Nations Unies

CERD/C/KHM/CO/8-13

Convention internationale sur l ’ élimination de toutes les formes de discrimination raciale

Distr. générale

1er avril 2010

Français

Original: anglais

Comité pour l ’ éliminati on de la discrimination raciale Soixante-seizième session15 février-12 mars 2010

Examen des rapports présentés par les États parties conformément à l’article 9 de la Convention

Observations finales du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale

Cambodge

1.Le Comité a examiné les huitième à treizième rapports périodiques du Cambodge présentés un seul document (CERD/C/KHM/8-13) à ses 1979e et 1980e séances (CERD/C/SR.1979 et 1980), tenues les 18 et 19 février 2010. À sa 1998e séance (CERD/C/SR.1998), tenue le 4 mars 2010, il a adopté les observations finales ci-après.

A.Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction les rapports périodiques présentés par le Cambodge, et se félicite de la possibilité qui lui est ainsi offerte de renouer le dialogue avec l’État partie. Notant que le rapport est présenté avec plus de dix ans de retard (le huitième rapport était attendu en 1998), le Comité demande à l’État partie de tenir compte des délais lorsqu’il présentera ses futurs rapports, de manière à respecter les obligations qui lui incombent en la matière conformément au traité.

3.Le Comité exprime sa satisfaction à l’État partie pour le dialogue constructif et les efforts faits par la délégation basée à Genève, présidée par le Représentant permanent du Cambodge auprès de l’ONU, pour répondre aux questions soulevées. Il constate que la délégation ne comportait aucun représentant de ministères ou d’administrations pertinents du Cambodge, ce qui a limité les informations disponibles ou les réponses aux questions soulevées par le Comité au cours des séances. L’État partie est invité, lorsqu’il se représentera devant le Comité, à envoyer des experts du Cambodge afin que le dialogue puisse être plus approfondi.

4.Le Comité salue la contribution des nombreuses organisations non gouvernementales cambodgiennes, qui ont enrichi la qualité du dialogue avec l’État partie.

B.Facteurs et difficultés entravant l’application de la Convention

5.Le Comité note que l’État partie est actuellement engagé dans une phase continue de reconstruction après une longue et difficile période de conflit armé, et que les périodes de paix fragile qu’a connues le pays tant sur son territoire qu’à ses frontières, ont entravé la pleine application de la Convention.

C.Aspects positifs

6.Le Comité constate que les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme ont été intégrés dans la législation constitutionnelle cambodgienne, et il accueille avec satisfaction la décision du 10 juillet 2007 du Conseil constitutionnel (décision no092/003/2007) réaffirmant que les juges devraient interpréter la législation et prendre leurs décisions en tenant compte des obligations internationales du Cambodge en ce qui concerne les droits de l’homme.

7.Le Comité se félicite en outre de la ratification du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture en avril 2007 et de l’adoption d’une loi portant ratification du Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes en août 2009, ces deux instruments constituant des avancées importantes dans la promotion et la protection des droits de l’homme.

8.Le Comité se félicite des mesures prises par l’État partie pour renforcer son cadre juridique pour la protection et la promotion des droits de l’homme, et en particulier de l’adoption du Code de procédure pénale en août 2007.

9.Le Comité prend note avec satisfaction de l’adoption d’une loi foncière en 2001, ainsi que d’une série de sous-décrets destinés à mieux protéger l’accès à la terre des groupes minoritaires, notamment les populations autochtones.

10.Le Comité accueille avec satisfaction la création des Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens (CETC), en coopération avec l’Organisation des Nations Unies et la communauté internationale. Il encourage l’État partie à poursuivre ses efforts pour traduire en justice les auteurs des atrocités commises à l’époque des Khmers rouges.

D.Sujets de préoccupation et recommandations

11.Le Comité se félicite de l’adoption récente du Code pénal et de ses dispositions sur les infractions contre la dignité humaine et contre la sécurité publique. Il est toutefois préoccupé par l’absence de définition claire de ce que constitue la discrimination raciale dans la législation cambodgienne (art. 1 et 2).

Le Comité reco mmande que la législation soit complétée afin que soit établie une définition claire de la discrimination raciale, conforme à l ’ article premier de la Convention, et que soit garanti le droit de chacun de ne pas être victime de discrimination dans l ’ exercice de l ’ ensemble des droits énoncés à l ’ article 5 de la Convention. Le Comité recommande en outre à l ’ État partie de veiller à ce que ces dispositions soient pleinement comprises, diffusées auprès du public et mises en œuvre.

12.Le Comité accueille avec satisfaction les informations fournies par l’État partie sur les langues et la composition ethnique de la population. Il est toutefois préoccupé par le fait que ces informations ne permettent pas de se faire une idée complète de la situation, en particulier en ce qui concerne les minorités ethniques.

Conformément à sa Recommandation générale n o 8 (1990) et aux paragraphes 10 à 12 des directives pour l ’ établissement du document se rapportant spécifiquement à la Convention sur l ’ élimination de toutes les formes de discrimination raciale adoptées à sa soixante et onzième session (CERD/C/2007/1), le Comité demande à l ’ État partie de faire figurer dans son prochain rapport périodique des données ventilées sur les minorités ethniques, y compris sur les minorités autochtones , et sur leur situation socio économique.

13.Reconnaissant que l’état de droit est le fondement de la protection des droits énoncés dans la Convention, le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles les organes judiciaires et le fonctionnement d’un certain nombre de services publics pâtiraient de l’ingérence politique et de la corruption. En revanche, il prend note et se félicite du processus engagé pour adopter une loi contre la corruption, mais il estime que celle-ci doit être pleinement mise en œuvre et que des mécanismes d’application doivent être créés (art. 2).

Le Comité recommande à l ’ État partie de poursuivre et d ’ accroître ses efforts visant à renforcer l ’ indépendance de l ’ appareil judiciaire et à veiller à ce qu ’ il soit libre de tout contrôle ou ingérence politique , en adoptant rapidement des lois de réforme. Le Comité recommande aussi à l ’ État partie de prendre des mesures pour renforcer sa capacité à enquête r et de prendre des mesures disciplinaires en cas d ’ incompétence et de corruption.

14.Le Comité se félicite des efforts engagés par l’État partie pour adopter un large éventail de textes législatifs dans des domaines tels que l’asile, l’accès à la terre, l’accès à l’éducation, l’interdiction de la discrimination raciale, mais il est préoccupé par le fait que ces lois ne sont pas appliquées et mises en œuvre uniformément et scrupuleusement. À cet égard, il prend note avec une préoccupation particulière de la décision de l’État partie, évoquée dans une déclaration du Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en date du 22 décembre 2009, d’expulser du Cambodge 20 personnes d’origine ouïgoure, avant la fin du processus de détermination du statut de réfugié, ce qui a empêché de déterminer de façon objective si les intéressés couraient le risque d’être persécutés ou victimes d’autres formes de mauvais traitement (art. 2 et 5).

Le Comité demande à l ’ État partie de veiller à ce que la législation adoptée, notamment la loi sur l ’ asile, soit intégralement et scrupuleusement mise en œuvre , afin d ’ assurer la protection intégrale de la loi, le respect du principe de non-refoulement et l ’ exercice sur un pied d ’ égalité de tous les droits et avantages.

15.Tout en constatant qu’il existe plusieurs mécanismes de défense des droits de l’homme au sein des différentes administrations de l’État partie, le Comité demeure préoccupé par le fait qu’une institution nationale de défense des droits de l’homme n’ait pas encore été mise en place (art. 2).

Le Comité encourage l ’ État partie à créer une institution indépendante de défense des droits de l ’ homme, conformément aux Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l ’ homme («Principes de Paris») (résolution 48/134 de l ’ Ass emblée générale). À cet égard, le Comité recommande au Gouvernement d ’ engager des consultations avec le bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l ’ homme au Cambodge et d ’ envisager de recevoir une assistance technique afin de redynamiser les efforts déployés pour rédiger une loi portant établissement d ’ une institution nationale pour la protection des droits de l ’ homme, en pleine conformité avec les Principes de Paris.

16.Le Comité prend acte de la croissance économique récente et importante qu’a connue l’État partie, et des avantages de celle-ci pour le pays. Il est néanmoins préoccupé par le fait que la quête de croissance et de prospérité économiques se fait, dans certains cas, au détriment de communautés particulièrement vulnérables, telles que les populations autochtones. Le Comité est particulièrement préoccupé par les informations selon lesquelles des concessions sont rapidement accordées sur des terres traditionnellement occupées par des peuples autochtones sans que les procédures prévues dans la loi et les sous-décrets pertinents soient pleinement mises en œuvre ou épuisées (art. 2 et 5).

Le Comité recommande à l ’ État partie de trouver un juste équilibre entre le développement et les droits des habitants , et de veiller à ce que la frénésie de développement économique ne se fasse pas aux dépens des droits des personnes et groupes vulnérables visés par la Convention. Il recommande en outre à l ’ État partie d ’ adopter des mesures de protection appropriées, comme la suspension de l ’ octroi de concessions sur les terres occupées par des communautés autochtones qui ont demandé à s ’ enregistrer officiellement afin obtenir des titres de propriété , tant que la question des titres de propriété collective et des droits des peuples autochtones de posséder, développer, contrôler et utiliser leurs terres communautaires, le cas échéant, n ’ aura p as été examinée et tranchée, à l ’ issue de consultations avec les peuples autochtones et avec leur consentement éclairé.

Le Comité encourage en outre les entreprises et sociétés qui sollicitent des concessions foncières à des fins économiques à prendre en considération leur responsabilité sociale en ce qui concerne les droits et le bien-être des populations locales.

17.Le Comité s’inquiète d’informations faisant état d’actes d’intimidation et de violence à l’encontre de peuples autochtones à l’occasion d’expulsions forcées et de différends fonciers les concernant. Il est aussi préoccupé par des informations selon lesquelles des villageois d’origine autochtone seraient inculpés et arrêtés lorsqu’ils protestent contre leur expulsion forcée ou contestent l’octroi d’une concession sur des terres autochtones (art. 6).

Le Comité invite instamment l ’ État partie à assurer une protection complète contre les attaques physiques et les actes d ’ intimidation aux groupes vulnérables qui cherchent à exercer leurs droits sur des terres communales. Il invite instamment l ’ État partie à traduire en justice les auteurs de ces violations. Dans ses efforts pour améliorer l ’ administration de la justice, l ’ État partie devrait accroître l ’ efficacité du système judiciaire afin de garantir un accès égal à la justice pour tous, y compris aux minorités et aux peuples autochtones, conformément à sa Recommandation générale n o 31 (2005) concernant la discrimination raciale dans l ’ administration et le fonctionnement du système de justice pénale.

18.Le Comité note que l’État partie a affirmé à maintes reprises que les Khmers Kroms étaient considérés comme des ressortissants cambodgiens; il constate toutefois avec préoccupation que les formalités à remplir par les Khmers Kroms à titre individuel pour justifier de leur nationalité sont plus compliquées que pour les autres Cambodgiens. Il est aussi préoccupé par le fait que la reconnaissance de la nationalité cambodgienne d’un Khmer Krom s’en voit retardée ou refusée de sorte qu’il ne bénéficie pas pleinement de prestations et de droits égaux comme le prévoient la Constitution et la législation (art. 5).

Le Comité recommande à l ’ État partie de veiller à ce que chaque Khmer Krom qui veut faire reconnaître et établir sa nationalité puisse obtenir des documents sans retard et selon des formalités identiques et comparables à celles qu ’ il est demandé de remplir à toutes les personnes considérées comme étant de nationalité cambodgienne.

19.Le Comité a reçu des informations selon lesquelles, lorsqu’ils demandent des documents d’identité cambodgiens, les Khmers Kroms sont tenus ou se sentent obligés de modifier des données essentielles, comme leur nom et leur lieu de naissance, pour obtenir gain de cause (art. 5).

Considérant que le nom d ’ une personne est un aspect fondamental de son identité culturelle et ethnique et que son histoire personnelle, y compris sa date et son lieu de naissance, fait aussi partie de cette identité, le Comité recommande vivement à l ’ État partie de prendre les mesures nécessaires pour que les Khmers Kroms qui souhaitent faire confirmer leur nationalité soient autorisés à conserver leurs véritables nom et lieu de naissance s ’ ils le désirent.

20.Le Comité prend acte des efforts déployés par l’État partie pour mettre en œuvre son programme national d’éducation, «L’éducation pour tous», mais il est préoccupé par les disparités dans l’accès à l’éducation, qui est difficile dans les zones reculées. Il est particulièrement préoccupé par l’éducation des enfants dans des régions comme les provinces de Mondulkiri et Ratanakiri, essentiellement habitées par des peuples autochtones et des groupes minoritaires. Il relève avec préoccupation que les taux d’admission et de scolarisation sont inférieurs à la moyenne nationale et que les taux de redoublement et d’abandon scolaire sont supérieurs à la moyenne nationale (art. 2 et 5).

Le Comité recommande à l ’ État partie de poursuivre ses efforts pour réaliser son objectif d ’ «éducation pour tous» et d ’ envisager de mettre en place des programmes d ’ enseignement bilingue, le cas échéant, dans les zones reculées, pour améliorer les conditions d ’ apprentissage des minorités ethniques et des peuples autochtones.

21.Compte tenu de l’indivisibilité de tous les droits de l’homme, le Comité encourage l’État partie à envisager de ratifier les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme qu’il n’a pas encore ratifiés, en particulier ceux dont les dispositions portent directement sur la question de la discrimination raciale, comme la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille (1990).

22.À la lumière de sa Recommandation générale no33 (2009) sur le suivi de la Conférence d’examen de Durban, le Comité recommande à l’État partie de donner effet à la Déclaration et au Programme d’action de Durban, adoptés en septembre 2001 par la Conférence mondiale contre le racisme et la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée, en tenant compte du Document final de la Conférence d’examen de Durban, tenue à Genève en avril 2009, pour incorporer la Convention dans son ordre juridique interne. Il demande à l’État partie de donner, dans son prochain rapport périodique, des informations précises sur les plans d’action et les mesures adoptées pour mettre en œuvre la Déclaration et le Programme d’action de Durban au niveau national.

23.Le Comité recommande à l’État partie de poursuivre et d’élargir son dialogue avec les organisations de la société civile qui travaillent dans le domaine de la protection des droits de l’homme, et en particulier de la lutte contre la discrimination raciale, à l’occasion de l’établissement du prochain rapport périodique.

24.Le Comité encourage l’État partie à envisager de faire la déclaration facultative prévue à l’article 14 de la Convention.

25.Le Comité recommande à l’État partie de ratifier les amendements au paragraphe 6 de l’article 8 de la Convention adoptés le 15 janvier 1992 à la quatorzième réunion des États parties à la Convention et approuvés par l’Assemblée générale dans sa résolution 47/111 du 16 décembre 1992. À ce sujet, le Comité rappelle les résolutions 61/148 et 62/243 de l’Assemblée générale, dans lesquelles l’Assemblée a demandé instamment aux États parties à la Convention d’accélérer leurs procédures internes de ratification de l’amendement et d’informer par écrit le Secrétaire général, dans les meilleurs délais, de leur acceptation de cet amendement.

26.Le Comité recommande à l’État partie de mettre ses rapports à la disposition du public au moment où il les soumet au Comité et de rendre également publiques les observations du Comité au sujet de ces rapports dans la langue officielle et les autres langues couramment utilisées, le cas échéant.

27.Constatant que l’État partie a soumis son document de base en 1998, le Comité encourage l’État partie à en soumettre une version actualisée, conformément aux Directives générales harmonisées concernant l’établissement des rapports destinés aux organes créés en vertu d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, en particulier concernant l’établissement du document de base commun, adoptées par la cinquième réunion des organes créés en vertu d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, tenue en juin 2006 (HRI/MC/2006/3).

28.Conformément au paragraphe 1 de l’article 9 de la Convention et à l’article 65 de son règlement intérieur modifié, le Comité prie l’État partie de fournir des informations, dans l’année qui suit l’adoption des présentes observations finales, sur la suite donnée aux recommandations figurant aux paragraphes 15, 16, 17 et 18 ci-dessus.

29.Le Comité tient par ailleurs à appeler l’attention de l’État partie sur l’importance particulière des recommandations contenues aux paragraphes 11, 13 et 20 ci-dessus et prie l’État partie de fournir, dans son prochain rapport périodique, des informations détaillées sur les mesures concrètes prises pour mettre ces recommandations en application.

30.Le Comité recommande à l’État partie de soumettre ses quatorzième et quinzième rapports périodiques en un seul document, au plus tard le 28 décembre 2012, en veillant à ce qu’ils tiennent compte des directives concernant le document se rapportant spécifiquement à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, adoptées par le Comité à sa soixante et onzième session (CERD/C/2007/1), et qu’ils traitent de tous les points soulevés dans les présentes observations finales.