NATIONS UNIES

CRC

Convention relative aux droits de l'enfant

Distr.GÉNÉRALE

CRC/C/SR.9578 juin 2004

Original: FRANÇAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’ENFANT

Trente-sixième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 957e SÉANCE

tenue au Palais Wilson, à Genève,le mardi 25 mai 2004, à 10 heures

Président: M. DOEK

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES (suite)

Rapport initial du Libéria

La séance est ouverte à 10 heures.

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES (point 4 de l’ordre du jour) (suite)

Rapport initial du Libéria (CRC/C/65/Add.24; liste des points à traiter (CRC/C/Q/LIB/1); réponses écrites du Libéria (CRC/C/RESP/56))

1. Sur l’invitation du Président, M me  Gayflor, M. Ja’neh, M. Coleman, M me  Caesar et M. Bruthus (Libéria) prennent place à la table du Comité.

2.Mme GAYFLOR (Libéria) dit que les guerres civiles successives qui ont ravagé le Libéria au cours des 14  années écoulées ont eu des conséquences extrêmement néfastes pour les enfants libériens. Les structures socioéconomiques et les institutions politiques se sont désintégrées, comme en témoignent l’absence de services de base, le déplacement de près de la moitié de population, le chômage massif et l’émigration des travailleurs qualifiés et des spécialistes. On compte aujourd’hui 400 professionnels de la santé contre plus de 2 000 en 1989. Plus de 80 % des habitants du pays vivent dans la misère et l’écrasante majorité des parents ne parviennent pas à satisfaire les besoins essentiels de leurs enfants dans les domaines de l’alimentation, de la santé, de l’éducation, du logement et de l’habillement. Pendant cette période troublée, les gouvernements successifs n’ont pas été en mesure de remédier à cette situation à cause de l’insécurité et du manque de ressources et de volonté politique. À ce jour, 46 % seulement du million et demi d’enfants que compte le pays sont scolarisés et le taux de mortalité infantile du Libéria est le plus élevé du monde.

3.Depuis 2000, année où le Libéria a soumis son rapport, la situation des enfants s’est considérablement détériorée et un grand nombre d’entre eux, environ 20 000 d’après les estimations, ont été pour la deuxième ou la troisième fois au cours de leur existence recrutés par des forces combattantes. Le Gouvernement national de transition du Libéria est conscient des insuffisances du rapport initial et des nombreuses tâches qu’il lui reste à accomplir. Il doit notamment prendre des mesures appropriées pour mettre en œuvre la Convention, élaborer un plan d’action national en faveur de l’enfance, mettre la législation nationale en conformité avec les dispositions de la Convention, notamment celles qui concernent la définition de l’enfant, et sensibiliser davantage la population à la Convention. Faute de ressources, le Gouvernement n’est toutefois pas en mesure d’assurer une large diffusion de la Convention et du rapport initial.

4.Le renforcement du système d’administration de la justice pour mineurs constitue une priorité nationale. Il en va de même pour la question de la réinsertion des enfants impliqués dans les combats.

5.Le Gouvernement national de transition, mis en place à la suite de la signature de l’Accord de paix global d’Accra, en août 2003, s’emploie à améliorer la situation des enfants, en particulier dans les domaines de la santé, de la nutrition, de la protection de l’enfance, de l’enseignement de base et de la participation. Le Ministère de la justice a élaboré, en collaboration avec un groupe d’ONG dirigé par l’Association des avocates du Libéria, un projet d’amendement au Code pénal visant à aggraver les peines infligées aux auteurs de viol et d’autres formes de violence, notamment les violences domestiques. Ce projet sera soumis à l’Assemblée nationale de transition du Libéria.

6.La communauté internationale appuie le processus de paix au Libéria, comme en témoignent les annonces de contribution faites lors de la Conférence internationale pour la reconstruction du Libéria tenue récemment à New York. Le programme de désarmement, de démobilisation, de réadaptation et de réinsertion a été relancé, l’accent étant mis tout particulièrement sur les enfants soldats. À ce jour, plus de 2 000 d’entre eux ont bénéficié de ce programme et ce nombre ne cesse d’augmenter. Le Gouvernement espère que le Mécanisme de coordination du suivi de l’application du Cadre transitoire orienté vers l’obtention de résultats aidera à protéger les droits de l’enfant grâce à la prestation de services de base. Le Gouvernement libérien est profondément reconnaissant à la communauté internationale, en particulier au système des Nations Unies et à l’UNICEF, de l’aider à donner effet aux dispositions de la Convention relative aux droits de l’enfant.

7.M. KRAPPMANN, Rapporteur pour le Libéria, remercie la délégation libérienne d’être venue à Genève malgré la grave crise que traverse le Libéria et d’avoir donné au Comité des informations sur l’évolution de la situation depuis la rédaction du rapport initial. Le Comité est conscient que le Libéria a été dévasté par la guerre et que tout est à reconstruire, mais il veut croire que la situation reviendra peu à peu à la normale.

8.L’instauration de la paix, de la justice et de la sécurité et la réconciliation constituent une tâche colossale. En effet, sur les trois millions de personnes que compte le pays, plus d’un demi‑million ont été déplacées, environ 80 % des adultes sont au chômage, près de 80 % de la population vivent au‑dessous du seuil de pauvreté et 70 % n’ont pas accès à l’eau potable. Il convient de rappeler à ce propos que le pays possède d’importantes ressources naturelles mais que, malheureusement, les revenus tirés de ces ressources ont disparu.

9.Le Comité fera tout ce qui est en son pouvoir pour convaincre la communauté internationale d’aider le Gouvernement libérien dans les efforts considérables qu’il déploie pour améliorer la situation des enfants qui ont été blessés dans leur corps et psychologiquement traumatisés et faciliter leur réadaptation et leur réinsertion.

10.Le Libéria doit accorder la priorité des priorités à la démobilisation des nombreux enfants soldats ainsi qu’à la réadaptation et à la réinsertion non seulement de ces enfants mais aussi de tous les autres enfants qui ont été d’une manière ou d’une autre traumatisés par ce qu’ils ont subi ou vu ou entendu. Il serait intéressant à cet égard de savoir comment fonctionnent les centres de réadaptation pour enfants démobilisés, combien de temps les enfants y séjournent, si on leur y enseigne des valeurs telles que le respect mutuel et l’esprit de coopération et si les enfants qui sortent de ces centres font l’objet d’un suivi visant à vérifier que leur réinsertion dans leur communauté se passe bien.

11.Il y a lieu de se demander comment l’État partie peut appliquer l’article 12 de la Convention et garantir à des enfants qui peu de temps auparavant terrorisaient leur communauté le droit d’exprimer librement leur opinion sur les questions les intéressant. Il semblerait en effet que ces enfants aient davantage besoin d’éducation et de directives. Pareillement, s’agissant de l’intérêt supérieur de l’enfant, on peut se demander s’il est possible de trouver un juste équilibre entre l’intérêt des enfants et l’intérêt des autres personnes alors que des milliers d’enfants ont dû lutter pour survivre et se protéger de la violence et de l’exploitation avec peu ou pas du tout de soutien de la part des adultes.

12.La délégation libérienne pourrait indiquer si le Gouvernement a, comme il l’envisageait, créé au sein du Ministère du genre et du développement une unité chargée de l’enfance et, dans l’affirmative, si cette unité dispose des ressources financières et humaines suffisantes pour s’acquitter de sa tâche.

13.Enfin, il serait utile de savoir pourquoi le plan d’action national ne sera pas mis en œuvre avant la fin de 2005. En tout état de cause, la sensibilisation aux droits de l’enfant, la création d’une commission de secours en cas de catastrophe et la promotion de la participation des enfants à toutes les décisions les concernant sont autant d’actions à mener sans délai.

14.M. FILALI, Corapporteur pour le Libéria, constate qu’il ressort du rapport et des réponses écrites que le Libéria met tout en œuvre pour reconstruire le pays et améliorer la situation des enfants, notamment dans le cadre du programme de désarmement, de démobilisation, de réadaptation et de réinsertion, dont la délégation libérienne pourrait préciser le contenu, les modalités de financement et le personnel chargé de l’exécuter.

15.Il serait intéressant de savoir en outre quelles mesures entend prendre l’État partie pour mettre sa législation en conformité avec les dispositions de la Convention, notamment celles qui concernent la définition de l’enfant, l’intérêt supérieur de l’enfant, la non‑discrimination, le droit de l’enfant d’exprimer son opinion et la famille. Enfin, des renseignements sur le rôle que joue la Commission nationale indépendante des droits de l’homme dans la promotion et la protection des droits de l’enfant seraient utiles.

16.Mme AL‑THANI demande si l’État partie dispose des infrastructures et du personnel nécessaires pour soigner les nombreux enfants qui souffrent de handicaps physiques ou mentaux dus à la guerre.

17.Mme SMITH demande des précisions sur les progrès accomplis dans la mise en œuvre du programme de désarmement, de démobilisation, de réadaptation et de réinsertion, notamment de son volet désarmement. En ce qui concerne les conditions de retour des enfants soldats, elle demande dans quelle mesure l’opinion de ces enfants est prise en compte dans la décision de réunification avec leur famille, quelles sont les structures prévues pour accueillir ces enfants lorsqu’ils sont rejetés par leurs proches ou refusent de retourner chez eux et quelles dispositions sont prises pour garantir le respect de la dignité des enfants démobilisés dans les institutions qui les prennent en charge.

18.Mme KHATTAB demande si la délégation pense que les résultats de son dialogue avec le Comité, en particulier ses observations finales, pourront être diffusés et pris en considération par le Gouvernement dans le contexte actuel et comment le Comité pourrait aider le Gouvernement dans ses efforts tendant à s’acquitter des obligations lui incombant en vertu de la Convention et des autres instruments internationaux auxquels il est partie. Notant que la mise en œuvre du plan d’action national en faveur de l’enfance ne débutera qu’en 2005, elle demande quelles sont les raisons de cette échéance et quelles mesures seront prises d’ici là pour assurer la protection des enfants et leur donner accès à l’éducation et à la santé. Elle souhaiterait en outre savoir quelles dispositions ont été prises, ou vont l’être, pour empêcher que les enfants démobilisés ne soient enrôlés dans les pays voisins, pour venir en aide aux fillettes victimes de violences − notamment sexuelles − lors du conflit et pour lutter contre les mutilations génitales féminines.

19.M. CITARELLA s’interroge sur la portée que pourra avoir le plan d’action national, compte tenu des ressources dont dispose le Gouvernement et de la situation sur le terrain, notamment de la séparation de fait de certaines régions du pays.

20.M. LIWSKI souligne que la démobilisation des enfants revêt une importante dimension psychosociale et il souhaite donc savoir si les autorités se sont penchées sur les facteurs psychologiques et sociaux liés à la participation des enfants au conflit et sur la manière d’encourager leur démobilisation par des mesures s’adressant directement à eux mais aussi à leur famille et à leur communauté. Il serait également intéressant de savoir dans quelle mesure des activités de coopération internationale prennent en compte cet aspect du processus de démobilisation et comment le Comité pourrait contribuer à renforcer cette coopération aux fins de l’assistance psychologique et sociale aux enfants.

21.Mme SARDENBERG demande si les forces de maintien de la paix de l’ONU sont désormais déployées sur l’ensemble du territoire, condition sans laquelle le processus de démobilisation ne saurait être complet. Elle demande également quelles sont les mesures prises pour encourager les enfants soldats à se présenter aux autorités, quelles sont les modalités de coopération entre le Groupe mixte de mise en œuvre du programme de désarmement, de démobilisation, de réadaptation et de réinsertion et les donateurs internationaux, les forces de maintien de la paix et les organismes des Nations Unies, en particulier l’UNICEF, et quelles sont les capacités actuelles des centres provisoires d’accueil et de soin.

22.Mme VUKOVIC‑SAHOVIC demande si les mines antipersonnel constituent à l’heure actuelle un problème grave dans le pays. Elle aimerait en outre que la délégation décrive les modalités de coopération entre la communauté internationale, le Gouvernement et la société civile, ainsi que le fonctionnement des mécanismes judiciaires mis en place pour traduire en justice les auteurs de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité. Il serait particulièrement intéressant de savoir comment seront traités les enfants impliqués dans la commission de tels actes.

23.Mme LEE, constatant que l’âge minimum de l’enrôlement dans les forces armées reste fixé à 16 ans, s’interroge sur l’efficacité réelle des mesures de démobilisation des enfants, face notamment à la possibilité pour eux d’être enrôlés à l’étranger. Elle demande par ailleurs des renseignements plus précis concernant la version simplifiée de la Convention relative aux droits de l’enfant à laquelle la délégation a fait allusion.

24.Le PRÉSIDENT, en sa qualité d’expert, souligne que la précédente tentative de démobilisation et de réadaptation entreprise en 1997 a montré que le meilleur moyen d’atteindre les enfants et de favoriser leur réinsertion semblait être de s’appuyer sur la communauté et il invite donc la délégation à préciser quels sont la place et le rôle des communautés dans l’actuelle campagne de démobilisation. Il serait également intéressant de savoir si un débat s’est engagé au Libéria sur la question de la responsabilité pénale des enfants soldats et s’il est envisagé de créer une commission de vérité et de réconciliation au niveau local ou national.

25.Il aimerait également savoir quels sont les liens entre le plan d’action national et le Cadre transitoire, qui semble constituer un plan d’urgence, et quelles sont concrètement les mesures prises dans les domaines désignés comme prioritaires dans ce cadre en ce qui concerne les enfants.

La séance est suspendue à 11 h 10; elle est reprise à 11 h 30.

26.Mme GAYFLOR (Libéria) dit que l’Accord de paix global contient des dispositions relatives à la protection des groupes vulnérables, à la prise en charge des victimes de guerre, à la démobilisation et à la réadaptation des enfants soldats. Elle réaffirme l’engagement du Gouvernement national de transition à venir en aide aux enfants impliqués dans le conflit armé et à améliorer le sort de tous les enfants libériens et assure les membres du Comité que tout sera fait pour que les résultats de la présente réunion soient dûment transmis au Gouvernement et pris en compte par celui‑ci dans ses politiques et programmes.

27.Lorsque le rapport à l’examen a été élaboré, la situation dans le pays était particulièrement préoccupante, ce qui explique que la mise en route du plan d’action national n’ait été prévue que pour 2005. Cela étant, un certain nombre d’opérations d’urgence ont été entreprises et continueront d’être menées pendant toute la période de transition, en collaboration notamment avec l’UNICEF. L’accent est mis actuellement sur les activités de sensibilisation aux fins de la démobilisation et du désarmement des enfants soldats. Dans les zones où l’insécurité est trop grande pour que des personnes extérieures puissent intervenir, des groupes de femmes servent d’intermédiaires avec les enfants, ce qui a d’ores et déjà permis d’obtenir des résultats très positifs.

28.Le Comité national pour la mise en œuvre de la Convention, dont font notamment partie tous les membres de la délégation, a été créé récemment. Des dispositions ont également été prises pour établir un observatoire national des droits de l’enfant, composé de représentants des différents organismes s’occupant des enfants. Cet observatoire, pour lequel un coordonnateur doit être désigné très prochainement, devrait être opérationnel sous peu. Il sera rattaché au Ministère du genre et du développement. Le Département chargé des questions relatives aux enfants est déjà en place et a entamé ses travaux. Le bâtiment dans lequel seront installés ses locaux définitifs est en cours de reconstruction. Son principal objectif pour les mois à venir est la création d’une base de données sur les enfants.

29.M. FILALI voudrait connaître le rôle dévolu à la justice dans le processus de démobilisation. Il ne peut en effet pas imaginer que la réconciliation et la cohésion nationale s’imposent si les coupables de violations des droits de l’homme sont amnistiés car l’impunité ne ferait que perpétuer les fractures sociales.

30.Mme CHUTIKUL demande des éclaircissements sur la répartition des compétences entre les différents ministères et organismes jouant un rôle dans la protection de l’enfance.

31.Mme OUEDRAOGO demande à la délégation de préciser comment les enfants démobilisés sont préparés à regagner leur foyer familial et s’ils ont la possibilité de suivre les traitements dont ils ont besoin au vu des traumatismes qu’ils ont subis.

32.Mme GAYFLOR (Libéria) indique qu’au moment de l’élaboration du rapport il n’existait pas d’autre entité ministérielle chargée de la condition féminine et de l’enfance que l’Unité qui existait au sein du Ministère de la planification et des affaires économiques, mais que depuis a été créé le Ministère du genre et du développement, auquel ont été transférées toutes les compétences en matière de protection de l’enfance.

33.M. JA’NEH (Libéria) dit que l’Accord de paix global interlibérien mentionne expressément l’obligation du Gouvernement transitoire de démobiliser et de désarmer les combattants, y compris les enfants − ce qui est aussi le signe de la volonté de respecter les dispositions de la Convention. Cette tâche immense n’est à l’évidence réalisable qu’avec l’aide de donateurs étrangers. Pour l’heure, selon les évaluations statistiques disponibles, un peu plus de 1 800 enfants soldats auraient été démobilisés.

34.L’opération de démobilisation se déroule dans plusieurs zones et donne lieu à la fourniture d’une aide psychosociale pendant 6 à 12 semaines − durée toutefois insuffisante de l’avis des professionnels. La réinsertion à assise communautaire n’a à ce jour pas reçu l’attention qu’elle mérite alors qu’elle constitue sans doute la meilleure approche possible de la réinsertion compte tenu du contexte culturel libérien.

35.Un effort de désarmement national sorti de son contexte régional n’aurait que peu de chances de succès car toute la région se trouve en situation de vulnérabilité. C’est pourquoi le Libéria a entamé récemment des pourparlers bilatéraux pour prévenir de nouveaux enrôlements par les pays voisins. En mai 2004, lors d’une réunion sur les questions de sécurité de l’Union du fleuve Mano tenue sur le sol libérien, les deux autres pays de l’Union, la Guinée et la Sierra Leone, ainsi que la Côte d’Ivoire invitée en raison de l’ordre du jour, ont pris un engagement formel dans ce sens. Un autre point dont il y a lieu de se féliciter est que relativement peu de mines terrestres ont été disséminées sur le sol libérien et que le pays est moins touché que d’autres par ce fléau.

36.S’agissant de la mise en conformité et de l’harmonisation des textes législatifs, l’Association des avocates du Libéria a beaucoup fait dans ce domaine, plus particulièrement en ce qui concerne la définition de l’enfant. L’harmonisation est un long travail, toujours en cours, dans lequel les autorités s’investissent pleinement de concert avec la société civile.

37.Au sujet des crimes de guerre commis et des sanctions, ce serait une grave erreur d’oublier que le conflit trouve ses causes profondes dans l’histoire et la culture du pays. Les rédacteurs de l’Accord de paix ont souligné la nécessité d’établir un document prenant acte de ces causes profondes et ont prévu la création d’une commission de vérité et de réconciliation investie de la double mission de combattre l’impunité et de permettre aux victimes et aux coupables de s’exprimer, dans le but de favoriser une réelle réconciliation nationale. La Commission n’a pas encore commencé à travailler, son mandat et ses pouvoirs étant encore à l’examen.

38.Le PRÉSIDENT, en sa qualité d’expert, aimerait avoir des informations précises et concrètes sur le travail effectué pendant les 6 à 12 semaines d’encadrement psychosocial des enfants démobilisés dont la délégation a fait mention.

39.M. COLEMAN (Libéria) indique que, dans certains cas, des enfants démobilisés sont retournés de leur propre initiative dans leur famille mais qu’en règle générale ces enfants sont placés dans des centres provisoires d’accueil et de soins, où ils bénéficient de services de conseil psychosocial orientés vers leur réinsertion. Ces centres fonctionnent grâce à de multiples partenariats avec des travailleurs sociaux, des organisations non gouvernementales et l’UNICEF, autant d’acteurs forts de la grande expérience en la matière acquise lors de la mise en œuvre du premier programme de désarmement, de démobilisation, de réadaptation et de réinsertion, en 1996‑1997.

40.Cette opération a malheureusement pris du retard en raison du décès, trois semaines avant la date prévue pour la remise en route du programme, du seul et unique psychiatre du pays − qui en avait planifié l’ensemble des activités. Lors de la Conférence internationale pour la reconstruction du Libéria, le Gouvernement transitoire a fait valoir qu’il était crucial de disposer des services d’un nouveau psychiatre dans les meilleurs délais mais, alors qu’en 1996 la communauté internationale avait réagi rapidement en envoyant deux psychologues, cette fois l’aide se fait attendre − ce qui est fort préjudiciable aux enfants libériens concernés, qui doivent rester dans les centres provisoires dans l’attente de soins, avec d’autant plus de risques d’émeutes que cette attente est longue. Il est à souhaiter qu’une recommandation du Comité pourra accélérer le processus. Le Libéria est au demeurant confronté à une fuite des cerveaux sans précédent. Alors qu’il comptait quelque 2 100 professionnels de la santé en 1989, il n’en compte même plus 400 aujourd’hui, dont moins de 30 médecins.

41.Une évaluation réalisée en 1996‑1997 a fait apparaître que la prévalence des handicaps était de 16,4 %, l’une des plus élevées au monde à l’époque. Depuis, le pays a encore connu plusieurs années de conflit, qui n’ont fait qu’aggraver la situation, et c’est maintenant un habitant sur cinq qui souffre d’un handicap. La fourniture de services de base à cette catégorie de population n’en devient que plus onéreuse et, vu la faiblesse de ses ressources, le Libéria est fortement tributaire de l’aide extérieure en la matière. Plusieurs donateurs lui ont ainsi fait des dons de fauteuils roulants et de prothèses et l’assistance fournie par l’Agency for International Development des États‑Unis et par Handicap International lui a permis de mettre sur pied trois centres d’appareillage orthopédique − dont un seul, malheureusement, est encore opérationnel actuellement.

42.Le Gouvernement transitoire a décidé de reverser 30 % des recettes de la loterie nationale à un organisme d’aide aux handicapés et un projet de loi à l’examen au Parlement prévoit d’accorder aux handicapés la gratuité de certains services − services d’éducation et de santé notamment. En outre, il est prévu de créer différents établissements d’enseignement spécialement destinés à certaines catégories de handicapés. Le Gouvernement transitoire a en effet conscience des attentes de la population handicapée et s’attache à faire valoir sa cause auprès des donateurs. Il est à souhaiter que les fonds nécessaires seront dégagés et que beaucoup pourra être fait dans les années à venir.

43.Mme AL‑THANI demande si les enfants handicapés qui ne peuvent pas être pris en charge par leurs parents bénéficient d’aides de l’État ou s’ils sont livrés à eux-mêmes et réduits à vivre dans la rue.

44.M. COLEMAN (Libéria) répond qu’en matière de services aux handicapés les autorités ont toujours bénéficié de l’aide précieuse de la société civile et de la communauté internationale. Il y a donc un effort global pour héberger les personnes handicapées afin d’éviter que certaines n’en soient réduites à vivre dans la rue. Handicap International met ainsi en œuvre des programmes de formation professionnelle s’adressant à certaines catégories de handicapés et le Programme alimentaire mondial fournit des vivres. Pour sa part, le Gouvernement accorde des subventions à ses partenaires et veille à la bonne coordination des activités.

45.M. JA’NEH (Libéria) signale que la fuite des cerveaux a atteint des proportions telles qu’on ne compte plus un seul médecin légiste dans tout le système judiciaire. Alors qu’une quinzaine de personnes sont actuellement en détention provisoire sous le chef d’inculpation de meurtre, il va sans doute falloir se résoudre à les remettre en liberté faute de pouvoir les juger. Sans aide extérieure, cette situation déjà critique ne pourra qu’empirer.

46.Mme GAYFLOR (Libéria) dit que les enfants démobilisés ont la possibilité de participer à un programme de formation professionnelle déjà en place. Il ne faut toutefois pas perdre de vue que le Libéria est un pays complètement dévasté qui ne peut mettre en route des programmes en place qu’au fur et à mesure de la réception de l’aide financière extérieure, laquelle se fait attendre. De plus, dans le souci d’apaiser les esprits, d’éviter les stigmatisations − en un mot de faciliter le processus de réconciliation − les autorités optent pour des programmes qui ne profitent pas seulement aux anciens combattants mais à la communauté dans son ensemble. C’est ainsi que les programmes de formation professionnelle sont ouverts non seulement aux enfants démobilisés mais à toute autre personne intéressée dans la communauté.

47.Elle tient à la disposition du Comité un exemplaire du livret illustré contenant une version simplifiée du texte de la Convention, qui a notamment été distribué aux membres de la police.

48.M. LIWSKI demande s’il a été envisagé de demander aux enfants déjà démobilisés de servir de médiateurs pour faciliter la poursuite de la démobilisation.

49.Mme OUEDRAOGO demande si des mesures sont prises pour faciliter le retour des enfants démobilisés dans leur famille élargie, lorsque leurs parents ne peuvent ou ne veulent pas les accueillir.

50.Mme SMITH souhaite savoir si les anciens enfants soldats ayant désormais plus de 18 ans sont également placés dans les centres d’accueil et de soins.

51.Mme GAYFLOR (Libéria) dit que les enfants sont facilement accueillis par des membres de leur famille car la structure familiale est très forte au Libéria. Les groupes de femmes qui militaient déjà activement pour la paix pendant le conflit soutiennent ces efforts.

52.Mme KHATTAB souhaite savoir si les filles font l’objet de mesures particulières.

53.M. COLEMAN (Libéria) indique que les commandants collaborent très volontiers avec les autorités pour faciliter la démobilisation des enfants et que le retour de ces derniers dans leur famille se fait sans trop de difficultés, d’autant plus que pendant le conflit la plupart des familles ont survécu grâce au produit des pillages commis par les enfants combattants et se sentent donc redevables à leur égard. Les filles accueillies dans les centres de réadaptation ont souvent subi des violences sexuelles et beaucoup d’entre elles sont atteintes de maladies sexuellement transmissibles; elles bénéficient d’un suivi médical et psychologique.

54.Mme GAYFLOR (Libéria) dit que le Gouvernement collabore avec l’Association nationale contre les pratiques dangereuses à l’égard des femmes et des filles, qui lutte activement contre les mutilations génitales féminines. Le Libéria participe à plusieurs programmes menés à l’échelon du continent africain pour en finir avec ces pratiques. Les efforts de sensibilisation de la population ont surtout porté leurs fruits dans les zones urbaines, mais ils commencent à toucher également les zones rurales. Un dialogue a été engagé avec les personnes qui pratiquent ces mutilations − qui constituent une source de revenus pour elles − pour les inciter, dans un premier temps, à stériliser leurs instruments afin d’éviter que les fillettes ne contractent le VIH/sida ou le tétanos, mais il est extrêmement difficile d’accéder à ces personnes car le secret est en général de mise.

55.M. KRAPPMANN souhaite connaître le nombre d’enfants privés de parents pour diverses raisons. Citant des informations selon lesquelles les institutions accueillant des enfants sont de piètre qualité et mal contrôlées, il demande des précisions sur le système de surveillance en vigueur. Enfin, il souhaiterait que la délégation précise si des enfants vivent encore dans des camps.

56.M. FILALI demande si la présence de l’État est bien établie sur tout le territoire, condition sine qua non pour que les projets nationaux de réinsertion des enfants soldats puissent aboutir. Il souhaite savoir si les écoles détruites pendant le conflit sont en cours de reconstruction, si des écoles sont aussi prévues dans les zones rurales, si les besoins en infrastructures et en enseignants ont été dûment recensés et si des programmes scolaires ont déjà été élaborés. La délégation pourrait en outre indiquer le nombre d’orphelinats que compte le pays, leur mode de gestion et leur répartition sur le territoire, et préciser si ces établissements accueillent uniquement des orphelins ou bien également des enfants rejetés par leurs parents.

57.Mme AL‑THANI relève que 75 % des habitants n’ont pas accès à des services de santé et demande si cela est dû au manque de personnel ou à l’absence de structures dans certaines régions. Elle demande si la loi sur la santé publique prévoit la gratuité des soins et autres aspects concrets ou si elle traite uniquement de questions législatives.

58.Elle s’inquiète de l’absence de véritable stratégie de lutte contre le VIH/sida qui engloberait la prévention, l’éducation, les traitements et le soutien psychosocial, mais se félicite que l’allaitement maternel soit assez répandu et demande si des mesures sont prises pour aider les femmes qui allaitent.

59.La délégation pourrait en outre indiquer s’il existe des mesures de prévention de la toxicomanie chez les jeunes et préciser si des dispositions ont été prises en vue d’améliorer la situation en matière d’assainissement et d’accès à l’eau potable et si le pays bénéficie d’une aide de la communauté internationale dans ce domaine.

60.Mme OUEDRAOGO demande des précisions sur le mode de fonctionnement du Parlement des enfants et celui du Forum national consultatif pour les enfants et la jeunesse, l’élection de leurs membres et les questions dont ils sont saisis. On ne peut que se féliciter de la création du poste de conseiller pour la jeunesse auprès du Président mais il faudrait savoir si les avis de ce conseiller sont effectivement pris en compte.

61.La délégation pourrait par ailleurs indiquer si les accoucheuses traditionnelles reçoivent une formation destinée à améliorer les conditions d’accouchement et si elles sont sensibilisées à la nécessité de faire enregistrer les naissances. À ce propos, étant donné que le coût de l’enregistrement et l’éloignement géographique peuvent décourager les parents, il serait utile de savoir si des mesures sont prévues dans ce domaine.

62.Eu égard à la multiplication des centres privés recueillant les enfants abandonnés, il serait bon de savoir si le Gouvernement exerce un contrôle sur ces institutions, tant pour veiller à la qualité des services offerts aux enfants que pour éviter des adoptions illégales.

63.M. KOTRANE demande s’il est prévu d’enseigner les droits de l’homme à l’école et si l’État partie envisage de ratifier d’autres instruments internationaux, comme la Convention no 138 de l’OIT concernant l’âge minimum d’admission à l’emploi et les deux protocoles facultatifs à la Convention relative aux droits de l’enfant.

64.M. CITARELLA relève que les dispositions selon lesquelles seuls les Noirs ou descendants de Noirs nés au Libéria peuvent avoir la nationalité libérienne sont totalement contraires à la Convention relative aux droits de l’enfant. Il s’interroge sur l’avenir des nombreux bébés nés de mères adolescentes pendant et après le conflit.

65.Mme KHATTAB demande des précisions sur les mauvais traitements qui seraient infligés aux jeunes gens en prison. Elle souhaite savoir si des mesures sont prises pour protéger les droits des femmes qui, mariées très jeunes, sont parfois considérées comme la propriété de leur mari et sont souvent analphabètes. La délégation pourrait en outre indiquer s’il est prévu d’améliorer le système de sécurité sociale, qui ne couvre que les personnes occupant un emploi alors que le taux de chômage est très élevé.

66.Mme SMITH aimerait savoir quels sont les plus graves problèmes se posant dans le domaine de l’éducation.

La séance est levée à 13 h 5.

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