et d’autres agents de l’État. Il regrette que l’État partie n’ait pas donné d’informations sur la façon dont il apprécie l’efficacité de cette formation. Il relève aussi un manque de renseignements sur les formations tenant compte des différences entre les sexes (art. 10).

L’État partie devrait dispenser des formations tenant compte des différences entre les sexes et une formation au x membres du personnel médical en contact avec des détenus, en particulier dans les établissements de détention provisoire, afin de l eur apprendre à repérer les signes de torture et de mauvais traitements, conformément au Protocole d’Istanbul de 1999 (Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants). Il devrait élaborer et mettre en œuvre une méthod e permettant d’évaluer l’efficacité et l’incidence de ses programmes de formation et d’enseignement sur le nombre de cas de torture et de mauvais traitements.

Autres questions

Le Comité recommande à l’État partie d’envisager de faire les déclarations prévues aux articles 21 et 22 de la Convention afin de reconnaître la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications.

Le Comité invite l’État partie à envisager de ratifier les principaux instruments des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme auxquels il n’est pas encore partie, à savoir le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, établissant une procédure de présentation de communications, la Convention relative aux droits des personnes handicapées et son Protocole facultatif, le Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

L’État partie est invité à diffuser largement le rapport soumis au Comité ainsi que les présentes observations finales, dans les langues voulues, par le biais des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

Le Comité demande à l’État partie de lui faire parvenir, d’ici au 23 novembre 2014, des renseignements sur la suite donnée aux recommandations formulées aux paragraphes 7, 8 et 13 du présent document qui concernent: a) l’éradication de la torture et des mauvais traitements généralisés; b) l’élimination du harcèlement, de la détention arbitraire et de la torture présumée de défenseurs des droits de l’homme; et c) le respect des garanties juridiques fondamentales. Il lui demande également de lui faire parvenir des renseignements sur la suite donnée aux recommandations formulées aux paragraphes 9 et 16 b) du présent document, qui tendent à ce que l’État partie fasse en sorte que les actes de torture et les mauvais traitements donnent lieu à des enquêtes et à des poursuites et veille à ce que les juges demandent à tous les défendeurs dans des affaires pénales s’ils ont été ou non torturés ou maltraités en détention et ordonnent si nécessaire des examens médicaux indépendants.

L’État partie est invité à soumettre son prochain rapport périodique, qui sera le cinquième, le 23 novembre 2017 au plus tard. À cet effet, le Comité l’invite à accepter, d’ici au 23 novembre 2014, d’établir son rapport conformément à la procédure facultative, suivant laquelle le Comité transmet à l’État partie une liste de points à traiter avant que celui-ci ne soumette le rapport périodique. Les réponses à cette liste constitueront le prochain rapport périodique de l’État partie au titre de l’article 19 de la Convention.