Nations Unies

CAT/C/RUS/CO/6

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

28 août 2018

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Observations finales concernant le sixième rapport périodique de la Fédération de Russie *

1.Le Comité contre la torture a examiné le sixième rapport périodique de la Fédération de Russie (CAT/C/RUS/6) à ses 1658e et 1661e séances (voir CAT/C/SR.1658 et 1661), les 25 et 26 juillet 2018, et a adopté les présentes observations finales à ses 1676e et 1677e séances, le 8 août 2018.

A.Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction la soumission du sixième rapport périodique de la Fédération de Russie et les renseignements qu’il contient.

3.Le Comité se félicite d’avoir pu engager un dialogue constructif avec la délégation de l’État partie et accueille avec satisfaction les renseignements fournis en réponse aux questions du Comité et aux préoccupations que celui-ci a exprimées.

B.Aspects positifs

4.Le Comité note avec satisfaction que l’État partie a adhéré aux instruments internationaux ci-après, ou les a ratifiés :

a)La Convention du Conseil de l’Europe contre le trafic d’organes humains, le 24 septembre 2015 ;

b)Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, le 24 septembre 2013 ;

c)La Convention relative aux droits des personnes handicapées, le 25 septembre 2012.

5.Le Comité accueille également avec satisfaction les mesures prises par l’État partie pour réviser sa législation dans des domaines intéressant la Convention, notamment :

a)Les modifications apportées en 2015 aux articles 43 et 96 du Code de procédure pénale, qui établissent l’obligation pour les enquêteurs de respecter le droit des personnes placées en détention d’informer un proche de leur arrestation ;

b)Les modifications apportées le 13 juillet 2015 à la loi fédérale no 260 portant Code d’application des peines, qui relèvent le niveau des prestations mensuelles versées aux personnes condamnées ;

c)L’adoption, le 8 mars 2013, de la loi fédérale no 21 portant Code de procédure administrative, qui a pour objet de garantir des voies de recours en cas de plainte concernant les conditions de détention dans les lieux de privation de liberté.

6.Le Comité accueille en outre avec satisfaction les mesures prises par l’État partie pour modifier ses politiques, programmes et mesures administratives, afin de donner effet à la Convention, à savoir :

a)L’adoption d’une stratégie nationale en faveur des femmes pour la période 2017-2022, qui vise entre autres choses à combattre la violence à l’égard des femmes ;

b)L’élaboration, pour la période 2015-2020, d’un plan d’action visant à renforcer le système pénitentiaire de la Fédération de Russie ;

c)L’adoption et la mise en œuvre d’un programme national ciblé de renforcement du système pénitentiaire pour la période 2007-2016, qui visait à accroître la capacité des centres de détention provisoire ;

d)Les mesures qui ont été prises par le Ministère de la défense entre 2013 et 2016, pour faire mieux respecter la loi et promouvoir des comportements conformes à la loi et à la discipline dans les rangs de l’armée, notamment les décrets sur le renforcement de l’efficacité des mesures procédurales qui sont prises par les autorités militaires chargées de mener les enquêtes préliminaires et de prévenir les faits de violence dans les relations interpersonnelles entre membres de l’armée ;

e)La désignation, à compter de 2016, de commissaires aux droits de l’homme dans les 85 entités constitutives de l’État partie.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Questions soulevées lors du précédent cycle appelant un suivi

7.Au paragraphe 28 de ses précédentes observations finales (CAT/C/RUS/CO/5), le Comité a demandé à la Fédération de Russie de lui fournir des informations complémentaires sur les questions particulièrement préoccupantes qu’il avait évoquées aux paragraphes 11, 12 et 16 et qui concernaient respectivement la surveillance des lieux de détention, les actes d’intimidation, de harcèlement et de violence contre les défenseurs des droits de l’homme, ainsi que le bizutage (« dedovschina ») et les mauvais traitements dans l’armée. Le Comité remercie l’État partie des réponses et des informations concrètes qu’il lui a fournies à ce sujet le 25 octobre 2013 (voir CAT/C/RUS/CO/5/Add.1). Toutefois, au vu des informations dont il dispose, le Comité estime que les recommandations figurant aux paragraphes 11, 12 et 16 de ses observations finales n’ont pas été pleinement appliquées (voir par. 22, 28 et 36 ci‑dessous).

Définition et incrimination de la torture

8.Compte tenu de sa précédente recommandation (voir CAT/C/RUS/CO/5, par. 7), le Comité regrette que l’État partie n’ait pas encore érigé la torture en infraction distincte dans le Code pénal et que la définition de la torture dans l’annotation à l’article 117 dudit code ne contienne pas tous les éléments énoncés à l’article premier de la Convention. Le Comité note avec préoccupation que selon la délégation, les actes de torture ou les mauvais traitements imputés à des agents de l’État donnent généralement lieu à des poursuites en vertu de l’article 286 (abus d’autorité), ce qui ne rend pas compte de la gravité du crime de torture et ne permet pas au Comité de suivre les poursuites engagées par l’État partie dans les affaires de torture (art. 1 et 2).

9. Le Comité exhorte à nouveau l’État partie à ériger la torture en infraction pénale distincte. L’État partie devrait également faire en sorte que sa définition de la torture soit pleinement conforme à l’article premier de la Convention, que les peines prévues par sa législation pour les actes de torture soient à la mesure de la gravité de l’infraction, comme le Comité l’a recommandé dans son observation générale n o  2 (2007) sur l’application de l’article 2, et que les auteurs de tels actes ne soient pas uniquement inculpés d’infractions prescriptibles emportant des peines maximales moins lourdes.

Garanties fondamentales

10.Bien que prenant note des garanties procédurales prévues par la législation de l’État partie, le Comité est préoccupé par les informations concordantes selon lesquelles, dans la pratique, les garanties fondamentales contre la torture prévues pour les personnes détenues ne sont souvent pas appliquées dès le début de la privation de liberté et ne sont parfois pas respectées du tout. S’il relève que le Code de procédure pénale et la loi fédérale no103 du 15 juillet 1995 établissent le droit d’être assisté par un conseil, le Comité constate cependant avec regret que dans bien des cas on ne laisserait pas les conseils juridiques voir leurs clients en détention, que les personnes démunies n’auraient pas toujours accès à une aide juridique gratuite, en particulier dans les régions reculées, et que les juges n’écarteraient généralement pas les aveux faits en l’absence d’un avocat. Tout en prenant note des réponses de la délégation selon lesquelles le paragraphe 4 de l’article 96 du Code de procédure pénale n’est appliqué que dans des cas exceptionnels, le Comité reste préoccupé par le fait que les détenus peuvent être privés de leur droit d’informer un proche. De même, s’il prend note des renseignements que lui a communiqués l’État partie au sujet de la réforme des services médicaux en prison menée en 2015, le Comité s’inquiète de ce que la police et les médecins des services pénitentiaires omettraient ou refuseraient de procéder à un examen confidentiel en bonne et due forme des blessures résultant d’actes de torture ou de mauvais traitements et de ce que l’administration pénitentiaire opposerait souvent une fin de non-recevoir aux détenus demandant à être examinés par un médecin indépendant. Le Comité est également préoccupé par l’absence d’informations sur le registre central des détenus et les règles régissant l’utilisation de la surveillance vidéo dans les lieux de détention (art. 2, 12, 13, 15 et 16).

11. L’État partie devrait veiller, en droit et en fait, à ce que tous les détenus bénéficient de toutes les garanties fondamentales dès le début de la privation de liberté, y compris celles mentionnées aux paragraphes 13 et 14 de l’observation générale n o  2 (2007) du Comité. En particulier, il devrait veiller :

a) À ce que toutes les personnes détenues puissent, dans la pratique, avoir rapidement accès à un avocat indépendant qualifié ou à une aide juridique gratuite, si nécessaire, en particulier pendant les interrogatoires de police, informer un parent ou une autre personne de leur choix des motifs et du lieu de leur détention, et contester, à tout moment pendant leur détention, la légalité ou la nécessité de celle-ci devant un magistrat habilité à ordonner leur libération immédiate et obtenir une décision sans délai. L’État partie devrait s’assurer régulièrement que les représentants des forces de l’ordre respectent ces garanties, sanctionner tout manquement à cet égard et rassembler des données sur les cas où des fonctionnaires ont fait l’objet de mesures disciplinaires ou autres pour non-respect de ces garanties et les transmettre au Comité ;

b) À ce que le droit de demander et d’obtenir d’être examiné par un médecin indépendant soit garanti dès le début de la privation de liberté, à ce que les examens médicaux soient pratiqués hors de portée de voix et à l’abri des regards des policiers et du personnel pénitentiaire, à moins que le médecin concerné ne demande expressément le contraire, à ce que le compte rendu du médecin soit immédiatement porté à l’attention d’un procureur chaque fois que les conclusions ou des allégations donnent à penser que des actes de torture ou des mauvais traitements ont pu être commis, à ce que les professionnels de santé ne soient exposés à aucune forme de pression indue ou de représailles dans l’exercice de leurs fonctions ;

c) À ce que toutes les privations de liberté soient rapidement consignées dans un registre central de détention complet, et à ce que les proches et les avocats de tous les détenus aient le droit de consulter les informations inscrites au registre au sujet des détenus ;

d) À ce que tous les interrogatoires fassent l’objet d’un enregistrement vidéo et à ce qu’un dispositif de surveillance vidéo soit installé dans tous les endroits des lieux de détention où des détenus peuvent être présents, sauf lorsque cela pourrait porter atteinte au droit des détenus au respect de leur vie privée ou de leurs échanges confidentiels avec leur avocat ou un médecin. Les enregistrements correspondants devraient être conservés dans des locaux sécurisés, par exemple dans les bureaux des procureurs, et mis à la disposition des enquêteurs, des détenus et de leurs avocats.

Torture et mauvais traitements

12.Le Comité est profondément préoccupé par les nombreuses informations dignes de foi selon lesquelles la torture et les mauvais traitements auraient cours dans l’État partie, notamment comme moyen d’extorsion d’aveux, et par les nombreuses informations récentes, notamment sur le décès de Valery Pshenichny en 2018 et celui de Ruslan Sayfutdinov en 2017, qui attestent de telles pratiques. Le Comité est en outre préoccupé par les informations selon lesquelles les allégations de torture donnent rarement lieu à des poursuites pénales et que, même lorsqu’ils sont poursuivis, les auteurs sont accusés de simples voies de fait ou d’abus d’autorité. Se référant à sa précédente recommandation (voir CAT/C/RUS/CO/5, par. 6), le Comité regrette que les hautes autorités de l’État partie n’aient pas fait de déclaration publique réaffirmant l’interdiction absolue de la torture (art. 2, 4, 12 et 16).

13. Le Comité prie instamment l’État partie de combattre l’impunité dans les affaires de torture et de mauvais traitements, notamment en veillant à ce que les hauts responsables de l’État affirment publiquement et sans ambiguïté que la torture ne sera pas tolérée et que toute personne, y compris tout supérieur hiérarchique, qui commettrait des actes de torture, en serait complice ou les autoriserait tacitement fera l’objet de poursuites pénales pour actes de torture.

Enquêtes sur les actes de torture et les mauvais traitements

14.Tout en prenant note des réponses de la délégation selon lesquelles les procureurs sont informés, documents à l’appui, dans un délai d’un jour, de chaque cas de torture ou de mauvais traitements infligés à des détenus, le Comité demeure préoccupé par les informations nombreuses et concordantes indiquant que les allégations de torture ou de mauvais traitement ne donnent pas rapidement lieu à des enquêtes impartiales et efficaces. Il est en outre préoccupé par les informations selon lesquelles de nombreuses allégations de ce type sont rejetées par les enquêteurs pendant la phase de vérification préalable à l’enquête et n’aboutissent donc pas à l’ouverture d’une procédure pénale en bonne et due forme. Le Comité regrette également de ne pas disposer d’informations ventilées sur le nombre de plaintes pour actes de torture ou mauvais traitements mettant en cause des agents de l’État, sur le nombre de plaintes ayant fait l’objet d’une enquête et, le cas échéant, sur les poursuites engagées contre les auteurs de ces actes. Il est également préoccupé par les informations selon lesquelles la section du Comité d’instruction chargée de faire la lumière sur les actes criminels commis par des agents des forces de l’ordre ne disposerait pas de ressources humaines et financières suffisantes, et aurait un accès limité aux éléments de preuve concernant les actes de torture et mauvais traitements qui se trouveraient dans les centres de détention (art. 2, 10, 11, 12, 13, 14, 15 et 16).

15. L’État partie devrait :

a) Mener promptement une enquête impartiale et efficace sur toutes les allégations et tous les cas de torture et de mauvais traitements, poursuivre tous les responsables et rendre compte publiquement de l’issue de la procédure ;

b) Cesser de rejeter les plaintes pour actes de torture et mauvais traitements pendant la phase de vérification préalable à l’enquête et veiller à ce que les enquêteurs ouvrent immédiatement une enquête pénale officielle et efficace sur toutes les allégations de torture et de mauvais traitements, notamment dans l’affaire Sergei Magnitsky  ;

c) Renforcer la capacité de la section du Comité d’instruction chargée de faire la lumière sur les infractions commises par des agents des forces de l’ordre, notamment en lui assurant un accès sans entrave à tous les lieux de détention, ainsi qu’aux éléments de preuve, et en lui fournissant des ressources humaines et financières suffisantes pour lui permettre de s’acquitter efficacement de son rôle dans toutes les entités constitutives de l’État partie ;

d) Recueillir et fournir au Comité des données statistiques ventilées sur le nombre de plaintes pour actes de torture ou mauvais traitements mettant en cause des agents des forces de l’ordre et d’autres agents de l’État, le nombre de cas dans lesquels l’État partie a mené une enquête et, le cas échéant, ceux dans lesquels il a engagé des poursuites.

Affaire Yevgeny Makarov

16.Le Comité prend note des réponses de la délégation, à savoir qu’à l’issue de l’enquête menée après la diffusion récente d’une vidéo dans laquelle on voit des gardiens de la prison de Yaroslav torturer Yevgeny Makarov (les faits remontent à 2017), 17 agents ont démissionné, 7 ont été emprisonnés et 5 autres arrêtés, et que l’avocate de M. Makarov, Irina Biryukova, qui a publié la vidéo et a fui le pays après avoir reçu des menaces de mort, fera l’objet de mesures de sécurité. Toutefois, il demeure préoccupé de ce que, dans cette affaire, la surveillance vidéo s’est révélée inutile pour prévenir les actes de torture, et note que les enregistrements vidéo ont été dissimulés par des agents de l’État pendant près d’un an, et que c’est seulement une fois que l’enregistrement vidéo a été transmis aux médias et a mobilisé l’attention générale qu’il a été décidé d’ouvrir une enquête (art. 2, 10, 11, 12, 13, 14, 15 et 16).

17. L’État partie devrait veiller à ce que l’affaire concernant Yevgeny Makarov fasse rapidement l’objet d’une enquête impartiale et efficace et à ce que les auteurs des faits en cause, y compris les supérieurs hiérarchiques et les personnes qui ont dissimulé l’enregistrement vidéo, soient poursuivis et, s’ils sont reconnus responsables, à ce qu’ils soient dûment sanctionnés. L’État partie devrait également prendre toutes les mesures voulues pour protéger Yevgeny Makarov et son avocate, Irina Biryukova , d’éventuelles représailles.

Usage excessif de la force

18.Le Comité est préoccupé par les informations concordantes faisant état d’un usage excessif de la force par les agents des forces de l’ordre lors de manifestations. En particulier, il est préoccupé par les informations indiquant que des centaines de manifestants ont été roués de coups et arrêtés lors des manifestations qui ont eu lieu le 12 juin 2017 à Moscou et à Saint-Pétersbourg pour dénoncer la corruption, que lors de l’arrestation des manifestants, les policiers ont dissimulé leur identité en cachant leurs badges, et que les manifestants se sont vu refuser le droit de consulter un avocat et, qu’étant détenus dans des cellules de commissariats de police extrêmement surpeuplées, ils n’ont pas eu accès à des services ou équipements de base (art. 2, 12, 13 et 16).

19. L’État partie devrait :

a) Veiller à ce que toutes les allégations relatives à l’usage excessif de la force par les agents des forces de l’ordre et les membres des forces armées donnent rapidement lieu à des enquêtes impartiales et efficaces, à ce que les auteurs de ces actes soient poursuivis et à ce que les victimes obtiennent réparation et reçoivent une indemnisation adéquate ;

b) Dispenser aux agents des forces de l’ordre une formation professionnelle sur l’obligation de respecter les principes de nécessité et de proportionnalité lors des interventions de police, s’agissant en particulier des manifestations pacifiques, sur l’interdiction absolue de la torture et sur les autres obligations incombant aux États en vertu de la Convention, ainsi que sur les Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois ;

c) Faire davantage respecter la législation qui exige que tous les agents des forces de l’ordre en service portent une identification visible de leur identité personnelle de façon qu’ils puissent être tenus personnellement responsables de leurs actes et de manière à se prémunir contre les actes de torture et les mauvais traitements.

Consommateurs de drogues

20.Constatant qu’il n’y a pas de traitements de substitution aux opiacés dans l’État partie, le Comité est préoccupé par les informations concordantes indiquant que des représentants des forces de l’ordre se servent délibérément du syndrome de sevrage des consommateurs de drogues privés de liberté pour leur arracher des aveux, et que les tribunaux admettent les éléments de preuve ainsi obtenus. Le Comité regrette que, malgré les recommandations formulées par plusieurs autres organes conventionnels, dont le Comité des droits de l’homme en 2015, l’État partie ne semble avoir pris aucune mesure concrète pour remédier à ce problème (art. 2, 11, 15 et 16).

21. Le Comité prie instamment l’État partie de prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger efficacement les consommateurs de drogues privés de liberté de l’exploitation par la police des douleurs et des souffrances liées aux syndrome de sevrage, notamment pour leur extorquer des aveux, de veiller à ce que les aveux obtenus de la sorte ne soient pas admis par les tribunaux et d’assurer aux consommateurs de drogues en détention l’accès voulu aux traitements médicaux nécessaires.

Surveillance des lieux de privation de liberté

22.S’il prend acte des mesures qui ont été prises par l’État partie pour renforcer les commissions publiques de contrôle, notamment la loi fédérale no 203 du 19 juillet 2018 visant à étendre les droits des membres de ces commissions, le Comité est néanmoins préoccupé par les informations concordantes selon lesquelles les commissions continuant à pâtir d’un manque de financement, elles n’ont pu mener qu’un nombre réduit de visites au cours de la période considérée. Il est également préoccupé par les informations selon lesquelles, avec la révision du règlement régissant la composition des commissions publiques de contrôle, le Conseil de la Chambre publique a nommé un nombre disproportionné de membres ayant officié dans les forces de l’ordre et exclu des contrôleurs indépendants, ce qui nuit à l’impartialité et à l’indépendance des commissions. Le Comité prend note avec préoccupation des informations concordantes selon lesquelles les commissions se sont vu refuser l’accès à des lieux de détention et interdire l’entrée dans ces lieux avec du matériel photographique et vidéo. Le Comité est également préoccupé par le fait que les autorités fédérales ne sont pas légalement tenues de donner suite aux recommandations formulées par les commissions et que rares sont les constatations de ces commissions qui ont débouché sur une procédure pénale (art. 2, 12 et 13).

23. L’État partie devrait :

a) Veiller à l’indépendance et au bon fonctionnement des commissions publiques de contrôle, notamment en les dotant des ressources humaines et financières nécessaires et en veillant à ce que leur composition soit conforme aux conditions fixées par la loi, afin de garantir leur indépendance et leur impartialité ;

b) Faire en sorte que dans la pratique, les membres des commissions publiques de contrôle aient accès sans entrave à tous les lieux de privation de liberté, y compris les établissements psychiatriques, qu’ils puissent s’entretenir de manière confidentielle avec les détenus et que tout agent de l’administration, y compris les agents de l’administration pénitentiaire, qui gêne leur travail soit dûment sanctionné ;

c) Prendre toutes les mesures nécessaires pour que les autorités compétentes donnent rapidement suite aux conclusions et aux recommandations des co mmissions publiques de contrôle  ;

d) Envisager d’autoriser les organisations non gouvernementales à contrôler régulièrement tous les lieux de détention en complément du contrôle réalisé par les commissions publiques de contrôle.

Mécanisme de prévention

24.S’il prend acte des réponses de la délégation quant aux éventuels doublons dans les fonctions de contrôle, le Comité constate toutefois avec préoccupation que l’État partie doit encore prendre des mesures supplémentaires aux niveaux national et international en matière de prévention et ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ce qui permettrait d’établir un mécanisme national de prévention. Pour ce qui est de la participation de l’État partie au mécanisme régional de prévention, le Comité a appris avec satisfaction de la délégation que celui-ci coopérait étroitement avec le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants et qu’il n’avait pas exclu la possibilité de demander que ledit comité publie les rapports qu’il aurait établis à l’issue de ses visites dans l’État partie (art. 2, 12 et 13).

25. Le Comité recommande à l’État partie de ratifier le Protocole facultatif à la Convention et de se doter d’un mécanisme national de prévention qui soit conforme audit P rotocole. Il invite en outre l’État partie à envisager de demander au Comité européen pour la prévention de la torture de publier les rapports de ses visites dans l’État partie.

Mécanisme indépendant de dépôt de plaintes

26.Le Comité prend note des réponses données par la délégation, selon laquelle les détenus peuvent à tout moment soumettre des plaintes pour actes de torture, mais il demeure préoccupé par les informations concordantes selon lesquelles, dans la pratique, les détenus n’ont pas l’accès voulu à un mécanisme de dépôt de plaintes indépendant, efficace et sûr, et que ceux qui formulent des allégations de torture subissent des représailles, et sont souvent inculpés d’accusations mensongères, qui leur valent un allongement de leur peine d’emprisonnement (art. 2, 12 et 13).

27. L’État partie devrait veiller à ce que toutes les personnes, en particulier celles qui sont privées de liberté, aient l’accès voulu à un mécanisme indépendant de dépôt de plaintes par l’intermédiaire duquel elles puissent communiquer de manière confidentielle des allégations de torture et de mauvais traitements à une autorité d’enquête indépendante. Il devrait aussi prendre toutes les mesures voulues pour protéger les détenus qui portent plainte pour des faits de torture d’éventuelles représailles, y compris les mesures de rétorsion judiciaires.

Défenseurs des droits de l’homme et journalistes

28.Le Comité prend note avec préoccupation des exemples concordants de harcèlement, d’enlèvement, de détention arbitraire, de torture, de mauvais traitements et d’exécution de défenseurs des droits de l’homme, d’avocats, de journalistes et d’opposants politiques, et de l’absence d’enquête efficace à cet égard, y compris dans les affaires emblématiques de l’assassinat, en 2006, d’Anna Politkovskaya et de celui, en 2009, de Natalia Estemirova. Rappelant les lettres qu’il a adressées à l’État partie les 17 et 28 mai 2013, au sujet des poursuites administratives engagées contre le centre « Mémorial » et la fondation « Verdict public », le Comité note avec regret que le bureau du procureur aurait qualifié d’activités politiques le fait que ces organisations aient soumis des rapports parallèles au Comité en 2012, et aurait justifié l’enregistrement de ces organisations comme « agents étrangers ». À cet égard, le Comité est préoccupé par les informations concordantes selon lesquelles la loi sur les agents étrangers et la loi sur les organisations étrangères et internationales indésirables seraient souvent utilisées à des fins de harcèlement administratif pour contraindre les organisations de défense des droits de l’homme à réduire leurs activités et, à terme, à y renoncer (art. 2, 11, 12, 13 et 16).

29. L’État partie devrait d’urgence :

a) Veiller à ce que les organisations de défense des droits de l’homme puissent mener leur travail et leurs activités librement dans l’État partie ;

b) Prendre des mesures pour protéger les défenseurs des droits de l’homme, les avocats et les journalistes contre le harcèlement et les agressions, mener des enquêtes sur tous les actes de harcèlement et agressions signalés, poursuivre et sanctionner les auteurs des faits en cause et assurer réparation aux victimes et aux membres de leur famille, notamment leur garantir des recours utiles et une indemnisation adéquate ;

c) Veiller à ce que les défenseurs des droits de l’homme, les journalistes et les avocats ne soient pas soumis à des représailles ni à du harcèlement administratif, pour avoir communiqué des informations aux organes conventionnels de l’ONU et, notamment, au Comité, comme celui-ci le lui a recommandé précédem ment (voir CAT/C/RUS/CO/5, par.  12 b)).

Violence à l’égard des femmes

30.S’il prend note des explications que lui a fournies la délégation, le Comité constate néanmoins avec préoccupation que la législation de l’État partie ne définit pas la violence familiale et que, du fait de la modification qui a été apportée récemment à l’article 116 du Code de procédure pénale, certains actes de violence familiale sont désormais dépénalisés et considérés comme des infractions non plus pénales mais administratives lorsqu’ils sont commis pour la première fois, et ce, malgré la recrudescence des faits de violence familiale qui sont signalés. Il constate également avec préoccupation que d’après les informations reçues, les policiers sont souvent réticents à enregistrer les plaintes pour violence familiale et vont jusqu’à décourager les victimes de porter plainte, et que les victimes continuent d’être obligées de participer à des processus de réconciliation avec les auteurs des faits en cause. Il constate aussi avec inquiétude que le taux des condamnations pour viol est très faible et que les articles 75 et 76 du Code pénal permettent aux personnes qui commettent un viol ou une agression sexuelle pour la première fois d’échapper à leur peine par le mariage ou par un arrangement avec la victime. Le Comité est préoccupé par le fait que les crimes d’honneur et les enlèvements de fiancées continuent d’avoir cours dans le Caucase du Nord, particulièrement en Tchétchénie, au Daghestan et en Ingouchie, et que les auteurs de tels actes sont rarement traduits en justice, ce qui fait jurisprudence et permet à ces personnes d’échapper à leur responsabilité pénale et de rester impunies (art. 2, 12, 13, 14 et 16).

31. L’État partie devrait définir la violence familiale dans ses lois, conformément aux normes internationales, et prendre les mesures voulues pour faciliter les poursuites pénales contre les auteurs de violences familiales. Il devrait aussi veiller à ce que toutes les allégations de violence à l’égard de femmes, résultant d’actes ou d’omissions des agents de l’État et autres interlocuteurs qui engagent la responsabilité de l’État au titre de la Convention, soient consignées par la police et fassent rapidement l’objet d’enquêtes impartiales et efficaces, et à ce que leurs auteurs soient poursuivis et, s’ils sont jugés responsables, à ce qu’ils soient sanctionnés. L’État partie devrait prendre toutes les mesures de protection qui s’imposent pour garantir la sécurité des victimes.

Agressions de lesbiennes, de gays, de bisexuels, de transgenres et d’intersexes

32.Le Comité prend note avec préoccupation des informations récurrentes selon lesquelles les lesbiennes, les gays, les bisexuels, les transgenres et les intersexes (LGBTI) subissent de la violence en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre, notamment des agressions physiques et d’autres mauvais traitements. Il est aussi préoccupé par les informations selon lesquelles les infractions motivées par la haine contre ces personnes ont considérablement augmenté depuis l’adoption de la loi fédérale qui interdit « la propagande en faveur des relations sexuelles non traditionnelles ». Le Comité exprime en particulier son inquiétude au sujet des informations indiquant que pendant la « purge antigay » de mars2017, la police et les militaires tchétchènes et d’autres personnes auraient procédé à des arrestations arbitraires et torturé des hommes présumés gays avec du matériel électrique et encouragé leurs proches à faire d’eux des victimes de crimes d’honneur. Le Comité trouve préoccupant que, d’après les renseignements reçus, les agents des forces de l’ordre tchéchènes aient eux-mêmes participé à l’étape préalable aux enquêtes sur ces allégations et, comme l’a déclaré la délégation pendant le dialogue, qu’aucun fait n’ait été établi et, par conséquent, qu’aucune procédure pénale n’ait été engagée (art. 12, 13, 14 et 16).

33. L’État partie devrait :

a) Veiller à ce que les auteurs d’agressions et de crimes de haine motivés par l’orientation sexuelle ou l’identité de genre des victimes, en particulier en ce qui concerne les faits de violence qui ont eu lieu en Tchétchénie en mars 2017, soient inculpés, fassent l’objet d’enquêtes et de poursuites et, s’ils sont jugés responsables, à ce qu’ils soient sanctionnés  ;

b) Abroger la loi interdisant « la propagande en faveur des relations sexuelles non traditionnelles », qui promeut la stigmatisation et les préjugés contre les lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexes  ;

c) Former les agents des forces de l’ordre et le personnel judiciaire à la détection et à la répression des infractions motivées par la haine, y compris celles qui sont motivées par l’orientation sexuelle ou l’identité de genre.

Mesures antiterroristes

34.Le Comité relève avec préoccupation que, selon les informations concordantes reçues, les dispositions du Code pénal relatives à la lutte contre le terrorisme sont souvent utilisées contre des militants de la société civile, notamment des militants antifascistes, que les membres du Service fédéral de sécurité ont régulièrement recours à la torture pour obtenir des aveux de personnes accusées d’activités terroristes, et qu’aucune poursuite pénale n’a été engagée à raison d’allégations de torture, y compris celles formulées par Igor Shishkin, les frères Azimov et huit membres du groupe « Network » (art. 2, 11, 12 et 16).

35. L’État partie devrait faire en sorte que les mesures prises pour lutter contre le terrorisme soient conformes à l’interdiction énoncée dans la Convention contre la torture et les mauvais traitements, et s’assurer que toutes les allégations de torture et de mauvais traitements de personnes accusées de participation à des actes terroristes, notamment dans les affaires susmentionnées, fassent rapidement l’objet d’enquêtes impartiales et efficaces, et que leurs auteurs soient poursuivis et dûment sanctionnés.

Bizutage («  dedovschchina  ») et mauvais traitements dans les forces armées

36.Le Comité accueille avec satisfaction les mesures prises par l’État pour prévenir et réprimer le bizutage dans les forces armées, notamment la création, dans les services du Bureau du Procureur militaire en chef, du groupe de lutte contre les traitements humiliants, la tenue régulière d’audits des unités militaires menés par les bureaux des procureurs militaires et la formation dispensée aux officiers supérieurs de l’armée, mais il demeure préoccupé par les informations selon lesquelles seule une petite partie des cas de bizutage signalés a abouti à des poursuites (art. 2 et 16).

37. Le Comité rappelle sa recommandation précédente (voir CAT/C/RUS/CO/5, par. 16) et redit que l’État partie devrait interdire le bizutage et les mauvais traitements infligés aux conscrits et mettre fin à ces pratiques. L’État partie devrait veiller à ce que des enquêtes impartiales et efficaces soient rapidement menées pour toute allégation de sévices infligés à des conscrits de l’armée et pour tous les décès survenant dans ce cadre, poursuivre les auteurs de tels actes et leur appliquer des peines appropriées, rendre publics les résultats des enquêtes et assurer réparation aux victimes, conformément à l’observation générale n o  3 (2012) du Comité sur l’application de l’article 14.

Conditions de détention

38.Le Comité salue les initiatives prises par l’État partie pour améliorer les conditions de détention, notamment avec la réforme des services médicaux des prisons en 2015, mais il demeure préoccupé par les informations récurrentes faisant état de la surpopulation et des conditions matérielles pénibles qui règnent dans certains lieux de détention, notamment du fait d’un accès insuffisant à la nourriture, à l’eau, au chauffage, à la ventilation, à l’assainissement, à l’hygiène et aux soins médicaux. Le Comité est préoccupé par les informations relatives aux conditions de détention des enfants nés en prison, qui laissent elles aussi à désirer, et note que ces enfants et leur mère n’ont pas accès à des soins médicaux et des programmes d’enseignements adéquats. Il prend note avec préoccupation de la disparité entre le nombre de décès en détention et le nombre d’inculpations visant des membres du personnel pénitentiaire, ainsi que du faible nombre de sanctions réellement appliquées, d’autre part. Il note que le taux élevé de mortalité est dû à une incidence élevée des cas de maladies transmissibles, telles que la tuberculose et le VIH/sida, parmi les détenus et à l’absence de soins médicaux adéquats, et que l’accès au dépistage du VIH et aux traitements spécialisés, tels que le traitement antirétroviral hautement actif, est insuffisant. Il prend enfin note avec inquiétude des informations faisant état des conditions particulièrement insoutenables dans lesquelles les détenus sont transférés d’un lieu de détention à un autre, notamment des cas dans lesquels des détenus auraient été transportés dans des compartiments de véhicule mesurant 0,3 m2 (art. 11 et 16).

39. L’État partie devrait :

a) S’employer à rendre les conditions de détention conformes aux normes internationales, dont l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela), notamment en veillant à ce que les détenus, et en particulier les membres de groupes vulnérables tels que les enfants nés en prison, bénéficient de conditions matérielles et d’hygiène convenables, entre autres pour ce qui est du système d’assainissement et des installations sanitaires (notamment les toilettes et les douches), du chauffage et de la ventilation des cellules, de la quantité et de la qualité de la nourriture, des articles de literie, des couvertures et des produits d’hygiène personnelle, des soins de santé, des activités en plein air et des visites des proches ;

b) Renforcer l’action menée pour faire diminuer le nombre de décès en détention, y compris le nombre de suicides. Il devrait mener des enquêtes sur tous les décès, et faire procéder à des examens médico-légaux indépendants, fournir des rapports d’autopsie aux proches des personnes décédées et, si ceux-ci le demandent, les autoriser à faire pratiquer une autopsie privée, et poursuivre les auteurs de violations de la Convention pour les actes ayant abouti à ces décès, et, s’ils sont condamnés, les sanctionner dûment et assurer réparation aux parents des victimes ;

c) Lutter contre les maladies infectieuses et appliquer avec détermination les programmes de réduction des risques dans les lieux de détention afin de réduire le nombre des décès résultant de la tuberculose, ainsi que l’incidence du VIH/sida, et offrir des soins médicaux spécialisés aux détenus malades.

Placement forcé en établissement psychiatrique

40.Le Comité prend note avec préoccupation des informations concordantes selon lesquelles les forces de l’ordre recourent au placement forcé en établissement psychiatrique comme moyen de harcèlement et de sanction contre les opposants et les militants politiques, particulièrement en Crimée ; il prend note en particulier de l’hospitalisation forcée en 2016 de Ilmi Umerov, le Président adjoint du Mejlis, et de cinq Tatars de Crimée soupçonnés de terrorisme. Le Comité regrette que, dans la pratique, les tribunaux ne respectent apparemment pas toujours les termes de la loi, qui exige la présence des patients durant la procédure où leur hospitalisation forcée est envisagée, que le personnel des hôpitaux psychoneurologiques empêchent les patients de porter plainte et consulter un avocat, et qu’il n’existe pas de réel dispositif de contrôle pour déceler les problèmes existant dans les établissements psychiatriques (art. 11 et 16).

41. L’État partie devrait :

a) Prendre des mesures pour mettre fin à la pratique du placement forcé en établissement psychiatrique, particulièrement en Crimée ;

b) Veiller à ce que chacun ait la garantie, en droit et en fait, de moyens de protection efficaces contre l’internement forcé et les traitements psychiatriques et médicaux en établissement psychiatrique ;

c) Créer un dispositif de surveillance indépendant efficace chargé d’examiner les problèmes dans les établissements psychiatriques, et permettre aux commissions publiques de contrôle et aux organisations non gouvernementales de mener des visites de contrôle dans ces établissements.

Non-refoulement

42.Le Comité est préoccupé par les informations reçues en ce qui concerne l’extradition et l’expulsion, par l’État partie, d’étrangers vers des pays où ils courent le risque d’être soumis à la torture ou à d’autres mauvais traitements. Il relève avec une inquiétude particulière que, selon les renseignements à sa disposition, des personnes qui pourraient avoir besoin de protection internationale, particulièrement des personnes détenues dans des centres de détention avant refoulement, parmi lesquelles figurent des victimes d’actes de torture, n’ont pas l’accès voulu à la procédure d’asile, et qu’il est fréquent que les autorités de l’immigration n’enregistrent pas et n’interrogent pas les demandeurs d’asile, qui sont donc d’autant plus exposés au risque de refoulement. Il prend note avec regret de l’absence de statistiques sur le nombre de demandes d’extradition auxquelles l’État partie a fait droit, sur les recours déposés contre ces décisions et sur l’issue des procédures qui se sont ensuivies (art. 3).

43. L’État partie devrait :

a) Respecter les obligations que lui impose l’article 3 de la Convention et veiller à ce que ses procédures en matière d’extradition, d’expulsion et d’asile garantissent une protection contre le refoulement. Il devrait également faire en sorte que les personnes sous sa juridiction, notamment les victimes d’actes de torture, puissent accéder aux procédures de demande d’asile, être entendues de manière individuelle par les autorités compétentes et se voir garantir un traitement équitable à tous les stades de la procédure, notamment pouvoir demander un réexamen réel et impartial des décisions d’expulsion, de renvoi ou d’extradition, mené par un mécanisme de décision indépendant, avec effet suspensif ;

b) Collecter des statistiques, ventilées par pays d’origine, sur le nombre de personnes qui ont demandé l’asile ou le statut de réfugié, et sur la suite qui a été donnée à leur demande, ainsi que sur le nombre d’expulsions, de refoulements ou d’extraditions auxquels il a été procédé et les pays vers lesquels les intéressés ont été renvoyés.

Formation

44.Le Comité accueille avec satisfaction les divers programmes éducatifs prévus pour les fonctionnaires de l’État partie, mais il demeure préoccupé par le fait que la formation aux dispositions de la Convention, notamment l’interdiction absolue de la torture, ne soit pas obligatoire pour tous les agents des forces de l’ordre, les militaires et les fonctionnaires de justice. Il note aussi avec inquiétude que les professionnels de santé s’occupant de personnes privées de liberté ne reçoivent pas tous une formation sur le Protocole d’Istanbul (art. 10).

45. L’État partie devrait :

a) Rendre obligatoire la formation aux dispositions de la Convention et aux principes de l’interdiction absolue de la torture pour les agents des forces de l’ordre, le personnel pénitentiaire , ainsi que pour les juges, les procureurs, les fonctionnaires des tribunaux, les avocats et les militaires ;

b) Faire en sorte que le Protocole d’Istanbul soit une composante essentielle de la formation dispensée à tous les professionnels de santé et fonctionnaires ayant affaire à des personnes privées de liberté ;

c) Mettre en place des programmes de formation sur les techniques d’enquête non coercitives ;

d) Élaborer et mettre en œuvre des méthodes précises pour analyser l’efficacité et l ’ impact de la formation à la prévention de la torture et des mauvais traitements.

Caucase du Nord

46.Compte tenu de sa précédente recommandation (voir CAT/C/RUS/CO/5, par. 13), le Comité regrette qu’aucune enquête efficace n’ait été menée au sujet des violations qui ont été commises et continuent d’être commisses par des agents de l’État dans le Caucase du Nord, à savoir des actes de torture, des enlèvements, des disparitions forcées et des exécutions extrajudiciaires, notamment l’exécution extrajudiciaire de 27 djihadistes présumés à Grozny en 2017. Il constate avec préoccupation qu’en Tchétchénie, seules deux disparitions forcées ont donné lieu à des enquêtes entre 2012 et 2015, alors que dans le même intervalle, la Cour européenne des droits de l’homme a rendu plus d’une centaine d’arrêts sur des affaires de disparitions forcées. Le Comité est également préoccupé par les informations faisant état d’attaques ciblées et de représailles visant des défenseurs des droits de l’homme, des journalistes et des avocats qui travaillent sur les violations des droits de l’homme, et indiquant que les autorités mettent peu d’empressement à demander des comptes aux auteurs de tels actes. Ces informations ont trait notamment à l’attaque dont ont été victimes en 2016 des défenseurs des droits de l’homme et des journalistes durant un voyage de presse en Tchétchénie et à l’arrestation et au placement en détention, en 2018, d’Oyub Titiyev, dirigeant de l’organisation des droits de l’homme « Mémorial », sur la foi semble-t-il d’accusations mensongères de détention de stupéfiants (art. 2, 4, 11, 12 et 16).

47. L’État partie devrait prendre toutes les mesures qui s’imposent :

a) Pour enquêter rapidement, de manière impartiale et efficace sur toutes les violations passées et présentes des droits de l’homme, telles qu’enlèvements, détentions arbitraires, actes de torture, disparitions forcées et exécutions extrajudiciaires , commises dans le Caucase du Nord, en poursuivre les auteurs et assurer réparation aux victimes ;

b) Pour protéger les victimes d’actes de torture, leurs proches, leurs avocats, les journalistes et les défenseurs des droits de l’homme d’éventuelles représailles d’agents de l’État et faire en sorte que les allégations de représailles, notamment dans les affaires évoquées plus haut au sujet de la Tchétchénie, donnent lieu à une enquête, de façon que les auteurs des faits en cause soient traduits en justice.

Crimée et ville de Sébastopol

48.Sans préjudice du statut juridique de la Crimée au regard du droit international et soulignant l’importance fondamentale du principe de l’intégrité territoriale de tous les États Membres de l’Organisation des Nations Unies, le Comité relève que la Crimée est de fait sous contrôle de la Fédération de Russie et que celle-ci est tenue d’appliquer la Convention en Crimée. Il est préoccupé par :

a)Les informations récurrentes qui font état de violations graves des droits de l’homme, telles que des enlèvements, des détentions arbitraires, des disparitions forcées, des actes de torture, des mauvais traitements et des exécutions extrajudiciaires, dont sont victimes en particulier des Tatars de Crimée, des militants pro-ukrainiens et des personnes apparentées au Mejlis, de la part de membres du Service fédéral de sécurité et des forces « d’autodéfense de Crimée » ;

b)Les informations selon lesquelles, depuis 2014, les autorités se livreraient régulièrement à la torture pour obtenir de faux aveux dans le cadre de poursuites à caractère politique, comme cela se serait produit notamment dans l’affaire Oleg Sentsov, réalisateur de cinéma ukrainien, qui aurait été torturé en Crimée ;

c)Les informations selon lesquelles sur les 106 plaintes pour actes de torture qui ont été déposées entre février 2014 et juin 2018, contre des représentants de l’État, aucune n’a donné lieu à une enquête effective ;

d)Les conditions de détention déplorables, notant en particulier que les détenus n’ont pas un accès suffisant aux soins de santé, ce qui a provoqué de nombreux décès en détention ;

e)Le fait que le mécanisme de contrôle indépendant, la société civile et les avocats des détenus n’ont qu’un accès limité aux lieux de détention ;

f)Le fait que les mécanismes internationaux de surveillance des droits de l’homme, en particulier la mission de surveillance des droits de l’homme en Ukraine ne sont pas autorisés à se rendre en Crimée (art. 2, 4, 11, 12 et 16).

49. L’État partie devrait prendre sans délai des mesures pour mettre fin à la pratique de la torture en Crimée, notamment aux fins de faire pression sur des opposants et des militants politiques comme Oleg Sentsov , de les punir et/ou de leur soutirer des aveux. Il devrait enquêter rapidement, de manière impartiale et efficace sur toutes les plaintes pour actes de torture et autres actes interdits par la Convention, en particulier celles mettant en cause des membres du Service fédéral de sécurité ou des forces « d’ autodéfense de Crimée ». Il devrait veiller à ce que les auteurs de tels actes soient poursuivis et sanctionnés , et as surer réparation aux victimes. Le Comité invite en outre l’État partie à autoriser les mécanismes internationaux de surveillance des droits de l’homme, en particulier la mission de surveillance des droits de l’homme en Ukraine, à se rendre sans entrave en Crimée.

Transnitrie (République de Moldova)

50.Sans préjudice de l’intégrité territoriale de la République de Moldova, le Comité juge cruciale la participation de l’État partie aux « négociations à 5+2 » relatives à la situation en Transnitrie pour prévenir et interdire la torture et les mauvais traitements, au vu de l’ampleur apparente des violations des droits de l’homme qui sont commises dans cette région et de l’incapacité de la République de Moldova à y exercer un contrôle effectif (art. 2 et 16).

51. Le Comité recommande à l’État partie, dans le cadre de sa participation aux «  négocations à 5+2 », d’encourager l’adoption de mesures concrètes pour prévenir la torture et les mauvais traitements et en promouvoir l’interdiction, compte tenu du vide juridictionnel qui règne en Transnitrie .

Réparation

52.S’il prend note avec satisfaction de la déclaration de la délégation selon laquelle un projet de loi visant à indemniser les victimes d’actes de torture et de mauvais traitements dans les lieux de détention aurait été établi, le Comité est néanmoins préoccupé par les informations indiquant que les victimes d’actes de torture et de mauvais traitements seraient rarement indemnisées et que même lorsque les tribunaux prescriraient une indemnisation, les montants seraient dérisoires. Le Comité regrette en outre de ne pas disposer de données statistiques sur les indemnités accordées aux victimes d’actes de torture et de mauvais traitements et les services de réadaptation assurés à celles-ci (art. 14).

53. Rappelant son observation générale n o  3, le Comité engage l’État partie à veiller à ce que toutes les victimes d’actes de torture et de mauvais traitements, notamment les proches de personnes disparues, obtiennent réparation, notamment sous la forme d’une indemnisation adéquate et de services de réadaptation, y compris dans les cas où l’auteur des faits en cause n’a pas été identifié ou condamné. L’État partie devrait rassembler des données sur le nombre total de demandes d’indemnisation reçues, celles auxquelles il a été fait droit et le montant des indemnités prescrit par les tribunaux et les transmettre au Comité.

Procédure de suivi

54.Le Comité demande à l’État partie de lui faire parvenir au plus tard le 10 août 2019 des renseignements sur la suite qu’il aura donnée à ses recommandations concernant les enquêtes sur les actes de torture et les mauvais traitements, l’affaire Yevgeny Makarov et les défenseurs des droits de l’homme et les journalistes (voir par. 15, 17 et 29). Dans ce contexte, l’État partie est invité à informer le Comité des mesures qu’il prévoit de prendre pour mettre en œuvre, d’ici à la soumission de son prochain rapport, tout ou partie des autres recommandations formulées dans les présentes observations finales.

Autres questions

55. Le Comité invite l’État partie à étudier la possibilité de ratifier les instruments des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme auxquels il n’est pas encore partie.

56. Le Comité invite l’État partie à adresser une invitation permanente aux titulaires de mandat au titre des procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme, notamment à la Rapporteuse spéciale sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

57. L’État partie est invité à diffuser largement le rapport soumis au Comité ainsi que les présentes observations finales, dans les langues voulues, au moyen des sites Web officiels et par l’intermédiaire des médias et des organisations non gouvernementales.

58. Le Comité prie l’État partie de soumettre son prochain rapport périodique, qui sera le septième, le 10 août 2022 au plus tard. À cette fin, et compte tenu du fait que l’État partie a accepté d’établir son rapport selon la procédure simplifiée, le Comité lui adressera en temps voulu une liste préalable de points à traiter. Les réponses de l’État partie à cette liste constitueront le septième rapport périodique qu’il soumet tra en application de l’article  19 de la Convention.