NATIONS UNIES

CAT

Convention contre

la torture et autres peines

ou traitements cruels,

inhumains ou dégradants

Distr.GÉNÉRALE

CAT/C/CR/34/BHR 21 juin 2005

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURETrente‑quatrième session2‑20 mai 2005

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION

Conclusions et recommandations du Comité contre la torture

Bahreïn

1.Le Comité contre la torture a examiné le rapport initial de Bahreïn (CAT/C/47/Add.4) à ses 653e et 656e séances (CAT/C/SR.653 et 656), tenues les 12 et 13 mai 2005, et il a adopté à sa 663e séance (CAT/C/SR.663) les conclusions et recommandations ci‑après.

A. Introduction

2.Le Comité se félicite de la présentation du rapport initial de Bahreïn, tout en regrettant que ce rapport, qui aurait dû être soumis en avril 1999, l’ait été avec cinq ans de retard.

3.Le Comité note que le rapport n’est pas entièrement conforme à ses directives pour l’établissement des rapports initiaux et ne contient pas de renseignements sur les aspects pratiques de l’application des dispositions de la Convention.

4.Le Comité est heureux d’avoir eu l’occasion de discuter du rapport avec une délégation nombreuse et très versée dans les diverses questions traitées dans la Convention ainsi que d’avoir pu mener avec elle un dialogue approfondi et constructif.

B. Aspects positifs

5.Le Comité prend note des changements positifs suivants:

a)Les réformes politiques, juridiques et sociales de grande ampleur engagées par l’État partie, à savoir:

i)L’adoption en 2001 de la Charte nationale d’action, qui expose dans leurs grandes lignes les réformes destinées à renforcer la non‑discrimination, les garanties d’une procédure régulière et l’interdiction de la torture et des arrestations arbitraires et qui affirme, notamment, qu’aucune déposition obtenue sous la torture n’est recevable;

ii)La promulgation de la Constitution amendée;

iii)La création en 2002 de la Cour constitutionnelle;

iv)La mise en place d’un nouveau parlement bicaméral avec une chambre de députés élus;

v)Le décret no 19 de 2000 donnant effet à la nouvelle disposition de la Constitution portant création du Conseil supérieur de la magistrature, qui établit une ligne de démarcation très nette entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire et renforce ainsi la séparation des pouvoirs prévue dans la Constitution;

vi)Le décret no 4 de 2001 abolissant la Cour de sûreté de l’État, qui était compétente pour les atteintes à la sûreté intérieure et extérieure de l’État et les infractions à la législation d’exception, dont connaissent désormais les juridictions pénales ordinaires;

vii)Le décret no 11 de 2001 abrogeant la loi sur la sûreté de l’État;

b)L’adhésion de l’État partie à des traités internationaux relatifs aux droits de l’homme, en l’occurrence la Convention contre la torture en 1998 et la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes en 2002, ainsi que les assurances de sa délégation selon lesquelles le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels «ont été approuvés et sont en cours de ratification»;

c)Le retrait de sa réserve à l’article 20 de la Convention;

d)La visite à Bahreïn en 2001 du Groupe de travail sur les détentions arbitraires, qui s’est vu accorder sans restriction l’accès de toutes les prisons et cellules de détention des commissariats de police et a pu s’entretenir librement et sans témoin avec les prisonniers qu’il avait choisis au hasard;

e)La publication du manuel du travailleur étranger;

f)Les informations indiquant que la torture n’est plus systématiquement pratiquée depuis les réformes de 2001.

C. Sujets de préoccupation

6.Le Comité est préoccupé par:

a)L’écart qui persiste entre le cadre législatif et son application dans la pratique, eu égard aux obligations découlant de la Convention;

b)L’absence en droit interne d’une définition exhaustive de la torture comme celle qu’énonce l’article premier de la Convention;

c)Le grand nombre d’allégations de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants commis avant 2001;

d)Les informations selon lesquelles des personnes détenues auraient été mises au secret à la suite de la ratification de la Convention et avant 2001, pour des périodes prolongées, en particulier durant l’instruction;

e)L’accès insuffisant aux services d’un conseil juridique durant la garde à vue à la police, à une assistance médicale et aux membres de la famille, ce qui réduit les garanties assurées aux détenus;

f)L’apparente incapacité à enquêter sans délai, de manière impartiale et approfondie sur les très nombreuses allégations de torture et de mauvais traitements et à en poursuivre les auteurs présumés, et en particulier l’impunité systématique pour la torture et autres mauvais traitements dont le personnel des forces de l’ordre s’est rendu coupable dans le passé;

g)L’amnistie générale accordée par le décret n° 56 de 2002 à tous les auteurs présumés d’actes de torture ou autres crimes et l’absence de voies de recours pour les victimes de la torture;

h)L’insuffisance en pratique des indemnités civiles et des possibilités de réadaptation dont pouvaient bénéficier les victimes de la torture jusqu’à 2001;

i)Certaines dispositions du projet de loi contre le terrorisme qui, si elles étaient adoptées, réduiraient les garanties contre la torture et pourraient rétablir les conditions qui caractérisaient les excès commis dans le passé sous l’empire de la loi sur la sûreté de l’État. Parmi ces dispositions figurent la définition générale et vague du terrorisme et des organisations terroristes et le transfert du juge au ministère public du pouvoir de décider l’arrestation et la détention, et en particulier de prolonger la détention provisoire;

j)La possibilité pour les observateurs indépendants d’avoir accès sans préavis à tous les lieux de détention pour visite et inspection, nonobstant l’assurance donnée par l’État partie qu’il autoriserait les organisations de la société civile à y avoir accès;

k)L’absence de données sur les plaintes pour torture et mauvais traitements et sur les résultats des enquêtes ou poursuites liées aux dispositions de la Convention;

l)Les renseignements reçus au sujet des restrictions imposées aux organisations non gouvernementales de défense des droits de l’homme dans la conduite de leur action, en particulier pour des activités en rapport avec la Convention, sur le territoire national et à l’étranger;

m)Les régimes différents applicables, en droit et en pratique, aux nationaux et aux étrangers en ce qui concerne leur droit reconnu par la loi d’être à l’abri de comportements contraires à la Convention. Le Comité rappelle à l’État partie que la Convention et les protections qu’elle prévoit sont applicables à tous les actes contraires à la Convention qui sont commis sur le territoire relevant de sa juridiction, d’où il découle que toutes les personnes peuvent se prévaloir, dans une égale mesure et sans discrimination, des droits qui y sont reconnus;

n)Le rejet en mars 2005 par la Chambre des députés de la proposition de créer une commission nationale des droits de l’homme indépendante;

o)Les pouvoirs discrétionnaires excessivement larges dont disposent les juges des tribunaux de la charia dans l’application du droit de l’état des personnes et du droit pénal et, en particulier, les cas où ils n’auraient pas tenu compte de faits prouvant clairement des violences, confirmées par des certificats médicaux, à la suite d’actes de violence contre des femmes;

p)Les informations indiquant qu’au cours de trois grèves, qui avaient eu lieu en 2003 à la prison de Jaw, des prisonniers avaient été battus et maltraités, à la suite de quoi il fut convenu de constituer une commission d’enquête, dont les conclusions n’ont cependant pas été rendues publiques.

E. Recommandations

7.Le Comité recommande à l’État partie:

a)D’adopter en droit interne une définition de la torture conçue en des termes qui cadrent avec l’article premier de la Convention, y compris les fins différentes qui y sont énoncées, et de faire en sorte que tous les actes de torture constituent des infractions au regard de son droit pénal et que soient instituées pour ces infractions des peines appropriées tenant compte de leur gravité;

b)De communiquer des renseignements complets et détaillés sur le nombre des détenus qui ont subi la torture ou de mauvais traitements, y compris les décès éventuels en garde à vue, les résultats des enquêtes menées à leur sujet et les cas où des agents de la force publique auraient été jugés responsables;

c)De respecter en toutes circonstances le caractère absolu de l’article 3 et de l’intégrer pleinement au droit interne;

d)D’envisager de prendre des dispositions pour modifier le décret n° 56 de 2002 de manière à garantir qu’il n’y ait pas d’impunité pour les fonctionnaires qui auront pratiqué la torture ou d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants ou y auront acquiescé;

e)De faire en sorte que son système juridique offre aux victimes d’actes de torture commis dans le passé le droit d’obtenir réparation et une indemnité équitable et adéquate;

f)De veiller à ce que toute mesure prise pour lutter contre le terrorisme, y compris le projet de loi, soit conforme aux résolutions du Conseil de sécurité qui, entre autres choses, exige que les mesures prises contre le terrorisme soient mises en œuvre en respectant clairement les règles applicables, notamment, du droit international relatif aux droits de l’homme, y compris la Convention;

g)D’établir un organe indépendant chargé de visiter et/ou contrôler sans préavis les lieux de détention et d’autoriser des organisations impartiales et non gouvernementales à se rendre dans les prisons et autres lieux où les autorités gardent des détenus;

h)De garantir pleinement l’indépendance du pouvoir judiciaire et d’intégrer des femmes dans le corps judiciaire;

i)D’envisager d’adopter un code de la famille, comprenant des mesures destinées à prévenir et punir la violence dirigée contre des femmes, et surtout la violence au foyer, en prévoyant notamment des règles équitables d’administration de la preuve;

j)De veiller à ce que toutes les personnes détenues aient immédiatement accès à un médecin et à un avocat, ainsi que la possibilité de prendre contact avec leur famille, et que celles qui sont détenues par la Direction des enquêtes criminelles se voient accorder sans délai l’accès à un juge;

k)De prendre des mesures efficaces pour prévenir et régler les graves problèmes auxquels se heurtent ordinairement les travailleurs étrangers, et en particulier les femmes employées de maison;

l)D’envisager la création d’une institution nationale des droits de l’homme, conformément aux Principes de Paris;

m)De supprimer les restrictions inconsidérées au travail des organisations non gouvernementales, surtout lorsqu’elles s’occupent de questions qui ont trait à la Convention;

n)De veiller à ce que les membres des forces de l’ordre, le personnel civil, militaire et médical, les agents de la fonction publique et les autres personnes qui peuvent avoir part à la garde, à l’interrogatoire ou au traitement de tout individu privé de sa liberté reçoivent une formation pour reconnaître les séquelles de la torture et respecter l’interdiction absolue de la torture;

o)De communiquer au Comité des renseignements sur le Comité pour la prévention du vice et la promotion de la vertu dont la création a été proposée, en indiquant s’il est doté de compétences précises qui sont pleinement conformes aux dispositions de la Convention et s’il est soumis au contrôle d’une autorité judiciaire ordinaire.

8.Le Comité recommande à l’État partie de suivre dans son prochain rapport périodique les directives qu’il a énoncées et d’y fournir:

a)Des données statistiques, ventilées par crime, âge, sexe et nationalité, sur les plaintes pour torture et mauvais traitements qui auraient été commis par des membres des forces de l’ordre, ainsi que sur les enquêtes, poursuites et condamnations pénales et disciplinaires y afférentes;

b)Des renseignements sur les indemnités et moyens de réadaptation qui auraient été fournis aux victimes;

c)Des renseignements détaillés sur la mise en œuvre concrète de la législation et des recommandations du Comité;

d)Un document de base contenant des renseignements à jour, en conformité avec les directives.

9.Le Comité encourage l’État partie à étudier la possibilité de faire les déclarations visées aux articles 21 et 22 de la Convention et à ratifier le Protocole facultatif à la Convention.

10.L’État partie est encouragé à diffuser largement les rapports présentés par lui au Comité et les conclusions et recommandations que ce dernier en a tirées, dans les langues appropriées et par l’intermédiaire des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

11.Le Comité prie l’État partie de fournir, dans un délai d’un an, des renseignements sur les mesures qu’il aura prises pour donner suite aux recommandations formulées plus haut aux alinéas e, m et o du paragraphe 7.

12.L’État partie est invité à présenter son deuxième rapport périodique en avril 2007 au plus tard.

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