NATIONS UNIES

CAT

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr.GÉNÉRALE

CAT/C/TJK/CO/17 décembre 2006

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURE

Trente‑septième sessionGenève, 6‑24 novembre 2006

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION

Conclusions et recommandations du Comité contre la torture

TADJIKISTAN

1.Le Comité a examiné le rapport initial du Tadjikistan (CAT/C/TJK/1) à ses 726e et 729e séances (CAT/C/SR.726 et 729), tenues les 7 et 8 novembre 2006, et a adopté, à sa 744e séance, tenue le 20 novembre 2006 (CAT/C/SR.744), les conclusions et recommandations suivantes.

A. Introduction

2.Le Comité accueille favorablement le rapport initial du Tadjikistan et les informations utiles qu’il contient, mais il constate que ce rapport est présenté avec 10 ans de retard. Par ailleurs, ce rapport aurait dû porter sur l’ensemble de la période 1995‑2004 et non pas seulement sur la période 2000‑2004.

3.Le Comité sait gré à la délégation de haut niveau des renseignements supplémentaires qu’elle a fournis dans ses observations liminaires et de s’être montrée disposée à répondre à ses questions. Il note toutefois que, faute de temps, un grand nombre des questions posées par le Comité au cours de l’examen du rapport initial sont restées sans réponse.

B. Aspects positifs

4.Le Comité note les mesures positives suivantes:

a)La ratification par l’État partie des principaux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, notamment la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, la Convention relative aux droits de l’enfant et la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille;

b)La ratification d’autres instruments importants qui contribuent à la protection des droits de l’homme, par exemple le Statut de Rome de la Cour pénale internationale et la Convention des Nations Unies contre la corruption;

c)La création de la Commission gouvernementale de surveillance de l’application des engagements internationaux dans le domaine des droits de l’homme et du Département des garanties constitutionnelles des droits civils;

d)Le transfert de la tutelle des établissements pénitentiaires du Ministère de l’intérieur au Ministère de la justice;

e)La décision de se soumettre à la surveillance internationale, par exemple en autorisant la visite, en 2005, du Rapporteur spécial sur l’indépendance des juges et des avocats;

f)L’assurance donnée par le représentant de l’État partie que l’on accorderait l’attention voulue à l’introduction des mandats d’arrêt dans le projet de Code pénal;

g)La politique actuellement suivie consistant à commuer toutes les peines de mort prononcées dans l’État partie;

h)L’adoption de l’article 130 du Code pénal qui qualifie d’infraction pénale la traite des personnes.

C. Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Définition

5.La définition de la torture donnée en droit interne (art. 117, 316 et 354 du Code pénal de 1998) n’est pas pleinement conforme à la définition de l’article premier de la Convention, particulièrement en ce qui concerne les buts de la torture et l’applicabilité de la définition à tous les agents de la fonction publique ou toutes autres personnes agissant à titre officiel.

L’État partie devrait adopter des dispositions législatives internes conformes à l’article premier de la Convention, qui servent tous les buts qui y sont énoncés, et il devrait faire en sorte que les actes de torture commis par des agents de l’État, y compris les faits de tentative, complicité, ordre donné et participation, soient des infractions pénales punissables en proportion de la gravité des crimes commis.

Torture

6.On relève de nombreuses allégations selon lesquelles la torture et les mauvais traitements seraient d’usage courant parmi les responsables de l’application des lois et les enquêteurs, en particulier pour extorquer des aveux sur lesquels s’appuyer dans le cadre de poursuites judiciaires. De plus, on constate l’absence de mesures préventives visant à protéger efficacement tous les membres de la société de la torture et des mauvais traitements.

L’État partie devrait condamner publiquement la pratique de la torture et prendre immédiatement des mesures efficaces pour prévenir tous les actes de torture dans tout le pays en accordant une attention particulière à la prévention de tous actes de ce genre de la part des responsables de l’application des lois et du personnel pénitentiaire.

Détention

7.Le Comité est également préoccupé par:

a)L’absence d’obligation légale d’écrouer les détenus dès leur privation de liberté, notamment avant les formalités d’arrestation et d’inculpation, l’absence de registres d’écrou satisfaisants et l’absence d’examens médicaux périodiques et indépendants;

b)Les nombreuses informations persistantes faisant état d’entraves aux visites de l’avocat, à la conduite d’expertises médicales indépendantes et aux contacts avec les proches dans la période suivant immédiatement l’arrestation, en raison de la législation en vigueur et de la pratique actuelle qui permettent qu’un certain délai s’écoule avant la mise sous écrou et subordonnent l’accès aux détenus à l’autorisation ou à la demande des autorités;

c)Les informations selon lesquelles les restrictions illégales de l’accès aux avocats, aux médecins et à la famille dont se rendent coupables les agents de l’État ne font pas l’objet d’enquêtes et ne sont pas punies comme il se doit;

d)L’absence de garantie fondamentale de supervision judiciaire des détentions, étant donné que le parquet a également la charge d’exercer ce contrôle;

e)Le recours étendu à la détention avant jugement, qui peut durer jusqu’à 15 mois; et

f)Le grand nombre de décès en garde à vue.

Il conviendrait que l’État partie:

a) Prenne des mesures pour garantir que les détenus aient accès dans le plus court délai à un avocat, à un médecin et aux membres de leur famille dès qu’ils sont mis en garde à vue et qu’ils bénéficient d’une aide juridique et d’une expertise médicale indépendante à leur propre demande et non pas seulement à la demande ou sur l’autorisation des autorités;

b) Prenne des mesures pour établir dans chaque lieu de garde à vue des registres d’écrou où figurent les noms de chaque personne détenue, la date et l’heure des notifications faites aux avocats, aux médecins et aux membres de la famille ainsi que les résultats des examens médicaux indépendants. Ces registres devraient être accessibles aux détenus, à leurs avocats et à leurs proches;

c) Envisage la création d’un service sanitaire indépendant des Ministères de l’intérieur et de la justice qui serait chargé d’examiner les détenus à leur arrestation et à leur remise en liberté, systématiquement et à leur demande, seul ou conjointement avec un organisme de médecine légale indépendant et compétent;

d) Prenne des mesures pour raccourcir la période actuelle de détention avant jugement ( doznanie );

e) Garantisse un contrôle judiciaire indépendant − distinct de celui du parquet − de la durée et des conditions de détention avant jugement, notamment celles imposées par le Ministère de la sécurité; et

f) Veille à ce que soient conduites des enquêtes immédiates, impartiales et complètes sur toutes les plaintes concernant des décès en garde à vue et tous les cas constatés, et en communique les résultats aux proches de la personne décédée.

Traite des femmes et des enfants et violence à leur égard

8.Des informations persistantes font état d’une traite des femmes et des enfants, à laquelle participeraient des agents de la force publique, et l’on constate qu’il n’existe aucune information sur les sentences prononcées contre des agents de l’État en vertu des articles 130 et 132 du Code pénal. Le Comité est préoccupé par les allégations persistantes de violence et de sévices à l’égard de femmes et d’enfants, notamment de violences sexuelles.

L’État partie devrait prendre des mesures efficaces pour poursuivre et punir la violence contre les femmes et les enfants ainsi que la traite d’êtres humains, notamment en élaborant et en adoptant des lois appropriées, et en surveillant leur application, ainsi qu’en informant davantage l’opinion publique de ce problème, et en inscrivant cette question au programme de formation des responsables de l’application des lois et d’autres groupes pertinents.

Justice des mineurs

9.L’État partie n’a pas de système de justice des mineurs fonctionnant convenablement, les enfants étant souvent soumis aux mêmes procédures, lois et qualifications d’infraction que les adultes.

L’État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour protéger les mineurs des violations de la Convention, et garantir le bon fonctionnement d’un système de justice des mineurs conforme aux normes internationales.

Indépendance de la magistrature

10.On doit déplorer le peu d’indépendance et d’efficacité de la magistrature dans l’État partie, les juges étant à la fois nommés et mis à pied par le Président, et le parquet ayant non seulement la double responsabilité des poursuites et du contrôle des enquêtes sur les plaintes mais encore le pouvoir d’empêcher l’exécution de décisions de justice.

L’État partie ne devrait pas ménager ses efforts pour:

a) Garantir l’indépendance de la magistrature, en pleine conformité avec les Principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature;

b) Créer un organe pleinement indépendant, extérieur au parquet, qui serait chargé de contrôler le bon déroulement des enquêtes, et aurait compétence pour accueillir des plaintes individuelles et enquêter sur celles ‑ci.

11.La pratique de la Cour constitutionnelle en matière d’examen de la conformité des lois nationales à la Constitution et aux normes internationales en matière de droits de l’homme est limitée.

L’État partie devrait renforcer la Cour constitutionnelle pour veiller à ce que les lois nationales soient conformes à la Constitution et aux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme.

Applicabilité de la Convention

12.Les tribunaux n’invoquent pas directement la Convention au cours des procès en raison du manque de clarté des lois nationales quant au statut de la Convention, et parce que les juges ne sont pas formés à son application directe.

L’État partie devrait prendre toutes les mesures voulues, notamment sur le plan de la législation et de la formation, pour faire en sorte que les juridictions internes de droit commun appliquent directement les normes internationales relatives aux droits de l’homme − et en particulier la Convention − dans les procédures judiciaires, comme le prévoit l’article 10 de la Constitution de l’État partie.

Non ‑refoulement et extradition

13.L’État partie ne donne pas aux personnes en passe d’être expulsées vers des pays où elles courent un risque réel d’être soumises à la torture la possibilité d’avoir accès à des avocats et à des organismes de recours leur permettant d’attaquer la décision d’expulsion.

L’État partie devrait s’acquitter pleinement des obligations qui lui incombent en vertu de l’article 3 de la Convention et coopérer avec les représentants du Haut ‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, en leur donnant notamment un accès effectif aux dossiers des demandeurs d’asile.

Formation

14.Les fonctionnaires ne sont pas formés à l’interdiction de la torture. Le Comité est préoccupé en particulier par l’absence de formation pratique a) des médecins à la détection des indices de torture ou de mauvais traitements de personnes qui ont été ou qui sont en détention; et b) des responsables de l’application des lois et des juges à l’ouverture immédiate d’enquêtes impartiales.

L’État partie devrait faire en sorte que les agents de la force publique, les juges, les médecins et les autres personnes qui participent à la mise en détention, aux interrogatoires, au traitement des détenus ou qui ont d’autres sortes de contact avec eux aient la formation nécessaire en ce qui concerne l’interdiction de la torture. Il devrait également veiller à ce que la procédure de recertification des aptitudes de ces personnels comprenne à la fois une vérification de la connaissance des prescriptions de la Convention et un examen de leur dossier en matière de traitement des détenus.

Interrogatoires

15.Des allégations persistantes et fiables font état d’une utilisation fréquente par les responsables de l’application des lois et les services enquêteurs de méthodes d’interrogatoire interdites par la Convention.

L’État partie devrait veiller à ce que les responsables de l’application des lois n’aient recours en aucune circonstance à des méthodes d’interrogatoire qui constituent un acte de torture ou un mauvais traitement. En outre, l’État partie devrait veiller à ce que les directives et méthodes relatives aux interrogatoires soient pleinement conformes à la Convention.

Inspection systématique de tous les lieux de détention

16.Selon certaines informations, il n’y a pas de contrôle systématique de tous les lieux de détention par des inspecteurs nationaux ou internationaux et l’accès périodique et inopiné à ces lieux n’est pas autorisé.

L’État partie devrait envisager de mettre en place un système national d’inspection de tous les lieux de détention et d’examen des affaires d’allégation de mauvais traitements en détention, en veillant à ce que des inspecteurs nationaux et internationaux aient l’autorisation d’effectuer des visites périodiques, indépendantes, inopinées et sans aucune restriction dans tous les lieux de détention. À cette fin, l’État partie devrait établir des directives et critères administratifs transparents en matière d’accès, et faciliter les visites d’inspecteurs nationaux indépendants et d’autres inspecteurs, par exemple du Comité international de la Croix ‑Rouge, du Haut ‑Commissariat aux droits de l’homme et d’organisations non gouvernementales indépendantes. L’État partie devrait envisager de devenir partie au Protocole facultatif à la Convention.

Impunité

17.Aucun fonctionnaire ou autre agent public n’a manifestement été condamné en vertu de l’article 117 du Code pénal pour faits de torture et mauvais traitements, et très peu ont été reconnus coupables en vertu du droit interne de violations de la Convention, en dépit de nombreuses allégations de torture et de mauvais traitements. Le Comité est préoccupé en outre par le fait que les actes de torture et mauvais traitements commis de 1995 à 1999 ne peuvent faire l’objet de poursuites en raison des lois d’amnistie, ce qui conforte l’impunité des tortionnaires et interdit toute réparation aux victimes.

L’État partie devrait prendre des mesures législatives, administratives et judiciaires efficaces pour veiller à ce que toutes les allégations de torture et de mauvais traitements commis par des agents de l’État fassent l’objet d’enquêtes, de poursuites, et que les coupables soient punis, notamment pour des faits de torture et mauvais traitements ayant eu lieu entre 1995 et 1999. Une de ces mesures pourrait consister à mettre en place un organe indépendant. En cas de présomption de torture, les suspects devraient être suspendus de leurs fonctions ou affectés à d’autres tâches au cours de l’enquête.

Droit de plainte et de réparation

18.Le Comité est préoccupé par:

a)L’absence de textes législatifs appropriés et de mécanisme efficace et indépendant permettant aux victimes d’actes de torture et de mauvais traitements de porter plainte et de faire examiner leur cause immédiatement et impartialement; et

b)L’absence de lois et de mécanismes de protection des témoins, et d’indemnisation des victimes.

L’État partie devrait créer un mécanisme de plainte pleinement indépendant, extérieur au parquet, à l’intention des personnes placées en garde à vue, modifier les lois en vigueur et les lois proposées de façon qu’aucun délai de prescription ne puisse s’appliquer à l’enregistrement de plaintes pour acte de torture, et veiller à ce que toutes les personnes qui signalent des actes de torture ou des mauvais traitements soient protégées comme il convient. L’État partie devrait envisager de créer une institution nationale des droits de l’homme conformément aux Principes de Paris. En outre, l’État partie devrait permettre aux victimes de toutes les formes de torture de déposer plainte et de recevoir des indemnités équitables et suffisantes dans des délais raisonnables, y compris pour ce qui concerne des affaires survenues dans la période 1995 ‑1999.

Utilisation des dépositions faites sous la torture

19.Des juges n’auraient pas prononcé de non‑lieu ni renvoyé des affaires pour complément d’information dans des cas où des aveux auraient été extorqués par la torture, et de nombreuses allégations font état de l’invocation de dépositions obtenues sous la torture comme élément de preuve dans des procédures judiciaires. Cela serait facilité par l’absence de textes législatifs interdisant expressément le recours à des éléments de preuve arrachés par la torture dans les procédures judiciaires.

L’État partie devrait examiner les affaires où des condamnations ont été prononcées sur la seule base d’aveux depuis que le Tadjikistan est devenu partie à la Convention, en considérant que bon nombre de ces condamnations ont pu être fondées sur des éléments de preuve extorqués par la torture ou par des mauvais traitements, et, le cas échéant, ouvrir immédiatement des enquêtes impartiales et prendre des mesures de réparation appropriées. L’État partie devrait fournir au Comité des informations sur toute jurisprudence rendant irrecevables en tant qu’élément de preuve les dépositions obtenues sous la torture. En outre, l’État partie devrait réviser ses lois de manière à interdire l’invocation dans les procès d’éléments de preuve obtenus sous la torture.

Conditions carcérales

20.Des allégations font état de conditions de détention médiocres, en particulier de surpeuplement, de mauvaises conditions d’hygiène, de pénurie de personnel et d’absence de soins médicaux pour les détenus.

L’État partie devrait prendre toutes les mesures qui s’imposent pour améliorer les conditions de détention.

21.Le Comité recommande en outre à l’État partie d’envisager de faire la déclaration prévue aux articles 21 et 22 de la Convention.

22.Le Comité demande à l’État partie de donner dans son prochain rapport périodique des statistiques détaillées sur les affaires de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants signalées aux autorités administratives et sur les enquêtes, poursuites et condamnations pénales et disciplinaires y relatives, en précisant les articles du Code pénal appliqués, en ventilant ces informations par sexe, groupe ethnique, région géographique, type et lieu de privation de liberté, etc., selon le cas. En outre, le Comité demande aussi des informations sur toute indemnité et réhabilitation accordée aux victimes, y compris s’agissant d’affaires survenues entre 1995 et 2000.

23.L’État partie est encouragé à diffuser largement son rapport périodique initial, les comptes rendus analytiques et les conclusions et recommandations, dans les langues appropriées, par le moyen des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

24.Le Comité sait gré à la délégation de l’avoir assuré que des informations écrites lui seraient présentées quant aux questions restées sans réponse, notamment des informations sur la période 1995-1999 et sur l’arrestation de Mahmadruzi Iskandarov.

25.Le Comité demande à l’État partie de lui fournir, dans un délai d’un an, des renseignements sur les suites qu’il aura données à ses recommandations figurant aux paragraphes 7, 16, 17 et 19 ci-dessus.

26.L’État partie est invité à présenter son prochain rapport périodique, qui sera considéré comme son deuxième rapport périodique, le 31 décembre 2008 au plus tard.

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