Nations Unies

CRPD/C/15/D/13/2013

Convention relative aux droits des personnes handicapées

Distr. générale

30 mai 2016

Français

Original : anglais

Comité des droits des personnes handicapées

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 du Protocole facultatif, concernant la communication no 13/2013 * , **

Communication p résentée par :

MichaelLockrey (représenté par l’Australian Centre for Disability Law)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Australie

Date de la communication :

8 avril 2013 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise en application de l’article 70 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 7 juin 2014 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

1er avril 2016

Objet :

Participation des personnes sourdes à des fonctions de juré

Question de procédure :

Recevabilité des griefs

Questions de fond :

Égalité et non-discrimination ; aménagements raisonnables ; reconnaissance de la personnalité juridique dans des conditions d’égalité ; liberté d’expression ; participation à la vie politique

Articles de la Convention :

2, 4, 5, 9, 12, 13, 21 et 29

Articles du Protocole facultatif :

2 d) et e)

1.L’auteur de la communication est Michael Lockrey, de nationalité australienne, né le 28 décembre 1969. Il se déclare victime de violations par l’Australie des articles 2, 4, 5, 9, 12, 13, 21 et 29 de la Convention. Il est représenté par l’organisation Australian Centre for Disability Law. La Convention est entrée en vigueur pour l’État partie le 17 août 2008 et le Protocole facultatif le 19 septembre 2009.

A.Résumé des renseignements et des arguments soumis par les parties

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur est sourd et a besoin d’un sous-titrage en temps réel par sténotypie pour les communications officielles. Il a reçu une convocation datée du 28 février 2012 de la shérif de la Nouvelle-Galles du Sud pour exercer la fonction de juré le 26 mars 2012 (première convocation). Entre le 28 février et le 19 mars 2012, l’auteur a plusieurs fois demandé au Bureau du shérif qu’un système de sous-titrage par sténotypie soit mis à sa disposition pour qu’il puisse participer à la procédure de sélection du jury dans des conditions d’égalité avec les autres. Il n’a pas reçu de réponse. Le 19 mars 2012, l’auteur a renouvelé sa demande en adressant un courrier électronique au Bureau du shérif, sans succès.

2.2Le 26 mars 2012, l’auteur a reçu une lettre de la shérif qui lui indiquait que sa demande de dispense de son rôle de juré avait été rejetée. L’auteur n’avait jamais demandé à être dispensé. Le 28 mars 2012, il a téléphoné au Bureau du shérif. Il a précisé qu’il ne voulait pas être dispensé et a demandé de nouveau la mise à disposition d’un sous-titrage en temps réel par sténotypie. La demande a été rejetée, et il lui a été précisé qu’il devait soumettre un certificat médical attestant sa surdité, faute de quoi il s’exposait à une amende de 1 100 dollars s’il ne se présentait pas. L’auteur n’a pas produit de certificat médical, car il ne se considérait pas dans l’incapacité d’exercer la fonction de juré. À ce jour, il n’a pas reçu d’amende.

2.3L’auteur a reçu une nouvelle convocation, datée du 3 mai 2012, pour être juré le 30 mai 2012 (deuxième convocation). Le 24 mai 2012, l’auteur a envoyé par télécopie une lettre au Bureau du shérif pour dire qu’il était éligible, capable et désireux d’exercer la fonction de juré et de demander le sous-titrage par sténotypie. Il demandait instamment que celui-ci soit mis à disposition, faute de quoi il porterait plainte auprès de la Commission australienne des droits de l’homme pour discrimination fondée sur le handicap, en vertu de la loi de 1992 relative à la discrimination fondée sur le handicap. Il n’a pas reçu de réponse. Le 30 mai 2012, l’auteur s’est présenté au tribunal de Lismore. L’auxiliaire de justice lui a annoncé qu’il n’y aurait pas de sous-titrage. L’auteur a proposé d’utiliser un appareil pour « sténographe judiciaire » personnel, qui transcrirait les débats en texte, et a fait une démonstration devant l’auxiliaire de justice. On l’a informé qu’il ne serait pas autorisé à participer au processus de sélection du jury en raison de sa surdité.

2.4En date du 13 juillet 2012, la shérif a de nouveau convoqué l’auteur pour être membre du jury le 15 août 2012 (troisième convocation). Par une lettre du 20 juillet 2012, l’auteur a de nouveau fait part de sa volonté d’être juré et a insisté une fois encore pour qu’un sous-titrage par sténotypie soit disponible, faute de quoi il déposerait plainte pour discrimination fondée sur le handicap auprès de la Commission australienne des droits de l’homme, en vertu de la loi relative à la discrimination fondée sur le handicap. En date du 27 juillet 2012, la shérif a rejeté la demande de l’auteur en faisant valoir qu’il est « possible pour une personne ayant une déficience auditive de participer aux délibérations d’un jury […] en utilisant des écouteurs. Si le sous-titrage en temps réel est possible dans le cas de la production des preuves à l’audience […], l’article 48 de la loi de 1977 relative aux jurys ne permet pas le sous-titrage en temps réel pendant les délibérations des membres du jury, dans la salle du jury, [car] cela supposerait la présence dans la salle des délibérations d’une personne non membre du jury, qui n’a pas été convoquée ni sélectionnée par tirage au sort. Les délibérations sont confidentielles, et les jurés sont tenus de respecter cette confidentialité. ». L’auteur fait valoir qu’il est atteint d’une surdité profonde et n’entend pas avec un système d’écouteurs. Il précise que l’article 48 de la loi de 1977 relative aux jurys (Nouvelle-Galles du Sud) ne dit rien de l’utilisation du sous-titrage en temps réel dans la salle des délibérations, ni de la participation de personnes sourdes à des fonctions de juré.

2.5Le 2 avril 2012, l’auteur a déposé auprès de la Commission australienne des droits de l’homme une plainte en vertu de l’article 46P de la loi relative à la Commission des droits de l’homme australienne de 1986 (Cth) en faisant valoir que l’État de la Nouvelle-Galles du Sud avait exercé à son égard une discrimination illégale fondée sur le handicap, en violation des articles 5 et 24 de la loi relative à la discrimination fondée sur le handicap, en refusant de mettre à disposition un système de sous-titrage par sténotypie pour lui permettre de participer à la procédure de sélection du jury le 26 mars 2012. Le 27 juin 2012, la shérif a fait à la Commission la même réponse qu’à l’auteur en ajoutant que le Département de l’Attorney general et de la justice, organe dont relève le Bureau du shérif, n’a pas de politique particulière qui permette aux personnes sourdes d’exercer la fonction de juré et que dans le contexte de la recommandation faite par la Commission de réforme des lois de la Nouvelle-Galles du Sud, qui demandait notamment que les personnes sourdes soient considérées comme aptes aux fonctions de juré, le Gouvernement avait répondu que dans ce domaine les droits des personnes handicapées devaient être examinés au regard des droits de l’accusé à un procès équitable et de la nécessité de préserver un système de jury efficace. L’introduction du sous-titrage en temps réel exigerait de modifier la législation actuelle, qui ne prévoit pas la mise en place de ce dispositif, et le Département n’est pas en mesure de fournir cet ajustement aux membres du jury.

2.6En juin 2012 et en août 2012, l’auteur a ajouté de nouveaux griefs à sa plainte, mentionnant le nouveau refus de sous-titrage qui lui avait été opposé le 30 mai et le 15 août 2012. Le 3 septembre 2012, la shérif a répondu aux griefs dans les mêmes termes que précédemment, mais a ajouté ce qui suit :

Le Gouvernement a étudié attentivement les recommandations de la Commission de réforme des lois et […] a conclu qu’aucune modification ne serait apportée aux dispositions législatives qui régissent cette question. Par conséquent, l’aptitude d’une personne à exercer la fonction de juré doit être examinée au cas par cas, en fonction des caractéristiques particulières du procès. […] Les personnes qui sont choisies au hasard sur la liste reçoivent une notification les informant que leur nom a été tiré au sort et inscrit sur […] la liste des jurés. À ce stade, l’intéressé peut s’adresser au Bureau du shérif s’il souhaite être dispensé de la fonction de juré en application de l’article 2 de la loi relative aux jurys […]. Si une personne […] présente un handicap qui nécessite des aménagements, elle doit prendre contact avec le Bureau du shérif afin que la situation soit analysée en vue de déterminer si les aménagements peuvent être assurés dans le tribunal concerné. Les shérifs ont également la faculté […] d’évaluer si le handicap d’une personne l’empêche d’exercer la fonction de juré.

2.7Le 23 novembre 2012, la Commission australienne des droits de l’homme a convoqué l’auteur et l’État de la Nouvelle-Galles du Sud à une réunion confidentielle de conciliation. Aucun accord n’a été trouvé. La Commission australienne des droits de l’homme a donc décidé de clore la plainte de l’auteur le 29 novembre 2012. L’auteur considère qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles. Il fait valoir que la loi relative à la discrimination fondée sur le handicap interdit la discrimination dans des domaines précis de la vie publique, sous réserve de certaines exceptions et restrictions. La loi antidiscrimination prévoit également l’interdiction d’exercer une discrimination fondée sur le handicap dans des domaines particuliers de la vie publique. L’auteur note que la fonction de juré constitue « un devoir ou une obligation du citoyen » et n’est donc pas protégée par ces dispositions. La loi relative à la discrimination fondée sur le handicap interdit la discrimination fondée sur le handicap dans la mise en œuvre des lois et programmes du Commonwealth, alors que la loi de1977 relative aux jurys, en vertu de laquelle le shérif exerce les fonctions qui se rapportent aux jurys, est une loi de l’État de la Nouvelle-Galles du Sud. La loi relative à la discrimination fondée sur le handicap et la loi antidiscrimination ne prévoient aucune interdiction de la discrimination fondée sur le handicap dans la mise en œuvre des lois et programmes de l’État.

2.8L’argument majeur de l’auteur dans sa plainte auprès de la Commission australienne des droits de l’homme était qu’un shérif avait la charge de fournir les services et les équipements nécessaires pour les jurés, actuels et futurs. Conformément à la loi relative à la discrimination fondée sur le handicap comme à la loi antidiscrimination, toute discrimination fondée sur le handicap dans la fourniture de services et de facilités publics est illégale. Ni la Commission australienne des droits de l’homme − chargée des plaintes déposées en vertu de la loi relative à la discrimination fondée sur le handicap − ni le Conseil antidiscrimination de la Nouvelle-Galles du Sud − responsable des plaintes déposées en vertu de la loi antidiscrimination − n’ont de pouvoir déterminant quand ils sont saisis de plaintes pour discrimination.

2.9L’auteur ajoute que pour aller plus loin dans l’affaire, il devrait s’adresser à la Cour fédérale ou au Tribunal fédéral de circuit (Circuit Court) d’Australie, qui devraient déterminer si les fonctions du shérif dans la sélection et la constitution des jurys correspondent à la « fourniture des services et équipements » nécessaires pour les jurés et si les actes d’un shérif s’inscrivent dans un domaine de la vie publique où la discrimination est interdite. D’après les conseils de professionnels du droit, le tribunal considérerait probablement que le rôle de juré et les attributions du shérif dans la sélection des jurés et la constitution du jury ne relèvent pas du domaine de la vie publique et ne sont donc pas visés par la loi relative à la discrimination fondée sur le handicap. Si l’auteur saisissait la justice et était débouté, il devrait payer les frais de justice encourus par lui-même et par l’État de la Nouvelle‑Galles du Sud, c’est-à-dire entre 50 000 et 100 000 dollars australiens, ce qui fait que ces recours internes ne sont pas raisonnablement disponibles pour lui.

2.10L’auteur affirme en outre qu’en 2002, l’Attorney general de la Nouvelle-Galles du Sud a renvoyé à la Commission de réforme des lois de cet État la question de savoir si les personnes sourdes ou aveugles pouvaient exercer la fonction de juré. La Commission a rendu son rapport en septembre 2006 et a fait quatre recommandations : elle recommandait ainsi au Gouvernement de la Nouvelle-Galles du Sud de modifier la loi de 1977 relative aux jurys (Nouvelle-Galles du Sud) de façon à permettre aux personnes aveugles ou sourdes d’exercer la fonction de juré. En juin 2010, le Gouvernement de la Nouvelle‑Galles du Sud a répondu qu’il rejetait les éléments principaux des recommandations de la Commission, notamment la recommandation à l’effet de permettre aux personnes sourdes d’être juré avec l’aide du sous-titrage par sténotypie. En Nouvelle-Galles du Sud, la loi de 1977 relative aux jurys, modifiée par la loi de 2010 portant modification de la loi relative aux jurys, établit les conditions qui doivent être remplies pour pouvoir être membre d’un jury. L’auteur relève que c’est en application du paragraphe 4 de l’article 14 de la loi de 1977 que la shérif lui a interdit d’être juré.

2.11L’auteur explique aussi que la loi antidiscrimination et la loi relative à la discrimination fondée sur le handicap ne disposent pas que la discrimination est illégale dans tous les domaines de la vie publique, ni qu’il est illégal d’exercer une discrimination fondée sur le handicap dans le domaine des devoirs civiques, y compris la fonction de juré. L’auteur ne dispose donc d’aucun recours pour avoir été exclu de l’exercice d’un devoir civique. S’il engage une action pour discrimination au motif du handicap, la shérif fera valoir que ses attributions concernant les jurys impliquent l’exercice de pouvoirs et d’obligations statutaires, qui ne comportent pas la fourniture de services et sont donc hors du champ d’application de la loi relative à la discrimination fondée sur le handicap et de la loi antidiscrimination. L’auteur précise que, selon la jurisprudence australienne, il serait tenu d’indiquer les services que la shérif a refusé de lui fournir, alors que l’essence de sa plainte est qu’elle a refusé d’apporter un aménagement raisonnable qui lui est nécessaire pour s’acquitter de la fonction de juré. D’après la jurisprudence, un aménagement raisonnable n’est pas un « service », et une action visant à établir que les shérifs fournissent des « services » à tous les jurés n’a guère de chance d’aboutir. L’auteur renvoie à d’autres affaires de la jurisprudence dans lesquelles les plaintes pour discrimination déposées en vertu de la loi relative à la discrimination fondée sur le handicap sont tranchées dans un contexte normatif, qui suppose que le tribunal examine les obligations et responsabilités plus larges de la personne supposée avoir commis une discrimination. De plus, la shérif fait valoir qu’elle est obligée d’exclure l’auteur de la fonction de juré en raison de la règle qui veut que les délibérations se tiennent en privé. D’après la jurisprudence, cette règle dispose que si un « étranger » est présent longtemps pendant les délibérations du jury, le verdict est annulé. Au vu de cette jurisprudence, même si un tribunal estime que les shérifs fournissent des « services » aux jurés, il conclura probablement que, en l’espèce, la shérif n’a pas exercé une discrimination, mais que le « fondement véritable » de son action était l’obligation de protéger l’intégrité des délibérations du jury. En outre, la définition de la discrimination fondée sur le handicap donnée à l’article 49 B de la loi antidiscrimination ne couvre pas le fait de ne pas accorder un aménagement raisonnable. Même s’il est établi que la shérif fournit des « services aux jurés », il serait donc difficile de prouver qu’elle avait l’obligation de fournir à l’auteur un sous-titrage par sténotypie comme aménagement nécessaire. L’auteur ajoute enfin qu’il est notoire que les griefs de discrimination au titre des deux lois sont difficiles à faire valoir et que les plaintes donnent souvent lieu à des procédures très longues et complexes.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que les actions de la shérif constituent une violation du droit à la reconnaissance de la personnalité juridique dans des conditions d’égalité, garanties par l’article 12 de la Convention. Il estime également que les déclarations de la shérif à la Commission australienne des droits de l’homme donnent à entendre que les personnes sourdes sont intrinsèquement incapables de comprendre suffisamment la procédure judiciaire et que leur participation porterait atteinte au droit de l’accusé à un procès équitable, ce qui constitue une violation de son droit d’exercer la capacité juridique dans des conditions d’égalité. L’auteur considère aussi que le refus de permettre le sous-titrage par sténotypie constitue une violation : a) de son droit d’avoir accès à l’accompagnement nécessaire pour exercer sa capacité juridique et faire partie d’un jury, conformément au paragraphe 3 de l’article 12 de la Convention ; b) du droit de ne pas subir de discrimination, conformément aux articles 5 et 12 de la Convention ; et c) de la liberté de demander, recevoir et communiquer des informations et des idées, sur la base de l’égalité avec les autres, par tout moyen de communication de son choix, conformément à l’article 21 de la Convention.

3.2En ce qui concerne le grief de violation de l’article 13 de la Convention, l’auteur affirme que le refus d’autoriser le sous-titrage par sténotypie constitue une violation du droit : a) à l’accès effectif à la justice, y compris par des aménagements procéduraux ; b) à la non-discrimination, contrairement aux articles 5 et 13 de la Convention ; et c) à la liberté de demander, recevoir et communiquer des informations et des idées, sur la base de l’égalité avec les autres, par un moyen de communication de son choix, contrairement aux articles 13 et 21 de la Convention.

3.3D’après l’auteur, le sous-titrage par sténotypie devrait être considéré comme un moyen « de communication » de son choix dans le cadre d’une « démarche officielle », au sens de l’article 21 de la Convention et, par conséquent, le refus de la shérif constitue une violation de son droit à la liberté d’expression et à la non-discrimination garanti par les articles 5 et 21 de la Convention.

3.4En ce qui concerne le grief tiré de l’article 29 de la Convention, l’auteur affirme que la participation à un jury est un « droit politique » et que, en tant qu’élément de l’administration publique de la justice, le système de jury est un aspect de la « conduite des affaires publiques » au sens de cet article. L’auteur estime par conséquent que le refus d’autoriser l’utilisation du sous-titrage par sténotypie constitue une atteinte : a) au droit d’exercer ses droits politiques et d’avoir accès aux services publics sur la base de l’égalité avec les autres ; et b) au droit de ne pas être soumis à une discrimination dans l’exercice des droits politiques.

3.5Enfin, l’auteur fait valoir que les droits qu’il tient des articles 5, 9, 12, 13, 21 et 29 ont été violés du fait de la non-observation par l’État partie des obligations qui lui incombent en vertu de ces articles, seuls et lus conjointement avec les articles 2 et 4 de la Convention.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note du 28 novembre 2014, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la présente communication, ainsi que de la communication no 11/2013. L’État partie accepte les faits généraux présentés par l’auteur, mais rejette la façon dont celui-ci qualifie les actes de la shérif et la politique de l’État de la Nouvelle-Galles du Sud à l’égard des jurés sourds. En particulier, il objecte que le Gouvernement de la Nouvelle-Galles du Sud offre des aménagements raisonnables pour un grand nombre de personnes handicapées qui ont été tirées au sort pour être juré, par exemple des écouteurs et des dispositifs de transmission du son par infrarouge. La politique générale du Gouvernement de la Nouvelle-Galles du Sud concernant une participation accrue des personnes handicapées est exposée dans son plan décennal, sous l’objectif 14. À ce propos, l’État partie souligne que, suite à la réponse du Gouvernement de la Nouvelle-Galles du Sud (2010) au rapport de la Commission de réforme des lois, le Département de la justice de cet État va entreprendre une étude visant à déterminer les possibilités de réforme, notamment en ce qui concerne la fourniture d’un sous-titrage par sténotypie. Il note aussi que la loi de 2010 portant modification de la loi de 1977 relative aux jurys (Nouvelle-Galles du Sud), qui est entrée en vigueur le 31 janvier 2014, a remplacé l’inéligibilité pour l’exercice de la fonction de juré par la possibilité d’être dispensé pour une cause justifiée. Cette modification prévoit que la personne inapte à la fonction de juré en raison d’une maladie, d’une infirmité ou d’un handicap peut être dispensée de façon permanente ou pour une cause justifiée, selon la nature de la maladie, de l’infirmité ou du handicap.

4.2L’État partie objecte en outre que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles étant donné qu’après la plainte auprès de la Commission australienne des droits de l’homme, il pouvait saisir la Cour fédérale ou le Tribunal fédéral de circuit dans les soixante jours. L’auteur aurait pu déposer une plainte en vertu de la loi relative à la discrimination fondée sur le handicap ou de la loi antidiscrimination, mais il ne l’a pas fait. Pour ce qui est des arguments de l’auteur concernant les risques d’ordre juridique et financier, l’État partie renvoie aux décisions du Comité des droits de l’homme, qui a conclu que l’auteur d’une communication devait se prévaloir de tous les moyens judiciaires ou administratifs qui lui offrent des chances raisonnables d’obtenir réparation. L’État partie fait observer que l’article 2 d) du Protocole facultatif ne s’applique pas quand la procédure de recours excède une durée raisonnable ou s’il est improbable que l’intéressé obtienne réparation par ce moyen ; en revanche le manque de moyens financiers n’exonère pas l’auteur de l’obligation d’épuiser tous les recours internes utiles. L’État partie souligne de plus que devant la Cour fédérale de l’Australie, l’une des parties peut demander une ordonnance précisant les coûts maximaux de procédure qui peuvent être imputés à chaque partie. Les frais pour déposer une demande après la procédure devant la Commission australienne des droits de l’homme s’élèvent à 55 dollars australiens, et le Tribunal fédéral de circuit peut également préciser le montant maximal des coûts qui peuvent être imputés.

4.3L’État partie maintient que les griefs tirés des articles 2, 4, 5 et 9 de la Convention ne sont pas recevables en vertu de l’article 2 e) du Protocole facultatif faute d’être étayés. Il note que d’après la jurisprudence du Comité des droits de l’homme, l’auteur d’une communication doit étayer toutes ses allégations. L’État partie objecte que l’auteur n’a pas apporté de preuve pour fonder ses griefs au regard des articles 2, 4 et 9 de la Convention.

4.4En ce qui concerne le grief de violation de l’article 12 de la Convention, l’État partie considère que l’exercice de la fonction de juré n’entre pas dans le champ d’application de cette disposition. À cet égard, il fait valoir que les obligations imposées à l’article 12 n’établissent pas de nouveaux droits, ce qui est confirmé par les travaux préparatoires de la Convention. L’État partie objecte aussi que l’auteur n’apporte pas la preuve qu’il existe en Australie une politique empêchant les personnes sourdes d’exercer la fonction de juré ; il réaffirme que le Gouvernement de la Nouvelle-Galles du Sud continuera à suivre les progrès dans les dispositifs d’aide aux personnes handicapées, les nouvelles techniques et les services d’interprétation, et passera en revue les politiques actuelles de façon à assurer une plus grande participation à des jurys des personnes ayant une déficience auditive et visuelle. L’État partie souligne en outre que le paragraphe 2 de l’article 12 de la Convention porte sur la reconnaissance de la capacité juridique dans des conditions d’égalité, mais ne couvre pas tous les aspects de la capacité ou de l’aptitude. Cette disposition ne couvre pas l’aptitude à exercer une activité, c’est-à-dire exercer la fonction de juré, mais vise la capacité d’accomplir des actes qui ont des incidences juridiques. D’après l’État partie, le paragraphe 5 de l’article 12 énumère les éléments de la personnalité juridique, et ne couvre pas les fonctions de juré. Enfin, étant donné que l’aptitude de l’auteur à exercer la fonction de juré n’a pas été examinée, l’État partie conclut que l’affaire ne se rapporte pas à des questions de capacité juridique et n’entre pas dans le champ d’application de l’article 12 de la Convention.

4.5En ce qui concerne le grief de l’auteur au titre du paragraphe 3 de l’article 12 de la Convention, à savoir que le refus de la shérif a violé le droit à l’accès à l’accompagnement dont l’auteur avait besoin, l’État partie affirme de nouveau que la fonction de juré n’est pas une expression de la capacité juridique et que l’État n’a donc pas l’obligation d’assurer un accompagnement dans ce domaine. Subsidiairement, l’État partie considère que le paragraphe 3 de l’article 12 définit son champ d’application en exigeant des États qu’ils prennent des mesures « appropriées », compte tenu des contraintes de ressources, et « proportionnées » à l’obligation de garantir que les personnes handicapées puissent autant que possible prendre elles-mêmes leurs décisions. L’État partie réaffirme que la Nouvelle‑Galles du Sud apporte déjà les aménagements nécessaires pour aider les personnes présentant une déficience auditive à s’acquitter de la fonction de juré.

4.6En ce qui concerne le grief tiré de l’article 13 de la Convention, l’État partie objecte qu’il n’entre pas dans le champ d’application de cette disposition, car l’expression « accès effectif à la justice » vise la capacité des personnes handicapées d’avoir accès au système de justice quand elles ont affaire avec les représentants de la loi, et non le droit de prendre part aux différents éléments qui composent le système de justice. L’État partie ajoute que, d’après les travaux préparatoires, il n’était pas dans l’intention des rédacteurs d’inclure les jurés dans la catégorie des personnes dont la participation « directe » et « indirecte » doit, selon l’article 13, être facilitée, car cette disposition vise les personnes dont l’intervention se rapporte au fond et à l’issue d’une affaire, comme les parties ou les témoins. Il ajoute que la norme de « l’aménagement raisonnable » ne s’applique pas à l’article 13. Il note que, conformément à l’article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, un traité doit être interprété suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité et à la lumière de son objet et de son but. À ce sujet, au lieu de renvoyer à la notion d’« aménagement raisonnable », l’article 13 précise « y compris par le biais d’aménagements procéduraux et d’aménagements en fonction de l’âge ». De plus, les « aménagements procéduraux et aménagements en fonction de l’âge » sont uniquement les aménagements raisonnables eu égard à la procédure ou à l’âge.

4.7Pour ce qui est du grief tiré de l’article 21 de la Convention, l’État partie convient que le sous-titrage par sténotypie est un moyen de communication. Toutefois, il objecte que l’article 21 b) de la Convention impose aux États parties l’obligation de prendre toutes les mesures appropriées, compte tenu des contraintes de ressources, et ne crée pas une obligation absolue pour les États. Il ajoute que les obligations qui découlent de l’article 21 b) doivent être mises en œuvre progressivement, en fonction des contraintes de ressources des États parties, et estime que l’État de la Nouvelle-Galles du Sud s’est acquitté de cette obligation. L’État partie note en outre que l’exercice de la fonction de juré ne s’étend pas aux « démarches officielles » au sens de l’article 21 b) de la Convention. L’État partie maintient par conséquent que le grief tiré de l’article 21 n’entre pas dans le champ d’application de cet article et qu’il est dénué de fondement.

4.8Pour ce qui est des griefs au titre de l’article 29 de la Convention, l’État partie objecte qu’ils n’entrent pas dans le champ d’application de cette disposition et sont dénués de fondement. Il fait observer que les droits politiques au sens de l’article 29 sont limités aux droits relatifs aux aspects du processus politique que sont le vote, les élections et la représentation, et ne portent pas sur la fonction de juré. L’État partie considère que l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques est la source principale du fond de l’article 29, et il renvoie aux commentaires sur la portée de l’article 25 ainsi qu’à la jurisprudence du Comité des droits de l’homme, qui confirment que cette disposition ne s’étend pas à l’exercice de la fonction de juré. L’État partie estime en outre que le grief de l’auteur devrait être examiné à la lumière des conditions et restrictions qui peuvent être appliquées conformément à l’observation générale no 25 (1996) du Comité des droits de l’homme sur l’article 25 (droit de prendre part à la direction des affaires publiques, de voter et d’être élu et d’accéder, dans des conditions d’égalité, aux fonctions publiques), et fait observer que l’État de la Nouvelle-Galles du Sud applique un système clair pour régir l’exercice de la fonction de juré, qui prévoit une dispense dans le cas où il existe une « cause justifiée ».

4.9En ce qui concerne l’article 5 de la Convention, l’État partie estime que le grief est sans fondement. Il souligne que la Convention représente une avancée majeure dans la reconnaissance des droits des personnes handicapées et la sensibilisation à leur situation et à la nécessité d’une approche nouvelle. La Convention ne crée pas de nouveaux droits, mais explicite ceux qui existent déjà, de façon à garantir leur exercice par les personnes handicapées. Par conséquent, l’article 5 devrait être interprété conformément à la jurisprudence constante qui veut que toute différence légitime de traitement ne constitue pas une discrimination. De plus, si les États parties ont certes l’obligation de prendre des mesures pour assurer le respect, la protection, la promotion et l’exercice du droit à la non‑discrimination, on ne peut pas comprendre l’égalité et la non-discrimination comme exigeant un traitement identique de toutes les personnes dans toutes circonstances. L’État partie considère donc que les dispositions pertinentes de son droit interne ne sont pas discriminatoires dans la mesure où le traitement différent prévu dans la loi relative aux jurys vise à assurer l’équilibre entre les droits des personnes handicapées et le droit de l’inculpé à un procès équitable. De plus, la législation, la pratique et la politique générale de l’État de la Nouvelle-Galles du Sud facilitent la participation à un jury des personnes ayant une déficience auditive quand c’est possible, conformément au paragraphe 3 de l’article 5 de la Convention ; les restrictions sont limitées aux cas dans lesquels le handicap ferait que l’intéressé est « inapte à exercer efficacement la fonction de juré ».

4.10En ce qui concerne les griefs tirés des articles 2, 4 et 9 de la Convention, l’État partie estime qu’ils sont dénués de fondement parce qu’ils ne sont pas étayés. Il affirme son ferme engagement en faveur du respect des droits des personnes handicapées et sa volonté de leur permettre d’exercer tous les droits fondamentaux dans des conditions d’égalité avec les autres, conformément à la Convention. Il respecte la règle qui exige que les États parties s’abstiennent de tout acte ou de toute pratique incompatible avec la Convention et encouragent la recherche, le développement et l’offre de nouvelles technologies, et assurent l’accessibilité à toutes les personnes handicapées.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans une réponse datée du 28 mai 2015, l’auteur a rejeté les objections de l’État partie qui affirme que sa communication est irrecevable en vertu de l’article 2 d) du Protocole facultatif. Il répète qu’il n’avait aucun droit d’action en vertu de la loi relative à la discrimination fondée sur le handicap ou de la loi antidiscrimination, qui lui aurait permis de porter plainte devant les juridictions de l’État partie. Dans l’affaire Gaye Prudence Lyons v. the State of Queensland, dans laquelle le shérif du Queensland avait exclu la plaignante de la liste des jurés parce qu’elle avait besoin d’un interprète en langue des signes australienne, la plaignante avait pu former une demande pour discrimination fondée sur une déficience en vertu de la loi antidiscrimination de 1991 (Queensland) parce que « l’application de la législation et des programmes de l’État » est un domaine de la vie dans lequel la discrimination est expressément interdite dans la loi et le shérif du Queensland, qui l’avait exclue de l’exercice de la fonction de juré, était chargé d’appliquer la loi de 1995 relative aux jurys (Queensland). Il n’y a pas d’équivalent de ce domaine dans la loi antidiscrimination de 1977 et, si la loi relative à la discrimination fondée sur le handicap prévoit l’administration des lois et programmes du Commonwealth dans le domaine protégé, la loi de 1977 relative aux jurys de la Nouvelle-Galles du Sud, en vertu de laquelle l’auteur a été exclu de l’exercice de la fonction de juré, est une loi de l’État. De plus, dans le cas de Mme Lyons, le tribunal a rejeté sa plainte pour discrimination directe et indirecte car elle n’avait pas été empêchée d’être juré parce qu’elle était sourde, mais parce qu’elle avait besoin d’un interprète en langue des signes australienne qui ne devait pas être présent dans la salle des délibérations. L’auteur affirme que ce raisonnement serait suivi par tout tribunal ou toute cour de justice de l’État partie et qu’une demande d’examen juridictionnel de la décision de la shérif n’aboutirait pas, puisque la loi australienne ne permet pas à un juré sourd de bénéficier de l’assistance d’une personne dans la salle des délibérations.

5.2Pour ce qui est des frais afférents à la procédure de plaintes pour discrimination fondée sur le handicap, l’auteur fait valoir qu’il lui serait possible de payer les frais pour engager cette procédure, mais que les coûts que le juge ordonnerait probablement au demandeur débouté d’acquitter sont ruineux. L’auteur explique qu’une des parties à cette procédure peut demander au tribunal de fixer un montant maximal pour les frais, mais que cette mesure est discrétionnaire et rare. Pour décider d’exercer ce pouvoir discrétionnaire, les tribunaux étudient un certain nombre de facteurs, et examinent notamment s’il y a matière à plainte. L’argument de l’État partie qui laisse entendre que l’auteur aurait pu obtenir un ordre fixant le montant maximal des frais alors que sa demande n’avait pas de perspective raisonnable d’aboutir est donc fallacieux.

5.3L’auteur répète que, d’après ce qu’un conseil juridique lui avait dit, il n’avait pas matière à plainte en vertu de la loi relative à la discrimination fondée sur le handicap ou de la loi antidiscrimination. En Australie, les professionnels du droit ont l’obligation, selon les dispositions de l’article 345 de la loi de 2004 relative à la profession d’avocat, de ne pas engager ou maintenir une action civile qui n’a pas de chance raisonnable d’aboutir. Le professionnel qui ne respecte pas cette obligation pourrait être contraint de payer lui‑même les frais de justice et être déclaré coupable de manquement aux règles de la profession et même d’être suspendu ou radié. L’auteur considère donc que le Comité devrait écarter l’argument de l’État partie qui engage l’auteur à se lancer dans une action en justice qui n’a aucune chance d’aboutir.

5.4Pour ce qui est de l’argument de l’État partie qui affirme que les griefs tirés des articles 2, 4, 5 et 9 de la Convention devraient être déclarés irrecevables, l’auteur objecte que l’article 2 est une disposition interprétative en vertu de laquelle le sous-titrage par sténotypie doit être considéré comme une forme de communication et comme un aménagement raisonnable nécessaire pour qu’il puisse exercer la fonction de juré, questions que l’État partie n’a pas contestées.

5.5En ce qui concerne l’article 4 de la Convention, l’auteur note qu’il énonce les obligations générales des États parties, qui s’appliquent à toutes les obligations particulières de la Convention, y compris celles qui découlent des articles 12, 13, 21 et 29. L’auteur fait valoir que la simple existence des violations des droits de l’homme dont il tire grief démontre que l’État partie n’a pas honoré ces obligations générales. Il ajoute que le Gouvernement de la Nouvelle-Galles du Sud était en mesure de réaliser l’aménagement raisonnable qu’il demande et que si l’État partie considère qu’il existe un obstacle d’ordre juridique à la participation des personnes sourdes qui ont besoin de l’assistance d’un tiers pour exercer la fonction de juré, il a le pouvoir constitutionnel de faire adopter les réformes législatives nécessaires. L’auteur ajoute que les obligations générales découlant de l’article 9 s’appliquent à la réalisation de tous les objectifs spécifiques énoncés dans la Convention, dont l’État partie ne s’est pas acquitté en l’espèce. Il maintient que le sous‑titrage par sténotypie est, selon les termes de l’article 9 de la Convention, « une technique ou un système de communication » et une forme d’« aide humaine ou animalière » dont il a besoin.

5.6En ce qui concerne le fond de ses griefs, l’auteur renvoie aux règles générales d’interprétation prévues dans la Convention de Vienne. Il note dans ce contexte que l’expression « capacité juridique », à l’article 12, vise l’aptitude d’une personne à exercer ses droits et facultés tels qu’ils sont prévus par la loi, à s’acquitter des obligations ou des devoirs juridiques et à assumer des responsabilités juridiques. Aucun texte ne peut servir à fonder l’idée que la référence à la capacité juridique faite au paragraphe 2 de l’article 12 est limitée à l’exercice des droits prévus par la loi ou que l’expression a d’une autre manière « un sens limité et particulier » ou vise un « ensemble distinct de la capacité ». Donner à la capacité juridique le sens étroit proposé par l’État partie irait à l’encontre de l’objectif de la Convention puisque ce serait limiter l’application du paragraphe 2 de l’article 12 aux personnes ayant des déficiences cognitives qui nécessitent un appui à la prise de décisions.

5.7L’auteur ajoute que dans sa réponse de 2010 au rapport de la Commission de réforme des lois, le Gouvernement de la Nouvelle-Galles du Sud a clairement indiqué qu’il ne pouvait pas, à ce stade, donner effet à la recommandation tendant à permettre aux personnes sourdes d’exercer la fonction de juré. En décembre 2013, l’État de la Nouvelle Galles-du Sud a mis à jour la réponse de 2010 en faisant savoir que, compte tenu des graves préoccupations exprimées par les parties intéressées, le Gouvernement ne soutenait pas l’introduction de modifications à la loi relative aux jurys, mais s’engageait à suivre les progrès dans les dispositifs d’aide aux personnes handicapées, les nouvelles techniques et les services d’interprétation, de façon à assurer une plus grande participation des personnes ayant des déficience auditive et visuelle. D’après l’auteur, cela démontre la politique actuelle de l’État de la Nouvelle-Galles du Sud et de son shérif et met en doute la capacité juridique des personnes sourdes pour exercer la fonction de juré. De plus, quand elles s’engagent à suivre les progrès dans la situation, les autorités visent les aménagements qui n’impliquent pas la présence d’un tiers pour aider un juré sourd dans la salle des délibérations.

5.8L’auteur affirme qu’un sténographe est l’« accompagnement approprié » dont il a besoin pour exercer la fonction de juré, conformément au paragraphe 3 de l’article 12 de la Convention. L’obligation qui s’impose aux États parties de prendre « des mesures appropriées » pour donner aux personnes handicapées l’assistance dont elles peuvent avoir besoin dans l’exercice de leur capacité juridique est une obligation particulière de l’article 12 qui s’ajoute aux obligations générales énoncées dans d’autres articles de la Convention, dont les articles 4, 5 et 9. L’auteur considère qu’il faut donc interpréter l’article 12 à la lumière des obligations transversales découlant des paragraphes 1 et 3 de l’article 5, étant donné que le sous-titrage par sténotypie est un aménagement raisonnable qui va dans le sens de l’égalité devant la loi pour l’exercice de la capacité juridique. Il ajoute que cet aménagement raisonnable devrait s’accompagner de mesures d’ordre législatif tendant à modifier et à abroger certaines parties de la loi relative aux jurys afin d’affirmer que la présence d’un sténographe dans la salle des délibérations est possible et de faciliter la communication entre les jurés sourds et les jurés entendants. L’auteur note que l’État partie ne prétend pas que la fourniture d’un sous-titrage par sténotypie constituerait une « charge disproportionnée ou indue », mais objecte qu’il a déjà pris des mesures pour permettre aux personnes sourdes de participer à un jury, alors que ces mesures ne sont pas utiles dans son cas.

5.9D’après l’auteur, par « participants directs et indirects », il faut comprendre les individus qui font partie du système judiciaire, y compris les jurés. L’auteur ajoute que la participation ou l’« intervention » des personnes handicapées dans le système de justice, par exemple en qualité de juge, de juré et de professionnel du droit, est un moyen pour elles d’obtenir accès à la justice et qu’il n’assimile pas l’obligation faite à l’article 5 de la Convention de fournir des « aménagements raisonnables » à l’obligation faite à l’article 13 de fournir des « aménagements procéduraux et des aménagements en fonction de l’âge ». Les deux obligations sont liées mais elles ont un sens et une portée différents. Dans la présente affaire, la fourniture du sous-titrage par sténotypie est un aménagement raisonnable qui facilite la participation de l’auteur à une procédure judiciaire, ce qui demande également un aménagement de procédure, par exemple instituer une prestation de serment pour les sténographes, qui s’engageraient à respecter le secret des délibérations du jury, ou une instruction expresse du tribunal demandant à tous les jurés de ne pas débattre ou délibérer de l’affaire avec le sténographe et de limiter les échanges avec lui ou elle à ce qui concerne la facilitation de la communication avec le juré sourd. L’auteur considère par conséquent que l’État partie n’a pas montré que la mise en œuvre de l’aménagement nécessaire entraînerait une charge disproportionnée ou indue et serait donc déraisonnable, ce qui constitue une atteinte aux droits protégés par l’article 21, seul et lu conjointement avec l’article 5.

5.10L’auteur affirme aussi que les mesures que l’État partie prétend avoir prises ne satisfont pas à l’obligation qui découle de l’article 21 b) de la Convention et que les textes n’étayent pas l’affirmation selon laquelle la référence à des « démarches officielles » n’est pas applicable en l’espèce : les tribunaux sont des autorités ou organes publics et leurs activités sont consacrées à l’administration publique de la justice, y compris par la conduite de procès avec jury. Un juré a une responsabilité publique dans l’administration de la justice et participe à des échanges avec d’autres personnes qui exercent des fonctions et responsabilités publiques, en particulier les autres jurés, et avec les autres membres de l’administration judiciaire.

5.11En ce qui concerne le grief tiré de l’article 29 de la Convention, l’auteur fait valoir que le Comité a compétence pour examiner les allégations de violation des droits politiques des personnes handicapées, y compris le droit de participer à la conduite des affaires publiques et le droit d’accéder à la fonction publique. Le Comité a donc compétence pour évaluer les mesures prises par les États parties afin de garantir l’exercice des droits politiques par les personnes handicapées dans des conditions d’égalité avec les autres. L’auteur note que la « conduite des affaires publiques » est une notion étendue qui englobe l’exercice du pouvoir de direction par toutes les branches de l’État, y compris par l’administration de la justice. Les jurés jouent un rôle dans le pouvoir judiciaire puisqu’ils participent directement à la détermination de la culpabilité ou de l’innocence dans un procès pénal ou à la responsabilité dans un procès civil. Ils sont donc engagés dans la conduite des affaires publiques et dans un service public, qui est l’administration publique de la justice. L’auteur conclut que la décision de l’exclure de l’exercice de la fonction de juré ne reposait pas sur des motifs raisonnables et objectifs et qu’elle a donc été arbitraire et discriminatoire.

5.12Enfin, en ce qui concerne l’argument de l’État partie qui affirme que l’auteur prétend trouver et invoquer de « nouveaux droits », l’auteur répond que les termes de la Convention doivent être interprétés dans un sens large, eu égard au but de la Convention. Il ajoute que l’on ne peut pas se retrancher derrière la notion de nouveaux droits pour empêcher l’application de droits traditionnels aux circonstances particulières des personnes handicapées, même si cela suppose d’étendre la compréhension traditionnelle de droits traditionnels.

Observations supplémentaires de l’État partie

6.1Dans une note du 23 octobre 2015, l’État partie a fait parvenir des observations supplémentaires. Il affirme de nouveau que la Convention n’établit pas de droits nouveaux pour les personnes handicapées. Il relève qu’un certain nombre d’expressions de la Convention, comme « capacité juridique » et « participation directe et indirecte » ne sont pas définies, que leur sens est ambigu et qu’il convient donc de se référer aux travaux préparatoires pour les comprendre. L’État partie considère que la mention des « droits politiques » à l’article 29 de la Convention n’englobe pas et ne garantit pas tous les droits de l’homme qualifiés plus généralement de droits politiques dans le droit international des droits de l’homme, et il souligne que l’exercice de la fonction de juré n’est pas un élément de la « conduite des affaires publiques » au sens de l’article 29.

6.2L’État partie ajoute que les mesures prises par l’État de la Nouvelle-Galles du Sud sont « appropriées » et sont des « aménagements procéduraux et des aménagements en fonction de l’âge », et sont donc conformes aux articles 12 et 21 de la Convention ainsi qu’à l’article 13. Il précise que l’utilisation des services de sténographe a des incidences sur la complexité, le coût et la durée des procès et a donc des conséquences pour les ressources, comme l’a souligné le Gouvernement de la Nouvelle-Galles du Sud dans sa réponse de 2010 au rapport de la Commission de réforme des lois.

B.Examen de la recevabilité et examen au fond

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit déterminer, conformément à l’article 2 du Protocole facultatif et à l’article 65 de son règlement intérieur, si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions de l’alinéa c) de l’article 2 du Protocole facultatif, que la même affaire n’avait pas été examinée par le Comité et qu’elle n’avait pas déjà été examinée ou n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité note l’argument de l’État partie qui objecte que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles parce qu’il pouvait déposer une requête en application de la loi relative à la discrimination fondée sur le handicap ou de la loi antidiscrimination auprès de la Cour fédérale d’Australie ou du Tribunal fédéral de circuit dans les soixante jours suivant la clôture de la procédure de plainte devant la Commission australienne des droits de l’homme. Il constate également que l’État partie affirme que les frais pour déposer cette requête s’élèvent à 55 dollars australiens et que le Tribunal fédéral de circuit peut également fixer le montant maximal des coûts qui peut être perçu. Le Comité note l’argument de l’auteur qui fait valoir qu’une plainte devant un tribunal ne pourrait pas assurer un recours utile et raisonnablement accessible en vertu de la loi relative à la discrimination fondée sur le handicap ou de la loi antidiscrimination dans son cas parce que : a) la première loi interdit la discrimination fondée sur le handicap dans des domaines précis de la vie publique, mais ne s’applique pas à son cas ; b) la loi antidiscrimination contient l’interdiction de la discrimination fondée sur le handicap dans des domaines précis de la vie publique, qui ne couvrent pas la question de la fonction de juré. Le Comité note également l’argument de l’auteur qui objecte que, la législation et la jurisprudence australiennes dans le domaine de la discrimination étant ce qu’elles sont, toute tentative de porter devant un tribunal une plainte pour les violations qu’il avance, en vertu de l’une ou l’autre loi, serait également vouée à l’échec, ce qui exclut la possibilité pour lui d’obtenir d’un tribunal fédéral un ordre fixant le montant maximal des frais, puisque sa plainte n’a pas de perspective raisonnable d’aboutir.

7.4À la lumière de ce qui précède, le Comité considère que les informations qu’il a reçues des parties ne lui permettent pas de conclure que la plainte que l’auteur aurait pu déposer en vertu de la loi antidiscrimination ou de la loi relative à la discrimination fondée sur le handicap aurait eu des chances raisonnables d’aboutir et lui aurait assuré un recours utile. Étant donné la nature des griefs présentés dans la communication et à la lumière des renseignements donnés par les parties, le Comité considère que l’auteur a épuisé tous les recours internes disponibles qui auraient une chance de lui assurer un recours effectif, et que l’article 2 d) du Protocole facultatif ne fait donc pas obstacle à la recevabilité de la communication.

7.5Le Comité note aussi l’argument de l’État partie qui objecte que les griefs tirés des articles 2, 4, 5 et 9 de la Convention sont irrecevables faute d’être étayés. En ce qui concerne les articles 2 et 4, le Comité rappelle que, vu leur caractère général, ces articles ne font pas naître des griefs distincts et ne peuvent être invoqués que conjointement avec d’autres droits garantis par la Convention. Le Comité considère par conséquent que les griefs tirés des articles 2 et 4 lus seuls sont irrecevables en vertu de l’article 2 e) du Protocole facultatif. Il considère que les griefs tirés des articles 5 et 9 sont suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et procède à leur examen quant au fond.

7.6En ce qui concerne la violation de l’article 12 de la Convention parce que l’auteur s’est vu dénier le droit à l’exercice de la capacité juridique dans les conditions d’égalité du fait du refus de la shérif de lui fournir un sous-titrage par sténotypie, le Comité note que la shérif a justifié sa décision sur le fondement de l’article 48 de la loi de 1977 relative aux jurys, en affirmant que la présence d’un tiers dans la salle du jury porterait atteinte au principe de la confidentialité des délibérations. Le Comité note donc que l’État partie n’a à aucun moment mis en cause la capacité juridique de l’auteur d’exercer la fonction de juré. Par conséquent, il conclut que le grief est incompatible ratione materiae avec l’article 12 de la Convention et est donc irrecevable en vertu de l’article 2 b) du Protocole facultatif.

7.7Le Comité note que l’État partie n’a pas soulevé d’objection à la recevabilité des griefs tirés des articles 13, 21 et 29 de la Convention. En conséquence, il déclare ces parties de la communication recevables et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

8.1Le Comité a examiné la présente communication à la lumière de toutes les informations qui lui avaient été communiquées par les parties, conformément aux dispositions de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.2Le Comité note que, d’après l’auteur, le refus de mettre à sa disposition un sous‑titrage par sténotypie pour lui permettre d’exercer la fonction de juré était discriminatoire en ce qu’il représentait un refus d’aménagement raisonnable, en violation des paragraphes 1 et 3 de l’article 5 de la Convention. Il note également que l’État partie objecte qu’il n’y a eu aucune violation des droits consacrés par l’article 5, car la loi applicable n’est pas discriminatoire et que la différence de traitement prévue dans la loi relative aux jurys est légitime. L’État partie estime aussi que tant dans la loi que par sa politique générale, il offre des aménagements raisonnables conformément aux dispositions de la Convention.

8.3Dans la définition de la discrimination fondée sur le handicap donnée à l’article 2 de la Convention, il est précisé expressément que cette discrimination « comprend toutes les formes de discrimination, y compris le refus d’aménagement raisonnable ». En l’espèce, l’auteur a été convoqué trois fois pour faire partie d’un jury, dont deux fois après avoir indiqué qu’il était prêt à participer à la sélection, mais que pour cela il aurait besoin de sous‑titrage. Le Comité note en outre que, quand elle a rejeté la demande de sous-titrage, la shérif a conseillé à l’auteur de présenter un certificat médical attestant sa surdité, faute de quoi il risque une amende de 1 100 dollars australiens pour manquement à l’obligation d’exercer la fonction de juré. De surcroît, le bureau du shérif a clairement dit à l’auteur qu’il ne pouvait pas exercer la fonction de juré parce qu’il était sourd et a invoqué l’article 48 de la loi de 1977 relative aux jurys pour justifier son refus de fournir le sous‑titrage, vu que la présence dans la salle des délibérations d’une personne étrangère au jury serait incompatible avec la confidentialité des débats. Le Comité rappelle à ce sujet que la discrimination peut résulter de l’effet discriminatoire d’une règle ou d’une mesure apparemment neutre ou dénuée de toute intention discriminatoire, mais qui touche de manière disproportionnée les personnes handicapées. De plus, le paragraphe 1 de l’article 5 de la Convention impose aux États parties l’obligation de reconnaître que toutes les personnes sont égales devant la loi et en vertu de celle-ci et qu’elles ont droit sans discrimination à l’égale protection et à l’égal bénéfice de la loi et, conformément au paragraphe 3 de l’article 5, ils doivent prendre toutes les mesures appropriées pour que des aménagements raisonnables soient apportés afin de promouvoir l’égalité et d’éliminer la discrimination.

8.4À ce sujet, le Comité rappelle que, d’après l’article 2 de la Convention, on entend par « aménagement raisonnable » les modifications et ajustements nécessaires et appropriés n’imposant pas de charge disproportionnée ou indue, pour assurer aux personnes handicapées la jouissance ou l’exercice, sur la base de l’égalité avec les autres, de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales. Le Comité considère que, pour évaluer le caractère raisonnable et proportionné des mesures d’aménagement, les États parties disposent d’une certaine marge d’appréciation. Cela étant, les États parties doivent veiller à ce que cette appréciation soit approfondie et objective, c’est-à-dire porte sur tous les éléments pertinents, avant de conclure que les mesures d’accompagnement et d’adaptation demandées entraîneraient une charge disproportionnée ou indue pour un État partie.

8.5Dans la présente affaire, le Comité relève que les ajustements offerts par l’État partie aux personnes ayant une déficience auditive ne permettraient pas à l’auteur de faire partie d’un jury dans des conditions d’égalité avec les autres. Il note également que, si l’État partie fait valoir que l’utilisation d’un sténographe a une incidence sur la complexité, le coût et la durée des procès, il n’apporte aucune donnée ni analyse pour démontrer qu’elle constituerait une charge disproportionnée ou indue. De plus, s’il est vrai que le principe de la confidentialité des délibérations du jury doit être respecté, l’État partie n’apporte aucun argument pour justifier qu’aucun ajustement, par exemple une prestation spéciale de serment devant le tribunal, ne serait possible pour permettre à la personne qui s’occupe du sous-titrage par sténotypie de s’acquitter de sa tâche sans enfreindre la confidentialité des débats. Le Comité note enfin que la technique du sous-titrage par sténotypie n’est pas une nouveauté et que des juges et des avocats ayant une déficience auditive travaillent quotidiennement avec un ajustement de ce type. Sur la base des renseignements dont il dispose, le Comité considère que l’État partie n’a pas pris les mesures nécessaires pour garantir la mise en place d’aménagements raisonnables et conclut que le refus de fournir des services de sous‑titrage par sténotypie sans avoir procédé à une évaluation approfondie pour déterminer s’il en résulterait une charge disproportionnée ou indue, revient à exercer une discrimination fondée sur le handicap, en violation des droits consacrés par les paragraphes 1 et 3 de l’article 5 de la Convention.

8.6En ce qui concerne le grief tiré du paragraphe 1 de l’article 9 de la Convention, le Comité rappelle qu’en vertu de cette disposition, les États parties ont l’obligation de prendre les mesures appropriées pour « permettre aux personnes handicapées de vivre de façon indépendante et de participer pleinement à tous les aspects de la vie ». Il note à ce sujet que la fonction de juré est un aspect important de la vie civique au sens du paragraphe 1 de l’article 9, car elle représente une manifestation de la citoyenneté active. Le Comité relève que l’État partie affirme qu’il consacre des efforts et des ressources importants pour permettre aux personnes handicapées d’exercer sans réserve tous les droits de l’homme, dans des conditions d’égalité avec les autres. Il rappelle également que, conformément à son observation générale no 2 (2014) (art. 9 : Accessibilité), l’obligation d’assurer l’accessibilité est inconditionnelle, et qu’il importe d’envisager la question de l’accessibilité dans toute sa complexité, en tenant compte également de la communication. L’accès doit également être garanti en toute égalité de façon effective, conformément à l’interdiction de la discrimination ; le refus d’accès devrait être considéré comme constitutif d’un acte discriminatoire. En l’espèce, l’État partie a refusé de fournir un sous-titrage par sténotypie et de ce fait n’a pas pris les mesures appropriées pour permettre à l’auteur d’exercer la fonction de juré, ce qui a empêché sa participation à une activité qui est clairement un « aspect de la vie », en violation des droits consacrés au paragraphe 1 de l’article 9, seul et lu conjointement avec les articles 2 et 4 et avec les paragraphes 1 et 3 de l’article 5 de la Convention.

8.7Pour ce qui est du grief de violation de l’article 21 de la Convention, le Comité note l’argument de l’État partie qui objecte que l’État de la Nouvelle-Galles du Sud a rempli l’obligation d’accepter et de faciliter l’emploi de la langue des signes et d’autres moyens de communication en l’espèce, et que les obligations qui découlent de l’article 21 doivent être mises en œuvre progressivement. Le Comité note la réponse de l’auteur qui affirme que l’article 21 ne consacre pas des droits et des obligations qui peuvent être mis en œuvre progressivement et que les mesures que l’État partie dit avoir prises pour permettre aux personnes sourdes d’exercer la fonction de juré ne sont pas adaptées à ses besoins.

8.8Le Comité rappelle que l’article 21 b) de la Convention dispose que les États parties doivent prendre toutes les mesures appropriées pour que les personnes handicapées puissent exercer le droit à la liberté d’expression et d’opinion, y compris la liberté de demander, recevoir et communiquer des informations et des idées, sur la base de l’égalité avec les autres et par tout moyen de communication, en acceptant et facilitant différents moyens, modes et formes de communication pour les démarches officielles. Le Comité rappelle en outre l’article 2 de la Convention qui définit la « communication » comme visant les langues ainsi que les modes, moyens et formes de communication alternative, ce qui comprend à l’évidence les dispositifs de sous-titrage. Dans ce contexte, le Comité note l’argument de l’auteur qui estime que les jurés ont une responsabilité publique dans l’administration de la justice et « participent à des échanges avec d’autres personnes », en particulier les autres jurés, et avec les autres membres de l’administration judiciaire et que ces échanges constituent donc des « démarches officielles » au sens de l’article 21. À la lumière de ce qui précède, le Comité considère que le refus de fournir à l’auteur la forme de communication dont il a besoin pour lui permettre d’être juré et, par conséquent, de s’exprimer dans une démarche officielle, a représenté une violation de l’article 21 b), seul et lu conjointement avec les articles 2 et 4 et avec les paragraphes 1 et 3 de l’article 5 de la Convention.

8.9En ce qui concerne les griefs au titre du paragraphe 1 de l’article 13 et de l’article 29 de la Convention, le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui objecte que ces griefs sont dénués de fondement, car l’expression « accès effectif à la justice » vise l’accessibilité au système de justice et l’expression « participation directe et indirecte » ne recouvre pas la fonction de juré. L’État partie fait aussi valoir que la norme de « l’aménagement raisonnable » ne s’applique pas à l’article 13. D’après l’auteur, par « participants directs et indirects », il faut comprendre les individus qui font partie du système judiciaire, et les obligations au titre de l’article 5 qui imposent d’apporter des « aménagements raisonnables » valent pour la réalisation de ces droits. Le Comité rappelle que, conformément à l’article 13, les États parties sont tenus d’assurer l’accès effectif des personnes handicapées à la justice, sur la base de l’égalité avec les autres, y compris par le biais d’aménagements procéduraux et d’aménagements en fonction de l’âge, afin de faciliter leur participation effective, « directe ou indirecte », à toutes les procédures judiciaires. Le Comité note que l’exercice de la fonction de juré fait partie intégrante du système judiciaire australien et constitue par conséquent une « participation » aux procédures judiciaires. Le Comité rappelle en outre que l’article 29 b) impose aux États de promouvoir activement un environnement dans lequel les personnes handicapées peuvent effectivement et pleinement participer à la conduite des affaires publiques, sans discrimination et sur la base de l’égalité avec les autres, et d’encourager leur participation aux affaires publiques. Il faut donc prêter attention à la participation des personnes handicapées au système de justice non seulement en qualité de demandeur, de victime ou de défendeur, mais également en qualité de juré, dans des conditions d’égalité avec les autres. Au vu de ce qui précède, le Comité estime que la décision de la shérif de ne pas fournir à l’auteur un sous-titrage par sténotypie a constitué une violation du paragraphe 1 de l’article 13, seul et lu conjointement avec l’article 3, le paragraphe 1 de l’article 5 et l’article 29 b) de la Convention.

C.Conclusions et recommandations

9.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que l’État partie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des paragraphes 1 et 3 de l’article 5, du paragraphe 1 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 13, seul et lu conjointement avec l’article 3, le paragraphe 1 de l’article 5 et l’article 29 b), et de l’article 21 b), seul et lu conjointement avec les articles 2 et 4 et les paragraphes 1 et 3 de l’article 5 de la Convention. En conséquence, le Comité fait les recommandations ci-après à l’État partie :

a)À l’égard de l’auteur : l’État partie est tenu :

i)De lui assurer une réparation effective, y compris le remboursement de tous frais de justice qu’il aura engagés, ainsi qu’une indemnisation ;

ii)De lui permettre de participer à un jury en effectuant des aménagements raisonnables sous la forme d’un sous-titrage par sténotypie, selon des modalités qui préservent la confidentialité de la procédure, à tous les stades de la sélection des membres du jury et de la procédure judiciaire ;

b)D’une façon générale, l’État partie est tenu de prendre des mesures pour éviter que des violations analogues ne se reproduisent, notamment :

i)En veillant à ce que, chaque fois qu’une personne handicapée est tirée au sort pour être membre d’un jury, une évaluation approfondie, objective et complète de sa demande d’aménagement soit réalisée, et que tous les aménagements raisonnables soient effectivement assurés pour lui permettre de participer au jury sans restriction ;

ii)En apportant les modifications nécessaires à tous les textes législatifs et réglementaires ainsi que dans les politiques et programmes, en consultation étroite avec les personnes handicapées et les organisations qui les représentent ;

iii)En dispensant régulièrement une formation appropriée concernant l’application de la Convention et de son Protocole facultatif, notamment sur l’accessibilité pour les personnes handicapées, à l’intention des autorités locales, comme les shérifs, et des personnels judiciaires et des personnes qui participent aux activités facilitant le travail de la justice.

10.Conformément à l’article 5 du Protocole facultatif et à l’article 75 du règlement intérieur du Comité, l’État partie est invité à soumettre au Comité, dans un délai de six mois, une réponse écrite dans laquelle il indiquera toute mesure qu’il aura prise à la lumière des présentes constatations et recommandations. L’État partie est également invité à rendre publiques les constatations du Comité, à les faire traduire dans la langue officielle et à les diffuser largement, sous des formes accessibles, auprès de tous les groupes de la population.