Nations Unies

CERD/C/LUX/CO/14-17

Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale

Distr. générale

13 mars 2014

Original: français

Comité pour l’élimination de la discrimination raciale

Observations finales concernant les quatorzième à dix-septième rapports périodiques du Luxembourg, présentés en un seul document *

Le Comité a examiné les quatorzième, quinzième, seizième et dix-septième rapports périodiques du Luxembourg, présentés en un seul document (CERD/C/LUX/14-17), à ses 2281e et 2282e séances (CERD/C/SR.2281 et 2282), tenues les 13 et 14 février 2014. À ses 2291e et 2292e séances (CERD/C/SR.2291 et 2292), tenues les 20 et 21 février 2014, il a adopté les observations finales ci-après.

A.Introduction

Le Comité se félicite de la présentation, en un seul document, des quatorzième, quinzième, seizième et dix-septième rapports périodiques de l’État partie rédigés en conformité avec les directives pour l’établissement des rapports concernant spécifiquement la Convention. Il regrette toutefois que l’État partie ait soumis ses rapports avec retard et l’encourage à l’avenir au respect des délais dans la soumission de ses rapports.

Le Comité se déclare satisfait du dialogue franc et constructif qu’il a eu avec la délégation de l’État partie. Le Comité prend note avec satisfaction de l’exposé oral et des réponses détaillées fournies par la délégation durant l’examen du rapport.

B.Aspects positifs

Le Comité prend note avec intérêt des mesures législatives, institutionnelles, administratives et politiques prises par l’État partie depuis la présentation de son dernier rapport périodique et qui sont de nature à contribuer à la lutte contre la discrimination, en particulier:

a)L’adoption de la loi du 23 octobre 2008 sur la nationalité luxembourgeoise. Elle permet de conserver la nationalité d’origine en cas d’acquisition de la nationalité luxembourgeoise et permet aussi l’acquisition de la nationalité luxembourgeoise pour les enfants nés au Grand-Duché de parents étrangers dont un est né au Luxembourg, ainsi que le recouvrement de la nationalité luxembourgeoise pour ceux qui l’ont perdue à cause de leur résidence hors du territoire national;

b)L’adoption de la loi du 16 décembre 2008 concernant l’accueil et l’intégration des étrangers au Grand-Duché de Luxembourg et qui crée l’Office luxembourgeois de l’accueil et de l’intégration;

c)L’adoption de la loi du 21 novembre 2008 portant création d’une Commission consultative des droits de l’homme au Grand-Duché de Luxembourg;

d)L’adoption de la loi du 28 novembre 2006 portant sur l’égalité de traitement et qui crée le Centre pour l’égalité de traitement;

e)La criminalisation de la négation de l’Holocauste par l’article 457-3 du Code pénal;

f)L’adoption du Plan d’action national pluriannuel d’intégration et de lutte contre les discriminations 2010-2014;

g)La mise en place du contrat d’accueil et d’intégration qui a pour but de faciliter l’intégration des étrangers et permet de réduire la condition de la durée de résidence en cas de demande de la nationalité luxembourgeoise;

h)La mise en place du projet BEE SECURE Stopline, qui permet de lutter contre le racisme sur Internet.

Le Comité constate également avec intérêt que, depuis l’examen des derniers rapports périodiques de l’État partie, celui-ci a ratifié les instruments internationaux suivants:

a)Le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le 10 mai 2010;

b)Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, le 2 septembre 2011;

c)La Convention relative aux droits des personnes handicapées et le Protocole facultatif se rapportant à la Convention relative aux droits des personnes handicapées, le 26 septembre 2011;

d)Le Protocole no 12 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme), le 21 mars 2006.

C.Sujets de préoccupation et recommandations

Composition ethnique de la population

Le Comité prend note de ce que, pour des raisons philosophiques et historiques, l’État partie ne collecte pas de données à caractère ethnique sur les populations qui vivent sur son territoire. Toutefois, le Comité note avec préoccupation l’absence dans le rapport de l’État partie d’informations sur les indicateurs socioéconomiques des différents groupes de populations qui vivent sur son territoire, ventilées par origine nationale ou ethnique (art. 1).

Conformément aux paragraphes 10 à 12 de ses directives révisées pour l’établissement du rapport se rapportant spécifiquement à la Convention (CERD/C/2007/1) et prenant en co nsidération sa r ecommandation générale n o 24 (1999) concernant l’article premier de la Convention , le Comité recommande à l’ État partie de collecter et de publier des données statistiques fiables, actualisées et complètes sur les indicateurs socioéconomiques , ventilé e s par origine nationale ou ethnique , notamment sur les immigrés , les réfugiés , à partir d’enquêtes ou de recensements nationaux fondés sur l’auto-identification afin de permettre au Comité de mieux évaluer comment sont exercés au Luxembourg les droits consacrés par la Convention.

Le Comité recommande également à l’ É tat partie de mettre en place des instruments de collecte des données et de lui rendre compte, d ans son prochain rapport , des progrès réalisés en ce sens .

Définition de la discrimination raciale

Le Comité est préoccupé par le fait que la définition de la discrimination raciale contenue à l’alinéa 1 de l’article premier de la loi du 28 novembre 2006, portant sur l’égalité de traitement, ne contient pas les critères d’origine nationale, de couleur et d’ascendance, et n’est donc pas tout à fait conforme à l’article 1 de la Convention (art. 1 et 2)

Le Comité recommande à l’ É tat partie de réviser l’alinéa 1 de l’article premier de la loi du 28 novembre 2006 afin de rendre sa législation pleinement conforme à la Convention.

Application directe de la Convention par les tribunaux internes

Le Comité note que la législation de l’État partie prévoit la primauté des traités internationaux sur le droit interne. Cependant, le Comité regrette que l’État partie n’ait pas fourni des renseignements sur des cas d’application directe de la Convention par ses tribunaux (art. 2).

Le Comité recommande à l’ É tat partie de poursuivre ses démarches de sensibilisation auprès des juges , des magistrats et des avocats sur les dispositions de la Convention de sorte à permettre que les dispositions de la Convention soient invoquées et directe ment appliquées par les tribunaux de l’ É tat partie.

Dispositifs institutionnels

Le Comité regrette que le nouveau Conseil national pour les étrangers n’ait pas reconduit la Commission spéciale permanente contre la discrimination raciale et l’ait remplacée par une Commission sur l’intégration et l’égalité des chances, ce qui est de nature à diminuer la prise en compte de la question de la discrimination raciale au sein du Conseil national pour les étrangers (art. 2).

Le Comité encourage l’ É tat partie à réfléchir à la réaffectation des compétences dévolues à l’ancienne Commission spéciale permanente contre la discrimination raciale en vue de préserver la prise en compte de la question de la discrimination raciale.

Le Comité est préoccupé par le fait que l’Office luxembourgeois de l’accueil et de l’intégration n’ait pas les ressources adéquates nécessaires à l’accomplissement de son mandat, notamment en ressources humaines, ce qui peut constituer un obstacle dans la réalisation efficace de son travail en cas de flux importants de migrants (art. 2).

Le Comité recommande à l’ É tat partie de procéder à un bilan du fonctionnement et des besoins de l’Office luxembourgeois de l’accueil et de l’intégration et de le doter de ressources humaines suffisantes qui lui permett e nt de remplir efficacement son mandat.

Circonstance aggravante pour les crimes à motivation raciste

Le Comité prend note des informations fournies par l’État partie selon lesquelles le droit pénal luxembourgeois ne connaît pas les circonstances aggravantes liées à la motivation d’un acte. Partant, le Comité est préoccupé par le fait que «la motivation raciale d’un crime n’est pas considérée comme une circonstance aggravante au Luxembourg» (CERD/C/LUX/14-17, par. 42) [art. 4].

Le Comité réitère sa recommandation à l’ É tat partie visant à ce qu’il introduise dans sa législation pénale la circonstance aggravante pour les crimes à motivation raciste.

Conformité avec les dispositions de l’article 4 de la Convention

Le Comité note les explications de la délégation de l’État partie sur les dispositions législatives qui permettent d’interdire a priori une organisation qui incite à la discrimination raciale et de la sanctionner suite à une décision de justice, sanction pouvant aller jusqu’à la dissolution de l’organisation si elle porte atteinte à l’ordre public. Le Comité note aussi que le Code pénal permet de sanctionner pénalement les personnes morales, y compris les organisations qui incitent à la discrimination raciale. Cependant, le Comité note que l’État partie n’a pas introduit dans sa législation de disposition spécifique qui interdise toute organisation incitant à la discrimination raciale et la déclare illégale (art. 4).

Rappelant sa r ecommandation générale n o 15 (1993) , selon laquelle toutes les dispositions de l’article 4 de la Convention sont de nature impérative et préventive , et tenant compte de s a r ecommandation générale n o 35 (2013) sur la lutte contre les discours de haine raciale , le Comité recommande à l’ É tat partie de s’ assurer que tous les éléments de l’article 4 de la Convention sont inclus dans sa législation. À cet égard, le Comité demande à l’ É tat partie de fourni r des renseignements sur la procédure judiciaire appliquée actuellement concernant l’ interdiction et la dissolution des organisations qui incitent à la discrimination raciale.

Demandeurs d’asile

Le Comité est préoccupé par le fait que les demandeurs d’asile sont dans l’obligation d’attendre neuf mois après l’introduction de leur requête pour avoir accès au marché du travail (art. 5).

Rappelant sa r ecommandation générale n o 30 (200 4 ) concernant la discrimination contre les non-ressortissants, le Comité recommande à l’ É tat partie d ’abréger le délai de neuf mois afin de permettre aux demandeurs d’asile un accès plus rapide au marché du travail.

Discrimination en matière d’emploi

Tout en notant les informations fournies par la délégation de l’État partie, le Comité est préoccupé par les difficultés d’accès au marché du travail rencontrées par les personnes d’origine étrangère, provenant principalement des pays en dehors de l’Union européenne, en particulier les femmes (art. 5).

Au vu de s a r ecommandation générale n o 30 (200 4 ) concernant la discrimination contre les non-ressortissants et de sa r ecommandation générale n o 25 (2000) concernant la dimension sexiste de la discrimination raciale, le Comité recommande à l’ É tat partie de prendre toutes les mesures nécessaires afin de faciliter l’accès au marché de l’emploi des personnes d’origine étrangère hors U nion e uropéenne , en particulier les femmes. Le Comité recommande également à l’ É tat partie d’évaluer périodiquement les mesures mises en place dans ce sens, afin de les réajuster ou de les améliorer. Il recommande enfin à l’ É tat partie de favoriser une application effective de la législation du travail , de former les juges et avocats à cette législation et d e fournir des renseignements au Comit é sur les cas ayant trait à la discrimination sur le marché de l’emploi.

Actions en justice pour discrimination raciale

Tout en notant les informations fournies par l’État partie, le Comité regrette que l’État partie ne lui ait pas communiqué de renseignements détaillés concernant les plaintes pour discrimination raciale enregistrées et examinées ni d’informations sur des jugements prononcés par les tribunaux. Le Comité est préoccupé par le fait que le Centre pour l’égalité de traitement ne peut pas ester en justice (art. 6).

Se référant à sa recommandation générale 31 (2005) sur la discrimination raciale dans l’administration et le fonctionnement du système de justice pénale, le Comité invite l’ É tat partie à lui fournir des informations plus détaillées sur le contenu des plaintes et des décisions rendu e s par les tribunaux pour discrimination raciale . Le Comité demande à l’État partie de veiller à ce que le public connaisse ses droits, y compris tous les recours juridiques en matière de discrimination raciale, en particulier les personnes d’origine étrangère provenant de pays hors U nion européenne . Le Comité recommande également à l’ É tat partie de révise r la l oi du 28 novembre 2006 en vue de permettre au Centre pour l’égalité de traitement d’avoir qualité pour ester en justice .

Stéréotypes discriminatoires dans les médias

Le Comité est préoccupé du fait que des stéréotypes discriminatoires persistent dans les médias à l’égard de certains groupes et qu’ils sont de nature à générer des préjugés à l’égard de ces groupes (art. 2 et 7).

Le Comité recommande à l’ É tat partie , tout en respectant les normes internationales relatives à la liberté de la presse, de prendre des mesures de vigilance à l’égard des médias et de combattre la propagation de stéréotypes négatifs à l’ é gard de certains groupes ethniques. Il recommande également à l’ É tat partie de conduire , auprès des journalistes et de l’ensemble de la population, des campagnes de sensibilisation aux principes de la Convention.

D.Autres recommandations

Ratification d’autres instruments

Compte tenu du caractère indivisible de tous les droits de l’homme, le Comité encourage l’État partie à envisager de ratifier les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme auxquels il n’est pas encore partie, en particulier ceux dont les dispositions se rapportent directement à la discrimination raciale, tels que la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille et la Convention no 189 (2011) concernant le travail décent pour les travailleuses et travailleurs domestiques, adoptée par l’Organisation internationale du Travail.

Consultation avec les organisations de la société civile

Le Comité recommande à l’État partie de consulter et d’intensifier son dialogue avec les organisations de la société civile qui œuvrent dans le domaine de la protection des droits de l’homme, en particulier celui de la lutte contre la discrimination raciale, lors de l’élaboration du prochain rapport périodique.

Suite donnée aux observations finales

Conformément au paragraphe 1 de l’article 9 de la Convention et à l’article 65 de son règlement intérieur révisé, le Comité demande à l’État partie de l’informer dans l’année suivant l’adoption des présentes observations finales de la suite qu’il aura donnée aux recommandations figurant aux paragraphes 12 et 15, ci-dessus.

Recommandations d’importance particulière

Le Comité souhaite aussi appeler l’attention de l’État partie sur l’importance particulière des recommandations figurant aux paragraphes 9, 11 et 16 et demande à l’État partie de faire figurer dans son prochain rapport périodique des renseignements détaillés sur les mesures concrètes qu’il aura prises pour les mettre en œuvre.

Diffusion

Le Comité recommande à l’État partie de faire en sorte que ses rapports périodiques soient facilement accessibles au public au moment de leur présentation et que les observations finales du Comité s’y rapportant soient également diffusées dans les langues administratives de l’État et les autres langues couramment utilisées, selon qu’il convient.

Élaboration du prochain rapport

Le Comité recommande à l’État partie de présenter ses dix-huitième, dix-neuvième et vingtième rapports périodiques en un seul document, d’ici au 31 mai 2017, en tenant compte des directives pour l’établissement du document se rapportant spécifiquement à la Convention adoptées par le Comité à sa soixante et onzième session (CERD/C/2007/1) et en traitant de tous les points soulevés dans les présentes observations finales. Le Comité engage aussi l’État partie à respecter la limite de 40 pages fixée pour les rapports propres au Comité et la limite de 60 à 80 pages fixée pour le document de base commun (voir les directives harmonisées figurant dans le document HRI/GEN.2/Rev.6, chap. I, par. 19).