Nations Unies

CAT/C/60/D/579/2013

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

16 juin 2017

Original : français

Anglais, espagnol et français seulement

Comité c ontre la t orture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 579/2013 * , **

Communication p résentée par :G.N., représentée par l’organisation Trial (TrackImpunityAlways) et Initiative Seruka pour les victimes de viol/Centre Seruka

Au nom de :C. N., fille de la requérante

État partie :Burundi

Date de la requête :11 décembre 2013 (lettre initiale)

Date de la présente décision :1er mai 2017

Objet  :Viol d’un enfant par un gradé de l’armée nationale et absence d’enquête effective et deréparation

Question ( s ) de procédure :Néant

Question ( s ) de fond :Torture et peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;mesures visant à empêcher la commission d’actes de torture ;obligation de l’État partie de veiller à ce que les autorités compétentes procèdent immédiatement à une enquête impartiale ; droit de porter plainte ; droit d’obtenir une réparation

Article ( s ) de la Convention :2 (par. 1),12,13 et 14, lus en conjonction avec les articles 1 et 16 de la Convention

1.1La requérante est G.N., ressortissante du Burundi, néeen 1980. Elle présente la communication au nom de sa fille mineure, C. N., née le 17 juillet 2003. La requérante soutient que sa fille C. N. a été victime d’une violation des articles 2 (par.1), 12, 13 et 14, lus en conjonction avec l’article premieret, subsidiairement, avec l’article 16 de la Convention. La requérante est représentée.

1.2Le Burundi a déclaré reconnaître la compétence du Comité pour recevoir et examiner les communications individuelles conformément à l’article 22 de la Convention le 10 juin 2003.

1.3Le 23 décembre 2013, conformément au paragraphe 1 de l’article 114 (ancien article 108) de son règlement intérieur (CAT/C/3/Rev.5), le Comité a prié l’État partie de prévenir efficacement, tant que l’affaire serait à l’examen, toute menace ou tout acte de violence auquel la requérante et sa famille pourraient être exposées, en particulier pour avoir présenté la présente requête, et de tenir le Comité informé des mesures prises à cet effet.

Rappel des faits présentés par la requérante

2.1La requérante réside dans la commune de Gihosha, en mairie de Bujumbura. Sa fille, C. N., est élève à l’école primaire de Gasenyi II. Elle avait neuf ans au moment des faits.

2.2Le 30 juin 2012, le capitaine D. K. effectuait des patrouilles de nuit dans les quartiers nord de la capitale. Durant son service, et comme il était ami du mari de la requérante, le capitaine D. K. s’est rendu au domicile de la requérante et a, comme à l’accoutumée, était accueilli par la famille. L’enfant C. N. connaissait également le militaire. Le mari de la requérante n’était pas à la maison ce soir-là. Indiquant son souhait de quitter leur domicile, le capitaine D. K. a demandé à la requérante d’accorder la permission à sa fille C. N. de le raccompagner. La requérante a refusé, car il était tard et elle ne souhaitait pas que sa fille sorte à cette heure-ci. Elle a proposé de raccompagner elle-même le capitaine, mais celui-ci a refusé. La requérante a ensuite rejoint la cuisine pour y terminer la préparation du repas. Quelques minutes plus tard, elle a appelé sa fille pour lui demander de l’aide, mais a constaté que sa fille n’était plus à la maison.

2.3Sortie pour chercher sa fille, la requérante a appris par ses voisins qu’ils avaient vu l’enfant C. N. accompagner le capitaine D. K. La requérante s’est alors précipitée vers la route principale, mais n’y a vu personne. Le militaire étant un ami de la famille, elle a pensé que sa fille reviendrait vite, et elle a regagné son domicile, où elle avait laissé ses autres jeunes enfants.

2.4À l’arrivée tardive de son époux dans la nuit, et constatant que sa fille C. N. n’était toujours pas rentrée, la requérante a expliqué la situation à son mari. Son mari s’est montré rassurant et le couple a décidé d’attendre le retour de leur fille, faute de téléphone, et au vu de l’heure tardive. La petite fille est finalement rentrée à son domicile le lendemain.

2.5Plusieurs jours après les faits, C. N. a expliqué que lorsqu’elle avait quitté le domicile familial avec le capitaine D. K., ils s’étaient d’abord rendus au domicile des beaux-parents du militaire, où celui-ci a bu une bière. Ils ont finalement rejoint le domicile du militaire vers 23 heures. À leur arrivée, tout le monde était endormi, à l’exception de l’agent de transmission se trouvant dans un véhicule garé à quelques mètres de l’entrée. Le capitaine n’a pas emprunté l’entrée principale de la maison, mais un passage étroit menant à la cuisine. Il a intimé l’ordre à l’enfant de s’asseoir, puis s’est rendu aux toilettes. Il est revenu un moment après, nu, et a attrapé l’enfant par le bras, puis lui a ôté ses vêtements. Il s’est assis sur une chaise, a soulevé la victime de force, pour la faire asseoir sur ses cuisses, puis lui a imposé une pénétration vaginale. Lorsque l’enfant a pleuré et crié, il lui a montré son arme à feu, la menaçant de la tuer si elle n’arrêtait pas immédiatement. Sous la menace et complètement terrorisée, l’enfant s’est tue. Le capitaine D. K. l’a ensuite envoyée dormir avec ses propres enfants. L’épouse du capitaine a vu l’enfant et a interrogé son mari sur la raison de sa présence.

2.6Le lendemain, le capitaine D. K. a donné la somme de 500 francs burundais (environ 30 centimes de dollars américains) à l’enfant, l’avertissant de ne jamais parler de ce qui s’était passé, la menaçant, ainsi que sa mère, si elle révélait leur secret. Il a demandé à ses deux enfants de la raccompagner chez elle. La petite fille n’a d’abord rien révélé à sa mère, craignant de mourir, ou qu’il arrive quelque chose de grave à ses proches.

2.7Huit jours plus tard cependant, l’enfant C. N. a été incapable de se lever. Elle a dit à sa mère avoir mal au ventre. Le lendemain, la requérante a réalisé que sa fille avait de grandes difficultés à marcher. Elle s’est enquise de son état avec plus d’insistance. La jeune enfant a alors révélé qu’elle avait été violée par le militaire, implorant le silence de sa mère.

2.8Lorsque le père de la victime a abordé la question avec le capitaine D. K., ce dernier a proposé un règlement à l’amiable, consistant en une somme d’argent contre le silence de la victime. La requérante s’est fermement opposée à cet arrangement, ce qui a mené à un grave désaccord avec son mari qui lui était en faveur d’un arrangement. Le mari de la requérante a finalement quitté le domicile familial. C’est donc seule que celle-ci a poursuivi ses démarches devant les juridictions nationales.

2.9Dès lors que la requérante a appris que sa fille avait été violée, et dès le lendemain, soit le 11 juillet 2012, elle l’a emmenée au Centre Seruka, qui octroie aux victimes de violence sexuelle une assistance médicale, psychosociale et juridique. La victime a ainsi bénéficié d’une prise en charge globale.

2.10Dès le 12 juillet 2012, la requérante s’est présentée avec sa fille devant le substitut de l’Auditorat militaire à Bujumbura pour porter plainte pour viol sur l’enfant C. N. Le dossier a été ouvert et s’est vu attribuer un numéro. Malgré ses craintes, la jeune victime a relaté les circonstances du viol de manière complète. La requérante a également été auditionnée par le substitut et un procès-verbal valant enregistrement de la plainte a été dressé sur la base de ces auditions. L’instruction s’est poursuivie par l’audition du capitaine D. K. Le 13 juillet 2012, les témoins ont été convoqués, à savoir l’épouse du militaire et l’agent de transmission présent sur le lieu du crime. Le substitut a également adressé le 13 juillet 2012 une réquisition à expert au médecin du Centre Seruka.

2.11Le rapport médical établi indique que l’examen gynécologique a révélé une « déchirure de l’hymen à six heures, en voie de cicatrisation, ainsi qu’une rougeur vive autour du méat urinaire, sur les faces internes des grandes lèvres et petites lèvres ». Le rapport conclut qu’« il y a des signes de traumatisme des organes génitaux externes ».

2.12La requérante ajoute que l’état psychologique de l’enfant est des plus préoccupants. Durant la première séance de suivi psychologique le 13 août 2012, soit un mois et demi après le viol, la requérante a signalé que sa fille était devenue solitaire, qu’elle n’interagissait plus avec les autres enfants et qu’elle montrait des signes d’angoisse. Les psychologues ont observé chez la jeune victime une « persistance de reviviscence de l’événement par des récits répétitifs accompagnés par des conduites d’évitement ».

2.13La requérante soulève de plus que la situation économique et sociale dans laquelle elle se trouve est extrêmement préoccupante. Abandonnée par son époux suite à son refus d’accepter un accord à l’amiable, elle tente de subvenir seule aux besoins de sa famille.

2.14La requérante a ensuite effectué un suivi régulier auprès du magistrat instructeur, se rendant à l’Auditorat militaire pour s’enquérir des avancées de l’enquête. Elle s’est notamment entretenue avec lui le 24 juillet 2012 et le 1er août 2012. Il lui a répondu les deux fois que l’instruction était en cours. Le 7 août 2012, l’assistante juridique du Centre Seruka s’est rendue à l’Auditorat militaire pour s’enquérir de l’évolution de l’enquête. Elle a alors pu constater que le premier magistrat instructeur avait été muté au Conseil de guerre. Le nouveau magistrat en charge de l’affaire lui a indiqué lors d’un entretien que malgré le témoignage spontané de la victime, le dossier manquait d’éléments infractionnels. L’employée du Centre Seruka a alors proposé le témoignage d’un autre enfant ayant aussi allégué avoir été violé par le capitaine D. K., mais dont la plainte n’avait pas abouti. Le père de cette deuxième victime a été entendu par le substitut, qui a également effectué une visite sur les lieux du viol en compagnie de la victime.

2.15La requérante et le personnel du Centre Seruka ont continué leur suivi, mais sans résultat, car il apparaissait que le magistrat instructeur ne travaillait plus sur l’affaire.

2.16Le 25 février 2013, soit huit mois après le viol, le dossier a finalement été classé sans suite, en raison d’une absence d’éléments infractionnels. La requérante souligne que les magistrats ont pourtant reconnu que le capitaine avait bien emmené l’enfant C. N. à son domicile à une heure tardive dans la nuit et mentionnent le rapport d’expertise médicale qui conclut sans ambiguïté à une agression sexuelle. C’est seulement sur la base de « la relative longue période de dix jours avant que la victime ne dénonce l’acte » et de « la tranquillité du capitaine D. K. » et sa « disponibilité » pour les besoins de l’instruction que l’affaire a été classée sans suite.

2.17Face au manque de volonté manifeste de l’Auditorat militaire d’engager des poursuites, la seule voie ouverte à la requérante était d’effectuer une citation directe à comparaître, sur la base de l’article 350 du Code de procédure pénale. Cette procédure expose particulièrement la victime, puisqu’elle exige la comparution du présumé responsable en l’absence de l’instruction nécessaire par le ministère public et engendre un risque élevé de représailles et de pressions. La requérante s’est de surcroît heurtée au refus d’enregistrement de la lettre introductive de la citation à comparaître, ses interlocuteurs au Conseil de guerre arguant de leur méconnaissance de cette procédure. Ce n’est que quelques mois plus tard que la requérante a appris, par l’entremise de son conseil, qu’elle devait enregistrer la citation directe à comparaître auprès du tribunal de résidence de Kinindo. La citation directe à comparaître contre le capitaine D. K. a finalement été enregistrée auprès du Conseil de guerre le 22 octobre 2013. Toutefois, cette citation directe est restée sans suite.

2.18La requérante soutient qu’elle a fait usage de toutes les voies de recours qui lui étaient offertes, et qui se sont révélées inefficaces, l’enquête menée ayant été incomplète, ineffective et partiale à plusieurs égards, et l’examen de la cause n’ayant pas été effectué en raison du classement sans suite de l’affaire. De plus, la requérante soutient que les recours internes ont en tout état de cause excédé les délais raisonnables. Enfin, elle relève qu’en raison de l’insécurité qui prévaut au Burundi, assortie d’un climat d’impunité, il est particulièrement dangereux pour les victimes d’actes de torture, y compris de violences sexuelles, commis par des agents des forces de l’ordre, de poursuivre les responsables en justice. Cela est d’autant plus vrai que la victime a été directement menacée de mort par l’auteur de son viol.

Teneur de la plainte

3.1La requérante allègue que sa fille C. N. a été victime de violations par l’État partie des articles 2 (par. 1), 12, 13et 14, lus conjointement avec l’article premier et subsidiairement avec l’article 16 de la Convention.

3.2Selon la requérante, les sévices qui ont été infligés à C. N., une enfant de neuf ans violée par un capitaine de l’armée burundaise en fonction, sont des actes d’une extrême gravité. Ces sévices lui ont incontestablementinfligé des douleurs et des souffrances aiguës et constituent des actes de torture,tels que définis à l’article premier de la Convention, qui ont aujourd’hui encore de graves séquelles sur sa santé physique et psychologique.De plus, l’enfant C. N. a fait l’objet de graves menaces à sa vie, ayant été menacée par une arme à feu et menacée de se voir exécutée si elle protestait contre le viol subi.

3.3Selon la requérante, le viol constitue une torture s’il est perpétré par un agent public, à son instigation, ou avec son consentement exprès ou tacite. Par ailleurs, le droit international pénal a reconnu le viol comme une forme de torture. Le Comité lui-même a reconnu que des abus sexuels commis par la police étaient constitutifs d’actes de torture, même s’ils n’ont pas été perpétrés dans des lieux de détention officiels.La requérante ajoute qu’au vu de son jeune âge, les souffrances causées à la victime sont d’autant plus aiguës et que sa vulnérabilité particulière exacerbe encore les souffrances occasionnées.

3.4L’intention du tortionnaire de la soumettre à des souffrances aiguës était manifeste, puisqu’il est impossible de soumettre de manière involontaire une enfant de neuf ans à des violences sexuelles d’une telle gravité. Par ailleurs, le fait d’avoir attiré l’enfant hors du domicile familial, usant de sa position d’adulte et d’ami de la famille, et de surcroît d’agent de l’État, révèle qu’il a agi de manière pleinement délibérée et calculée. Par ailleurs, la finalité recherchée, élément constitutif du crime de torture, était en l’espèce la discrimination basée sur le sexe ou le genre. La requérante rappelle également que le capitaine D. K. a agi dans le cadre de ses fonctions, alors qu’il procédait à des patrouilles de nuit. Il s’agissait donc bien d’un agent de l’État.

3.5La requérante ajoute que l’État partie n’a pas adopté les mesures, législatives ou autres, nécessaires pour prévenir la pratique de la torture au Burundi, contrairement à ses obligations prescrites par l’article 2 (par. 1) de la Convention. Sur la base de la plainte de la requérante et de la victime, l’auditeur militaire a ouvert une instruction sur les faits le 12 juillet 2012. Les parties ont été auditionnées et une réquisition à expert médical a permis de conclure que la jeune victime avait subi une agression sexuelle. Le magistrat a également visité le lieu du viol en présence de la victime et entendu la victime sur place, suite à quoi il a pu conclure à la cohérence de son récit. Cependant, après plusieurs mois d’inaction, l’auditeur militaire a classé l’affaire sans suite, le 25 février 2013, pour manque d’éléments infractionnels, malgré l’existence d’indices solides de culpabilité. L’instruction militaire n’a pas rempli les exigences de promptitude, de diligence et d’impartialité. La tentative de relance de la procédure par la requérante, par l’entremise de la citation directe à comparaître, a été vaine. Aucune poursuite n’a donc été engagée contre le présumé responsable et la victime est aujourd’hui privée de voies pour faire valoir ses droits. En conséquence, l’État partie a manqué à ses obligations au titre du paragraphe 1 de l’article 2 de la Convention.

3.6La requérante fait en outre valoir que l’enquête menée n’a pas rempli les conditions prescrites par l’article 12 de la Convention, en ce qu’elle a été clairement ineffective et partiale ; les motifs du classement étaient dénués de fondement, l’Auditorat militaire n’ayant pas pris en compte l’impact des menaces de mort d’un militaire jouissant d’une grande autorité sur un enfant de neuf ans, alors que la « sérénité » du capitaine s’est vu accorder une importance disproportionnée. En outre, le ministère public n’a pas été diligent en ne procédant pas à une recherche effective et impartiale de preuves supplémentaires dans la conduite de l’investigation, malgré la gravité des faits et le jeune âge de la victime. Selon la requérante, la passivité des autorités vis-à-vis du militaire, qui n’a toujours pas été inquiété par la justice, traduit la volonté de ces dernières de le protéger, au mépris de l’effectivité de l’enquête. En conséquence, l’État partie ne s’est pas acquitté de ses obligations au titre de l’article 12 de la Convention.

3.7Pour les mêmes motifs, la requérante invoque également l’article 13 de la Convention, arguant qu’aucune enquête n’a été initiée, que l’auteur présumé n’a pas été inquiété par la justice et demeure en fonction, en conséquence de quoi le droit de la victime de porter plainte, garanti par l’article 13 de la Convention, a lui aussi été violé.

3.8Selon la requérante, en privant la victime d’une procédure pénale, l’État burundais l’a également privée de la voie légale pour obtenir une indemnisation pour les préjudices matériels et immatériels engendrés par un crime aussi grave que le viol. En outre, les seules mesures de réhabilitation dont la victime a bénéficié ont été prodiguées par le Centre Seruka, une association privée. Aucune mesure de réadaptation n’a été fournie par les autorités étatiques. La jeune enfant connaît des difficultés énormes pour se réintégrer à l’école et pour renouer des contacts avec les autres enfants. Elle ne joue plus, et est comme plongée dans un état de choc et de tristesse permanent. En conséquence, l’État partie est également responsable d’une violation de l’article 14 de la Convention, les représentants légaux de la jeune victime n’ayant reçu aucune indemnisation, et la victime aucune mesure de réhabilitation et de réadaptation.

3.9La requérante réitère que le viol commis sur la jeune enfant C. N. est un acte de torture, qui répond à la qualification de l’article premier de la Convention. Néanmoins, et subsidiairement, si le Comité ne devait pas retenir cette qualification, il est maintenu que les sévices endurés par la victime constituent dans tous les cas des traitements cruels, inhumains ou dégradants et que, à ce titre, l’État partie était également tenu de prévenir et de réprimer leur commission, instigation ou tolérance par des agents étatiques, en vertu de l’article 16 de la Convention.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Le 28 mai 2014, l’État partie a formulé des commentaires sur la recevabilité et le fond de la communication. Il souligne que le viol est inscrit dans la loi no 1/05 du 22 avril 2009 portant révision du Code pénal burundais (art. 557, al. 2 et 5). L’État partie revient également sur les faits de l’affaire, soulignant que l’enfant s’est rendue directement dans la chambre des enfants du capitaine D. K., à leur arrivée chez lui, et que l’enfant C. N. connaissait bien la famille, pour lui avoir rendu visite à trois occasions.

4.2Se référant au rapport médical et aux traumatismes y décrits, l’État partie observe que les conclusions de l’expert ne se sont basées sur aucun prélèvement. Il ajoute que la plaignante a cessé de conduire sa fille C. N. au suivi psychologique régulier.

4.3Pour ce qui est de la procédure, l’État partie fait valoir que, contrairement aux affirmations de la requérante sur la prévalence de l’impunité, une enquête pénale est ouverte dans ce cas de figure. La problématique de la violence contre les femmes et des abus sexuels a retenu l’attention du législateur burundais et fait partie des priorités du Gouvernement : la loi portant fixation du budget 2014 prévoit des frais de fonctionnement pour la lutte contre les violences faites aux femmes et les frais de fonctionnement de la cellule nationale chargée de la protection judiciaire de l’enfant. Par ailleurs, l’État partie relève la loi no 1/05 portant révision du Code pénal (art. 538 à 563) et la loi no 1/10 du 3 avril 2013 portant Code de procédure pénale.

4.4En ce qui concerne ses obligations au titre du paragraphe 1 de l’article 2, l’État partie souligne qu’il dispose de plusieurs organes chargés de lutter contre les violences sexuelles et basées sur le genre, établis au niveau des parquets et des tribunaux, ainsi qu’aux Ministères de la justice et des droits humains. Ces organes sont appuyés par la Commission nationale indépendante des droits de l’homme, le Bureau de l’Ombudsman et des associations privées.

4.5S’agissant de l’article 12, selon l’État partie, la procédure pénale au Burundi répond exactement au souci de cette disposition : lorsqu’un crime est commis, l’alinéa 2 de l’article 10 du Code de procédure pénale de 2013 enjoint l’officier de police judiciaire de se saisir d’office et d’informer immédiatement le Procureur. En matière de violences sexuelles, des chambres spécialisées viennent d’être créées, et des juges et des substituts uniquement chargés de cette question ont été nommés. L’instruction se fait à charge et à décharge, dans le strict respect des droits de la défense.

4.6Pour ce qui est de l’article 13, les parquets et les tribunaux disposant de chambres spécialisées pour les violences sexuelles, cette disposition est respectée. Une information judiciaire est immédiatement ouverte dès que les autorités sont informées d’un cas.

4.7Quant à l’article 14, l’État partie soutient qu’il a mis en place un système juridictionnel qui satisfait largement aux exigences de cette disposition. Le juge du fond saisi se prononce toujours sur la peine applicable et sur le montant de l’indemnité à accorder à la victime éventuelle.

4.8L’État partie ajoute que la définition de la torture envisagée par le législateur burundais est conforme à celle prévue par l’article premier de la Convention (article 204 de la loi no 1/05 portant révision du Code pénal). La répression des actes de torture est prévue par la même loi. L’article 16 de la Convention est également mis en œuvre puisque la répression de tous les actes de torture et actes voisins est envisagée dans le Code pénal burundais de 2009.

4.9Concernant les allégations spécifiques de la requérante, l’État partie apporte en premier lieu une version des faits qui diffère de celle de la requérante. Le 30 juin 2012, vers 20 h 30, le capitaine D. K. aurait rendu visite à la requérante. Après quelques échanges, il aurait demandé à l’enfant C. N. de le raccompagner chez lui. L’enfant aurait quitté le domicile avec le militaire. Arrivés chez le capitaine D. K. vers 23 heures, la petite fille se serait directement rendue dans la chambre des enfants du militaire, où elle aurait passé la nuit. L’enfant C. N. connaîtrait bien la famille, à laquelle elle aurait déjà rendu visite à trois reprises.

4.10L’État partie ajoute qu’aussitôt l’agression sexuelle dénoncée aux autorités compétentes, le 13 juillet 2012, une enquête judiciaire a été ouverte, mais que cette enquête n’est pas parvenue à réunir les charges à l’encontre du suspect. Les parties ont été entendues le jour de la dénonciation et les conclusions de l’expert ont été produites le 16 juillet 2012. Le lendemain, le seul témoin oculaire présent sur les lieux a été entendu pour donner sa version des faits, et son témoignage a déchargé le militaire soupçonné.

4.11En seulement quatre jours, l’auditeur militaire avait terminé son enquête. Le dossier a été clos peu après. La célérité de l’enquête a été conforme à la loi et il n’y a eu aucune négligence. L’auditeur n’a pas pu trouver de lien entre le capitaine D. K. et l’agression sexuelle dont l’enfant a été victime. L’État partie note que l’expert n’a pas effectué les prélèvements, pourtant indispensables, sur le militaire soupçonné d’être à l’origine de l’agression, ni fait de prélèvements biologiques sur l’enfant en vue d’analyser par comparaison les profils génétiques obtenus. L’enquêteur de l’Auditorat militaire n’a donc pas pu démontrer que les traumatismes subis par l’enfant, et qui font suite aux blessures nées de l’agression sexuelle, sont imputables au capitaine D. K. En raison de l’échec de l’identification du véritable auteur de l’agression sexuelle, l’enquêteur a proposé et obtenu le classement sans suite de l’affaire, en application de l’article 41 1) de la loi no 1/15 du 20 juillet 1999 portant réforme du Code de procédure pénale, le doute ayant profité au militaire.

4.12L’État partie ajoute que, selon la procédure pénale applicable au Burundi, l’enfant et le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant bénéficient d’une protection privilégiée. Cependant, d’autres principes fondamentaux entrent en jeu dans une procédure pénale. L’enquêteur est notamment tenu de respecter la présomption d’innocence. Il n’est pas totalement exclu que l’auteur de l’agression sexuelle de l’enfant C. N. soit une personne autre que le capitaine D. K. Ce n’est pas parce que l’enquête a été close que l’on peut accuser les autorités judiciaires de passivité. L’enquête par identification génétique (ADN) est aujourd’hui inconnue au Burundi et inutilisée en matière pénale.

4.13L’État partie ajoute que la requérante a saisi le Comité avant l’épuisement des voies de recours internes au Burundi. Cette dernière aurait pu dénoncer à l’autorité hiérarchique supérieure (le Procureur général de la République) l’inopportunité de la mesure de classement sans suite et demander que le dossier soit rouvert, en fournissant d’autres éléments à charge. Selon l’article 41 a) de la loi de 1999, le classement sans suite est une mesure administrative qui n’interdit pas la reprise de l’enquête ou de la poursuite. Il s’agit d’une mesure provisoire et non définitive.

4.14À ce stade, l’enfant ne peut obtenir de réparation judiciaire, au seul motif que le juge n’est pas encore saisi du cas. En attendant la réouverture du dossier, l’enfant doit toutefois recevoir l’assistance psychosociale et les soins médicaux nécessaires à l’atténuation de son traumatisme. L’État partie ajoute qu’il met en œuvre les moyens dont il dispose pour renforcer les institutions sociales, en encourageant les activités des associations privées qui prennent en charge les victimes. L’État partie précise que, dans le cas d’espèce, l’unité psychosociale du Centre Seruka a dénoncé le fait que la requérante n’est plus retournée au Centre et n’a pas continué à tirer profit du service psychologique offert à sa fille, qui était pourtant indispensable compte tenu de son état.

Commentaires de la requérante sur les observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

5.1Le 16 décembre 2014, la requérante a formulé des commentaires relatifs aux observations de l’État partie. Elle relève en premier lieu que si le Burundi a en effet adopté un nouveau Code pénal en 2009, qui criminalise la torture, puis un nouveau Code de procédure pénale en 2013, de nombreux obstacles juridiques demeurent pour prévenir efficacement et empêcher la pratique de la torture. Par ailleurs, l’adoption d’une législation n’est pas un gage d’application satisfaisante et ne suffit pas à prévenir la commission d’actes de torture. L’article 558 du Code pénal prévoit notamment que « le viol est puni de servitude pénale principale à perpétuité, lorsqu’il a été commis sur un enfant de moins de 12 ans », si bien que malgré un cadre légal adapté, la réponse de l’État partie aux problématiques de violence sexuelle demeure insuffisante.

5.2La requérante se réfère à ses arguments initiaux et réitère que les voies de recours internes sont vaines et inefficaces, qu’elles ont dépassé les délais raisonnables et qu’elles s’avèrent dangereuse pour son enfant et elle-même. Elle ajoute qu’avec l’assistance du Centre Seruka, elle a tenté de relancer la procédure au niveau des juridictions internes après le classement sans suite décidé par l’Auditorat militaire, en effectuant une citation directe à comparaître qui a été déposée auprès du Conseil de guerre le 22 octobre 2013. Le 26 juin 2014, le Conseil s’est toutefois déclaré incompétent pour examiner la plainte, se fondant sur l’article 65 de la loi no 1/21 du 31 décembre 2010, modifiant la loi no 1/15 du 29 avril 2006 portant statut des officiers de la Force de défense nationale du Burundi. La requérante ajoute que cette autorité avait pourtant été déclarée compétente par le magistrat instructeur dans une affaire similaire de viol sur mineure ouverte contre le même auteur présumé. Force est donc de constater qu’il existe une incohérence dans le traitement des deux affaires. Par ailleurs, au vu des autres irrégularités dans l’examen de l’affaire précédemment exposées, la requérante en conclut que la décision d’incompétence du Conseil de guerre apparaît comme une mesure dilatoire visant à protéger le présumé coupable de poursuites pénales.

5.3Sur le fond de l’affaire, la requérante affirme que l’État partie n’a pas contesté les faits. Il n’a pas nié la commission d’une agression sexuelle, se bornant à affirmer qu’aucun lien n’a pu être établi avec le présumé coupable, tout en admettant implicitement que le capitaine ait pu être l’auteur de l’agression sexuelle.

5.4La requérante soutient que l’État partie ne saurait lui reprocher l’absence de tests ADN et chercher à s’exonérer en faisant peser sur la victime l’absence de moyens et de techniques d’enquête, et attendre que cette dernière fournisse d’autres preuves par une méthode que lui-même n’a pas mise en place. De plus, et en ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel la requérante n’aurait pas épuisé les recours internes en ne dénonçant pas à l’autorité hiérarchique supérieure l’inopportunité de la mesure de classement sans suite, la requérante note qu’on ne saurait exiger la présentation d’autres éléments à charge que l’État ne peut lui-même fournir à défaut d’analyses ADN disponibles. Par ailleurs, une telle position méconnaît la situation de vulnérabilité de la victime et de sa famille démunie suite à ce viol, face à un haut gradé qui, lui, bénéficie de protection.

5.5La requérante ajoute que l’expertise médicale dans la présente affaire a bien conclu à une agression sexuelle, ce que l’État partie n’a pas nié. De plus, le service psychosocial a bien confirmé l’existence d’une correspondance entre les faits décrits par l’enfant et son état psychologique, évalué par des professionnels. Au demeurant, des jugements pour viol – non commis par des agents étatiques exerçant de hautes fonctions – ont déjà été rendus sur la base de rapports d’expertise médicale sans recours à des analyses ADN. Dès lors, l’absence de tests ADN dans cette affaire ne constitue pas un obstacle insurmontable et l’État partie n’apporte pas d’explication satisfaisante quant à son inaction, suite à un constat médical d’une gravité particulière sur la personne d’une mineure, qui devrait jouir d’une protection spécifique. Les autorités étatiques avaient la responsabilité d’initier une enquête effective, prompte et impartiale, en ordonnant une réquisition à expert complète et en interrogeant des témoins afin de déterminer les responsabilités.

5.6La requérante relève également le manque de condamnations, en pratique, d’auteurs de violences contre les femmes et d’auteurs d’agressions sexuelles qui sont des agents de l’État. Aucune poursuite n’est engagée lorsque de hauts gradés sont concernés. De plus, l’État partie présente comme l’un de ses succès les actions menées par des associations de la société civile, alors qu’elles viennent précisément pallier les insuffisances de la réponse étatique à ces violations. Il en va de même pour l’obligation de l’État partie de fournir les mesures nécessaires à l’indemnisation et à la réadaptation de la victime, ce qui a été assuré jusqu’ici par une association privée.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Le Comité note l’allégation de la requérante, selon laquelle l’État partie n’aurait pas adopté les mesures, législatives ou autres, nécessaires pour prévenir la pratique de la torture, contrairement à ses obligations prescrites par l’article 2 (par. 1) de la Convention. Le Comité prend note des mesures d’ordre législatif prises par l’État partie, notamment la loi no 1/05 portant révision du Code pénal ; l’alinéa 2 de l’article 10 du Code de procédure pénale de 2013, qui enjoint la police judiciaire de se saisir d’office de l’affaire et d’informer immédiatement le Procureur ; ainsi que l’article 558 du Code pénal, qui prévoit une peine de servitude pénale principale à perpétuité, lorsqu’un viol a été commis sur un enfant de moins de 12 ans. Le Comité en conclut que la requérante n’a pas étayé, aux fins de la recevabilité, le grief tiré de l’article 2 (par. 1) de la Convention et le déclare donc irrecevable.

6.3Le Comité observe en second lieu que l’État partie a contesté la recevabilité de la communication, au motif que la requérante n’aurait pas épuisé les recours internes, puisque la décision de classement sans suite de l’Auditorat militaire du 25 février 2013 aurait pu être dénoncée devant le Procureur général de la République, en fournissant d’autres éléments à charge. Le Comité relève que de l’aveu même de l’État partie, les techniques d’enquête ayant recours aux analyses ADN ne sont pas utilisées en matière pénale au Burundi. Or, ce dernier a soutenu que de telles techniques auraient été nécessaires pour l’identification de l’agresseur et de la victime aux fins de l’enquête. Dès lors, il ne saurait être reproché à la requérante de ne pas s’être prévalue d’un recours, qui n’aurait été possible qu’à la condition de produire de nouvelles preuves à charge. Le Comité relève que, quoi qu’il en soit, il incombait à l’État partie de poursuivre la recherche de la vérité et de s’assurer qu’une enquête effective identifie et punisse le responsable du crime perpétré. Le Comité conclut que les recours internes ont été épuisés dans les circonstances et que la requête est recevable au titre du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention.

6.4En l’absence d’obstacle additionnel à la recevabilité de la communication, le Comité procède à l’examen quant au fond des griefs présentés par la requérante au titre de l’article premier et des articles12, 13, 14et 16 de la Convention.

Examen au fond

7.1Le Comité a examiné la requête en tenant dûment compte de toutes les informations qui lui ont été fournies par les parties, conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention.

7.2Le Comité note l’allégation de larequérante selon laquelle,le 30 juin 2012, durant une patrouille, le capitaine D. K., un membre des forces armées du Burundi, s’est rendu au domicile de la requérante, aurait emmené la fille de la requérante, C. N., âgée de neuf ans au moment des faits, à son domicile, et l’aurait agressée sexuellement. Le Comité note que l’État partie a fourni une version différente des faits puisque, selon lui, le capitaine D. K. aurait proposé à l’enfant C. N. de le raccompagner chez lui et elle aurait accepté. Arrivée au domicile du militaire, l’enfant aurait rejoint la chambre des enfants, avec lesquels elle aurait passé la nuit.

7.3Le Comité souligne que, malgré une telle disparité factuelle, il n’est pas contesté que l’enfant C. N. a passé la nuit chez le capitaine D. K., et qu’elle a fait l’objet d’une agression sexuelle, qui a été formellement attestée par une expertise médicale suite à la réquisition à expert formulée par les autorités de l’État partie, dans le cadre de l’instruction judiciaire qui a été ouverte dans l’affaire. Le Comité relève en outre que l’État partie n’a pas commenté l’allégation de la requérante selon laquelle le capitaine D. K. aurait d’abord menacé l’enfant de mort avec son arme à feu si elle n’arrêtait pas de pleurer et de crier et, par la suite, donné de l’argent à l’enfant pour garantir son silence, et aurait plus tard proposé à la famille de la victime un règlement à l’amiable, ce qui, de l’avis du Comité, devrait être considéré comme un aveu. En conséquence, le Comité accorde le poids voulu aux allégations de la requérante, dans la mesure où elles ont été suffisamment étayées et où l’État partie n’y a pas répondu de manière satisfaisante.

7.4Le Comité relève que la fille mineure de la requérante se trouvait ce 30 juin 2012 sous le contrôle physique d’un gradé de l’armée nationale du Burundi. Il n’est pas contesté que les actes en question, infligés volontairement, et consistant en une pénétration vaginale d’une enfant de neuf ans, ont assurément consisté à causer une douleur et des souffrances aiguës à des fins non permissibles. Ces douleurs et souffrances ont été aggravées par des actes d’intimidation de la victime, menacée avec une arme à feu. De plus, des pressions ont été exercées sur sa famille pour que la victime garde le silence sur le viol commis. En conséquence, le Comité estime que les abus sexuels subis par l’enfant C. N. et les actes d’intimidation corollaires exercés par un agent de l’État burundais, dans le cadre de ses fonctions, entrent dans le champ de l’article premier de la Convention.

7.5Étant parvenu à cette conclusion, le Comité n’estime pas nécessaire d’examiner les mêmes griefs sous l’angle de l’article 16 de la Convention, invoqué par la requérante à titre subsidiaire.

7.6S’agissant des articles 12 et 13 de la Convention, le Comité a pris note des allégations de la requérante, selon lesquellesl’enquête qui a été initiée sur l’affaire n’a pas rempli les exigences d’impartialité, d’effectivité et de promptitude exigées. Le Comité relève en premier lieu qu’une enquête a été ouverte promptement, puisque dès le lendemain de la plainte formelle constituée par la requérante, soit le 13 juillet 2012, une instruction a été ouverte ; le lendemain, des témoins étaient auditionnés. Le Comité relève cependant qu’au titre de l’article 12 de la Convention, les États parties sont tenus de procéder immédiatement à une enquête impartiale chaque fois qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été commis.

7.7En l’espèce, et au vu de la célérité avec laquelle l’enquête a été clôturée, le Comité considère qu’il y a de sérieuses raisons de penser que les mesures prises n’ont pas été impartiales, puisqu’elles n’ont pas visé à chercher des preuves additionnellespermettantd’aboutir à des poursuites. Dès lors, le Comité ne peut conclure à l’effectivité de ces mesures. L’argument de l’État partie, qui a reproché à l’expert médical de ne pas avoir procédé à des prélèvements génétiques (dans le cadre d’une expertise médicale qu’il a lui-même ordonnée), tout en affirmant en même temps que de telles techniques n’existent pas au Burundi, ne saurait être accepté.

7.8En tout état de cause, le Comité constate qu’après la clôture prématurée de cette instruction, aucun autre suspect n’a été arrêté et déféré devant les tribunaux de l’État partie, si bien que l’auteur du viol commis contre l’enfant C. N. demeure impuni, bien que le Code pénal du Burundi (art. 558) prévoit que le viol est puni d’une peine de prison à perpétuité lorsqu’il est commis sur un enfant de moins de 12 ans. Le Comité conclut à une violation de l’article 12 de la Convention.

7.9N’ayant pas rempli cette obligation, l’État partie a également manqué à la responsabilité qui lui revenait, au titre de l’article 13 de la Convention, de garantir à la requérante le droit de porter plainte, qui présuppose que les autorités apportent une réponse adéquate à une telle plainte par le déclenchement d’une enquête prompte et impartiale.

7.10S’agissant des allégations de la requérante au titre de l’article 14 de la Convention, le Comité rappelle que cette disposition reconnaît non seulement le droit d’être indemnisé équitablement et de manière adéquate, mais impose aussi aux États parties l’obligation de veiller à ce que la victime d’un acte de torture obtienne réparation. Le Comité rappelle que la réparation doit couvrir l’ensemble des dommages subis par la victime et englobe, entre autres mesures, la restitution, l’indemnisation ainsi que des mesures propres à garantir la non-répétition des violations, en tenant toujours compte des circonstances de chaque affaire.En l’espèce, le Comité a noté l’allégation de la requérante, selon laquelle les seules mesures de suivi à visée réhabilitativedont a bénéficié la victime ont été prodiguées par une association privée. Le Comité relève de plus que l’État partie s’est prévalu du travail de cette association qui ne relève pas de ses prérogatives ni de sa juridiction, sans identifier les mesures qu’il entendait prendre pour mettre en œuvre l’obligation qui lui incombe d’assurer une réhabilitation et uneréparation pour un crime aussi grave que le viol d’une enfant par un militaire gradé. Dans les circonstances, le Comité ne peut que conclure qu’en l’absence d’une enquête effective et impartiale, l’État partie a manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu de l’article 14 de la Convention.

8.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, est d’avis que les faits dont il a été saisi font apparaître une violation des articles 12, 13 et 14, lus seuls et en conjonction avec l’article premier de la Convention.

9.Conformément au paragraphe 5 de l’article 118 de son règlement intérieur, le Comité invite instamment l’État partie : a) à rouvrir promptement une enquête sur les événements en question, dans le but de poursuivre en justice toutes les personnes qui pourraient être responsables du traitement infligé à la fille de la requérante ; b) à octroyer à la requérante une réparation appropriée, incluant des mesures d’indemnisation pour les préjudices matériels et immatériels causés, de restitution, de réhabilitation, de satisfaction et de garantie de non-répétition ; c) à prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir toute menace ou acte de violence auquel la requérante ou sa fille pourraient être exposées, en particulier pour avoir déposé la présente requête ; et d) à informer le Comité, dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de la date de transmission de la présente décision, des mesures qu’il aura prises conformément aux constatations ci-dessus, y inclus l’indemnisation de la requérante.