CERD

Convention internationale

sur l’élimination

de toutes les formes

de discrimination raciale

Distr.RESTREINTE*

CERD/C/68/D/34/200415 mars 2006

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ POUR L’ÉLIMINATIONDE LA DISCRIMINATION RACIALE

Soixante‑huitième session20 février‑10 mars 2006

OPINION

Communication n o  34/2004

Présentée par:

Mohammed Hassan Gelle(représenté par le Centre de documentation et de conseil en matière de discrimination raciale)

Au nom de:

Le requérant

État partie:

Danemark

Date de la communication:

17 mai 2004(date de la lettre initiale)

Date de la présente décision:

6 mars 2006

[ANNEXE]

ANNEXE

OPINION ADOPTÉE PAR LE COMITÉ POUR L’ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE EN APPLICATION DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION INTERNATIONALE SUR L’ÉLIMINATION

DE TOUTES LES FORMES DE DISCRIMINATION RACIALE

Soixante ‑huitième session

concernant la

Communication n o  34/2004

Présentée par:

Mohammed Hassan Gelle (représenté par le Centre de documentation et de conseil en matière de discrimination raciale)

Au nom de:

Le requérant

État partie:

Danemark

Date de la communication:

17 mai 2004(date de la lettre initiale)

Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, créé en application de l’article 8 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale,

Réuni le 6 mars 2006,

Adopte ce qui suit:

Opinion

1.1Le requérant est M. Mohammed Hassan Gelle, ressortissant et résidant danois d’origine somalienne, né en 1957. Il se déclare victime de violations par le Danemark du paragraphe 1 d) de l’article 2 de la Convention, de l’article 4 et de l’article 6. Il est représenté par un conseil, M. Niels‑Erik Hansen du Centre de documentation et de conseil en matière de discrimination raciale.

1.2Conformément au paragraphe 6 a) de l’article 14 de la Convention, le Comité a transmis la communication à l’État partie, le 3 juin 2004.

Exposé des faits

2.1Le 2 janvier 2003, le quotidien danois Kristeligt Dagblad a publié une lettre au rédacteur en chef signée de Mme Pia Kjærsgaard, députée au Parlement danois (Folketinget) et dirigeante du Parti du peuple danois (Dansk Folkeparti). Sous le titre «Un crime contre l’humanité», la lettre contenait les déclarations suivantes:

«Combien de petites filles seront‑elles mutilées avant que Lene Espersen, la Ministre de la justice (Parti conservateur), interdise ce crime? […]

Mais Mme Espersen a déclaré qu’elle avait besoin de plus amples renseignements avant de pouvoir déposer le projet de loi. Elle fait donc maintenant circuler le texte pour demander leur avis à 39 organisations, qui seront en mesure d’élever des objections.

Certes, il est conforme aux règles qu’un ministre de la justice veuille consulter plusieurs organes à propos d’un projet de loi de grande importance. Les tribunaux, le Procureur général, la police, etc., doivent obligatoirement être consultés.

Mais je dois avouer que j’ai ouvert grand les yeux quand j’ai lu sur la liste des 39 organisations choisies par Mme Espersen l’Association danoise-somalienne […], le Conseil des minorités ethniques […], le Centre danois pour les droits de l’homme […], l’Organisation nationale pour les minorités ethniques […] et le Centre de documentation et de consultation en matière de discrimination raciale […].

Je vous le demande: Quel est le rapport entre l’interdiction des mutilations et des mauvais traitements et la discrimination raciale? Et pourquoi donc l’Association danoise‑somalienne aurait‑elle son mot à dire au sujet d’un texte de loi qui porte sur un crime perpétré principalement par des Somaliens? Et veut‑on que les Somaliens décident si l’interdiction des mutilations génitales constitue une violation de leurs droits ou porte atteinte à leur culture?

Pour moi, c’est comme si l’on demandait à une association de pédophiles si elle a des objections à l’adoption d’un texte interdisant des relations sexuelles avec des enfants ou demandait à des violeurs s’ils sont favorables à un alourdissement de la peine prévue pour le viol. Car avec chaque jour qui passe jusqu’à ce que l’étape de consultation soit achevée et que le projet de loi puisse être adopté, de plus en plus de petites filles seront mutilées pour toute leur vie. En toute décence, il faudrait arrêter ce crime tout de suite. […]».

2.2Le requérant a considéré que cette comparaison assimilait les personnes d’origine somalienne aux pédophiles et aux violeurs, ce qui était directement insultant pour lui. Le 28 janvier 2003, le Centre de consultation et de conseil en matière de discrimination raciale (DRC) a porté plainte, au nom du requérant, auprès de la police de Copenhague en faisant valoir une infraction à l’article 266 b) du Code pénal.

2.3Par une lettre du 26 septembre 2003, la police de Copenhague a avisé le DRC que, conformément au paragraphe 1 de l’article 749 de la loi sur l’administration de la justice, elle avait décidé de ne pas ouvrir d’enquête parce qu’il n’y avait pas raisonnablement lieu de supposer qu’une infraction pénale passible de poursuites avait été commise. La lettre de notification disait ce qui suit:

«À mon avis, on ne peut pas lire dans la lettre adressée à la rédaction du journal l’idée que les Somaliens sont assimilés à des pédophiles et des violeurs et que l’auteur de la lettre établit un lien entre les Somaliens et les auteurs de crimes graves. Les mutilations génitales sont une tradition somalienne ancienne que beaucoup considèrent comme un crime, à cause de l’agression […] sur la femme qu’elle suppose. À mon avis, ce que Mme Kjærsgaard veut dire c’est qu’elle critique le fait que la Ministre veuille prendre l’avis d’un groupe qui, aux yeux de beaucoup, commet un acte criminel en pratiquant ces mutilations. S’il est vrai que les exemples choisis, les pédophiles et les violeurs, sont insultants, cela ne constitue pas pour autant une infraction au sens de l’article 266 b).».

2.4Le 6 octobre 2003, le DRC a formé, au nom du requérant, un recours auprès du Procureur régional qui a confirmé, en date du 18 novembre 2004, la décision de la police de Copenhague:

«Ma décision se fonde également sur le fait que dans ces déclarations, l’auteur ne qualifie pas tous les Somaliens de criminels ou ne les assimile pas à des pédophiles ou des violeurs, mais qu’elle conteste simplement qu’une association somalienne soit consultée à propos d’un projet de loi qui criminaliserait des actes commis en particulier dans le pays d’origine des Somaliens [ce qui est la raison pour laquelle] Mme Kjærsgaard estime qu’on ne peut pas attendre de Somaliens qu’ils soient objectifs au sujet de ce projet de loi au même titre qu’on ne peut pas attendre de pédophiles et de violeurs qu’ils soient objectifs sur la question de la criminalisation de la pédophilie et du viol. La comparaison avec les pédophiles et les violeurs ne peut être interprétée que comme portant sur le bien‑fondé de l’idée de demander à des Somaliens de donner leur avis sur une loi qui les concerne directement et non pas comme signifiant qu’ils ont un comportement criminel.

J’ai en outre fondé ma décision sur le fait que les propos tenus dans la lettre émanent d’un membre du Parlement qui les a tenus dans un contexte d’un débat politique en cours et qu’ils expriment les opinions politiques générales d’un parti représenté au Parlement.

D’après le contexte de la lettre au rédacteur en chef, les déclarations qu’elle contient portent sur le fait de demander à l’Association danoise‑somalienne, entre autres organisations, son avis au sujet du projet de loi interdisant les mutilations génitales.

Certes, les déclarations sont générales et très brutales et peuvent offenser ou choquer certaines personnes mais j’ai considéré que le point essentiel […] était que les déclarations s’inscrivaient dans le cadre d’un débat politique qui, par principe, laisse une très grande latitude pour faire des déclarations unilatérales à l’appui d’une opinion politique particulière.

Il ressort des travaux préparatoires de l’article 266 b) du Code pénal que l’intention était particulièrement de ne pas limiter les sujets qui peuvent donner lieu à un débat politique et de ne pas déterminer la façon dont ces sujets pouvaient être traités.

Pour que vous compreniez mieux l’article 266 b), je vous informe que le Procureur général a déjà refusé d’engager des poursuites pour violation de cette disposition dans le cas de déclarations de même nature. […]

Ma décision est définitive et sans appel. (Voir l’article 101, par. 2, deuxième phrase de la loi sur l’administration de la justice.)».

Teneur de la plainte

3.1Le requérant fait valoir que l’argument du Procureur régional qui affirme que les membres du Parlement jouissent d’un «droit de liberté d’expression étendu» dans le débat politique n’est pas reflété dans les travaux préparatoires de l’article 266 b) du Code pénal, donnant effet aux obligations contractées par l’État partie en vertu de la Convention. En 1995, un nouveau paragraphe (par. 2) a été ajouté dans l’article 266 b), qui dispose que «le fait que les propos incriminés tiennent de la propagande est considéré comme une circonstance aggravante pour la fixation de la peine». Pendant la lecture du projet au Parlement, un député a relevé que, dans des circonstances aggravantes ainsi visées, le Procureur ne doit pas faire preuve de la même retenue pour poursuivre les affaires de discrimination raciale que par le passé.

3.2Le requérant fait valoir que pendant l’examen par le Comité du treizième rapport périodique de l’État partie, la délégation danoise avait dit qu’une diffusion systématique ou «plus générale des déclarations peut conduire à faire jouer l’article 266 b), paragraphe 2».

3.3Le requérant cite d’autres déclarations faites par Mme Pia Kjærsgaard, notamment une qui a été publiée dans une lettre d’information hebdomadaire datée du 25 avril 2000: «En fait, un fondamentaliste musulman ne sait pas comment se conduire de manière digne et policée selon les traditions démocratiques danoises. Il ne sait tout simplement pas ce que cela signifie. Des principes communément admis comme le fait de dire la vérité et de se conduire avec dignité et courtoisie − y compris vis‑à‑vis de personnes dont vous ne partagez pas les vues − sont tout à fait étrangers à des gens tels que M. Z.».

3.4Le requérant demande que l’incident fasse l’objet d’une enquête approfondie et sollicite une indemnisation à titre de réparation pour la violation du paragraphe 1 d) de l’article 2 et des articles 4 et 6 de la Convention.

3.5Le requérant affirme qu’il a épuisé tous les recours utiles disponibles étant donné qu’en vertu du paragraphe 1 de l’article 749 de la loi sur l’administration de la justice, la police a le pouvoir discrétionnaire d’ouvrir ou de ne pas ouvrir une enquête pénale, sa décision étant susceptible de recours devant le Procureur régional dont la décision est finale et ne peut pas faire l’objet d’un recours auprès d’une autre autorité administrative (comme le dit explicitement le Procureur régional dans sa décision du 18 novembre 2004) ni d’un tribunal. Une action en justice engagée directement contre Mme Kjærsgaard aurait été vaine puisque sa plainte pénale avait été rejetée et eu égard à la jurisprudence de la Haute Cour de l’Est qui, dans un arrêt du 5 février 1999, a établi qu’un incident de discrimination raciale ne constituait pas en soi une atteinte à l’honneur et à la réputation d’une personne au titre de l’article 26 de la loi sur la responsabilité civile.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond et commentaires du requérant

4.1Dans une lettre datée du 6 septembre 2004, l’État partie a fait des observations sur la recevabilité, et à titre subsidiaire, sur le fond de la communication.

4.2En ce qui concerne la recevabilité, l’État partie fait valoir que le requérant n’a pas établi, aux fins de la recevabilité, qu’il y avait matière à plainte, étant donné que les déclarations contenues dans la lettre de Mme Kjærsgaard au rédacteur en chef du Kristeligt Dagblad ne comparaient pas les Somaliens à des pédophiles ou à des violeurs mais traduisaient une critique à l’égard de la décision de la Ministre de la justice de consulter, dans le cadre du processus législatif, une association qui à son avis ne pouvait pas être considérée comme objective vu la teneur du projet de loi. Il conclut que les propos incriminés n’impliquaient pas de discrimination raciale et n’entraient donc pas dans le champ d’application du paragraphe 1 d) de l’article 2 ni des articles 4 et 6 de la Convention.

4.3L’État partie fait valoir aussi que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 7 a) de l’article 14 de la Convention, étant donné que le requérant n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles; l’article 63 de la Constitution du Danemark prévoit en effet que les décisions des autorités administratives peuvent être attaquées devant les tribunaux. Par conséquent le requérant aurait dû contester par la voie juridictionnelle la décision du Procureur général de ne pas diligenter d’enquête pénale. Étant donné que le requérant s’estime directement insulté par les déclarations de Mme Kjærsgaard, il aurait pu également engager une action pénale en application du paragraphe 1 de l’article 267 du Code pénal, qui criminalise en général les déclarations diffamatoires. Conformément au paragraphe 1 de l’article 275, ces infractions peuvent être poursuivies à la demande de l’intéressé, possibilité que le Comité avait considérée comme un recours utile dans l’affaire Sadic c. Danemark.

4.4À titre subsidiaire, sur le fond l’État partie conteste qu’il y ait eu violation du paragraphe 1 d) de l’article 2 et de l’article 6 de la Convention, parce que l’interprétation des propos de Mme Kjærsgaard donnée par les autorités danoises remplissait parfaitement la condition qui veut qu’une enquête soit menée avec la diligence et la célérité voulues et soit suffisamment poussée pour déterminer si un acte de discrimination raciale a eu lieu. Il ne découle pas de la Convention que des poursuites doivent être engagées dans tous les cas signalés à la police. Il est au contraire tout à fait conforme à la Convention de rejeter une plainte, par exemple en l’absence d’éléments suffisants pour supposer que des poursuites aboutiraient à une condamnation. En l’espèce, la question décisive de savoir si les propos de Mme Kjærsgaard tombaient sous le coup de l’article 266 b) du Code pénal ne nécessitait pas la production de preuves. Le Procureur régional devait simplement faire une appréciation au regard de la loi, qu’il a faite de façon approfondie et adéquate.

4.5L’État partie réaffirme que les déclarations de Mme Kjærsgaard étaient dénuées de tout contenu raciste. Aussi est‑il sans conséquence qu’elles aient été faites ou non par un député du Parlement dans le contexte du débat politique actuel sur les mutilations génitales. Par conséquent, la question d’un droit «étendu» à la liberté d’expression dans le cas des membres du Parlement, qui engloberait même les propos racistes, ne se pose pas au regard de l’article 4 de la Convention.

4.6L’État partie ajoute que l’article 266 b) du Code pénal répond à l’obligation faite dans la Convention d’ériger la discrimination raciale en infraction pénale et que la loi danoise prévoit des recours suffisants contre les actes de discrimination raciale.

5.1En date du 25 octobre 2004, le requérant a répondu que le titre donné à la lettre de Mme Kjærsgaard dans le Kristeligt Dagblad («Un crime contre l’humanité») accuse de façon générale et injuste les personnes d’origine somalienne qui vivent au Danemark de pratiquer les mutilations génitales sur les petites filles. Étant donné que les autorités danoises elles‑mêmes ont explicitement reconnu le caractère insultant des propos de Mme Kjærsgaard (voir plus haut par. 2.3 et 2.4), l’État partie devrait retirer l’argument consistant à considérer qu’il n’y a pas matière à déclarer la communication recevable.

5.2Le requérant fait valoir que la possibilité prévue à l’article 63 de la Constitution du Danemark de contester par la voie juridictionnelle la décision du Procureur régional ne constitue pas un recours effectif au sens de l’article 6 de la Convention parce que le délai prévu pour engager une procédure pénale en vertu de l’article 266 b) du Code pénal aurait expiré le temps que le tribunal renvoie l’affaire à la police. Le Comité ne devait pas connaître cet élément quand il s’est prononcé dans l’affaire Quereshi c. Danemark. L’idée avancée par les autorités danoises que les membres du Parlement jouissent d’un droit «étendu» à la liberté d’expression dans le contexte du débat politique n’a jamais été confirmée par les tribunaux danois et appelle donc une clarification de la part du Comité.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale doit, conformément à l’article 91 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable ou non en vertu de la Convention.

6.2En ce qui concerne l’objection de l’État partie qui fait valoir que le requérant n’a pas soumis d’éléments montrant, aux fins de la recevabilité, qu’il y avait matière à invoquer la Convention, le Comité relève que les déclarations de Mme Kjærsgaard n’étaient pas anodines au point d’être écartées d’emblée du champ d’application du paragraphe 1 d) de l’article 2 et des articles 4 et 6 de la Convention. Par conséquent, le requérant a suffisamment étayé ses griefs aux fins de la recevabilité.

6.3En ce qui concerne la question de l’épuisement des recours internes, le Comité rappelle que le requérant a déposé une plainte en vertu de l’article 266 b) du Code pénal, plainte qui a été rejetée par la police de Copenhague et, en appel, par le Procureur régional. Il note que le Procureur régional a précisé dans sa décision du 18 novembre 2004 que celle‑ci était définitive et n’était pas susceptible d’appel ni devant le Procureur général ni devant le Ministère de la justice.

6.4Pour ce qui est de l’argument de l’État partie qui fait valoir que le requérant aurait pu demander par la voie juridictionnelle la révision de la décision du Procureur régional de ne pas ouvrir d’enquête pénale en application de l’article 266 b) du Code pénal, conformément à l’article 63 de la Constitution du Danemark, le Comité prend note de l’argument du requérant, qui n’a pas été contesté, selon lequel le délai impératif pour engager une action pénale en vertu de l’article 266 b) aurait expiré le temps que les tribunaux renvoient l’affaire à la police. Dans ce contexte, le Comité considère que le réexamen judiciaire de la décision du Procureur régional prévu par l’article 63 de la Constitution n’aurait pas offert au requérant un recours effectif.

6.5En ce qui concerne l’argument de l’État partie qui fait valoir que le requérant aurait dû demander que des poursuites soient engagées en vertu des dispositions générales relatives aux propos diffamatoires (art. 267 du Code pénal), le Comité rappelle que dans son opinion concernant l’affaire Sadic c. Danemark, il avait effectivement demandé au requérant dans cette affaire précise d’engager une telle action, toutefois les faits n’entraient pas dans le champ d’application de l’article 266 b) du Code pénal étant donné que les propos en cause avaient un caractère essentiellement privé. La conduite en cause relevait donc de l’article 267 qui complétait le champ d’application de la protection garantie par l’article 266 b) et offrait une solution raisonnable et particulièrement adaptée aux faits. En revanche, dans la présente affaire, les propos ont été carrément tenus en public, situation qui relève directement de la Convention et de l’article 266 b). Il serait donc déraisonnable de demander au requérant d’engager une procédure distincte en vertu des dispositions générales de l’article 267 après avoir invoqué sans succès l’article 266 b) du Code pénal du Danemark pour des faits relevant directement de la lettre et de l’objet de cette disposition.

6.6Pour ce qui est de la possibilité d’engager une procédure civile en vertu de l’article 26 de la loi sur la responsabilité civile, le Comité note l’argument du requérant qui affirme que la Haute Cour de l’Est a confirmé, dans un arrêt précédent, qu’un incident de discrimination raciale ne constituait pas en soi une atteinte à l’honneur et à la réputation d’autrui. Bien que le simple fait de douter de l’efficacité d’un recours civil disponible ne dispense pas un requérant de se prévaloir de ce recours, le Comité relève qu’en engageant une action civile le requérant n’aurait pas atteint l’objectif qu’il recherchait en déposant sa plainte en vertu de l’article 266 b) du Code pénal, à la police et ensuite au Procureur régional: la condamnation de Mme Kjærsgaard par une juridiction pénale. Il s’ensuit qu’introduire une action civile en vertu de l’article 26 de la loi sur la responsabilité civile ne peut pas être considéré comme un recours effectif devant être épuisé aux fins du paragraphe 7 a) de l’article 14 de la Convention, dans la mesure où le requérant souhaitait obtenir une enquête pénale complète sur les déclarations de Mme Kjærsgaard.

6.7En l’absence d’autres objections concernant la recevabilité de la communication, le Comité déclare celle‑ci recevable dans la mesure où le grief porte sur le fait que l’État partie n’a pas procédé à une enquête complète.

Examen au fond

7.1Le Comité, agissant en application du paragraphe 7 a) de l’article 14 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, a examiné les renseignements apportés par le requérant et l’État partie.

7.2Le Comité doit déterminer si l’État partie s’est acquitté de l’obligation positive qui lui incombe de prendre des mesures effectives contre les cas signalés de discrimination raciale, c’est‑à‑dire s’il a ouvert une enquête sur les faits dénoncés par le requérant dans la plainte qu’il avait déposée en vertu de l’article 266 b) du Code pénal. En vertu de cette disposition, les déclarations publiques ayant un caractère menaçant, insultant ou dégradant pour un groupe de personnes en raison de leur couleur, origine nationale ou ethnique, religion ou préférence sexuelle constituent une infraction pénale.

7.3Le Comité observe qu’il ne suffit pas, aux fins de l’article 4 de la Convention, de déclarer simplement dans un texte de loi les actes de discrimination raciale punissables. La législation pénale et les autres dispositions légales interdisant la discrimination raciale doivent aussi être effectivement mises en œuvre par les tribunaux nationaux compétents et les autres institutions de l’État. Cette obligation est implicite dans l’article 4 de la Convention, en vertu duquel les États parties «s’engagent à adopter immédiatement des mesures positives destinées à éliminer» toute incitation à la discrimination raciale ou tous actes de discrimination. Elle est également reflétée dans d’autres dispositions de la Convention comme le paragraphe 1 d) de l’article 2, en vertu duquel les États doivent «par tous les moyens appropriés» «interdire la discrimination raciale» et l’article 6 qui garantit à chacun «une protection et une voie de recours effectives» contre tous actes de discrimination raciale.

7.4Le Comité relève que le Procureur régional a rejeté la plainte du requérant au motif que dans sa lettre au rédacteur en chef, Mme Kjærsgaard ne traitait pas tous les Somaliens de criminels et ne les assimilait pas à des pédophiles ou à des violeurs mais avait seulement protesté contre le fait qu’une association somalienne doive être consultée au sujet d’un projet de loi tendant à criminaliser des infractions commises notamment dans le pays d’origine des Somaliens. Il s’agit là certes d’une interprétation possible des propos de Mme Kjærsgaard, lesquels pourraient néanmoins être compris comme dégradants ou insultants à l’égard d’un groupe de personnes tout entier − à savoir les personnes d’ascendance somalienne − au motif de leur origine nationale ou ethnique et non de leurs vues, opinions ou actes concernant la pratique choquante des mutilations génitales féminines. Tout en condamnant fermement la pratique des mutilations génitales féminines, le Comité rappelle que le choix des «pédophiles» et des «violeurs» comme exemples pour la comparaison a été perçu comme insultant non seulement par le requérant mais aussi par la police de Copenhague qui en a reconnu le caractère offensant dans sa lettre du 26 septembre 2003. Le Comité relève que quoique l’évocation offensante des «pédophiles» et «violeurs» aggrave la peine ressentie par le requérant, il reste le fait que les remarques de Mme Kjaersgaard peuvent être comprises comme une généralisation négative touchant un groupe de personnes tout entier, fondée uniquement sur leur origine ethnique ou nationale, sans rapport avec leurs vues, opinions ou actes particuliers concernant la question des mutilations génitales féminines. Il rappelle de plus que le Procureur régional et la police ont d’emblée exclu l’application de l’article 266 b) au cas de Mme Kjærsgaard, sans fonder cette décision sur les résultats d’une mesure d’enquête, par exemple un interrogatoire de Mme Kjærsgaard, ou d’autres témoins, concernant l’incident.

7.5Le Comité considère également que le fait que les déclarations de Mme Kjærsgaard s’inscrivent dans le contexte du débat politique ne dispense pas l’État partie de son obligation d’ouvrir une enquête pour déterminer si ces déclarations représentaient un acte de discrimination raciale. Il réaffirme que l’exercice du droit à la liberté d’expression comporte des devoirs et des responsabilités spéciaux, notamment l’interdiction de diffuser des idées racistes, et rappelle sa recommandation générale XXX dans laquelle il a recommandé aux États parties de «prendre des mesures énergiques pour combattre toute tendance à viser, stigmatiser, stéréotyper ou caractériser par leur profil, les membres de groupes de population non ressortissants sur la base de la race, la couleur, l’ascendance et l’originale nationale ou ethnique, en particulier de la part des politiciens […]».

7.6Étant donné que l’État partie n’a pas mené à bien une enquête effective pour déterminer s’il y avait eu un acte de discrimination raciale, le Comité conclut à une violation du paragraphe 1 d) de l’article 2 et de l’article 4 de la Convention. L’absence d’enquête sur la plainte déposée par le requérant en vertu de l’article 266 b) du Code pénal a également constitué une violation du droit, consacré à l’article 6 de la Convention, à une protection et à une voie de recours effectives contre l’acte de discrimination raciale dénoncé.

8.Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, agissant en application du paragraphe 7 de l’article 14 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, estime que les faits dont il est saisi font apparaître des violations du paragraphe 1 d) de l’article 2, de l’article 4 et de l’article 6 de la Convention.

9.Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale recommande à l’État partie d’octroyer au requérant une indemnisation adéquate pour le dommage moral subi par lesdites violations de la Convention. Tenant compte de la loi du 16 mars 2004 qui a introduit, entre autres, une nouvelle disposition à la section 81 du Code pénal faisant de la motivation raciale une circonstance aggravante, le Comité recommande également à l’État partie de veiller à ce que la législation existante soit appliquée efficacement de façon à éviter que des violations analogues ne se reproduisent dans l’avenir. L’État partie est prié également de diffuser largement l’opinion du Comité, y compris auprès des procureurs et des instances judiciaires.

10.Le Comité souhaite recevoir du Danemark, dans un délai de six mois, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à l’opinion du Comité.

[Fait en anglais (version originale), en espagnol, en français et en russe. Paraîtra ultérieurement en arabe et en chinois dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

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