Nations Unies

CAT/C/60/D/465/2011

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

20 juin 2017

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22de la Convention, concernant la communication no 465/2011*,**

Communication p résentée par :

A. P.

Au nom de :

A. P.

État partie :

Finlande

Date de la requête :

14 avril 2011 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision :

10 mai 2017

Objet :

Expulsion vers la Fédération de Russie

Questions de procédure :

Épuisement des recours internes

Questions de fond :

Torture ; non-refoulement

Article s de la Convention :

3 et 22 (par. 5 b))

Contexte

1.1Le requérant est A. P., de nationalité russe, né en 1969. Sa demande d’asile en Finlande a été rejetée le 9 novembre 2010 et il s’est enfui en Suède le 19 novembre, craignant un renvoi forcé vers la Fédération de Russie. Au moment où il a soumis sa requête, il résidait en Suède. Le requérant soutient que son expulsion constituerait une violation des droits qu’il tient de l’article 3 de la Convention. Il n’est pas représenté par un conseil.

1.2Le 15 juin 2011, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a rejeté la demande de mesures provisoires soumise par le requérant.

1.3Le 17 octobre 2011, le Comité, en application du paragraphe 3 de l’article 115 de son règlement intérieur, a décidé d’examiner la recevabilité de la communication en même temps que le fond.

Exposé des faits

2.1Le requérant vivait à Saint‑Pétersbourg. Tard dans la nuit du 28 au 29 juillet 2007, alors qu’il rentrait d’une fête de famille en état d’ébriété, il a été arrêté par des policiers à la sortie d’une station de métro. Ceux-ci lui ont demandé ses papiers d’identité ; comme il était ivre, il s’en est suivi une altercation. N’ayant pas ses papiers sur lui, il a été emmené au poste de police, où il a été insulté et frappé à coups de matraque par des policiers. On lui a tordu les bras à plusieurs reprises, ce qui a causé une fracture grave de son épaule gauche et la luxation d’un doigt de sa main droite. Il a perdu connaissance plusieurs fois. Il a aussi été forcé de signer deux documents sans les lire, les policiers menaçant de le frapper encore s’il refusait. Il a été relâché le 29 juillet, tôt dans la matinée. Comme il ne se sentait pas bien, il s’est rendu à un poste de secours non loin de son domicile, d’où il a été conduit à l’hôpital. Il a été opéré de l’épaule gauche le 2 août 2007 et le 7 novembre 2007. Selon les chirurgiens, la blessure était typique des violences policières. Après l’intervention, il a dû se rendre à l’hôpital trois fois par semaine pendant dix mois pour faire refaire ses bandages.

2.2Le 12 septembre 2007, le requérant a déposé plainte auprès du Bureau du Procureur du district Kalininsky, à Saint‑Pétersbourg. N’ayant pas reçu de réponse, il a déposé une autre plainte auprès du Bureau du Procureur de la ville de Saint‑Pétersbourg, le 4 décembre 2007. Le 10 décembre, il a reçu un décision, datée du 11 octobre 2007, du Bureau du Procureur de district, lequel refusait d’engager des poursuites contre la police faute d’élément matériel de l’infraction. Il était indiqué dans cette décision que le requérant avait été arrêté en vertu de l’article 20.21 du Code des infractions administratives (ivresse dans un lieu public). Le requérant reconnaissait que, du fait de son ébriété, il avait pu avoir un conflit avec les policiers. Selon les rapports de police et les explications d’un policier, B., qui était en service cette nuit-là, le requérant avait été amené au poste de police du district Kalininsky le 29 juillet 2007 aux alentours de 1 h 25 du matin, et relâché à 3 h 25. Des rapports d’arrestation et d’infraction administrative avaient été établis, il n’avait pas été fait usage de force physique ni de moyens spéciaux à son encontre, et le requérant n’avait pas demandé à voir un médecin.

2.3En janvier 2008, la mère du requérant a pris contact avec une agence de presse. Le 10 mars, le journal hebdomadaire Smena a publié un article consacré au requérant, intitulé « Mon fils est handicapé après avoir été battu dans un poste de police ». Le vrai nom de l’intéressé n’était pas cité.

2.4Le 26 février 2008, le requérant a déposé une nouvelle plainte auprès du Bureau du Procureur de district. Il a été averti que le fait de porter de fausses accusations pouvait constituer une infraction en vertu de l’article 306 du Code pénal.

2.5Le requérant a quitté la Fédération de Russie le 18 août 2008, sans attendre la réponse du Bureau du Procureur. Le 25 août, alors qu’il se trouvait en Norvège, sa mère a reçu un appel téléphonique d’un inconnu qui lui a dit que la plainte devait être retirée, sans quoi le requérant aurait des problèmes.

2.6Le requérant est arrivé à une date non précisée en Finlande, où il a déposé une demande d’asile et une demande de carte de résident. Le 3 mai 2010, le Service de l’immigration a rejeté sa demande, en soulignant, notamment, qu’il n’avait pas épuisé tous les recours disponibles en Fédération de Russie en ce qui concernait ses allégations de torture, et que son passeport indiquait qu’il s’était rendu en Finlande par le passé, ce qui aurait été impossible s’il avait été persécuté par la police et les autorités de la Fédération de Russie. Le Service de l’immigration a estimé que le requérant n’avait pas démontré qu’il courrait le risque d’être torturé s’il était expulsé, et que sa situation ne justifiait pas qu’un permis de séjour lui soit délivré.

2.7Le 24 juin 2010, le requérant a fait appel de la décision auprès du tribunal administratif d’Helsinki. Le 9 novembre, le tribunal a confirmé la décision du Service de l’immigration. Le 19 novembre, l’avocat du requérant l’a informé de cette décision par téléphone. La décision d’expulsion vers la Fédération de Russie a ensuite été communiquée au requérant, qui affirme qu’il était dans l’impossibilité de la contester devant le Tribunal administratif suprême d’Helsinki faute d’avoir le temps nécessaire avant la date fixée pour son expulsion. De surcroît, un tel recours n’aurait pas eu d’effet suspensif. Il lui aurait été impossible de le former sans avocat, car les recours doivent être rédigés en finnois, langue qu’il ne parle pas. Le requérant affirme ainsi que tous les recours internes disponibles ont été épuisés.

2.8Sur le point d’être expulsé et craignant pour sa vie, le requérant s’est enfui en Suède le 19 novembre 2010, et y a demandé l’asile le 26 novembre. Sa demande a été rejetée par l’Office suédois des migrations le 21 janvier 2011 et, conformément au Règlement Dublin II, il risquait d’être expulsé vers la Finlande. Le requérant a fait appel de cette décision le 11 février. Il vit actuellement caché en Suède.

2.9La perspective de sa possible expulsion vers la Fédération de Russie a plongé le requérant dans un état de stress profond et de dépression. Par la suite, quand le stress est quelque peu retombé, il s’est souvenu qu’il avait participé à la Marche du désaccord, une série de manifestations d’opposition qui ont eu lieu à Saint‑Pétersbourg en mars et en avril 2007. Pendant la manifestation, il avait été arrêté par des policiers, qui avaient contrôlé ses papiers d’identité et avaient noté quelque chose. Il affirme que les mauvais traitements qu’il a subis en juillet 2007 sont liés à sa participation à ces manifestations d’opposition.

Teneur de la plainte

3.Le requérant soutient que son expulsion vers la Fédération de Russie constituerait une violation des droits qu’il tient de l’article 3 de la Convention car, au vu des mauvais traitements qu’il a subis par le passé et de ses plaintes concernant les agissements de la police, il risquerait d’être torturé et persécuté à son retour. À l’appui de ses allégations, il renvoie à ses certificats médicaux et à des rapports sur la situation des droits de l’homme en Fédération de Russie, dont il ressort que « la torture est communément pratiquée par la police ».

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une note en date du 12 août 2011, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité. Il indique que le requérant est arrivé le 18 mars 2009 en Finlande, où il a demandé l’asile. Le 3 mai, le Service de l’immigration a rejeté sa demande et a ordonné son renvoi en Fédération de Russie. Cette décision a été confirmée par la cour d’appel d’Helsinki le 9 novembre 2010.

4.2L’État partie indique que l’article 22 de la loi sur le contentieux administratif (586/1996) dispose que le délai d’appel est de trente jours à compter de la notification de la décision. La date de notification de la décision n’apparaît pas dans les documents, mais selon cette disposition, le délai d’appel aurait pris fin au plus tôt le 9 décembre 2010, soit trente jours après que la décision du tribunal administratif du 9 novembre a été rendue. Le requérant affirmant avoir eu connaissance de cette décision le 19 novembre, le délai d’appel aurait été étendu en conséquence. Cependant, le requérant n’a jamais saisi le Tribunal administratif suprême d’une demande d’autorisation de faire appel. De plus, il n’a jamais, au cours de la procédure d’asile, demandé aux tribunaux de surseoir à son expulsion.

4.3Au vu de ce qui précède, le requérant n’a pas épuisé tous les recours internes, comme l’exige le paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention ; sa plainte devrait donc être déclarée irrecevable.

Commentaires du requérant sur la recevabilité

5.1Dans une note en date du 3 octobre 2011, le requérant a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité. Il indique que la décision du tribunal administratif en date du 9 novembre 2010 lui a été lue au téléphone par son avocat, qui lui a dit que l’appel avait était rejeté et que la procédure d’expulsion avait était lancée et qu’elle ne serait pas suspendue. L’avocat lui a aussi expliqué que, l’expulsion étant imminente, il n’était plus temps d’engager une autre procédure d’appel en Finlande. Le requérant était donc dans l’impossibilité absolue d’interjeter appel auprès du Tribunal administratif suprême, et former un tel appel après son expulsion vers la Fédération de Russie ne serait pas utile.

5.2Le requérant conteste donc l’argument de l’État partie selon lequel il n’aurait pas épuisé tous les recours internes disponibles. Il rappelle en outre que la règle de l’épuisement des recours internes ne s’applique pas si les recours internes ne sont pas disponibles ou qu’il est peu probable qu’ils donnent satisfaction. Il soutient que son cas relève de cette exception et considère qu’en enregistrant sa requête, le Comité a donné à ses allégations le poids qu’elles méritaient. Il affirme qu’il n’a pas fait appel de la décision du tribunal administratif d’Helsinki car il n’en a pas eu la possibilité et que l’État partie n’a pas désigné d’avocat pour l’assister.

5.3Le requérant ajoute que l’autorisation de faire appel auprès du Tribunal administratif suprême n’est accordée qu’en présence de nouveaux éléments. Or le stress et la dépression qui ont suivi le rejet de son appel, ainsi que les maigres chances de succès d’un second appel compte tenu de l’imminence de son expulsion, l’ont d’abord empêché d’identifier de nouveaux éléments, éléments qui ne lui sont apparus que par la suite.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Dans une note en date du 20 décembre 2011, l’État partie a soumis ses observations sur le fond de la communication. Il indique que le paragraphe 1) de l’article 87 de la loi relative aux étrangers dispose que l’asile est accordé si le demandeur craint avec raison d’être persécuté du fait de son origine ethnique, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, et qu’en raison de cette crainte il ne peut ou ne veut pas solliciter la protection de son pays d’origine. Le paragraphe 1) de l’article 88 dispose que si les conditions énoncées à l’article 87 ne sont pas remplies, une protection subsidiaire peut être accordée s’il existe des raisons suffisantes de croire qu’en cas d’expulsion, la personne concernée courrait un risque réel de subir un préjudice grave et ne pourrait ou ne voudrait pas solliciter la protection du pays vers lequel elle aurait été expulsée. Par « préjudice grave », on entend : a) la peine de mort ou une exécution ; b) la torture ou d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants ; c) une menace grave et personnelle liées à une violence aveugle dans une situation de conflit armé international ou interne. Le paragraphe 1 a) de l’article 88 énumère les critères en fonction desquels une protection humanitaire est accordée lorsque les conditions énoncées aux paragraphes 1) de l’article 87 et au paragraphe 1) de l’article 88 ne sont pas remplies : il doit y avoir une catastrophe naturelle, de mauvaises conditions de sécurité liées à un conflit armé interne ou international ou une mauvaise situation sur le plan des droits de l’homme. En outre, en vertu du paragraphe 1) de l’article 52, un étranger peut obtenir un permis de séjour pour des raisons d’ordre humanitaire, parmi lesquelles figurent son état de santé, ses liens avec la Finlande, sa vulnérabilité ou la situation dans laquelle il se trouverait dans son pays d’origine. Le principe de non‑refoulement est consacré par l’article 147. L’article 200 dispose que, d’une manière générale, une décision d’expulsion n’est pas exécutée avant qu’un jugement définitif n’ait été rendu. La soumission d’une demande d’autorisation de faire appel auprès du Tribunal administratif suprême n’a pas d’effet suspensif, sauf ordre contraire du Tribunal. Toutefois, un jugement définitif ou une décision par ailleurs exécutoire peuvent ne pas être appliqués s’il y a des raisons de croire que l’expulsion pourrait exposer l’étranger aux risques décrits à l’article 147.

6.2L’État partie reprend le raisonnement exposé par le Service de l’immigration dans sa décision de rejet du 3 mai 2010. Premièrement, le Service de l’immigration a considéré que le requérant pouvait toujours rechercher la protection des autorités de la Fédération de Russie car il n’avait pas indiqué quel avait été le résultat des plaintes déposées le 4 décembre 2007 et le 28 février 2008 auprès des autorités de poursuite, et il n’avait pas non plus indiqué si l’affaire avait été classée. Deuxièmement, le Service de l’immigration a considéré que le requérant avait la possibilité de s’installer à un autre endroit en Fédération de Russie, et que ses voyages à l’étranger en 2006 et 2007 montraient qu’il avait pu quitter le pays sans entrave et qu’il n’avait donc pas besoin d’une protection internationale. Il a estimé que le requérant n’avait pas de motif valable de craindre d’être persécuté ou de subir un préjudice irréparable, et qu’il n’y avait pas non plus de motif valable de lui accorder une protection humanitaire ou un permis de résidence pour raison humanitaire au titre du paragraphe 1) de l’article 87, des paragraphes 1) et 1 a) de l’article 88 et de l’article 52 de la loi relative aux étrangers. Le Service de l’immigration a conclu que son expulsion vers la Fédération de Russie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention, car il ne risquerait pas d’y être soumis à des traitements inhumains ou d’être emmené dans une zone où il risquerait de subir de tels traitements.

6.3Le 9 novembre 2010, le tribunal administratif a rejeté la demande du requérant, indiquant que, d’une manière générale, les autorités de la Fédération de Russie n’étaient pas dans l’incapacité d’assurer une protection efficace, même si certains membres de la police ou d’autres autorités étaient corrompus et susceptibles de commettre des infractions. C’était au requérant qu’il incombait de se placer sous la protection d’autorités supérieures quand il a considéré que les autorités qui leur étaient subordonnées enfreignaient la loi. Il a déposé deux plaintes dans lesquelles il dénonçait le comportement des policiers. Il ne s’est pas plaint auprès du procureur de district du refus des autorités d’examiner sa plainte, et il n’a pas présenté d’autres éléments à l’appui de ses affirmations selon lesquelles il ne pourrait pas se tourner vers des autorités judiciaires russes de rang supérieur. Le tribunal administratif a estimé que le refus d’accorder au requérant un titre de séjour ne pouvait être considéré comme manifestement déraisonnable et que l’ordre d’expulsion était justifié.

6.4L’État partie fait valoir que les autorités finlandaises n’ont relevé aucun motif sérieux de croire que le requérant serait exposé à un risque de torture au sens de l’article premier de la Convention et du paragraphe 1 de l’observation générale no 1 (1997) du Comité sur l’application de l’article 3. L’État partie fait à nouveau valoir que le requérant n’a pas demandé l’autorisation de faire appel auprès du Tribunal administratif suprême et, partant, n’a pas épuisé tous les recours internes. Le requérant n’a donc pas présenté des arguments défendables en ce qui concerne tant la recevabilité que le fond. Par conséquent, la requête doit être déclarée irrecevable au regard du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention. À titre subsidiaire, si la requête devait être jugée recevable, un examen au fond montrerait que l’article 3 de la Convention n’a pas été enfreint en l’espèce.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie quant au fond

7.1Dans une note en date du 14 février 2012, le requérant a contesté les arguments de l’État partie sur l’irrecevabilité, réaffirmant qu’il n’avait pas fait appel auprès du Tribunal administratif suprême parce que les autorités finlandaises ne l’y avaient pas autorisé. Renvoyant au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, le requérant soutient que la règle de l’épuisement des recours internes ne s’applique pas si la procédure de recours excède des délais raisonnables ou s’il est peu probable qu’elle donnerait satisfaction.

7.2Le requérant affirme que s’il retournait en Fédération de Russie, il serait persécuté en raison de ses plaintes contre les agissements de la police. Il rappelle qu’il a été menacé de conséquences s’il ne retirait sa deuxième plainte, et qu’on lui a dit que des fausses accusations constituaient une infraction. Il aurait dû obtenir l’asile sur le fondement du paragraphe 2) de l’article 88 (protection subsidiaire), car sa vie serait menacée dans son pays d’origine et il y courrait le risque d’être soumis à la torture, et sur le fondement du paragraphe a) de l’article 88 (protection humanitaire), en raison de la mauvaise situation des droits de l’homme en Russie, décrite dans de récents rapports internationaux. Il ajoute que son arrestation et les mauvais traitements que lui a fait subir la police le 29 juillet 2007 s’expliquent par sa participation à la Marche du désaccord en avril. Il était donc persécuté pour des raisons politiques et, en pareil cas, l’article 87 (actes de persécution), le paragraphe a) de l’article 88 (protection humanitaire) et l’article 147 (non-refoulement) sont applicables. En outre, en raison de la douleur vive et persistante à son bras gauche, il aurait dû bénéficier de la protection de l’article 52 (attribution d’un permis de séjour pour raison humanitaire).

7.3Le requérant souligne que sa première plainte auprès du Bureau du Procureur du district a été traitée trois mois après son dépôt, et que la décision de ne pas engager de poursuites a été antidatée au 11 octobre 2007, vu qu’elle ne lui a été communiquée que le 10 décembre. Il affirme que sa plainte n’a pas été examinée sérieusement. Il n’a pas été tenu informé de l’avancement de l’enquête sur sa plainte datée du 26 février 2008 jusqu’à son départ de la Fédération de Russie, le 18 août. Il n’avait pas le temps ni l’énergie nécessaires pour suivre le traitement de l’affaire par le Bureau du Procureur. Il est convaincu que l’appel téléphonique menaçant que sa mère a reçu après son départ était lié à une vérification périodique du Bureau du Procureur du district et à l’intensification de l’enquête. Des avocats dans la Fédération de Russie lui ont dit qu’on ne pouvait pas gagner un procès contre la police. Il ajoute que si des allégations d’actes de torture commis par la police sont prises au sérieux, la vie des plaignants peut se trouver menacée, comme c’est le cas pour lui. Les autorités finlandaises ne tiennent aucun compte des cas de mauvais traitements commis par la police en Fédération de Russie. Le requérant décrit un cas récent de décès sous la torture dans un poste de police de Saint‑Pétersbourg.

7.4Le requérant explique que s’installer à un autre endroit en Fédération de Russie ne serait pas une solution acceptable car il devrait déclarer son départ ainsi que son nouveau lieu de résidence auprès des postes de police locaux. En outre, il serait interrogé au passage de la frontière et, du fait de son absence prolongée, les gardes frontière rechercheraient son nom dans la base de données du Ministère de l’intérieur. Il risquerait de ne pas atteindre son domicile sain et sauf. Un déménagement prend du temps et il serait vulnérable pendant toute cette période en raison de son affaire. De surcroît, son dossier relevant des autorités de Saint-Pétersbourg, il lui faudrait résider à son ancienne adresse pour pouvoir être informé des suites données à ses plaintes. Il explique en outre que lorsqu’il s’était rendu en Finlande par le passé, c’était avant que la situation ne devienne menaçante.

7.5Selon le requérant, sa demande d’asile était justifiée, comme l’atteste le fait qu’il a été considéré comme un demandeur d’asile pendant dix‑huit mois, alors que les demandes mal fondées sont rejetées dans les trois semaines et suivies d’une expulsion dans les huit jours. Son avocat a confirmé que le Service de l’immigration avait ajouté foi à son récit. Il avait indiqué dans sa décision que « le demandeur avait justifié sa demande d’asile en se fondant sur les violences et les actes de torture commis par les autorités ». Le requérant ignore pourquoi on ne lui a pas accordé l’asile vu les circonstances, alors qu’il avait fourni des documents à l’appui de sa demande, ainsi que les noms des enquêteurs chargés de ses plaintes et le nom du policier en service au poste où il avait été torturé. Il s’étonne de ce que les autorités finlandaises se soient adressées aux autorités de la Fédération de Russie pour savoir s’il risquait d’être torturé en Fédération de Russie. Il affirme que ce non‑respect de la confidentialité crée un risque supplémentaire pour lui et constitue une violation de ses droits et des lois sur l’immigration, et, de ce fait, un motif supplémentaire de lui accorder l’asile.

7.6Le requérant conteste l’appréciation faite par l’État partie du risque de torture qu’il courrait en cas d’expulsion compte tenu de l’observation générale no 1, et fait valoir que les violations des droits de l’homme sont fréquentes en Fédération de Russie et que la situation ne s’améliore pas, notamment en matière de liberté d’expression. Il ajoute qu’il a été torturé dans la nuit du 28 au 29 juillet 2007, et qu’il en a fourni des preuves médicales, notamment des radiographies datées de 2009, faites en Fédération de Russie et en Finlande. Il joint également un article de presse sur le meurtre par un policier, à Saint‑Pétersbourg, d’un adolescent qui avait été arrêté.

7.7Dans une note en date du 20 mars 2012, le requérant a fourni des informations complémentaires sur plusieurs cas de violences policières dans quatre régions de la Fédération de Russie. Dans l’un des cas, les violences ont entraîné la mort de la victime. De l’avis du requérant, cela confirme ses dires selon lesquels il ne serait pas protégé des violences policières dans son pays d’origine.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si celle-ci est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.2Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il n’examine aucune requête émanant d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Cette règle ne s’applique pas s’il a été établi que lesdites voies de recours ont dépassé les délais raisonnables ou qu’il est improbable que le requérant obtienne réparation par ce moyen. Le Comité constate qu’en l’espèce, l’État partie soutient que le requérant n’a pas demandé l’autorisation de faire appel auprès du Tribunal administratif suprême et n’a jamais demandé aux tribunaux locaux de surseoir à son expulsion. Le Comité note que le requérant conteste l’argumentation de l’État partie en faisant valoir en particulier qu’un tel appel n’aurait pas eu d’effet suspensif alors que son expulsion était imminente, et qu’il aurait donc été inutile de faire appel une fois la décision mise en œuvre.

8.3Le Comité constate que l’État partie n’a pas contesté qu’une demande d’autorisation de faire appel auprès du Tribunal administratif suprême n’a d’effet suspensif que dans le cas prévu à l’article 200 de la loi relative aux étrangers, c’est-à-dire s’il existe des raisons de croire que l’expulsion peut exposer la personne à un risque d’être soumise à la torture, à des persécutions ou à d’autres traitements contraires à la dignité humaine, ou mettre sa vie en danger. En outre, l’État partie n’a pas expliqué quels sont les moyens prévus par la loi finlandaise pour solliciter un sursis à expulsion, ni comment le requérant aurait pu, en l’espèce, y avoir recours, notamment au vu de l’appréciation qui avait été faite de son cas par les autorités nationales, qui considéraient que le risque de torture en cas de renvoi vers la Fédération de Russie n’était pas établi. Le Comité relève en outre que, d’après l’auteur, une demande d’autorisation de faire appel doit être présentée en finnois, langue qu’il ne parle pas ; que l’auteur ne bénéficiait pas d’une aide juridictionnelle pour préparer sa demande dans le temps très court dont il disposait avant son expulsion ; qu’en tout état de cause, l’autorisation de faire appel devant le Tribunal administratif suprême n’est accordée qu’en présence de nouveaux éléments, ce qui n’était pas le cas au moment où l’auteur aurait pu présenter sa demande. Dans ces conditions, le Comité considère que le fait que le requérant n’ait pas déposé de demande d’autorisation de faire appel auprès du Tribunal administratif suprême ne constitue pas un obstacle à la recevabilité de la communication.

8.4Ne voyant aucun autre obstacle à la recevabilité, le Comité déclare la requête recevable en vertu de l’article 3 de la Convention et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

9.2En ce qui concerne le grief que le requérant tire de l’article 3 de la Convention, le Comité doit déterminer s’il existe des motifs sérieux de croire que l’intéressé risquerait personnellement d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en Fédération de Russie. Pour ce faire, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, il doit tenir compte de tous les éléments pertinents, y compris l’existence éventuelle d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle toutefois que le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être victime de torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante d’établir qu’une personne donnée risquerait d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

9.3Le Comité rappelle son observation générale no 1, où il est indiqué que l’existence du risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. Le Comité fait observer que s’il n’est pas nécessaire de démontrer que le risque couru est hautement probable, la charge de la preuve incombe généralement au requérant, qui doit présenter des arguments défendables montrant qu’il court personnellement un risque prévisible et réel. Le Comité rappelle en outre que, conformément à son observation générale no 1, il doit accorder un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie concerné, mais qu’il n’est pas lié par de telles constatations et qu’il est au contraire habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque espèce.

9.4Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle il a été arrêté et maltraité par la police à Saint-Pétersbourg en juillet 2007, ce qui lui a valu une fracture de l’épaule et une luxation d’un doigt. Il relève que le requérant a subi deux interventions chirurgicales en lien avec ces blessures et qu’il a soumis des preuves d’ordre médical. Il relève également l’affirmation du requérant selon laquelle il a été victime de mauvais traitements de la part de la police parce qu’il avait participé à la Marche du désaccord au printemps 2007. Le requérant a déposé trois plaintes auprès des autorités de poursuite de la Fédération de Russie au sujet des mauvais traitements qui lui ont été infligés par la police. Le Comité note toutefois qu’aucune de ces plaintes n’établissait de lien entre les mauvais traitements subis par le requérant et sa participation au mouvement d’opposition.

9.5Le Comité souligne que, même s’il devait ajouter foi à l’affirmation selon laquelle le requérant a été soumis à la torture ou à des mauvais traitements par le passé, la question qui se pose est celle de savoir si l’intéressé risquerait encore d’être torturé enFédération de Russie s’il y était renvoyé de force. Il note que le requérant a soutenu qu’un tel risque existait dans son cas, en particulier en raison du fait qu’il avait porté plainte, qu’on avait menacé par téléphone, en août 2008,de lui faire du mal s’il ne retirait pas sa plainte, qu’un article sur son affaire avait été publié en mars 2008 et qu’il avait participé à une manifestation d’opposants en 2007. Le Comité constate toutefois que le requérant n’a apporté aucun élément prouvant que les autorités de la Fédération de Russie le recherchaient depuis son départ du pays en août 2008 et qu’elles s’en prendraient à lui s’il revenait, en particulier en raison de ses liens avec un mouvement d’opposition. À cet égard, le Comité constate qu’il ne ressort pas de la communication du requérant qu’il ait été un opposant de premier plan, que son rôle dans les manifestations du printemps ait consisté en davantage que la participation à deux marchesou qu’il ait eu une activité politique après avoir quitté la Fédération de Russie en août 2008. Le Comité constate également que le requérant ne conteste pas s’être rendu plusieurs fois en Finlande depuis qu’il a participé à la Marche du désaccord et subi les mauvais traitements qu’il impute à la police, ou s’y être rendu peu de temps avant sa fuite en2008. Il constate en outre que les autorités finlandaises qui ont examiné la demande d’asile ont considéré que le requérant n’avait pas établi qu’il risquerait d’être soumis à des persécutions, des tortures ou des traitements inhumains en cas de renvoi en Fédération de Russie.

9.6Le Comité rappelle que le risque de torture doit être apprécié selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations, et qu’il incombe généralement au requérant de présenter des arguments défendables. Compte tenu de ce qui précède et de tous les renseignements soumis par le requérant et par l’État partie, notamment sur la situation générale des droits de l’homme en Fédération de Russie, le Comité considère que le requérant n’a pas apporté d’éléments de preuve suffisants pour permettre de conclure que son expulsion vers son pays d’origine l’exposerait personnellement à un risque réel et prévisible d’être soumis à la torture au sens de l’article 3 de la Convention.

10.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut en conséquence que le renvoi du requérant en Fédération de Russie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.