COMITÉ POUR LA PROTECTION DES DROITS DE TOUS LES TRAVAILLEURS MIGRANTSET DES MEMBRES DE LEUR FAMILLE
EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L ’ ARTICLE 7 4 DE LA CONVENTION
Observations finales du Comité pour la protection de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille
RÉPUBLIQUE ARABE SYRIENNE
1.Le Comité a examiné le rapport initial de la République arabe syrienne (CMW/C/SYR/1) à ses 72e et 73e séances (voir CMW/C/SR.72 et SR.73), tenues les 15 et 16 avril 2008, et a adopté les observations finales ci‑après à sa 85e séance, tenue le 24 avril 2008.
A. Introduction
2.Le Comité se félicite que l’État partie ait présenté son rapport initial dans les délais voulus et le remercie de ses réponses écrites à la liste des points à traiter (CMW/C/SYR/Q/1/Add.1). Il se réjouit d’avoir eu un dialogue franc et constructif avec une délégation de haut niveau compétente, qui s’est déclarée disposée à contribuer à ce que les dispositions de la Convention soient encore mieux respectées.
3.Le Comité reconnaît que la République arabe syrienne est principalement, mais pas exclusivement, un pays d’origine de travailleurs migrants et de membres de leur famille. Concernant l’arrivée massive de nationaux iraquiens en République arabe syrienne depuis 2003, le Comité, tout en rendant hommage au pays pour les efforts qu’il déploie afin de leur fournir les installations et services nécessaires, prend acte de la position de l’État partie selon laquelle ils n’entrent pas dans le champ d’application de la Convention.
4.Le Comité note que les grands pays de destination des travailleurs migrants syriens ne sont pas encore parties à la Convention, ce qui peut constituer un obstacle à la jouissance par ces travailleurs des droits consacrés par la Convention.
5.Le Comité prend également acte de la position de l’État partie selon laquelle l’état d’exception − en vigueur depuis 1962 − continue d’être nécessaire, mais demeure préoccupé des incidences que cette situation peut avoir sur la pleine jouissance de certains droits et libertés consacrés par la Convention.
B. Aspects positifs
6.Le Comité se félicite de la récente ratification par l’État partie de certains des principaux traités internationaux relatifs aux droits de l’homme, en particulier la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et les deux Protocoles facultatifs se rapportant à la Convention relative aux droits de l’enfant.
7.Le Comité prend note des efforts qu’a récemment faits l’État partie pour réglementer l’emploi et le recrutement d’employées de maison non syriennes, notamment grâce à la décision no 81 du Premier Ministre en date de 2006 et au décret présidentiel no 62 de 2007.
8.Le Comité note que l’État partie s’est récemment efforcé d’améliorer la situation des travailleurs migrants non arabes en vertu des dispositions pertinentes de la loi no 25 de 2000, pour ce qui concerne la jouissance de leurs droits liés à la liberté d’association.
9.Le Comité note également que l’État partie a l’intention d’harmoniser d’autres domaines de sa législation avec les dispositions de la Convention, notamment par l’incorporation des dispositions pertinentes dans son nouveau projet de Code du travail, comme par exemple les prescriptions régissant les agences privées de recrutement de nationaux syriens pour des emplois à l’étranger.
10.Le Comité sait gré à l’État partie des efforts qu’il a entrepris pour promouvoir et protéger les droits du grand nombre de travailleurs migrants syriens et des membres de leur famille à l’étranger, notamment par la création d’un Ministère des expatriés aux termes du décret‑loi no 21 de 2002 et par la création projetée d’un nouveau département des travailleurs migrants au sein du Ministère des affaires sociales et du travail.
C. Principaux sujets de préoccupation, suggestions et recommandations
1. Mesures d ’ application générales (art. 73 et 84)
a) Législation et application
11.Le Comité note que la République arabe syrienne n’a pas encore fait les déclarations prévues aux articles 76 et 77 de la Convention reconnaissant la compétence du Comité pour recevoir des communications émanant des États parties et des particuliers.
12. Le Comité encourage l ’ État partie à envisager de faire les déclarations prévues aux articles 76 et 77 de la Convention.
13.Le Comité accueille avec satisfaction la ratification par l’État partie de plusieurs Conventions importantes de l’Organisation internationale du Travail (OIT), notamment la Convention no 111 de 1958 concernant la discrimination (emploi et profession), la Convention no 118 de 1962 sur l’égalité de traitement (sécurité sociale) et la Convention no 182 de 1999 sur les pires formes de travail des enfants, mais il note que la République arabe syrienne n’a adhéré ni à la Convention no 97 de 1949 concernant les travailleurs migrants ni à la Convention no 143 de 1975 sur les travailleurs migrants (dispositions complémentaires).
14. Le Comité invite l ’ État partie à envisager d ’ adhérer aux Conventions n os 97 et 143 de l ’ OIT dans les meilleurs délais.
15.Le Comité note que l’État partie a signé mais n’a pas ratifié le Protocole visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants et le Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnels à la Convention des NationsUnies contre la criminalité transnationale organisée.
16. Compte tenu de l ’ importance de ces Protocoles pour une application effective des dispositions de la Convention, notamment celles figurant à l ’ article 68, le Comité recommande à l ’ État partie d ’ engager la ratification de ces Protocoles dès que possible.
b) Collecte de données
17.Le Comité regrette l’absence d’informations et de statistiques appropriées sur les flux migratoires et d’autres questions relatives aux migrations. Il rappelle que de telles informations sont indispensables pour pouvoir comprendre la situation des travailleurs migrants dans l’État partie et évaluer la mise en œuvre de la Convention.
18. Le Comité encourage l ’ État partie à recueillir des informations et à créer une base de données solide pouvant servir au contrôle de l ’ efficacité des politiques migratoires et de l ’ efficacité avec laquelle sont appliquées les diverses dispositions de la Convention.
c) Promotion de la Convention
19.Le Comité est préoccupé de ce que les migrants qui ne parlent pas l’arabe risquent de ne pas être en mesure d’accéder facilement aux informations concernant les droits que leur confère la Convention dans l’État partie.
20. Le Comité encourage l ’ État partie à envisager des mesures visant à faire en sorte que tant les migrants arabes que les migrants non arabes aient un accès égal aux informations concernant les droits que leur confère la Convention.
21.Le Comité est préoccupé par le fait que les organisations non gouvernementales ne participent pas à la diffusion et à la promotion de la Convention ni à l’élaboration du rapport de l’État partie.
22. Le Comité encourage l ’ État partie à faire tout son possible pour collaborer avec les organisations de la société civile en vue de promouvoir la Convention et sa mise en œuvre.
2. Principes généraux (art. 7 et 83)
a) Non ‑discrimination
23.S’il note que le droit syrien ne fait généralement pas de discrimination entre les nationaux syriens et les travailleurs migrants arabes dans les domaines sur lesquels porte la Convention, le Comité demeure préoccupé de ce que les travailleurs migrants non arabes et les membres de leur famille risquent en fait, dans certains cas, de subir une discrimination, en particulier au niveau local, dans la jouissance des droits et libertés que leur confère la Convention et dans leurs possibilités d’accès à l’emploi, au logement, aux soins de santé et à l’éducation.
24. Le Comité encourage l ’ État partie à intensifier l ’ action qu ’ il mène pour:
a) Veiller à ce que tous les travailleurs migrants et les membres de leur famille présents sur son territoire ou soumis à sa juridiction jouissent des droits consacrés par la Convention sans aucune discrimination, conformément à l ’ article 7;
b) Promouvoir les campagnes d ’ information des fonctionnaires qui travaillent dans le domaine des migrations, en particulier au niveau local, et du grand public sur l ’ élimination de la discrimination à l ’ égard des migrants.
b) Droit à un recours utile
25.Le Comité note les informations reçues de l’État partie selon lesquelles chaque individu, qu’il soit un national ou un étranger, a accès aux tribunaux et jouit de la pleine protection s’agissant des droits énoncés dans la législation. Il s’inquiète cependant de ce que les travailleurs migrants sans papiers, comme le reconnaît l’État partie, n’ont pas le droit de former recours auprès des commissions du travail syriennes, compte tenu aussi de ce que c’est là la seule voie de recours disponible sans avoir à régler des frais de justice. Il est également préoccupé de ce que les travailleurs migrants, quel que soit leur statut légal, risquent de voir leur accès à la justice limité dans la pratique du fait qu’ils ne connaissent pas les recours administratifs et judiciaires qui leur sont ouverts.
26. Le Comité encourage l ’ État partie à renforcer l ’ action qu ’ il mène pour informer les travailleurs migrants des recours administratifs et judiciaires qui leur sont ouverts et donner suite à leurs plaintes de la manière la plus effective. Il lui recommande de faire en sorte que, dans la législation et dans la pratique, les travailleurs migrants et les membres de leur famille, y compris ceux qui se trouvent en situation irrégulière, aient les mêmes droits que ses nationaux de déposer plainte et de former des recours utiles devant les tribunaux comme devant les commissions du travail.
3. Les droits de l ’ homme de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille (art. 8 à 35)
27.Le Comité est préoccupé par les informations qui font état de cas de détention et d’expulsion au mépris des formes régulières de travailleurs migrants et de membres de leur famille convaincus d’infraction aux règlements sur l’immigration.
28. Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ envisager d ’ adopter des politiques en vertu desquelles la détention de travailleurs migrants en situation irrégulière ne serait considérée, en règle générale, que comme une mesure de dernier ressort et de veiller à ce que, dans toutes les circonstances, les mesures de répression nécessaires, notamment l ’ expulsion, soient mises en œuvre dans le respect des procédures. Il recommande également que l ’ ensemble du personnel judiciaire et des responsables de l ’ application des lois reçoivent une formation adéquate portant sur le respect des droits de l ’ homme et la non ‑discrimination pour motifs ethniques ou raciaux, ainsi que sur le respect de la légalité en matière de détention et d ’ expulsion.
29.Le Comité prend acte de la position de l’État partie, qui considère que les ressortissants iraquiens qui ont cherché refuge en République arabe syrienne depuis 2003 ne sont ni des réfugiés ni des travailleurs migrants auxquels s’appliquent les dispositions de la Convention. Il prend note également de l’information selon laquelle quelque 500 de ces nationaux iraquiens seulement ont reçu un permis de travail en Syrie.
30. Tout en reconnaissant les difficultés auxquelles l ’ État partie doit faire face en raison du grand nombre d ’ Iraquiens qui entrent dans le pays depuis 2003, le Comité tient à rappeler que, conformément à la définition des «travailleurs migrants» énoncée à l ’ article 2 1) de la Convention, la troisième partie de celle ‑ci s ’ applique à tous les non ‑ nationaux qui exercent une activité rémunérée, y compris ceux en situation irrégulière. Étant donné que l ’ État partie estime que les ressortissants iraquiens en question ne doivent pas être considérés comme des réfugiés, et qu ’ ils ne sont dès lors pas exclus du champ d ’ application de l ’ article 3 d) de la Convention, le Comité encourage l ’ État partie à envisager d ’ accorder à tous les travailleurs iraquiens en situation irrégulière, dans toute la mesure possible et pour autant que cela n ’ ait pas encore été fait, les droits prévus dans la troisième partie de la Convention.
31.Tout en prenant acte de l’explication de l’État partie selon lequel les passeports des travailleurs migrants ne sont pas confisqués par les autorités et les employeurs privés ne sont pas autorisés à les confisquer, le Comité est préoccupé par le fait que l’État partie reconnaisse que, dans la pratique, un certain nombre d’employeurs privés, notamment ceux qui recrutent des employés de maison, ne respectent pas cette règle. Il est également préoccupé par le fait que l’État partie reconnaisse que les passeports des artistes non syriennes sont en fait confisqués par les autorités durant le séjour des intéressées en Syrie.
32. Le Comité recommande à l ’ État partie de veiller à ce que les employeurs privés respectent la règle en vertu de laquelle les passeports des travailleurs migrants ne peuvent être confisqués, quel que soit le motif. Il lui recommande également de reconsidérer sa pratique consistant à confisquer les passeports des artistes non syriennes durant leur séjour en Syrie.
33.Tout en se félicitant des efforts que déploie actuellement l’État partie pour protéger les droits des travailleurs migrants syriens cherchant du travail à l’étranger, le Comité observe que les informations qui sont communiquées aux travailleurs migrants ne font que rarement référence aux droits que leur reconnaît la Convention.
34. Le Comité encourage l ’ État partie à poursuivre son action visant à sensibiliser les travailleurs migrants et ceux qui envisagent d ’ émigrer pour chercher du travail aux droits que leur reconnaît la Convention.
4. Autres droits des travailleurs migrants et des membres de leur famille qui sont pourvus de documents ou en situation régulière (art. 36 à 56)
35.Le Comité regrette qu’en vertu de la politique monétaire actuellement en vigueur en République arabe syrienne, les travailleurs migrants ne soient autorisés à transférer que 60 % de leur salaire en devise étrangère.
36. À la lumière de l ’ article 47 de la Convention, le Comité recommande à l ’ État partie de revoir sa politique actuelle consistant à limiter le montant des sommes que les travailleurs migrants en République arabe syrienne sont autorisés à transférer.
5. Promotion de conditions saines, équitables, dignes et légales en ce qui concerne les migrations internationales des travailleurs migrants et des membres de leur famille (art. 64 à 71)
37.Vu le grand nombre de ressortissants syriens travaillant à l’étranger, le Comité est préoccupé par les informations reçues de l’État partie indiquant que des accords bilatéraux relatifs aux travailleurs migrants n’ont été conclus qu’avec quelques‑uns des principaux pays de destination des travailleurs syriens.
38. Tout en étant conscient des difficultés que peut rencontrer l ’ État partie pour négocier et conclure des accords avec les principaux pays de destination de travailleurs syriens, notamment ceux de la région du Golfe, le Comité encourage l ’ État partie à poursuivre et à intensifier ses efforts afin que les travailleurs émigrés syriens jouissent de la meilleure protection possible à l ’ étranger.
39.Tout en prenant acte de l’attention accrue accordée par l’État partie au phénomène de la traite d’êtres humains, mise en évidence par l’organisation récente d’une série d’ateliers à Damas sur la question des migrations et de la traite, la signature d’un mémorandum d’accord avec l’Organisation internationale des migrations (OIM) portant sur la gestion d’un centre d’accueil pour les victimes de la traite en République arabe syrienne et l’élaboration d’un projet de loi sur la lutte contre la traite des personnes, le Comité s’inquiète de ce qu’aucune législation réprimant expressément la traite n’ait été adoptée à ce jour.
40. À la lumière des dispositions de l ’ article 68 de la Convention concernant la traite et le trafic de personnes, le Comité engage instamment l ’ État partie:
a) À adopter le projet de loi sur la traite d ’ êtres humains; et
b) À redoubler d ’ efforts pour lutter contre le trafic de migrants et la traite des personnes, en particulier les femmes et les enfants, notamment en prenant les dispositions voulues pour déceler les mouvements illégaux ou clandestins de travailleurs migrants et de leur famille, et punir les criminels et/ou les groupes qui organisent ces mouvements ou qui les facilitent.
6. Suivi et diffusion
a) Suivi
41.Le Comité prend note des informations fournies dans le rapport initial concernant la législation et la réglementation relatives aux dispositions de la Convention mais prie l’État partie de lui donner, dans son deuxième rapport, des informations détaillées sur leur mise en œuvre effective.
42.Le Comité prie l’État partie de faire figurer dans son deuxième rapport périodique des renseignements détaillés sur les mesures qu’il aura prises pour donner suite aux recommandations formulées dans les présentes observations finales. Il lui recommande de prendre toutes les mesures appropriées pour assurer la mise en œuvre des présentes recommandations, notamment en les transmettant aux membres du Gouvernement et du Parlement, ainsi qu’aux autorités locales, pour examen et suite à donner.
b) Diffusion
43.Le Comité prie également l’État partie de diffuser largement les présentes observations finales, notamment auprès des organismes publics et du corps judiciaire, des organisations non gouvernementales et des autres membres de la société civile, et d’informer les émigrés syriens établis à l’étranger ainsi que les travailleurs migrants en transit ou résidant en Syrie, des droits que la Convention leur reconnaît ainsi qu’aux membres de leur famille.
7. Prochain rapport périodique
44.Le Comité prie l’État partie de soumettre son deuxième rapport périodique le 1er octobre 2011 au plus tard.
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