Nations Unies

CAT/C/ARM/CO/3

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

6 juillet 2012

Français

Original: anglais

Comité contre la torture

Quarante-huitième session

7 mai-1er juin 2012

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19 de la Convention

Observations finales du Comité contre la torture

Arménie

1.Le Comité contre la torture a examiné le troisième rapport périodique de l’Arménie (CAT/C/ARM/3) à ses 1064e et 1067e séances (CAT/C/SR.1064 et 1067), les 10 et 11 mai 2012. À ses 1085e et 1086e séances (CAT/C/SR.1085 et 1086), les 28 et 29 mai 2012, il a adopté les observations finales ci-après.

A.Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction la soumission du troisième rapport périodique de l’État partie, qui suit les directives générales concernant la forme et le contenu des rapports périodiques. Il regrette toutefois que l’État partie ait soumis son rapport avec sept ans de retard.

3.Le Comité se réjouit de la possibilité qui lui a été offerte d’examiner le respect des dispositions de la Convention avec une délégation de haut niveau de l’État partie. Il sait gré à l’État partie d’avoir soumis des réponses écrites détaillées à la liste des points à traiter (CAT/C/ARM/Q/3 et Add.1) et à la délégation d’avoir présenté, par écrit et oralement, des informations supplémentaires.

B.Aspects positifs

4.Le Comité accueille avec satisfaction la ratification par l’État partie d’un certain nombre d’instruments internationaux et régionaux, notamment les suivants:

a)Le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, en septembre 2006;

b)La Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, en janvier 2011;

c)La Convention relative aux droits des personnes handicapées, en septembre 2010;

d)Le Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, en septembre 2006;

e)Les Protocoles facultatifs à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés, en septembre 2005, et concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, en juin 2005;

f)Le Protocole no 6 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales concernant l’abolition de la peine de mort, en septembre 2003.

5.Le Comité note avec satisfaction les mesures législatives prises au cours de la période considérée, notamment:

a)L’adoption en 2008 d’une loi faisant du Défenseur des droits de l’homme le mécanisme national de prévention prévu par le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants;

b)La promulgation en mars 2002 de la loi sur la garde à vue et la détention provisoire;

c)L’adoption en décembre 2004 du Code pénitentiaire.

6.Le Comité accueille avec satisfaction:

a)La création en 2006 de groupes de surveillance publique composés de représentants d’organisations gouvernementales et non gouvernementales;

b)L’invitation permanente adressée aux titulaires de mandat au titre des procédures spéciales, en avril 2006, et la visite effectuée par le Groupe de travail sur la détention arbitraire en 2010.

7.Le Comité relève avec satisfaction que la délégation a fait savoir que l’État partie envisagerait de faire la déclaration prévue à l’article 22 de la Convention, afin de reconnaître la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications présentées par des particuliers.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Allégations de torture et de mauvais traitements durant la garde à vue

8.Le Comité est gravement préoccupé par les allégations, nombreuses et concordantes, corroborées par des sources diverses, faisant état de l’utilisation systématique à la torture et des mauvais traitements durant la garde à vue, en particulier pour obtenir des aveux aux suspects aux fins de l’action pénale (art. 2, 4, 12 et 16).

L ’ État partie devrait d ’ urgence prendre des mesures concrètes pour prévenir les actes de torture et les mauvais traitements dans tout le pays. Le Comité demande instamment à l ’ État partie d ’ ouvrir sans délai des enquêtes approfondies et impartiales sur tous les cas de torture, de mauvais traitements et de décès en détention; de traduire les responsables en justice et de faire publiquement état des résultats des procédures engagées. De plus, l ’ État partie devrait réaffirmer sans ambiguïté l ’ interdiction absolue de la torture et faire clairement savoir que quiconque commettrait de tels actes, en serait complice ou les tolérerait, en serait tenu personnellement responsable devant la loi, ferait l ’ objet de poursuites pénales et se verrait infliger les peines appropriées .

Bizutage et mauvais traitements dans les forces armées

9.Le Comité demeure préoccupé par les allégations selon lesquelles des décès suspects continuent de se produire dans les forces armées arméniennes en dehors des combats, que le bizutage et autres mauvais traitements de conscrits continuent d’être pratiqués par les officiers et les autres soldats, sous les ordres ou avec le consentement, express ou tacite, ou l’approbation d’officiers ou d’autres militaires. Il prend acte des renseignements fournis par la délégation, mais demeure préoccupé par les informations selon lesquelles de nombreux incidents de ce type n’ont donné lieu à aucune enquête ou ont fait l’objet d’une enquête inadéquate, notamment dans le cas des décès de Vardan Sevian, Artak Nazerian et Artur Hakobian. Le Comité est également préoccupé par les informations faisant état de l’absence d’enquête au sujet d’allégations de sévices, tels que ceux infligés à Vardan Martirosian, et de l’insuffisance des peines imposées aux personnes reconnues coupables de tels sévices (art. 2, 4, 12, 13 et 16).

L ’ État partie devrait renforcer les mesures visant à interdire et à éliminer le bizutage dans les forces armées et veiller à ce que toutes les plaintes pour bizutage et décès de soldats en dehors des combats donnent lieu sans délai à des enquêtes impartiales et complètes . Lorsque des éléments de preuve corroborent les allégations de bizutage, l ’ État partie devrait faire en sorte que tous les incidents donnent lieu à des poursuites et que les coupables soient dûment punis , rendre publics les résultats des enquêtes et fournir aux victimes une indemnisation et des moyens de réadaptation, notamment par le biais d ’ une aide médicale et psychologique adaptée.

Définition, interdiction absolue et incrimination de la torture

10.Le Comité constate avec préoccupation que la législation nationale érigeant la «torture» en infraction (art. 119 du Code pénal) n’est pas conforme à la définition de la torturedonnée à l’article premier de la Convention, et que la «torture», telle qu’elle est actuellement définie par l’État partie, ne comprend pas les infractions commises par des fonctionnaires, mais s’applique seulement aux infractions commises par des particuliers agissant à titre privé, ce qui fait qu’aucun fonctionnaire n’a jamais été reconnu coupable de torture par l’État partie. Il est préoccupé par les informations selon lesquelles des fonctionnaires ont classé des affaires de «torture» présumée, au motif de la réconciliation du défendeur avec la victime. Il est également préoccupé par les sanctions prévues actuellement (une peine minimale de trois ans d’emprisonnement et une peine maximale de sept ans d’emprisonnement en cas de circonstances aggravantes) qui ne tiennent pas compte de la gravité du crime. Il est en outre préoccupé par le fait que plusieurs personnes accusées de «torture» ou de mauvais traitements en application d’autres articles du Code pénal, ont bénéficié d’une amnistie (art. 1er et 4).

Le Comité sait gré à la délégation d ’ avoir déclaré oralement que l ’ Arménie avait l ’ intention de modifier le Code pénal et recommande à l ’ État partie de veiller à ce que la définition de la torture soit pleinement conforme aux dispositions des articles premier et 4 de la Convention. L ’ État partie devrait également veiller à ce que tous les fonctionnaires qui commettent un acte constitutif de torture ou de mauvais traitement soient dûment inculpés et sanctionnés par une peine qui prenne en considération la gravité de l ’ acte de torture, comme prévu à l ’ article 4 de la Convention. L ’ État partie devrait en outre veiller à ce que les personnes reconnues coupables de faits de torture ou autres actes assimilables en vertu du Code pénal ne bénéficient d ’ aucune prescription, et à ce que les autorités soient tenues d ’ ouvrir une enquête et de punir les auteurs de tels actes que le(s) défendeur(s) et la(les) victime(s) soient ou non réconciliés .

Garanties juridiques fondamentales

11.En dépit des garanties prévues par la loi, dans la décision gouvernementale 574‑N de juin 2008 et l’instruction 12-C, d’avril 2010, du chef de la police, et par la Cour de cassation dans l’arrêt qu’elle a rendu en décembre 2009 dans l’affaire G. Mikaelyan, le Comité est vivement préoccupé par les informations selon lesquelles, dans la pratique, l’État partie ne fait pas le nécessaire pour que tous les détenus bénéficient dès leur privation de facto de liberté de toutes les garanties fondamentales, dont le droit d’avoir accès en temps voulu à un avocat et à un médecin, et le droit de contacter des proches. Le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles les fonctionnaires de police ne tiennent pas un registre précis de toutes les périodes de privation de liberté, n’offrent pas les garanties fondamentales aux personnes en détention, en particulier les personnes privées de liberté pour lesquelles aucun procès-verbal de détention n’a été établi, n’avisent pas en bonne et due forme les détenus de leurs droits pendant leur détention; ne respectent pas la limite de trois jours pour transférer les personnes privées de liberté du commissariat à leur lieu de détention et ne présentent pas rapidement les détenus à un juge. Le Comité constate également que le nombre de défenseurs publics demeure insuffisant dans l’État partie (art. 2).

Dans le contexte de la réforme législative en cours et, notamment, de la modification du Code de procédure pénale, l ’ État partie devrait sans tarder prendre des mesures efficaces pour faire en sorte que, en droit et dans la pratique, tous les détenus jouissent de toutes les garanties juridiques, dès le début de la privation de liberté. I l  s ’ agit en particulier des droit s de communiquer avec un avocat, d ’ être examiné par un médecin indépendant, d ’ aviser un proche, d ’ être informé de leurs droits et de comparaître rapidement devant un juge.

L ’ État partie devrait prendre des mesures pour garantir l ’ enregistrement audio ou vidéo de tous les interrogatoires menés dans les commissariats et les centres de détention à titre de mesure préventive supplémentaire. Le Comité encourage l ’ État partie à mettre dès que possible à exécution son plan visant à exiger des services de police qu ’ ils établissent un procès-verbal de détention au format électronique dès la privation de facto de liberté des personnes en garde à vue. L ’ État partie devrait garantir l ’ accès des avocats et des membres de la famille des détenus à ces enregistrements.

L ’ État partie devrait augmenter les ressources allouées au Bureau du Défenseur public du Conseil de l ’ ordre des avocats pour garantir l ’ accès à une aide juridictionnelle efficace.

Enquêtes et impunité

12.Le Comité est profondément préoccupé par les allégations selon lesquelles des actes de torture et de mauvais traitements commis par des agents chargés de l’application des lois et par des militaires ne font pas l’objet dans les meilleurs délais d’une enquête et de poursuites impartiales et efficaces. Le Comité est particulièrement préoccupé par les informations selon lesquelles le Bureau du Procureur demande à la police d’enquêter sur certaines allégations de torture et de mauvais traitements mettant en cause des policiers, au lieu de confier ces plaintes à un service d’enquête indépendant. À cet égard, le Comité est préoccupé par le fait que le Bureau du Procureur ne s’assure pas régulièrement que des procureurs différents supervisent toute enquête portant sur une infraction et examinent les allégations de torture mettant en cause des policiers formulées par l’auteur présumé de l’infraction en question. Il est également préoccupé par le fait que le Service des enquêtes spéciales ne soit pas parvenu à rassembler des éléments de preuve suffisants pour identifier les coupables dans un certain nombre d’affaires de torture ou de mauvais traitements mettant en cause des fonctionnaires, ce qui est source de préoccupations au sujet de son efficacité. Il est en outre préoccupé par les informations selon lesquelles des fonctionnaires qui auraient commis des actes de torture ou de mauvais traitements ne sont pas immédiatement suspendus de leurs fonctions ou transférés le cas échéant pendant la durée de l’enquête, en particulier s’il y a un risque qu’ils soient à même de récidiver ou de faire obstacle à l’enquête (art. 2, 11, 12, 13 et 16).

L ’ État partie devrait:

a) Prendre des mesures concrètes pour garantir l ’ ouverture d ’ enquêtes approfondies et impartiales sur toutes les allégations d ’ actes de torture et de mauvais traitements mettant en cause des agents chargés de l ’ application des lois et des militaires, qui aboutissent à l ’ engagement de poursuites contre les responsables et à l ’ imposition de peines qui prennent en considération la gravité de l ’ acte;

b) Veiller à ce que toutes les enquêtes sur des infractions mettant en cause des fonctionnaires soient menées par un organe indépendant et efficace ;

c) Veiller à ce que tous les fonctionnaires présumés responsables de violations de la Convention soient suspendus de leurs fonctions pendant la durée de toute enquête sur les allégations les mettant en cause.

Le Comité demande instamment à l ’ État partie de fournir des informations sur le nombre de plaintes déposées contre des fonctionnaires dénonçant des actes constitutifs de torture ou de mauvais traitements au sens de la Convention , ainsi que des informations sur les résultats des enquêtes auxquelles elles ont donné lieu et, le cas échéant, sur les procédures pénales ou disciplinaires engagées. Ces informations devraient décrire chaque allégation pertinente et indiquer quelle autorité a mené l ’ enquête.

Décès en détention

13.Le Comité est préoccupé par les informations fournies par l’État partie et par des organisations non gouvernementales au sujet de décès en détention, notamment le décès en garde à vue de Vahan Khalafyan et de Levon Gulyan (art.2, 11, 12 et 16).

Le Comité demande instamment à l ’ État partie de mener sans délai une enquête impartiale et efficace sur les décès de détenus, qui permette d ’ apprécier l ’ éventuelle responsabilité de fonctionnaires, et de veiller à punir les coupables et à indemniser les familles des victimes. Il demande à l ’ État partie de fournir des informations exhaustives et actualisées sur tous les cas signalés de décès en détention, indiquant notamment le lieu, la cause du décès et les résultats des enquêtes menées, le cas échéant, ainsi que les peines prononcées ou l ’ indemnisation accordée à la famille des victimes.

Plaintes, représailles et protection des victimes, des témoins et des défenseursdes droits de l’homme

14.Le Comité note avec préoccupation des informations selon lesquelles des victimes et des témoins d’actes de torture et de mauvais traitements ne déposent pas plainte auprès des autorités par crainte de représailles. Il prend note des informations selon lesquelles des défenseurs des droits de l’homme, ainsi que des journalistes, ont fait l’objet de menaces et d’actes d’intimidation du fait de leur travail et l’État partie a pris peu de mesures pour assurer leur protection (art. 2, 11, 12, 13, 15 et 16).

Le Comité demande instamment à l’État partie de mettre en place un mécanisme efficace pour faciliter le dépôt de plainte par les victimes et témoins d’actes de torture et de mauvais traitements auprès des autorités et pour garantir dans la pratique que les plaignants ne fassent pas l’objet de mauvais traitements, d’actes d’intimidation ou de représailles en raison de leur plainte . L’État partie devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour que les défenseurs des droits de l’homme, ainsi que les journalistes, soient protégés contre tout acte d’intimidation ou de violence.

Réparation, y compris indemnisation et réadaptation

15.Le Comité note que l’État partie a versé une indemnité aux victimes à la suite de l’arrêt de la Cour européenne de justice de juillet 2011, mais il regrette que l’État partie n’ait fourni que peu d’informations concernant le montant de toute indemnité accordée par les tribunaux aux victimes de violations de la Convention, notamment aux personnes qui ont été privées des garanties fondamentales ou ont subi des actes de torture ou des mauvais traitements en détention. Le Comité est préoccupé par le fait que la loi ne prévoie pas pour les victimes de la torture d’autres mesures de réparation qu’une indemnisation financière. Il constate le manque d’informations fournies concernant les éventuels services de traitement et de réadaptation sociale, y compris les services de réadaptation physique et psychosociale, mis à la disposition des victimes (art. 14).

L’État partie devrait intensifier ses efforts pour assurer aux victimes de la torture et de mauvais traitements une réparation sous la forme d’une indemnisation équitable et suffisante et d’une réadaptation la plus complète possible. Il devrait également modifier sa législation pour y inclure des dispositions explicites sur le droit à réparation des victimes de la torture, notamment le droit à une indemnisation équitable et adéquate et le droit d’obtenir réparation du préjudice causé par la torture conformément aux dispositions de l’article 14 de la Convention. Il devrait fournir au Comité des informations sur les mesures prises à cet égard, notamment en ce qui concerne les ressources allouées pour permettre le fonctionnement efficace des programmes de réadaptation .

Extorsion d’aveux

16.Le Comité est préoccupé par les allégations selon lesquelles les tribunaux de l’État partie utilisent comme éléments de preuve des aveux obtenus sous la contrainte. Il s’inquiète aussi des informations selon lesquelles les tribunaux n’ont pas suspendu les procédures pénales dans lesquelles le défendeur affirmait que ses aveux avaient été obtenus par la torture et n’ont pas demandé d’enquêtes approfondies. Il est en outre préoccupé par l’absence d’informations sur les cas dans lesquels les tribunaux de l’État partie ont jugé irrecevables comme preuves des aveux obtenus par la torture (art. 2, 11, 15 et 16).

Le Comité demande instamment à l’État partie de veiller à ce que , dans la pratique, les déclarations obtenues par la torture ne soient pas invoquées comme preuves dans les procédures. L’État partie devrait aussi veiller à ce que chaque fois qu’une personne dit avoir fait des aveux sous la torture, la procédure soit suspendue en attendant qu’une enquête approfondie soit réalisée pour vérifier ses allégations. Le Comité engage instamment l’État partie à réexaminer les cas de condamnations uniquement fondées sur des aveux.

Le Comité engage l’État partie à combattre fermement tout recours à la torture pour extorquer des aveux, et à veiller à ce que, dans la pratique, le s aveux obtenus sous la torture ne soient jamais utilisés comme preuves dans les procédures judiciaires. L’État partie devrait veiller à ce que la législation relative aux modes de preuve judiciaires soit conforme à l’article 15 de la Convention, et devrait indiquer si des agents de l’État ont été poursuivis et condamnés pour extorsion d’aveux.

Indépendance de l’appareil judiciaire

17.Le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles la magistrature ne serait pas indépendante et, en particulier, par le fait que le pouvoir de nommer, de promouvoir et de révoquer les juges appartient uniquement au Président et à l’appareil exécutif. Le Comité est en outre préoccupé de ce qu’en vertu de la législation de l’État partie, la responsabilité pénale des juges peut être engagée s’ils rendent un jugement ou un autre acte judiciaire injuste (art. 2, 12 et 13).

L’État partie devrait prendre des mesures pour garantir l’indépendance et l’impartialité totales de la magistrature dans l’exercice de ses fonctions, et revoir le régime de nomination, de promotion et de révocation des juges conformément au regard des normes internationales applicables, notamment des Principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature, qui disposent notamment qu’un juge ne peut être suspendu ou destitué que s’il est inapte à poursuivre ses fonctions pour incapacité ou inconduite.

Violence à l’égard des femmes, y compris la traite

18.Le Comité est préoccupé par l’ampleur de la violence physique et sexuelle dont les femmes seraient victimes. Le préoccupe en outre le fait que celles-ci signalent rarement à la police les mauvais traitements et les actes de violence qu’elles subissent. Le Comité est particulièrement préoccupé par les informations selon lesquelles il n’existerait aucun refuge financé par l’État pour les femmes victimes de violence au foyer, laquelle n’est pas érigée en infraction dans l’État partie. Le Comité regrette que l’État partie n’ait pas fourni de renseignements sur les moyens de réparation et d’indemnisation, y compris de réadaptation, offerts aux femmes victimes de violence. S’il accueille avec satisfaction les divers plans nationaux de lutte contre la traite des êtres humains qui ont été adoptés au cours de la période considérée, le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles l’Arménie reste un pays d’origine et de destination pour la traite des femmes et des jeunes filles (art. 2, 12, 13 et 16).

L’État partie devrait intensifier ses efforts pour prévenir, combattre et réprimer la violence à l’égard des femmes et des enfants, en particulier la violence au foyer, notamment en modifiant sa législation pénale pour ériger la violence au foyer en infraction distincte, en menant des campagnes de sensibilisation et de formation sur le thème de la violence au foyer à l’intention des membres des forces de l’ordre et de la population en général, et en fournissant aux victimes de violence une protection et une réparation immédiates, en particulier des moyens de réadaptation.

L’État partie devrait aussi créer les conditions nécessaires pour que les femmes victimes de la violence, notamment de la violence au foyer et de la traite, puissent exercer leur droit de porter plainte. Il devrait enquêter de façon approfondie sur toutes les allégations de violence au foyer et de traite, ainsi que poursuivre et punir tous les responsables.

Le Comité recommande à l’État partie d’assurer la mise en place du mécanisme national de 2008 d’aide aux victimes de la traite et de fournir les services dont les victimes ont besoin, s’agissant notamment de l’accès à un refuge, à une assistance médicale et psychologique professionnelle, et à des programmes de formation.

Conditions de détention

19.Le Comité salue les efforts déployés par l’État partie pour améliorer les conditions de détention dans les prisons, notamment la rénovation de certains établissements et la construction d’une nouvelle prison, mais il demeure préoccupé par les informations selon lesquelles les prisons seraient gravement surpeuplées, manqueraient de personnel et n’auraient pas de quoi nourrir et soigner convenablement les détenus. Le Comité est préoccupé par les allégations de corruption dans les prisons, notamment de la part de groupes de prisonniers dont l’attitude paraît être tolérée par le personnel pénitentiaire. Il est également préoccupé par les informations faisant état de violence et de discrimination visant des victimes choisies par les groupes en question en raison de leur orientation sexuelle supposée ou de leur nationalité. Le Comité regrette que les tribunaux n’appliquent pas davantage des mesures de substitution à la détention et qu’un mécanisme confidentiel n’ait pas été mis en place pour permettre aux détenus de porter plainte pour torture ou mauvais traitements. Le Comité prend note de la création de groupes de surveillance publique, composés de représentants d’organisations non gouvernementales et chargés de procéder à une surveillance dans les établissements pénitentiaires et les commissariats de police. Toutefois, le Comité note avec inquiétude que le groupe de surveillance de la police n’est pas autorisé à accéder librement aux commissariats de police (art. 2, 11 et 16).

L’État partie devrait continuer à prendre des mesures efficaces pour améliorer les conditions de vie dans les lieux de détention et pour y réduire la surpopulation. Le Comité recommande à l’État partie de redoubler d’efforts pour atténuer la surpopulation carcérale, notamment en adoptant des mesures de substitution à la prison conformément aux Règles minima des Nations Unies pour l’élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo), et de lui fournir des renseignements sur tout régime de probation mis en place pour s’occuper des peines de substitution, de la libération conditionnelle et de la réadaptation.

L’État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour éliminer toutes les formes de violence ou de discrimination à l’égard des détenus en raison de leur orientation sexuelle ou de leur nationalité, y compris tous les actes violents et discriminatoires auxquels se livrent des détenus contre d’autres détenus. Il devrait créer un mécanisme confidentiel pour recevoir et examiner les plaintes pour torture ou mauvais traitements, et veiller à ce qu’un tel mécanisme soit mis en place dans tous les lieux de privation de liberté. L’État partie devrait veiller aussi à ce que toutes les plaintes reçues fassent sans délai l’objet d’enquêtes impartiales et efficaces, et que les responsables soient punis en conséquence.

L’État partie devrait veiller à ce que le groupe de surveillance de la police ait accès à tous les commissariats de police et puisse s’y rendre de façon inopinée. Il devrait aussi prendre des mesures efficaces pour exercer un contrôle systématique de tous les lieux de détention, y compris des services de santé fournis dans ces lieux de détention, et devrait prendre des mesures pour éliminer la corruption dans les prisons.

Violence postélectorale

20.Le Comité note avec inquiétude qu’en dépit des efforts engagés par l’État partie pour enquêter sur les allégations d’usage excessif et aveugle de la force par la police dans le cadre des affrontements entre la police et les manifestants à la suite des élections de février 2008, le Service des enquêtes spéciales continuerait encore d’enquêter sur les 10 décès survenus durant les affrontements. Le Comité est aussi préoccupé par les allégations nombreuses selon lesquelles, peu après les affrontements, de nombreuses personnes auraient été arbitrairement arrêtées, n’auraient pas eu le droit d’avoir accès à l’avocat de leur choix et auraient été soumises à des mauvais traitements pendant leur détention, et par le fait qu’aucune enquête satisfaisante n’ait été menée sur ces allégations (art. 2, 12, 13 et 16).

L’État partie devrait accélérer l’enquête sur les 10 décès liés aux affrontements survenus à la suite des élections de février 2008 et devrait veiller à ce que tous les agents des forces de l’ordre qui se sont livrés à un usage excessif ou aveugle de la force fassent l’objet de poursuites et de condamnations appropriées compte tenu de la gravité de leur crime, et à ce que les familles des victimes obtiennent réparation, y compris une indemnisation. L’État partie devrait aussi veiller à ce que les allégations plus générales mettant en cause l’usage excessif et aveugle de la force par la police, ainsi que des mauvais traitements et un déni des garanties de sa part après les élections en question fassent l’objet d’enquêtes indépendantes efficaces. L’État partie devrait prendre des mesures pour que les personnes qui disposeraient d’informations sur les événements de mars 2008 soient effectivement protégées contre des mesures de représailles et d’intimidation.

Justice pour mineurs

21.Le Comité regrette l’absence d’une justice pour mineurs, notamment de tribunaux pour mineurs. Il prend note de la création d’un groupe de surveillance publique, composé de représentants d’organisations non gouvernementales et chargé de surveiller les pensionnats spéciaux. Toutefois, le Comité est préoccupé par la pratique qui consisterait à placer des mineurs à l’isolement pendant une période pouvant aller jusqu’à dix jours, à titre de sanction disciplinaire, dans ces pensionnats spéciaux (art. 11, 12 et 16).

Le Comité encourage l’État partie à créer un système de justice pour mineurs et, en particulier, à établir une division ou une juridiction spécialisée pour mineurs, dotée de juges et d’autres personnels judiciaires ayant la compétence professionnelle voulue pour traiter les affaires impliquant des mineurs, et à veiller à ce qu’elle opère conformément aux normes internationales. L’État partie devrait suivre de plus près la situation des pensionnats spéciaux afin de s’assurer que les enfants ne soient pas victimes d’intimidation, de maltraitance ou de violence. L’État partie devrait limiter la mise à l’isolement pour en faire une mesure de dernier recours, pour la durée la plus courte possible, sous stricte supervision et avec la possibilité d’un contrôle juridictionnel. Le placement à l’isolement de mineurs devrait être limité à des cas très exceptionnels.

Utilité du Défenseur des droits de l’homme

22.Le Comité est préoccupé par l’insuffisance des ressources dont dispose le Défenseur des droits de l’homme (médiateur), qui fait office de mécanisme national de prévention pour l’Arménie, pour s’acquitter efficacement de son mandat. Il note aussi avec préoccupation que certaines recommandations formulées par le Défenseur des droits de l’homme à l’intention des autorités ne sont pas suivies d’effets (art. 2 et 12).

Le Comité recommande à l’État partie de fournir les ressources nécessaires au Défenseur des droits de l’homme pour lui permettre de s’acquitter efficacement de son double mandat de médiateur et de mécanisme national de prévention de l’Arménie, conformément aux directives concernant les mécanismes nationaux de prévention établies par le Sous-Comité pour la prévention de la torture. L’État partie devrait veiller à ce que les forces de l’ordre, les membres du parquet, les membres de l’armée et le personnel pénitentiaire collaborent avec le Défenseur des droits de l’homme, et devrait prendre des mesures pour faire appliquer ses recommandations.

Service de remplacement

23.Le Comité prend note du projet de loi visant à modifier et à compléter la loi sur le service militaire de remplacement, mais il demeure préoccupé de ce que l’État partie, comme il le reconnaît lui-même, continue de maintenir en détention de nombreuses personnes qui refusent d’effectuer leurs obligations militaires, certains d’entre elles étant des objecteurs de conscience qui se sont opposés au service de remplacement au motif qu’il était exclusivement supervisé par du personnel militaire (art. 16).

Le Comité recommande à l’État partie d’adopter le projet de loi sur le service militaire de remplacement et de réexaminer la situation de toutes les personnes emprisonnées pour avoir refusé d’effectuer le service de remplacement pour des motifs religieux.

Non-refoulement

24.Le Comité regrette le manque d’informations concernant les garanties contre la torture dans les cas d’extradition et d’expulsion. Il est en outre préoccupé par l’absence de renseignements sur les assurances diplomatiques obtenues par l’État partie avant de renvoyer des demandeurs d’asile vers des pays voisins et dans le cadre de la mise en œuvre de l’accord d’extradition qui existerait entre la Police nationale arménienne et la Police de la Fédération de Russie, ainsi que le manque de données sur le nombre de personnes extradées en application de cet accord. Le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles l’État partie a délivré des mandats en vue d’une extradition sans autoriser les personnes concernées à exercer leur droit de recours conformément au paragraphe 4 de l’article 479 du Code de procédure pénale et sans respecter les procédures normales d’extradition (art. 3).

L’État partie ne devrait pas chercher à obtenir ni accepter des assurances diplomatiques de la part d’un État dans lequel il y a des motifs sérieux de croire qu’une personne risquerait d’être soumise à la torture. L’État partie devrait fournir au Comité des renseignements détaillés sur tous les cas dans lesquels des assurances diplomatiques ont été obtenues.

Le Comité recommande également à l’État partie de r especter ses obligations de non ‑ refoulement au titre de l’article 3 de la Convention, y compris le droit de faire appel du mandat en vue de l ’extradition, comme il est prévu au paragraphe 2 de l’article 479 du Code de procédure pénale.

Formation

25.Le Comité se félicite de l’organisation de programmes de formation aux droits de l’homme à l’intention des membres des forces de l’ordre et de l’armée au cours de la période considérée. Il regrette toutefois le manque d’informations sur le suivi et l’évaluation de l’efficacité de ces programmes de formation en termes de réduction des cas de torture et de mauvais traitements. Le Comité regrette aussi l’absence d’informations sur l’utilisation du Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul), dans le cadre de ces programmes de formation (art. 10).

L’État partie devrait renforcer les programmes de formation à l’intention des membres des forces de l’ordre, du personnel militaire et du personnel pénitentiaire concernant les exigences de la Convention, et devrait en évaluer l’efficacité. Il devrait aussi veiller à ce que les agents de l’État concernés reçoivent une formation sur l’utilisation du Protocole d’Istanbul pour déceler les signes de torture et de mauvais traitements .

26.Le Comité invite l’État partie à envisager de ratifier les principaux instruments internationaux des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme auxquels il n’est pas encore partie, à savoir la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, le Protocole facultatif se rapportant à la Convention relative aux droits des personnes handicapées et le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

27.L’État partie est invité à diffuser largement le rapport soumis au Comité ainsi que les présentes observations finales, dans les langues voulues, par le biais des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

28.L’État partie est invité à mettre à jour son document de base commun (HRI/CORE/1/Add.57), conformément aux instructions relatives au document de base qui figurent dans les Directives harmonisées pour l’établissement des rapports à présenter en vertu des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme (HRI/GEN/2/Rev.6).

29.Le Comité demande à l’État partie de lui faire parvenir, d’ici au 1er juin 2013, des renseignements sur la suite donnée aux recommandations portant sur: a) la conduite rapide d’enquêtes impartiales et effectives; b) la mise en place de garanties juridiques pour les personnes détenues ou le renforcement des garanties existantes; et c) les poursuites engagées contre les suspects et les sanctions prises contre les auteurs d’actes de torture ou de mauvais traitements, recommandations qui sont formulées aux paragraphes 8, 11 et 12 du présent document.

30.L’État partie est invité à soumettre son prochain rapport périodique, qui sera le quatrième, d’ici au 1er juin 2016. À cet effet, le Comité invite l’État partie à accepter, le 1er juin 2013 au plus tard, d’établir son rapport selon la procédure facultative, qui consiste pour le Comité à adresser à l’État partie une liste de points à traiter établie avant la soumission du rapport périodique. Les réponses de l’État partie à la liste de points à traiter constitueront son prochain rapport périodique au titre de l’article 19 de la Convention.