NATIONS UNIES

CAT

Convention contre

la torture et autres peines

ou traitements cruels,

inhumains ou dégradants

Distr.

GÉNÉRALE

CAT/C/CR/31/4

5 février 2004

FRANÇAIS

Original: ANGLAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURETrente et unième session10‑21 novembre 2003

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION

Conclusions et recommandations du Comité contre la torture

Yémen

1.Le Comité a examiné le rapport initial du Yémen (CAT/C/16/Add.10) à ses 583e et 586e séances, les 17 et 18 novembre 2003 (CAT/C/SR.583 et 586), et adopté les conclusions et recommandations ci‑après.

A. Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction le rapport initial du Yémen et l’occasion qu’il offre d’ouvrir un dialogue avec l’État partie. Il regrette cependant que ce rapport, qui devait être présenté le 4 décembre 1992, ait été soumis avec près de 10 ans de retard.

3.Le rapport, qui fournit des renseignements abondants sur les dispositions juridiques mais ne rend pas compte de façon détaillée de la mise en œuvre de la Convention dans la pratique, ni des difficultés rencontrées à cet égard, n’est pas pleinement conforme aux directives générales adoptées par le Comité pour l’établissement des rapports. Toutefois, le Comité se félicite de la volonté manifestée par la délégation d’engager un dialogue franc et ouvert.

B. Aspects positifs

4.Le Comité se félicite des efforts que fait l’État partie pour réformer son système juridique, réviser sa législation et défendre les valeurs démocratiques, et il accueille avec satisfaction en particulier les faits suivants:

a)La création en 2003 du Ministère des droits de l’homme, qui a pour but de promouvoir les droits de l’homme et d’en garantir le respect, y compris par l’examen de plaintes individuelles;

b)La permission accordée à de nombreuses organisations non gouvernementales d’exercer librement leur activité dans le pays;

c)Les dispositions de lois promulguées en matière de protection des droits de l’homme, notamment: l’article 149 de la Constitution; l’article 6 du Code de procédure pénale no 3 de 1994; l’article 21 du Code des infractions militaires et de leurs sanctions, de 1998; l’article 9 de la loi no 15/2000 sur les forces de police; l’article 35 du Code pénal et la loi no 36 de 1983, portant ratification de la Convention arabe d’entraide judiciaire;

d)L’intention déclarée de l’État partie de ratifier le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, et les mesures prises au niveau national à cet égard;

e)La ratification des principaux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme et l’incorporation de leurs dispositions dans l’ordre juridique interne;

f)Les activités d’éducation et de formation en matière de droits de l’homme et l’attitude ouverte de l’État partie à l’égard de la coopération internationale, que traduit l’accord conclu avec le Haut‑Commissariat aux droits de l’homme;

g)Les assurances reçues de la délégation concernant l’intention du pays d’établir des institutions spéciales pour accueillir les femmes à leur sortie de prison;

h)L’accès aux personnes détenues accordé au Comité international de la Croix‑Rouge par le Département de la sécurité politique.

C. Facteurs et difficultés entravant la mise en œuvre de la Convention

5.Le Comité, bien que conscient des difficultés que rencontre l’État partie dans la lutte de longue haleine qu’il mène contre le terrorisme, rappelle qu’aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, ne peut être invoquée pour justifier la torture. Il souligne en particulier que les réactions de l’État partie aux menaces terroristes doivent être compatibles avec le paragraphe 2 de l’article 2 de la Convention et s’inscrire dans les limites de la résolution 1373 (2001) du Conseil de sécurité.

D. Sujets de préoccupation

6.Le Comité s’inquiète des éléments suivants:

a)L’absence en droit interne d’une définition complète de la torture reprenant celle de l’article premier de la Convention;

b)La nature de certaines sanctions pénales, en particulier la flagellation et l’amputation, qui peuvent constituer des violations de la Convention;

c)Les informations selon lesquelles les fonctionnaires du Département de sécurité politique auraient souvent pour pratique de garder les détenus au secret et les informations concernant des cas d’arrestation et de détention en masse pendant de longues périodes sans procès;

d)Le fait que, dans la pratique, les personnes détenues ne puissent pas communiquer avec un avocat ou un médecin de leur choix, ou avec leur famille, dès le début de leur détention;

e)Le fait que, apparemment, les nombreuses allégations de torture et violations de l’article 16 de la Convention ne fassent pas l’objet d’enquêtes promptes, impartiales et indépendantes et que leurs auteurs présumés ne soient pas poursuivis;

f)Les informations faisant état de l’expulsion d’étrangers qui n’ont pas auparavant été mis en mesure de contester juridiquement ces mesures; si ces informations sont vraies, ces mesures d’expulsion peuvent constituer une violation des obligations imposées par l’article 3 de la Convention;

g)Le fait que l’État partie n’a pas donné de renseignements détaillés concernant les modalités d’indemnisation et de réadaptation des victimes de mauvais traitements infligés par l’État;

h)La situation des femmes qui, ayant terminé leur peine d’emprisonnement, restent en prison pendant de longues périodes;

i)Le Comité s’inquiète de ce que l’âge de la responsabilité pénale soit bas, et de ce que des délinquants juvéniles de 7 ans à peine soient détenus dans des hôpitaux ou les instituts de protection sociale spécialisés.

E. Recommandations

7.Le Comité recommande à l’État partie:

a)D’adopter une définition de la torture qui couvre tous les éléments de celle qui figure à l’article premier de la Convention, et de modifier sa loi pénale en conséquence;

b)De prendre toutes les mesures utiles pour que les sanctions pénales soient pleinement conformes à la Convention;

c)De veiller à ce que toutes les personnes détenues aient immédiatement accès à un médecin et un avocat, et puissent communiquer avec leur famille à tous les stades de la détention, et à ce que les personnes détenues par le Département de la sécurité politique soient promptement présentées à un magistrat;

d)De prendre toutes les mesures utiles pour abolir la détention au secret de fait;

e)De prendre immédiatement des mesures pour que l’arrestation et la détention se déroulent sous supervision judiciaire indépendante et impartiale;

f)De s’assurer de la pleine conformité de toutes les mesures antiterroristes avec la Convention;

g)De veiller à ce que l’expulsion, le refoulement ou l’extradition d’une personne vers un autre État se fasse en conformité avec l’article 3 de la Convention;

h)De prendre des mesures pour mettre en place un système efficace, fiable et indépendant d’examen des plaintes, pour entreprendre des enquêtes promptes et impartiales sur les allégations de mauvais traitements ou de torture par la police et d’autres agents publics, et pour punir les coupables;

i)De redoubler d’efforts pour diminuer le nombre des cas de torture ou autres mauvais traitements de la part de la police et d’autres agents publics, et de recueillir les données concernant ces actes;

j)De veiller à ce que les victimes de la torture aient le droit de recevoir de l’État une indemnisation équitable et adéquate, et de mettre sur pied des programmes pour la réadaptation physique et psychologique des victimes;

k)De poursuivre et de développer les efforts pour créer des établissements spéciaux pour les femmes, de manière à éviter qu’elles restent en prison après la fin de leur peine;

l)De revoir l’âge de la responsabilité pénale et de veiller à ce que tous les instituts de protection et autres lieux de détention répondent aux normes internationales en matière de justice des mineurs, y compris celles de la Convention;

m)D’envisager de faire les déclarations prévues par les articles 21 et 22 de la Convention et de ratifier le Protocole facultatif relatif à la Convention;

n)En consultation étroite avec le Haut‑Commissariat aux droits de l’homme, les mécanismes indépendants des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme et les programmes de pays, d’établir des programmes appropriés d’éducation et de formation concernant, notamment, les procédures de présentation des rapports et les programmes des organes des Nations Unies créés par les instruments relatifs aux droits de l’homme qui visent à faire respecter l’interdiction de la torture et des mauvais traitements.

8.Le Comité recommande à l’État partie d’établir son prochain rapport de manière conforme aux principes du Comité relatifs à l’établissement des rapports, et d’y faire figurer, entre autres:

a)Des renseignements détaillés sur l’application pratique de sa législation et des recommandations du Comité;

b)Des statistiques détaillées, ventilées par infraction, région, origine ethnique et sexe, sur les plaintes pour actes de torture et mauvais traitements commis par des responsables de l’application de la loi, ainsi que sur les enquêtes, poursuites et sanctions pénales et disciplinaires correspondantes.

9.Le Comité recommande que l’État partie diffuse largement les rapports présentés par le Yémen au Comité ainsi que les conclusions et recommandations de celui‑ci, dans les langues appropriées, par les sites Internet officiels, les médias et les organisations non gouvernementales.

10.Le Comité invite la délégation à présenter par écrit des renseignements complémentaires sur les questions qui ont été soulevées pendant le dialogue et qui restent sans réponse.

11.Le Comité demande à l’État partie de lui fournir, dans le délai d’un an, des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations du Comité contenues dans les paragraphes 7 d) et f) ci‑dessus.

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