Nations Unies

CAT/C/47/D/327/2007

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale*

13 janvier 2012

Français

Original: anglais

Comité contre la torture

Communication no 327/2007

Décision adoptée par le Comité contre la torture à sa quarante-septième session (31 octobre-25 novembre 2011)

Présentée par:

Régent Boily (représenté par des conseils Christian Deslauriers et Philippe Larochelle)

Au nom de:

Régent Boily

État partie:

Canada

Date de la requête:

4 juillet 2007 (lettre initiale)

Date de la présente décision:

14 novembre 2011

Objet:

Extradition du requérant vers le Mexique pour exécuter une peine d’emprisonnement pour trafic de drogues

Questions de procédure:

Non-épuisement des recours internes; allégations insuffisamment étayées; défaut d’établissement d’une violation à première vue de l’article 3; absence de risque personnel, réel et concret de torture au Mexique

Questions de fond:

Risque de torture en cas d’extradition du requérant

Articles de la Convention:

3 et 22

Annexe

Décision du Comité contre la torture au titre de l’article 22de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants(quarante-septième session)

concernant la

Communication no 327/2007

Présentée par:

Régent Boily (représenté par des conseils, Christian Deslauriers et Philippe Larochelle)

Au nom de:

Régent Boily

État partie:

Canada

Date de la requête:

4 juillet 2007 (date de la lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 14 novembre 2011,

Ayant achevé l’examen de la requête no 327/2007, présentée au nom de Régent Boily en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.1Le requérant est Régent Boily, de nationalité canadienne, né en 1944. Dans sa requête du 4 juillet 2007, il affirme que son extradition au Mexique constituerait une violation par le Canada de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par des conseils, Mes Christian Deslauriers et Philippe Larochelle.

1.2Le 6 juillet 2007, le Rapporteur spécial pour les nouvelles communications et les mesures provisoires, agissant en vertu du paragraphe 1 de l’article 108 du Règlement intérieur du Comité (CAT/C/3/Rev.4), a demandé à l’État partie de ne pas extrader le requérant vers le Mexique pendant que sa requête serait en cours d’examen.

1.3Le 13 août 2007, le Rapporteur spécial pour les nouvelles communications et les mesures provisoires a décidé, après un examen approfondi des observations de l’État partie en date du 27 juillet 2007 et de celles du requérant, de retirer la demande de mesures provisoires.

1.4Le 17 septembre 2007, suite à une demande du requérant, la Haut-Commissaire aux droits de l’homme a demandé à l’État partie de préciser les mesures qu’il avait prises afin que le Mexique honore ses assurances diplomatiques.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1En 1993, le requérant a décidé de quitter le Canada pour s’établir au Mexique, où il s’est remarié et a transféré tous ses avoirs. En 1998, suite à la perte de la moitié de ses économies, il a commencé à se livrer au transport de cannabis. Le 9 mars 1998, le requérant a été arrêté par la police qui a découvert 583 kilogrammes de cannabis dans son véhicule. Un policier l’a battu et lui a demandé de payer 25 000 dollars des États-Unis et de lui remettre la moitié de la cargaison en guise de droit de passage. Au poste de police, le requérant a demandé, en vain, à être représenté par un avocat canadien. Il a été menacé de mort par un des policiers s’il ne révélait pas les noms de ses complices et la provenance et la destination de la drogue. Ayant refusé de fournir ces renseignements, le requérant a été empêché de respirer au moyen d’un sac en plastique, des substances lui ont été introduites dans le nez, notamment de la sauce au chili et il a été frappé sur la tête avec un livre. Ensuite, il a été forcé de signer une déclaration en espagnol sans en connaître le contenu. Le même jour, il a été emmené à la prison où il a été examiné par un médecin mais, par peur de représailles de la part du policier présent, il n’a pas dénoncé le traitement subi au poste de police. Après soixante-douze heures dans une cellule obscure, le requérant a été emmené à l’infirmerie de la prison où il a retrouvé deux policiers qui l’avaient torturé au poste de police. Ils ont menacé de le tuer s’il dénonçait les tortures subies.

2.2Le 10 novembre 1998, le requérant a été condamné à quatorze ans d’emprisonnement pour trafic de cannabis. Sa déclaration, obtenue sous la torture, aurait été admise comme preuve.

2.3Le 9 mars 1999, le requérant a organisé une évasion, lors de laquelle un de ses deux gardiens a été tué. Il s’est ensuite enfui au Canada. Le 1er mars 2005, il a été arrêté à son domicile au Canada en application d’un mandat d’arrêt provisoire en vue de son extradition au Mexique, pays qui avait demandé son extradition pour qu’il purge le reliquat de sa peine, et qu’il réponde d’une accusation d’homicide d’un gardien de prison et d’évasion. Une demande de mise en liberté sous caution, déposée par le requérant le 11 avril 2005 a été rejetée. La Cour d’appel l’a ensuite débouté de son recours contre cette décision. Le 22 novembre 2005, le requérant a été incarcéré en vue de son extradition. Le 23 janvier 2006, il a présenté ses arguments au Ministre de la justice, les accompagnant de deux rapports de psychologues confirmant les tortures qu’il avait subies et ses symptômes de troubles post-traumatiques. Il a joint aussi les résultats d’un test polygraphique effectué par la police de la ville d’Ottawa indiquant qu’il disait la vérité. Le 24 mai 2006, le Ministre de la justice a ordonné son extradition après avoir obtenu des assurances diplomatiques du Mexique. La Cour d’appel du Québec a rejeté une demande de révision de cette décision. Le 5 juillet 2007, la Cour suprême a refusé à son tour d’accorder l’autorisation de faire appel de ladite décision.

2.4Le 17 août 2007, après la levée des mesures provisoires par le Comité, le requérant a été extradé vers le Mexique, où il a été transféré à la prison de Zacatecas − établissement dans lequel il est accusé d’avoir tué un gardien. Entre le 17 et le 20 août 2007, le requérant a été torturé par des gardiens de cette prison et tout contact avec l’ambassade du Canada et son avocat lui a été refusé. Craignant des représailles, le requérant n’a pas dénoncé ouvertement les mauvais traitements qu’il avait subis.

Teneur de la plainte

3.1Dans sa lettre initiale, le requérant a affirmé que son extradition au Mexique constituerait une violation de l’article 3 de la Convention. Il fait valoir qu’il court un risque prévisible, réel et personnel d’être torturé s’il est extradé au Mexique étant donné qu’il a déjà été torturé par les autorités mexicaines lors de son arrestation le 9 mars 1998, qu’il a été menacé de mort par deux policiers dans l’infirmerie de la prison, et que les tortures subies ont été attestées par des expertises médicales indépendantes. Il ajoute que la gravité du crime dont il est accusé, la non-arrestation des responsables du crime commis lors de sa fuite et la perspective d’être renvoyé dans la prison d’où il s’est évadé l’exposaient à un risque prévisible, réel et personnel de torture au Mexique.

3.2En outre, le requérant souligne que l’obtention d’assurances diplomatiques du Mexique ne permet pas d’écarter le risque de torture, d’autant plus que le Mexique est connu pour pratiquer la torture de manière systématique et endémique et que l’État mexicain n’exerce guère de contrôle sur ses forces de sécurité. Il affirme que l’incertitude quant à la valeur desdites assurances met en évidence leur inefficacité. Le requérant fait valoir qu’il est naïf de penser, comme le suggèrent lesdites assurances, qu’il ne subirait aucun interrogatoire en rapport avec les deux crimes non jugés puisque les responsables n’ont pas encore été arrêtés. Il ajoute qu’il se trouve actuellement dans une situation bien plus délicate qu’en 1998, étant accusé d’un crime beaucoup plus grave, puisqu’il est question de la mort d’un agent de l’État.

Observations de l’État partie sur les mesures prises afin que les garanties diplomatiques soient respectées

4.1Le 28 septembre 2007, l’État partie a fourni des informations à jour sur les mesures prises pour que les garanties diplomatiques soient respectées par le Gouvernement mexicain. Il affirme que le 17 août 2007, lors de son arrivée au Mexique, le requérant a été accueilli par une agente consulaire qui l’a informé des services à sa disposition. Le requérant aurait exprimé alors ses inquiétudes pour sa sécurité vu qu’il était renvoyé dans la prison d’où il s’était évadé. Le 20 août 2007, des agents consulaires ont demandé à la Commission des droits de la personne de l’État de Zacatecas de rendre visite au requérant. Après avoir reçu une lettre dans laquelle il était allégué que le requérant avait été torturé le 19 août 2007, l’État partie a contacté, le 22 août 2007, des hauts fonctionnaires mexicains et l’administration de la prison de Zacatecas afin de leur rappeler la nécessité de respecter les assurances diplomatiques. Ce même jour, les agents consulaires ont rendu visite au requérant. Pendant cette visite, il a répété ses allégations de torture, mais n’a pas souhaité porter plainte. Les agents consulaires n’ont cependant constaté aucune trace de blessure. Lors de l’enquête menée par les autorités mexicaines, le directeur de la prison de Zacatecas a nié les allégations de torture du requérant.

4.2Le 23 septembre 2007, le requérant aurait été battu par un codétenu, mais il a affirmé que ses blessures avaient été bien soignées et que son agresseur avait été mis à l’isolement. Ensuite, l’État partie a demandé au directeur de la prison un rapport sur l’incident et un rapport médical et un exposé des mesures prises afin d’assurer que le requérant soit à l’avenir à l’abri de la violence. L’État partie souligne que le requérant ne souhaitait pas déposer une plainte et qu’il demandait que les détails de ses allégations de torture ne soient pas divulgués aux autorités mexicaines. Le 18 octobre 2007, le requérant a demandé son transfert au centre pénitentiaire de l’État d’Aguascalientes; sa demande a été appuyée par l’État partie au moyen d’une lettre au juge responsable.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la requête

5.1Le 5 février 2008 et le 20 août 2008, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et le fond. Selon lui, la communication devrait être déclarée irrecevable car le requérant n’a pas apporté la preuve de l’existence à première vue d’une violation de l’article 3 de la Convention et n’a pas suffisamment étayé son allégation selon laquelle il court un risque sérieux et personnel d’être torturé s’il est extradé au Mexique. L’État partie fait valoir que les raisons de croire que le requérant risque d’être torturé en cas de renvoi doivent aller au-delà de simples supputations ou soupçons et qu’il doit être établi que le requérant court personnellement un tel risque. L’État partie affirme que les allégations de torture du requérant sont liées à son arrestation et l’interrogatoire par la police en 1998 et qu’il n’a jamais affirmé avoir été torturé en prison. Le requérant n’a donc, selon l’État partie, pas établi qu’en cas d’extradition pour exécuter sa peine et être jugé il serait interrogé par la police et risquerait en conséquence d’être torturé dans les prisons mexicaines.

5.2L’État partie a fait valoir que les griefs additionnels du requérant, notamment ceux tirés de rapports internationaux sur la torture au Mexique et des accusations de participation au meurtre d’un gardien de prison portées contre lui, ne permettaient pas de conclure qu’il risquait personnellement d’être soumis à la torture s’il était extradé. Il souligne que les rapports internationaux, y compris les dernières observations finales du Comité contre la torture, mentionnent un problème de torture dans les postes de police mais n’indiquent pas que la torture est endémique au sein du système carcéral. En outre, l’État partie souligne que des mécanismes de contrôle judiciaire et administratif et de surveillance des droits de la personne sont en place et mis en œuvre lorsque des personnes exécutent des peines d’emprisonnement. Le Mexique a par ailleurs ratifié le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et accepté la compétence du Comité des droits de l’homme pour examiner des plaintes émanant de particuliers, ce qui donnait au requérant la possibilité de présenter une requête contre le Mexique aux deux comités.

5.3L’État partie fait valoir, par ailleurs, que les assurances diplomatiques sont suffisantes pour écarter un risque de torture. Il précise qu’il a demandé au Gouvernement mexicain les assurances suivantes: que le Mexique prenne des précautions raisonnables pour assurer la sécurité du requérant, qu’il s’assure que l’avocat du requérant et les agents de l’ambassade du Canada puissent lui rendre visite à tout moment raisonnable et que le requérant puisse communiquer avec eux à tout moment raisonnable, qu’il fasse son possible pour tenir sans délai le procès du requérant et que toute autre requête ou demande soit promptement entendue. L’État partie souligne que le Mexique s’est conformé à de telles assurances dans une autre affaire et qu’il aurait toutes les raisons de respecter les assurances fournies en vertu de ses obligations découlant du traité d’extradition et pour éviter de nuire à sa réputation internationale. Par ailleurs, l’État partie indique qu’il a mis en place un mécanisme de suivi du requérant au Mexique.

5.4En ce qui concerne l’allégation selon laquelle le requérant a été torturé depuis son retour à la prison de Zacatecas, l’État partie affirme que cette allégation n’a été étayée par aucun élément de preuve. Une enquête menée par le Mexique a d’ailleurs abouti à la conclusion que ces allégations n’étaient guère «plausibles».

5.5L’État partie fait valoir que les allégations du requérant et le risque de torture ont été examinés minutieusement par les tribunaux nationaux au moment de l’extradition et qu’en l’absence d’erreur manifeste, d’abus de procédure, de mauvaise foi, de partialité ou d’irrégularités graves dans la procédure, le Comité n’a pas à se substituer aux juridictions nationales.

5.6Subsidiairement, l’État partie affirme, au cas où le Comité serait d’avis qu’elle est recevable, que la communication devrait être déclarée infondée pour les raisons exposées plus haut.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

6.1Le 25 avril, le 26 septembre 2008 et le 6 avril 2009, le requérant a contesté les observations de l’État partie. Il a fait observer que le fait que l’État partie ne se soit pas interrogé sur la valeur des assurances diplomatiques fournies par le Mexique constituait un déni de justice. Il a fait valoir que l’État partie n’avait pas suffisamment pris en considération le risque personnel d’être torturé qu’il courait lors de son extradition. Le renvoi du requérant à la prison dont il s’était évadé et le fait qu’un gardien de ladite prison avait perdu la vie et que les complices du requérant n’avaient jamais été identifiés, l’avait exposé à un risque réel de torture. Ces griefs étaient étayés par des rapports internationaux et par le dernier rapport périodique du Mexique au Comité contre la torture, dont il ressortait que la torture était endémique au Mexique. En outre, l’affirmation du requérant selon laquelle il avait été torturé en 1998 n’avait jamais été réfutée. En ce qui concerne l’examen des événements de 1998 par l’État partie, le requérant dit que le Ministre de la justice a sciemment détourné le sens d’une lettre reçue des autorités mexicaines affirmant que les allégations de torture du requérant étaient sans fondement. Le requérant a fait valoir qu’aucune des sections en cause de la lettre n’indiquait que ces allégations de torture étaient sans fondement, car le Mexique s’était contenté de souligner que ces allégations n’avaient aucune base juridique et la présence du requérant sur le territoire mexicain suffirait pour garantir ses droits et libertés fondamentaux. Le requérant a insisté sur le fait que l’État partie avait agi de mauvaise foi et s’était basé sur de fausses prémisses pour contester la crédibilité du risque personnel de torture qu’il courait. Les décisions des juridictions nationales étaient arbitraires dans la mesure où elles n’étaient pas fondées sur des preuves. En outre, le fait que les agents de l’État qui l’avaient torturé en 1998 étaient restés impunis augmentait manifestement le risque personnel couru par le requérant.

6.2Le requérant a fait valoir que l’État partie n’avait pas examiné le point de savoir si le Mexique pouvait effectivement contrôler ses forces de l’ordre et assurer ainsi le respect des assurances diplomatiques. Le requérant a noté que ces assurances restaient vagues et n’exigeaient pas, par exemple, qu’il ne soit pas réincarcéré dans la prison d’où il s’était évadé. Le requérant soumet en outre que l’État partie avait omis de s’assurer de son bien-être avant le 20 août 2007, tout en étant au fait de ses inquiétudes et des risques inhérents à son renvoi dans la prison d’où il s’était évadé. Sachant que les employés de l’ambassade du Canada au Mexique n’avaient été informés de son cas que deux jours avant son extradition et n’étaient pas au courant jusque-là des assurances diplomatiques, le requérant a contesté que l’État partie ait mis en place un mécanisme de vérification du respect de ces assurances par le Mexique.

6.3Le requérant a affirmé que, les 17, 19 et 21 août 2007, il avait été torturé par deux gardiens et le chef de la sécurité de la prison de Zacatecas dans le but de venger leur collègue tué au moment de l’évasion. On l’avait frappé sur le dos, on lui avait plongé la tête dans un baril d’eau, comme si on allait le noyer, on lui avait couvert la tête d’un sac en plastique jusqu’à ce qu’il s’effondre, et de la sauce chili lui avait été introduite par force dans le nez. En plus, entre son arrivée à la prison de Zacatecas le 17 août 2007 et le 20 août 2007, le requérant n’aurait pas eu accès au téléphone pour contacter qui que ce soit. Par ailleurs, il ressort d’une conversation téléphonique entre sa sœur et l’agent de l’ambassade, en date du 20 août 2007, qu’en violation des assurances diplomatiques, l’État partie ignorait si le requérant avait eu accès à un téléphone. Le requérant a fait également valoir que c’était seulement après une visite que lui avaient rendue des agents consulaires, le 22 août 2007, que l’État partie avait pris des mesures pour vérifier s’il était en sécurité.

6.4Le requérant a fait valoir que le traité d’extradition entre l’État partie et le Mexique prévoyait explicitement, en son article III.1, que le Canada n’avait aucune obligation d’extrader ses propres nationaux vers le Mexique et que le traité permettait au Canada de juger ses propres citoyens pour des infractions qui leur étaient reprochées au Mexique. Le requérant a ajouté que l’État partie avait pris un risque inacceptable en l’extradant au Mexique et avait ainsi violé l’article 3 de la Convention.

Observations additionnelles de l’État partie

7.1Le 28 août 2009, l’État partie a réitéré ses observations précédentes. Il a souligné qu’il ne fallait pas confondre l’évaluation des risques de torture avant l’extradition du requérant avec ses allégations de mauvais traitements faites après qu’il ait été remis aux autorités mexicaines. L’État partie a réaffirmé son refus de souscrire sans réserve aux allégations figurant dans la déclaration sous serment du 21 mars 2009, étant donné que celles-ci n’avaient pas été suffisamment étayées, dans la mesure où, en l’absence du consentement du requérant, ni le personnel consulaire de l’État partie ni le personnel de la Commission des droits de la personne de Zacatecas n’avaient pu enquêter sur ce qui s’était produit les 17, 19 et 21 août 2007. Par ailleurs, l’État partie a fait observer que, indépendamment de la question de la véracité des allégations de torture contenues dans la déclaration sous serment du requérant, à l’époque de la procédure d’extradition, il était raisonnable d’extrader le requérant au Mexique sur la base d’assurances diplomatiques et compte tenu l’absence de risque personnel sérieux que le requérant soit torturé. Il a fait valoir que les affirmations faites après l’extradition ne sauraient jeter le doute sur la légitimité de la décision d’extrader le requérant. D’autre part, l’État partie a indiqué qu’il avait mis en place un mécanisme pour vérifier le respect des assurances diplomatiques et, qu’il avait dûment répondu lorsque des allégations de torture avaient été formulées par le requérant.

7.2En ce qui concerne la procédure d’extradition, l’État partie a expliqué que le Ministère de la justice avait la responsabilité initiale d’un dossier d’extradition et qu’une fois que l’ordonnance d’extradition était confirmée le Ministère des affaires étrangères et du commerce international se chargeait du suivi du dossier à l’étranger. Les fonctionnaires de ce ministère n’intervenaient qu’après l’extradition du requérant. En l’espèce, l’État partie a affirmé que l’ambassade du Canada au Mexique avait été dûment informée de l’extradition du requérant le 15 août 2007. Le 17 août 2007, le requérant avait reçu la visite d’un agent consulaire et des instructions lui avaient été données pour qu’il puisse communiquer avec l’ambassade. En ce qui concerne l’allégation de l’auteur selon laquelle les agents consulaires canadiens ne savaient pas s’il pouvait recevoir des appels, l’État partie a expliqué que chaque établissement carcéral avait ses propres règles concernant les appels téléphoniques et en l’absence de raisons valables justifiant une intervention, il ne revenait pas aux agents consulaires de s’immiscer dans l’application de ces règles. Le contact téléphonique entre les agents consulaires et le requérant avait été établi dès le 20 août 2007. L’État partie a également fait valoir qu’avant d’être au courant d’un manquement possible aux assurances diplomatiques, les agents consulaires étaient seulement tenus de maintenir le contact avec le requérant.

7.3L’État partie s’est référé à la jurisprudence du Comité selon laquelle l’évaluation des risques de torture avant l’extradition revêtait un caractère prospectif et la décision qui en découlait ne saurait être mise en question suite à des événements ultérieurs imprévisibles. Il a fait valoir que la constatation de mauvais traitements ultérieurs permettait seulement de mettre en cause les mesures prises par l’État partie pour faire respecter les assurances fournies et non sa décision initiale d’extrader le requérant. Il a rappelé que le Ministre de la justice avait dûment pris en considération à la fois les allégations de torture faites par le requérant en 1998 et le rejet officiel de ces allégations par les autorités mexicaines. Il avait également examiné différents rapports faisant état de violations fréquentes des droits de l’homme au Mexique ainsi que de l’expérience d’autres Canadiens jugés au Mexique. Enfin, il avait aussi tenu compte du fait qu’un gardien de prison avait été tué lors de l’évasion du requérant et de la possibilité de mesures de représailles envers le requérant de la part des autorités carcérales. Le Ministre avait la conviction que le Mexique, vu l’importance qu’il accordait à ses relations diplomatiques et compte tenu d’une expérience antérieure positive, honorerait ses assurances diplomatiques. La conclusion du Ministre de la justice avait d’ailleurs été pleinement appuyée par la Cour d’appel.

Commentaires additionnels du requérant

8.1Dans ses commentaires additionnels du 29 septembre 2009, le requérant réaffirme que tout au long de la procédure d’extradition il a maintenu son allégation selon laquelle il avait été torturé en 1998 et que cela n’a jamais été contesté par les autorités canadiennes.

8.2En ce qui concerne la procédure d’extradition, il rappelle également que les agents consulaires canadiens au Mexique ignoraient tout de son dossier, comme en témoignent les observations de l’État partie, selon lesquelles l’ambassade a été informée le 15 août 2007, soit quarante-huit heures seulement avant son extradition. Le requérant souligne que l’État partie lui-même a admis que les agents de son ambassade n’avaient fait que réagir aux événements et juge cette attitude déconcertante, surtout qu’il s’agissait d’une extradition pour laquelle il avait été jugé nécessaire d’obtenir au préalable des assurances diplomatiques, et qu’il avait suffi d’une visite consulaire à la prison et d’une lettre de l’Ambassadeur au Gouverneur de l’État du Zacatecas pour que cessent les mauvais traitements. Se référant aux observations de l’État partie du 28 septembre 2007, le requérant souligne que les agents consulaires canadiens ne savaient pas que l’État partie avait obtenu des assurances du Mexique et n’a donc pas pris de mesures pour s’assurer que le requérant puisse communiquer avec son avocat et les agents consulaires. En outre, les responsables canadiens n’ont jamais vérifié s’il avait pu le faire.

8.3Le requérant estime que l’argument de l’État partie selon lequel il n’y avait pas de risque de torture avant l’extradition est contredit par la demande d’assurances diplomatiques et par le fait que la Cour d’appel a prêté plus de foi à ses allégations de torture faites en 1998 qu’à la dénégation catégorique du Mexique. D’autre part, il fait remarquer que le cas précédent d’extradition d’un Canadien a été présenté sans aucune information qui permettrait de comparer les deux situations et ne diminuait en rien l’existence d’un sérieux risque de torture couru personnellement par le requérant.

8.4En ce qui concerne la qualité des assurances diplomatiques, le requérant souligne que même si le Ministre de la justice a bien tenu compte du risque de représailles que court le requérant à cause des accusations l’impliquant dans le meurtre d’un gardien de prison, lesdites assurances diplomatiques ne prévoyaient aucune mesures pour empêcher des telles représailles. En outre, l’État partie n’a pris avant l’extradition aucune disposition pour qu’il soit en sécurité et ait la possibilité de communiquer. Il conteste également l’affirmation quant à la mise en place d’un mécanisme de suivi des assurances diplomatiques et souligne que toutes les mesures prises par les agents consulaires étaient en réaction à ses allégations de torture et ne faisaient nullement partie d’une procédure de suivi déjà en place. Le requérant rappelle également que neuf mois se sont écoulés entre le moment où l’État partie a obtenu les assurances diplomatiques, le 16 novembre 2006 et le 15 août 2007, date à laquelle une fonctionnaire du Ministère des affaires étrangères et du commerce international a tenté d’en obtenir une copie. Il souligne qu’il est évident que si les agents de l’ambassade n’avaient pas de copie des assurances diplomatiques les autorités du Zacatecas et la prison n’en avaient pas non plus.

Observations additionnelles de l’État partie sur la recevabilité

9.Le 26 avril 2010, l’État partie a estimé que la communication devrait être déclarée irrecevable pour non-épuisement des recours internes, étant donné que le requérant a intenté, le 8 avril 2010, un recours devant la Cour fédérale portant sur le fond de la requête présentée au Comité. Le requérant s’était en effet plaint devant la Cour fédérale de ce que l’État partie avait violé ses droits en l’extradant au Mexique, le 17 août 2007, sur la foi d’assurances diplomatiques, et en ne prenant aucune mesure pour faire en sorte que ces assurances soient respectées après l’extradition du requérant. L’État partie fait valoir que le requérant n’a dont pas établi qu’à première vue sa communication était recevable. Qui plus est, il n’existe aucune raison de croire que les recours internes excéderaient des délais raisonnables.

Commentaires additionnels du requérant

10.1Dans ses commentaires additionnels du 30 juin 2010, le requérant affirme que l’action devant la Cour fédérale et la communication devant le Comité visent des situations différentes. Dans sa plainte devant le Comité, il invoque l’article 3 de la Convention qui interdit d’extrader une personne vers un pays où il existe un risque sérieux qu’elle soit soumise à la torture, et cherche à montrer que l’État partie a violé la Convention contre la torture en l’extradant au Mexique le 17 août 2007. Il réaffirme que le caractère prévisible, réel et personnel du risque de torture reposait sur le fait qu’un gardien de prison avait été tué pendant l’évasion du requérant et que la torture était une pratique répandue dans les prisons mexicaines. Dans son action devant la Cour fédérale, le requérant a cherché à obtenir une réparation du fait qu’il a été torturé et non pas pour le risque de l’être. Il est donc faux de prétendre que l’action devant la Cour fédérale constitue un recours qui doit être épuisé.

10.2Le requérant soutient que le fait qu’une violation de la Convention contre la torture soit également invoquée devant la Cour fédérale ne saurait justifier un rejet de la communication pour non-épuisement des recours internes. Devant le Comité, la violation de la Convention constitue elle-même le préjudice, alors que devant la Cour fédérale cette violation constitue une des fautes alléguées susceptibles d’engager la responsabilité de l’État partie. En outre, le requérant fait valoir que la communication a été déposée le 4 juillet 2007, avant qu’il soit torturé au Mexique les 17, 19 et 21 août 2007. Le recours devant la Cour fédérale n’a été intenté qu’un mois et demi plus tard et n’a donc pas à être épuisé. En outre, un recours au civil sous la forme d’une action en dommages n’est pas un moyen efficace pour empêcher l’extradition du requérant et ne pourrait donc pas être utilisé pour atteindre l’objectif visé à travers la présente communication. Le requérant réaffirme qu’il a contesté l’extradition jusque devant la Cour suprême, ce qui constitue l’ultime recours interne.

Observations additionnelles de l’État partie sur la recevabilité

11.1Dans ses observations du 10 février 2011, l’État partie soutient que les procédures internes sont liées à celles devant le Comité en ce qu’elles se rapportent aux mêmes faits. Il affirme que la chronologie des actes de procédure ou les distinctions faites entre les types de réparation recherchés importent peu, étant donné que les conclusions des juridictions nationales seront fondées sur l’examen des mêmes allégations que celles qui ont été soumises au Comité.

11.2Le 26 août 2010, le requérant a soumis une demande de suspension de son action devant la Cour fédérale. L’État partie lui-même a déposé une demande pour que l’affaire soit classée sans suite. Le 6 décembre 2010, la Cour fédérale a rejeté le recours en suspension du requérant et a fait droit à la demande de classement, statuant que la question de l’extradition du requérant avait déjà été examinée par toutes les juridictions compétentes et ne pouvait plus désormais fonder une action en justice. Le classement a été admis pour abus de procédure de la part du requérant. Le 10 janvier 2011, date limite fixée par la Cour pour déposer un recours en vue d’obtenir réparation des faits qui se seraient produits après l’extradition, le requérant a intenté une nouvelle action devant la Cour fédérale. L’État partie réitère ses observations du 26 avril 2010 et réaffirme que la communication devrait être déclarée irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes.

11.3En ce qui concerne le suivi consulaire, l’État partie explique que le mécanisme dont il parle désigne les mesures de suivi consulaires habituelles prises par souci du bien-être physique et psychologique du requérant pendant son incarcération au Mexique.

Commentaires additionnels du requérant

12.1Le 14 avril 2011, le requérant a confirmé qu’il avait déposé une requête pour obtenir réparation de ce qu’il aurait subi après son extradition. Il souligne que les risques pris en violation de la Convention font que l’État partie ne saurait prétendre avoir agi de manière responsable. Il fait valoir qu’il était donc fondé à contester la décision de l’extrader au Mexique devant le Comité, qui est la seule instance saisie de cette question, et qu’une action en dommages intentée à la suite des tortures subies après son extradition au Mexique ne saurait, de toute évidence, constituer un recours efficace qui aurait pu empêcher son extradition et ne peut donc pas être considéré comme un recours interne disponible.

12.2À propos du suivi consulaire, le requérant fait observer qu’au moment de son extradition, en août 2007, le personnel de l’ambassade du Canada au Mexique ignorait la teneur des assurances diplomatiques, comme l’attestent les preuves qu’il a présentées, notamment des courriels. Il fait remarquer également que les assurances diplomatiques n’étaient pas accompagnées de mesures concrètes sur le terrain susceptibles de diminuer le risque réel de torture auquel il était exposé. Il ajoute que les observations de l’État partie du 10 février 2011 confirment qu’il n’a pris aucune mesure concrète pour tenter d’empêcher que le requérant soit torturé. Il y a eu des visites consulaires ordinaires mais pas de véritable système.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

13.1Avant d’examiner une plainte contenue dans une communication, le Comité contre la torture doit décider si celle-ci est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

13.2Le Comité rappelle qu’en vertu du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il n’examine aucune communication émanant d’un particulier sans s’être assuré que l’intéressé a épuisé tous les recours internes disponibles; cette règle ne s’applique pas si les procédures de recours excèdent des délais raisonnables ou s’il est peu probable qu’elles donnent satisfaction à la victime présumée d’une violation de la présente Convention. Le Comité note que, le 6 décembre 2010, la Cour fédérale a débouté le requérant et que, le 10 janvier 2011, celui-ci a intenté une nouvelle action devant ladite Cour. Il note également que l’État partie a contesté la recevabilité de la communication pour non-épuisement des recours internes suite à l’introduction d’un recours devant la Cour fédérale par le requérant. Le Comité rappelle sa jurisprudence, selon laquelle le principe de l’épuisement des recours internes requiert du requérant qu’il se prévale de recours qui sont directement en rapport avec le risque d’être soumis à la torture dans le pays où il serait envoyé […]. Dans le cas en l’espèce, la requête a été déposée le 10 janvier 2011 et vise à obtenir réparation pour des mauvais traitements que le requérant aurait subis au Mexique. Le Comité estime que ce recours n’était pas disponible avant l’extradition du requérant et qu’il est peu probable qu’il donne satisfaction au requérant, qui affirme être une victime d’une violation de l’article 3 de la Convention. Le Comité note également que, le 5 juillet 2007, la Cour suprême a refusé d’autoriser le requérant à faire appel de la décision d’extradition. Par conséquent, le Comité considère que, dans les circonstances de l’espèce, les dispositions du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention ne constituent pas un obstacle à la recevabilité de la requête.

13.3Le Comité note que l’État partie a contesté la recevabilité de la communication, au motif que le requérant n’a pas établi l’existence d’une violation à première vue de l’article 3 de la Convention, n’ayant pas prouvé qu’il risquait personnellement, en cas de son extradition, d’être torturé dans les prisons mexicaines, et que les assurances diplomatiques étaient suffisantes pour écarter tout risque. Le Comité prend acte également de l’argument de l’État partie selon lequel le Comité ne devrait pas se substituer aux instances nationales si l’examen des allégations du requérant par l’État partie n’a pas été entaché d’irrégularités. Il est toutefois d’avis que les arguments qui lui ont été présentés soulèvent des questions qui devraient être examinées sur le fond et non pas au regard de la recevabilité. Ne constatant aucun autre obstacle à la recevabilité, le Comité déclare la requête recevable.

Examen sur le fond

14.1Le Comité doit déterminer si l’extradition du requérant vers le Mexique constituerait une violation de l’obligation de l’État partie, en vertu de l’article 3 de la Convention, de ne pas extrader, expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture. En procédant à l’évaluation du risque de torture, le Comité doit tenir compte de tous les éléments pertinents, conformément au paragraphe 2 de l’article 3, y compris de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Toutefois, le but de cette analyse est de déterminer si le requérant risque personnellement d’être soumis à la torture s’il était extradé au Mexique. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante pour conclure que la personne concernée serait en danger d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé serait personnellement en danger. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits humains ne signifie pas qu’une personne ne risque pas d’être soumise à la torture dans sa situation particulière. En ce qui concerne le fardeau de la preuve, le Comité rappelle également son Observation générale ainsi que sa jurisprudence selon laquelle c’est généralement au requérant qu’il incombe de présenter des arguments défendables et que le risque de torture doit être apprécié selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons.

14.2Le Comité note que les arguments du requérant et les preuves fournies pour étayer ceux-ci ont été soulevés devant les différentes instances de l’État partie. À ce propos, il rappelle son Observation générale no 1 (par. 9) selon laquelle il accordera un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie; toutefois, le Comité n’est pas lié par de telles constatations et est, au contraire, habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire. Tout en notant les arguments du requérant selon lesquels les instances de l’État partie se sont basées sur des fausses prémisses en évaluant la qualité des assurances diplomatiques fournies par le Mexique, notamment en ce qui concerne la capacité des autorités mexicaines de contrôler leurs forces de sécurité de façon à réduire le risque de torture, le Comité constate que les éléments dont il dispose ne montrent pas que l’examen par l’État partie des allégations du requérant et preuves fournies par lui ait été entaché d’erreurs manifestes.

14.3En évaluant le risque de torture au moment de l’extradition du requérant, le Comité note que le requérant affirme avoir été torturé lors de son arrestation et menacé de tortures dans l’infirmerie de la prison au Mexique en 1998 et qu’à l’appui de ses allégations il a fourni des rapports médicaux qui attestent qu’il a souffert de problèmes psychiques, notamment de troubles post-traumatiques, ainsi que les résultats d’un test polygraphique effectué par la police de l’État partie attestant que ses allégations de torture étaient plausibles. En ce qui concerne le risque personnel et actuel de torture en cas d’extradition, le Comité note que le requérant a affirmé être grandement en danger d’être torturé étant donné qu’il allait être renvoyé dans la prison d’où il s’était évadé et où il aurait subi des menaces de torture de la part des agents du poste de police qui avaient procédé à son arrestation en 1998. Le requérant conteste la fiabilité des assurances diplomatiques: d’une part, parce qu’elles émanent d’un pays où la torture serait répandue ou dont les autorités nient la pratique et, d’autre part, parce qu’il est improbable que le requérant ne soit pas soumis à un interrogatoire de police pour le crime dont il est accusé. En ce qui concerne le suivi des assurances diplomatiques, le Comité note qu’après son extradition le requérant a formulé des allégations de torture qui sont contestées par l’État partie. Il constate également que les instances nationales de l’État partie ont estimé que le risque de torture en prison couru par le requérant serait minime et que le requérant n’a pas établi qu’il serait interrogé par la police. Le Comité note l’affirmation de l’État partie selon laquelle le risque de torture était atténué par les assurances diplomatiques, dont l’efficacité potentielle a été évaluée compte tenu du fait qu’un mécanisme de suivi du requérant, au moyen de visites régulières du personnel consulaire canadien serait mis en place. Cette affirmation est contestée par le requérant, qui rappelle qu’entre le 17 et le 20 août 2007 l’État partie ne s’est pas enquis de sa sécurité.

14.4Le Comité conclut que la principale question qui se pose est celle de savoir si, au moment de l’extradition, le requérant courait personnellement un risque réel et prévisible d’être soumis à la torture. L’article 3 de la Convention contre la torture fait obligation à l’État saisi d’une demande d’extradition vers un autre État d’une personne relevant de sa juridiction de prendre toutes les mesures nécessaires pour s’assurer que cette personne ne sera pas soumise à la torture. Cette obligation signifie qu’il doit mener une enquête minutieuse et prendre en considération tous les éléments qui donnent raisonnablement à penser qu’il existe un risque personnel, réel et prévisible de torture. Les critères à remplir pour prévenir la torture sont encore plus stricts lorsque l’État requis décide de demander des assurances diplomatiques avant de procéder à l’extradition (ou de commencer toute autre procédure de transfert d’une personne aux autorités d’un autre État), car cette demande traduit une préoccupation quant au traitement qui sera réservé à la personne extradée dans le pays où elle sera renvoyée. Même lorsque les faits n’indiquent pas clairement l’existence d’un risque de torture, les circonstances de la cause peuvent montrer qu’il est raisonnable de douter de la volonté de l’État de s’acquitter de l’obligation de prévenir la torture découlant des articles 1er et 2 de la Convention. En l’espèce, il n’est pas contesté que l’auteur a été torturé par le passé. Dans ces circonstances, le Comité doit déterminer si, en l’espèce, les assurances diplomatiques étaient de nature à écarter tout doute raisonnable quant au risque de torture couru par le requérant. Dans ce contexte, le Comité doit vérifier si les assurances diplomatiques obtenues prévoient une procédure de suivi pour garantir leur efficacité.

14.5Dans la présente affaire, le Comité est d’avis que l’État partie n’a pas tenu compte, avant d’approuver l’extradition, de toutes les circonstances indiquant que le requérant courait un risque prévisible, réel et personnel d’être torturé. Premièrement, l’État partie n’a pas pris en considération le fait que le requérant serait incarcéré dans la prison où un gardien avait été tué pendant son évasion plusieurs années auparavant, sachant que l’extradition était demandée, entre autres, en raison du décès de ce gardien. Deuxièmement, le système des assurances diplomatiques n’a pas été conçu de façon assez minutieuse pour prévenir efficacement la torture. Les autorités diplomatiques et consulaires de l’État partie n’ont pas été dûment informées de l’extradition du requérant et de la nécessité de rester en contact étroit et continu avec lui dès son transfert aux autorités mexicaines. En l’espèce, les assurances diplomatiques et les visites consulaires qui étaient prévues n’ont pas permis d’anticiper le risque élevé d’être soumis à la torture encouru par le requérant pendant les premiers jours de sa détention. Ce risque s’est avéré réel puisque le requérant, qui est arrivé au Mexique le 17 août, a déclaré avoir été par la suite torturé entre le 17 et le 20 août 2007. Or l’État partie n’a pas pris de mesures pour s’assurer de sa sécurité avant le 22 août 2007. Le Comité en conclut donc que l’extradition de l’auteur au Mexique dans ces circonstances a constitué une violation de l’article 3 de la Convention par l’État partie.

14.6Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, est d’avis que l’extradition du requérant au Mexique par l’État partie a constitué une violation des articles 3 et 22 de la Convention.

15.Le Comité demande à l’État partie d’assurer au requérant, conformément aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 14 de la Convention, une réparation effective, notamment sous la forme: a) d’une indemnisation pour la violation de ses droits au titre de l’article 3; b) d’une réadaptation aussi complète que possible par la fourniture de soins médicaux et psychologiques, de services sociaux et d’une aide judiciaire, y compris le remboursement des frais passés, du coût des services futurs et des dépenses de justice; et c) d’une révision du système d’assurances diplomatiques afin d’éviter que des violations similaires ne se reproduisent.

16.Conformément au paragraphe 5 de l’article 118 (ancien article 112) de son règlement intérieur, le Comité souhaite recevoir, dans un délai de quatre-vingt-dix jours, des renseignements sur les mesures que l’État partie aura prises pour donner suite aux présentes constatations, notamment pour réparer la violation de l’article 3 de la Convention et pour déterminer, en consultation avec le Mexique, le lieu où se trouve le requérant et ses conditions de vie.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]