NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.GÉNÉRALE

CCPR/C/TUN/CO/5

23 avril 2008

Original : FRANÇAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre-vingt-deuxième sessionNew York, 17 mars - 4 avril 2008

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT Á L’ARTICLE 40 DU PACTE

Observations finales du Comité des droits de l’homme

TUNISIE

Le Comité des droits de l’homme a examiné le cinquième rapport périodique de la Tunisie (CCPR/C/TUN/5) à ses 2512 e , 2513 e  et 2514 e  séances, les 17 et 18 mars 2008 (CCPR/C/SR.2512, 2513 et 2514). Il a adopté les observations finales ci-après à sa 2527 e  séance (CCPR/C/SR.2527), le 28 mars 2008.

A. Introduction

2.Le Comité accueille, avec satisfaction, la présentation du cinquième rapport périodique de la Tunisie et se félicite de l’occasion qui lui est ainsi offerte de renouer le dialogue avec l’État partie après plus de 13 ans. Il se félicite également de la participation, pendant l’examen du rapport, d’une délégation de haut niveau et compétente. Il est reconnaissant, par ailleurs, à l’État partie des réponses écrites (CCPR/C/TUN/Q/5/Add.1) et des explications additionnelles qui lui ont été fournies au préalable et au cours de l’examen du rapport, même si certaines des réponses étaient incomplètes.

GE.08-414263.Tout en reconnaissant l’existence d’obstacles ne relevant pas des autorités tunisiennes et liés à l’instrumentalisation politique de la religion et à l’extrémisme religieux qui compromettent les droits de l’homme, constituent une négation de la tolérance et représentent un défi tant pour la société que pour l’État, le Comité considère que ceci ne saurait servir de justification à des dérogations ou à des restrictions non autorisées par le Pacte.

Aspects positifs

4.Le Comité se félicite des progrès accomplis en droit et en fait, en ce qui concerne l’application des dispositions de l’article 3 du Pacte. Il prend note avec intérêt des exemples de jurisprudence des juridictions nationales ayant trait à la garde d’enfants, la transmission de la nationalité, ou encore du droit de succession, en particulier au regard de la transmission de la nationalité par la femme tunisienne et des règles de succession.

Le Comité note avec satisfaction le moratoire sur la peine de mort appliqué dans l’État partie depuis 1991. Il se félicite du fait que l’État partie se considère comme abolitionniste de fait. Il prend note, à cet égard, de l’engagement solennel renouvelé par le Président de la République affirmant qu’aucune condamnation à la peine capitale ne sera exécutée.

6.Le Comité prend note de la déclaration de la délégation qui a fait part de la décision de l’État partie d’adhérer au Protocole facultatif se rapportant à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et à la Convention relative aux droits des personnes handicapées. Il prend acte de l’engagement de la délégation de l’État partie d`inviter divers rapporteurs spéciaux des Nations Unies, à effectuer, dans le cadre de leur mandat, des missions en Tunisie, y compris le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le Comité note que l’État partie entend également créer une instance chargée du suivi des recommandations des organes de traités.

7. Le Comité note avec satisfaction l’intention de l’État partie de lever ses réserves à la Convention relative aux droits de l’enfant dans le sens notamment d’une application effective des dispositions des articles 23 et 24 du Pacte.

C. Principaux sujets de préoccupation et recommandations

8. Le Comité regrette que l’État partie ne se soit toujours pas doté d’une institution nationale compétente en matière de droits de l’homme conforme aux Principes de Paris, même si la délégation a indiqué que la mise en conformité du Comité supérieur des droits de l’homme et des libertés fondamentales avec les Principes de Paris fait actuellement l’objet d’un projet de loi au Parlement à la suite d’une décision récente du Conseil des Ministres en ce sens (art. 2 du Pacte).

L’État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour garantir au Comité supérieur des droits de l’homme et des libertés fondamentales un fonctionnement conforme aux Principes de Paris.

9. Le Comité constate que le débat sur l’opportunité d’adhérer au premier Protocole facultatif est toujours en cours.

L'État partie devrait envisager d’adhérer au premier Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

10. Tout en relevant l’effort fait par les autorités pour réprimer la violence conjugale, le Comité note que la situation des femmes victimes de violence appelle une attention plus soutenue.

L’État partie devrait accroître la sensibilisation de l’opinion sur ce problème, et prendre toutes les mesures utiles pour éradiquer le phénomène.

11. Tout en notant avec satisfaction l’existence d’un certain nombre de condamnations prononcées par les tribunaux à l’encontre d’agents de l’État reconnus coupables d’actes de torture ou de mauvais traitements, et des réparations octroyées aux victimes, le Comité est inquiet des informations sérieuses et concordantes selon lesquelles des cas de torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants sont commis sur le territoire de l’État partie. Selon certaines de ces informations : a) des magistrats refusent d’enregistrer des plaintes de mauvais traitements ou de torture; b) des enquêtes diligentées à la suite de telles plaintes dépassent les délais raisonnables; et c) des supérieurs responsables de la conduite de leurs agents, en violation des dispositions de l’article 7 du Pacte, échappent à toute enquête et à toute poursuite. Il regrette l’absence de données statistiques sur le nombre de plaintes pour torture soumises aux autorités et enregistrées par ces dernières. (art. 2 et 7 du Pacte).

L’État partie devrait :

garantir que toutes les allégations de torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants font l’objet d’enquêtes, menées par une autorité indépendante, et que les responsables de tels actes, y compris leurs supérieurs hiérarchiques, sont poursuivis et sanctionnés et que les victimes reçoivent une réparation y compris une indemnisation adéquate;

améliorer la formation des agents de l’État dans ce domaine;

présenter dans son sixième rapport périodique des statistiques détaillées à ce sujet.

12. Tout en notant avec satisfaction que l’article 101 bis du Code pénal interdit la torture, le Comité est préoccupé par des informations selon lesquelles, dans la pratique, des aveux obtenus sous la torture ne sont pas exclus comme élément de preuve dans un procès. Le Comité note, en outre, que de tels aveux ne sont pas prohibés explicitement par la législation de l’État partie. (art. 7 et 14, par. 3 g du Pacte)

L’État partie devrait interdire l’usage d’aveux obtenus sous la torture, et ce devant toutes juridictions. Il devrait s’assurer en pareil cas que la charge de la preuve n’incombe pas aux victimes.

13. Le Comité est préoccupé du fait que la loi tunisienne permette à la police de procéder à des arrestations et des détentions pour une période de trois jours, renouvelable avec l’accord d’un procureur. Au cours de ces périodes de privation de liberté, les détenus n’ont pas accès à un avocat. Selon de nombreuses informations communiquées au Comité, les garanties légales des personnes privées de liberté ne seraient pas respectées en pratique. Ainsi, les périodes légales pour la garde à vue auraient été dépassées, dans certains cas, sans que les personnes arrêtées puissent subir des examens médicaux et/ou que leurs familles en soient informées. Par ailleurs, le Comité est préoccupé du fait que les personnes privées de liberté ne disposent pas du droit d’introduire un recours auprès d’un tribunal afin que ce dernier statue sans délai sur la légalité de leur détention. (art. 9 du Pacte).

L’État partie devrait prendre des mesures afin de limiter la durée légale de la garde à vue et mettre sa législation en conformité avec toutes les dispositions de l’article 9 du Pacte.

14. Le Comité note avec satisfaction les avancées de l’État partie vers l’abolition de la peine de mort et les commutations des peines de mort de certains détenus. Il regrette cependant que des peines de mort soient toujours prononcées par les tribunaux et que certaines personnes condamnées à mort n’aient pas automatiquement bénéficié de la commutation de leur peine. Le Comité est également préoccupé du fait que les autorités compétentes tiennent compte du temps écoulé après le prononcé de la peine capitale d’un individu afin de prendre une décision de commutation de la peine (art. 2, 6, et 7 du Pacte)

L’État partie devrait prendre les mesures nécessaires afin de commuer, dans les plus brefs délais, toutes les peines capitales. L’État partie devrait considérer l’abolition de la peine de mort et la ratification du Deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

15. Tout en comprenant les exigences de sécurité liées à la lutte contre le terrorisme, le Comité se déclare préoccupé par le peu de précision quant à la définition particulièrement large des actes terroristes contenue dans la loi sur le terrorisme et le blanchiment d’argent (loi n° 2003-75). Le Comité est préoccupé en particulier du fait qu’au titre des dispositions de cette loi, a) les avocats sont déliés de leur secret professionnel et obligés de témoigner sous peine d’emprisonnement; et b) les enquêteurs et les magistrats peuvent garder l’anonymat. (art. 6, 7 et 14 du Pacte)

La définition des actes terroristes ne devrait pas conduire à des interprétations permettant de porter atteinte, sous le couvert d’actes terroristes, à l’expression légitime des droits consacrés par le Pacte. L’État partie devrait veiller à ce que les mesures prises au titre de la lutte contre le terrorisme soient conformes aux dispositions du Pacte (art. 6, 7, 14).

16. Tout en notant les assurances données par la délégation de l’État partie sur les inspections périodiques et spontanées dans les établissements pénitentiaires diligentées aussi bien par les autorités que par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) en application d’un accord signé entre les autorités et le CICR, le Comité se déclare préoccupé par les nombreuses informations faisant état des mauvaises conditions de détention dans certains établissements pénitenciers. (art. 10 du Pacte)

L’État partie devrait s’assurer du respect des dispositions de l’article 10 du Pacte. L’État partie devrait élargir les mesures de contrôle et de suivi instaurées dans les lieux de privation de libert é , notamment en permettant aux organisations non gouvernementales nationales d’avoir accès aux lieux de détention.

17. Le Comité est préoccupé par la question de l'indépendance de l'appareil judiciaire. Le Comité est aussi préoccupé du fait que le poids du pouvoir exécutif est toujours trop important au sein du Conseil supérieur de la magistrature, malgré la réforme de 2005 (art. 14 du Pacte).

Le Comité recommande que des dispositions soient prises pour renforcer l'indépendance de l'appareil judiciaire, en particulier vis-à-vis du pouvoir exécutif.

18. Le Comité est préoccupé par certaines dispositions du Code de la presse et par leur application qui est contraire à l’article 19 du Pacte. L’article 51 du même Code énonce une définition particulièrement étendue du crime de diffamation lequel est, en outre, passible de sanctions sévères allant jusqu’à l’emprisonnement, en particulier lorsqu’il s’applique à des critiques visant des organes officiels, l'armée ou l'administration (art. 19 du Pacte).

L’État partie devrait faire le nécessaire pour mettre un terme aux restrictions directes et indirectes à la liberté d’expression. L’article 51 du Code de la presse devrait être harmonisé avec l’article 19 du Pacte, en assurant un juste équilibre entre la protection de la réputation d’une personne et la liberté d’expression.

19. Le Comité est préoccupé du fait qu’en période électorale, le Code électoral (art. 62-III) interdit à toute personne l’utilisation d’une radio ou chaîne de télévision privées ou étrangères ou émettant de l’étranger dans le but d’inciter à voter ou de s’abstenir de voter pour un candidat ou une liste de candidats. (art. 19 et 25 du Pacte).

L’État partie devrait abolir ces restrictions pour rendre pleinement compatibles les dispositions du Code électoral avec les articles 19 et 25 du Pacte.

20. Le Comité est préoccupé du fait que plusieurs organisations et défenseurs des droits de l’homme ne puissent exercer librement leurs activités, y compris leur droit de manifester pacifiquement, et soient victimes de harcèlements et d’intimidations, et même parfois d’arrestations. (art. 9, 19, 21 et 22 du Pacte)

L’État partie devrait prendre des mesures pour mettre fin aux actes d’intimidation et de harcèlement et respecter et protéger les activités pacifiques des organisations et défenseurs des droits de l’homme. Les informations faisant état d’actes d’intimidation et de harcèlement devraient faire rapidement l’objet d’enquêtes. L’État partie devrait veiller à ce que toute restriction imposée au droit de réunion et manifestation pacifique soit compatible avec les dispositions des articles 19, 21 et 22 du Pacte. 

21. Le Comité est préoccupé par les informations selon lequelles un nombre très limité d’associations indépendantes a été officiellement enregistré par les autorités et qu’en pratique, plusieurs associations de défense des droits de l’homme dont les objectifs et les activites ne sont pas contraires au Pacte rencontrent des obstacles dans l’obtention d’un tel enregistrement (articles 21, 22 du Pacte).

L’État partie devrait veiller à l’enregistrement de ces associations et à ce qu’un recours efficace et dans les plus brefs délais contre tout refus d’enregistrement soit garanti à toutes les associations concernées.

22.Le Comité fixe au 31 mars 2012 la date à laquelle le sixième rapport périodique de la Tunisie devra lui parvenir. Il prie l’État partie de publier et de diffuser largement le texte du cinquième rapport périodique et des présentes observations finales auprès du grand public ainsi qu’auprès des autorités judiciaires, législatives et administratives du pays et de faire distribuer le sixième rapport périodique auprès des organisations non gouvernementales qui travaillent dans le pays.

23.Conformément au paragraphe 5 de l’article 71 du Règlement intérieur du Comité, l’État partie devrait faire parvenir dans un délai d’un an des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations du Comité figurant aux paragraphes 11, 14, 20, et 21 ci‑dessus. Le Comité demande à l’État partie d’inclure dans son prochain rapport périodique des renseignements sur la mise en œuvre des autres recommandations et du Pacte dans son ensemble. L’État partie s’est engagé à s’efforcer de donner au Comité des renseignements plus détaillés sur les résultats concrets obtenus.

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