NATIONS UNIES

CERD

Convention internationale sur l ’ élimination de toutes les formes de discrimination raciale

Distr.RESTREINTE*

CERD/C/75/D/41/200821 août 2009

Original: FRANÇAIS

COMITÉ POUR L’ÉLIMINATIONDE LA DISCRIMINATION RACIALESoixante-quinzième session3-21 août 2009

PROJET D ’ OPINION

Communication n o 41/2008

Présentée par:

Ahmed Farah Jama (représenté par un conseil)

Au nom de:

Le requérant

État partie:

Danemark

Date de la communication:

14 janvier 2008 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision:

21août 2009

[ANNEXE]

ANNEXE

OPINION ADOPTÉE PAR LE COMITÉ POUR L ’ ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE EN APPLICATION DE L ’ ARTICLE 14 DE LA CONVENTION INTERNATIONALE SUR L ’ ÉLIMINATION DE TOUTES LES FORMES DE DISCRIMINATION RACIALE

Soixante-quinzième session

concernant la

Communication n o 4 1 /200 8

Présentée par:

Ahmed Farah Jama (représenté par un conseil)

Au nom de:

Le requérant

État partie:

Danemark

Date de la communication:

14 janvier 2008 (date de la lettre initiale)

Le Comité pour l ’ élimination de la discrimination raciale, créé en application de l’article 8 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale,

Réuni le 21 août 2008,

Ayant achevé l’examen de la communication no 41/2008 soumise au Comité par M. Ahmed Farah Jama en vertu de l’article 14 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale,

Ayant pris en considération tous les renseignements qui lui ont été communiqués par l’auteur de la communication, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

OPINION

1.1Le requérant est M. Ahmed Farah Jama, ressortissant somalien résidant au Danemark, né en 1963. Il se déclare victime de violations par le Danemark des articles 2, paragraphe 1 d), 4 et 6 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Il est représenté par un conseil, M. Niels Erik Hansen.

1.2Conformément à l’article 14, paragraphe 6 a), de la Convention, le Comité a transmis la communication à l’État partie le 3 mars 2008.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le 18 février 2007, le journal danois Sobdagsavisen a publié un entretien avec Mme Pia Merete Kjaersgaard, députée au Parlement danois et dirigeante du Parti du peuple danois. Mme Kjaersgaard évoquait notamment un incident qui s’était déroulé en 1998, lorsqu’elle avait été attaquée dans un quartier de Copenhague dénommé Norrebro par un groupe d’individus. Elle a déclaré en particulier: «Soudain, ils sont sortis en grand nombre des clubs somaliens. Là voilà, ont‑ils crié, puis ils ont forcé la porte du taxi et m’ont frappée (…). Ils auraient pu me tuer; s’ils étaient entrés, ils m’auraient passée à tabac. C’était des fous furieux.». Le requérant soutient qu’aucun Somalien n’était impliqué dans l’incident, et qu’il s’agissait là, une fois de plus d’une fausse accusation de la part de Mme Kjaersgaard contre les Somaliens vivant au Danemark.

2.2Le requérant a porté plainte, demandant à la police d’ouvrir une enquête pour déterminer si la déclaration de Mme Kjaersgaard constituait une infraction au titre de l’article 266b du Code pénal. Il soutient que les personnes qui ont effectivement attaqué Mme Kjaersgaard n’ont jamais été arrêtées par la police et que leur identité et leur nationalité n’ont jamais été établies. En outre, à l’époque, Mme Kjaersgaard n’avait pas dit que les auteurs de l’attaque étaient somaliens, et aucun des articles publiés dans la presse ou des témoins entendus n’indiquait que des Somaliens étaient impliqués. Le requérant rappelle que, par le passé, Mme Kjaersgaard a fait des déclarations publiques dans lesquelles elle a accusé des Somaliens de pédophilie et de viol en réunion sur des femmes danoises.

2.3Par une décision datée du 25 juin 2007, le commissaire de police (Commissioner of Police), avec l’accord du Procureur régional (Regional Public Prosecutor), a rejeté la plainte, au motif qu’il semblait peu probable qu’une infraction ait été commise. La décision précisait que la déclaration se bornait à présenter les faits tels qu’ils s’étaient passés, et que le contexte dans lequel ceux‑ci s’étaient produits avait été pris en considération. Elle indiquait également que, le Procureur régional étant partie à la procédure, tout recours devrait être adressé au Procureur général.

2.4Le requérant a saisi le Directeur du parquet général (Director of Public Prosecutions) le 10 juillet 2007. Le 18 septembre 2007, ce dernier a rejeté l’affaire, considérant que le requérant n’avait pas de droit de recours. Il a soutenu que le requérant n’avait d’intérêt ni personnel ni juridique dans l’affaire et ne pouvait donc pas être considéré comme partie. Seules les parties étaient autorisées à attaquer la décision. Les personnes rendant compte de l’infraction, celles affectées par l’infraction, les témoins, etc., n’étaient considérés comme parties que s’ils avaient un intérêt direct, personnel et juridique dans l’affaire. Les groupes de pression, les sociétés, etc., ou bien les personnes représentant les intérêts d’autrui ou du public en général, animés par des raisons idéalistes, professionnelles, organisationnelles ou autres ne peuvent pas en principe être considérés comme parties à une affaire pénale, à moins qu’ils n’aient été mandatés par une partie à cette fin. Par conséquent, le Centre de documentation et de conseil en matière de discrimination pénale (DACoRD), qui agissait au nom du requérant, ne pouvait être habilité à introduire un recours.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant fait valoir que l’absence de véritable enquête par la police et le Procureur régional constitue une violation des articles 2, paragraphe 1 d), et 6 de la Convention. L’argument figurant dans la décision du 25 juin 2007, selon lequel, dans sa déclaration, Mme Kjaersgaard se bornait à présenter les faits survenus en 1998, impliquait que la police n’avait même pas consulté ses propres dossiers sur cette affaire. Si elle l’avait fait, elle aurait constaté que le suspect impliqué dans l’incident de 1998 était un homme de race blanche.

3.2Le requérant soutient en outre que l’État partie ne s’est pas acquitté de son obligation, prévue à l’article 4 de la Convention, de prendre des mesures efficaces s’agissant d’un acte constitutif d’incitation à la haine à l’encontre de Somaliens vivant au Danemark. Il estime que l’acte en question constitue de la propagande raciste et relève par conséquent de l’article 266b 2) du Code pénal. En outre, il renvoie à une déclaration d’un fonctionnaire de police aux médias, selon lequel il n’était pas contesté que des personnes étaient sorties en masse des clubs somaliens lorsque Mme Kjaersgaard avait été attaquée en 1998. En confirmant la fausse accusation faite par Mme Kjaersgaard, de tels propos peuvent également constituer une violation de l’article 4, en ce qu’ils rendent les accusations plus crédibles et accroissent la haine contre les Somaliens vivant au Danemark.

3.3Enfin, le requérant fait valoir que le refus de reconnaître son droit d’attaquer la décision viole son droit à un recours utile. Les déclarations publiques persistantes contre les Somaliens ont un effet néfaste sur sa vie quotidienne au Danemark. Une étude publiée par le Conseil danois pour l’égalité ethnique en 1999 montrait que les Somaliens vivant au Danemark étaient le groupe ethnique le plus susceptible de subir des attaques racistes dans les rues (agressions verbales, attaques violentes, crachats au visage, etc.). En tant que personne de race noire, d’origine somalienne, le requérant doit être sur ses gardes lorsqu’il entre dans des lieux publics, car il craint d’être victime d’attaques et d’atteintes racistes. Il se considère donc comme une victime en l’espèce et a un intérêt personnel dans l’affaire.

Observations de l ’ État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 3 juin 2008, l’État partie a fait des observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il fait valoir que le requérant n’a pas établi, aux fins de la recevabilité, qu’il y avait matière à plainte, et que les recours internes n’avaient pas été épuisés.

4.2L’État partie déclare que, le 16 mars 2007, le DACoRD, au nom du requérant, a signalé à la police que Mme Kjaersgaard avait violé l’article 266b du Code pénal. Le 25 juin 2007, le commissaire de police de Copenhague‑Ouest a décidé, conformément à l’article 749 1) de la loi danoise sur l’administration de la justice, de ne pas ouvrir d’enquête. Il a indiqué que les propos de Mme Kjaersgaard «ne constituent pas une insulte aggravée et un acte dégradant visant un groupe de personnes susceptibles de relever de l’article 266b du Code pénal. J’ai souligné en particulier la nature de la déclaration, qui se borne à décrire une suite spécifique d’événements, ainsi que le contexte dans lequel elle a été prononcée (…). Partant, la déclaration ne pouvant être considérée comme relevant de l’article 266b du Code pénal, il n’y a pas lieu d’ouvrir une enquête.». La décision a été rendue après avoir été approuvée par le Procureur régional de la Zélande du Nord et de Copenhague‑Ouest.

4.3Suite au recours déposé par le DACoRD au nom du requérant, le Directeur du parquet général a obtenu un avis du procureur régional daté du 20 juillet 2007, dans lequel celui-ci déclarait, notamment, que selon lui les déclarations ne relevaient pas de l’article 266b du Code pénal, que l’on puisse ou non effectivement prouver qui avait attaqué Mme Kjaersgaard en 1998. Par conséquent, le fait d’avoir disposé des rapports de police sur l’incident de 1998 ou de l’interrogation de Mme Kjaersgaard n’aurait eu aucune incidence sur sa décision.

4.4La communication devrait être déclarée irrecevable dans son intégralité dans la mesure où le requérant n’a pas établi qu’il y avait matière à plainte. L’un des points de l’entretien que Mme Kjaersgaard a accordé au Sondagsavisen concernait le fait de devoir vivre en étant protégée de la police et, à cet égard, l’accident de 1998 a été mentionné. Les déclarations se bornent à décrire une suite spécifique d’événements, qui s’inscrivent dans la description de la manière dont Mme Kjaersgaard a vécu l’incident. Elle a uniquement déclaré dans l’entretien que les agresseurs sortaient «des clubs somaliens», sans exprimer aucun mépris ou tenir de quelconques propos dégradants au sujet de personnes d’origine somalienne. Les propos en question ne sauraient donc être considérés comme de la discrimination raciale, et ils ne relèvent donc pas du champ d’application des articles 2, paragraphe 1 d), 4 et 6 de la Convention.

4.5Dans la communication qu’il a adressée au Comité, le requérant a fait référence à la déclaration de Mme Kjaersgaard («Ils auraient pu me tuer; s’ils étaient entrés j’aurais été passé à tabac. C’était des fous furieux.»). Cette déclaration ne figurait pas dans la plainte que le requérant a présentée à la police, ni n’a ensuite été signalée aux autorités danoises. Le requérant n’ayant donc pas épuisé les recours internes à cet égard, cette partie de la communication devrait être déclarée irrecevable.

4.6Il ressort de la communication que le requérant se considère comme victime d’une attaque raciste et qu’il a un intérêt effectif dans l’affaire dans la mesure où les déclarations persistantes ont un impact négatif sur sa vie. Selon l’article 267 1) du Code pénal, toute personne qui porte atteinte à l’honneur d’une autre personne en tenant des propos ou en ayant un comportement offensants, ou encore en faisant ou diffusant des allégations susceptibles de le dénigrer aux yeux de ses concitoyens, est passible d’une amende ou d’une peine d’emprisonnement ne dépassant pas quatre mois. En outre, en vertu de l’article 268, si une allégation a été faite ou diffusée de mauvaise foi, ou si l’auteur de celle‑ci ne pouvait raisonnablement la considérer comme véridique, il est coupable de diffamation. Conformément à l’article 275 1) du Code pénal, ces infractions font l’objet de poursuites à la diligence de la victime. L’État partie rappelle l’avis du Comité concernant la communication no 25/2002, Sadic c. Danemark, dans laquelle le Comité a reconnu que le fait d’engager des poursuites au titre de l’article 267 1) du Code pénal pouvait être considéré comme un recours utile que le requérant n’avait pas épuisé. Il rappelle également la communication no 34/2004, Gelle c. Danemark, dans laquelle le Comité a estimé que l’affaire en question concernait des propos qui avaient été carrément tenus en public, et qu’il serait donc déraisonnable de demander au requérant d’engager une procédure distincte en vertu des dispositions générales de l’article 267 après avoir invoqué sans succès l’article 266b du Code pénal pour des faits relevant directement de la lettre et de l’objet de cette disposition. Enfin, l’État partie rappelle la décision du Comité des droits de l’homme déclarant irrecevable la communication no 1487/2006, Ahmad c. Danemark, concernant la publication d’un article intitulé «Le visage de Mahomet» dans un journal danois le 30 septembre 2005. Le Directeur du parquet général a décidé de ne pas engager de procédure pénale contre la publication en question au titre des articles 140 et 266b du Code pénal. Par la suite, M. Ahmad, au nom de la Communauté islamique du Danemark, a engagé une procédure pénale contre les rédacteurs du journal en vertu des articles 267 et 268 du Code pénal. À l’issue de la procédure, les rédacteurs ont été acquittés. Le jugement a par la suite été attaqué devant la Haute Cour, où l’affaire était toujours pendante lorsque le Comité des droits de l’homme a déclaré que la communication était irrecevable au motif que les recours internes n’avaient pas été épuisés. Selon l’État partie, cette décision devrait être prise en compte lorsque le Comité déterminera si la présente communication doit être déclarée irrecevable. Il ne ressort pas des articles 2, paragraphe 1 d) et 6 de la Convention, que le requérant a droit à un recours particulier. Le point essentiel est qu’il existe un recours.

4.7En ce qui concerne le fond, l’État partie considère que les articles 2, paragraphe 1 d), 4 et 6, n’ont pas été violés. L’évaluation effectuée par le commissaire de police de Copenhague‑Ouest répond pleinement aux critères énoncés dans la Convention tels qu’interprétés dans la pratique du Comité. En l’espèce, la question était uniquement celle de savoir si les propos de Mme Kjaersgaard pouvaient être considérés comme relevant de l’article 266b du Code pénal. Il n’y avait donc aucun problème de preuve et le ministère public devait simplement procéder à une appréciation juridique des propos en question. Cette appréciation a été faite de manière complète et adéquate, mais elle n’a pas abouti aux résultats escomptés par le requérant. Dans son refus d’ouvrir une enquête, le ministère public a mis particulièrement l’accent sur la nature des propos de Mme Kjaersgaard, estimant qu’ils constituaient une description d’une suite spécifique d’événements, et sur le fait que ces propos ont été tenus dans le cadre de la présentation par Mme Kjaersgaard des événements survenus en 1998.

4.8D’après les Directives applicables aux enquêtes pour violation de l’article 266b du Code pénal, établies par le Directeur du parquet général, «dans les cas où une violation de l’article 266b du Code pénal est signalée à la police, la personne qui est l’auteur de la déclaration écrite ou orale doit normalement être interrogée, notamment pour clarifier le but de la déclaration, à moins qu’il ne ressorte clairement des faits que l’article 266b du Code pénal n’a pas été violé». La raison pour laquelle les dossiers concernant l’incident de 1998 n’ont pas été examinés et Mme Kjaersgaard n’a pas été interrogée est que les propos en question ne relevaient pas dudit article, indépendamment du point de savoir s’il était possible de prouver qui avait agressé l’intéressée en 1998. Mme Kjaersgaard a simplement déclaré que les agresseurs étaient sortis «des clubs somaliens», sans exprimer aucun mépris ou tenir de quelconques propos dégradants au sujet de personnes d’origine somalienne. À cet égard, le fait d’obtenir les rapports de police concernant l’incident de 1998 n’avait aucune importance pour statuer sur la question. Rien dans le cas d’espèce ne pouvait fonder le procureur à affirmer que Mme Kjaersgaard était animée de l’intention délictueuse de tenir des propos dégradants à l’encontre d’un groupe de personnes particulier. Par conséquent, la manière dont le procureur a traité le cas d’espèce est conforme aux exigences découlant des articles 2, paragraphe 1 d) et 6 de la Convention, ainsi que de la pratique du Comité.

4.9L’État partie rejette l’affirmation selon laquelle, en confirmant la fausse accusation portée par Mme Kjaersgaard, la police aurait aussi violé l’article 4. Le fait que le commissaire ait rejeté la plainte ne saurait être interprété comme une prise de position sur le point de savoir si les déclarations concernant l’incident de 1998 étaient vraies ou fausses. En fait, le commissaire ne s’est pas prononcé sur ce point, dans la mesure où il a estimé que les déclarations ne relevaient pas du champ d’application de l’article 266b.

4.10.S’agissant de l’affirmation du requérant selon laquelle ni lui ni le DACoRD n’ont été en mesure d’attaquer la décision du commissaire, la Convention n’implique pas que les citoyens ont le droit de faire appel des décisions des autorités administratives nationales devant un organe administratif supérieur. De même, la Convention ne s’applique pas à la question de savoir quand un citoyen devrait être en mesure de faire appel d’une décision devant un organe administratif supérieur. Partant, la Convention ne saurait être interprétée comme interdisant une règle générale disposant qu’il appartient normalement aux seules parties à une affaire ou à d’autres personnes ayant un intérêt direct, essentiel, individuel et juridique en l’espère de contester une décision portant sur des poursuites pénales.

4.11L’État partie renvoie à la notice no 9/2006, publiée par le Directeur du parquet général, selon laquelle les commissaires de police doivent l’informer de toutes les affaires dans lesquelles une plainte pour violation de l’article 266b est rejetée. Ce mécanisme complète la capacité du Directeur du parquet général, dans le cadre de ses attributions générales de contrôle, d’examiner une question en vue d’assurer une application correcte et cohérente de l’article 266b. Dans le cas d’espèce, le Directeur a estimé qu’il n’y avait pas de motif pour ne pas tenir compte exceptionnellement du fait que ni le DACoRD ni le requérant n’étaient fondés à attaquer la décision. En outre, dans son recours, le DACoRD n’a fourni aucune raison, en son nom ou au nom du requérant, pour justifier le fait qu’il se considérait habilité à introduire un recours. L’État partie conclut que le requérant a pu exercer un recours utile.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Le 18 août 2008, le requérant a commenté les observations de l’État partie. Il a fait valoir que la présentation par Mme Kjaersgaard des événements de 1998 était incorrecte, dans la mesure où personne (Somaliens ou non‑Somaliens) n’était sorti des clubs somaliens lorsqu’elle est arrivée en taxi. Aucun Somalien n’a été impliqué dans l’incident, que ce soit en tant que passant ou qu’agresseur, et aucun Somalien n’a participé à la planification et à l’exécution de l’attaque. Les réfugiés Somaliens ont été l’une des principales cibles de la propagande raciste à laquelle se livre le Parti du peuple danois, même si d’autres groupes en ont également été victimes. Malgré cela, la police n’a pas admis que la déclaration était fausse.

5.2En ce qui concerne les plaintes relatives aux articles 2 et 6, la police aurait dû interroger Mme Kjaersgaard au cours de l’enquête, afin de déterminer si ses propos étaient différents de ceux tenus en 1998. À l’époque, elle n’avait pas indiqué que les attaquants sortaient des clubs somaliens. En outre, le requérant insiste sur le fait qu’en lui déniant le droit d’introduire un recours, on lui a également dénié le droit à un recours effectif.

5.3Le requérant conteste l’argument de l’État partie qui fait valoir qu’il n’y a pas matière à plainte. S’agissant de l’argument selon lequel les recours internes n’ont pas été épuisés eu égard aux propos de Mme Kjaersgaard («ils auraient pu me tuer»), le requérant confirme qu’il n’a pas inclus cette déclaration dans la plainte présentée à la police. Toutefois, la police aurait pu l’inclure dans son enquête, dans la mesure où elle avait été mentionnée dans l’article en question. La décision de la police de ne pas enquêter plus avant signifie qu’elle a estimé que cette déclaration ne constituait pas non plus une violation.

5.4Le requérant fait valoir que la présente affaire n’est pas identique à celle relative à la communication no 1487/2006, Ahmad c. Danemark, présentée au Conseil des droits de l’homme. En effet, cette dernière communication concerne la discrimination religieuse contre l’islam, et ne relève donc pas du champ d’application de la Convention. En outre, dans la communication no 1487/2006, la qualité pour agir des auteurs en relation avec le recours n’a jamais été mise en question.

5.5S’agissant des observations de l’État partie sur le fond, le requérant rejette l’argument selon lequel les propos de Mme Kjaersgaard ne relèvent pas du champ d’application de l’article 266b du Code pénal. Les fausses accusations proférées contre un groupe ethnique ont toujours été couvertes par cette disposition, ainsi que par l’article 4 de la Convention. Si le Procureur avait examiné le dossier de 1998, il n’aurait pas été «évident», comme le suggère l’État partie, que la déclaration ne relevait pas de l’article 266b.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale doit, conformément au paragraphe 7 a) de l’article 14 de la Convention, déterminer si la communication est recevable ou non.

6.2En ce qui concerne l’objection de l’État partie qui fait valoir que le requérant n’a pas établi, aux fins de la recevabilité, qu’il y avait matière à plainte, le Comité constate que les propos de Mme Kjaersgaard n’étaient pas anodins au point d’être écartés d’emblée du champ d’application des articles 2, paragraphe 1 d), 4 et 6 de la Convention. Le Comité prend note également du grief du requérant, qui estime que les déclarations publiques persistantes contre les Somaliens ont un impact néfaste sur sa vie quotidienne et considère qu’il répond à la définition de la «victime», au sens de l’article 14, paragraphe 1, de la Convention. Par conséquent, le requérant a suffisamment étayé ses griefs aux fins de la recevabilité.

6.3S’agissant de l’affirmation du requérant selon laquelle il n’a pas eu la possibilité d’attaquer la décision du commissaire de police, le Comité ne s’estime pas compétent pour se prononcer sur les décisions des autorités nationales concernant la procédure de recours en matière pénale. Cette partie de la communication est par conséquent irrecevable ratione materiae en vertu de l’article 14, paragraphe 1, de la Convention.

6.4S’agissant de l’épuisement des recours internes, l’État partie soutient qu’une partie des propos de Mme Kjaersgaard n’était pas incluse dans la plainte que le requérant a présentée à la police, en particulier les phrases: «Ils auraient pu me tuer; s’ils étaient entrés, ils m’auraient passée à tabac. C’était des fous furieux.». Le Comité considère toutefois que ces phrases sont étroitement liées à celles faisant référence aux auteurs de l’attaque. Même si elles n’ont pas été expressément mentionnées par le requérant, elles font partie de la réclamation qui constituait l’essentiel de la plainte présentée à la police. Le Comité ne partage donc pas l’avis de l’État partie selon lequel le requérant n’a pas épuisé les recours internes eu égard à cette partie de la déclaration.

6.5Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel le requérant n’a pas droit à un recours spécifique, et que des poursuites peuvent être engagées à la diligence de la victime en vertu des articles 267 1) et 268 du Code pénal. Il observe toutefois que les déclarations ont été faites en public, élément essentiel tant de la Convention que de l’article 266b du Code pénal, et que le choix du recours engagé par le requérant n’était pas une question controversée au niveau interne. Il serait donc déraisonnable de demander au requérant d’engager également une procédure au titre des articles 267 1) et 268 après avoir invoqué sans succès l’article 266b du Code pénal pour des faits relevant directement de la lettre et de l’objet de cette disposition.

6.6En l’absence d’autres objections concernant la recevabilité de la communication, le Comité déclare celle‑ci recevable dans la mesure où il y est allégué que l’État partie n’aurait pas procédé à une enquête approfondie sur l’incident.

Examen au fond

7.1Le Comité, agissant en application de l’article 14, paragraphe 7 a), de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, a examiné les renseignements apportés par le requérant et l’État partie.

7.2Le Comité doit déterminer si l’État partie s’est acquitté de l’obligation positive qui lui incombe de prendre des mesures effectives contre les cas signalés de discrimination raciale, c’est‑à‑dire s’il a ouvert une enquête sur les faits dénoncés par le requérant dans la plainte qu’il avait déposée en vertu de l’article 266b du Code pénal. Conformément à cette disposition, les déclarations publiques ayant un caractère menaçant, insultant ou dégradant pour un groupe de personnes en raison de leur couleur, origine nationale ou ethnique, religion ou préférence sexuelle, constituent une infraction pénale.

7.3Le Comité rappelle sa jurisprudence antérieure selon laquelle il ne suffit pas, aux fins de l’article 4 de la Convention, de déclarer simplement dans un texte de loi les actes de discrimination raciale punissables. La législation pénale et les autres dispositions légales interdisant la discrimination raciale doivent aussi être effectivement mises en œuvre par les tribunaux nationaux compétents et les autres institutions de l’État. Cette obligation est implicite dans l’article 4 de la Convention, en vertu duquel les États parties s’engagent à adopter immédiatement des mesures positives destinées à éliminer toute incitation à la discrimination raciale ou tous actes de discrimination raciale. Elle est également reflétée dans d’autres dispositions de la Convention, comme le paragraphe 1 d) de l’article 2, en vertu duquel les États doivent, par tous les moyens appropriés, interdire la discrimination raciale, et l’article 6 qui garantit à chacun une protection et une voie de recours effectives contre tous actes de discrimination raciale.

7.4Le Comité prend note du grief du requérant selon lequel le fait que Mme Kjaersgaard ait déclaré, dans son entretien publié dans le journal du 17 février 2007, que ses agresseurs, lors de l’incident de 1998, sortaient des clubs somaliens a constitué un acte de discrimination raciale, dans la mesure où aucun Somalien n’était impliqué dans l’incident en question. Il constate également que le commissaire de police de Copenhague‑Ouest affirme avoir examiné la plainte et a conclu que la déclaration de Mme Kjaersgaard se bornait à décrire une suite spécifique d’événements en déclarant que les agresseurs sortaient des clubs somaliens, sans tenir de propos méprisants ou dégradants à l’égard de personnes somaliennes. Le Comité considère qu’en l’état des informations dont il dispose, la déclaration visée, malgré son ambigüité, ne peut être nécessairement interprétée comme affirmant de façon expresse que des personnes d’origine somalienne étaient responsables de l’agression en question. Par conséquent, sans vouloir se prononcer sur les intentions de Mme Kjaersgaard à l’origine de sa déclaration, il n’est pas en mesure de conclure que cette déclaration relève du champ d’application des articles 2, paragraphes 1 d) et 4, de la Convention, ni que l’enquête menée par les autorités nationales au sujet de l’incident de 1998 n’a pas répondu aux critères permettant d’affirmer qu’un recours est effectif au sens de la Convention.

8.Compte tenu des circonstances, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, agissant en vertu de l’article 14, paragraphe 7 a), de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale estime qu’il n’est pas en position de constater une violation de la Convention par l’État partie.

9.Se fondant sur l’article 95, paragraphe 1, de son Règlement intérieur, le Comité souhaite néanmoins rappeler les précédentes recommandations formulées à l’occasion de l’examen des communications individuelles dont il avait été saisi, dans lesquelles il avait demandé aux États parties :

- de veiller à ce que les autorités de police et de justice mènent des enquêtes sérieuses dans les cas d’allégations d’actes de racisme tels que visés à l’article 4 de la Convention ;

- d’appeler l’attention des personnalités politiques et des membres des partis politiques sur les devoirs et les responsabilitiés particulières qui leur incombent au regard de l’article 4 de la Convention pour ce qui concerne leurs discours, articles ou autres mode d’expression médiatique.

[Adopté en français (version originale), en anglais, en espagnol, et en russe. Paraîtra ultérieurement en arabe et en chinois dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

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