Nations Unies

CERD/C/97/D/58/2016

Convention internationale sur l ’ élimination de toutes les formes de discrimination raciale

Distr. générale

6 février 2019

Français

Original : anglais

Comité pour l ’ élimination de la discrimination raciale

Décision adoptée par le Comité en vertu de l’article 14 de la Convention, concernant la communication no 58/2016 * , **

Communication présentée par :

S. A. (représenté par un conseil, Erik Niels Hansen)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Danemark

Date de la communication :

19 octobre 2015 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision :

13 décembre 2018

Objet :

Discrimination raciale en ce qui concerne l’accès aux prestations sociales ; indemnisation insuffisante

Question(s) de procédure :

Délai de six mois fixé par l’article 91 f) du Règlement intérieur ; fondement des griefs de l’auteur

Question(s) de fond :

Discrimination fondée sur l’origine nationale ou ethnique

Article(s) de la Convention :

2 (par. 1 c)), 5 et 6

1.Le requérant, S. A., originaire de Bosnie-Herzégovine, a obtenu la nationalité danoise en 2002 et réside actuellement au Danemark. Il se dit victime d’une violation par l’État partie des articles 2 (par. 1 c)), 5 et 6 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Il est représenté par un conseil.

Exposé des faits

2.1Le requérant est né en Bosnie-Herzégovine le 8 janvier 1972. Il a été gravement blessé pendant la guerre et, en 1994, il s’est enfui avec sa mère au Danemark, où il a vécu jusqu’en 1996. Cette année-là, il a déménagé au Mozambique, où il a travaillé pendant six mois au service de l’Agence danoise pour le développement international (Danida). En 1997, il est retourné au Danemark et s’est installé à Aalborg, où vivait sa mère.

2.2Le requérant a pris plusieurs cours de langue et a travaillé comme interprète indépendant. De 1998 à 2001, il a été employé par la société de transports maritimes DFDS. Ensuite, il a travaillé pendant six mois dans le nord-ouest du Groenland. En 2002, il a obtenu la nationalité danoise. La même année, il s’est installé au Royaume-Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord, où il a travaillé dans un hôtel jusqu’en 2004, puis a exercé divers métiers jusqu’en 2009, notamment celui de comptable.

2.3En 2009, le requérant est retourné vivre à Aalborg. Comme il était à la recherche d’un travail, il a contacté le centre pour l’emploi. Au cours de son premier entretien, il n’a pas été correctement pris en charge. Une semaine plus tard, le 8 juillet 2009, il est donc retourné au centre pour soumettre une demande d’aide sociale, présentant son passeport et sa carte d’assurance maladie. Il a rempli et déposé une demande de complément de revenu. Par une décision écrite du 22 juillet 2009, le centre a refusé de faire droit à sa demande et lui a conseillé de contacter les services d’immigration afin d’obtenir une dispense l’autorisant à continuer de résider au Danemark. Le requérant étant citoyen danois, il n’a pas compris pourquoi il devait demander une dispense, et a donc tenté de contacter le centre pour l’emploi. Il n’a pas pu parler à la personne chargée de son dossier et a été mis en relation avec quelqu’un d’autre, qui lui a recommandé de suivre la décision. Le requérant n’avait pas les moyens de retenir les services d’un avocat.

2.4Le 23 juillet 2009, la municipalité d’Aalborg a examiné la demande du requérant et, après avoir reconnu qu’une erreur avait été commise, a décidé que l’intéressé était admissible au bénéfice de l’aide sociale et pouvait recevoir une allocation. Le requérant a été informé de cette décision le 10 août 2009.

2.5Les 22 et 23 juillet 2009, le requérant a contacté les médias (TV2 Nord). Dans une émission télévisée diffusée le 24 juillet 2009, la directrice du centre social d’Aalborg a admis qu’une erreur avait été commise et déclaré que le centre était prêt à la corriger. Au cours de son interview, elle aurait dit que cette erreur était probablement due au fait que le requérant avait un nom à consonance étrangère. Le 4 août 2009, après la diffusion de cette émission, le requérant a de nouveau contacté le centre pour l’emploi, mais a continué de s’entendre dire qu’il n’avait pas la nationalité danoise.

2.6Ayant été victime de discrimination raciale de la part de la municipalité d’Aalborg, le requérant a pris contact avec le Centre de conseil et de documentation sur la discrimination raciale, qui l’a aidé à adresser une plainte à la Commission pour l’égalité de traitement le 4 août 2009. Le 13 août 2010, la Commission s’est prononcée en faveur du requérant, à qui elle a accordé un dédommagement de 2 000 couronnes (270 euros) au motif que, compte tenu du fait qu’il était ressortissant danois depuis 2002, le requérant remplissait toutes les conditions requises pour bénéficier d’une allocation et le rejet de sa demande n’était pas justifié. La Commission a conclu qu’à première vue, le requérant avait fait l’objet, de la part de la municipalité, d’une différence de traitement ayant pris la forme d’une discrimination directe.

2.7Le 15 octobre 2011, le requérant a présenté une demande d’aide juridictionnelle au Département des affaires civiles, demande qui a été accueillie le 7 décembre 2011.

2.8Le 7 juin 2012, le requérant a interjeté appel de la décision de la Commission pour l’égalité de traitement auprès du tribunal de district d’Aalborg, arguant que l’indemnité accordée ne constituait pas une « satisfaction ou réparation juste et adéquate pour tout dommage dont [il] pourrait être victime par suite d’une discrimination raciale » au sens de l’article 6 de la Convention car son montant était trop faible. Le 6 mai 2013, le tribunal de district a maintenu la décision de la Commission, motif pris de ce que la municipalité avait corrigé son erreur dès que possible et avait présenté ses excuses au requérant et qu’il n’y avait donc pas lieu de relever le montant de l’indemnité. Le tribunal a en outre décidé que les frais de justice (25 000 couronnes) seraient imputés sur les deniers publics.

2.9Le 3 juin 2013, le requérant a formé un recours devant la Haute Cour du Danemark occidental. Par une décision du 18 décembre 2014, celle-ci a maintenu la décision rendue par la Commission pour l’égalité de traitement, estimant que l’auteur de l’erreur n’avait pas agi intentionnellement ni fait preuve de négligence grave et que le requérant avait bénéficié de la prestation à laquelle il avait droit. Compte tenu de l’issue de l’affaire et des prétentions des parties, la Haute Cour a ordonné au requérant de prendre à sa charge les frais de justice, qui s’élevaient à 25 000 couronnes (3 350 euros). Le 14 janvier 2015, le requérant a saisi la Commission des requêtes en vue d’obtenir l’autorisation d’interjeter appel de la décision de la Haute Cour auprès de la Cour suprême. Le 14 avril 2015, la Commission a rejeté la demande au motif qu’elle ne respectait pas les conditions énoncées aux paragraphes 1) et 2) de l’article 371 de la loi sur l’administration de la justice. Le requérant soutient qu’il a été informé de cette décision avec deux semaines de retard en raison de lenteurs dans la distribution du courrier.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant se dit victime d’une violation, par le Danemark, des articles 2 (par. 1 c)), 5 et 6 de la Convention. Il soutient qu’en le considérant comme un étranger, les autorités de l’État partie l’ont privé de tous les droits assortis à sa qualité de citoyen, notamment le droit de résidence, le droit de vote et le droit à l’assurance maladie. En outre, la crainte de perdre ces droits, en particulier le droit de résidence, lui a causé de graves dommages psychologiques ; depuis qu’il a été victime de discrimination de la part de la municipalité d’Aalborg, il prend des antidépresseurs et ne peut plus travailler.

3.2Le requérant ajoute que la Commission pour l’égalité de traitement a conclu que la gestion de son dossier par la municipalité d’Aalborg participait de la discrimination directe et lui avait causé un préjudice matériel et moral, mais a néanmoins limité l’indemnité devant lui être versée à 2 000 couronnes (270 euros) ; or, ce montant ne s’approche même pas de la « réparation juste et adéquate » envisagée à l’article 6 de la Convention et ne saurait être considérée comme une réparation effective dans un cas de discrimination raciale. Le requérant soutient que la Commission accorde généralement une indemnité minimum de 5 000 couronnes aux victimes d’actes de discrimination raciale moins graves, notamment les victimes d’actes de discrimination indirecte comme le refoulement à l’entrée d’une discothèque ou le refus de donner un appartement en location.

3.3Le requérant renvoie à l’affaire B.  J. c. Danemark, dans laquelle un citoyen danois soutenait avoir été victime de discrimination raciale parce que ses amis et lui s’étaient vu refuser l’accès à une discothèque (CERD/C/56/D/17/1999, par. 6.2). Dans cette affaire, les autorités nationales ont puni l’auteur de la discrimination d’une amende et le Comité a prié l’État partie de prendre les mesures nécessaires pour garantir que les demandes de réparation juste et adéquate des victimes de discrimination raciale soient examinées compte dûment tenu des cas où la discrimination n’a pas entraîné de dommages corporels mais a provoqué une humiliation ou une souffrance de nature similaire (par. 7). Le requérant soutient qu’en l’espèce, étant donné que les auteurs n’ont pas été sanctionnés et qu’il n’a obtenu aucune réparation hormis l’indemnité accordée par la Commission, qui est insuffisante, le Comité devrait faire en sorte qu’il reçoive pleine et entière réparation, dans le droit fil de la recommandation formulée dans l’affaire B.  J. c. Danemark.

3.4Le requérant demande à bénéficier d’une réparation effective pour les actes de discrimination raciale dont il a été victime, c’est-à-dire contre la municipalité d’Aalborg, qui doit selon lui se voir imposer une sanction efficace et dissuasive. Il soutient que, compte tenu de l’ampleur du budget géré par la municipalité, une indemnité de 2 000 couronnes ne satisfait pas ces conditions. Il ajoute que, comme il a été débouté par la Haute Cour, il a été condamné aux dépens et a dû s’acquitter de frais de justice de 25 000 couronnes, ce qui est totalement disproportionné par rapport à l’indemnité de 2 000 couronnes qui lui a été attribuée. Le requérant renvoie au paragraphe 6 de la recommandation générale no31 (2005) du Comité sur la discrimination raciale dans l’administration et le fonctionnement du système de justice pénale, dont il ressort que les États parties ont pour obligation de garantir sur leur territoire le droit de toute personne à un recours effectif contre les auteurs d’actes de discrimination raciale, sans aucune discrimination, que ces actes soient commis par des personnes privées ou des agents de l’État, ainsi que le droit de demander une réparation juste et adéquate du préjudice subi. Il renvoie également au paragraphe 19 d) de cette recommandation, qui dispose que les États parties devraient veiller à ce que la justice garantisse une réparation juste et adéquate à la victime pour le préjudice matériel et moral qu’elle a subi du fait de la discrimination raciale dont elle a été l’objet.

3.5Le requérant se réfère à la directive 2000/43/CE adoptée par le Conseil de l’Union européenne le 29 juin 2000, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique. Il cite une décision dans laquelle la Cour de justice de l’Union européenne a dit que les sanctions adaptées à la violation de ce principe devaient être efficaces, proportionnées et dissuasives et pouvaient prendre la forme d’un constat de discrimination assorti du degré de publicité adéquat, d’une injonction faite à l’employeur de mettre un terme à la pratique discriminatoire constatée, assortie d’une amende, ou de l’octroi de dommages-intérêts à l’organisme qui a mené la procédure.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une communication du 23 juin 2016, l’État partie présente ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il indique que la Commission pour l’égalité de traitement est un organe quasi judiciaire composé d’un juge de la Haute Cour (président), de deux juges siégeant dans des tribunaux de district (vice-présidents) et de neuf autres personnes nommées par le Ministre du travail. Les membres de la Commission sont des spécialistes de la législation relative à l’égalité des sexes et à l’égalité de traitement sans distinction de race ou d’origine ethnique. Ils sont nommés pour un mandat de trois ans renouvelable. La Commission rend des décisions contraignantes et peut décider d’accorder réparation au requérant lorsqu’elle estime que la loi, notamment la loi sur l’égalité de traitement, a été enfreinte. Ses décisions ne sont pas susceptibles de recours devant une autre autorité administrative, mais elles peuvent être examinées par les tribunaux.

4.2L’État partie signale que la loi sur l’égalité de traitement tient compte de la directive 2000/43/CE du Conseil de l’Union européenne. Ce texte dispose en effet que nul ne peut soumettre une personne à un traitement différentié direct ou indirect fondé sur l’origine raciale ou ethnique. Lorsqu’une personne estime avoir été victime de discrimination raciale et apporte la preuve de faits permettant de présumer qu’elle a fait l’objet d’un traitement différencié direct ou indirect, il incombe à la partie adverse de prouver que le principe de la non-discrimination a été respecté.

4.3L’État partie estime que la communication est irrecevable au motif qu’elle a été soumise au-delà du délai de six mois fixé à l’article 91 f) du Règlement intérieur du Comité. En effet, la Commission des requêtes a rejeté la demande du requérant tendant à interjeter appel de la décision de la Haute Cour du Danemark occidental le 14 avril 2015, et l’intéressé a saisi le Comité le 19 octobre 2015, c’est-à-dire cinq jours après la date limite.

4.4L’État partie estime également que le requérant n’a étayé aucun de ses griefs et que la communication devrait donc être déclarée irrecevable pour défaut manifeste de fondement. Tout en étant conscient que ni l’article 14 de la Convention ni l’article 91 du Règlement intérieur du Comité ne prévoient la possibilité de déclarer une communication irrecevable au motif que les dispositions de la Convention ont à première vue été enfreintes, l’État partie soutient qu’il ressort des avis rendus par le Comité qu’une communication peut être considérée comme irrecevable pour cette raison. L’État partie renvoie à l’avis rendu dans l’affaire C. P . c. Danemark(CERD/C/46/D/5/1994, par. 6.3).

4.5En ce qui concerne le grief de violation du paragraphe 1 c) de l’article 2 de la Convention, l’État partie fait observer que le requérant ne mentionne aucune loi ou politique ni aucun règlement ayant pour effet de causer ou de perpétuer la discrimination raciale. Partant, l’intéressé n’ayant pas démontré qu’elle était à première vue recevable, la communication devrait être considérée comme manifestement dénuée de fondement. Au cas où le Comité la jugerait néanmoins recevable, l’État partie fait observer que la disposition susmentionnée n’impose pas d’obligations précises aux États parties, à qui elle donne au contraire une grande marge d’appréciation. L’État partie ajoute qu’il s’est doté de lois qui reprennent les dispositions du paragraphe 1 c) de l’article 2 de la Convention, au premier rang desquelles la loi sur l’égalité de traitement, dont l’application est assurée par la Commission pour l’égalité de traitement.

4.6L’État partie estime que les griefs que le requérant tire des articles 5 et 6 de la Convention sont dénués de fondement. Au cas où le Comité les jugerait recevables, il avance que le requérant se contente de faire référence à l’article 5 de la Convention et ne tire pas grief de cette disposition étant donné que le Danemark la respecte en interdisant et en éliminant toutes les formes de discrimination raciale dans l’exercice des droits civils, politiques et culturels.

4.7En ce qui concerne les griefs tirés de l’article 6 de la Convention, l’État partie fait observer que la communication ne contient pas de nouvelles informations sur la situation du requérant, c’est-à-dire pas d’informations autres que celles que les autorités nationales ont déjà reçues et examinées. Il ajoute que lors de la rédaction du projet de loi, la Commission pour l’égalité de traitement, principal organe chargé de la rédaction du texte, a tenu compte des avis du Comité. Ainsi qu’il ressort des travaux préparatoires, la Commission a en effet décidé de consacrer une disposition au droit à réparation pour les préjudices non économiques causés par des actes de discrimination raciale, jugeant que ce type d’actes lésaient la victime. Elle a estimé que l’obligation de réparation serait une sanction encore plus efficace et dissuasive que des poursuites pénales et qu’il fallait tenir compte du préjudice causé par l’acte discriminatoire allégué, ainsi que de la nature de cet acte.

4.8L’État partie soutient que les conclusions de la Commission pour l’égalité de traitement s’inscrivent dans le droit fil de la recommandation générale no 26 (2000) sur l’article 6 de la Convention, dans laquelle le Comité a dit que « le droit pour une personne − consacré par l’article 6 de la Convention − de demander satisfaction ou réparation juste et adéquate pour tout dommage dont elle pourrait être victime par suite d’une telle discrimination n’[était] pas forcément réalisé exclusivement par l’imposition d’une sanction à l’auteur de la discrimination. Les tribunaux et autres autorités compétentes devraient dans le même temps envisager, chaque fois qu’il y a lieu, d’accorder à la victime une indemnisation financière pour le dommage matériel ou moral subi. ». L’État partie soutient également que l’argument selon lequel l’indemnité accordée au requérant ne constitue pas une réparation effective au sens de la Convention est vicié car il est impossible d’inférer de la Convention ou des avis et recommandations générales du Comité que les indemnités doivent atteindre un montant donné.

4.9L’État partie estime que le droit à une satisfaction ou réparation juste et adéquate n’est pas un droit absolu et peut faire l’objet de restrictions. Les États parties disposent d’une certaine marge d’appréciation quant à son application, à condition de ne pas le limiter ou le réduire de telle manière ou à tel point qu’il est porté atteinte à son essence même. D’après les travaux préparatoires de la loi sur l’égalité de traitement, le montant de l’indemnité est déterminé sur la base d’une appréciation globale des circonstances de l’espèce, compte étant tenu de la nature de l’acte ayant causé le préjudice, des conséquences de cet acte sur l’amour propre de la victime, et du préjudice lui-même. Il peut également être tenu compte de la question de savoir si le traitement différencié était intentionnel ou procédait simplement de la négligence.

4.10En l’espèce, pour déterminer le montant de l’indemnité, les autorités ont tenu compte du fait que la municipalité d’Aalborg avait rectifié son erreur aussitôt que possible et avait présenté ses excuses au requérant. L’État partie signale que l’erreur a été corrigée trois jours après que la demande d’admission au bénéfice de l’aide sociale présentée par le requérant a été rejetée. La municipalité a rendu une nouvelle décision dans laquelle elle reconnaissait que le requérant avait droit à une allocation. L’État partie indique en outre, que, dans sa décision du 18 décembre 2014, la Haute Cour du Danemark occidental a tenu compte du fait que la municipalité n’avait pas agi intentionnellement ni fait preuve de grave négligence et avait accordé une indemnité au requérant. L’État partie soutient que le requérant s’est trouvé dans la même situation que s’il n’avait pas fait l’objet d’un traitement différencié étant donné qu’il s’est vu accorder la prestation sociale à laquelle il avait droit trois jours seulement après que l’acte discriminatoire a été commis.

4.11L’État partie avance que les décisions de la Commission pour l’égalité de traitement que le requérant invoque concernent des affaires très différentes de l’espèce. Lorsqu’une personne se voit refuser l’accès à un logement ou à une discothèque, il n’est pas possible de la placer dans la même situation que si elle n’avait pas été victime d’un traitement différencié. La personne à qui on a interdit l’entrée d’une discothèque, par exemple, peut ne plus souhaiter fréquenter l’endroit dont elle a été illicitement refoulée. En outre, elle est victime d’une violation commise en public, en présence d’autres personnes attendant d’entrer dans la discothèque, circonstance qui doit être prise en compte aux fins de la détermination du montant de l’indemnité car elle peut rendre l’acte discriminatoire particulièrement humiliant.

4.12L’État partie estime que l’argument selon lequel l’erreur commise par la municipalité d’Aalborg a privé le requérant de tous les droits attachés à sa qualité de citoyen danois est infondé étant donné que ladite erreur a été rectifiée trois jours plus tard et n’a eu aucune incidence sur les droits de l’intéressé, notamment son droit de résidence et son droit de vote. L’État partie avance que le requérant n’a pas établi de corrélation entre la discrimination dont il a été victime et la détresse psychologique dont il souffrirait et n’a présenté aucun document étayant la thèse de la détresse psychologique ou permettant d’établir un lien entre celle-ci et l’erreur commise par la municipalité d’Aalborg.

4.13Enfin, l’État partie soutient que la condamnation du requérant aux dépens à l’issue de l’examen de la décision de la Commission par les tribunaux ne change rien au fait que l’intéressé a bénéficié d’une indemnité de 2 000 couronnes à titre de réparation pour l’acte discriminatoire dont il a été victime. Ce n’est pas parce que le requérant est d’avis que l’indemnité reçue est insuffisante que cette indemnité ne constitue pas une réparation effective.

Commentaires du requérant au sujet des observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

5.1Dans une communication du 27 décembre 2017, le requérant formule des commentaires au sujet des observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il répète les arguments exposés dans la communication initiale et conteste la pertinence du montant de l’indemnité accordée, arguant du coût de la vie dans l’État partie. Il renvoie à une déclaration faite par le Premier Ministre danois en 2013, selon laquelle 2 000 couronnes danoises permettraient à peine de s’acheter une paire de chaussures. Le requérant soutient par ailleurs que la Haute Cour du Danemark occidental l’a « puni » en le condamnant à des dépens d’un montant très élevé, à savoir 25 000 couronnes.

5.2Le requérant avance que l’État partie a omis de mentionner que, après avoir rejeté sa demande d’aide sociale, le 22 juillet 2009, la municipalité d’Aalborg a contacté les services danois de l’immigration afin qu’ils entament une procédure d’expulsion vers la Bosnie‑Herzégovine. Depuis lors, il souffre d’anxiété et de stress, ce qui lui a causé de graves problèmes psychologiques qui l’empêchent de travailler. Compte tenu des graves dommages psychologiques subis, l’argument selon lequel la municipalité a rectifié son erreur en quelques jours n’est pas pertinent.

5.3En ce qui concerne l’argument selon lequel la communication est irrecevable au motif qu’elle a été soumise au-delà du délai de six mois fixé à l’article 91 f) du Règlement intérieur du Comité, le requérant avance que la décision rendue par la Commission des requêtes le 14 avril 2015 lui a été notifiée avec beaucoup de retard en raison de lenteurs dans la distribution du courrier et que la communication a donc été soumise dans les temps. Le requérant trouve cet argument d’autant plus contestable que l’État partie soutient, d’une part, que les quatre jours qu’il a fallu à la municipalité pour rectifier son erreur ne sont pas un laps de temps significatif et, d’autre part, que les quatre jours de retard dans la présentation de la communication suffisent à rendre celle-ci irrecevable.

5.4Le requérant réaffirme que la décision de la municipalité d’Aalborg porte atteinte à tous les droits attachés à sa qualité de citoyen danois en ce sens que chaque Danois qui, comme lui, rentre au Danemark après avoir vécu à l’étranger doit s’enregistrer auprès de la municipalité de la commune où il compte vivre pour avoir accès aux services médicaux, aux aides sociales et aux services fiscaux, entre autres. Il estime par conséquent que la décision par laquelle la municipalité lui ordonnait de s’enregistrer auprès des services d’immigration danois a enfreint ses droits.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale détermine, en application du paragraphe 7 a) de l’article 14 de la Convention, si la communication est recevable.

6.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable car elle a été soumise au-delà du délai de six mois fixé à l’article 91 f) de son règlement intérieur. Il prend note également de l’argument du requérant, qui avance que la décision rendue par la Commission des requêtes le 14 avril 2015 lui a été notifiée tardivement en raison de lenteurs dans la distribution du courrier et que la communication a donc été présentée dans les temps. Le Comité constate que, le 31 mai 2018, les observations dans lesquelles cet argument est formulé ont été transmises à l’État partie et que, le 11 juillet 2018, celui-ci a répondu que ces observations n’appelaient pas de nouveaux commentaires. Étant donné que l’État partie n’a pas nié que la décision rendue par la Commission des requêtes le 14 avril 2015 avait été notifiée tardivement au requérant, et compte tenu du fait que ce dernier a soumis sa requête le 19 octobre 2015, c’est-à-dire cinq jours après la date limite, et que ce retard a été causé par les services postaux, le Comité estime que la communication est recevable au regard du paragraphe 5 de l’article 14 de la Convention.

6.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel le requérant n’a pas démontré que les griefs qu’il tire du paragraphe 1 c) de l’article 2 de la Convention sont à première vue étayés car il ne cite aucune loi ou politique ni aucun règlement ayant pour effet de causer ou de perpétuer la discrimination raciale au Danemark. Le Comité constate que le requérant n’a invoqué aucune loi ou politique ni aucun règlement en réponse aux observations de l’État partie, et estime donc que les griefs tirés du paragraphe 1 c) de l’article 2 de la Convention sont irrecevables au regard de l’article 14 de cet instrument.

6.4Le Comité constate que la communication soulève des questions au regard des articles 5 et 6 de la Convention et, par conséquent, déclare cette partie de la communication recevable et procède à son examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 7 a) de l’article 14 de la Convention et à l’article 95 de son règlement intérieur, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations et de tous les éléments de preuve qui lui ont été communiqués par les parties.

Article 5 de la Convention

7.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie, qui avance que le requérant n’a pas démontré qu’une quelconque violation de l’article 5 de la Convention avait été commise étant donné que le Danemark respecte cette disposition en interdisant et en éliminant toutes les formes de discrimination raciale dans la jouissance des droits civils, politiques et culturels. Il prend note également de l’argument du requérant, qui soutient qu’en rejetant sa demande d’aide sociale, les autorités l’ont privé de l’ensemble des droits attachés à sa qualité de citoyen, comme le droit de résidence, le droit de vote et le droit à l’assurance maladie. Le Comité constate que le requérant a obtenu la nationalité danoise en 2002 et qu’après avoir vécu à l’étranger pendant plusieurs années, il est revenu au Danemark en juillet 2009 et a pris contact avec la municipalité d’Aalborg pour obtenir une aide sociale. Le Comité prend note de la décision du 22 juillet 2009, par laquelle la municipalité a rejeté la demande du requérant et ordonné à celui-ci de contacter les services d’immigration. Il prend note également du fait que, le 23 juillet 2009, la municipalité est revenue sur sa décision et a reconnu qu’étant de nationalité danoise, le requérant était en droit de bénéficier d’une allocation. Le Comité note que cette décision a été notifiée à l’intéressé le 10 août 2009.

7.3Le Comité prend aussi note de l’allégation du requérant selon laquelle, le 4 août 2019, après que son histoire a été racontée à la télévision et que le centre social a reconnu qu’une erreur avait été commise et qu’il avait la nationalité danoise, il a recontacté le centre et s’est de nouveau entendu dire qu’il n’était pas citoyen danois. Le Comité note en outre que, selon l’intéressé, étant donné que tous les Danois qui rentrent dans leur pays après avoir vécu à l’étranger sont tenus de s’enregistrer auprès de la municipalité de leur lieu de résidence pour avoir accès aux services sociaux et médicaux, l’erreur commise par la municipalité d’Aalborg le 22 juillet 2009 a porté atteinte à tous les droits attachés à sa qualité de citoyen danois, y compris le droit de résidence et les droits électoraux. Le Comité constate que, dans sa décision du 13 août 2010, la Commission pour l’égalité de traitement a conclu que le requérant avait été victime d’une différence de traitement directe de la part de la municipalité d’Aalborg, et que cette conclusion a été reprise par le tribunal de district et par la Haute Cour du Danemark occidental dans leurs décisions des 6 mai 2013 et 18 décembre 2014. S’il est d’accord avec ces décisions, le Comité remarque toutefois que rien n’indique que les juridictions internes aient tenu compte des événements du 4 août 2009 et que, selon les informations disponibles, aucune mesure n’a été prise pour sanctionner les employés du centre social qui se sont occupés du dossier du requérant. Vu ce qui précède, le Comité estime que les décisions des 22 juillet et 4 août 2009 par lesquelles la municipalité d’Aalborg a dénié la nationalité danoise du requérant sont constitutives d’une violation des droits que l’intéressé tient de l’article 5 (par. d iii)) de la Convention.

Article 6 de la Convention

7.4En ce qui concerne les griefs que le requérant tire de l’article 6, la principale question que le Comité doit trancher est celle de savoir si l’État partie s’est acquitté de l’obligation mise à sa charge par cette disposition en garantissant à l’intéressé le droit de saisir les tribunaux nationaux et autres organismes d’État compétents en vue d’obtenir une satisfaction ou une réparation juste et adéquate pour tout dommage subi par suite d’un acte de discrimination raciale.

7.5Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel, lors de l’élaboration de la loi sur l’égalité de traitement, il a été décidé d’introduire dans le texte une disposition garantissant le droit à réparation en cas de préjudice non économique résultant d’un acte de discrimination raciale et prévoyant des sanctions efficaces et dissuasives. Le Comité note que l’État partie se réfère aux travaux préparatoires de la loi, dont il ressort qu’il convient de tenir compte du préjudice infligé par l’acte discriminatoire, de la nature de l’acte et de la question de savoir si celui-ci était intentionnel ou résultait d’une forme de négligence. Le Comité note également que, selon l’État partie, ces critères ont été strictement respectés en l’espèce, ce qui a conduit la Commission pour l’égalité de traitement à accorder au requérant une indemnité de 2 000 couronnes. La décision de la Commission a été confirmée par le tribunal de district d’Aalborg et par la Haute Cour du Danemark occidental dans des décisions rendues les 6 mai 2013 et 18 décembre 2014, respectivement. Le Comité note en outre que, selon l’État partie, l’indemnité accordée au requérant est conforme aux exigences formulées dans la Convention (art. 6) et dans la recommandation générale n°26 en ce sens qu’il est impossible d’inférer de l’un ou de l’autre de ces textes que la victime doit être indemnisée à hauteur de tel ou tel montant.

7.6Le Comité prend note de l’argument du requérant selon lequel le montant de l’indemnité accordée ne s’approche même pas de la « réparation juste et adéquate » envisagée à l’article 6 de la Convention et ne constitue donc pas une réparation effective, d’autant que des indemnités plus importantes ont été octroyées dans d’autres cas de discrimination raciale, que le coût de la vie dans l’État partie est très élevé et que ce montant est totalement disproportionné par rapport à celui, « punitif », des dépens auxquels l’intéressé a été condamné (25 000 couronnes). Le Comité prend note également de l’argument du requérant selon lequel le fait de l’avoir condamné à des dépens aussi élevés constitue une violation du droit de demander une réparation juste et suffisante garanti à l’article 6 de la Convention et l’a empêché d’exercer le droit à un recours effectif contre les auteurs d’actes de discrimination raciale énoncé au paragraphe 6 de la recommandation générale no 31 du Comité.

7.7Le Comité note que, le 7 juin 2012, le requérant a interjeté appel de la décision de la Commission pour l’égalité de traitement auprès du tribunal de district d’Aalborg, arguant que l’indemnité accordée (2 000 couronnes) ne constituait pas une « satisfaction ou réparation juste et adéquate pour tout dommage dont [il] pourrait être victime par suite d’une discrimination raciale » au sens de l’article 6 de la Convention car elle était trop faible. Le Comité note également que, le 6 mai 2013, le tribunal de district a confirmé la décision de la Commission, estimant que la municipalité avait rectifié son erreur dès que possible et avait présenté ses excuses au requérant et qu’il n’y avait donc aucune raison de relever le montant de l’indemnité. Le Comité constate en outre que le tribunal a décidé que les frais de justice (25 000 couronnes) seraient imputés sur les deniers publics. Il note que, le 3 juin 2013, le requérant a interjeté appel de la décision du tribunal de district auprès de la Haute Cour du Danemark occidental et que, le 18 décembre 2014, celle-ci a confirmé la décision attaquée. La Haute Cour a tenu compte du fait que l’auteur de l’erreur n’avait pas agi intentionnellement ni fait preuve de négligence grave et que le requérant avait bénéficié de la prestation à laquelle il avait droit. Compte tenu de l’issue de l’affaire et des prétentions des parties, elle a ordonné au requérant de prendre à sa charge les frais de justice, qui s’élevaient à 25 000 couronnes.

7.8Le Comité rappelle que, conformément à sa jurisprudence, toutes les demandes de réparation doivent être examinées, y compris lorsque l’intéressé n’a souffert d’aucun dommage corporel mais a subi des actes humiliants, diffamants ou nuisibles à sa réputation et à son amour-propre. Il rappelle également que, aux termes de l’article 6 de la Convention, les États parties doivent assurer à toute personne soumise à leur juridiction une protection et une voie de recours effectives, devant les tribunaux nationaux et autres organismes d’État compétents, contre tous actes de discrimination raciale qui, contrairement à la présente Convention, violeraient ses droits individuels et ses libertés fondamentales, ainsi que le droit de demander à ces tribunaux satisfaction ou réparation juste et adéquate pour tout dommage dont elle pourrait être victime par suite d’une telle discrimination. Il rappelle en outre que, selon la résolution 60/147 de l’Assemblée générale, qui renvoie à l’article 6 de la Convention, une réparation pleine et effective peut prendre la forme de mesures de restitution, d’indemnisation, de réadaptation ou de satisfaction et de garanties de non‑répétition. Le Comité constate que la restitution vise à rétablir la victime dans la situation qui était la sienne avant que la violation soit commise ; l’indemnisation doit être accordée pour tout dommage résultant de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire qui se prête à une évaluation économique, y compris les coûts relatifs aux services d’avocats et d’experts, selon qu’il convient et de manière proportionnée à la gravité de la violation et aux circonstances de l’espèce ; la réadaptation doit comporter une prise en charge médicale et psychologique, l’accès à des services juridiques et sociaux, ainsi que l’imposition de sanctions judiciaires et administratives à l’encontre des responsables des violations ; la satisfaction suppose des excuses publiques, notamment la reconnaissance des faits et l’acceptation de la responsabilité, ou une déclaration officielle ou une décision de justice rétablissant la victime et les personnes qui ont un lien étroit avec elle dans leur dignité, leur réputation et leurs droits ; et les garanties de non‑répétition doivent comprendre l’examen et la réforme des lois favorisant ou permettant les violations.

7.9Le Comité note que le requérant a obtenu une indemnisation. Toutefois, le caractère juste et adéquat de cette mesure doit être déterminé en fonction du contexte. Ainsi, en l’espèce, l’indemnité octroyée doit être examinée à la lumière de la gravité de la violation, du coût de la vie dans l’État partie, de la situation du requérant et du caractère préventif des mesures prises pour éviter que des violations du même type ne se produisent à l’avenir. À cet égard, le Comité prend note de l’argument du requérant, qui soutient que le fait de s’être vu demander de prendre contact avec les services d’immigration alors qu’il avait pourtant présenté son passeport lui a causé une profonde anxiété parce qu’il a craint d’être expulsé vers la Bosnie-Herzégovine, où il n’avait plus vécu depuis des années. Le Comité constate que, si les autorités ont très rapidement rectifié leur décision, l’erreur commise a néanmoins été suffisamment grave pour causer de l’anxiété à l’intéressé, d’autant que celui-ci s’est entendu dire qu’il pourrait être expulsé. L’indemnité accordée aurait dû tenir compte de cela. Le Comité note par ailleurs l’argument du requérant selon lequel le Premier Ministre danois a déclaré en 2013 que 2 000 couronnes danoises permettaient à peine d’acheter une paire de chaussures et constate que, selon les informations versées au dossier et bien que les autorités de l’État partie aient reconnu que l’intéressé avait été victime d’un acte de discrimination raciale, aucune mesure n’a été prise par les autorités judiciaires ou administratives pour punir les auteurs ni, plus largement, pour éviter que des violations du même type ne se produisent à l’avenir. Partant, le Comité conclut que l’indemnité reçue par le requérant n’est pas conforme aux exigences posées à l’article 6 de la Convention en ce qu’elle n’est ni juste ni adéquate, et qu’elle ne constitue pas non plus une mesure de réadaptation étant donné qu’aucune sanction administrative ou judiciaire n’a été imposée aux auteurs de l’acte de discrimination raciale.

7.10Le Comité constate que le requérant a dû s’acquitter de frais de justice d’un montant largement supérieur (25 000 couronnes) à celui de l’indemnité qui lui a été accordée (2 000 couronnes) pour un acte de discrimination raciale avéré. Il constate également que, dans sa décision du 18 décembre 2014, la Haute Cour n’a pas expliqué ce qui justifiait de condamner le requérant à des frais de justice aussi élevés alors que le tribunal de première instance avait dit que ces frais devaient être imputés sur les fonds publics. Le Comité constate en outre que, le 7 décembre 2011, le Département des affaires civiles a admis le requérant au bénéfice de l’aide juridictionnelle afin de lui permettre d’interjeter appel de la décision de la Commission pour l’égalité de traitement. Il est d’avis que cette décision indique clairement que l’intéressé se trouvait dans une situation financière précaire et que la condamnation à des frais de justice élevés constituait donc une sanction contre une victime de discrimination raciale qui tentait d’obtenir une indemnisation juste et adéquate en réparation du préjudice subi. Le Comité estime que ce type de mesure peut dissuader les victimes de discrimination raciale de contester une indemnisation qu’ils considèrent comme non adéquate ou non effective et ainsi aboutir à un déni de justice. En conséquence, il conclut à une violation de l’article 6 de la Convention.

8.Compte tenu des circonstances de l’espèce, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, agissant en vertu du paragraphe 7 a) de l’article 14 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des dispositions des articles 5 d) iii) et 6 de la Convention.

9.Le Comité recommande que l’État partie révise le montant de l’indemnité accordée au requérant afin que celle-ci soit juste et adéquate eu égard aux circonstances de l’espèce. Il recommande également que la décision par laquelle le requérant a été condamné à s’acquitter des frais de justice soit contrôlée et mise en conformité avec les principes énoncés dans la Convention. En outre, l’État partie est prié de diffuser largement le présent avis, y compris auprès des organes administratifs et judiciaires et de la Commission pour l’égalité de traitement, et de le traduire dans sa langue officielle.

10.Le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de quatre-vingt-dix jours, des renseignements sur les mesures qu’il aura prises pour donner effet au présent avis.