Nations Unies

CAT/C/60/D/639/2014

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

16 juin 2017

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité en vertu de l’article 22de la Convention, concernant la communicationno 639/2014 * , **

Communication présentée par :

N. A. A. (représenté par un conseil, Tarig Hassan)

Au nom de :

Le requérant

État partie :

Suisse

Date de la requête :

14 novembre 2014 (lettre initiale)

Date de la présente décision :

2 mai 2017

Objet :

Expulsion vers le Soudan

Question(s) de procédure :

Néant

Question(s) de fond :

Risque de torture en cas d’expulsion vers le pays d’origine (non-refoulement)

Article(s) de la Convention :

3

1.1Le requérant est N. A. A., de nationalité soudanaise, né le 26 mars 1986, qui est l’objet d’une décision de renvoi de Suisse vers le Soudan. Il affirme que son renvoi au Soudan constituerait une violation par la Suisse du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention. Le requérant est représenté par un conseil, Tarig Hassan.

1.2Le 24 novembre 2014, par l’intermédiaire de son rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires, le Comité a décidé de formuler une demande de mesures provisoires au titre du paragraphe 1 de l’article 114 de son règlement intérieur et a prié l’État partie de ne pas renvoyer le requérant au Soudan tant que sa requête serait à l’examen.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant est un Soudanais appartenant au groupe ethnique « Al-Guemer ». Il est né en 1986 dans un village proche de Kutum, dans le Darfour du Nord. En 2003, les rebelles ont commencé à s’infiltrer dans la ville de Kutum. Le père du requérant, qui était le chef de son village, était un partisan du Mouvement de libération du Soudan.

2.2En août 2005, l’armée soudanaise a procédé à des bombardements contre les rebelles et la population locale qui les soutenait dans le district où vivait le requérant. Au cours de cette attaque, le père du requérant a été tué dans une école coranique (madrassa) où il accomplissait la prière. Suite à cet incident, le requérant a quitté son village pour s’installer à Khartoum chez son oncle, qui était un partisan de l’opposition.

2.3En septembre 2005, muni de faux documents d’identité au nom d’Isagh Ahmed Ademharun, le requérant est parti pour Beyrouth. Après le départ du requérant du Soudan, son oncle a lui aussi été tué, à Omdourman, parce qu’il soutenait l’opposition. Le requérant a habité quatre ans à Beyrouth avant de se rendre en Suisse via la Turquie, la Grèce et l’Italie.

2.4Une fois installé en Suisse, le requérant a participé, à Zurich et à Genève, à plusieurs réunions et à des manifestations contre le Gouvernement soudanais, au cours desquelles il a scandé des slogans hostiles au régime soudanais. Ainsi, il a participé à un rassemblement organisé le 10 octobre 2013 à Genève pour protester contre le recours systématique du Gouvernement soudanais à la force militaire contre des manifestants pacifiques. Le 25 février 2014, le requérant a participé au Sommet de Genève pour les droits de l’homme et la démocratie et a été vu à cette occasion aux côtés de dirigeants de l’Armée de libération du Soudan et du Mouvement pour la justice et l’égalité . Le 7 septembre 2014, il a participé à une réunion conjointe du Mouvement pour la justice et l’égalité et de l’organisation non Gouvernementale Appel de Genève. Le requérant affirme avoir été pris en photo avec des membres d’Appel de Genève et du Mouvement pour la justice et l’égalité, en particulier avec le chef du Mouvement, Ahmed Atim. Depuis 2010, Appel de Genève et le Mouvement pour la justice et l’égalité travaillent ensemble sur l’interdiction des mines antipersonnel et d’autres questions humanitaires, et il est certain que le régime soudanais surveille de près leurs activités.

2.5Le 13 septembre 2014, l’auteur a participé à la cérémonie d’ouverture de l’antenne du Mouvement pour la justice et l’égalité en Suisse, à Zurich, avec des membres du Mouvement et son chef. Il affirme aussi avoir été pris en photo à cette occasion. L’auteur fait valoir que cet événement ne peut qu’avoir attiré l’attention des autorités soudanaises.

2.6Le requérant a adhéré officiellement au Mouvement pour la justice et l’égalité à cette époque et a reçu une carte de membre.Il ajoute avoir participé à diverses conférences dans des locaux des Nations Unies et avoir rencontré des membres de la délégation officielle soudanaise et été vu par d’autres à ces occasions.

2.7Le 13 avril 2010, le requérant a présenté une demande d’asile. Le 17 août 2010, l’Office fédéral des migrations a rejeté cette demande et ordonné l’expulsion du requérant vers la Grèce. Le 26 août 2010, le requérant a formé un recours contre cette décision. Le 8 mars 2011, l’Office fédéral des migrations a annulé sa décision du 17 août 2010 et a rouvert la procédure de demande d’asile du requérant. Le 7 janvier 2014, l’Office fédéral des migrations a rejeté la demande d’asile.

2.8Le 7 février 2014, le requérant a formé un recours contre la décision de rejet de sa demande d’asile devant le Tribunal administratif fédéral ; ce dernier l’a rejeté le 10 octobre 2014. Le requérant a reçu une lettre lui ordonnant de quitter la Suisse le 18 novembre 2014 au plus tard.

2.9Le Tribunal a estimé que le requérant n’avait pas démontré de façon crédible être originaire du Darfour du Nord et y avoir vécu. Se référant à sa décision antérieure BVGE 2013/5, le Tribunal a estimé que la réinstallation à Khartoum de personnes en provenance du Darfour était possible. S’agissant des activités politiques du requérant, le Tribunal a noté que, selon sa jurisprudence, les activités politiques menées par une personne en exil ne conduisaient à lui reconnaître la qualité de réfugié que si elles étaient susceptibles d’avoir pour résultat hautement probable une persécution politique du réfugié dans son pays d’origine. Le Tribunal a jugé que malgré ses activités politiques, le requérant n’était très probablement pas surveillé par les autorités soudanaises et ne risquait pas d’être soumis à la torture ou à d’autres traitements inhumains ou dégradants en cas de renvoi au Soudan.

2.10Le requérant objecte que, contrairement à conclusion du Tribunal, il a clairement démontré le fait qu’il était originaire du Darfour et la véracité des événements l’ayant poussé à en fuir. Il indique n’avoir jamais possédé de documents d’identité et l’avoir signalé aux autorités de l’État partie dès le début de sa procédure de demande d’asile. Il cite l’article 7 de la loi suisse sur l’asile aux termes duquel : « Quiconque demande l’asile (requérant) doit prouver ou du moins rendre vraisemblable qu’il est un réfugié » et souligne que cet article n’exige pas de preuve stricte. À ce propos, il rappelle avoir présenté une attestation de résidence délivrée par des autorités locales de Kutum, ainsi que le faux passeport qu’il avait utilisé pour se rendre en Suisse, pour ne rien cacher aux autorités suisses. Il explique avoir décrit son village et la ville de Kutum au mieux de ses capacités, qui étaient limitées en raison de son faible niveau d’instruction. Le requérant explique aussi avoir décrit au mieux de ses souvenirs également les fonctions et activités de son père, mais qu’il était jeune au moment des faits, et qu’il était encore capable de décrire avec concision les circonstances précises de la mort de son père.

2.11Au sujet de la possibilité de fuir vers un autre endroit, le requérant souligne que la réinstallation interne n’est pas une option viable dans son cas puisqu’il risque d’être persécuté par les autorités soudanaises, présentes sur tout le territoire du pays, et non par des rebelles comme dans l’affaire dans laquelle le Tribunal a rendu son arrêt BVGE 2013/5. À titre d’exemple, le requérant cite des sources faisant état d’arrestations arbitraires, d’exécutions extrajudiciaires, de mauvais traitements envers les détenus et même du placement en détention d’un grand nombre de personnes vivant à Khartoum après l’attaque lancée par le Mouvement pour la justice et l’égalité contre Omdourman.

2.12Le requérant fait valoir que l’argument du Tribunal selon lequel il n’a aucun motif sérieux de craindre d’être persécuté à cause de ses activités politiques en exil est en contradiction avec l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire A. A. c. Suisse. Dans cette affaire, la Cour a constaté que couraient le risque d’être persécutés aussi bien les opposants politiques en vue que les personnes soupçonnées simplement d’être défavorables au régime soudanais en place et de soutenir les mouvements d’opposition. La Cour a constaté que les autorités soudanaises fichaient les personnes engagées dans des activités politiques à l’étranger, en particulier les personnes qui étaient associées à l’Armée de libération du Soudan et qui participaient aux réunions internationales que l’Armée tenait à Genève. Le Tribunal a estimé que le requérant, qui n’était pas membre de l’Armée de libération du Soudan, n’était pas une personnalité politique en vue au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Le requérant considère que cette conclusion est incompatible avec l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire A. A. c. Suisse. Il estime qu’au regard de l’arrêt de la Cour, ses activités politiques sont pertinentes et auraient dû être prises en considération par les autorités de l’État partie en ce qu’elles constituaient une source de risque réel, prévisible et personnel pour lui.

2.13Le requérant fait valoir en outre que cet argument est incompatible avec la position adoptée par le Tribunal dans son arrêt BVGE 2013/21, dans lequel il a constaté que les autorités soudanaises surveillaient uniquement les personnes qui se livraient à des activités politiques ou critiquaient le Gouvernement soudanais ou étaient soupçonnées de soutenir un mouvement d’opposition. Les Soudanais revenus dans leur pays après un long séjour à l’étranger pouvaient être soumis à un interrogatoire par des agents des forces de sécurité soudanaises sur leurs éventuels contacts avec des membres de l’opposition à l’époque où ils se trouvaient hors du pays. Le Tribunal a estimé que les personnes en contact avec le Mouvement/l’Armée de libération du Soudan étaient très probablement fichées par le Gouvernement soudanais. Dans cette optique, le requérant souligne avoir rencontré d’importants dirigeants de l’Armée de libération du Soudan et du Mouvement pour la justice et l’égalité dans le cadre de ses activités politiques.

2.14Le requérant fait valoir en outre qu’en Suisse le Mouvement pour la justice et l’égalité ne compte que quelques membres et qu’il est donc facile aux fonctionnaires de l’ambassade et à certains informateurs volontaires fidèles au Gouvernement de les surveiller. Le requérant estime qu’il est très probablement connu du Gouvernement soudanais du fait qu’il a participé à des rassemblements de protestation durant lesquels il a scandé des slogans et qu’il a rencontré plusieurs dirigeants du Mouvement pour la justice et l’égalité à l’occasion de réunions.

2.15Le requérant cite également un jugement en date du 4 novembre 2009 rendu par le Tribunal du Royaume-Uni en matière d’asile et d’immigration, dans lequel il est constaté que : « [...] les Darfouriens risquent d’éveiller les soupçons des forces de sécurité [...] s’ils ont effectué un voyage à l’étranger ou ont eu des contacts avec des particuliers ou des organisations à l’étranger ». Le requérant affirme qu’en raison de ses contacts, en particulier en tant que membre actif du Mouvement pour la justice et l’égalité à l’étranger, il risque d’être victime de graves persécutions en cas de renvoi au Soudan.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant considère qu’en le renvoyant au Soudan l’État partie violerait les droits que lui confère l’article 3 de la Convention car il serait exposé à un risque personnel, réel et concret d’être soumis à la torture et à des traitements cruels, inhumains et dégradants.

3.2Le requérant affirme qu’il fait partie, en raison de son engagement politique actif et de sa qualité de membre du Mouvement pour la justice et l’égalité, d’un groupe exposé à un risque élevé et qu’en cas de renvoi au Soudan il sera persécuté par les autorités soudanaises. Sa crainte est renforcée par le fait que son père a été tué par l’armée soudanaise. Il affirme que, s’il est expulsé, il sera probablement arrêté à l’aéroport à son arrivée au Soudan et exposé à un risque de torture et de traitements inhumains. Le requérant mentionne des sources indépendantes qui confirment le recours aux arrestations arbitraires et à la torture envers les Darfouriens par les autorités soudanaises. Il ajoute que les conditions de détention sont extrêmement dures au Soudan, à cause notamment du surpeuplement des lieux de détention, et que, selon certaines sources, les agents de l’État maltraitent régulièrement les personnes placées en détention. Le requérant cite également un rapport d’Amnesty International, dans lequel il est constaté que le recours à la force, à la détention arbitraire et à la torture contre les personnes qui protestent est très courant au Soudan. Dans ledit rapport il est signalé de plus que la torture et les mauvais traitements pendant la détention arbitraire demeurent une pratique courante des agents des forces de sécurité envers les membres des mouvements d’opposition et les manifestants.

3.3Le requérant affirme qu’il est aussi prouvé qu’existe au Soudan un ensemble de violations graves et flagrantes des droits de l’homme au sens du paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1L’État partie souligne que l’Office fédéral des migrations a examiné avec minutie tous les arguments avancés par le requérant concernant le risque de persécution par les autorités soudanaises qu’il court en cas de renvoi au Soudan. L’État partie ajoute que dans sa communication au Comité le requérant n’a pas présenté de nouveaux éléments de preuve susceptibles d’amener l’Office fédéral des migrations et le Tribunal administratif fédéral à revoir les décisions qu’ils ont prises.

4.2En ce qui concerne la preuve de l’existence au Soudan d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives, l’État partie note que, dans son arrêt du 10 octobre 2014, le Tribunal administratif fédéral a conclu qu’il n’y avait pas de contexte généralisé de violence au Soudan, hormis dans la région du Darfour. Conformément à la jurisprudence du Tribunal, il existe un autre lieu de refuge pour les personnes en provenance du Darfour étant donné que la région de Khartoum est considérée comme sûre.

4.3L’État partie fait valoir que le requérant n’a pas démontré de manière crédible qu’il est exposé à un risque personnel, réel et concret de subir des traitements qui constitueraient une violation de la Convention en cas de renvoi dans une autre région du Soudan.

4.4L’État partie fait valoir en outre que le requérant n’a jamais affirmé avoir été victime de torture ou de mauvais traitements. Il a même reconnu n’avoir jamais eu de problèmes personnels avec les autorités soudanaises et n’avoir jamais été arrêté.

4.5L’État partie note que le requérant a affirmé n’avoir jamais participé à une quelconque activité politique au Soudan et qu’il n’était membre d’aucune organisation rebelle au Darfour car son père et lui-même étaient « contre tout cela ».

4.6L’État partie note que le requérant a affirmé avoir participé à diverses réunions et manifestations contre le Gouvernement soudanais. Il note aussi que le requérant a affirmé être membre du Mouvement pour l’équité et la justice. L’État partie souligne que les autorités nationales ont examiné ces arguments, mais ont considéré qu’il n’existait pas d’éléments de preuve suffisants pour conclure que le requérant risquait de subir des traitements qui constitueraient une violation de la Convention en cas de renvoi au Soudan.

4.7L’État partie note que le requérant n’a pas une visibilité politique propre à faire de lui la cible de persécutions de la part du Gouvernement soudanais. Avant son départ du Soudan, le requérant était agriculteur et n’avait jamais été impliqué dans la moindre activité politique. L’État partie juge impossible que les autorités soudanaises, même si elles découvraient ses activités politiques, puissent soudain considérer le requérant comme un « danger » et se mettent à le persécuter.

4.8L’État partie soutient que ni l’appartenance alléguée du requérant au Mouvement pour l’équité et la justice, ni le fait qu’une organisation de personnes en exil lui a délivré un certificat ne l’exposent à un risque de persécution. L’État partie ajoute que de nombreux certificats de ce type sont émis par des organisations en Europe et sont faciles à obtenir. Le requérant a admis ne pas avoir joué de rôle particulier dans les manifestations auxquelles il a pris part. Pendant ces manifestations il n’a fait que scander des slogans et n’a pas prononcé de discours.

4.9L’État partie considère que les autorités soudanaises sont capables de faire la différence entre les nombreux Soudanais participant à des activités politiques en Europe dans l’espoir d’obtenir un permis de séjour en les faisant valoir, et les militants politiques susceptibles de constituer une menace pour le régime, qui, eux, étaient déjà fichés par ces autorités avant leur départ du Soudan. L’État partie indique que ses autorités nationales sont arrivées à la conclusion que l’auteur n’appartenait à aucun groupe de Soudanais actifs à l’étranger susceptible d’être ciblé par les autorités soudanaises ou d’attirer leur attention.

4.10Le Tribunal administratif fédéral a également conclu que l’auteur n’avait pas un profil politique propre à l’exposer à un risque, au sens de l’arrêt rendu par la Cour européenne de justice dans l’affaire A. A. c. Suisse. L’État partie ajoute que dans ladite affaire les raisons invoquées pour demander l’asile étaient fort différentes de celles avancées par le requérant dans sa communication, s’agissant en particulier de la portée et de la durée de ses activités et de sa visibilité.

4.11L’État partie fait valoir que ses autorités nationales ont estimé que l’auteur n’était pas parvenu à démontrer la crédibilité de ses allégations pendant la procédure d’examen de sa demande d’asile. L’Office fédéral des migrations et le Tribunal ont conclu qu’il n’était pas crédible que l’auteur soit originaire de Kutum, dans le Darfour du Nord. Durant les auditions du 17 décembre 2013, le requérant a confirmé n’avoir jamais possédé de documents d’identité au nom de N. A. A. Il a affirmé ne posséder qu’une « attestation de résidence » et un certificat de mariage à ce nom. Selon la jurisprudence et la pratique des autorités suisses, une attestation de résidence délivrée par une autorité locale à Kutum ne remplit pas les critères requis pour être considérée comme un document d’identité valide. Le document soumis est de plus une copie et non un original, il n’est pas authentifié et il est notoire qu’il est facile d’acheter ce type de document. Le certificat de mariage (traduit en anglais) ne constitue pas une preuve − car, comme le reconnaît le requérant, il n’existe pas de procédure officielle pour délivrer ce type de certificat − et ne démontre pas que le requérant est originaire du Darfour, où il dit s’être marié.

4.12L’État partie fait valoir en outre que les déclarations du requérant relatives à son lieu d’origine sont contradictoires, ne reflètent pas la réalité et ne sont pas concrètes. Par exemple, le requérant a d’abord indiqué avoir vécu dans la ville de Kutum. Ensuite, après avoir été interrogé par les autorités, il a modifié sa déclaration et a affirmé avoir vécu dans un village situé à environ quarante-cinq minutes de cette ville. Le requérant n’a pas fourni d’informations convaincantes sur les caractéristiques de la ville de Kutum ni sur les combats entre les forces Gouvernementales soudanaises et les organisations rebelles autour de la ville. Les lieux mentionnés par le requérant comme se trouvant aux alentours de Kutum ne sont en réalité pas proches de cette ville.

4.13Les autorités nationales ont conclu que le requérant venait sans doute plutôt d’une autre région du Soudan et avait probablement vécu hors du Darfour pendant un certain temps avant de quitter le Soudan. L’État partie considère de plus que le motif d’asile invoqué − échapper à la guerre civile au Darfour − n’est pas fondé.

4.14Les autorités nationales sont en outre parvenues à la conclusion que les allégations du requérant concernant la mort violente de son père étaient en partie contradictoires et inexactes. À sa première audition, le requérant a indiqué que son père représentait le Mouvement pour la libération du Darfour et encourageait les jeunes à libérer le Darfour. À sa deuxième audition, le requérant a dit que son père n’avait été impliqué dans aucune activité politique. Le requérant ignorait la date exacte du décès de son père et le récit de la mort violente présumée de son père n’était pas précis . Il était incapable de préciser qui avait tué son père (« certainement des gens ayant des relations avec les autorités soudanaises » ; « des gens en uniforme »), la date de l’inhumation de son père et la cause de son décès. Le requérant a affirmé la première fois que son père avait été tué par balle, la deuxième fois que son père avait été tué pendant un bombardement et la troisième fois, après une demande d’éclaircissements, que son père « avait été tué par balle pendant un bombardement ». Le requérant a de plus affirmé d’abord qu’il était à côté de son père quand ce dernier a été tué avant de dire ultérieurement qu’il n’avait rien vu.

4.15Au sujet des raisons pour lesquelles son père aurait été tué, le requérant a d’abord affirmé que son père dressait les gens contre le Gouvernement ou soutenait les rebelles, puis il a dit que son père n’était pas engagé dans des activités politiques. Le requérant a affirmé que son père était en relation avec les groupes armés opérant au Darfour, mais il a dit ignorer le type de relation que son père entretenait avec ces groupes. Le requérant a en outre d’abord déclaré ne pas savoir si son père s’était livré à des activités pour les organisations rebelles ou avait participé au conflit armé contre le régime soudanais, puis il a affirmé que son père était opposé aux organisations rebelles.

4.16L’État partie souligne en outre que le requérant s’est montré peu crédible en ce qui concerne les motifs de sa demande d’asile − la volonté d’échapper à la guerre civile et la mort de son père − et qu’aucun élément dans son dossier ne permet d’établir qu’il risque d’être inquiété en raison des activités présumées de son père.

4.17L’État partie conclut qu’au vu des éléments de preuve qu’il a avancés et de ses allégations, le requérant n’a pas démontré qu’il court un risque réel, concret et personnel de torture en cas de renvoi au Soudan et invite donc le Comité à constater que le renvoi du requérant au Soudan ne constituerait pas une violation des obligations incombant à la Suisse en vertu de l’article 3 de la Convention.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Au sujet de la situation dans le domaine des droits de l’homme au Soudan, le requérant cite deux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme en relation avec les membres du Mouvement pour l’équité et la justice, dans lesquels la Cour a estimé que la situation des opposants politiques avait empiré depuis le début de 2014. Le requérant ajoute que les élections générales d’avril 2015 n’ont pas modifié la situation et que les pressions et les actes de harcèlement contre les médias et la société civile se sont poursuivis après les élections.

5.2Concernant son lieu d’origine, le requérant note que l’État partie avance qu’il est facile d’acheter une « attestation de résidence », et qu’un tel document n’a donc aucune valeur probante, et que la copie du certificat de mariage n’en a pas davantage. Le requérant fait observer que dans les affaires d’asile la norme de preuve, telle que définie à l’article 7 de la loi suisse sur l’asile, n’exige pas de présenter une « preuve complète », mais seulement des arguments vraisemblables. Le requérant affirme ne pas posséder d’autres documents d’identité et avoir soumis les seuls qu’il avait pu obtenir. Il estime que ces documents constituent une preuve valable de son identité, même s’ils ne peuvent être considérés comme une « preuve complète ». L’argument de l’État partie selon lequel il est facile d’acheter de tels documents au Soudan n’est pas suffisant pour mettre en doute la crédibilité des dires du requérant. Le requérant ajoute n’avoir aucune raison de mentir aux autorités de l’État partie au sujet de son identité.

5.3Pour ce qui est de l’affirmation de l’État partie selon laquelle ses déclarations ne sont pas crédibles et sont inexactes, le requérant souligne que l’État partie n’a pas tenu compte de son origine sociale et de son âge à l’époque. Il indique avoir déclaré qu’il vivait à « Hai el Wedi », aussi orthographié « Al-Wadi », lieu considéré comme faisant partie de Kutum, même s’il en est éloigné de quarante-cinq minutes de voiture. Il explique que s’il ignorait le nombre d’habitants ou l’emplacement exact de l’hôpital de Kutum c’est parce qu’il ne se rendait à Kutum que lorsqu’il avait des courses à y faire. Il ajoute qu’il a pu fournir des renseignements sur un camp de réfugiés, appelé Kassab, ainsi que sur les noms de plusieurs districts de Kutum et sur l’aéroport militaire de Kutum, et qu’il avait indiqué que les rebelles contrôlaient Kutum et que la ville avait été bombardée par les forces Gouvernementales en 2005.

5.4Le requérant indique qu’il est né en 1986 et a quitté le pays à l’âge de 20 ans, et que c’est pourquoi il ne connaissait pas la ville aussi bien que ce qui pourrait être attendu d’une personne adulte y ayant vécu pendant vingt ans. Le requérant ajoute que son niveau d’instruction est faible et que l’on ne peut donc pas attendre de lui qu’il connaisse le nombre exact d’habitants de Kutum ou la superficie de la région de Kutum.

5.5Le requérant indique en outre qu’en Suisse l’audition d’un demandeur d’asile se déroule normalement en présence d’un observateur représentant une organisation non Gouvernementale, qui est habilité à faire des commentaires. Le représentant de l’organisation HEKS présent à l’audition du requérant du 17 décembre 2013 avait jugé crédibles ses affirmations selon lesquelles il était originaire de Kutum et que son père soutenait l’opposition contre le Gouvernement soudanais et avait été tué par l’armée soudanaise. Ce représentant a fait observer aussi que les éléments de preuve présentés par le requérant pour confirmer ses activités politiques en Suisse n’avaient pas été « pris en considération ou discutés en détail » durant l’audition. Le représentant de l’ONG a conclu qu’il y avait des éléments indicatifs d’une persécution par les autorités soudanaises et que sa recommandation était « que la demande d’asile devrait être examinée en profondeur afin de vérifier à quel point exactement le requérant était exposé à un risque personnel de persécution ». Il a ajouté qu’« il pourrait être nécessaire de procéder à une audition supplémentaire » car les profils politiques du requérant et de son père, et éventuellement d’autres membres de la famille « n’ont pas été étudiés de façon complète ».

5.6Le requérant ajoute que l’argument de l’État partie selon lequel il avait, à sa deuxième audition, déclaré que son père n’avait pas d’activités politiques reposait sur une interprétation erronée de sa déclaration. À cette deuxième audition, il avait déclaré que son père dressait les gens contre le Gouvernement ou soutenait les rebelles. Le requérant avait ensuite signalé que son père avait des « relations » avec des gens, que « parfois des gens venaient lui rendre visite » et que des réunions se tenaient dans la maison de son père. Le requérant n’était pas autorisé à assister à ces réunions et ne savait donc pas à quel groupe ces gens appartenaient. Le requérant indique en outre avoir déclaré ne pas savoir si son père travaillait pour « Arku Minawi » ou « Abdelwaher », deux dirigeants du Mouvement de libération du Soudan, et qu’il avait démontré que cette organisation lui était familière.

5.7Au sujet de la mort violente de son père, le requérant affirme que, vu son jeune âge au moment des faits et son faible niveau d’instruction, tout ce dont il se souvient c’est que son père a été tué en août 2005. Il ajoute que dans sa culture les dates n’ont pas grande importance, mais affirme pouvoir encore décrire les circonstances exactes de la mort de son père. À ce propos, il précise que son père s’était rendu dans une école coranique dans la nuit d’un jeudi à un vendredi avec un groupe de personnes âgées pour une récitation du Coran. À l’heure de la prière du matin, à 3 heures, il avait entendu un coup de feu et un affrontement avait opposé l’armée soudanaise à des habitants de son village. Il était resté chez lui puis était allé chercher son père à l’école coranique, où il l’avait trouvé grièvement blessé. Avant de mourir son père lui avait dit d’aller se réfugier chez son oncle. C’est ce qu’il avait fait. Il juge tout à fait logique d’avoir affirmé, d’une part, qu’il ne savait pas qui avait tué son père et n’avait rien vu en personne, et, d’autre part, qu’il se trouvait avec son père au moment de sa mort. Il ajoute qu’affirmer que son père avait été tué par balle et au cours d’un bombardement était plausible dans le contexte du violent affrontement mentionné.

5.8Le requérant fait valoir qu’il risque d’être persécuté en raison de son appartenance au groupe ethnique « Al-Guemer » et des activités politiques de son père. Il explique que d’autres membres de sa famille sont engagés dans l’action politique. Il affirme qu’au Darfour l’armée soudanaise a attaqué des membres de minorités ethniques soupçonnés de soutenir les rebelles. Il dit que l’armée soudanaise a bombardé son district parce qu’elle voulait frapper les rebelles et les minorités ethniques qui les soutenaient. Après son départ de Kutum, son oncle a été tué à Omdourman. Le requérant affirme qu’à cause du profil politique de sa famille, il est exposé à un risque réel de persécution. Il souligne que la seule raison pour laquelle il n’a jamais été torturé et n’a pas été tué est qu’il a fui le pays immédiatement après la mort violente de son père. Il affirme qu’en cas de renvoi il serait immédiatement emprisonné, interrogé et torturé.

5.9Le requérant réaffirme qu’en Suisse il a participé à plusieurs réunions politiques contre le Gouvernement soudanais et milité au sein du petit groupe de l’antenne suisse du Mouvement pour la justice et l’équité. Le requérant note que l’État partie ne conteste pas son appartenance au Mouvement mais considère qu’elle ne l’expose pas à un risque particulier de persécution. Le requérant fait à nouveau valoir que les activités d’Appel de Genève et du Mouvement pour la justice et l’équité font probablement l’objet d’une surveillance et qu’il a probablement été identifié comme participant à ces réunions.

5.10À ce sujet, le requérant cite à nouveau l’arrêt A. A. c. Suisse de la Cour européenne des droits de l’homme, dans lequel il est constaté que courent un risque de persécution aussi bien les personnalités en vue que les personnes simplement soupçonnées de s’opposer au régime actuel et qu’il est notoire que le Gouvernement soudanais surveille les activités des opposants politiques à l’étranger. Le requérant conclut que l’ampleur et la durée de ses activités politiques les rendent pertinentes au regard de la décision de la Cour.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité contre la torture doit s’assurer qu’elle est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’alinéa a) du paragraphe 5 de l’article 22, que la même question n’a pas été examinée, ni n’est en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Le Comité rappelle que, conformément à l’alinéa b) du paragraphe 5 de l’article 22 de la Convention, il ne peut examiner aucune communication émanant d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note que l’État partie a reconnu qu’en l’espèce le requérant avait épuisé tous les recours internes disponibles.

6.3Le Comité constate que l’État partie ne conteste pas la recevabilité pour d’autres motifs et conclut donc que rien ne s’oppose à ce qu’il examine la communication. Le Comité déclare la requête recevable et procède à son examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente communication à la lumière de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties concernées.

7.2En l’espèce, le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant au Soudan, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite, en vertu de l’article 3 de la Convention, de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture.

7.3Le Comité doit examiner s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risque personnellement d’être soumis à la torture à son retour au Soudan. Pour ce faire, il doit tenir compte de tous les éléments pertinents, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, y compris l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Il rappelle toutefois qu’il s’agit de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé. L’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure qu’une personne donnée risque d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays et il doit exister des motifs supplémentaires portant à croire que l’intéressé court personnellement un risque. Inversement, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

7.4Le Comité rappelle son observation générale no1 (1997) sur l’application de l’article 3 de la Convention, selon laquelle l’existence d’un risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. Le Comité rappelle que bien qu’il ne soit pas nécessaire de montrer que le risque couru est « hautement probable » (par. 6), la charge de la preuve repose en général sur le requérant, qui doit présenter des arguments défendables établissant qu’il court personnellement un risque prévisible et réel. Le Comité rappelle également que, conformément à son observation générale no 1, il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé, mais il n’est pas lié par de telles constatations et est au contraire habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire.

7.5Le Comité note que les autorités de l’État partie ont estimé que le requérant n’avait pas démontré de façon crédible qu’il était originaire du Darfour du Nord et que ses affirmations concernant la mort violente de son père étaient en partie contradictoires et inexactes. À cet égard, le Comité note l’argument du requérant selon lequel il a fourni des informations au mieux de ses connaissances et que l’État partie n’a pas tenu compte de son jeune âge au moment des faits et de son faible niveau d’instruction. Le Comité note aussi que l’État partie considère que ni « l’attestation de résidence » délivrée par une autorité locale de Kutum ni le certificat de mariage traduit ne constituent une pièce justificative valable, dans la mesure où ce type de document peut être facilement acheté au Soudan. Le Comité note que l’État partie n’apporte aucune preuve à ce propos ; il considère qu’une telle affirmation ne permet pas à elle seule de mettre en doute la crédibilité du requérant. Le Comité estime en outre que l’État partie n’a pas tenu compte comme il l’aurait fallu du fait que l’auteur avait été contraint de fuir une zone de conflit et n’avait donc pas accès à d’autres documents officiels. Le Comité considère donc que le requérant a fourni suffisamment d’éléments indiquant qu’il est originaire du Darfour du Nord et qu’il a fui le Soudan pour échapper à la guerre civile au Darfour.

7.6Le Comité note que le requérant affirme être un membre actif du Mouvement pour la justice et l’équité et avoir participé, à Zurich et à Genève, à plusieurs réunions et à des manifestations contre le Gouvernement soudanais, au cours desquelles il a scandé des slogans hostiles au régime. Il note aussi qu’à ces occasions le requérant a été pris en photo avec des membres du Mouvement pour la justice et l’équité. Le Comité note en outre que selon l’État partie le requérant n’a pas une visibilité politique telle qu’elle l’expose à un risque de persécution par les autorités soudanaises. Il constate que les autorités de l’État partie estiment qu’au vu des activités politiques de requérant en Suisse, il n’y a pas assez d’éléments de preuve pour conclure qu’en cas de renvoi au Soudan le requérant risque de subir des traitements qui violeraient la Convention.

7.7Le Comité note cependant que le représentant d’une ONG, présent à l’audition du 17 décembre 2013 dans le cadre de la procédure de demande d’asile du requérant, a estimé que les éléments de preuve présentés par le requérant à propos de ses activités politiques en Suisse n’avaient pas été « pris en considération et examinés en détail » durant l’audition. À ce propos, le Comité estime que les arguments présentés par l’État partie ne lui permettent pas de conclure que la participation du requérant à une réunion conjointe du Mouvement pour la justice et l’équité et d’Appel de Genève, où il a été pris en photo, a pu ne pas attirer l’attention des autorités soudanaises, surtout que depuis 2010 ces deux organisations collaborent sur des questions de nature à retenir l’attention du Gouvernement. À ce propos, le Comité prend aussi note de l’argument du requérant selon lequel l’antenne suisse du Mouvement pour la justice l’équité ne compte qu’une poignée de membres et qu’il est donc facile de les surveiller. Le Comité prend note en outre de l’arrêt AA. c. Suisse de la Cour européenne des droits de l’homme, dans lequel il est constaté que courent un risque de persécution aussi bien les personnalités en vue que les personnes simplement soupçonnées de s’opposer au régime en place et qu’il est notoire que le Gouvernement soudanais surveille les activités des opposants politiques à l’étranger. Le Comité considère qu’en raison de ses activités politiques en Suisse, le requérant peut être perçu comme un opposant au Gouvernement soudanais et risque d’être soumis à des représailles s’il est expulsé, compte tenu en particulier de la surveillance constante qu’exercent les autorités soudanaises sur les opposants politiques à l’étranger.

7.8Le Comité note que le requérant affirme que son père soutenait le Mouvement de libération du Soudan et a été tué au cours d’une attaque de l’armée soudanaise. Il note aussi que l’oncle du requérant a été tué parce qu’il soutenait lui aussi l’opposition et que d’autres membres de la famille du requérant seraient engagés dans des activités politiques. Sur ce point, se fondant sur les renseignements disponibles dans le dossier, le Comité estime que les autorités de l’État partie n’ont pas accordé un poids suffisant aux profils politiques du requérant, de son père et d’autres membres de sa famille et ne les ont pas soumis à une évaluation approfondie.

7.9Le Comité relève en outre l’argument de l’État partie selon lequel le requérant n’a pas indiqué avoir été victime de torture ou de mauvais traitements dans le passé. Toutefois, il prend également note de l’argument du requérant selon lequel la seule raison pour laquelle il n’a pas été torturé ou n’a pas été tué est qu’il a fui le pays immédiatement après la mort violente de son père.

7.10Le Comité prend note de la situation générale des droits de l’homme au Soudan, en particulier des informations confirmant l’usage de la détention arbitraire et de la torture envers des manifestants et des Soudanais revenus de l’étranger, ainsi que des informations signalant le recours à la torture contre des personnes accusées de renseigner le Mouvement pour la justice et l’équité . En outre, le Comité note que dans la mesure où le Soudan n’est pas partie à la Convention, le requérant serait privé de la possibilité de se prévaloir de la protection du Comité de quelque manière que ce soit en cas de renvoi au Soudan.

7.11Compte tenu de toutes les circonstances susmentionnées, y compris des informations disponibles publiquement concernant la situation des droits de l’homme au Soudan, de l’implication du requérant dans des activités politiques en Suisse et du fait que son père et son oncle auraient été tués par l’armée soudanaise, le Comité est d’avis que l’État partie n’a pas enquêté suffisamment sur la question de savoir si le requérant risque d’être soumis à la torture ou à des mauvais traitements en cas de renvoi au Soudan. En particulier, le Comité note que l’État partie n’a pas tenu compte des suggestions faites par le représentant d’une ONG présent au cours de l’audition du 17 décembre 2013, visant à ce que la demande d’asile soit examinée de manière approfondie et à ce que soit mise au clair la question de savoir si le requérant risque personnellement d’être persécuté et à ce que soit effectuée une audition supplémentaire pour évaluer les profils politiques du requérant et de son père et, éventuellement, d’autres membres de la famille.

7.12Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut par conséquent que le renvoi du requérant au Soudan constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

8.Le Comité est d’avis que l’État partie est tenu de s’abstenir de renvoyer le requérant au Soudan. Conformément au paragraphe 5 de l’article 118 de son règlement intérieur, le Comité invite l’État partie à lui faire connaître, dans les quatre-vingt-dix jours à compter de la date de transmission de la présente décision, les mesures qu’il aura prises pour donner suite à ses constatations.