NATIONS UNIES

CAT

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. GÉNÉRALE

CAT/C/TCD/CO/1 4 juin 2009

Original: FRANÇAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURE Quarante-deuxième session Genève, 27 avril – 15 mai 200 9

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION

O bservations finales du Comité contre la torture

TCHAD

Le Comité contre la torture (« le Comité ») a examiné le rapport i nitial du Tchad (CAT/C/ TCD / 1 ) à ses 870 ème et 873 ème séances, les 29 et 30 avril 200 9 (CAT/C/SR. 870 et 873 ), et a adopté, à sa 888 ème séance, tenue le 12 mai 200 9 (CAT/C/SR. 888 ), les conclusions et recommandations ci-après.

A. Introduction

Le Comité accueille avec satisfaction le rapport du Tchad qui est conforme aux directives générales du Comité pour l’établissement d e rapports initiaux . Le Comité regrette toutefois que le rapport ait été soumis avec 11 ans de retard.

Le Comité prend note avec satisfaction de la franchise avec laquelle l’État partie reconnaît les lacunes de sa législation en matière de prévention et d ’éradication de la torture et plus généralement dans la mise en œuvre de la Convention. Il apprécie l’effort réalisé par l’État partie pour identifier les mesures nécessaires afin d’y remédier. Le Comité se félicite du dialogue constructif engagé avec la délégation de haut niveau envoyée par l’État partie, ainsi que des réponses apportées aux questions posées au cours de ce dialogue.

B. Aspects positifs

Le Comité prend note d’initiatives politiques encourageantes visant à sortir le pays de la crise, notamment la signature de l’Accord de p aix entre le Gouvernement et les principaux group e s d’opposition armés tchadiens , le 25 octobre 2007 , et l’action de normalisation des relations entre le Tchad et le Soudan, telle que prescrite dans l’Accord de Dakar du 13 mars 2008 .

Le Comité se félicite de ce que, conformément à l’article 222 de l a Constitution de 1996, modifiée en 2005, l es instruments internationaux ratifiés par l’ É tat partie, y compris la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« la Convention »), ont une autorité supérieure à celle des lois internes.

Le Comité prend note du projet de révision du Code pénal qui prévo it l’ incorpor ation de dispositions relatives à la définition et à la criminalisation des actes de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Le Comité se félicite de la tenue , en 2003, des états généraux de la justice et note avec satisfaction que le programme de réforme judiciaire approuvé en 2005 retient, parmi les six principaux axes d’intervention , l a formation du personnel judiciaire , la lutte contre la corruption et l’impunité et l’harmonisation de l’arsenal juridique et judiciaire avec les traités de droits de l’homme , notamment la révision du Code pénal et du Code de procédure pénale .

Le Comité salue la promulgation, en 2002, de la loi nº 06/PR/2002 portant «  promotion de la santé de reproduction  » qui énonce le droit à ne pas être soumis à la torture et à des traitements cruels, inhumains ou dégradants sur son corps en général et sur les organes de reproduction en particulier et qui interdit notamment les mutilations génitales féminines, le mariage précoce et les violences domestiques et sexuelles.

Le Comité prend note avec satisfaction de l’introduction de l’enseignement des droits de l’homme et du droit international humanitaire dans les programmes de formation des Écoles de la Police nationale , de la Gendarmerie nationale et des Officiers de l’Armé e ainsi que la création du Centre de référence en droit international humanitaire .

Le Comité se félicite de la signature par l’État partie de l’Accord multilatéral de coopération régionale et l’adoption du Plan d’action régional de lutte contre la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants en 2006.

Le Comité accueille avec satisfaction la ratification par l’État partie des instruments ci-après:

L e Statut de Rome de la Cour pénale internationale , en novembre 2006;

Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, ainsi que le Protocole facultatif concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés , en août 2002;

La Convention nº 138 (1973) de l’ Organisation internationale du travail ( OIT ) concernant l’âge minimum d’admission à l’ emploi, en mars 2005;

La Convention nº 182 (1999) de l’OIT concernant l’interdiction des pires formes de travail des enfants et l’action immédiate en vue de leur élimination , en novembre 2000 .

Le Comité salue l a levée de l’immunité de l’ancien chef de l’État tchadien , Hissène Habré ainsi que l a volonté affichée de l’État partie de coopérer pleinement avec les instances judiciaires responsables de l’instruction et du procès d ’ Hissène Habré .

C . Principaux s ujets de préoccupation et recommandations

Définition de la torture

L e Comité est préoccupé par l’absence de définition explicite de la torture dans le Code pénal en vigueur , rendant les actes de torture passible s de sanctions au regard du droit pénal, conformément aux articles 1 et 4 de la Convention. Tout en accueill ant avec satisfaction l e projet de loi révis ant le Code pénal dans lequel figure une définition de la torture , l e Comité s’inquiète de ce que cette définition n’est pas complète et n’est donc pas entièrement conforme à l’article premier de la Convention (art. 1 et 4).

L’État partie devrait réviser et adopter de toute urgence le projet de loi modifiant et complétant le Code p énal afin d’y intégrer une définition de la torture conforme à l’article premier de la Convention, ainsi que des dispositions érigeant en infraction les actes de torture et les rendant passibles de sanctions pénales proportionnelles à la gravité des actes commis.

État d’exception

Le Comité constate avec préoccupation que le droit pénal tchadien en vigueur ne contient pas de dispositions garantissant le caractère absolu et indérogeable de l’interdiction de la torture et que de nombreux abus, y compris des cas de torture et de disparition forcée reconnus par l’État partie, sont commis lors d’état d’exception (art. 2) .

L’État partie devrait veiller à ce que soit intégré dans sa législation pénale le principe de la prohibition absolue de la torture. L’État partie devrait par ailleurs veiller à la stricte application de celle-ci, conformément au paragraphe 2 de l’ article 2  de la Convention prescrivant qu’aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu'elle soit, qu'il s'agisse de l'état de guerre ou de menace de guerre, d'instabilité politique intérieure ou de tout autre état d'exception, ne peut être invoquée pour justifier la torture.

Devoir d’obéissance

Le Comité relève avec préoccupation que l’article 143 du Code pénal tchadien qui prévoit que toute personne qui aurait agi sur ordre d’un supérieur hiérarchique est exempt e de toute peine n’est pas conforme avec l’obligation découlant du paragraphe 3 de l’article 2 de la Convention (art. 2).

L’État partie devrait modifier sa législation de façon à énoncer explicitement que l’ordre d’un supérieur ou d’une autorité publique ne peut pas être invoqué pour justifier la torture.

Garanties offertes aux détenus

L e Comité constate avec préoccupation que le Code de procédure pénale en vigueur ne consacre pas les garanties juridiques fondamentales au bénéfice des personnes détenues. Le Comité regrette également que le droit à l’aide juridictionnelle pour les personnes démunies , prévu à l’article 47 du Code de procédure pénale , est inexistant dans la pratique . Par ailleurs, le Comité est vivement préoccupé par le fait que le délai de garde à vue fixé à 48 heures n’est pas respecté dans la pratique et par les déficiences de la tenue des registres d’écrou (art.  2 et 11).

L’État partie devrait réviser le Code de procédure pénale tchadien afin d’y faire figurer les garanties juridiques fondamentales au bénéfice de tous les suspects pendant leu r détention qui incluent , notamment , le droit d’avoir accès à un avocat, d’être examiné par un médecin indépendant, de contacter un proche et d’être informé de ses droits dès sa mise en détention, y compris des charges retenues contre soi ainsi que d’être présenté dans les plus brefs délais devant un juge . L’État partie devrait par ailleurs s’assurer de la pleine jouissance de ces droits dans la pratique et il veiller au strict respect du délai de garde à vue et de l’accès à l’aide juridictionnelle pour les personnes démunies . En outre, les autorités devraient tenir à jour de manière systématique et régulière des registres d’écrou où figurent le nom de chaque personne détenue , l’identité des fonctionnaires qui effectuent la mise en détention, la date d’ admission et de sortie du détenu ainsi que tout les autres éléments afférents à la tenue de tels registres.

Caractère généralisé des tortures et mauvais traitements , notamment lors d’opérations militaires

Le Comité est profondément préoccupé par  :

D es informations récurrentes et concomitantes de tortures et mauvais traitements imputés aux forces et services de sécurité de l’État partie en particulier dans les c ommissariats d’arrondissement, les brigades de gendarmerie et les maisons d’arrêt ainsi que par l’impunité apparente dont bénéficient les auteurs de ces actes ;

Des allégations indiquant que l es brigade s nouvellement créées chargée de la protection de l’environnement et la brigade chargée de la fouille des armes se livreraient à des actes contraires à la Convention ;

L es conclusions de la Commission d’enquête sur les événements de février 2008 et d’autres sources, faisant état d’exécutions sommaires et extrajudiciaires, de viols, d’enlèvements suivis de disparitions forcées, de tortures et de traitements cruels, inhumains ou dégradants, d’arrestations arbitraires , d’intimidations et de harcèlements d’opposants politiques, de défenseurs des droits de l’homme et de civils. Le Comité s’inquiète notamment du sort de Ibni Oumar Mahamat Saleh, opposant politique et ancien ministre arrêté le 3 février 2008 et disparu depuis lors;

Des informations indiquant que la torture et les mauvais traitements seraient couramment pratiqués à l’encontre des prisonniers de guerre et d’opposants politiques (art. 2 et 12).

L’ É tat partie devrait  :

Adopter immédiatement des mesures pour garantir dans la pratique que toutes les allégations de torture et de mauvais traitement fassent l’objet d’ enquêtes promptes, impartiales et exhaustives, que les auteurs de ces actes soient jugés et, s’ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines proportionnelles à la gravité des actes commis  ;

Enquêter sur l’implication des agents gouvernementaux , des membres des forces armées et de sécurité gouvernementales et des alliés du Gouvernement dans les actes de torture, viols, disparitions forcées et autres abus commis lors des événements de février 2008;

Enquêter sur les activités de la brigade chargée de la protection de l’environnement et de la brigade chargée de la fouille des armes et assurer un contrôle efficace sur leurs actions futures ;

Mettre en œuvre, dans les plus brefs délais, les recommandations de la Commission d’enquête sur les événements de février 2008 ;

Offrir pleine réparation , y compris une indemnisation équitable et adéquate , aux victimes de ces actes et leur fournir une réadaptation médicale, psychologique et sociale .

Centres secrets de détention

Le Comité prend note de l’interdiction des lieux de détention secrets , mais relève néanmoins avec préoccupation les conclusions du rapport de la Commission d’enquête sur les événements de février 2008 révélant l’existence de lieux occultes de détention tenus par des agents de l’ É tat (art. 2 et 11) .

L’ É tat partie devrait r épertorier et ordonner la fermeture de tous les lieux illégaux de détention , ordonner la mise immédiate sous le contrôle de la justice des personnes qui pourraient encore être détenues en ces lieux et s’assurer qu’elles jouissent de toutes les garanties fondamentales pour prévenir tout acte de torture et de mauvais traitement et les en protéger .

Le Comité prend acte de l’assurance du Gouvernement quant au respect des principes généraux en matière de droits de l’homme par l’Agence n ationale de s écurité (ANS) créé e en 1993 et qui succède à la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS) , police politique q ualifiée de «  machine d’oppression et de supplic e  » par la Commission d’enquête sur les crimes et détournements commis par l’ex-Président Habré . Le Comité note néanmoins avec préoccupation que toutes les activités de l’ANS sont couvertes par le secret défense et ne font dès lors l’objet d’aucun contrôle ni d’aucune évaluation (art. 2 et 11).

Au vue des souvenirs traumatisants laissés par les polices politiques qui ont précédées l’ANS, l’ É tat partie devrait assurer une pleine transparence et exercer un contrôle effectif des activités de cette agence . Le Comité rappelle que les activités de toutes les institutions publiques, y compris l’ANS , nonobstant leur auteur, leur nature ou l’endroit où elles se déroulent, sont des faits de l’ É tat partie, qui engagent pleinement s es responsabilités internationale s .

Violences et sévices sexuels

Le Comité est gravement préoccupé par l’ampleur des violences sexuelles, y compris des viols, à l’égard des femmes et des enfants, en particulier dans les sites de personnes déplacées et les camps de réfugiés et leurs alentours, commis en toute impunité autant par les milices , les groupes et forces armés que par toute autre personne. Le Comité s’inquiète également de ce que les cas de viols sont habituellement réglés à l’amiable et non pas en tant qu’ infraction pénale , au moyen d’indemnités financières sous l’autorité des chefs de tribu et des chefs de village et que les coupables sont rarement traduits en justice (art. 2 et 16) .

L’État partie devrait redoubler d’ efforts pour prévenir , combattre et réprimer l es violences et sévices sexuels commis contre des femmes et des enfants. À cet effet, l’État partie devrait notamment, et en collaboration avec la Mission des Nations Unies en République centrafricaine et au Tchad ( MINURCAT ) et les institutions spécialisée s de l’ONU sur le terrain  :

C onduire de vastes campagnes d’information afin de faire prendre conscience à la population et à toutes les parties au conflit que les violences sexuelles constituent des infractions au regard du droit pénal , et afin de faire tomber les tabous sur les crimes sexuels et éliminer la stigmatisation et l’exclusion qui frappent les victimes et les découragent de porter plainte;

Poursuivre et renforcer le déploiement du Détachement intégré de sécurité (DIS) dans le proche environnement des sites de personnes déplacées et de s camps de réfugiés afin de garantir leur protection , notamment celle des femmes et des enfants , y prévoir un mécanisme de dépôt de plainte simple et accessible à tous , assurer la transmission sys tématiquement et immédiatement des plaintes aux autorités compétentes ainsi que la protection des victimes;

Mettre en place un système de réhabilitation et d’assistance aux victimes;

Modifier la loi nº  06/PR/2002 portant promotion de la santé de reproduction afin d’y inclure des sanctions pour les au teurs des crimes sexuels ou incorporer dans son Code pénal les infractions de violences sexuelles en y prév oy ant de peines proportionnelles à la gravité de s crimes ;

V eiller à ce que les pratiques et le droit coutumier ne soient pas invoqués comme motifs pour justifier une dérogation à l’interdiction absolue de la torture, ainsi que l’a rappelé le Comité dans son o bservation générale no 2 (2007) concernant l’a pplication de l’article 2 par les États parties .

Obligation d’enquêter et droit de porter plainte

Le Comité s’inquiète de ce que le Code de procédure pénale en vigueur ne contient pas de dispositions habilitant les autorités judiciaires à procéder à des enquêtes sur simple présomption d’actes de torture et de mauvais traitements . Le Comité est par ailleurs alarmé des informations communiquées par l’État partie selon lesquelles les plaintes pour torture portées à l’attention du procureur ou du juge d’instruction ne sont souvent pas suivies d’effet (art. 12) .

L’État partie devrait réviser le Code de procédure pénale pour y inclu re des dispositions claires sur l’obligation des autorités compétentes de procéder d’office à  des enquêtes objectives et impartiales de manière systématique, sans plainte préalable de la victime, dans tous les cas où il existe des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été commis.

Impunité

Le Comité se déclare sérieusement préoccupé par  :

l e fait que les allégations crédibles faisant état d’actes de torture et de mauvais traitements font rarement l’objet d’enquêtes et de poursuites et que les auteurs sont rarement condamnés ou, quand ils le sont, sont condamnés à des peines légères qui ne sont pas en rapport avec la gravité de leurs crimes ;

le climat d’impunité qui règne en faveur des auteurs d’actes de torture, notamment des membres des forces armées, de la police, de l’ANS, de l’ex-Direction de la documentation et de la sécurité ( DDS ) et d’autres corps de l’État , en particulier ceux qui occupent des positions élevées, qui auraient planifié, ordonné ou perpétré des actes de torture, notamment au temps du régime d’Hissène Habré ou lors des conflits armés de 2006 et 2008;

le fait que l’instruction judiciaire ouverte depuis octobre 2000 contre les complices présumés d’Hissène Habré n’a toujours pas fait l’objet d’acte de procédure ou de décision judiciaire;

l’absence de mesures visant à assurer la protection du plaignant et des témoins contre tout mauvais traitement ou toute intimidation suivant le dépôt d’une plainte ou une déposition, pratiques qui font qu’un  nombre restreint de plaintes sont déposées pour actes de torture ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants (art. 12 et 13).

L’État partie devrait faire preuve d’un engagement ferme pour éliminer le problème persistant de la torture et de l’impunité . Il devrait :

Condamner publiquement et sans ambiguïté la pratique de la torture sous toutes ses formes, en s’adressant en particulier aux agents des forces de l’ordre, aux forces armées et au personnel pénitentiaire, et en accompagnant ses déclarations d’avertissements clairs quant au fait que toute personne commettant de tels actes, y participant ou en étant complice, sera tenue personnellement responsable devant la loi et soumise à des sanctions pénales;

Adopter immédiatement des mesures pour garantir dans la pratique que toutes les allégations de torture et de mauvais traitements fassent l’objet d’enquêtes rapides, impartiales et efficaces et que les responsables – agents de la force publique et autres – soient poursuivis et sanctionnés. Les enquêtes devraient être menées à bien par un organe pleinement indépendant;

En cas de présomption de cas de torture, les suspects devraient systématiquement être immédiatement suspendus de leurs fonctions pendant la durée de l’enquête, en particulier s’il existe un risque que leur maintien puisse entraver l’enquête;

Veiller dans la pratique à ce que les plaignants et les témoins soient protégés contre tout mauvais traitement et tout acte d’intimidation lié à leur plainte ou à leur témoignage.

Non-refoulement

Le Comité s’inquiète de l’absence de cadre législatif réglementant l’expulsion, le refoulement et l’extradition , conforme aux dispositions de l’ article 3 de la Convention . Par ailleurs, le Comité est particulièrement préoccupé par le fait que les procédures et pratiques actuelles d’expulsion, de refoulement et d’extradition en vigueur dans l’État partie peuvent exposer des personnes aux risques d’être torturées (art. 3) .

L’État partie devrait adopter un cadre législatif pour réglementer l’expulsion, le refoulement et l’extradition et réviser ses procédures et pratiques actuelles en la matière afin de s’acquitter de ses obligation s en vertu de l’article 3 de la Convention .

L’Etat partie devrait également revoir l es termes de la Convention générale de coopération en matière de justice de 1961 et tout autre accord de coopération en matière d’entraide judiciaire de manière à s’assurer que le transfert d’un détenu vers l’ un des États signataires se fasse dans le cadre d’une procédure judiciaire et le strict respect de l’article 3 de la Convention.

Administration de la justice

Le Comité constate avec préoccupation de nombreux d y sfonctionnements dans le système judiciaire tchadien, qui portent atteinte au droit à l’examen immédiat et impartial de sa cause et au droit d’obtenir réparation et indemnisation et qui favorisent l’impunité. Le Comité regrette notamment que les dysfonctionnements mentionnés en 2005 par l’Experte indépendante sur la situation des droits de l’homme au Tchad, à savoir la dépendance du pouvoir judicaire à l’égard du pouvoir exécutif, le manque de ressources humaines et matérielles et le sentiment d’insécurité qui pèse sur certains juge s , sont toujours d’actualité ( E/CN.4/2005/121 , par. 5 ) . Le Comité note avec préoccupation qu’en raison d’un e insuffisance d’effectif de magistrats professionnels, il est conféré aux sous-préfets les pouvoirs des juges de paix. Certaines allégations font par ailleurs état de corruption parmi les juges, les agents du corps de la police et de la gendarmerie et d’un manque de formation du personnel judiciaire . Le Comité est préoccupé par le fait que la nomination et la promotion des juges relève entièrement du Président de la République ce qui compromet l’indépendance du pouvoir judiciaire ( art. 2 , 13 et 1 4 ) .

Pour répondre aux dysfonctionnements de l’administration de la justice, l ’État partie devrait  :

Mettre en œuvre de manière urgente l e Programme de réforme judiciaire approuvé en 2005 et demander l’appui de la Communauté internationale à cet effet;

Assurer une formation appropriée de l’ensemble du personnel de l’appareil judiciaire , remédier à l’insuffisance en nombre de magistrats et assurer autant que possible le déploiement de magistrats professionnels dans toutes les juridictions ;

P oursuiv re et intensifier les efforts de lutte contre la corruption , y compris en adoptant les mesures législatives et autres mesures opérationnelles nécessaires ;

A ssurer la totale indépendance de la magistrature, en conformité avec les normes internationales y afférentes.

Conditions de vie dans les lieux de détention et s urveillance systématique des lieux de détention

Tout en p renant note des projets de l’État partie en vue d’ améliorer la situation carcérale, le Comité demeure profondément préoccupé par les conditions de vie déplorables dans les lieux de détention. Les informations reçues par le Comité font état de surpopulation carcérale , « d’autogestion » des lieux de détention , de corruption, de manque d’hygiène et de nourriture adéquate, d ’insécurité sanitaire , d’absence de soins de santé adaptés et de violation du droit aux visites . Le Comité est préoccupé par d es informations faisant état de l’absence de séparation entre mineurs et adultes, prévenus et condamnés . Il s’inquiète également de ce que la détention préventive prévue dans la loi se rapporte au concept indéterminé de délai « raisonnable » et d’informations selon lesquelles certains prévenus auraient déjà purgés plus que leur peine en maison d’arrêt (art. 11 et 16) .

L’État partie devrait prendre des mesures urgentes afin de conformer les conditions de détention dans les gendarmeries, les commissariats de police et les maisons d’arrêt aux règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus ( résolution 43/173 de l’ Assemblée générale ) et notamment :

R éduire la surpopulation carcérale en envisageant des formes de détention non privatives de liberté et, dans le cas des enfants en conflit avec la loi, veiller à ce que la détention ne soit utilisée qu’en dernier recours;

A mélior er la nourriture et les soins de santé offerts aux détenus;

R éorganis er les prisons de manière à ce que les prévenus soient séparés des condamnés et améliorer l es conditions de détention des mineurs en s’assurant qu’ils sont détenus à l’écart des adultes en toutes circonstances;

Diminuer le nombre et la durée d’incarcération des prévenus, notamment en a mend ant le Code de procédure pénale afin de fixer une durée maximale de détention préventive ;

Prendre les mesures appropriées afin de mettre un terme définitif aux allégations d’actes de corruption et de rançonnement dans les prisons;

R enforce r le contrôle judiciaire des conditions de détention.

Le Comité note avec satisfaction que certaines organisations non gouvernementales (ONG) bénéficient d’une autorisation permanente de visite à la maison d’arrêt de N’Djaména , mais regrette que cet accès ne soit pas accordé pour tous les lieux de détention et qu’il consiste en des visites guidées et annoncées sans possibilité de communiquer avec les détenus. Le Comité note le mandat conféré à la Commission n ationale des d roits de l’ h omme relatif à la surveillance des lieux de détention , mais regrette que cette c ommission ne soit pas en mesure d’ accomplir sa mission (art. 11) .

L’État partie devrait prendre toutes les mesures appropriées afin d’octroyer aux ONG la possibilité d’effectuer des visites régulières, indépendantes, inopinées et illimitées dans les lieux de détention . L’État partie devrait également donner tous les moyens humains et financiers nécessaires à la Commission nationale des droits de l’homme pour lui permettre de mener à bien son mandat .

Commission nationale des droits de l’homme

Le Comité note avec préoccupation que la Commission nationale des droits de l’homme n e soit plus fonctionnelle en raison notamment de l’insuffisance de s es ressources humaines et financières . Le Comité regrette aussi que la Commission ne soit pas conforme aux principes de Paris de part sa composition, son manque d’indépendance et de pluralisme (art. 2, 11 et 13) .

L’État partie devrait de toute urgence prendre les mesures structurelles et budgétaires nécessaires en vue de rendre la Commission nationale des droits de l’homme opérationnelle et conforme aux principes de Paris ( résolution 48/134 de l’Assemblée générale, annexe) .

Réparation et indemnisation

Le Comité regrette que l’Assemblée n ationale n’ait pas à ce jour donné suite à la proposition de projet de loi présentée en 2005 par l’Association des Victimes des Crimes et Répressions Politiques (AVCRP) recommandant la mise en place d'un Fonds d'indemnisation pour les victimes des exactions du régime d’Hissène Habré. Le Comité note par ailleurs l’absence de programme de réparation ou d’autres mesures de réconciliation nationale tel que préconisé , dès 1992 , par la Commission d’ enquête sur les crimes et détournements de l'ex-Président Habré et de ses complices (art. 14).

L’État partie devrait adopter de toute urgence le projet de loi portant réparation matérielle des victimes de torture sous le régime d’Hissène Habré et établir des mécanismes appropriés permettant de répondre aux besoins légitimes de justice des victimes et promouvant la réconciliation nationale.

Aveux sous la contrainte

Le Comité est préoccupé par l’absence de dispositions légales interdisant explicitement d’invoquer les aveux et déclarations obtenus sous la torture comme élément de preuve dans une procédure judiciaire. Il est alarmé par l es informations de l’État partie indiquant que les aveux obtenus sous la torture sont utilisés en tant qu’éléments de preuve dans les procès et que ces pratiques persistent en raison de l’impunité des coupables et des pressions exercées sur les juges (art. 15).

L’État partie devrait amender le Code de procédure pénale afin d’y interdire explicitement la possibilité d’invoquer comme un élément de preuve dans une procédure judiciaire toute déclaration obtenue par la torture .

L’État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour garantir que les condamnations pénales ne soient pas prononcées uniquement sur la foi d’ aveux de l’inculpé mais également sur d’autres éléments de preuves légalement obtenus permettant ainsi au juge d’ exercer pleinement son pouvoir d’appréciation. Il devrait également prendre les mesures idoines pour garantir que les déclarations qui ont été faites sous la torture ne soient pas invoquées comme un élément de preuve dans une procédure, si ce n’est contre la personne accusée de torture, conformément aux dispositions de la Convention.

L’État partie est engagé à passer en revue les condamnations pénales prononcées exclusivement sur la foi d’aveux afin d’identifier les cas de condamnation irrégulière fondée sur des aveux obtenus par la torture ou des mauvais traitements et à prendre des mesures correctives appropriées.

Violence à l’égard des femmes

Tout en accueillant favorablement la promulgation de la loi n º 0 6/PR/2002 visant à éradiquer les mutilations génitales féminines , dont la forme la plus grave (infibulation) est pratiquée dans l’est du Tchad, les violences domestiques et sexuelles et les mariages précoces , le Comité demeure préoccupé par l’étendue des pratiques traditionnelle s violant l’intégrité physiques et la dignité humaines des femmes et des jeunes filles. Le Comité note également avec préoccupation que la loi n º 0 6/PR/2002 ne prévoit pas de sanctions pour les auteurs des crimes et que le décret donnant effet à cette législa tion n’a pas encore été élaboré (art.16).

L’État partie devrait poursuivre les campagnes de sensibilisation et mettre en œuvre les mesures législatives existantes pour lutter contre les pratiques traditionnelles constitutives de traitements cruels, inhumains ou dégradants à l’égard des femmes et des jeunes filles . L’État partie devrait amender la loi nº 0 6/PR/2002 afin d’y prévoir des sanctions appropriées à la gravité des sévices , élaborer au plus vite un décret donnant effet à cette loi, et traduire les responsables en justice.

Protection des enfants contre les traitements cruels, inhumains ou dégradants

Prenant note des efforts de l’État partie , notamment en matière législative, en vue d’ éradiquer les mauvais traitements de l’enfant et , en particulier , l’exploitation économique , le Comité demeure alarmé par la persistance de ces pratiques et regrette le manque d ’information s sur l eur ampleur (art. 2, 12 et 16) .

L’État partie devrait prendre des mesures efficaces pour combattre et éradiquer l ’exploitation des enfants et leur avilissement et assurer leur protection, en particulier la protection des groupes les plus vulnérables, notamment les « enfants bouviers », les « m ouh adji ri nes » et les domestiques de maison .

Tout en notant que la législation de l’État partie interdit les châtiments corporels dans les écoles, le Comité demeure préoccupé par l’absence d’une législation les interdisant dans la famille , dans les institutions de remplacement et en tant que mesure disciplinaire dans les établissements pénitentiaires. Le Comité est également préoccupé par le recours fréquent à cette pratique dans l’éducation , en particulier dans les écoles coraniques (art. 16) .

L’État partie devrait  élargir la législation interdisant les châtiments corporels afin qu’elle s’applique notamment au sein de la famille, dans les établissements religieux, les établissements de remplacement et les lieux de détention pour mineurs. L’État partie devrait veiller à ce que la législation interdisant les châtiments corporels soit strictement appliquée et mener des campagnes de sensibilisation et d’éducation en ce sens.

Le Comité est préoccupé par les informations faisant état d’enlèvements d’enfants par des trafiquants et de leur transfert à l’étranger . Il s’inquiète également des informations de l’État partie indiquant une généralisation du trafic d’enfants. Il regrette l’absence d ’informations ou de statistiques sur ces phénomènes et sur les poursuites et condamnations y relatives (art.16) .

L ’État partie devrait prendre toutes les mesures possibles pour protéger les enfants de la traite et faire en sorte que les trafiquants soient traduits en justice sans délai.

Enfants soldats

Le Comité accueill e favorablement la signature par l’État partie en avril 2007 avec l e Fonds des Nations Unies pour l’enfance ( UNICEF ) d’un protocole d’accord visant à libérer et réintégrer durablement tous les enfants enrôlés dans des groupes armés au Tchad . L e Comité demeure néanmoins vivement préoccupé par la persistance et, selon certaines allégations , la recrudescence de l’enrôlement d’enfants dans les rangs de toutes les parties au conflit, en particulier dans les sites de personnes déplacées et les camps de réfugiés . Le Comité regrette également que seul un nombre limité d’enfant s a i en t été démobilisé s depuis la signature de l’accord avec l’UNICEF, dont très peu d’enfants associés aux forces armées tchadiennes (art. 16).

L’État partie devrait  :

Élaborer , avec l’appui des Nations Unies et de la société civile, un plan d’action assorti de délais précis pour prévenir le recrutement illicite d’enfants et assurer leur réadaptation et leur réinsertion sociale, comprenant des procédures transparentes pour la libération et la vérification de la démobilisation des enfants enrôlés dans les groupes armés actifs sur le territoire tchadien;

Ériger en infraction le recrutement et l’utilisation illicites d’enfants dans les conflits armés;

Enquêter et poursuivre les responsables de recrutement d’enfants afin de mettre un terme à l’impunité ;

Entreprendre une campagne d’information afin que tous les membres des forces armées soient conscients des obligations internationales du Tchad de prévenir l’utilisation et le recrutement des enfants dans les conflits armés ;

Autoriser la vérification de la présence des enfants dans les camps militaires, les centres d’instruction et les centres de détention par des équipes dirigées par les Nations Unies, comme accepté par l’État partie en mai 2008 lors de la visite de la Représentante spéciale des Nations Unies pour les enfants dans les conflits armés;

Assurer le caractère civil et humanitaire des camps de réfugiés et des regroupements de personnes déplacées, y a ccroître la sécurité et la protection des populations civiles à l’intérieur et aux alentours, sachant que de telles mesures contribuent à la prévention du recrutement d’enfants et à leur protection .

Formation sur l’interdiction de la torture

Prenant note des efforts considérables fournis par l’État partie en matière de formation des agents de l’État en droits de l’homme, le Comité s’inquiète de ce que l’information, l’éducation et la formation du personnel de maintien de l’ordre et des établissements pénitentiaires, de l’armée , des juges et des procureurs ne sont pas suffisantes et ne portent pas sur toutes les dispositions de la Convention, particulièrement sur le caractère absolu de l’interdiction de la torture et la prévention des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le Comité note aussi avec préoccupation que le personnel médical exerçant dans les centres de détention ne reçoit pas de formation spécifique pour détecter les signes de torture ou de mauvais traitements . (art. 10)

L’État partie devrait renforcer les programmes de formation destinés à l’ensemble du personnel chargé de l’application des lois et des forces armées concernant l’interdiction absolue de la torture et d’autres mauvais traitements, ainsi que les formations à l’intention des procureurs et des juges concernant les obligations contractées par l’État partie en vertu de la Convention. Il s’agirait notamment d’une formation sur l’irrecevabilité des aveux et dépositions obtenus sous la torture.

L’État partie devrait faire en sorte que tout le personnel médical qui s’occupe des détenus reçoive une formation adéquate pour détecter les signes de torture ou de mauvais traitements conformément aux normes internationales, telles qu’elles sont énoncées dans le Protocole d’Istanb ul (Manu el pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants) .

Le Comité prend note de l’ acceptation, par l’État partie, de la recommandation formulée lors de l’Examen périodique universel de ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et de mettre en place un mécanisme national de prévention (A/HRC/WG.6/5/L.4, par.2) et l’ encourage à prendre toutes les mesures nécessaires à cette fin.

Le Comité recommande au Tchad de faire les déclarations aux articles 21 et 22 de la Convention.

Le Comité encourage l’État partie à impliquer les ONG , les experts des Nations Unies sur le terrain et les experts académiques dans la révision de la législation nationale, notamment celle d u projet de Code pénal afin d ’en assurer la conformité avec les dispositions de la Convention. L’État partie devrait prendre les mesures nécessaires en vue d’adopter ce projet de texte sans délai.

L e Comité encourage l’État partie à poursuivre sa coopération avec la MINURCAT et à solliciter la coopération technique du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme dans les zones non couvertes par le mandat de la MINURCAT, pour mettre en œuvre les recommandations du Comité , et notamment celles formulées aux paragraphes 27 et 3 5 , et entamer les réformes nécessaires à la consolidation de l’ é tat de droit.

L’État partie devrait instaurer des mécanismes efficaces pour collecter des données et créer des statistiques pénales et de criminologie ainsi que toutes statistiques pertinentes au suivi de la mise en œuvre de la Convention au niveau national. L’État partie devra ainsi faire figurer dans son prochain rapport périodique les données suivantes qui permettront au Comité de mieux apprécier la mise en œuvre des obligations qui lui incombent au titre de la Convention :

Des statistiques sur la capacité d’accueil et la population de chaque prison sur le territoire du Tchad , y compris une ventilation, par sexe, par tranche d’âge (adulte / mineur), le nombre de détenus préventifs;

Des statistiques sur les violences dans les centres de détention, les commissariats de police et les locaux de gendarmerie;

Des statistiques sur les plaintes d’allégations de torture et les suites données;

Des statistiques sur les cas de corruption des agents chargés de l’application de la loi et sur les sanctions à leur égard;

Des statistiques sur les cas d’extradition, d’expulsion ou de refoulement ;

Des statistiques sur les violences à l’égard des femmes et des enfants et les résultats des poursuites initiées.

L’État partie est encouragé à diffuser largement les rapports présentés par le Tchad au Comité, ainsi que les observations finales de celui-ci, dans les langues appropriées et par tous les moyens adéquats, notamment par le biais des médias et des ONG .

Le Comité invite l’État partie à mettre à jour son document de base ( HRI/CORE/1/Add.88 ) en suivant les directives harmonisées pour l’établissement de rapports, approuvées récemment par les organes de suivi des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme (HRI/GEN/2/Rev. 5) .

Le Comité demande à l’État partie de lui fournir, dans un délai d’un an, des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations du Comité formulées aux paragraphes 13, 17, 22 , 24 , 28 et 34 qui précèdent.

Le Comité demande à l’État partie de présenter son deuxième rapport périodique le  15 mai 2013 au plus tard.

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