NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/90/D/1296/20047 août 2007

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre‑vingt‑dixième session9‑27 juillet 2007

CONSTATATIONS

Communication n o  1296/2004

Présentée par:

Aleksander Belyatsky et consorts (non représentés par un conseil)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

8 avril 2004 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 2 juillet 2004 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

24 juillet 2007

Objet: Dissolution d’une association de défense des droits de l’homme sur décision des autorités judiciaires de l’État partie

Questions de fond: Égalité devant la loi; interdiction de la discrimination; droit à la liberté d’association; restrictions légitimes; droit à ce que les contestations portant sur les droits et obligations de caractère civil soient tranchées par un tribunal compétent, indépendant et impartial

Questions de procédure: Griefs non étayés

Articles du Pacte: 14 (par. 1), 22 (par. 1 et 2), 26

Article du Protocole facultatif: 2

Le 24 juillet 2004, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci‑après en tant que constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif concernant la communication no1296/2004.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre ‑vingt ‑dixième session

concernant la

Communication n o 1296/2004**

Présentée par:

Aleksander Belyatsky et consorts(non représentés par un conseil)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

8 avril 2004 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 24 juillet 2007,

Ayant achevé l’examen de la communication no1296/2004 présentée par Aleksander Belyatsky en son nom propre et au nom de 10 autres particuliers en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est Aleksander Belyatsky, de nationalité bélarussienne, né en 1962 et habitant à Minsk (Bélarus). La communication est présentée en son nom propre et au nom de 10 autres Bélarussiens, tous membres d’une association publique non gouvernementale appelée «Centre pour les droits de l’homme “Viasna”» (ci‑après «Viasna») et habitant au Bélarus. L’auteur joint une procuration signée des 10 coauteurs. L’auteur affirme qu’ils sont victimes de violations par le Bélarus du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, des paragraphes 1 et 2 de l’article 22 et de l’article 26. Il n’est pas représenté par un conseil.

Exposé des faits

2.1L’auteur est le Président du Conseil d’administration de «Viasna», association non gouvernementale enregistrée auprès du Ministère de la justice le 15 juin 1999. Au mois d’octobre 2003, elle comptait plus de 150 membres au Bélarus, 4 antennes régionales et 2 antennes municipales enregistrées. Ses activités consistaient notamment à suivre la situation des droits de l’homme au Bélarus et à établir des rapports indépendants sur les droits de l’homme au Bélarus, qui ont été utilisés et cités par les organes conventionnels des Nations Unies. «Viasna» a surveillé les élections présidentielles de 2001 en chargeant environ 2 000 observateurs de surveiller le déroulement du scrutin, ainsi que les élections municipales de 2003. Elle a également organisé des manifestations et des marches de protestation sur plusieurs questions relatives aux droits de l’homme. «Viasna» a souvent été la cible de persécutions de la part des autorités, qui se sont traduites notamment par la détention administrative de ses membres et par des fouilles, prévues et inopinées, des locaux de l’association et un contrôle de ses activités par le Ministère de la justice et l’administration fiscale.

2.2En 2003, le Ministère de la justice a ordonné une enquête sur les activités statutaires des antennes de «Viasna» et, le 2 septembre 2003, il a engagé une action auprès de la Cour suprême du Bélarus demandant la dissolution de l’association au motif de plusieurs infractions que celle‑ci aurait commises. L’action a été engagée sur le fondement de l’article 29 de la loi relative aux associations publiques et du paragraphe 2‑2 de l’article 57 du Code de procédure civile. Le Centre «Viasna» était accusé: d’avoir présenté des documents portant de fausses signatures de membres pour accompagner sa demande d’enregistrement, en 1999; d’avoir ouvert l’antenne de Mogilev avec 8 membres seulement au lieu des 10 membres fondateurs requis pour l’enregistrement; de ne pas avoir acquitté les cotisations de membres prévues par ses statuts et de ne pas avoir établi d’antenne à Minsk; d’avoir agidevant la Cour suprême en tant que défenseur public des droits et libertés de citoyens qui ne sont pas membres de «Viasna», en infraction à l’article 72 du Code de procédure civile, à l’article 22 de la loi sur les associations publiques et à ses propres statuts; d’avoir enfreint les lois électorales pendant la surveillance des élections présidentielles de 2001.

2.3Le 10 septembre 2003, la Cour suprême a ouvert une instruction civile contre «Viasna» suite à l’action engagée par le Ministère de la justice. Le 28 octobre 2003, en audience publique, un juge de la Cour suprême a confirmé le chef de violation des lois électorales mais a rejeté tous les autres chefs et a ordonné la dissolution de «Viasna». En ce qui concerne les violations de la loi électorale, la Cour suprême a conclu que «Viasna» n’avait pas respecté la procédure consistant à envoyer ses observateurs aux réunions de la commission électorale et dans les bureaux de vote. Les paragraphes pertinents de l’arrêt de la Cour suprême en date du 28 octobre 2003 se lisent comme suit:

«Ainsi, l’association envoyait des formulaires vierges tirés des minutes des réunions de la Commission (Rada) tenues le 18 juin, le 1er et le 22 juillet et le 5 août 2001 aux régions de Mogilev et de Brest. Ensuite, ces formulaires étaient remplis arbitrairement avec les noms de citoyens à l’égard desquels aucune décision de les envoyer observer les élections n’avait été prise, et qui n’étaient pas membres de l’association.

Dans le district de Postav, un des membres de l’association avait offert de rétribuer les citoyens, qui n’étaient pas membres de “Viasna” ni d’une autre association publique, pour faire office d’observateurs dans les bureaux de vote, et avait rempli en leur présence les formulaires tirés des minutes des réunions de la Commission.

Des violations de la loi analogues s’étaient produites pour l’envoi d’observateurs de l’association dans les bureaux de vote nos 30 et 46 du district de Novogrudok.».

La Cour a conclu que les violations des lois électorales étaient suffisamment «flagrantes» pour justifier l’application du paragraphe 2 de l’article 57 du Code de procédure civile. Cette conclusion était corroborée par un avertissement écrit adressé par le Ministère de la justice au Conseil d’administration de «Viasna», en date du 28 août 2001, et sur une décision de la Commission électorale centrale sur les élections et la conduite des référendums républicains (ci‑après Commission électorale) rendue le 8 septembre 2001. La décision de la Commission électorale avait fait suite aux contrôles effectués par le Ministère de la justice et le parquet du Bélarus.

2.4La décision de la Cour suprême est devenue exécutoire dès qu’elle a été prise. En droit bélarussien, les décisions de la Cour suprême sont définitives et ne sont pas susceptibles de recours. Elles ne peuvent être révisées que par une procédure de contrôle juridictionnel et ne peuvent être annulées que par le Président de la Cour suprême ou le Procureur général du Bélarus. Les représentants de «Viasna» ont déposé auprès du Président de la Cour suprême une demande de contrôle juridictionnel de la décision de la Cour suprême du 28 octobre 2003, demande qui a été rejetée en date du 24 décembre 2003. Il n’existe pas d’autre recours interne ouvert pour contester la décision de dissoudre «Viasna»; la législation bélarussienne interdit les activités des associations qui ne sont pas enregistrées au Bélarus.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur fait valoir que la décision de dissoudre «Viasna» constitue une violation du droit consacré au paragraphe 1 de l’article 22 du Pacte. Il affirme que les restrictions imposées à l’exercice de ce droit par l’État partie ne répondent pas aux critères énoncés au paragraphe 2 de l’article 22, qui prévoit une restriction nécessaire pour protéger la sécurité nationale, la sûreté publique, l’ordre public ou la santé ou la moralité publiques ou les droits et les libertés d’autrui.

3.2L’auteur fait valoir que les coauteurs et lui‑même ont subi une violation du droit à l’égalité devant les tribunaux et du droit à ce que des contestations de caractère civil soient examinées par un tribunal (par. 1 de l’article 14 du Pacte).

3.3L’auteur fait valoir que les autorités de l’État partie ont violé le droit à une égale protection de la loi contre la discrimination (art. 26) au motif de l’opinion politique.

3.4L’auteur conteste en outre l’application qui a été faite du paragraphe 2 de l’article 57 du Code de procédure civile (voir par. 2.3) pour dissoudre «Viasna». En vertu du paragraphe 3 de l’article 117 du Code, le régime applicable aux associations publiques en ce qui concerne leur participation à des relations civiles est soumis à une lex specialis. Par conséquent, ce qu’il faut entendre par «perpétration répétée de violations flagrantes de la loi», qui est le motif pour lequel une association peut être dissoute sur ordre de la justice prévu à l’article 57 du Code de procédure civile, doit être défini en fonction de cette lex specialis. En vertu de la loi sur les associations publiques, une association peut être dissoute par décision de justice si elle entreprend de nouveau, dans un délai d’un an, des activités pour lesquelles elle a déjà reçu un avertissement écrit. En vertu de cette loi et d’autres textes particuliers, la liste des violations flagrantes de la loi perpétrées de façon répétée est la suivante: 1) activités visant à renverser ou à changer par la force l’ordre constitutionnel; atteinte à l’intégrité ou à la sécurité de l’État; propagande en faveur de la guerre, violence; incitation à la haine nationale, religieuse ou raciale et activités pouvant porter atteinte à la santé et à la morale publiques; 2) une seule violation de la loi sur les manifestations dans les cas expressément définis par la loi; 3) violation des prescriptions du paragraphe 4‑1, 2 et 3 du décret présidentiel relatif à «la réception et l’utilisation de l’aide gratuite» daté du 28 novembre 2003. D’après l’auteur, les activités de «Viasna» n’entrent dans aucune de ces catégories. De plus, en s’appuyant sur l’avertissement écrit du 28 août 2001 et sur la décision de la Commission électorale centrale du 8 septembre 2001 pour ordonner, dans sa décision du 28 octobre 2003, la dissolution de «Viasna», la Cour suprême a en fait pénalisé l’association deux fois pour des actes identiques: la première fois avec l’avertissement du Ministère de la justice et la deuxième fois avec la dissolution prononcée par la Cour suprême. L’auteur conclut que la dissolution de «Viasna» est une décision illégale, prise pour des motifs politiques.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Dans une note datée du 5 janvier 2005, l’État partie rappelle la chronologie des faits de l’affaire. Il souligne que la décision de dissoudre «Viasna» a été prise sur le fondement du paragraphe 2 de l’article 57 du Code de procédure civile. Il réfute l’argument de l’auteur qui affirme que l’association a été pénalisée deux fois pour les mêmes actes, signalant que le Ministre de la justice a envoyé l’avertissement écrit du 28 août 2001 à cause d’une violation par «Viasna» des règles de tenue des livres et non à cause de la violation des lois électorales. Pour l’État partie, la falsification des signatures et la violation des statuts de l’association ont été découvertes à l’occasion de la réinscription de l’association.

4.2L’État partie ajoute que le grief de violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte n’est pas étayé par le dossier de l’affaire civile. L’affaire a été examinée en audience publique qui, à la demande du représentant de «Viasna», s’est déroulée en bélarussien; un enregistrement audio et vidéo a été réalisé. L’audience s’est déroulée dans le strict respect du principe de l’égalité de moyens garanti par l’article 19 du Code de procédure civile, comme le montre le fait que la Cour suprême n’ait pas confirmé tous les chefs d’accusation avancés dans son action par le Ministère de la justice. Pour l’État partie, la dissolution de «Viasna» a été ordonnée sur la base d’une analyse approfondie et complète des preuves produites par les deux parties et la décision était conforme à la procédure légale en vigueur au Bélarus à cette époque.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans une note du 19 janvier 2005, l’auteur fait valoir que la référence par la Cour suprême et par l’État partie au paragraphe 2 de l’article 57 du Code de procédure civile est contraire aux dispositions du paragraphe 3 de l’article 117 du même Code (voir plus haut par. 3.4). En l’absence d’une définition de ce que l’on entend par la «perpétration répétée de violations flagrantes de la loi», expression utilisée à l’article 57 du Code de procédure civile, les tribunaux ont toute latitude pour se prononcer sur cette question en fonction des circonstances de l’espèce. Dans l’affaire «Viasna», la Cour suprême a conclu que la violation des lois électorales qui se serait produite dans le cadre de l’observation des élections présidentielles de 2001 était suffisamment «flagrante» pour justifier la dissolution de «Viasna» deux ans plus tard. L’auteur réaffirme que cette décision a été dictée par des motifs politiques et qu’elle est directement liée aux activités publiques et en faveur des droits de l’homme de «Viasna».

5.2L’auteur réfute l’argument de l’État partie qui avance que l’avertissement écrit a été adressé par le Ministère de la justice en raison d’une violation par «Viasna» des règles de tenue des livres et non à cause d’une violation des lois électorales. Il rappelle la décision de la Commission électorale centrale, en date du 8 septembre 2001, qui a déclaré explicitement que les fonctionnaires du Ministère de la justice et du parquet du Bélarus avaient contrôlé la façon dont «Viasna» avait respecté la loi quand elle avait envoyé des observateurs. L’avertissement écrit du Ministère de la justice a par la suite été utilisé pour servir de fondement à la décision du 8 septembre 2001 de la Commission électorale centrale. La dissolution ordonnée par la Cour suprême le 28 octobre 2003 a été décidée sur la base des faits pour lesquels le Ministère de la justice avait adressé l’avertissement écrit.

5.3L’auteur réfute l’argument de l’État partie qui affirme que la falsification des signatures des membres a été découverte à l’occasion de la réinscription de l’association. En tant qu’association publique enregistrée le 15 juin 1999, «Viasna» n’a pas eu à se réenregistrer. Dans sa décision du 28 octobre 2003, la Cour suprême a explicitement indiqué qu’elle n’avait été saisie d’aucun élément prouvant que la demande d’enregistrement de «Viasna» faite en 1999 comportait de fausses signatures de membres. L’auteur ajoute que la Cour suprême n’a confirmé aucun des autres chefs avancés dans l’action civile engagée par le Ministère de la justice, à l’exception de celui qui concernait la violation du paragraphe 2 de l’article 57 du Code de procédure civile.

5.4Dans une note du 5 octobre 2006, l’auteur ajoute que, depuis la dissolution de «Viasna», l’État partie a introduit de nouvelles dispositions législatives qui portent atteinte à l’exercice du droit à la liberté d’expression et du droit de réunion et d’association pacifiques et qui représentent un risque très grave pour l’existence d’une société civile indépendante au Bélarus. Il s’agit notamment de modifications au Code pénal, signées par le Président le 13 décembre 2005 et en vigueur depuis le 20 décembre 2005, qui prévoient des sanctions pénales en cas d’activités menées par une association ou une fondation suspendue ou dissoute. Le nouvel article 193, paragraphe 1, du Code pénal dispose que quiconque organise des activités dans le cadre d’une association suspendue, dissoute ou non enregistrée encourt une amende, une détention pouvant aller jusqu’à six mois ou une peine «restrictive de liberté» pouvant aller jusqu’à deux ans. En 2006, quatre membres d’une association non gouvernementale, «Partenariat», ont ainsi été condamnés à diverses peines d’emprisonnement en application du paragraphe 1 de l’article 193. L’auteur demande au Comité d’examiner sa plainte au regard du paragraphe 1 de l’article 22 du Pacte, compte tenu de cette nouvelle législation qui criminalise les activités d’associations non enregistrées au Bélarus.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement et il note que l’État partie n’a pas contesté que les recours internes aient été épuisés.

6.3En ce qui concerne l’allégation de violation du paragraphe 1 de l’article 14 et de l’article 26 du Pacte, l’auteur n’ayant pas pu exercer le droit à l’égalité devant les tribunaux, le droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal compétent, indépendant et impartial et le droit à l’égale protection de la loi contre la discrimination, le Comité estime que ces griefs n’ont pas été suffisamment étayés, aux fins de la recevabilité. Ils sont donc irrecevables, en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.4Le Comité estime que l’autre grief de l’auteur, au titre de l’article 22 du Pacte, est suffisamment étayé et le déclare donc recevable.

Examen au fond

7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2Le Comité doit déterminer si la dissolution de «Viasna» constitue une violation du droit à la liberté d’association de l’auteur et des coauteurs. Il relève que, d’après les renseignements donnés par l’auteur, que l’État partie n’a pas contestés, «Viasna» a été enregistrée par le Ministère de la justice le 15 juin 1999 et a été dissoute sur ordre de la Cour suprême du Bélarus le 28 octobre 2003. Il rappelle que la loi bélarussienne interdit les activités d’associations non enregistrées au Bélarus et érige en infraction pénale l’activité de membres de ces associations à titre individuel. À ce propos, le Comité fait observer que le droit à la liberté d’association ne comprend pas uniquement le droit de créer une association mais garantit aussi le droit de cette association d’accomplir librement les activités pour lesquelles elle a été créée. La protection conférée par l’article 22 du Pacte s’étend à toutes les activités d’une association et la dissolution d’une association doit satisfaire aux critères énoncés au paragraphe 2 de l’article. Compte tenu des conséquences graves qui en découlent en l’espèce pour l’auteur, les coauteurs et leur association, le Comité conclut que la dissolution de «Viasna» constitue une atteinte à la liberté d’association.

7.3Le Comité relève que conformément au paragraphe 2 de l’article 22 du Pacte, pour être justifiée, toute restriction à la liberté d’association doit satisfaire cumulativement aux conditions suivantes: a) elle doit être prévue par la loi; b) elle ne peut viser que l’un des buts énoncés au paragraphe 2; c) elle doit être «nécessaire dans une société démocratique» pour la réalisation de l’un de ces buts. La référence à une «société démocratique» indique, de l’avis du Comité, que l’existence et le fonctionnement d’associations, y compris celles qui défendent pacifiquement des idées qui ne sont pas nécessairement accueillies favorablement par le gouvernement ou la majorité de la population, sont un des piliers d’une société démocratique. Le simple fait qu’il existe des justifications raisonnables et objectives pour limiter le droit à la liberté d’association ne suffit pas. L’État partie doit montrer de plus que l’interdiction d’une association est nécessaire pour écarter un danger réel, et non un danger seulement hypothétique, pour la sécurité ou l’ordre démocratique, et que des mesures moins draconiennes seraient insuffisantes pour atteindre cet objectif.

7.4En l’espèce, la décision judiciaire tendant à dissoudre «Viasna» est fondée sur des violations supposées de la loi électorale de l’État partie commises quand l’association surveillait les élections présidentielles de 2001. Cette restriction de fait à la liberté d’association doit être appréciée à la lumière des conséquences qui en découlent pour l’auteur, les coauteurs et l’association.

7.5Le Comité note que l’auteur et l’État partie n’ont pas la même interprétation du paragraphe 2 de l’article 57 du Code de procédure civile et de sa compatibilité avec la lex specialis portant sur le régime applicable aux associations publiques au Bélarus. Il considère que même si les violations de la loi électorale présumées commises par «Viasna» entraient dans la catégorie de la «perpétration répétée de violations flagrantes de la loi», l’État partie n’a pas fait valoir d’argument plausible pour montrer que les motifs qui ont justifié la dissolution de l’association étaient compatibles avec l’un quelconque des critères énoncés au paragraphe 2 de l’article 22 du Pacte. Comme l’a déclaré la Cour suprême, les violations des lois électorales avaient été constituées par le non‑respect par «Viasna» de la procédure établie d’envoi d’observateurs aux réunions de la commission électorale et dans les bureaux de vote, et l’offre d’une rétribution à des tierces personnes non membres de «Viasna» pour leurs services en tant qu’observateurs (voir plus haut par. 2.3). Étant donné les conséquences graves de la dissolution de «Viasna» pour l’exercice du droit à la liberté d’association de l’auteur et de ses coauteurs, et étant donné que le fonctionnement d’associations non enregistrées est interdit au Bélarus, le Comité conclut que la dissolution de l’association est une mesure disproportionnée et ne satisfait pas aux conditions énoncées au paragraphe 2 de l’article 22. Il y a donc eu violation des droits de l’auteur au titre du paragraphe 1 de l’article 22 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 1 de l’article 22 du Pacte.

9.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’auteur et ses coauteurs ont droit à un recours utile, qui doit être le réenregistrement de «Viasna» et une indemnisation. L’État partie est en outre tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de quatre‑vingt‑dix jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est en outre invité à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

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