CERD

Convention internationale

sur l’élimination

de toutes les formes

de discrimination raciale

Distr.RESTREINTE*

CERD/C/66/D/33/200310 mars 2004

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ POUR L’ÉLIMINATIONDE LA DISCRIMINATION RACIALE

Soixante‑sixième session21 février‑11 mars 2005

OPINION

Communication n o  33/2003

Présentée par:

Kamal Quereshi (représenté par le Centre de documentation et de conseil en matière de discrimination raciale)

Au nom de:

Le requérant

État partie:

Danemark

Date de la communication:

11 décembre 2003

Date de la présente décision:

9 mars 2005

[ANNEXE]

ANNEXE

OPINION ADOPTÉE PAR LE COMITÉ POUR L’ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE EN APPLICATION DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION INTERNATIONALE SUR L’ÉLIMINATION DE TOUTES LES FORMES DE DISCRIMINATION RACIALE

− Soixante-sixième session −

concernant la

Communication n o  33/2003

Présentée par:

Kamal Quereshi (représenté par le Centre de documentation et de conseil en matière de discrimination raciale)

Au nom de:

Le requérant

État partie:

Danemark

Date de la communication:

11 décembre 2003

Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, créé en application de l’article 8 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale,

Réuni le 9 mars 2005,

Adopte ce qui suit:

OPINION

1.Le requérant est Kamal Quereshi, citoyen danois né le 29 juillet 1970 et député du Parti socialiste du peuple (Socialistisk Folkeparti) au Parlement de l’État partie (Folketinget). Il affirme être victime d’une violation par le Danemark du paragraphe 1 d) de l’article 2 et des articles 4 et 6 de la Convention. Il est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le 26 avril 2001, Mme Pia Andersen, membre du bureau exécutif du Parti progressiste (Fremskridtspartiet), a adressé par télécopie aux médias deux lettres à en‑tête du parti où l’on pouvait lire entre autres: «Halte aux viols commis par des mahométans!». «En fait d’enrichissements culturels, ce sont des expressions péjoratives et des viols auxquels nous, femmes danoises, sommes exposées chaque jour… C’en est assez, nous n’accepterons plus de violations de la part de nos citoyens venus de l’étranger. Si les mahométans ne peuvent nous témoigner un certain respect, à nous, femmes danoises, et se comporter comme les hôtes qu’ils sont dans notre pays, les hommes politiques qui sont au Parlement doivent changer d’attitude et les expulser tous.».

2.2Le 15 mai 2001, Mme Andersen a envoyé à la presse par télécopie un communiqué à propos de certains troubles survenus dans un quartier d’Odense, disant: «Qu’on fasse intervenir l’armée pour en finir avec la terreur mahométane! … Chers concitoyens, c’est de cette culture guerrière que ces étrangers enrichissent notre pays… Mépris de nos lois, viols collectifs, actes de violence, insultes aux femmes danoises, qui s’entendent traiter de “putains” ou de “salopes de Danoises”, etc., et à présent cette situation qui confine à la guerre civile.».

2.3Le 5 septembre 2001, le Parti progressiste a fait paraître dans un journal local une invitation à une conférence donnée par l’ancien chef du Parti, M. Mogens Glistrup, où on lisait: «La Bible des mahométans ordonne de tuer et d’abattre l’infidèle, jusqu’à la disparition de toute trace de son infidélité.».

2.4Le requérant affirme que le Parti progressiste a mis en place des cours, dont certaines parties ont été diffusées dans un court bulletin d’information de la station publique de télévision, destinés à montrer aux membres du Parti comment éviter de tomber sous le coup de l’article 266 b) du Code pénal.

2.5Des discours prononcés à la réunion annuelle du Parti progressiste, tenue les 20 et 21 octobre 2001, ont été diffusés par l’organisme de télévision publique de l’État partie qui est tenu de retransmettre les réunions annuelles des partis politiques participant aux élections. Le requérant affirme que les déclarations suivantes ont été prononcées à la tribune, au cours de la réunion:

Vagn Andersen (membre du parti): «L’État a donné des emplois aux étrangers. Ils travaillent dans nos abattoirs où ils peuvent facilement empoisonner notre nourriture et mettre en péril nos exportations agricoles. Ils peuvent aussi commettre d’autres actes de terrorisme, par exemple pénétrer dans nos installations de traitement d’eau et empoisonner l’eau.».

Mogens Glistrup (ancien chef du parti): «Les mahométans extermineront les populations des pays où ils se sont introduits». Le 22 octobre, cette déclaration a été rapportée dans un article paru dans le quotidien Dagbladet Politiken dans les termes suivants: «Leur devoir le plus sacré, au nom d’Allah, est d’exterminer les populations des pays dans lesquels ils se sont introduits.».

Erik Hammer Sørensen (membre du parti, dans des commentaires sur l’immigration dans l’État partie): «Des agents de la cinquième colonne sont parmi nous. Ceux que nous avons accueillis commettent des actes de violence, des meurtres et des viols.».

Margit Petersen (membre du parti, à propos de sa condamnation précédente en vertu de l’article 266 b) prononcée par les tribunaux de l’État partie): «Je suis fière d’être raciste. Nous voulons un Danemark sans mahométans»; «les Noirs se reproduisent comme des rats.».

Peter Rindal (membre du parti): «Quant à des cimetières musulmans au Danemark, nous devrions bien entendu en avoir et il faudrait de préférence qu’ils soient assez grands pour qu’on puisse les y mettre tous, et, si possible, d’un seul coup.».

Bo Warming (membre du parti): «La seule différence entre les mahométans et les rats, c’est que les rats ne touchent pas d’allocations sociales.». Il aurait distribué aux journalistes présents au congrès un dessin représentant un rat, le Coran sous le bras.

2.6Après avoir vu le reportage, le requérant a demandé au Centre de documentation et de conseil en matière de discrimination raciale (le DRC) de porter plainte contre les individus susmentionnés ainsi que les membres du conseil exécutif du Parti progressiste qui les avaient approuvés.

2.7Le 23 octobre 2001, le DRC a déposé une plainte auprès de la police de Varde, affirmant que les déclarations de Mme Guul et M. Warming constituaient séparément des violations de l’article 266 b) 1) et 2) du Code pénal, étant donné qu’ils avaient menacé, insulté ou dénigré un groupe de personnes en raison de leur race et de leur origine ethnique.

2.8Le 25 octobre 2001, le DRC a déposé une plainte auprès de la police de Varde, affirmant que les propos de M. Andreasen constituaient une violation de l’article 266 b) 1) et 2), étant donné qu’il y avait insulté et dénigré un groupe de personnes en raison de leur origine religieuse. Le DRC a ajouté que les propos en question étaient fondés sur le postulat que les immigrants et les réfugiés étaient des terroristes potentiels, et qu’un groupe de personnes d’une origine ethnique autre que danoise avait été par conséquent assimilé à une entreprise criminelle, ce de façon générale et sans aucune objectivité. Le même jour, le DRC a déposé auprès de la police de Varde une plainte dans laquelle il affirmait que les propos de M. Rindal constituaient une violation de l’article 266 b) 1) et 2), étant donné qu’il y avait menacé un groupe de personnes en raison de leur race et de leur origine ethnique.

2.9Le 26 octobre 2001, le DRC a déposé auprès de la police de Varde une plainte dans laquelle il affirmait que les propos tenus par M. Glistrup constituaient une violation de l’article 266 b) 1) et 2) du fait qu’il y avait insulté et dénigré un groupe de personnes en raison de leur origine ethnique, notamment de leur religion musulmane. Le même jour, le DRC a déposé auprès de la police de Varde une plainte dans laquelle il affirmait que les propos tenus par M. Sørensen constituaient une violation de l’article 266 b) 1) et 2), du fait qu’il y avait menacé, insulté et dénigré un groupe de personnes en raison de leur race et de leur origine ethnique. Le DRC a ajouté que, dans les propos en question, un groupe d’origine ethnique autre que danoise avait été assimilé à une entreprise criminelle.

2.10En outre, le DRC a déposé une plainte contre le Parti progressiste lui‑même auprès de la police de Thisted (section de la police dont relevait le domicile du chef du parti).

Procédures engagées ultérieurement contre les différents orateurs

2.11Le 28 mars 2003, le chef de la police de Varde a transmis les six affaires au Procureur public régional de Sønderborg, assorties des recommandations suivantes:

Il convient de poursuivre MM. Glistrup, Rindal et Warming en vertu de l’article 266 b) 1) du Code pénal. Toutefois, il conviendrait, en vertu de l’article 721 1) ii) de la loi sur l’administration de la justice de rejeter la partie de la plainte contre M. Warming concernant le dessin qui aurait été distribué, étant donné que le dessin en question n’a pas pu être retrouvé.

Il convient de rejeter les accusations portées contre Mme Petersen en vertu des articles 721 1) ii) et 722 1) iv) de la loi sur l’administration de la justice.

Il convient de rejeter les accusations portées contre MM. Andreasen et Sørensen en vertu de l’article 721 1) ii) de la loi sur l’administration de la justice.

2.12Le 23 avril 2003, le Procureur public régional a demandé au chef de la police d’ouvrir de nouvelles enquêtes sur l’ensemble des six cas − et d’obtenir de la station publique de télévision le texte des déclarations faites lors du congrès du parti. Le 9 mai 2003, le chef de la police a modifié ses recommandations, préconisant de rejeter les accusations portées contre M. Glistrup en vertu de l’article 721 1) ii) de la loi sur l’administration de la justice. En outre, il a indiqué que la chaîne de télévision avait affirmé qu’elle ne possédait aucun document non audiovisuel provenant du congrès du parti.

2.13Après avoir reçu un complément d’information, le Procureur public régional, le 18 juin 2003, a fait au Directeur des poursuites publiques (le DPP) les recommandations ci‑après concernant les poursuites contre les personnes susmentionnées, qui ont été acceptées le 6 août 2003:

Il convient d’engager des poursuites contre MM. Rindal et Warming en vertu de l’article 266 b) 1) pour les déclarations qu’ils ont faites lors du congrès du parti. La partie des accusations contre M. Warming concernant le dessin a été retirée car il n’était pas possible de considérer raisonnablement qu’une infraction pénale avait été commise étant donné qu’un exemplaire du dessin n’avait pas pu être obtenu.

Il convient de rejeter les accusations formulées contre M. Andreasen étant donné que de nouvelles poursuites risquaient d’être vouées à l’échec. Le Directeur des poursuites publiques a souligné que, pour être constitué, l’actus reus (l’acte criminel), tel que défini à l’article 266 b) 1), exigeait que la déclaration vise un groupe de personnes notamment pour des considérations de race, de couleur, d’origine nationale ou ethnique et de religion. Le Directeur des poursuites publiques a estimé que cette condition n’était pas satisfaite car le terme d’«étrangers» employé par M. Andreasen était «si vague qu’il ne désignait pas un groupe au sens de la loi».

Il convient de rejeter les accusations portées contre M. Glistrup étant considéré que de nouvelles poursuites seraient vouées à l’échec. Le Directeur des poursuites publiques a souligné que le journaliste qui avait attribué la déclaration à M. Glistrup avait déclaré que cette dernière avait été faite à la tribune, pas au cours d’un entretien. Toutefois, la déclaration ne figurait pas dans l’enregistrement vidéo de l’émission de télévision et la chaîne de télévision n’avait en sa possession aucun document non audiovisuel. De son côté, M. Glistrup avait déclaré que ses remarques n’avaient pas été enregistrées. Le Directeur des poursuites publiques a donc estimé qu’il était «douteux» que l’on réussisse à prouver que la déclaration présumée constituait une violation de l’article 266 b).

Il convient de rejeter les accusations portées contre M. Sørensen étant considéré que de nouvelles poursuites risqueraient d’être vouées à l’échec. Concernant les conditions relatives à l’actus reus (l’acte criminel) évoquées plus haut, le Directeur des poursuites publiques a estimé que les mots «agents de la cinquième colonne» et «ceux qui sont parmi nous», employés par M. Sørensen ne désignaient pas un groupe de personnes au sens de l’article 266 b).

Il convient de rejeter les accusations portées contre Mme Petersen étant donné que le procès impliquerait des difficultés, des coûts ou des délais disproportionnés à la peine susceptible d’être prononcée si la culpabilité des accusés était reconnue. Le Directeur des poursuites publiques a souligné que le 20 novembre 2001, le tribunal de Haderslev avait condamné Mme Petersen à 20 jours amende à 300 couronnes danoises pour violation de l’article 266 b) 1), et que cette condamnation n’aurait pas été beaucoup plus sévère si l’infraction en cause avait été prise en compte. Le Directeur des poursuites publiques a fait observer que les remarques qu’elle avait faites lors du congrès avaient consisté en un résumé du procès à l’issue duquel elle avait été condamnée par le tribunal de Haderslev.

2.14Les 26 et 28 août 2003, le DRC a fait appel des décisions du Directeur des poursuites publiques concernant respectivement MM. Andreasen (au nom du requérant) et Sørensen (en son propre nom), auprès du Ministère de la justice. Le 13 octobre 2003, le Ministère a déclaré que ces deux appels étaient irrecevables pour défaut de droit d’exercer un recours en vertu des règles de droit administratif concernant les appels des décisions du Directeur des poursuites publiques. S’agissant de l’appel concernant M. Andreasen, le Ministère de la justice a estimé que le requérant, M. Quereshi, n’avait pas «un intérêt essentiel, direct et personnel dans l’affaire impliquant qu’il puisse être considéré comme étant une partie ayant le droit de faire appel». S’agissant de l’appel concernant M. Sørensen, le Ministère a estimé que, selon les mêmes règles, «les organismes de pression, les associations, etc., ou les personnes qui défendent les intérêts de tiers, de groupes ou du public en général pour des raisons idéalistes, professionnelles, organisationnelles, socioprofessionnelles ou de même nature ne peuvent pas être normalement considérés comme étant des parties à une affaire pénale, sauf si elles ont mandat de représenter une partie à l’affaire». Le Ministère a estimé en outre que «l’affaire en cause n’est pas d’une nature qui impose que le DRC soit considéré comme étant habilité à faire appel».

2.15En octobre 2003, MM. Rindal et Warming ont été jugés par le tribunal de district de Grindsted et reconnus coupables d’infractions prévues à l’article 266 b) 1). M. Rindal a été condamné le 26 novembre 2003 à 20 jours amende à 50 couronnes danoises pour les propos tenus lors du congrès du parti. M. Warming, pour sa part, a été condamné à une peine supplémentaire de 20 jours amende à 200 couronnes danoises en vertu de l’article 89 pour, premièrement, avoir affirmé lors du congrès du parti: «Un beau jour, tous les musulmans pourraient bien décider de lancer des cocktails Molotov dans toutes les maisons de leur voisinage et d’aller, dans leurs voitures de luxe, lancer des cocktails Molotov et autres dans le plus grand nombre possible de maisons… Ils sont capables de réduire la population du Danemark de moitié ou plus encore pour faire, en beaucoup moins de temps, comme leurs coreligionnaires musulmans avec le World Trade Centre», et, deuxièmement, pour avoir affirmé en recherchant délibérément une diffusion plus importante encore de ses propos, lors de l’entretien avec un journaliste présent au congrès du parti, que «la seule différence entre les mahométans et les rats, c’est que les rats ne touchent pas d’allocations sociales.». Pour fixer le montant de l’amende, le tribunal a tenu compte de deux précédentes condamnations prononcées contre M. Warming pour violation de l’article 266 b) 1) par la Haute Cour de la circonscription de l’Est (en appel), le 22 mars 1999, et par le tribunal de la ville de Copenhague, le 30 janvier 2003.

2.16Le 17 mars 2004, le conseil d’appel a rejeté la demande d’autorisation déposée par M. Warming en vue de faire appel de la décision du tribunal de district de Grindsted devant la Haute Cour de la circonscription de l’Ouest. En ce qui le concerne, M. Rindal n’a pas fait appel de la décision du tribunal de district.

Procédures engagées contre le Parti progressiste

2.17La police de Thisted a rejeté la plainte contre le Parti progressiste au motif que la législation de l’État partie ne permettait pas, en l’état, de déposer une plainte pour violation de l’article 266 b) contre des entités ayant la personnalité juridique, y compris les partis politiques. Le Procureur public régional a confirmé cette décision.

2.18Le 11 décembre 2002, le DRC, à la demande du requérant, a déposé une nouvelle plainte contre Mme Andersen auprès de la police d’Odense (dont relève son domicile), affirmant qu’il ressortait de ce qui est indiqué aux paragraphes 2.1 à 2.5 ci‑dessus qu’elle avait participé à une violation de l’article 266 b) en tant que membre du bureau exécutif du parti. Le 7 janvier 2002, le chef de la police d’Odense a rejeté la plainte, estimant qu’il n’existait pas d’éléments suffisants à l’appui de l’allégation selon laquelle un acte illégal avait été commis par Mme Andersen en tant que membre du bureau exécutif du parti. Il a estimé que le fait qu’une personne appartient au bureau exécutif d’un parti politique n’était pas en soi une raison de tenir cette personne pour pénalement responsable d’éventuels propos délictueux prononcés par des tiers au cours de la réunion annuelle du parti. Le 25 janvier 2002, le tribunal du district d’Odense a reconnu Mme Andersen coupable d’infraction à l’article 266 b) du Code pénal pour avoir publié les communiqués de presse.

2.19Le 11 mars 2002, le Procureur public régional de Fyn a rejeté l’appel du DRC, estimant que ni ce dernier ni le requérant n’avait l’intérêt essentiel, direct, personnel ou juridique requis pour être partie à l’affaire. En conséquence, le DRC a adressé la requête initiale du requérant au Comité pour l’élimination de la discrimination raciale qui a estimé qu’aucune violation n’avait été commise, s’agissant des actes de l’État partie concernant Mme Andersen. Il a souligné qu’une procédure avait été engagée contre les personnes directement responsables des propos tenus lors du congrès du parti.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant prétend que deux violations des articles 2, paragraphe 1 d), 4 et 6 de la Convention ont été commises. Il prétend, premièrement, que l’État partie n’a pas respecté l’obligation qui lui incombe de prendre des mesures concrètes en vue d’examiner les actes signalés de discrimination raciale et d’enquêter à leur sujet, étant donné que l’accusation qui portait contre M. Andreasen avait été retirée, qu’aucun des orateurs qui s’étaient exprimés lors du congrès du parti n’a été poursuivi et qu’une enquête n’a pas été ouverte sur la conduite de Mme Andersen. À son avis, le fait de ne pas poursuivre les personnes directement responsables des propos (après les avoir initialement inculpées) constituait une violation de l’article 6, tandis que la décision du Procureur public régional (qui n’était pas susceptible d’appel du requérant) de considérer que les propos de M. Andreasen n’entraient pas dans le champ d’application de l’article 266 b) du Code pénal constituait une violation de l’article 2, paragraphe 1 d), de la Convention. Le requérant se fonde sur une décision de la Haute Cour de la juridiction de l’Est prononcée en 1980, pour affirmer que de tels propos entrent bien dans le champ d’application de l’article 266 b).

3.2Deuxièmement, le requérant fait valoir que la décision du Procureur public de classer l’affaire concernant M. Andreasen, qui avait été confirmée par le Ministère de la justice pour défaut de droit d’exercer un recours, viole l’obligation imposée par ces articles, en particulier l’article 6, de garantir une protection et des recours utiles contre tout acte de discrimination raciale. À son avis, par suite de ces décisions, il s’est trouvé dans l’incapacité d’engager une action contre les actes de discrimination raciale auxquels il avait été exposé, en tant que membre d’un groupe de personnes visé par les déclarations.

3.3S’agissant de l’épuisement des voies de recours internes, le requérant fait valoir qu’il serait inefficace d’engager directement une action en justice (non précisée) contre M. Andreasen sachant que la plainte a été rejetée par le Procureur public régional et le Ministère de la justice. Le requérant prétend en outre qu’une plainte en vertu de l’article 26 de la loi sur la responsabilité civile (concernant l’octroi de dommages civils pour atteinte à l’honneur et à la réputation d’une personne) serait inefficace, et cite une décision rendue en 1999 par la Haute Cour de la juridiction de l’Est selon laquelle un acte de discrimination raciale ne donne pas en soi le droit à la personne offensée de demander une indemnisation en vertu de l’article en question. En outre, le requérant écarte toute possibilité d’engager un recours constitutionnel en vertu de l’article 63 de la Constitution (concernant la révision des décisions administratives), affirmant qu’il est nécessaire d’avoir le statut de partie à l’affaire pour pouvoir engager une telle action. Cependant, ce statut a été refusé au requérant, en l’espèce, tant par le Procureur public régional (dans la décision antérieure concernant l’affaire de Mme Pia Andersen, voir par. 2.19 plus haut) que par le Ministère de la justice.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la requête

4.1Dans une communication datée du 17 juin 2004, l’État partie conteste tant la recevabilité que le bien‑fondé de la requête. Il fait valoir que le requérant n’a pas épuisé les recours internes disponibles en matière pénale à trois égards. Premièrement, il n’a fait appel que de la décision du Directeur des poursuites publiques (DPP) en date du 14 août 2003 relative à M. Andreasen et n’a fait appel d’aucune des décisions du DPP relatives aux autres personnes concernées. En conséquence, les voies de recours internes n’ont pas été épuisées en ce qui concerne ces personnes.

4.2Deuxièmement, l’État partie formule de nouveau son argument, qui figurait également dans la première requête présentée au Comité par le requérant, selon lequel l’article 63 de la Constitution permet la révision des décisions des autorités administratives, y compris le DPP et le Ministère de la justice, par les tribunaux. Il rejette l’argument du requérant selon lequel une telle démarche serait inefficace étant donné que le DPP a refusé de procéder à une mise en accusation et que le Ministère a estimé que l’appel du requérant était irrecevable. Par contre, le requérant aurait pu demander aux tribunaux de dire si le point de vue du DPP concernant le champ d’application de l’article 266 b) 1) ou celui du Ministère concernant son droit d’exercer des recours était fondé. Les décisions du Directeur des poursuites publiques concernant les autres cas auraient pu être également examinées. Troisièmement, l’État partie affirme que même lorsque des poursuites n’ont pas été engagées en vertu de l’article 266 b) 1) du Code pénal, une action privée peut être engagée en vertu de l’article 267 du Code pénal protégeant l’honneur des personnes. Dans l’affaire Sadic c. Danemark, le Comité a reconnu, à propos d’une affaire dans laquelle la police n’avait pas donné suite à une plainte déposée en vertu de l’article 266 b), que les exigences de l’article 267 sont différentes et que le requérant doit avoir épuisé les autres voies de recours utiles disponibles avant de s’adresser au Comité.

4.3S’agissant du fond, l’État partie fait valoir que la requête ne fait pas apparaître qu’une violation de la Convention a été commise. S’agissant de violations des articles 2, 4 et 6 liées au traitement et à l’évaluation des plaintes pénales, la façon exhaustive dont la plainte avait été traitée tant par la police, le Procureur public régional et le Directeur des poursuites publiques était pleinement conforme à l’obligation de l’État partie de prendre des mesures efficaces. L’État partie signale que la Convention ne garantit pas une issue particulière des procédures ouvertes à la suite d’allégations de violations de la Convention mais se limite à fixer certains paramètres relatifs au traitement des allégations en question. Les autorités de l’État partie se sont acquittées de leur devoir d’ouvrir une enquête en bonne et due forme, et l’ont menée avec la diligence et le zèle nécessaires en vue d’établir si un acte de discrimination raciale avait effectivement eu lieu. Cette enquête a fait apparaître que certaines plaintes − celles déposées contre MM. Rindal et Warming à cause des déclarations qu’ils avaient faites lors du congrès − ont été considérées comme recevables, tandis que d’autres n’ont pas été considérées comme étant de nature à donner lieu à des poursuites.

4.4Concernant les affaires dans lesquelles il a été décidé de ne pas poursuivre, l’État partie fait valoir que chaque décision a été prise à la suite d’une enquête individuelle soigneuse et régulière et était justifiée par la validité de chaque plainte. S’agissant du dessin qui aurait été distribué par M. Warming, la police a interrogé ce dernier et le journaliste auquel le dessin avait été prétendument remis avant de conclure qu’il n’y avait pas lieu d’engager des poursuites. L’État partie souligne que la Convention n’exige pas que toute enquête qui est ouverte chaque fois qu’une plainte est adressée à la police donne lieu à des poursuites, y compris, par exemple, lorsque la preuve requise n’est pas disponible.

4.5Au sujet de la décision prise par le Directeur des poursuites publiques à l’égard de l’affaire concernant Mme Petersen, selon laquelle les ressources que nécessiterait une enquête seraient disproportionnées à la peine envisageable, l’État partie note que le Procureur public régional a obtenu une transcription de l’enregistrement vidéo de l’émission de télévision et interrogé Mme Petersen, ce qui fait apparaître que l’affaire a donné lieu à un examen suffisant. Le Directeur des poursuites publiques a estimé que la condamnation prononcée précédemment contre Mme Petersen le 20 novembre 2001 (20 jours amende à 300 couronnes danoises pour violation de l’article 266 b) 1)) n’aurait pas été beaucoup plus sévère si la plainte en cause avait été prise en compte, justifiant ainsi la décision de ne pas poursuivre, prise par le Directeur des poursuites publiques en vertu de l’article 89 du Code pénal. En outre, l’État partie rappelle que les déclarations faites par l’intéressée lors du Congrès avaient pris la forme d’un résumé de son procès et de sa condamnation précédents. L’affaire avait donc été examinée conformément aux prescriptions de la Convention.

4.6Concernant la décision selon laquelle il était impossible d’établir le contexte de la déclaration de M. Glistrup, l’État partie note que la police a interrogé ce dernier ainsi que le journaliste concerné et s’est procurée une transcription de l’enregistrement de l’émission de télévision; cependant, les déclarations qui auraient été faites à la tribune n’y figuraient pas. L’État partie fait observer qu’il importe, pour assurer la régularité de la procédure, que les éléments de preuves soumis aux tribunaux en matière pénale satisfassent à certains critères de recevabilité. Dans l’affaire en cause, les accusations ont été rejetées pour défaut de preuves, après qu’une enquête conforme à la Convention eut été effectivement menée.

4.7Concernant les décisions prises au sujet de MM. Andreasen et Sørensen, selon lesquelles les conditions nécessaires à la constitution de l’actus reus – à savoir la tenue de propos concernant des groupes de personnes visés au motif de la race, la couleur, l’origine nationale ou ethnique – n’étaient pas réunies dans l’utilisation de termes tels que «étrangers» et «agents de la cinquième colonne», l’État partie souligne que les groupes réellement concernés sont clairement désignés à l’article 266 b). Il indique que la Haute Cour de la circonscription de l’Est, dans sa décision de 1980 évoquée par le requérant, a estimé que l’expression «travailleur invité» n’entrait pas dans la catégorie désignée par les mots «un groupe de personnes» au sens de l’article 266 b). La Haute Cour a néanmoins souligné que cette expression, dans son acception générale, désignait les personnes originaires d’Europe du Sud, d’Asie ou d’Afrique vivant au Danemark, en particulier les Yougoslaves, les Turcs ou les Pakistanais. Une telle conclusion était possible car l’expression désignait des personnes originaires de pays précis, à la différence de l’affaire considérée dans laquelle les expressions ont un sens beaucoup plus vaste. La conclusion qu’il était impossible d’établir que les expressions employées par MM. Andreasen et Sørensen concernaient un groupe précis de personnes caractérisées par la race, la couleur, l’origine nationale ou ethnique a procédé d’un examen conforme aux prescriptions de la Convention.

4.8L’État partie affirme que l’article 266 b), tel qu’il est appliqué dans la pratique et exposé de façon détaillée dans ses 14e et 15e rapports au Comité, satisfait à l’obligation imposée à l’État partie par l’article 2.1 d) de la Convention d’interdire et de mettre fin à toute discrimination raciale par les moyens appropriés, y compris des mesures législatives. S’agissant de la partie de la plainte relative à l’incapacité du requérant de faire appel de la décision concernant M. Andreasen, l’État partie renvoie aux observations concernant la recevabilité qu’il a faites à propos des possibilités de déposer une plainte constitutionnelle et d’engager des poursuites à la demande d’un plaignant en vertu de l’article 267 du Code pénal.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Dans une lettre datée du 2 août 2004, le requérant conteste les observations de l’État partie sur la recevabilité et reprend ses propres observations antérieures sur le fond. Concernant la possibilité de déposer une plainte constitutionnelle contre les décisions du Directeur des poursuites publiques et du Ministère de la justice, il fait valoir que, étant donné que le Ministère a lui‑même affirmé qu’il n’avait dans l’affaire aucun intérêt essentiel, direct et personnel lui conférant le droit d’exercer des recours, il n’y a pas lieu de lui imposer l’obligation d’engager une telle procédure, laquelle entraînerait le report de la possibilité de soumettre une requête au Comité. En tout état de cause, même si un tribunal considérait qu’il avait effectivement le droit d’exercer des recours, une telle démarche serait vouée à l’échec à cause de l’expiration des délais fixés pour engager des poursuites (concernant la décision du Ministère). En conséquence, en violation des articles 4 et 6 de la Convention, aucune sanction ne pourra jamais être prononcée contre M. Andreasen.

5.2Concernant la possibilité d’engager des poursuites à la demande d’un plaignant en vertu de l’article 267 du Code pénal, le requérant fait valoir que, que les propos de M. Andreasen tombent ou non sous le coup de cette disposition, tout tribunal rejetterait une telle plainte au motif qu’il n’avait aucun intérêt essentiel, direct et personnel dans l’affaire. Il fait donc valoir de nouveau qu’il n’y a pas lieu de lui prescrire de s’engager dans une telle voie et de reporter la présentation d’une requête au Comité.

Délibérations du Comité

Examen quant à la recevabilité

6.1Avant d’examiner une communication quant au fond, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, en application de l’article 91 de son règlement intérieur, examine si cette communication est ou non recevable au titre de la Convention.

6.2S’agissant de l’épuisement des voies de recours internes, le Comité note que la plainte du requérant ne porte que sur le traitement de la plainte déposée contre M. Andreasen, affaire pour laquelle il a effectivement adressé un appel au Ministère de la justice. Le Comité n’a donc pas besoin d’examiner l’argument selon lequel le requérant n’a pas fait également appel des décisions défavorables adoptées dans certaines autres affaires, même si le Comité note que rien n’indique que la décision du Ministère de déclarer que le requérant n’avait pas le droit d’exercer des recours n’aurait pas été différente dans ces affaires.

6.3S’agissant de l’argument de l’État partie selon lequel le requérant aurait dû demander que des poursuites soient engagées en vertu des dispositions générales de l’article 267 du Code pénal, le Comité rappelle que, dans son opinion concernant l’affaire Sadic, il a effectivement demandé au requérant d’engager une telle action. Toutefois, dans cette affaire, les faits n’entraient pas dans le champ d’application de l’article 266 b) du Code pénal étant donné que les propos mis en cause avaient un caractère essentiellement privé ou avaient été tenus dans un cercle très limité de personnes. La conduite en cause relevait donc de l’article 267 qui complétait le champ d’application de la protection garantie par l’article 266 b) et offrait une solution raisonnable et particulièrement adaptée aux faits de la cause. Par contre, dans l’affaire considérée, les propos ont été carrément tenus en public, situation qui intéresse directement la Convention et l’article 266 b). Il serait donc déraisonnable de demander au requérant d’engager une procédure distincte en vertu des dispositions générales de l’article 267 après avoir invoqué sans succès l’article 266 b) du Code pénal du Danemark pour des faits relevant directement de la lettre et de l’objet de cette disposition.

6.4S’agissant de l’argument de l’État partie selon lequel un examen judiciaire des décisions du Directeur des poursuites publiques et du Ministère pouvait être encore demandé par le biais d’une plainte constitutionnelle, le Comité rappelle que le requérant a porté plainte successivement devant quatre niveaux des instances administratives au cours d’un processus qui, à quelques semaines près, a duré environ deux ans, pour des faits qui appartenaient au domaine public dès le départ et qui ne nécessitaient pas une enquête complexe. Dans ces circonstances, le Comité estime que l’exercice de nouveaux moyens de recours devant les tribunaux à l’heure actuelle constituerait une procédure excédant des délais raisonnables au sens du paragraphe 7 a) de l’article 14 de la Convention. Il n’est donc pas nécessaire qu’ils soient épuisés aux fins de la plainte considérée. Le Comité note en outre que le requérant a mis en doute l’efficacité d’une telle procédure, faisant valoir que, étant donné l’expiration des délais fixés pour engager des poursuites, toute décision judiciaire sur la légalité des mesures prises n’aurait aucun effet pratique sur les procédures en question.

6.5À la lumière de ce qui précède et en l’absence d’autres objections concernant la recevabilité de la requête, le Comité déclare celle‑ci recevable et passe à son examen quant au fond.

Examen quant au fond

7.1Agissant en application du paragraphe 7 a) de l’article 14 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, le Comité a examiné les renseignements fournis par le requérant et l’État partie.

7.2Le Comité rappelle que dans sa décision concernant la requête initiale du requérant, il a souligné qu’il s’était particulièrement attaché à examiner les mesures prises en se fondant sur la législation de l’État partie, principalement la loi pénale, contre les intervenants qui auraient personnellement commis un acte de discrimination raciale. Ainsi, il a noté en l’occurrence que Mme Andersen avait été condamnée pour sa conduite personnelle. Dans l’affaire considérée, deux orateurs qui s’étaient exprimés au congrès du parti ont été reconnus coupables et condamnés pour des violations de l’article 266 b) du Code pénal. L’un de ces orateurs s’est même vu infliger une condamnation plus sévère après avoir fait l’objet de deux décisions moins rigoureuses et de peines plus légères pour des violations de l’article 266 b). Par contre, une oratrice n’a pas fait l’objet de nouvelles poursuites au motif que la peine envisageable n’aurait pas été plus lourde que la condamnation dont elle avait déjà fait l’objet en vertu de l’article 266 b). Concernant un autre orateur, l’enquête a fait apparaître que les propos prétendument tenus sur l’estrade n’avaient pas été effectivement prononcés. C’est en tenant compte de la manière décrite ci‑dessus, dont l’État partie a poursuivi pénalement des propos constituant une discrimination raciale, tenus tant hors du congrès du parti que dans le cadre de ce congrès, qu’il convient d’examiner au fond la requête concernant l’issue de la plainte déposée contre M. Andreasen.

7.3Le Comité rappelle que M. Andreasen a tenu des propos injurieux à l’égard des «étrangers» lors du congrès du parti. Le Comité note que, quelle qu’ait pu être la situation dans l’État partie par le passé, une allusion générale aux étrangers ne désigne pas à l’heure actuelle un groupe spécifique de personnes, contrairement à l’article premier de la Convention, défini par une race, une appartenance ethnique, une couleur, une ascendance ou une origine nationale ou ethnique spécifiques. Le Comité n’est donc pas en mesure d’établir que les autorités de l’État partie sont parvenues à une conclusion inappropriée en estimant que les propos de M. Andreasen, contrairement aux déclarations plus spécifiques des autres orateurs qui se sont exprimés lors du congrès du parti, ne constituaient pas un acte de discrimination raciale contrevenant à l’article 266 b) du Code pénal du Danemark. Il s’ensuit que le requérant n’a pas été privé du droit d’exercer un recours utile contre un acte de discrimination commis dans le cadre des propos de M. Andreasen.

8.Le Comité se voit toutefois contraint d’appeler l’attention de l’État partie i) sur le caractère haineux des propos que M. Andreasen a tenus à l’égard des étrangers et le fait que de tels propos sont particulièrement graves lorsqu’ils sont tenus par des personnalités politiques et, dans ce contexte, ii) sur sa recommandation générale no 30, adoptée à sa soixante‑quatrième session, concernant la discrimination contre les non‑ressortissants.

9.Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 14 de la Convention, estime que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation de la Convention.

[Fait en anglais, en espagnol et en français, le texte anglais étant la version originale. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

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