Nations Unies

CAT/C/60/D/653/2015

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

22 juin 2017

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22de la Convention, concernant la communicationno 653/2015 * , **

Communication présentée par :

A. M. D. et consorts (représentés par un conseil, Jytte Lindgard)

Au nom de :

Les requérants

État partie :

Danemark

Date de la requête :

24 décembre 2014 (lettre initiale)

Date de la présente décision :

12mai 2017

Objet :

Expulsion vers la Fédération de Russie ; risque de torture

Question ( s ) de procédure :

Recevabilité − défaut manifeste de fondement

Question ( s ) de fond :

Non-refoulement

Article(s) de la Convention :

3 et 22

1.1Les requérants sont A. M. D., né le 9 février 1966 en Tchétchénie, Fédération de Russie et M. M. Y., née également en Tchétchénie, le 2 novembre 1977. Ils soumettent leur requête en leur nom propre et au nom de leurs trois enfants mineurs, K. D., né le 18 mars 2000, M. D., né le 8 février 2002 et Z. D., né le 23 mars 2006. Ils sont tous des ressortissants de la Fédération de Russie. Les requérants affirment que leur expulsion vers la Tchétchénie les exposerait à un risque de torture et de mort. Ils sont représentés par un conseil.

1.2Le 26 juin 2015, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a demandé à l’État partie de ne pas expulser les requérants tant que leur requête serait à l’examen. Le 1er juillet 2015, la Commission de recours des réfugiés a suspendu jusqu’à nouvel ordre les procédures devant conduire au départ des requérants du Danemark, conformément à la demande du Comité. Le 5 octobre 2015, le Comité, agissant par l’intermédiaire du même Rapporteur, a rejeté la demande faite par l’État partie, le 23 juillet 2015, pour que soient levées ces mesures provisoires.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Entre 2010 et 2013, A. M. D. a apporté plusieurs fois son aide à son frère, un rebelle tchétchène. Il a reçu à de nombreuses reprises, généralement la nuit, la visite de son frère qui cherchait un hébergement ; il lui a acheté des vêtements et des médicaments. Dans la nuit du 29 au 30 juin 2013, juste après une visite de son frère, des hommes armés et masqués, qu’il pensait être des membres des autorités tchétchènes prorusses, l’ont arrêté. A. M. D. a été battu ; M. M. Y. a été frappée et a perdu connaissance.

2.2A. M. D. a été détenu pendant neuf jours, au cours desquels il a été interrogé et torturé. Il a été privé de nourriture, frappé avec des objets tels que des bouteilles en plastique remplies d’eau, et soumis à des décharges électriques très douloureuses. Il a été frappé sur tout le corps, y compris à la tête et au cou. Les autorités ont en outre menacé de le tuer, ainsi que sa famille, et de violer sa fille adolescente. A. M. D. a été remis en liberté après avoir promis de livrer son frère aux autorités la prochaine fois qu’il viendrait chez lui.

2.3Les requérants sont arrivés au Danemark en compagnie de leurs trois fils mineurs le 24 juillet 2013 et ont déposé une demande d’asile le même jour.

2.4En août 2013, la maison des requérants en Tchétchénie a été délibérément incendiée par des inconnus. Des voisins, avec qui ils étaient en contact, ont informé A. M. D. que la police les avait empêchés, eux et la brigade des pompiers, d’éteindre l’incendie. D’après les requérants, c’était le signe que la police pourrait être complice de cet incendie criminel.

2.5Le Service danois de l’immigration a interrogé les requérants le 9 août, le 7 novembre et le 11 novembre 2013, ainsi que le 18 juillet 2014. Le 11 novembre 2013, A. M. D. a signé un document indiquant qu’il avait été soumis à la torture et acceptait de subir un examen médical. Or le Service danois de l’immigration n’a pas demandé qu’il soit examiné et a rejeté sa demande d’asile le 9 décembre 2013. Le 8 mai 2014, le conseil des requérants a saisi la Commission danoise de recours des réfugiés. Celle-ci, annulant la première décision parce que de nouvelles informations avaient été soumises concernant la demande des requérants, a renvoyé l’affaire au Service danois de l’immigration le 26 mai 2014. Le 4 août 2014, le Service danois de l’immigration a de nouveau rejeté la demande d’asile des requérants.

2.6Début décembre 2014, A. M. D. a reçu de sa fille, qui vivait toujours en Tchétchénie, la copie d’une décision datée du 26 juillet 2013 prise par un enquêteur du Ministère de l’intérieur, demandant l’ouverture d’une enquête pénale à l’égard d’A. M. D. au titre des articles 32 et 33 du Code pénal de la Fédération de Russie. Le 8 décembre 2014, le conseil des requérants a saisi par écrit la Commission de recours des réfugiés, demandant une nouvelle fois qu’une enquête soit menée pour établir si A. M. D. avait été torturé dans le passé. La Commission a rejeté la demande d’asile le 19 décembre 2014 sans évoquer la demande d’examen médical. Elle a donné aux requérants quinze jours pour quitter de leur plein gré le pays. Au moment de la soumission de la présente communication au Comité, aucune date n’avait été fixée pour leur expulsion mais les requérants affirment que celle-ci est imminente. Les requérants disent avoir épuisé tous les recours internes puisque la loi danoise sur les étrangers ne permet pas de contester en justice les décisions de la Commission de recours des réfugiés.

Teneur de la plainte

3.Les requérants affirment que leur expulsion vers la Tchétchénie exposerait A. M. D. à la torture, à laquelle il a déjà été soumis pendant sa détention dans le passé et que le risque qu’il y soit de nouveau soumis est d’autant plus probable qu’une enquête pénale aurait été ouverte contre lui par les autorités tchétchènes. Les membres de sa famille sont également menacés en tant que proches d’une personne recherchée par les autorités.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans ses observations du 23 juillet 2015, l’État partie fait valoir que la requête devait être déclarée irrecevable. Au cas où le Comité la jugerait recevable, le renvoi des requérants en Fédération de Russie ne constituerait pas, selon l’État partie, une violation de l’article 3 de la Convention.

4.2L’État partie confirme que les requérants sont entrés au Danemark le 24 juillet 2013 sans documents de voyage valides et ont demandé l’asile le même jour ; que le 18 décembre 2013, le Service danois de l’immigration a refusé de leur accorder l’asile ; que le 26 mai 2014, la Commission de recours des réfugiés a décidé de renvoyer l’affaire au Service danois de l’immigration pour un nouvel examen au motif que de nouvelles informations avaient été reçues ; que le 4 août 2014, le Service danois de l’immigration a de nouveau rejeté la demande d’asile des requérants ; et que le 19 décembre 2014, la Commission de recours des réfugiés a confirmé ce rejet.

4.3Après avoir présenté leur communication au Comité le 26 janvier 2015, les requérants ont demandé à la Commission de recours des réfugiés de rouvrir leur dossier, joignant à leur demande un rapport du groupe médical de la section danoise d’Amnesty International daté du 27 mars 2015 concernant l’examen d’A. M. D. aux fins de déceler d’éventuels signes de torture. Le 26 mai 2015, la Commission de recours des réfugiés a rejeté cette demande.

4.4L’État partie fait observer que, dans sa décision du 19 décembre 2014, la Commission de recours des réfugiés a notamment indiqué que la majorité de ses membres n’avaient pas jugé crédibles les déclarations des requérants parce que ceux-ci n’avaient, délibérément, pas indiqué que des passeports internationaux leur avaient été délivrés en avril 2013, ni qu’ils avaient fait des demandes de visas pour l’Espagne ; lorsqu’on le leur avait fait remarquer, ils ont dit que, vers le mois de mai 2013, ils avaient entrepris des démarches en vue d’obtenir des visas pour l’Espagne. Le dossier révélait l’existence d’une demande de visas pour l’Espagne datée du 3 juillet 2013 signée par les requérants. Il ressortait aussi du dossier que des billets pour un vol Moscou-Barcelone portant la date du 20 juillet 2013 avaient été émis, alors que les requérants avaient déclaré, lorsque la question leur avait été posée dans le cadre de la procédure d’asile, qu’ils avaient quitté, précisément, le 20 juillet 2013 leur pays d’origine pour se rendre au Danemark. Une autre raison pour laquelle la majorité des membres de la Commission n’ont pas jugé crédibles les déclarations des requérants était que ceux-ci avaient répondu d’une façon vague et évasive à des questions essentielles, notamment en ce qui concerne la fréquence des visites du frère d’A. M. D. entre 2010 et 2013. La Commission de recours des réfugiés a donc conclu que les requérants n’avaient pas prouvé que les conditions pour autoriser le séjour prévues par l’article 7 (par. 1 ou 2) de la loi relative aux étrangers étaient remplies.

4.5L’État partie décrit en détail les fondements juridiques de l’activité de la Commission de recours des réfugiés et ses méthodes de travail.

4.6L’État partie fait observer que la Convention relative au statut des réfugiés, la Convention européenne des droits de l’homme, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques revêtent une importance particulière pour les activités de la Commission de recours des réfugiés et que la protection contre la torture et les traitements similaires prévue par ces instruments a été incorporée à l’article 7 (par. 2) de la loi sur les étrangers. Toutefois, selon la jurisprudence de la Commission, les conditions d’octroi de l’asile ou du statut de protection ne peuvent pas être considérées comme réunies dans tous les cas où un demandeur d’asile a été torturé dans son pays d’origine. Ceci correspond également selon l’État partie à la pratique du Comité. Chaque fois que la Commission a considéré comme un fait établi qu’un demandeur d’asile avait été soumis à la torture en lien avec des persécutions pour des motifs relevant de la Convention de Genève sur le statut des réfugiés et qu’il risquait d’y être soumis de nouveau en cas de renvoi dans son pays d’origine, elle a accordé un permis de séjour au titre du paragraphe 1 de l’article 7 de la loi sur les étrangers (régime de la Convention), pour autant que les conditions applicables soient par ailleurs réunies. En outre, à la suite d’un examen de la situation particulière du requérant, un permis de séjour pouvait être accordé à un demandeur d’asile, au titre du paragraphe 1 de l’article 7 de la loi sur les étrangers, s’il est établi qu’il a été victime de torture avant de s’enfuir au Danemark et que les craintes que ce qu’il a subi par le passé pouvaient lui inspirer sont donc considérées comme fondées, même si, objectivement, son retour ne lui ferait courir aucun risque de nouvelles persécutions.

4.7En outre, la Commission considérerait comme réunies les conditions de délivrance d’un permis de séjour en vertu du paragraphe 2 de l’article 7 de la loi sur les étrangers (régime de protection) si des éléments précis et particuliers donnent à penser que le demandeur d’asile court un risque réel d’être torturé en cas de renvoi dans son pays d’origine. Le fait qu’un demandeur d’asile ait été soumis à la torture dans le passé pouvait aussi avoir une incidence sur l’examen des preuves par la Commission, étant donné qu’on ne pouvait pas toujours attendre des personnes qui ont été victimes de tortures qu’elles exposent les faits de l’espèce de la même façon que les personnes qui n’ont pas subi de tels actes. C’est d’ailleurs l’approche préconisée dans le Guide du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés sur les procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié en vertu de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés .

4.8Dans les cas où la torture est invoquée comme un des motifs à l’origine de la demande d’asile, la Commission de recours des réfugiés peut parfois juger nécessaire d’obtenir un complément d’information sur les actes de torture subis avant de se prononcer ; elle peut, par exemple, ordonner que le demandeur d’asile soit soumis à un examen aux fins de déceler d’éventuels signes de torture. Les décisions de ce type ne sont généralement pas prises avant l’audience de la Commission, puisque, pour les prendre, cette dernière se fonde souvent sur la déclaration du demandeur d’asile et sur un examen de sa crédibilité. En règle générale, si la Commission considère que le demandeur d’asile a été ou a pu avoir été soumis à la torture, mais constate, sur la base d’un examen de sa situation particulière, qu’il n’y avait pas de risque réel qu’il soit torturé s’il retournait à ce moment-là dans son pays d’origine, elle n’ordonne normalement pas d’examen. Généralement, la Commission n’en demande pas lorsque le demandeur d’asile s’est montré peu crédible tout au long de la procédure ; dans un tel cas, elle rejette dans son intégralité sa déclaration au sujet de la torture.

4.9En ce qui concerne le poids accordé à la crédibilité d’un demandeur d’asile par rapport à celui attribué aux renseignements médicaux disponibles, l’État partie se réfère à la décision du Comité concernant la communication no 209/2002, MO . c. Danemark, dans laquelle les allégations de torture du requérant et les renseignements médicaux fournis à ce sujet ont été écartés en raison d’un manque général de crédibilité. Dans cette décision, le Comité a renvoyé au paragraphe 8 de son observation générale no 1 (1997) sur l’application de l’article 3, en vertu duquel la crédibilité du requérant et la présence ou non d’incohérences factuelles dans ce qu’il affirme comptent parmi les éléments à prendre en considération pour déterminer si le requérant risque d’être soumis à la torture à son retour. L’État partie se réfère également à la décision du Comité concernant la communication no 466/2011, Alp c. Danemark,dans laquelle le Comité a conclu que les autorités de l’État partie avaient procédé à un examen approfondi de tous les éléments présentés par le requérant, avaient conclu qu’ils n’étaient guère crédibles et n’avaient pas jugé nécessaire de demander un examen médical. Il renvoie aussi aux paragraphes 77 à 82 de l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme, le 20 mars 1991, dans l’affaire Cruz Varas et consorts c. Suède (requête no 15576/89).

4.10Lorsque la torture est invoquée en tant que motif de demande d’asile, des facteurs comme la nature des actes de torture commis, y compris leur ampleur, leur gravité et leur fréquence, et l’âge du demandeur d’asile peuvent avoir une incidence sur l’issue de la procédure. Il a été noté que les tortures infligées pouvaient constituer de graves violences tant psychologiques que physiques. En outre, la chronologie des sévices par rapport au départ du demandeur et les éventuels changements de régime dans son pays d’origine peuvent être déterminants pour la délivrance d’un permis de séjour. Lorsque le demandeur d’asile craint d’être victime de violences en cas de renvoi dans son pays d’origine, l’asile peut être accordé s’il y a des raisons objectives de supposer que ses craintes sont fondées. Dans son appréciation, la Commission de recours des réfugiés a tenu compte d’informations sur la question de savoir si des violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme se produisaient de manière systématique dans le pays d’origine du demandeur d’asile.

4.11L’État partie, renvoyant aux constatations du Comité concernant la communication no 61/1996, X . , Y .  et Z .c. Suède,ainsi qu’à la décision du Comité concernant la communication no 237/2003, M. C. M. V. F. c. Suède, fait valoir que l’élément déterminant était la situation qui régnait dans le pays d’origine au moment où le demandeur d’asile était susceptible d’y être renvoyé.

4.12L’État partie explique en outre que lorsque la Commission de recours des réfugiés a statué sur une affaire, le demandeur d’asile peut lui demander de rouvrir la procédure. Lorsqu’un demandeur d’asile fait état d’informations essentielles qui n’étaient pas disponibles au moment de la décision initiale de la Commission susceptibles de donner lieu à une décision différente, la Commission examine la question de savoir si lesdites informations sont de nature à justifier une réouverture de la procédure et un réexamen de l’affaire. Conformément à l’article 53 (par. 10 et 11) de la loi sur les étrangers et à l’article 48 du règlement intérieur de la Commission de recours des réfugiés, le Président de la formation particulière qui a rendu la décision initiale en l’espèce (lequel est toujours un juge) est habilité à déterminer s’il y a des raisons de penser que la Commission pourrait modifier sa décision ou si les conditions d’octroi de l’asile doivent être considérées comme ayant été manifestement remplies. Le Président peut aussi décider de rouvrir le dossier et de le renvoyer au Service danois de l’immigration pour réexamen.

4.13Le Président peut également décider s’il appartient à la formation de la Commission qui a tranché l’affaire de décider de la réouverture du dossier, lors d’une audition ou au moyen de délibérations écrites, et de la tenue d’une nouvelle audition en présence de toutes les parties concernées. Le Président peut aussi décider la réouverture du dossier et son réexamen par une nouvelle formation, conformément au paragraphe 2 de l’article 48 du règlement intérieur de la Commission

4.14Les dossiers peuvent être rouverts et réexaminés dans le cadre d’une nouvelle audition devant la formation de la Commission qui a tranché l’affaire si le demandeur d’asile fournit des informations nouvelles essentielles susceptibles d’influer sur la décision et que l’on estime qu’il doit avoir la possibilité d’être entendu en personne.

4.15Les dossiers peuvent être rouverts et réexaminés par une nouvelle formation lorsqu’un membre de la première formation n’a pas pu participer à l’audition et que son remplacement par un autre membre relevant de la même autorité ou organisation soulève des préoccupations quant à l’équité de la procédure. S’il existe des motifs justifiant la réouverture du dossier, le délai donné au demandeur d’asile pour quitter le pays est suspendu durant la procédure de réexamen. La Commission de recours des réfugiés désignerait alors en outre un conseil pour représenter le requérant.

4.16En l’espèce, l’État partie fait observer que les requérants n’ont pas fourni d’autres informations sur la situation dans leur pays d’origine que celles dont disposait la Commission de recours des réfugiés lorsqu’elle s’était prononcée sur le dossier le 19 décembre 2014. Au sujet de l’argument des requérants selon lequel les autorités d’immigration ont pris leur décision sur leur demande d’asile sans soumettre A. M. D. à un examen pour déceler d’éventuels signes de torture, l’État partie fait observer que la Commission ne demande pas un tel examen lorsqu’elle juge peu crédibles les affirmations du demandeur d’asile. Les décisions prises par la Commission le 19 décembre 2014 et le 26 mai 2015 indiquent que la majorité de ses membres n’ont pas jugé véridiques les déclarations des requérants concernant les circonstances dans leur pays d’origine avant leur départ et n’ont donc pas vu de raison de faire examiner A. M. D. en vue de déceler d’éventuels signes de torture.

4.17L’État partie rappelle que les requérants n’ont pas signalé qu’ils avaient obtenu des visas et des billets pour se rendre en Espagne et souligne à ce sujet le manque de crédibilité de leurs déclarations lorsqu’ils ont affirmé ignorer qu’il ressortait de leurs demandes de visas qu’ils avaient auparavant obtenu des visas Schengen pour la période allant du 8 au 21 août 2010 et que l’autorité chargée de la délivrance des visas y aurait inclus cette information à leur insu. D’après sa déclaration, A. M. D. avait personnellement contacté l’autorité chargée de la délivrance des visas à sept ou huit reprises au cours des mois de mai et juin 2013. L’État partie fait valoir qu’on ne pouvait pas ajouter foi aux déclarations des requérants lorsqu’ils disaient qu’ils avaient simplement signé des formulaires vierges de demande de visa sans savoir ce qui y était inscrit. Il fait observer en outre que le fait que les requérants aient maintenu leurs déclarations erronées à propos de leurs passeports et de leurs visas internationaux bien qu’ils aient eu plusieurs fois l’occasion de les corriger affaiblissait d’une manière générale leur crédibilité. Ces circonstances ne sauraient s’expliquer par les violations dont A. M. D. dit avoir fait l’objet en détention.

4.18S’agissant du rapport du 27 mars 2015 concernant l’examen d’A. M. D. par le groupe médical de la section danoise d’Amnesty International pour déceler d’éventuels signes de torture, l’État partie affirme que la Commission de recours des réfugiés en a tenu compte lorsqu’elle a refusé, le 26 mai 2015, de rouvrir la procédure d’examen de la demande d’asile. La Commission a considéré que l’examen en question ne saurait amener à modifier l’appréciation faite de la crédibilité des déclarations des requérants. Elle a également conclu que la concordance entre les signes physiques et psychologiques de torture décrits par A. M. D. et les conclusions du rapport d’examen du groupe médical ne signifiait pas qu’il avait été effectivement soumis aux violences physiques ou psychologiques qu’il dit avoir subies. En conséquence, la Commission, se fondant sur une évaluation globale des informations figurant au dossier, y compris le rapport du groupe médical, est demeurée d’avis que les requérants n’avaient pas montré la vraisemblance des motifs qu’ils avaient invoqués à l’appui de leur demande d’asile, notamment qu’A. M. D. avait été détenu et soumis à la torture et à d’autres violences physiques par des personnes soutenant les autorités tchétchènes peu avant que M. M. Y. et lui aient quitté la Tchétchénie en juillet 2013.

4.19L’État partie renvoie à cet égard à ses observations susmentionnées concernant la crédibilité des déclarations faites par les requérants dans le cadre de la procédure d’asile, surtout au sujet des circonstances ayant précédé leur départ en 2013, peu après la détention présumée d’A. M. D. L’État partie fait observer sur ce point qu’A. M. D. et M. M. Y. ont tous deux fait des déclarations erronées concernant leurs passeports et leurs demandes de visa jusqu’à ce qu’ils s’entretiennent avec leur conseil, bien qu’ils aient eu plusieurs fois l’occasion de corriger ces déclarations.

4.20S’agissant de l’affirmation des requérants concernant l’incendie criminel de leur maison en Tchétchénie, l’État partie fait valoir que la Commission de recours des réfugiés disposait déjà, à l’audience initiale d’appel, des rapports de police à ce sujet. L’État partie est arrivé à la conclusion que l’incendie criminel présumé de la maison des requérants en Tchétchénie ne prouvait pas que les requérants risquaient de faire l’objet de violations visées par la Convention s’ils retournaient dans leur pays d’origine. Il fait observer à cet égard que les requérants et le témoin qu’ils ont cité étaient apparemment les seules personnes à penser que l’incendie en question avait été organisé par les autorités et qu’en fait, selon les déclarations de la police, les autorités avaient ouvert une enquête sur les faits.

4.21Enfin, l’État partie est parvenu à la conclusion que le document produit selon lequel une procédure pénale serait en cours contre A. M. D. ne saurait conduire à modifier l’appréciation de la crédibilité des requérants. Ce document, daté du 26 juillet 2013, mais reçu par les requérants le 7 octobre 2014 seulement d’après les informations fournies, semble avoir été fabriqué pour l’occasion. À ce propos, la Commission de recours des réfugiés a relevé qu’il avait été présenté tardivement et que les renseignements disponibles indiquaient ce qui suit :

« Selon une ambassade occidentale, il est possible d’acheter toutes sortes de documents en Russie...

Interrogé sur l’existence de faux documents ordonnant à des personnes de se présenter au commissariat ou au tribunal pour être interrogées dans le cadre d’une affaire de soutien à la rébellion, un défenseur des droits de l’homme à Grozny (A) a expliqué que les faux documents de ce type étaient très courants et faciles à obtenir. Ils sont courants parce que les personnes qui veulent quitter la Tchétchénie pour se rendre en Europe pensent qu’on leur refusera l’asile si elles ne prouvent pas qu’elles risquent d’être persécutées. ».

4.22L’État partie renvoie aux conclusions de la Cour européenne des droits de l’homme concernant des examens de la crédibilité dans des affaires d’asile, notamment aux arrêts rendus dans les affaires R. C. c. Suède (requête no 41827/07) et M. E. c. Suède (requête no 71398/12. L’État partie renvoie aussi à l’arrêt rendu dans l’affaire M. E. c. Danemark (requête no 58363/10), dans lequel la Cour a donné son avis sur l’examen d’une affaire de demande d’asile par le Service danois de l’immigration et la Commission de recours des réfugiés, notamment sur le respect des garanties d’une procédure régulière lors de cet examen. Il renvoie également aux constatations adoptées le 22 octobre 2014 par le Comité des droits de l’homme au sujet de la communication no 2186/2012, M. X . et M me  X .c. Danemark (par. 7.5).

4.23La Commission de recours des réfugiés, organe collégial de caractère quasi juridictionnel, a procédé à un examen approfondi de la crédibilité et des circonstances particulières des requérants, concluant qu’ils n’avaient pas apporté la preuve qu’ils couraient un risque probable d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention s’ils étaient renvoyés en Fédération de Russie. L’État partie souscrit à cette conclusion et rappelle que, dans leur communication au Comité, les requérants n’ont apporté aucun nouveau détail concret sur leur situation. En gros, la requête qu’ils ont adressée au Comité ne faisait que traduire leur désaccord avec l’appréciation de leur crédibilité faite par la Commission de recours des réfugiés. L’État partie ajoute que les requérants n’ont pas pu démontrer la moindre irrégularité dans le processus de prise de décisions ni l’existence d’un quelconque facteur de risque que la Commission aurait omis de prendre dûment en compte.

4.24L’État partie fait valoir que les requérants tentaient en réalité d’utiliser le Comité comme un organe d’appel pour obtenir que les faits invoqués à l’appui de leur demande d’asile soient réexaminés. Or comme le Comité l’a expliqué au paragraphe 9 de son observation générale no 1, il n’est pas un organe d’appel, ni un organe juridictionnel ou administratif, mais est un organe de contrôle. Par conséquent, dans l’exercice de ses compétences en application de l’article 3 de la Convention, le Comité devrait accorder un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie concerné. À cet égard, il est fait également référence à la jurisprudence du Comité selon laquelle tout le crédit voulu doit être accordé aux constatations de fait des organes nationaux, judiciaires ou autres, compétents, sauf s’il peut être établi que ces constatations sont arbitraires ou injustifiées.

4.25D’autre part, le Comité a affirmé que c’était aux tribunaux des États parties à la Convention et non à lui-même qu’il incombait d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée et que c’était aux juridictions d’appel des États parties qu’il appartenait d’examiner la conduite d’une affaire, à moins qu’il ne soit établi que la manière dont les éléments de preuve ont été appréciés était manifestement arbitraire, ou équivalait à un déni de justice, ou que les agents concernés ont manifestement violé leur obligation d’impartialité.

Commentaires des requérants sur les observations de l’État partie

5.1En date du 15 septembre 2016, les requérants signalent qu’après l’adoption de la décision de la Commission de recours des réfugiés en date du 19 décembre 2014, les déboutant de leur demande d’asile, A. M. D. a fait l’objet d’un examen médical effectué par Amnesty International et que les résultats de cet examen ont corroboré ses allégations de torture. En outre, A. M. D. a décrit en détail les tortures auxquelles il a été soumis ; son état psychologique était critique. Les requérants ont demandé la réouverture de leur dossier mais, le 26 mai 2015, la Commission de recours des réfugiés a rejeté cette demande.

5.2Les requérants notent que, dans sa décision du 19 décembre 2014, la Commission de recours des réfugiés avait conclu qu’ils manquaient de crédibilité, mais que l’examen médical d’A. M. D. pratiqué ultérieurement avait confirmé que les symptômes qu’il présentait correspondaient à un syndrome de troubles post-traumatiques. La Commission de recours des réfugiés a néanmoins considéré qu’aucun fait nouveau justifiant la réouverture de la procédure n’était intervenu. Les requérants estiment avoir apporté des éléments suffisants à première vue aux fins de la recevabilité de leur requête au titre de l’article 3.

5.3Les requérants notent que, dans ses observations, l’État partie a rappelé que la majorité des membres de la Commission de recours des réfugiés n’avaient pas jugé crédibles leurs déclarations, y compris celle faisant état de torture ; cependant, l’État partie n’a pas tenu compte de l’état de santé physique et psychologique d’A. M. D. Ils rappellent qu’A. M. D. a été torturé dans le passé et qu’ils risquent par conséquent d’avoir de graves problèmes s’il est renvoyé car le risque était très grand qu’il soit interrogé de façon répétée par les autorités et subisse les actes de torture qui vont de pair.

5.4À propos de l’observation de l’État partie concernant leurs passeports et leurs visas et billets d’avion pour l’Espagne, les requérants font valoir qu’ils ont effectivement demandé des visas pour l’Espagne en mai 2013 mais qu’ils ne sont pas allés dans ce pays. Les billets pour le vol Moscou-Barcelone du 20 juillet 2013 n’ont pas été utilisés et les requérants ne figuraient sur aucune liste de passagers de compagnie aérienne.

5.5Les requérants indiquent aussi qu’ils ont été autorisés à présenter un témoin à l’audience de la Commission de recours des réfugiés du 19 décembre 2014. Ce témoin a fait une longue déposition, déclarant que leur maison avait été incendiée et que ni les voisins ni les pompiers n’avaient été autorisés à intervenir. Les requérants affirment que plusieurs rapports sur la Tchétchénie indiquent que l’incendie de maisons est une méthode utilisée pour terroriser les propriétaires. Ils relèvent en outre que la Commission de recours des réfugiés n’a pas fait état de la déposition de ce témoin dans sa décision et qu’il est difficile de voir si elle en a tenu compte. Ils précisent que leur témoin avait lui aussi demandé l’asile au Danemark et qu’il ne pouvait pas faire de déposition mensongère devant la Commission sous peine de compromettre sa propre demande d’asile.

5.6Les requérants soulignent que s’ils ont saisi le Comité alors que celui-ci n’est pas un organe d’appel c’est parce que le Service de l’immigration puis la Commission de recours des réfugiés n’ont pas permis qu’A. M. D. subisse un examen médical aux fins de déceler d’éventuels signes de torture et que, lorsqu’un examen a été pratiqué par le groupe médical de la section danoise d’Amnesty International, l’État partie n’a pas tenu compte de ses conclusions.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Dans ses observations du 24 mars 2017, l’État partie fait valoir que les commentaires complémentaires des requérants en date du 15 septembre 2016 n’ont ajouté au dossier aucune nouvelle information sur les circonstances dans le pays d’origine des requérants. Il renvoie à ses observations du 23 juillet 2015. Il prend note de l’argument des requérants selon lequel un examen pour déterminer si A. M. D. a subi des tortures avait été effectué par le groupe médical danois d’Amnesty International, le 19 décembre 2014, et que les résultats de cet examen corroboraient les allégations de torture, ainsi que l’affirmation d’A. M. D. selon laquelle ses symptômes mentaux étaient liés à un syndrome de stress post‑traumatique. L’État partie considère que, dans le cas d’espèce, la Commission de recours des réfugiés ne pouvait accepter comme un fait le récit d’A. M. D. relatif aux tortures qu’il dit avoir subies, et a également conclu que les incohérences dans des éléments cruciaux de ses déclarations n’étaient pas imputables à des actes de torture subis dans son pays d’origine.

6.2L’État partie fait observer que la jurisprudence de la Commission de recours des réfugiés inclut des affaires, comme le cas d’espèce, dans lesquelles le demandeur d’asile fait valoir qu’il a subi un préjudice physique ou mental résultant de la torture qui lui a été infligée selon sa propre déclaration. Parfois, les informations données par le demandeur d’asile sur ses blessures étaient entièrement ou partiellement corroborées par des examens médicaux, et il est assez courant qu’il ressorte, des conclusions d’un rapport d’examen médical, que les constatations objectives sont concordantes avec les déclarations du demandeur d’asile au sujet de tortures infligées à la suite d’un conflit avec les autorités. Toutefois, si la Commission devait ne pas tenir compte du récit du demandeur d’asile sur les circonstances qui auraient donné lieu aux tortures décrites, − par exemple, parce qu’il ne peut en aucun cas être considéré comme un fait que le demandeur d’asile a eu des activités politiques ou parce que les autorités n’ont pas eu connaissance de ces activités, − une telle conclusion ne donnerait pas lieu séparément à une appréciation différente de la crédibilité de l’individu ou à un examen pour déceler des signes de torture. Les résultats d’un examen pour désigner de tels signes indiquent simplement que le demandeur d’asile a subi un préjudice physique ou mental, qui peut avoir été infligé de la façon qu’il décrit mais aussi de nombreuses autres manières. En d’autres termes, l’examen ne permet pas nécessairement de déterminer si le préjudice subi par le demandeur d’asile a été causé par la torture ou plutôt par un incident tel qu’une bagarre, une agression, un accident ou un acte de guerre. En outre, un examen ne permet pas du tout de vérifier la véracité de l’explication donnée par le demandeur d’asile sur la question de savoir pour quelle raison il a été victime de violences et qui les lui a infligées.

6.3L’État partie fait valoir que, dans sa décision du 26 mai 2015 par laquelle elle a refusé de rouvrir le dossier, la Commission de recours des réfugiés a estimé qu’un examen pour déceler d’éventuels signes de torture ne pouvait déboucher sur une appréciation différente de la crédibilité des déclarations des requérants sur les motifs invoqués à l’appui de leur demande d’asile. L’État partie réitère ses observations concernant les incohérences dans les déclarations des requérants. Il note la décision du Comité dans la communication no 634/2014, M. B., A. B., D. M. B. et D. B. c. Danemark, adoptée le 25 novembre 2016, qui contient ce qui suit : « [...] Le Comité estime que la Commission ne pouvait pas se prononcer de façon impartiale et indépendante sur la question de savoir si les divergences relevées dans les déclarations du premier requérant pouvaient s’expliquer par le fait que l’intéressé avait été soumis à la torture sans avoir préalablement fait procéder à cet examen ». L’État partie fait valoir qu’il n’est pas d’accord avec l’opinion exprimée dans la décision susmentionnée et considère que les circonstances qui font qu’un demandeur d’asile peut demander un examen pour déceler d’éventuels signes de torture n’entraînent pas en soi pour les autorités de l’immigration une obligation absolue de procéder un tel examen, pas même dans les cas où un demandeur d’asile a produit des informations médicales indiquant qu’il a peut-être été soumis à la torture. L’État partie soutient que la question de savoir s’il y a lieu de procéder à un examen pour déceler des signes de torture doit être tranchée sur la base d’une analyse de chaque cas, y compris de la question de savoir si les résultats de l’examen doivent être considérés comme importants pour la décision du Conseil.

6.4En ce qui concerne l’argument des requérants selon lequel la décision de la Commission de recours des réfugiés n’a pas mentionné la déclaration du témoin qui s’est exprimé en leur faveur le 19 décembre 2014 (voir par. 5.5 ci-dessus), l’État partie fait valoir que cette déclaration a été reproduite dans le texte de la décision de la Commission et que les décisions de celle-ci sont prises sur la base de l’ensemble des éléments qui lui sont soumis, y compris les déclarations et les témoignages présentés devant la Commission, même dans les cas où la Commission n’en fait pas mention dans l’exposé des motifs de la décision. L’État partie conteste en outre l’affirmation des requérants selon laquelle le statut du témoin en tant que demandeur d’asile « a une incidence sur sa crédibilité ».

Commentaires complémentaires des requérants

7.1Dans leurs commentaires du 2 mai 2017, les requérants renvoient à leurs commentaires antérieurs. Ils notent que, dans ses dernières observations, l’État partie n’a pas commenté l’argument selon lequel A. M. D. avait apporté une assistance aux rebelles tchétchènes au cours de la période 2010-2013, en venant en aide à son frère. Ils notent également que dans son refus du 19 décembre 2014, la Commission de recours des réfugiés n’a pas examiné en détail cet argument, bien que la situation en Tchétchénie ait occupé une place centrale dans l’affaire. Dans sa décision, la Commission a seulement fait remarquer que les déclarations d’A. M. D. étaient inexactes et s’est concentrée sur la question de la fréquence des visites de son frère. A. M. D. a réitéré qu’il n’avait pas seulement été un sympathisant des rebelles, mais qu’il avait aussi coopéré avec eux ; il a fait valoir que les antécédents de son pays d’origine indiquaient clairement que les rebelles ayant fait l’objet de soupçons dans le passé étaient toujours en danger. Ceci ne semble pas avoir été pris en compte par la Commission. Les liens d’A. M. D. avec son frère, qui était très actif dans le mouvement rebelle, signifient que le requérant est fortement exposé aux risques de représailles. Les requérants ignoraient où se trouvait le frère et ne savaient même pas s’il était encore vivant. Ils ont renvoyé à des informations datées du 4 octobre 2016 émanant du Ministère norvégien des affaires étrangères, qui indiquent que ce sont principalement les familles des rebelles actifs qui sont exposées à des représailles de la part des autorités et que le risque de telles représailles peut subsister même après que le rebelle a été tué par les autorités. Les plaignants rappellent que leur maison a été incendiée intentionnellement.

7.2Les requérants se réfèrent également à l’argument de l’État partie selon lequel les résultats de l’examen pour déceler des signes de torture reflètent seulement le fait que le demandeur d’asile a subi un préjudice physique ou mental, qui peut avoir été infligé de la manière décrite par lui mais aussi de nombreuses autres manières. Ils soutiennent que la position de l’État partie rend impossible l’utilisation des résultats d’un examen médical comme preuve, car seule une personne présente lorsque le préjudice a été causé peut donner un « témoignage sûr à 100 % ». Ils notent que, malgré l’analyse du groupe médical danois d’Amnesty International et sans fournir de raisons précises, la Commission de recours des réfugiés a conclu que le requérant n’était pas crédible et que l’examen médical effectué par le groupe médical danois d’Amnesty International pour déceler des signes éventuels de torture ne pouvait pas déboucher sur une appréciation différente de la crédibilité des déclarations des requérants.

7.3Les requérants font également valoir que la Commission de recours des réfugiés accorde très rarement aux témoins la permission de présenter un témoignage oral. Ils soulignent que, bien que la décision de la Commission ait été prise à la majorité et que l’on ne sache pas combien de membres de la Commission étaient en désaccord avec cette décision, au moins un d’entre eux était d’avis que les requérants étaient dignes de confiance et que la famille ne devait pas être renvoyée en Tchétchénie.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner une requête soumise dans une communication, le Comité contre la torture doit déterminer si la communication est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.2Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il n’examine aucune requête sans s’être assuré que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles. Le Comité note qu’en l’espèce, l’État partie n’a pas contesté que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles.

8.3Le Comité rappelle que, pour être recevable en vertu de l’article 22 de la Convention et de l’article 113 b) de son règlement intérieur, une requête doit apporter le minimum d’éléments de preuve requis aux fins de la recevabilité. Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est manifestement mal fondée faute d’être suffisamment étayée. Le Comité considère toutefois que les arguments avancés par les requérants soulèvent des questions importantes au regard de l’article 3 de la Convention et qu’ils devraient être examinés au fond. En conséquence, le Comité ne relève pas d’obstacles à la recevabilité de la communication et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente requête en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

9.2En l’espèce, le Comité doit déterminer si le renvoi des requérants en Tchétchénie constituerait une violation de l’obligation incombant à l’État partie, en vertu de l’article 3 de la Convention, de ne pas expulser ou refouler une personne vers un État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture.

9.3Le Comité doit déterminer s’il existe des motifs sérieux de croire que les requérants risquent personnellement d’être soumis à la torture à leur retour en Fédération de Russie. Pour ce faire, il doit, en application du paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris, le cas échéant, de l’existence dans l’État concerné d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle toutefois qu’il s’agit de déterminer si les intéressés courent personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays où ils seraient renvoyés ; des preuves supplémentaires de ce risque personnel sont donc nécessaires.

9.4Le Comité rappelle son observation générale no 1, selon laquelle l’existence du risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. S’il n’est pas nécessaire que le risque soit hautement probable, il doit néanmoins être prévisible, réel et personnel. Le Comité rappelle que, conformément à son observation générale no 1, un poids considérable doit être accordé aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé, mais qu’il n’est pas lié par de telles constatations et est au contraire habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire.

9.5En l’espèce, A. M. D. a déclaré que, parce qu’il aidait son frère, un rebelle en Tchétchénie, il avait été arrêté dans la nuit du 29 au 30 juin 2013 et détenu pendant neuf jours au cours desquels il avait été interrogé et torturé. Il aurait été privé de nourriture, frappé avec des objets tels que des bouteilles en plastique remplies d’eau et soumis à des décharges électriques. Les autorités auraient aussi menacé de le tuer lui et sa famille, et de violer sa fille adolescente. A. M. D. a également affirmé que s’il était renvoyé en Fédération de Russie, il serait de nouveau arrêté et soumis à la torture en raison de son appartenance supposée à la résistance tchétchène. Le Comité note que l’État partie n’a pas ajouté foi au récit d’A. M. D. concernant les tortures qu’il aurait subies en Tchétchénie, déclarant que l’ensemble de son récit manquait de crédibilité car les requérants avaient, délibérément, omis d’indiquer que des passeports internationaux leur avaient été délivrés en avril 2013 et qu’ils avaient eu des billets pour un vol Moscou-Barcelone le 20 juillet 2013. Le Comité prend note d’autre part de l’observation de l’État partie selon laquelle ses autorités d’immigration ont conclu, en se fondant sur une évaluation globale des informations figurant au dossier, y compris le rapport du groupe médical de la section danoise d’Amnesty International en date du 27 mars 2015, que les requérants n’avaient pas démontré la vraisemblance des motifs qu’ils invoquaient à l’appui de leur demande d’asile, notamment qu’A. M. D. avait été détenu et soumis à la torture et à d’autres actes de violence physique par des personnes soutenant les autorités tchétchènes peu avant le départ des requérants en juillet 2013.

9.6Le Comité note qu’A. M. D. a donné une description détaillée des tortures qu’il a subies, tant aux autorités nationales que dans la communication qu’il a soumise au Comité. Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui fait observer que le fait que la description de la torture cadre avec les symptômes physiques et psychologiques du requérant et avec les conclusions figurant dans le rapport du groupe médical danois d’Amnesty International ne signifie pas qu’il a été soumis aux violences physiques ou psychologiques qu’il dit avoir subies. Le Comité constate toutefois que le certificat médical daté du 27 mars 2015 indique qu’A. M. D. souffre de troubles post-traumatiques et qu’il est probable qu’il ait été torturé dans le passé. Il constate également que la Commission de recours des réfugiés, pourtant confrontée à ces éléments de preuve, a refusé de rouvrir le dossier d’asile du requérant. Le Comité considère que l’État partie, eu égard à ces doutes, aurait pu rouvrir la procédure et ordonner un nouvel examen du requérant afin de parvenir à une conclusion pleinement éclairée.

9.7En ce qui concerne l’argument général de l’État partie selon lequel A. M. D. n’est pas crédible, le Comité renvoie à sa jurisprudence selon laquelle on ne peut guère s’attendre à ce que le récit d’une victime de la torture soit d’une parfaite exactitude et que les contradictions qui peuvent être relevées dans la présentation des faits par un requérant ne sont pas significatives et ne mettent pas en cause la véracité générale de ses allégations. Dans ce contexte, le Comité constate qu’en examinant la question de savoir s’il y avait des motifs sérieux de croire qu’A. M. D. courrait personnellement un risque réel et prévisible d’être soumis à la torture en cas d’expulsion, l’État partie n’a pas dûment vérifié les allégations de l’intéressé et les éléments de preuve produits par celui-ci comme il aurait dû le faire conformément à l’article 3 de la Convention.

10.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut que l’expulsion d’A. M. D. vers la Fédération de Russie constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

11.Étant donné que la cause de M. M. Y. et celle des trois enfants des requérants, qui étaient mineurs au moment où la famille a déposé une demande d’asile au Danemark, dépendent en grande partie de la cause d’A. M. D., le Comité n’estime pas nécessaire de les examiner individuellement.

12.Le Comité est d’avis que l’État partie est tenu, conformément à l’article 3 de la Convention, de ne pas expulser les requérants vers la Fédération de Russie ou vers tout autre pays où ils courraient un risque réel d’être expulsés ou renvoyés en Fédération de Russie. Conformément au paragraphe 5 de l’article 118 de son règlement intérieur, le Comité invite l’État partie à l’informer, dans un délai de quatre-vingt-dix jours, à compter de la date de transmission de la présente décision, des mesures qu’il aura prises pour donner suite aux observations ci-dessus.